CHAPITRE UN : Ou comment rentabiliser les conseils ennuyeux.

Encore un conseil général des directeurs des grandes compagnies contrôlant les énergies sur le marché international. Encore une grande pièce vitrée en haut d'un building ennuyeux de New York avec sa climatisation et ses écrans high tech. Encore des hommes gras et/ou vieux en costard-cravate bardés de fond de teint, n'ayant qu'une idée en tête : avoir toujours plus. Plus de parts, plus de pouvoir, plus d'influence, plus d'argent... Encore ces maudits boulimiques de l'économie.

Encore lui-même parmi tous ces gens-là.

Saito se souvenait de la raison pour laquelle il était là. Parce que c'était son métier, il avait besoin de cet argent, il avait une société à gérer et caetera... Mais il aurait préféré parler à chaque personnalité en privé plutôt que d'assister à ces grands meetings qui ne veulent rien dire sauf pour les articles dans les journaux économiques et où personne ne dit rien d'important.

Et ce grand néant durerait toute la journée.

Le jeune homme se regarda furtivement dans les portes de l'ascenseur qu'il venait juste d'appeler, pour vérifier que son costume n'était pas froissé et sa cravate droite. Il se devait de jouer au jeu des apparences avec ses collègues de travail, sinon, il ne pourrait jamais obtenir le moindre crédit de leur part. L'ascenseur finit par s'ouvrir et Saito s'engouffra à l'intérieur.

Se retournant, il vit une autre limousine se garer devant la porte vitrée du hall d'entrée du building. Un chauffeur sortit et ouvrit la porte à un autre jeune homme. Saito eut à peine le temps de l'apercevoir que déjà, les portes de l'ascenseur se refermaient sur lui. C'était étrange, il était persuadé d'avoir vu un jeune homme sortir d'une limousine en face... Non, il était sûr de l'avoir vu, et pourtant, la moyenne d'âge des personnes qui accédaient à ce poste était de 80 ans. Il semblait qu'en Europe, on ne puisse accéder aux postes importants qu'en étant un vieux croulant.

Ce n'était sans doute qu'un employé sans importance...Qui avait un chauffeur.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent à nouveau au dernier étage, là où devait avoir lieu la réunion. Presque tous les directeurs des grandes entreprises étaient réunis. La table en bois oblongue était gigantesque et pouvait donner l'illusion d'un pouvoir réparti sur le commerce des énergies. En vrai, tous les hommes assis là étaient simplement des représentants des deux monstres que sont l'entreprise Fischer et la sienne. Les deux blocs qui ne cessent de se déclarer une guerre plus que froide.

La discussion qui allait suivre et occuper toute sa journée était en fait un dialogue décisif entre lui et son plus grand concurrent.

Le jeune homme entra et salua les croulants déjà assis en leur serrant la main et en échangeant quelques remarques de circonstance. Puis, il alla s'asseoir, dos à la baie vitrée, face aux places vides laissées par les représentants officiels de l'entreprise Fischer.

Les derniers arrivants ne tardèrent pas à sortir de l'ascenseur.

Parmi eux, un vieil homme appuyé à une canne qui devait valoir plus que tous les costumes des hommes de la pièce, un autre homme, un peu plus jeune, gras et hypocrite - un homme d'affaire prospère - portant des documents et enfin...

Que dire ? La perfection ? Un jeune homme digne d'un tableau de Caravage ? Un synonyme de la beauté et de la grâce sur pieds, en tous cas. Saito eut du mal à déglutir et ne put s'empêcher de l'observer tandis qu'il se déplaçait entre les sièges, le long de la table pour saluer tout le monde.

Il était nerveux. C'était normal, pour un homme aussi jeune... Il avait une carrure assez fine et sèche, mince et grand en somme. Saito les adorait comme ça. De plus, il avait un visage difficile à oublier, avec des yeux, bleu vert, éclatants et perçants. Un atout de marque pour un homme d'affaires. Il était assez pâle et avait des lèvres d'un beige assez décevant... Quelle couleur prendraient-elles s'il les couvrait de baisers jusqu'à ce que chaque contact devienne douloureux ?

