Si Poudlard m'était conté

Mortelle nouvelle

Rowena Serdaigle s'approcha de sa table de chevet. Depuis huit ans, c'étaient toujours les mêmes gestes, le même rituel. Elle s'asseyait dans son lit aussitôt réveillée, passait une main mélancolique sur l'oreiller à côté d'elle, là où la tête de son époux avait reposé autrefois. Puis elle se levait et se dirigeait vers la table de chevet. Elle retirait de la chaîne autour de son cou la clé d'argent et l'utilisait pour ouvrir le tiroir du milieu. De celui-ci, elle sortait une boîte rectangulaire en bois d'ébène ornée d'aigles dorés. D'un mouvement triste et lent, elle soulevait le coffret, marchait d'un pas lourd jusqu'à la table ronde en chêne dans un coin de la chambre et l'y déposait.

La seconde clé, dorée, celle-ci, était accrochée à un bracelet lui enserrant le poignet droit. De la main gauche, elle faisait glisser le tissu sur sa paume et attrapait le bracelet. La clé tournait dans serrure et ouvrait le coffret. Elle posait alors ses doigts sur le velours rouge sombre, le caressait et suivait de l'index la marque qu'avait laissée un objet qu'elle y avait conservé durant des années. Parfois, mais pas toujours, une larme solitaire roulait le long de sa joue. Elle se rappelait encore ce qu'elle avait répondu lorsque Godric et Helga lui avaient demandé pourquoi elle ne portait plus son diadème.

« Qu'offre donc ce diadème ? Rien d'autre que l'intelligence. Je suis suffisamment intelligente, et ce n'est pas ce qui me manquait. Ce qui me manquait, c'était l'amour pour ma seule enfant. Si j'avais montré plus d'amour à Helena, elle serait très certainement encore à Poudlard. »

Après le départ de Salazar, elle avait été complètement abattue et ne s'était plus occupée d'Helena. La pauvre enfant n'avait que dix ans, et en quelques jours, elle avait presque littéralement perdu ses deux parents. Certes, elle pouvait jouer avec les elfes de maison, car elle avait très tôt gagné le cœur de ces petites créatures. Certes, on pourvoyait à tous ses besoins matériels et elle pouvait s'occuper du jeune Aelfric, le fils de Godric et Helga. Cependant, ce dont elle avait le plus besoin, cet amour qui brûlait dans le cœur de sa mère avait été étouffé par le chagrin, de sorte que depuis ce jour, Rowena avait à peine parlé avec elle.

Cela était devenu impossible lorsque la jeune fille avait atteint l'âge auquel elle devait fréquenter Poudlard en tant qu'élève. Le jour de la Répartition, elle avait en effet – à la grande surprise de tous, hormis de sa mère, qui avait pressenti une telle décision lorsqu'elle s'était dirigé d'un pas ferme vers le Choixpeau magique – été envoyée vers la demeure de son père. La Fondatrice n'avait donc plus pu la voir que durant ses cours avec elle, où elle s'était révélé être une élève particulièrement silencieuse qui ne prenait la parole que lorsqu'on lui posait directement une question. Une attitude qu'elle n'avait toutefois – à en juger par ses discussions avec les autres maîtres – que dans ses propres cours, car tous ses collègues, y compris Godric et Helga, louaient sa curiosité et son intérêt pour leurs matières respectives.

La Fondatrice savait qu'elle aurait dû réagir d'une manière ou d'une autre, que c'était un appel à l'aide que lui lançait Helena, mais le comportement de sa fille l'avait au contraire blessée plus profondément encore et l'avait rendu incapable d'entreprendre quoi que ce fût pour reprendre cette relation brisée. Elle l'avait néanmoins une fois de plus tenté, lorsqu'Helena avait fêté son quinzième anniversaire, mais il était alors déjà trop tard et sa fille l'avait violemment rejetée avec autant de violence que le jeune Aymar de Barfleur, le fils d'un baron normand qui lui avait déclaré sa flamme ce jour-là.

À compter de ce jour, la relation entre les deux femmes n'avait qu'empiré et, hormis une unique fois, elle n'avaient plus jamais reparlé ensemble, alors qu'Helena en souffrait autant que sa mère.

Cette discussion enflammée s'était déroulée peu après la majorité d'Helena, et ce jour-là, la jeune femme avait accusé sa mère de n'avoir jamais aimé personne qu'elle-même et de ne jamais penser avec son cœur. Choquée, Rowena n'avait rien su répondre et sa fille s'en était allée, affichant un sourire rempli de mépris, sous lequel semblait toutefois poindre une trace de tristesse. Lorsqu'elle avait fini par réagir et avait couru pour la rattraper, elle avait été incapable de la retrouver.

