Voici (enfin) venue la fin de cette fanfiction... Je ne ferai pas long. J'aimerais simplement remercier tous les gens qui ont eu la patience de lire cette histoire jusqu'au bout, de commenter parfois, et de par leurs commentaires de m'aider à corriger mes erreurs. Un merci particulier à tous les membres du forum "temporaire" du professeur Layton qui m'ont eux aussi énormément aidé : Mamane (Mamane-chan sur ff. net), qui a eu la gentillesse de lire en première lecture presque tous mes chapitres afin de traquer chaque erreur de cohérence ou de justesse, Madness (oMadness), Azerty (Zreyta), Yaya, Laytonmobile (Maud-chan), Mama, Lucile, Capucinette, et tous les autres, merci encore. Et merci à vous, lecteur, qui chapitre après chapitre, mois après mois, avez attendu la suite, ou en tout cas êtes arrivés au bout de cette fiction. Voilà, c'est tout, à présent, bonne lecture pour ce petit épilogue !
Epilogue
Le jour touchait à sa fin sur le petit village de Mist Halley. Les derniers rayons du soleil fatigué nimbaient la campagne de couleurs rougeoyantes, et la faible clarté, à travers les banderoles de brumes qui montaient du canal, conférait aux rues désertes de nébuleuses ombres. Tout était calme ; seules les branches des arbres agitaient mollement leurs feuilles dans le vent. Partout, le brouillard reprenait ses droits, s'insinuant entre les bâtiments et envahissant les routes à la faveur du crépuscule.
Toutefois, un peu plus loin, une petite butte était épargnée par les vapeurs d'eau. Surgissant de la mer de nuages, elle paraissait la dominer, solennel sanctuaire au beau milieu du ciel. Quelques pierres s'y dressaient, découpant leurs formes sur la voûte orangée. C'était le cimetière du village qui se trouvait là, et on n'eût pu choisir lieu plus propice : il y régnait une atmosphère paisible, quoique presque surnaturelle. Nombreux étaient ceux qui venaient y puiser la sérénité nécessaire pour affronter leur chagrin. A l'écart du monde et du temps, la mémoire des défunts y revivait pleinement, dans toute la force de sa nostalgie ; mais l'endroit était si tranquille que bien souvent, la douceur de ces moments regrettés prenait le pas sur l'amertume que causait la certitude de les avoir définitivement perdus.
C'étaient les réflexions que se faisait le professeur Layton tandis qu'il gravissait la colline. Il avait pris l'habitude, depuis quelques années, de se rendre régulièrement sur la tombe de ses amis Clark et Brenda. C'était l'occasion pour lui de faire une pause dans sa vie, de se remémorer tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, et surtout de penser. Penser à eux, penser avec eux, et penser à leur fils. Son fils.
Luke.
A vrai dire, ce n'était sans doute pas bien, mais Luke était son principal sujet de préoccupation lorsqu'il se rendait jusqu'ici. Le silence du jeune homme le minait bien plus que ce qu'il ne voulait bien admettre, et il se demandait ce que Clark et Brenda auraient pensé de la façon dont il s'était occupé de lui. Il avait l'impression d'avoir échoué à sa mission de tuteur, en quelque sorte : en effet, n'avait-il pas senti ce fossé se creuser entre eux de plus en plus profondément sans rien arriver à y faire ? N'avait-il pas vu Luke s'éloigner de plus en plus de lui, et commencer à boire, à fumer, à se droguer même, en somme à vivre une vie malsaine, se plongeant dans une spirale infernale ? Il avait assisté à cela, il en avait été parfaitement conscient. Pourtant, il n'avait pas pu le ramener sur le droit chemin malgré ses efforts, et cela le désolait. Pire, il l'avait blessé, au point que son fils ne voulait maintenant même plus le voir. Au-delà de la culpabilité et des regrets qu'il éprouvait face à son impuissance dans cette situation, il ne pouvait donc s'empêcher de craindre les éventuelles autres erreurs que le jeune homme était capable de commettre sans lui...
