III

Les semaines passent. Les jours se mélangent. Les nuits s'évaporent. Harry est appuyé contre le mur près de la fenêtre et observe la rue, les yeux plissés. Il y a un sorcier, près de la boutique de l'apothicaire qu'il surveille de près, un homme aux vêtements sombres qui a une cicatrice sur le front. Régulièrement, son regard parcourt la façade de l'auberge et Harry se raidit, les doigts crispés sur sa baguette. L'homme se retourne pour parler au patron de la boutique, et il se détend un peu, laissant son esprit retourner à la question qui le préoccupe depuis un certain temps.

« Comment es-tu mort ? »

Un brusque bruit d'éclaboussures lui répond, puis le silence, ponctué du goutte-à-goutte régulier du robinet. Harry patiente, puis il entend les clapotis reprendre dans la baignoire, à travers la porte ouverte. Il continue d'observer l'homme qui rôde toujours devant la boutique de l'apothicaire et attend son prochain coup.

Draco met une éternité à répondre, mais finit par le faire :

« Noyé. »

Harry acquiesce comme si Draco ne faisait que parler de la météo. « Ça se tient. Tu n'as aucune marque.

- J'en ai de la chance », dit Draco d'une voix atone.

Cela fait rire Harry. À vrai dire, la réponse de Draco l'étonne un peu : comment s'est-il débrouillé pour se noyer ? Un Avada Kedavra eût été plus logique ; il se dit que, peut-être, Draco lui ment. Pourquoi Draco lui mentirait est une autre question qu'Harry laisse de côté pour l'instant. Il y repensera plus tard.

Il élève sa baguette et retient son souffle : le suspect a bougé dehors, il s'éloigne de la fenêtre. Serrant les dents, il recule d'un pas pour ne pas être vu et regarde l'homme s'éloigner vers Gringotts. Il attend d'être sûr que l'homme ne va pas faire demi-tour avant de s'écarter complètement de la fenêtre. Il se dirige vers la salle de bain et s'adosse négligemment au cadre de la porte, le regard posé sur Draco qui paresse dans le bain, les yeux fermés, la respiration profonde et régulière.

Draco a l'air de sentir le regard d'Harry sur lui et ouvre les yeux. Comme c'était à prévoir, il rougit et détourne la tête, se redresse dans sa position assise et ramène ses genoux contre sa poitrine.

« Franchement, j'aimerais bien que tu remettes cette porte, dit-il sur le ton de l'ennui.

- C'est ça », dit Harry.

Draco tente une moue dédaigneuse, mais Harry sait bien qu'en fait il aime qu'il le regarde. Cela se voit à la légère accélération de son souffle et à l'assombrissement de sa peau par endroits, et il aimerait parfois pouvoir voir la couleur réelle de ces taches. Oui, ce con aime être le centre de son attention. Ça n'arrive pas souvent : le monde extérieur est de plus en plus dangereux, ce qui oblige Harry à être sur ses gardes en permanence.

« Tu prends ton pied en me regardant prendre un bain ?

- Peut-être », répond Harry. Il va s'asseoir sur le rebord froid et dur de la baignoire, laissant sa baguette sur le bord de l'évier. La peau de Draco est chaude et douce en comparaison, alors il la parcourt du bout des doigts, repoussant de petites gouttes d'eau de ses épaules pour les faire dévaler le long de son torse.

Draco frissonne et penche la tête sur le côté, donnant sans un mot son accord, comme si Harry en avait eu besoin. Il se penche en avant, effleurant la mâchoire de Draco du bout du nez avant d'embrasser sa joue, doucement. Un presque-sourire se forme sur la bouche de Draco tandis qu'Harry dépose un autre baiser sur sa peau ; il retient son souffle lorsqu'Harry fait semblant de le mordre. C'est si facile de lui faire faire ce qu'il veut ces temps-ci : un baiser juste ici, un petit coup de langue là et Draco est à sa merci.

Sa main descend le long du torse de Draco, il se penche un peu plus pour pouvoir embrasser sa clavicule et tend le bras pour glisser la main entre ses jambes. Draco gémit faiblement et se penche en arrière, et Harry ressent ce sentiment de puissance qu'il a toujours lorsqu'il constate à nouveau à quel point Draco le désire.

Draco tend la main et plonge les doigts dans les cheveux de Harry pour l'attirer vers lui et l'embrasser correctement – un baiser avide et brouillon. Harry y répond avec ferveur, l'embrassant à corps perdu –

Un grand bruit retentit dans son dos et Harry s'écarte brutalement de Draco, le cœur dans la gorge. Il se fige sur le rebord de la baignoire et le temps semble s'arrêter ; il tend l'oreille, attend.

Il y a un autre bruit, plus assourdi, puis le son de voix basses et furieuses ; Harry se rend compte avec horreur que les intrus sont juste derrière la porte. Il ne les a même pas entendu monter les escaliers et traverser le couloir, il aurait dû être à cette foutue fenêtre pour surveiller dehors, au lieu d'essayer de mettre Draco sur le dos. Harry s'empare de sa baguette et s'élance vers la porte au moment même où elle s'ouvre avec fracas : des hommes masqués déboulent en criant et pointent leur baguette sur lui —

« Stupefix ! Impedimenta ! »

Un homme tombe et Harry plonge au sol lorsqu'une lumière fuse au-dessus de sa tête. Le miroir déjà fissuré sur le mur explose lorsque Harry lance un autre sort à un autre sorcier, l'atteignant en plein visage.

