Salut, chères fangirls. Autant vous le dire tout de suite : pour cette fanfic du moins, si vous voulez garder un moral intact, cassez-vous. Les autres... Z'êtes cinglées.

Je commence un nouveau truc, qui consiste à expliquer comment chaque personnalité est devenue ce qu'elle est. Un OS pour chacune. C'est donc partir du principe qu'elles ont eu une vie avant que, disons, Mathieu les fasse apparaître.

Je ne connais pas le rythme de mes publications, puisque pour une fois je vais la faire à la lolilol : je poste quand j'ai terminé un OS. Pour l'instant, seule une, celle-là qui est sur le Hippie, est finie et je n'ai pas d'idée pour toutes (donc n'hésitez pas à en donner, tant qu'à faire).

Dans chaque, je donnerais au personnage (sauf exception) le nom de Mathieu, parce que c'est plus simple pour moi.

Dans ce texte vont apparaître plusieurs groupes / chanteurs. Je ne les écoute pas, et si je les ai placés, c'est parce que je me suis dit que ça devrait coller. A vrai dire, le seul chanteur que j'écoute est Orelsan, il apparaît vers la fin, alors n'hésitez pas à vous mettre la musique que je cite : Elle viendra quand même. Et si vous voulez bien chialer, rajoutez dans votre playlist quelques Evanescence. De rien, à votre service.

Bonne lecture.


SPLEEN ET IDEAL

Je vis entre spleen et idéal. Cela a toujours été ainsi. Entre déclin et essor, détresse et illumination, enfer et paradis. Pas l'enfer que vous vous imaginez, non. Le pire. Celui où vous voyez qui vous êtes réellement.

Non, excusez-moi. Je n'ai pas toujours vécu ainsi. Il faut… que je reprenne du début.

On me nomme « le Hippie ». Vous me connaissez. Je suis le shooté, le camé, le mec drôle qui hurle qu'il voit des licornes, qui crache après Babylone et qui se tire de tels délires que ça en deviendrait presque flippant. Toujours avec un joint aux lèvres, jamais à court, se permettant quelques réflexions intelligentes – rarement, en vérité.

Je vous fais rire, pas vrai ? Vous vous gaussez ? Vous pouvez arrêter tout de suite. Quand je vous aurais raconté mon histoire, la première chose que vous ferez en me voyant, ce sera pleurer.

Si vous avez un cœur.

J'ai toujours été le marginal, le mec au fond de la classe, qui passait son temps sur un banc dans la cour à regarder les autres courir, avec dans mes yeux cette lueur qui semblait dire « je vous connais mieux que vous ». Le gamin qui parlait pas, qui semblait ailleurs ; rêveur. Je faisais peur.

Au collège, le rejet s'est accentué. Je n'étais clairement pas comme les autres, qui parlaient de filles, de sport, de voitures, à jouer les rebelles, à rigoler aux blagues grasses et à se moquer des profs. J'étais certifié pas conforme à une norme qui de toute façon ne nous appartenait pas. Ces fous, ils s'y pliaient en pensant être le parfait contraire de l'ado signé société, alors que c'était cette dernière qui leur avait dicté leur modèle.

Non, moi, je restais, dans un coin, Baudelaire dans les mains, me plongeant dans ses mots, du Bob Marley vissé sur les oreilles. Je n'avais pas d'amis, on me lançait des boulettes de papier, on me faisait des croche-pieds, on se moquait de moi…

Se convaincre. Se convaincre que cela n'avait aucune importance. C'était si dur, si vous saviez.

Au lycée, cela a quelque peu changé. Les gens me foutaient à peu près la paix. Plus intelligents, plus je-m'en-foutiste ? J'en sais rien. John Lennon et Brassens étaient plus intéressant que ces questions. Je continuais de lire Baudelaire, toujours, encore, un peu comme une drogue.

Au lycée, il s'est passé pas mal de choses. J'ai commencé à fumer, de simples cigarettes, sans trop savoir pourquoi. Me donner un style ? Voir les autres le faire m'avait-il influencé ? Putain, j'en sais décidément rien.