Non, ce n'était vraiment pas le moment de penser à ce genre de choses. Il avait un conseil important à diriger et des décisions à prendre... Première décision : serrer ou non la grosse main que l'associé du père Fischer lui tendait ? Le contact avec cette grosse paume rouge, suante et habituée à l'argent sale révoltait ses sensibilités orientales, mais il ne pouvait pas commencer un conseil par un fiasco. Il se leva et serra ladite main. Une poigne de main courte et sèche, l'écrasement des doigts, tout y était : ce Peter Murrow n'avait qu'une envie : le dominer. Mais Saito n'était pas homme à se laisser faire...

Il se tourna vers le jeune homme et lui tendit plus volontiers la main. Le jeune homme eut un moment d'hésitation, restant presque interdit devant lui. Puis, il jeta un rapide regard vers l'autre, le gros homme, hésitant. Un geste affirmatif de la tête et la jolie main blanche habituée à l'étude plus qu'au travail physique vint se poser comme un oiseau méfiant dans la sienne. Amusé par sa propre comparaison, Saito referma très doucement ses doigts sur le dos de la main du jeune homme et la serra très doucement avant de l'ouvrir tout aussi gentiment et de la laisser partir, comme une caresse à un oiseau rare et sauvage.

Il alla se rasseoir et la réunion put commencer.

Durant les présentations et le blabla inutile habituel au début de chaque réunion, Saito prit le temps d'observer le jeune homme qui était installé en face de lui. Il avait un très beau profil de rapace. Le genre de profil qui hante et qui marque. Il devait en attirer des filles. Et des hommes ? Avait-il déjà pensé à cette possibilité ? Saito, lui, couchait avec des hommes depuis longtemps. Il appréciait également les femmes, mais les hommes avaient un charme dangereux et interdit qui lui plaisait. Il ne restait jamais très longtemps avec les hommes. La routine et la douceur convenaient mieux aux femmes.

Et il se voyait très bien attirer ce jeune homme en particulier dans la suite qu'il avait réservée, au coin de la rue... Ou dans les toilettes s'il continuait à se mordre légèrement les lèvres comme ça, concentré sur les élucubrations d'un vieillard qui travaillait pour lui.

Mais serait-ce seulement possible ? Il avait l'air assez méfiant, distant. Ce n'était pas le genre d'homme à qui on administre une tape gratuite sur l'épaule. C'était plus le genre inaccessible, celui sur lequel on fantasme le soir et qu'on se dépêche d'oublier.

Mais voilà, Saito ne voulait pas l'oublier. Saito était têtu. Et il voulait ce jeune homme. Il le voulait, n'importe où, n'importe comment, n'importe quand. Pourquoi pas ici même, dans cette pièce austère, devant ces vieillards rongés par le désir d'argent ? Pourquoi pas, allongé sur cette table, au milieu de papiers insignifiants, le costume oublié, son corps fin et maigre sous lui, prêt à se briser sous la pression de son poids, les cheveux désordonnés, les lèvres rouges et les yeux assombris par le désir, lui murmurant, non, lui criant, de ne pas arrêter...

En revanche, il ferait mieux de ne pas arrêter de faire semblant d'écouter ce qui se passait. Il semblait que les choses sérieuses allaient commencer. Un bon combat d'économie, voilà qui pourrait lui faire oublier les tracas d'une imagination trop débordante.

Quatre heures sans interruption après, il fut décidé unanimement qu'il valait mieux pour tout le monde de faire une pause.

La discussion était serrée. Saito devait se montrer plus imperturbable que jamais pour tenir tête à l'empire Fischer. Il risquait gros s'il ne pesait pas de tout son poids contre le flot Fischer : il risquait son entreprise, tout ce qu'il avait mit en oeuvre, sa passion, la raison de ses nuits blanches, de nombreux sacrifices quant à sa vie personnelle...