« Incendio ! » hurle-t-il, submergé par la colère, la peur et une volonté de protéger, de faire du mal à ces gens pour se protéger lui-même et protéger sa chambre, pour qu'ils lui foutent la paix. Les robes de sorcier s'enflamment et quelqu'un se met à crier et des éclats de lumières partent dans toutes les directions et le cri est de plus en plus fort. Quelque chose de rouge et de brûlant frôle le bras d'Harry, il réplique par un Sectumsempra. Du sang argenté éclabousse le mur et l'homme blessé s'effondre, Harry n'en a rien à faire, tout ce qu'il veut c'est qu'ils le laissent tranquille, il y en a combien comme ça, bordel, il en arrive sans cesse et il ne peut pas tenir comme ça toute la journée ; il esquive d'autres éclairs de lumière et le sol sous ses pieds tremble, toute la chambre tremble, les tableaux tombent, les meubles basculent —

« Harry ! HARRY ! »

Quelqu'un hurle son nom. Une main l'attrape et le force à se retourner ; il pousse un cri, instinctivement empoigne lui aussi la personne et lui pointe la baguette entre les yeux.

« Harry ! Arrête ! »

Le cœur battant, Harry fixe le visage terrifié de Draco. Sa poitrine se soulève frénétiquement et d'une main il tient une serviette autour de sa taille ; de l'autre main il tient Harry et il semble trop effrayé pour faire le moindre mouvement.

« Il n'y a rien, dit Draco, le menton tremblant. Harry, il n'y a personne. »

Harry lâche sa baguette et sa prise sur Draco et se retourne en vacillant.

Il est seul.

Tout ce qu'il voit, c'est la chambre n°4. La chaise près de la porte est en mille morceaux. Le miroir est encore plus craquelé qu'avant et le mur est complètement carbonisé par endroits près de la porte.

« Il y avait quelqu'un ici », affirme-t-il, se retournant vers Draco. « Tu sais qu'il y avait quelqu'un ! »

Draco secoue la tête lentement, comme s'il n'arrivait pas à croire ce qu'il entendait. Son expression met Harry en rage : il se sent de nouveau petit, insignifiant, idiot. Il saisit Draco par le bras et le tire brusquement à lui, s'emparant de son menton pour l'obliger à le regarder en face.

« Si tu as quelque chose à me dire, dis-le », gronde-t-il.

Draco tente de se libérer mais il n'a ni la force, ni la résolution d'Harry, et il s'efforce toujours de retenir la serviette autour de sa taille. Harry la lui enlève d'un geste sec et la jette sur le sol, rien que pour l'énerver.

« Rends-la-moi ! » crie Draco.

Harry le fait reculer, se collant contre lui pour le forcer à bouger avant de le repousser avec violence sur le lit.

« Rends-la-moi, enfoiré », crie-t-il en tentant de se relever. « Tu es complètement malade— »

Harry est sur le lit en un éclair, au-dessus de Draco, rugissant : « Qu'est-ce que tu viens de dire ?! »

- Tu as perdu la tête ! » crie Draco, le visage déformé par quelque chose de très laid. « Je n'en peux plus ! Tu as des hallucinations, putain ! »

Harry sent la colère enfler dans sa poitrine, il veut — il ne sait même pas ce qu'il veut, ses deux mains sont agrippées aux épaules de Draco et il le secoue, il veut qu'il se la ferme, et Draco continue de lui crier dessus —

Il atteint la tempe de Draco du revers de la main. Celui-ci se tait immédiatement, ses yeux roulent dans leurs orbites et son corps se relâche. Harry regarde la respiration de Draco se calmer, tout en massant le dos de sa main.

« Désolé », soupire-t-il. Puis, après coup, il se penche et l'embrasse sur la bouche. Draco ne bronche pas. Harry hausse les épaules, puis tend le bras pour récupérer son livre sur le sol. Il tourne les pages pour retrouver où il en était.

Et il est au sommet de la tour d'astronomie, et le vent hurle autour de lui. Tout est sombre, le ciel gronde et un maelström de nuages noirs tourbillonne au-dessus de sa tête. Paralysé, Harry ne peut que regarder Draco baisser lentement sa baguette –

« Avada Kedavra. »

Dumbledore tombe et Harry hurle en le voyant disparaître dans un tourbillon de fumée noire. Draco pousse un cri d'horreur et se jette en avant. Il trébuche et tombe à genoux sur la pierre, traversant la plateforme comme un soldat qui rampe sur le ventre pour éviter les flammes. Il se précipite sur le rebord et tend la main.

« Non ! »

La fumée noire disparaît sous ses yeux. Il est figé dans le temps, il arrive toujours trop tard. Le vent ébouriffe ses cheveux, ses yeux sont grands ouverts et sa main est tendue dans le vide.

Harry peut bouger, il se force à bouger. Il s'approche de Draco à quatre pattes et pose une main tremblante sur son dos, entre ses omoplates.

« Je n'ai –, fait Draco d'une voix faible, le regard toujours fixé sur les ténèbres. Les doigts d'Harry tirent sur sa chemise, que Draco s'écarte de ce foutu gouffre.

- Je sais, dit Harry. » Il tire sur la chemise de Draco. « Draco. »

Hébété, Draco se retourne. Ses yeux sont écarquillés, plein de terreur, il ne cille pas. Ses mains cherchent quelque chose et il trouve le bras d'Harry, ses doigts se referment sur son biceps. Sa poitrine se soulève frénétiquement, il n'arrive plus à respirer.

« Draco, respire putain, respire ou tu vas – oh non. »

Harry se fige à la vue de la main de Draco, toujours agrippée à son bras comme si sa survie en dépendait. Pris d'un haut-le-cœur, Harry empoigne brutalement Draco et le repousse contre le parapet ; il tremble de la tête aux pieds.