J'ai pas fait que ça. Je suis tombé en échec scolaire, comme une continuité dans la logique des choses. Les profs murmuraient dans les couloirs, me plaignant. Ils parlaient de ma mère surchargée de boulot, de mon père qu'en foutait pas une et qui préférait boire et fumer en insultant les filles au PMU du coin que nous aider à nous en sortir.

C'est qu'on n'était pas riche. J'avais tout ce qu'il me fallait, mais je voyais l'épuisement sur le visage de ma mère. Je voyais ces vêtements usés jusqu'à la corde, parce qu'elle n'avait pas les moyens d'en payer d'autres, pour elle. La nuit, le son de ses larmes me renversait la tête, et y avait que le bruit de mon mp3 pour le faire fuir.

Chante, Kurt Cobain. Chante pour moi.

Ouais, c'est au lycée que tout a changé pour moi. De façon totalement stupide, en un sens. J'étais assis comme d'hab, sur un banc… les Fleurs du Mal entre les mains. Spleen et Idéal. C'était moi, ça, je me répétais. C'était tout moi.

Puis, pour la première fois, la première fois de ma vie, quelqu'un s'est assis sur le banc, à côté de moi. Et une voix grave, un peu éraillée, fatiguée, s'est élevée. Cette voix, je m'en rappellerais toute ma vie, je m'étais dit avant de tourner la tête.

- Salut, heu… J'm'appelle Lucas. Et toi ?

C'était un mec. Assez grand, plus que moi en tout cas, avec des putains de cheveux noirs frisés tellement emmêlés et ébouriffés qu'on aurait cru qu'ils étaient vivants. Il avait des yeux gris très grands, très beaux, la peau noire. Et un de ces sourires… Inimaginable. On aurait dit qu'il planait, qu'il était loin, très loin de moi et de ce banc, de ce monde pourri.

Il a toujours été loin de moi, au final. Mort avant de vivre.

- Bah, heu, je… Mathieu, j'avais balbutié, totalement sonné par son apparition.

Il avait pointé son doigt sur mon bouquin.

- Tu lis Baudelaire ? Moi aussi. Mon préféré, c'est l'Albatros.

Et il s'était mis à déclamer le poème, sans faire une erreur, avec le bon rythme, le bon ton, et tout. J'ai été subjugué.

Aujourd'hui encore, je me demande comment il a fait pour se taper l'incruste dans mon monde monochrome, et le colorer si vivement que je me serais cru au paradis. Comment, au milieu du millier de jeunes, il avait pu se frayer une chemin jusqu'à moi, jusqu'à nous, comment il avait pu deviner que j'étais comme lui. Une illumination, peut-être. L'idéal au milieu de son spleen. A moins que je n'ai été sa malédiction, et lui la mienne.

- Moi aussi, mec, moi aussi !

Je ne mentais pas. J'adorais ce poème. Et j'adorais déjà Lucas.

Avec un grand sourire, je lui ai tendu un de mes écouteurs.

- Tu veux écouter ? Led Zeppelin.

On a fini la récré comme ça, à écouter de la musique, à lire ensemble Baudelaire, sans dire un mot. Puis on s'était séparés, parce qu'on n'était pas dans la même classe. Et toutes les récrés, après et avant les cours, on s'est retrouvé, échangeant des cigarettes, sirotant de la bière, refaisant le monde ou le contemplant.

Un jour, du genre… Trois mois après notre rencontre, sur notre banc favori, c'est-à-dire à l'abri des regards, il est venu me voir, hyper gêné, yeux baissés, l'air triste. Il a refusé ma cigarette et, avec un soupir tendu, a planté son regard dans le mien.

- Mec… Je pense qu'on devrait arrêter de se voir.

Ma première réaction fut d'éclater de rire. Puis, en un éclair, j'ai repris mon sérieux et l'ai interrogé un peu brutalement, je l'avoue.