Le lendemain, elle avait sorti le coffret de son tiroir afin de coiffer la tiare, mais elle n'avait trouvé qu'un morceau de parchemin et les derniers mots de sa fille :

Mère, jamais vous n'avez fait preuve d'amour à mon égard depuis que père a quitté Poudlard et vous n'avez aujourd'hui pas même essayé de le nier ou de me reconquérir. Comme vous n'estimez rien tant que votre intelligence, je veux vous la retirer afin que vous compreniez enfin ce que signifie être seule. Vous ne me reverrez jamais, pas plus que votre précieux diadème.

Adieu

Votre fille

Lorsqu'elle eut lu ces mots jusqu'au bout, elle avait éclaté en sanglots. Elle avait désormais perdu les deux êtres qu'elle aimait le plus profondément, tout cela parce qu'elle avait été incapable d'exprimer suffisamment son amour pour les retenir. Quelle était pour elle la valeur de ce diadème ? Que valait pour elle l'ensemble de ses affaires ? Elle connaissait la réponse : rien n'avait de valeur, quand on le comparait à la perte de son époux et de sa fille.

Et pourtant, combien elle les avait tous deux aimés, combien elle s'était réjoui de leurs joies et avait souffert de leurs peines ! Mais elle, qui était si intelligente et douée avec les mots, n'avait jamais su l'exprimer.

Lorsqu'une heure plus tard, Helga avait frappé à la porte, inquiète, elle avait fini par se relever, avait rangé le coffret dans le tiroir et mis sur son visage un masque calme. Tout le jour, elle avait agi comme si rien ne s'était passé, mais lorsque le soir, ses amis lui avaient demandé pourquoi Helena n'avait pas paru en cours, elle avait avoué son départ. Ils ne lui avaient pas posé d'autre question et elle leur en avait été reconnaissante.

Depuis ce jour, elle avait mis en place ce rituel. Chaque fois, après être restée assise quelques minutes à sa table, elle se levait de nouveau et replaçait le coffret dans son tiroir. Ce n'était pas un soulagement pour elle, mais par ces gestes, il lui semblait que ces deux êtres aimés étaient toujours à ses côtés.

Elle aurait pu continuer ainsi des années durant, mais la discussion qu'elle avait eu deux semaines auparavant avec Helga lui avait fait comprendre combien il lui fallait agir rapidement, désormais. Outre ses cours de Botanique, la sorcière avait également un rôle de guérisseuse, et l'expression de son visage était inhabituellement sérieuse lorsqu'elle l'avait fait venir dans son bureau et l'avait priée de s'asseoir.

« Qu'y a-t-il, Helga ? », avait demandé la plus âgée des deux.

« J'ai pour toi une nouvelle qui, je le crains, ne te sera point agréable », avait répondu Helga.

« Et quelle est-elle ? »

« Tu es malade. »

« Et en quoi cette nouvelle me serait-elle particulièrement désagréable ? Tu es là pour me soigner. J'ai une confiance pleine et entière en tes connaissances et tes compétences. »

« Ta confiance me touche profondément, Rowena, mais nul n'est tout-puissant. Merlin sait à quel point je souhaiterais t'aider, mais il est des moments où je ne puis moi-même rien, et ton cas est de ceux-là. »

« Veux-tu donc dire que je vais mourir ? »

« Si Salazar était encore là », avait avoué son amie, « tu aurais peut-être pu rester deux ou trois ans parmi nous, mais désormais... »

« Désormais ? », avait-elle répété d'une voix tendue.

« Ce serait pour moi un miracle si les élèves qui arriveront l'an prochain à Poudlard te connaissent jamais en tant que maîtresse d'Art magique. »

Trois mois. D'après son amie, il ne lui restait plus que trois mois. Rowena ferma les yeux de tristesse et de lassitude. Elle allait donc bientôt mourir. Mais elle ne pouvait, elle n'avait pas le droit de mourir. Elle devait encore accomplir une dernière chose avant de passer dans l'au-delà.

Elle tressaillit lorsqu'un léger 'plop' se fit entendre derrière elle. Une voix aigüe s'éleva alors :

« Monsieur de Barfleur vous attend dans votre boudoir, ainsi que vous me l'avez demandé. »

« Merci Stopsy. Tu peux disposer. »

L'elfe de maison s'inclina et disparut dans un autre 'plop'. Rowena Serdaigle rangea le coffret dans son tiroir et sortit de sa chambre à coucher.