« Qu'est-ce que… »

Il crie : Harry s'est emparé de son poignet et l'écarte violemment, le serrant de toutes ses forces.

Le bout du majeur est noir. De plus en plus noir, sous les yeux horrifiés d'Harry.

« Tu l'as touché ? demande-t-il, la voix tremblante. Tu l'as touché ?

- Non, s'exclame Draco effrayé. Harry…

- Le maléfice, dit Harry, secouant la tête et se sentant vidé de toute son énergie : il est dans tes doigts, il était en train de le tuer, putain, Draco, pourquoi est-ce que tu l'as touché ? »

Il est en train de hurler et Draco essaie de s'échapper. Il repousse Harry de sa main libre et lui donne des coups de pieds, paniqué, terrifié, mourant. Harry sait ce qu'il doit faire et rien que le fait d'y penser lui donne la nausée, mais il doit le faire. C'est la guerre et la guerre exige des sacrifices, elle oblige les gens à faire des choses qu'ils s'en voudront d'avoir faites.

La noirceur a atteint la première des phalanges, maculant sa peau comme de l'encre. Des ciseaux apparaissent dans la main d'Harry, de lourds ciseaux d'acier, et Draco se met à hurler.

« Arrête » dit Harry, en colère et désespéré parce qu'il faut qu'il sauve Draco, même s'il n'est plus qu'une loque, il faut qu'il le sauve. Il s'agenouille sur les jambes de Draco et tente de l'immobiliser parce que ce sort tue et il progresse bien trop vite. Il se débat encore comme un dément pour repousser Harry.

« Je t'en supplie, Harry, non, ce n'est pas réel, arrête, arrête, tu me fais peur, non, s'il te plaît, arrête… »

Harry bloque le poignet de Draco au sol avec son genou. Draco sanglote encore et encore, puis hurle de nouveau lorsque le métal froid entame sa peau. Harry serre les dents et ampute le maudit sort. Il sait qu'il doit le faire.

Quelque chose craque et Draco s'évanouit, les yeux violets disparaissent dans leurs orbites.

Draco n'arrête pas de pleurer et ça commence à l'énerver. Il est à la fenêtre et observe la rue, se raidit chaque fois que quelqu'un approche de la ruelle. Draco est terré dans la salle de bain, sous l'évier, et ne veut pas en bouger. Il détourne le visage chaque fois qu'Harry s'approche, alors Harry essaie de ne plus faire attention à lui.

Il essaie de rester concentré sur la rue, la mâchoire serrée. Draco n'est qu'un putain de fantôme, alors Harry ne comprend pas ce qui lui prend.

Harry est à moitié endormi sur une chaise près de la fenêtre. De temps à autre, il force ses yeux à s'ouvrir pour regarder en bas. La lumière décline et des ombres poursuivent les derniers passants, agrippées à leurs talons comme des affamées.

Ce soir, quelque chose a changé.

Harry est épuisé, comme d'ordinaire, mais il ne s'en rend plus compte. Quelque chose à l'arrière de sa tête réclame son attention, mais il n'arrive pas à cerner ce que c'est ; l'impression d'avoir oublié quelque chose, mais il ne sait pas par où commencer pour l'identifier.

De l'autre côté du Chemin de Traverse, le soleil vient de disparaître derrière les immeubles, lorsqu'il sent Draco apparaître derrière lui, un très léger déplacement de l'air autour de lui qui lui dit que Draco est là.

Harry ne bouge pas ; il attend de voir si Draco va venir vers lui. Cela fait des jours que ce connard ne lui a pas adressé un mot. Plus son silence se prolonge, plus le sentiment de vide qu'il ressent est fort. Il est sur le point de craquer ; un peu plus et il va craquer et obliger Draco à lui parler.

Toutefois, il semble que Draco en soit conscient, car il semble céder avant même que Harry ne fasse quoi que ce soit. Il traverse la pièce lentement, d'un pas hésitant, et s'accroupit aux pieds de Harry. Harry ouvre les yeux et le regarde avec circonspection.

Il ne pleure plus, c'est déjà ça.

« Je veux pouvoir faire quelque chose, dit Draco. » Il a l'air perdu et désemparé. Il pose une main sur le genou de Harry et respire profondément ; il déglutit, posant le front sur le dos de sa main : « Je veux t'aider. »

Harry fronce les sourcils. Il se penche en avant et prend le visage de Draco dans ses mains pour lui faire relever la tête. L'espace d'un instant, il croit voir quelque chose sur le front de Draco, une sorte de marque, mais elle disparaît dès qu'il cligne les yeux. Il passe les pouces sur les joues de Draco.

« Ne pleure plus jamais », dit-il. Puis il l'embrasse. Draco répond à son baiser avec désespoir, sa main vient se refermer sur le poignet de Harry et il s'y accroche comme s'il avait peur de le lâcher. Le contact fait surgir un autre presque-souvenir et Harry tressaillit, comme si un insecte l'embêtait ; il fronce les sourcils et tente de retenir l'image indistincte dans sa tête.

Une fille aux cheveux touffus le retient et lui dégage le front avec ses mains. Un garçon au visage constellé de taches de rousseur sourit tristement. Ça l'agace : il ne sait pas qui ils sont ni d'où cette vision lui vient.

« Malefoy, est-ce que… », commence-t-il, et Draco relève les yeux. « Est-ce que tu te souviens de quelqu'un, d'avant la guerre… ? Je sais qu'il y a moi et toi et Fred, et Sirius et Lavande… mais j'ai toujours l'impression d'oublier quelqu'un. »

Draco reste parfaitement immobile. Il scrute le visage d'Harry puis baisse le regard ; ses prunelles violettes s'agitent doucement tandis qu'il réfléchit. Il s'humecte les lèvres nerveusement, inconsciemment.

« Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre ? » demande Harry, et Draco semble de nouveau respirer. Harry se rassérène, il fait confiance à ces yeux violets devenus ses soutiens et ses fondements.

Il secoue finalement la tête, les yeux ancrés dans ceux d'Harry, l'air résolu et le regard luisant de quelque chose qu'Harry ne comprend pas : « Non. »

Lorsqu'Harry s'éveille, le matin où tout commence à s'effondrer, il ne se doute toujours de rien. Alors que Draco le réveille en mordillant sa clavicule, tout ce qu'Harry se demande, c'est s'ils ont le temps de le refaire avant qu'il soit l'heure d'aller vérifier que rien ne bouge à la fenêtre. Il fait encore sombre dehors, il doit donc avoir encore une bonne heure avant que le jour ne se lève et que les suspects ne commencent à tourner autour de la ruelle.

Rien ne laisse présager que son monde va basculer cette nuit-là, rien dans l'air ne lui laisse imaginer qu'il ne lui reste plus qu'une douzaine d'heures avant que sa vie ne prenne un virage brutal et se dérobe sous ses pieds.

Non, ce n'est qu'un matin comme les autres. Il pousse un gémissement et plonge les doigts dans les cheveux de Draco, le laissant faire ce qu'il veut. Il laisse Draco s'installer sur ses hanches et le chevaucher à un rythme lent et agréable. Il est déjà courbaturé de la nuit passée à satisfaire l'appétit sexuel de Draco – plutôt impressionnant, venant d'un fantôme – qui est plus prononcé que d'ordinaire lorsqu'il se sent démuni et veut être le centre d'attention.

Draco les amène tous les deux à la jouissance, sans hâte, et ils sont comme deux amants passant une matinée paisible au lit, et non deux cas sociaux s'accrochant aux marges d'un monde en proie à une guerre. Harry se laisse sombrer dans cette comédie tandis que Draco se recouche à côté de lui. Leurs corps sont moites et repus ; il somnole un moment, laissant ses pensées noires et blanches vagabonder à leur guise.

Alors qu'il rêve à demi de mots latins sur une pierre blanche, une voix brise le silence.

« Mais reste pas planté là, imbécile, ils arrivent ! Allez, lève-toi ! »

Harry se redresse brusquement, sa main cherche sa baguette tandis que la panique, la peur et la colère sourdent dans sa poitrine ; il a soudain trop chaud. Son regard tombe sur une silhouette près de la fenêtre, le visage pressé contre la vitre.

« Putain, Fred », crie Harry, furieux de se faire prendre par surprise. « Qu'est-ce que tu fous ? »

Fred se retourne vers lui : « Debout, il y a des gens qui arrivent. Ils savent que tu es ici. »

Le monde semble s'arrêter. Les mots de Fred résonnent dans la tête d'Harry. Il sent son cœur battre dans ses oreilles. Draco s'est précipité hors du lit et crie sur Fred, mais Harry n'en entend pas un mot. C'est comme s'il regardait le monde au ralenti à travers un voile et l'espace d'un instant il est tétanisé, sans savoir quoi faire.

Il cille et Fred et Draco disparaissent.

Le son revient, un tourbillon dans ses oreilles qui sonne comme un rugissement. Cela tournoie puis se concentre : il entend le son du robinet qui goutte, la clameur des voix dehors sur le Chemin de Traverse et les escaliers qui craquent à l'autre bout du couloir.

Il bondit hors du lit et se précipite sur la porte pour vérifier que les sortilèges de verrouillages tiennent. Puis il recule en chancelant, se baissant pour ramasser son pantalon et sa chemise qui traînaient par terre ; il saisit sa baguette sur la table de chevet, puis se rue dans la salle de bain pour se cacher derrière le mur, à l'abri des regards de quiconque entrerait dans le chambre. Il enfile ses vêtements en quatrième vitesse, aussi près du mur que possible, le cœur tambourinant dans sa poitrine.

Adossé au mur, il maudit Draco tout haut. Il ne s'attendait pas à ce que Fred reste mais il n'arrive pas à croire que Draco soit parti, qu'il l'ait laissé tomber juste comme ça –

« C'est Weasley et Granger. »

« Putain ! »

Au bord de la crise cardiaque, Harry fait volte-face pour voir Draco de l'autre côté, loin de la porte, tout habillé et l'air complètement affolé. Harry lui décoche un coup de poing qui l'atteint en pleine joue, le faisant tituber en arrière.

« Tu t'étais tiré, enculé ! »

Draco ne prend même pas la peine de faire semblant d'avoir mal. Il le dévisage, une main sur la joue et les yeux violets pleins de colère. « Je suis allé voir qui c'était, espèce de malade –

- Je ne suis pas malade – »

Quelqu'un frappe doucement à la porte, de manière presque hésitante. Harry saisit Draco et le plaque contre le mur, poitrine contre poitrine. Il plaque une main sur la bouche de Draco aussi, pour la forme, retenant son souffle pour mieux écouter.

« Harry ? »

La voix est étouffée par le bois de la porte. Harry retient un juron en se rendant compte que c'est son prénom que l'on vient de prononcer. Il se met à transpirer et ses jambes tremblent un peu, mais il tient bon.

Draco prend sa main et l'écarte de sa bouche : « Si tu me lâches, je peux disparaître – commence-t-il dans un souffle, mais la main d'Harry sur sa bouche l'interrompt de nouveau.

- C'est hors de question », réplique Harry, furieux. Avant que Draco ne puisse répondre, il y a un autre coup à la porte, plus fort, cette fois, et moins patient.