Il passa une main dans ses cheveux courts et ferma un instant les yeux pour chasser la fatigue de ses membres et de son cerveau. Il ne pouvait pas les laisser faire... Il devait résister...

Il ouvrit les yeux pour trouver le jeune homme, à savoir Robert Fischer, disparu. Il fronça les sourcils : il pourrait peut-être profiter de cette pause pour savoir si le jeune héritier de bonne famille était intéressé par une partie de débauche en compagnie de son plus grand adversaire économique après une journée épuisante...

Il se voyait très bien détendre les muscles trop tendus du jeune homme sous une douche brûlante. Ses amants lui avaient assuré qu'il avait des talents de masseur. Puis, il se porterait garant de tendre à nouveau tous ces muscles. Tous.

Il se leva donc et, d'un pas nonchalant dans son beau costume, il sortit dans les couloirs, à la recherche de son oiseau rare.

Il ne tarda pas à le trouver, un gobelet de café en plastique à la main, adossé à la machine à café et seul qui plus est ! C'était son occasion, décida Saito qui se dirigea immédiatement vers lui. Il fut même assez surpris (agréablement, bien sûr) d'apercevoir la légère rougeur apparaître sur les joues pâles de sa proie et ses magnifiques yeux bleus se détourner quand ils croisèrent le regard de l'autre. Donc, il l'observait... Parfait.

Saito alla à la machin et inséra quelques pièces pour prendre un expresso très serré. Pendant que la machine vombrissait, il déclara :

- Rude réunion, n'est-ce pas ?

- En effet, répondit évasivement Robert en cherchant désespérément du secours aux alentours.

- Ces cafés lyophilisés sont une atrocité quand il s'agit de se réveiller...

- J'aime beaucoup ce genre de choses insipides, rétorqua Robert.

- Et les choses plus... corsées ? répliqua Saito du tac au tac.

Mais il dut très vite lâcher prise : Peter, l'oncle de la cible arrivait vers eux pour échanger quelques banalités, surtout dans le but de dire sans en avoir l'air (comme s'habitude) : ne touche pas à mes investissements.

Mais voilà, Saito est têtu...

Le reste de la réunion se déroula sans véritable incident. Saito avait campé sur ses positions, Fischer aussi et malgré quelques passages, tendus, tout s'était déroulé dans une ambiance hypocrite et cordiale, comme d'habitude. Et comme d'habitude, les choses n'avaient pas avancé. Les Européens aimaient parler pour ne rien dire, remarqua Saito.

Et ceux qui seraient susceptibles d'avoir des choses très intéressantes à dire se taisaient, comme d'habitude.

Est-ce que le jeune Fischer était dans le 'dirty talk' ? L'anglais est une langue terriblement vulgaire quand elle n'est pas guindée. Et Saito adorait cette vulgarité. Il privilégiait toujours les amants anglophones et bavards.

Dans cette réunion, il était là, assis sur cette chaise comme s'il était un intrus, un étranger qui n'avait pas le droit d'exister, à peu près droit, la tête à peu près haute. Il respirait la timidité. L'innocence, pensa Saito... Il n'y avait rien de plus érotique. Il avait envie de le détendre, de le regarder se perdre dans les limbes de la passion. De le voir faire un tout autre usage de ses lèvres : les mordre, c'était sexy un temps, mais le jeune homme trépignait de frustration sexuelle.

Vers 23 heures, enfin, les employés commencèrent à déserter les lieux et les premières lumières s'éteignirent. Ce fut le signal : tout le monde se leva. Tous avaient envie de regarder leur palais personnel pour boire un grand verre de vin avant d'aller dormir dans leurs lits vides.

Mais pas Saito. Saito, lui, était jeune. Il n'était pas fatigué. Il n'avait pas envie de dormir dans un lit vide et il savait très bien qui il voulait mettre dedans. Et Saito est têtu...