- Pourquoi ?

- Parce que certains savent que je suis gay, et que je ne voudrais pas qu'on t'emmerde à cause de ça.

Stupeur. Je le savais, que les gens non-hétéros étaient mal vus, et que ceux traînant avec l'étaient aussi. Je m'en doutais, qu'il l'était, gay. Mais je m'en foutais tellement.

- Mec. Me demande pas ça. Jamais ça.

Il a souri, son sourire m'a ébloui, et on a continué à traîner ensemble, en ignorant les autres. Un peu comme l'Albatros, dédaignant ceux d'en bas.

Je l'invitais régulièrement chez moi. On fumait, on buvait, parfois on se mettait la misère et on dormait sur mon matelas. On écoutait de la musique, ou on faisait rien. Deux semaines après « l'incident », il a pris un ton bas, un peu comme quand il m'avait proposé qu'on arrête de se voir. Mais en plus triste.

D'ailleurs…

- Mec… On doit arrêter de se voir, et cette fois c'est sérieux.

Je lui ai lancé un regard noir.

- Et c'est pour quoi cette fois ?

Comme d'habitude, après une hésitation, il est allé droit au but.

- J'suis dingue de toi, mec, et ça fait trop mal de te côtoyer comme ça.

Je crois que mon cœur a déraillé à ce moment-là. J'en ai oublié de respirer, je me contentais de le regarder fixement. Et lui d'éviter mes yeux.

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, ce qui m'a poussé à agir. A l'époque, j'ignorais si j'étais bi, gay, hétéro, ou même asexué. Et je m'en foutais. Mais une fois qu'il m'a avoué ça, tout a changé. Une évidence s'était imposée à moi.

Alors, doucement, j'ai saisi son visage entre mes mains et je l'ai embrassé.

C'était… indescriptible. Doux, réconfortant. Un Paradis frôlé des doigts. L'idéal après le spleen, quand on sait qu'on ne tardera pas à retomber.

On s'est séparé, on s'est souri, on s'est embrassé de nouveau, et mon monde monochrome s'est paré de tant de couleurs que j'en ai pleuré.

Dix jours après, mon père s'est barré en avouant à ma mère qu'il l'a trompait depuis une bonne dizaine d'années. Trois jours, et ma mère se suicidait. Une lame, la baignoire, rivière rouge. Cette vision m'a longtemps hanté. Quand le monochrome revient, c'est même la seule couleur qui m'apparaît. Rouge.

Dans sa lettre d'adieu, elle s'adressait à moi. Elle me suppliait de lui pardonner et me demandait d'être heureux, avec Lucas. En lisant cela, entre mes larmes, dans le Spleen, j'ai souri. Parce que je ne lui avais rien dit, mais qu'elle avait su, et qu'elle avait accepté avec tant de naturel que cela faisait des homophobes des gens laids, très laids.

Deux semaines, j'atteignais mes dix-huit ans. Dix jours, j'apprenais que j'avais loupé mon bac. Cinq, moi et Lucas, on cotisait pour se payer un van, un chien nommé Capsule de Bière et on se barrait de cette putain de ville grise. En montant dedans, on a été parcouru par une vague de bonheur. Idéal.

On était des albatros à l'agonie, qui frôlaient la chute. Affrontant tempêtes et levers de soleil. Spleen et idéal. Ou l'inverse…

On a passé pas mal de temps comme ça, Lucas et moi, sur les routes dans notre van tagué par nos soins de couleurs presque psychédéliques. On buvait, on couchait, on fumait d'abord des cigarettes puis du shit, on parlait, on pleurait.

Sexe, alcool, drogue, larmes, voilà à quoi se résumait notre vie. Avec une putain dose d'amour, faut pas l'oublier. Entre ciment et belle étoile, et, toujours, spleen et idéal.