« Arrête tes conneries, Harry, on sait que tu es là ! »

C'est une autre voix, plus énervée, plus en colère, ce qui veut dire qu'il y a plus d'une personne à sa recherche. La respiration hachée, il s'écarte de Draco et s'adosse de nouveau au mur, un bras autour des épaules de Draco pour le forcer à s'accroupir avec lui. Il est assis, les genoux remontés contre son torse, et retient Draco contre lui avec un bras autour de son cou, la paume sur sa bouche au cas où il voudrait alerter les intrus.

« Harry James Potter, laisse-nous entrer ! »

Harry ferme les yeux et expire nerveusement, espérant de tout son corps qu'ils vont s'en aller. Il devrait peut-être essayer de s'enfuir avant que les autres ne décident de faire sauter les sorts de verrouillage. Draco a raison – il pourrait disparaître et Harry n'aurait qu'à transplaner à sa suite. Mais s'il fait ça, les gens dehors entendront le craquement et sauraient qu'il était bien à l'intérieur.

« Harry ! Ce n'est que Ron et moi, s'il te plaît.

- Harry, chuchote Draco très vite en se dégageant de nouveau. C'est Granger. Tu te souviens, quand tu m'as demandé s'il y avait d'autres –

- Tu veux que je te verrouille la bouche ? dit Harry hargneusement. Je ne vois pas de qui tu parles alors ferme-la – »

Il siffle entre ses dents lorsque les coups sur la porte reprennent. Il ne sait pas qui sont ces gens et il s'en fout, il veut juste qu'ils s'en aillent et lui foutent la paix. Derrière les bruits de coups, il entend un sifflement strident, celui qu'il n'avait plus entendu depuis des semaines. Et si ces gens dehors étaient liés à ce foutu sifflement ? Est-ce possible de posséder quelqu'un avec un morceau d'âme ? Sa tête bascule légèrement sur ses épaules et ses yeux se ferment. Draco se raidit à ses côtés.

Harry rouvre les yeux et serre les dents, il prend de profondes et violentes inspirations par le nez, contrôlant les mouvements de sa poitrine. Il a pris sa décision.

« Est-ce que les morts peuvent transplaner ? » demande-t-il calmement, tentant de toutes ses forces de repousser le sifflement qui devient de plus en plus fort seconde après seconde. La chambre n°4 n'est plus sure. Il ne peut plus rester là si d'autres savent qu'il s'y trouve.

Draco retire sa main. « Pas question, dit-il, soudain effrayé. Non, non et non. Écoute, ils viennent pour t'aider, je t'en supplie, Harry, laisse-les entrer – »

Ses mots se dissolvent dans un cri lorsque Harry s'empare de lui et les fait transplaner dans un craquement qui sonne comme des doigts qui se brisent.

Ils atterrissent maladroitement, titubent, trébuchent et tombent sur le sol froid. Draco se débat pour repousser Harry et fait beaucoup, beaucoup trop de bruit. Harry décoche un coup dans la pénombre et le dos de sa main atteint le visage de Draco. Draco s'écroule sur le sol.

« La ferme, j'y vois rien », souffle Harry.

Pour toute réponse, Draco gémit. Le revers a manifestement fait plus de dégâts que le coup de poing de tout à l'heure. Harry se creuse la cervelle pour se rappeler le nom de l'endroit qu'ils viennent de quitter puis abandonne : son esprit ne lui montre plus que des images de cercueils s'enfonçant dans leurs trous rectangulaires parfaits.

« Fait chier. Allez, debout. »

Il se relève et remet Draco sur ses deux pieds ; Draco vacille contre lui et se raccroche à sa chemise, le souffle haché.

« Où est-ce que tu nous as emmenés, demande-t-il d'une voix rauque et tremblante. Qu'est-ce que tu nous as encore fait ?

- La ferme, dit Harry en élevant de nouveau la main. » Draco a un mouvement de recul et se tait. Harry tend l'oreille, cherchant un signe de vie autour d'eux. Il entend des vagues au loin, le murmure continu de la mer, et le bruissement de hautes herbes sous le vent. L'air des premières heures du jour a quelque chose de glacé et le sol sous leurs pieds est froid. Il fait si sombre qu'il ne distingue que les contours de haies et d'arbres non loin d'eux. Il se retourne doucement, troublé par tout cet espace et l'air frais sur son visage.

Ils ne sont pas seuls.

Il y a quelqu'un ici, sous la lumière faible, il le sent. Il serre Draco contre lui et lève sa baguette. Il y voit à peine. L'obscurité se retire, le ciel d'encre laisse place à une lumière qui se répand sur tout l'horizon. Cela n'aide pas beaucoup ; tout est brouillé en noir et blanc, comme une mauvaise vision de nuit.

« Potter ? murmure Draco, l'air incertain.

- Il y a quelqu'un ici », répond Harry dans un souffle. Il tourne la tête : quelque chose a bougé au coin de son œil.

Draco se recroqueville contre lui. Harry fait volte-face pour tenter d'apercevoir ce qui est en train de bouger autour d'eux.

« Harry… »

Son nom traverse les airs tout bas. Il fait de nouveau volte-face et chancelle. Il n'arrive pas à localiser la source de la voix.

« Potter… »

- Montrez-vous ! » hurle Harry à l'obscurité en se retournant. Il voit des ombres bouger, hors de vue, des gens les entourer dans la pénombre. « Qu'est-ce que vous attendez ? Montrez-vous ? »

Un rire retentit, puis s'estompe, et Harry croit entendre quelque chose d'encore plus terrifiant.

Un sifflement.