Il mit exprès du temps à ranger ses papiers dans sa mallette, juste pour attendre le moment où les trois Fischer partaient. Il ne tarda pas à les suivre.

Le jeune homme, comme tout jeune soumis et timide qu'il était, marchait derrière ses aînés qui discutaient de son entêtement et des fluctuations de la Bourse. Quand arrêtaient-ils ? Pour parler du repas qui les attendait dans leurs foyers ennuyeux ?

Ils passèrent dans un couloir plus sombre que les autres. C'était une occasion rêvée. Il n'en aurait pas de plus belle. S'il devait agir, c'était maintenant...

Rapidement, Saito saisit le bras du jeune homme qui marchait juste devant lui. Il remercia les dieux d'avoir affaire à deux vieux sourds et un jeune homme discret qui ne cria pas sa surprise dans tout le couloir, mais se contenta de faire un petit bruit d'étonnement tout à fait sexy quand il la plaqua contre le mur.

Bon, d'accord, il y était peut-être allé un peu fort. Mais il avait attendu ce moment toute la journée !

Sans lui laisser le temps de comprendre quoique ce soit, il embrassa le représentant Fischer. C'était un baiser brûlant, passionné, mais encore très contenu qui ne racontait pas toutes les envies du jeune businessman japonais. Il se colla à Fischer, sentant toute la fragilité de sa constitution contre son corps se consumant de désir pour lui.

Et il sentit Fischer répondre à son baiser.

Bingo !

Le jeune Fischer était donc bien un jeune homme timide et effacé qui devait réfréner ses pulsions homosexuelles pour ne pas se fâcher avec son père et donc, obtenir l'héritage. Il n'avait donc aucun problème à embrasser son ennemi économique et peut-être même à aller plus loin avec lui. Et comme toute relation avec un ennemi, ce serait une relation d'un soir. Saito l'adorait déjà.

Il coupa le baiser pour regarder dans les magnifiques yeux bleu-vert de sa proie. Ils avaient une lueur exquise dans la noirceur du couloir. Ses lèvres humides aussi. Il passa une main dans les cheveux bruns du jeune homme et le força dans un autre baiser, nettement moins chaste, plus sexuel. Il sentait le corps du jeune homme se tendre et brûler sous lui. Il sentait qu'il ne pouvait pas attendre très longtemps. Il n'y aurait sans doute pas de préliminaires...

- Robert ? appela la voix détestable d'un des vieux Fischer. Que fais-tu ?

Le jeune homme mit tout de suite fin au baiser, frissonnant légèrement quand Saito tenta de le retenir en lui mordillant la lèvre inférieure. Il le regarda à nouveau droit dans les yeux.

Là, Saito sut qu'il l'avait perdu. Robert se redressa, tira sur son costume pour lui redonner forme humaine et lui adressa un petit salut chef de la tête, n'osant même plus le regarder dans les yeux.

Et il partit. Il marcha à grands pas dans le long couloir sombre pour rejoindre son clan sans jeter un regard derrière lui, laissant Saito et son désir délaissé, plantés là, regrettant déjà la sensation de ses douces lèvres sous les siennes.

Mais voilà... Saito est têtu.

Blabla de l'auteur : D'abord, je voudrais remercier Aiedail Choupette pour m'avoir poussée à écrire à nouveau malgré mon emploi du temps sur-chargé (mais elle a montré que c'était faisable puisqu'elle a le même que moi ! =)) et puis, vous prier de ne pas me harceler pour avoir la suite car elle viendra trèèèès lentement ! Croyez-moi, je déborde d'inspiration, mais le temps me manque !

Il y aura deux autres chapitres (dont un très court qui fera l'interlude) mais ils arriveront bien plus tard.

Merci de m'avoir lue et en espérant vous trouver bientôt, chers lecteurs !

(et j'adoooore les reviews ! =))