Lorsqu'elle ouvrit la porte du boudoir, l'homme qui s'y tenait se retourna et marcha à sa rencontre pour effleurer de ses lèvres sa main tendue. Elle sourit brièvement et s'assit dans son fauteuil avant de prendre la parole :

« Baron, veuillez vous asseoir. »

Le noble obéit et elle continua :

« Mon très cher baron, je ne puis jamais vous exprimer assez ma gratitude pour avoir si promptement répondu à mon message. »

« Ma gente Dame, c'est pour moi un plaisir et un honneur que de pouvoir vous aider d'une quelconque façon. »

« D'après mes informations, vous n'êtes point encore fiancé. Comment se fait-il qu'un homme de votre âge vive encore seul ? Auriez-vous le projet d'entrer dans les ordres ? »

« Dame Serdaigle, une damoiselle conquit mon cœur mais n'en voulut pas. Je me jurai que jamais ce cœur n'appartiendrait à une autre. »

« C'est effectivement ce que je pensais », fit la sorcière en hochant la tête. « Comme vous le savez, nous perdîmes tous deux il y a huit ans de cela ce qui nous était le plus cher. J'ai cru à l'époque être à même de surmonter cette perte, mais alors que s'approchent mes derniers jours, je me suis rendu compte que j'en souffrais toujours et que je souhaitais le retrouver. Baron », continua-t-elle après un court instant de silence, « j'ai une mission pour vous, si vous désirez m'aider. »

« Votre confiance m'honore et je ferai de mon mieux pour réaliser vos désirs. »

« Allez et trouvez ma fille, baron. Utilisez tous les moyens qui vous paraîtront nécessaires pour cela, mais trouvez-la et ramenez-la moi, que je puisse la revoir une dernière fois avant de mourir. »

Le Normand se leva et fit une révérence.

« Si je ne remplis votre mission, vous pourrez en conclure que je suis mort en tentant de le faire. »

« J'espère vous revoir en bonne santé », répondit la Fondatrice en lui signifiant son congé d'un signe de la tête.

Deux mois plus tard, le bec d'une chouette frappa contre sa fenêtre alors qu'elle était assise à son bureau dans son salon. Lorsqu'elle reconnut l'écriture du noble, elle déroula d'une main tremblante le parchemin, tout à la fois espérant qu'il lui apporterait de bonnes nouvelles et craignant qu'il n'avait pas retrouvé sa fille.

Dame Serdaigle,

Je dois vous confesser à mon grand regret que j'ai échoué. Après de longues recherches, je retrouvai la trace de votre fille et la suivis sur le continent, chevauchant sur de nombreuses routes, à travers de nombreux pays, avant de la retrouver finalement dans un bois au sud-ouest de l'Empire romain d'Orient.

Malheureusement, elle refusa d'écouter mes paroles et parla d'un bijou que jamais elle ne vous rendrait, quand bien même vous m'enverriez. J'essayai de lui faire comprendre que vous étiez mortellement malade, mais elle refusa toujours et encore de m'écouter, de sorte que la folie s'empara de mon esprit et que je la perçai de ma lame.

Lorsque je compris ce que je venais de faire, je tentai de soigner ses blessures, mais il était déjà trop tard. Votre fille est morte par ma faute, et après ce terrible acte, je ne puis continuer à vivre. Ainsi que je vous le disais, j'ai perdu la vie en essayant de remplir la mission que vous m'aviez confiée, mais de ma propre main, et non, comme je l'avais alors craint, de la main d'un infâme bandit.

Avec mes plus profonds regrets et mes plus sincères condoléances,

Votre dévoué

Aymar de Barfleur

Le parchemin lui échappa des mains. Dans un ultime acte de magie spontanée, elle y mit le feu, puis toute force l'abandonna et elle s'effondra au sol. C'est là que ses deux amis la trouvèrent le lendemain matin, mais il était déjà trop tard pour que la guérisseuse pût faire quoi que ce fût pour elle, et durant des siècles, nul homme vivant ne sut jamais ce qui avait causé la mort de la plus grande sorcière de son époque ni comment et où son si précieux diadème avait disparu.


Voilà, cette série d'OS est pour le moment terminée, à moins que l'inspiration ne me vienne pour d'autres chapitres. N'hésitez à me demander si vous souhaitez lire une scène en particulier : les trois derniers chapitres publiés ont été écrits suite à des demandes. Et même si vous n'avez aucun souhait particulier, n'hésitez pas quand même à rédiger une review pour dire ce que vous avez pensé de ce recueil : cela ne prend pas beaucoup de temps, et c'est le seul salaire des auteurs publiant ici ;-)