Etouffé mais toujours bien strident, l'écho d'un cri qui se tord dans les airs, de plus en plus fort. Harry fait brutalement volte-face, la baguette pointée sur le vide devant lui.

« Tu entends ça ? demande-t-il d'une voix désespérée. Malfoy –

- Entends quoi ? souffle Draco, l'air affolé. J'entends rien d'autre que cette foutue mer.

Le volume du sifflement augmente encore d'un cran. Harry serre les dents et s'avance d'un pas. Quelqu'un dans l'obscurité éclate de rire.

- Arrêtez-ça ! hurle-t-il. Sortez de là ! Montrez-vous, qu'on en finisse ! »

Le sifflement s'arrête brusquement et le silence est assourdissant. Les jambes de Harry ne le soutiennent plus. Il s'écroule sur le sol, épuisé. Il tremble de tous ses membres. Il n'en peut plus…

« Potter ! »

Draco a l'air effrayé. Ses mains viennent redresser Harry, le font s'asseoir contre la poitrine de Draco et le serrent fort. Harry lutte pour garder les yeux ouverts. Il refuse de céder.

Il tend l'oreille pour écouter le battement rassurant du cœur de Draco, reposant la tête contre sa poitrine, serrant le tissu de sa chemise dans son poing, s'agrippant à lui.

Il ne l'entend pas. Au lieu des battements de cœur, quelque chose de terrible et de familier s'élève de la cage thoracique de Draco.

Harry s'écarte précipitamment de Draco, des cailloux lui blessent les paumes. Draco essaie de le rattraper mais Harry le repousse, les yeux écarquillés d'horreur.

« Harry, laisse-moi t'aider, supplie-t-il. Arrête, pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ? Arrête ! »

Harry l'entend à peine. Il n'entend plus que le sifflement sourd, à peine audible, qui émane du sternum de Draco, battant comme le pouls qu'il n'a plus.

« Tu…, dit Harry d'une voix rauque, pointant la baguette entre les yeux de Draco, la main tremblante. Non, pas toi. S'il te plaît, n'importe qui mais pas toi.

Mais en le disant il sait que tout est fini. Draco se fige, les yeux fixés sur la baguette.

- Qu'est-ce que tu fais ? murmure-t-il.

- Je sais que tu l'entends », dit Harry ; et Draco tâte sa poitrine convulsivement.

Leurs regards se croisent l'espace d'une seconde et Draco détale : le sort qu'Harry lui jette atteint le sol, envoyant dans les airs de la terre et des pierres. Harry s'élance à sa poursuite, lançant un autre sort qui ne le rate que de peu.

« Reviens ici ! hurle-t-il à Draco qui s'enfuit à toute allure. Il faut que tu me laisses – »

Sa poitrine se soulève frénétiquement et son cœur bat la chamade. Il trébuche sur le sol irrégulier mais ne s'arrête pas, ne tient pas compte de la douleur.

« Impedimenta ! »

Il manque une nouvelle fois sa cible et laisse échapper un juron. L'herbe haute mord ses mollets dans sa course. Le petit sifflement rend Draco facile à pister.

« Harry, non ! Arrête, laisse-moi tranquille ! Harry ! » Draco crie sans s'arrêter de courir, sanglotant et trébuchant, et Harry gagne du terrain. Le sifflement est de plus en plus fort et quelqu'un tout près se met à rire lorsque Draco trébuche et tombe sur ses genoux. Harry se jette sur lui, attrape sa cheville et le tire vers lui dans l'herbe et la terre.

Draco pousse un cri aigu et se débat mais Harry le ramène à lui sans peine. Son pied atteint Harry dans la poitrine. Harry grogne de douleur et tord la jambe de Draco pour le forcer à se retourner sur le dos. Draco se débat comme un forcené mais Harry l'immobilise au sol de tout son poids, le souffle court ; il tente de repointer sa baguette sur le visage de Draco mais celui-ci retient son poignet et le repousse de toutes ses forces.

« Harry, s'il te plaît, implore-t-il, la voix trois tons trop haut et terrifiée. Harry, non.

- Il faut que je te tue », dit Harry d'une voix suppliante. Le sifflement lui vrille les tympans. « Il le faut, tu le sais… »

- Ce n'est qu'une hallucination, arrête ! se démène-t-il. Arrête, Harry, je n'en peux plus, j'en ai assez, tu ne peux pas… »

La baguette de Harry se rapproche centimètre après centimètre. Draco détourne la tête comme il peut.

« Harry, non – ! »

Le « non » devient cri lorsqu'Harry rassemble toute l'énergie qui lui reste pour forcer son bras à bouger. Sa baguette appuie sur la tempe de Draco, tremblant violemment sous la pression. Le Horcruxe dans la poitrine de Draco hurle lui aussi, un cri de protestation en sentant sa fin approcher –

« Avada Kedavra. »

Un éclat de lumière verte aveuglant engloutit le monde et Harry pousse un cri. C'est dans ses yeux, son nez, sa bouche et il n'arrive plus à respirer, cela fait des années qu'il n'a pas vu autant de vert et il suffoque, il ne voit plus rien, que du vert, partout. Il ferme les yeux de toutes ses forces, le mugissement dans ses oreilles est de plus en plus fort. Ses bras tremblent violemment et, sous ses paupières, ses yeux tentent de basculer dans leurs orbites. Il entend des gens hurler son nom, puis le vert devient noir, et tout s'arrête.

Il entend des vagues, la rumeur douce et apaisante de l'eau contre la pierre. Il entend le cri des mouettes qui tournoient quelque part au-dessus de lui. Il sent le sel dans l'air et l'odeur riche de la terre et de l'herbe. Il ne bouge pas tout de suite, bien qu'il soit étendu face contre terre dans ce qui semble être un champ ; de l'herbe picote son visage.