A sa grande surprise, ce soir-là, une silhouette d'homme se tenait déjà devant la pierre tombale, assez élancée, les mains dans les poches, l'air décontracté mais profondément plongé dans ses pensées. Layton le reconnut tout de suite, mais l'étonnement le prit pendant un instant. Il s'agissait du dernier endroit au monde où il s'attendait à le trouver...
Il s'approcha de lui, et vint se placer à son côté, face à la tombe, dans un complet silence. Une seule inspiration lui permit de déceler la forte odeur d'alcool et de nicotine qu'il dégageait, bien plus intense qu'il pensait s'en souvenir. Sans doute n'allait-il vraiment pas bien, en déduisit-il. Il pressentait qu'il devait dire quelque chose, mais ne savait pas comment engager la conversation sans faire preuve une fois de plus de maladresse...
Finalement, le silence lui parut devenir si pesant qu'il le brisa, avec une timidité bien naturelle après des années d'absence.
- Bonsoir, Luke.
Le jeune homme ne répondit pas tout de suite, mais il lui sembla qu'il l'avait tout de même entendu. Le professeur n'osa rien ajouter, conscient que vu la situation, il marchait sur des œufs, et qu'un simple mot pouvait tout faire exploser.
- Bonsoir, finit par dire Luke.
La tension dans sa voix était à peine perceptible, mais Layton le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'à l'intérieur de lui la tempête faisait rage. Il se tassa légèrement, prêt à entendre tout ce qu'il aurait à lui dire, peut-être à lui crier, et conscient de l'avoir amplement mérité. Soudain, tous ses arguments, toutes ses convictions, qui justifiaient la veille encore si bien ce qu'il avait décidé de ne pas faire, lui semblèrent bancals et sans consistance. Le regard impassible de son fils, fixant la pierre tombale devant lui sans afficher aucune expression, était plus accusateur que tous les doigts pointés du monde.
Il baissa lui aussi les yeux sur la tombe, sobre mais bien entretenue. Sur le marbre était gravée une simple épitaphe :
Clark Triton
1928 – 1957
Brenda Triton
1929 – 1957
- Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? demanda Luke dans un souffle.
Layton frémit. L'incompréhension, la lassitude qu'il percevait dans ces quelques mots, écume des terribles vagues de colère qu'il avait senti déferler en lui avant de se briser sur la digue de ses lèvres, le percutaient plus cruellement que s'il avait hurlé.
- Je suis désolé, murmura-t-il sincèrement. Vraiment désolé. Je n'aurais pas dû te cacher tout ça... je m'en aperçois maintenant. Pourras-tu un jour me pardonner...
Il leva le regard vers son fils, étreint par une culpabilité qui ne fit qu'augmenter lorsqu'il le détailla vraiment. Il paraissait dans un état bien plus miteux que la dernière fois ; jamais il n'avait vu chez lui une barbe aussi longue, des cernes aussi grands. Les soucis l'avaient comme rongé, lui qui auparavant se tenait si droit était à présent tout à fait recroquevillé. Tout dans son apparence indiquait l'homme perdu, noyé dans les questions sans réponse et les considérations sans fin, incapable de se raccrocher à quelque point de repère.
- Luke... dit-il, consterné. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Ce dernier sembla se ressaisir. Il se redressa un peu, ses yeux reprirent de l'éclat, et ses traits retrouvèrent la vivacité. Toutefois, une ombre d'incertitude hantait toujours le fond de son regard.
- Rien du tout, répondit-il, sur la défensive. Pourquoi veux-tu qu'il m'arrive quelque chose ?
- Je ne sais pas, insista Layton. Tu n'as pas vraiment l'air dans ton assiette. Déjà, cela m'étonne de te voir ici...
Comme il sentait Luke sur le point de lui répliquer vertement, il s'empressa de s'expliquer.
- Je pensais que tu n'aimais pas beaucoup les cimetières.
- C'est vrai, opina le légiste d'un ton absent. Je n'en ai jamais compris l'intérêt. Toutes ces décorations, tout ce faste et cette pompe, pour en fait simplement laisser des corps pourrir inutilement dans des trous... ça me dépasse.