Il entend la respiration de quelqu'un tout près : un souffle rapide et heurté qui semble effrayé.

Harry force ses yeux à s'ouvrir. Tout son corps tremble furieusement. Il se redresse à quatre pattes et se fige.

Les brins d'herbe sous ses mains sont d'un vert terne et profond, les contours secs d'un jaune sale. La terre visible autour est marron. Il plie les doigts et creuse des sillons dans le sol, bouleversé. Ses mains sont d'une couleur de pêche, pâles sans être tout à fait blanches, et couvertes de salissures. Les manches qui recouvrent ses bras sont d'un bleu marine sombre, profond et chaud.

Le souffle court, il relève la tête. Il est au sommet d'une falaise : la mer est en dessous, bleu d'acier, scintillante sous la lumière du soleil qui point à l'horizon. Le ciel est bleu d'eau, rayé de violet, de rose et de jaune où le soleil le touche.

Draco est sur le dos, dangereusement près du bord. Il est appuyé sur un coude et a un bras tendu devant lui comme s'il repoussait un assaut. Il est si pâle qu'il pourrait être blanc, mais sa chemise est d'une teinte marron calciné et une balafre rouge apparaît sur son front, vive sous le désordre de sa frange.

Ses yeux sont gris.

Harry le dévisage, incapable de parler. Il regarde Draco et sa gorge se noue. La marque sur son front est une coupure profonde en forme d'éclair. Elle a cicatrisé en une ligne d'un rouge sombre et la peau autour est d'un rose affreux. Il a un hématome bleu vif sur la pommette et ses deux poignets portent des marques de bleus marbrés de jaune, bleu, noir, vert. Sa poitrine se soulève péniblement, il est terrifié. Harry sent de la bile monter dans sa gorge à la vue de la main dont Draco se sert pour se protéger : la moitié de son majeur a été coupée à la deuxième phalange.

Il se laisse retomber au sol, cherchant à reprendre son souffle. Où sont Ron et Hermione ? Que fait Malefoy ici ? De vagues souvenirs tourbillonnent dans sa tête – de Draco, de peau, de ciseaux, de sorts. Il plonge la main dans ses cheveux, tire dessus et ferme les yeux : il se rend compte soudain qu'il a passé toute cette année dans un état de semi-conscience.

« Tu es en vie », dit-il, et sa voix se brise. Il lève des yeux désespérés vers Draco qui acquiesce lentement, toujours effrayé.

La fatigue s'empare de lui. Son esprit est vide mais des pensées s'amassent aux bords et se bousculent pour qu'on les laisse entrer, pour qu'on les comprenne. Draco, un sifflement, des livres, Fred, des Mangemorts, des sorts, Hermione, la tour d'astronomie, Dumbledore, la chambre n°4, les potions, Ron, des cercueils, des trous oblongs dans le sol, du noir et du blanc, des ombres et des couleurs –

Le son des vagues devient mugissement et il perd connaissance.

Les murs de sa chambre sont d'une couleur crème, pâle et apaisante. Le tic-tac de l'horloge murale est calme. Il entend le bruit de pas et la rumeur de voix dans le couloir. Les bruits ne l'oppressent plus : ils ne font que se fondre les uns dans les autres pour créer un paysage sonore qui lui est devenu familier à présent. Ça ne le dérange pas d'être dans cette chambre : il se sent en sécurité et au calme. Cela commence à faire un moment qu'il est en convalescence ici. On s'occupe de lui, Ron et Hermione viennent tous les jours et les Médicomages lui amènent des calmants et des fioles de potion de sommeil sans rêves. La seule chose qui l'emballe moins c'est de devoir parler ; mais Hermione dit que cela fait partie de la thérapie. C'est franchement une perte de temps, selon lui.

La porte s'ouvre et il ouvre les yeux et se retourne. Il adresse un sourire fatigué à Hermione, qui lui sourit faiblement en retour et s'approche de son lit. Elle a toujours l'air soulagée de le voir, ce qui est un peu déconcertant, mais ça lui est égal. Ses amis ne lui avaient pas vraiment manqué – c'est difficile, quand on a oublié leur existence – mais il est content de les avoir retrouvés.

« Enfin réveillé, » dit-elle en s'asseyant près de son lit, tendant la main pour dégager les cheveux de son visage. « Comment te sens-tu ? »

Il fait un signe de tête et sourit : elle comprend. Il veut lui dire qu'il se sent de nouveau lui-même, pour la première fois depuis des années. Il sent enfin le soulagement qu'il espérait depuis tout ce temps : il a enfin le sentiment que la guerre est finie.

D'ailleurs, cela fait des semaines qu'il n'a pas vu Fred. Il lui manque un peu, mais il sait que c'est mieux comme ça.

Il se sent fatigué, petit et faible, mais mieux. Il commence à peine à se faire de nouveau confiance, à croire à ce qu'il voit et perçoit autour de lui. Les seules personnes qu'il a vues jusqu'à présent sont les Médicomages et Ron et Hermione, mais ça suffit pour l'instant : lorsqu'il aura retrouvé des forces, il sera sans doute prêt à voir d'autres gens, mais pas maintenant. Il a encore honte, d'une certaine manière, honte surtout de s'être laissé aller à perdre la tête et à s'enfermer dans des mensonges. Ses amis avaient essayé de l'aider mais il les a repoussés.

« Tu as de la visite, lui dit Hermione doucement ; et Harry se redresse, rajustant ses oreillers pour s'asseoir confortablement. Seulement si tu veux bien qu'il vienne.