Même si les phrases que son fils avait prononcées était bien dignes de lui, le professeur ne le reconnut pas. Nulle trace de la passion que l'on retrouvait généralement dans sa voix lorsqu'il abordait ce genre de sujet ; une sorte de gêne, comme de la honte, l'avait remplacée.
Pendant un moment, ils ne dirent rien, ni l'un ni l'autre, se contentant de regarder le soleil terminer sa course dans l'océan de brouillard qui s'étendait autour d'eux.
- Je... excuse-moi, toi aussi, finit par dire Luke d'un ton hésitant. Pour la fois dernière. J'ai réagi... un peu fort. Je n'aurais pas dû.
Layton sourit.
- Tu es tout pardonné, lui dit-il chaleureusement. Je suis heureux de te voir à nouveau.
Timidement, son fils lui renvoya son sourire. Le professeur eut fugitivement l'impression de le retrouver quinze ans auparavant ; à cet instant, il avait l'air d'un petit garçon pris en faute, rassuré de savoir qu'on lui pardonne ses bêtises. Touché par son apparente fragilité, Layton le prit dans ses bras, comme il le faisait lorsqu'il était petit après un de ses nombreux mauvais rêves. Tout d'abord, Luke esquissa un mouvement pour le repousser ; mais quelque chose en lui céda, et il se laissa aller, s'abandonnant contre son épaule. Le poids qui pesait sur lui s'envola, laissant place à une merveilleuse impression de légèreté. Ce n'était que maintenant qu'il le retrouvait qu'il se rendait compte à quel point son père lui avait manqué.
- Dis... chuchota-t-il à son oreille, dans un élan de naïve mais profonde inquiétude. Est-ce que tu penses que j'ai pu être capable de... tuer quelqu'un ?
Le professeur s'écarta de lui pour le regarder en face. Dans ses yeux brillait de l'incompréhension, et pendant une affreuse seconde, Luke regretta de lui avoir posé cette question, redoutant soudain terriblement la réponse.
- Mon Dieu, Luke, mais qui t'a mis cette idée en tête ? lui répondit Layton avec douceur, comprenant que cette interrogation avait dû le tarauder pendant longtemps. Jamais je ne pourrai croire une chose pareille...
Un prodigieux soulagement submergea alors le médecin légiste, ainsi qu'une euphorie incroyable. Il n'avait jamais réalisé comme cette question le dévorait en réalité, et la réaction de Layton dissipait tous ses doutes. Il avait l'impression d'enfin le retrouver pleinement, complètement, non un sosie perturbant comme sa version plus jeune ; c'était lui son père, son vrai père. Et l'entendre lui affirmer que jamais il ne serait capable de le considérer comme un assassin était une véritable libération.
- Ce n'est rien, dit-il, se détournant légèrement afin de cacher son trouble.
Le professeur ne dit rien, mais le discret geste de son fils pour essuyer sa joue avant de se retourner vers lui ne lui échappa pas.
- Il commence à faire tard, remarqua Luke, se donnant une contenance. Je ferais peut-être mieux de rentrer...
- Tu as raison, opina Layton. Mais j'imagine que tu es venu jusqu'ici en bus ? Plus aucun ne rentre vers Londres à cette heure-ci. Et Cambridge est bien moins loin d'ici que Londres... Veux-tu venir à la maison, cette nuit ? Tu sais que ta chambre est toujours prête à t'accueillir...
Luke sourit. Effectivement, c'était sans doute la solution la plus pratique, et puis il voyait bien que cela faisait plaisir à son père... Il aurait eu tort de refuser.
- Merci, lui dit-il.
- Mais il n'y a pas de quoi, répondit le professeur avec un large sourire. Tu sais, mon garçon, l'hospitalité est le premier devoir d'un gentleman.
Le jeune homme étouffa un petit rire. Ensemble, ils redescendirent la colline et plongèrent dans la brume, tandis que la dernière lumière de l'astre écarlate disparaissait derrière les nuages.