- Qui ? » demande Harry, fronçant les sourcils. Hermione baisse les yeux et triture le bord de son pull. Elle ouvre la bouche mais un léger raclement de gorge près de la porte lui épargne de répondre.

Harry lève la tête et son estomac se noue : Draco Malfoy est appuyé au chambranle comme s'il était là depuis des heures. Harry a essayé de ne pas penser à Draco : il refuse de répondre aux Médicomages lorsque ceux-ci l'interrogent à son sujet. C'est trop.

« Salut, Potter, dit-il gentiment et sa voix est douce.

- Il partira si tu le souhaites, dit Hermione, mais Harry secoue la tête en signe de dénégation.

- Il peut rester. »

Hermione s'éclipse, s'arrête au niveau de la porte avant hocher la tête, presque pour se rassurer elle-même. Elle les laisse seuls. Draco se glisse dans la chambre et referme la porte. Il vient s'asseoir sur la chaise qu'Hermione vient de laisser, regardant Harry attentivement. Ils restent silencieux pendant un long moment. Harry regarde le doigt manquant de Draco et l'hideuse cicatrice sur son front, l'éclair affreux dont Harry sait maintenant que c'est lui qui l'a faite.

« Je croyais que tu étais un fantôme, finit par dire Harry, comme si cela allait tout arranger. Draco a un rire fatigué et pose les coudes au bord du lit d'Harry, le front dans la paume.

- Non, dit-il.

- Tu m'as dit que tu t'étais noyé. »

Draco fait non de la tête : « Tu as cru entendre beaucoup de choses que je n'ai pas dites. Je t'ai dit que j'avais essayé de me noyer, mais que je n'y étais pas arrivé.

- J'ai vu ta tombe », réplique Harry, désespéré, voulant se justifier, trouver un semblant d'explication.

Draco rit de nouveau, amer. « C'était sûr que ça allait te perturber. J'ai déjà une pierre tombale toute prête. Le Ministère l'a faite faire avant mon procès. Imagine comme ils ont été déçus lorsque j'ai été acquitté. Je voulais la faire enlever, mais… on dirait bien que je ne l'ai pas fait. »

Harry respire profondément. Il n'est pas sûr de vouloir en entendre davantage. Les preuves de sa maladie s'empilent et il se sent affreusement vide.

« Qu'est-ce qui s'est vraiment passé ?

- Eh bien, tu m'as coupé le doigt et tu m'as fait une cicatrice comme la tienne, si c'est ça que tu veux savoir, répond Draco d'une voix atone. Et on a couché ensemble. Beaucoup.

- Pourquoi est-ce que tu es resté alors ? demande Harry, désespéré. Si je devenais aussi dangereux –

- Je te voulais pour moi tout seul, dit Draco et cet aveu direct lui noua l'estomac. Et puis j'ai voulu faire quelque chose. Je ne pouvais plus te quitter après ça, je voulais… je ne sais pas. Ce n'était pas ta faute, tu étais dans un sale état. C'était la guerre. »

Ils replongent dans le silence. Harry regarde Draco. Il essaie de comprendre ce qui se passe dans sa tête. Il se sent coupable, il a honte, peut-être plus encore que lorsqu'il a dû s'expliquer devant Ron et Hermione. Il a mutilé Draco, il a même essayé de le tuer. Tandis qu'il le regarde, un étrange sentiment remonte dans sa poitrine, comme s'ils étaient toujours liés même maintenant qu'ils étaient de retour à la réalité.

« Si tu veux, fait Draco doucement, je resterai. J'essaierai de t'aider.

- J'ai essayé de te tuer, dit Harry dans un souffle. Regarde ce que je t'ai fait. »

Draco hausse les épaules : « C'était sans doute mérité, marmonne-t-il.

- Mais j'ai vu la lumière verte, j'ai prononcé la formule, dit Harry. Tu ne méritais pas ça.

- Tu sais comment l'Avada Kedavra marche, dit Draco platement et Harry frissonne à ces mots. Il faut que tu le veuilles vraiment. Et même si tu étais dans un état épouvantable je ne pense pas que tu le voulais vraiment.

- Mais la lumière verte –

- Et tous les gens qui voulaient entrer dans ta chambre ? fait remarquer Draco. Ce n'était pas réel, Potter. »

Harry expire nerveusement et tend la main vers celle de Draco. Draco sursaute, mais après un instant d'hésitation, il glisse sa main dans la paume d'Harry, celle à laquelle il manque un doigt. Ils restent ainsi en silence un long moment. Les doigts de Draco ne lui font pas la même sensation qu'avant. Ils sont plus chauds.

« Je voulais juste que tu sois à moi, admet Draco. Et le temps que j'aille chercher de l'aide, il était trop tard. »

Harry le regarde attentivement.

« Ça explique beaucoup de choses », finit-il par dire ; et Draco a un rire éraillé.

« Reste » dit Harry en se rallongeant contre ses oreillers, cillant de fatigue. Il arrive à peine à rester éveillé plus de quatre heures d'affilée, c'est rageant. « Tu peux m'aider.

- Ah oui ? demande Draco avec espoir.

- Oui », souffle Harry, déjà à moitié endormi. Son corps se détend et s'enfonce dans les oreillers.

Draco le regarde un moment puis détache précautionneusement sa main de la sienne. Il caresse doucement les cheveux de Harry sur son front puis arrange la couverture autour de lui, les doigts traînant doucement sur son torse. Il soupire profondément en se rasseyant dans sa chaise, portant la main à son front pour masser distraitement la cicatrice. Il regarde Harry avec un faible sourire sur le visage.

Il cille et ses yeux deviennent violets l'espace d'un instant, avant de redevenir gris, calmes et immobiles.

Fin.