Comment on en est arrivé là ? Je l'ignore. Un coup du destin, peut-être. Y en a qui grimpent, d'autres qui planent, et certains qui plongent, comme nous. Oh, on n'est pas tant à plaindre. On n'avait pas un sous, et le spleen nous tuait à moitié, mais nos idéals étaient… Incomparables. Comme les bipolaires, jonglant entre phases intenses, puissantes, les faisant vibrer et vivre, et détresse insoutenable. Certains ne prennent pas de médocs, vous savez ? Parce qu'au monde monochrome, ils préfèrent l'intensité de leur idéal, quitte à souffrir tôt ou tard.

L'humain… Autodestructeur. Tombant si bas qu'il traverse le ciel.

Mais ça ne pouvait pas durer ainsi. C'était trop simple, mendier, faire des boulots minables, reverser l'argent dans la bouffe, les joints et l'alcool pour encore s'oublier, oublier ce monde.

Lucas m'avait toujours peu parlé de sa famille, comme je lui ai toujours peu parlé de la mienne. On sait que l'autre n'a pas eu la vie facile, et on s'efforce d'oublier la nôtre dans la fumée bleue. On ne cherchait pas à savoir qui avait le plus souffert, parce que pour nous, seul comptait le présent. Passé, futur… Importaient peu.

Un jour, alors qu'on devait sortir mendier, comme tous nos jeudis, Lucas me demanda de partir seul. Il avait mal à la tête, disait-il. Un mal insoutenable. Peut-être les joints, je me suis dit, mais vous savez, on ne parlait pas de ça, du fait que la drogue nous tuait à petit feu, parce que de toute façon on voulait crever.

Ouais. On s'oubliait, mais au final, on voulait y rester. Ensemble, si possible.

Putain, Lucas, on se l'était juré. On avait même échangé notre sang comme des gamins, promettant de partir en même temps, en s'enlaçant, comme dans les films d'amour niais.

Je l'ai cru. Peut-être même qu'il mentait pas. J'ai pris une vieille boîte de conserve, mon châle, et je suis sorti en promettant de ramener de l'ibuprofène. Comme j'étais angoissé, j'ai passé seulement trois petites heures dans le froid, revenant vite après une virée à la pharmacie, ne bronchant même pas sous le regard méprisant du pharmacien.

Lucas. Lucas. Quand j'ai ouvert la porte du van et que je t'ai appelé, tu n'as pas répondu. Pourtant, le son de ma voix pouvait te faire sortir du plus profond des sommeils. Je me souviens de la scène… Gravée dans mon esprit. T'étais allongé sur notre lit, pâle, un verre vide à côté de toi, taché de whisky, ton alcool préféré. T'avais encore une taffe fumante à la main, et dans le MP4 tournait, inlassablement, Elle viendra quand même d'Orelsan. Sur la table branlante, des boîtes de médocs. Vides.

Je me suis jeté à tes côtés. J'ai pris ta main. Elle était déjà si froide ! Et tes yeux fermés, tes lèvres entrouvertes d'où ne s'échappait pas le moindre souffle. Sur ton visage enfin paisible, on pouvait lire ce que la vie t'avait laissé : des marques, des rides, des cicatrices.

J'ai pleuré. Longtemps. Mon monde, bâti sur du vide, s'écroulait. Tu me laissais seul, terriblement seul. En mourant, tu me tuais, et je t'en voulais pour ça.

Et cette putain de musique !

J'ai fini par me relever. Au bout de quelques minutes, quelques heures, quelques jours… une éternité. Près de toi, j'ai aussi trouvé une feuille, couverte de ton écriture tremblante. Aussi tremblante que ma main, lorsque je l'ai saisie.

Math,

Je sais que tu m'en veux. Je sais qu'on a promis. Je te demande pardon. Plus la force. Retours d'acides, trop de spleen… On est détruits de l'intérieur, on se meurt, mais comme dirait Neil Young, comme dirait Kurt Cobain, ce bon vieux Cobain : « It's better to burn out than to fade away ». « Mieux vaut brûler franchement que s'éteindre à petit feu ».

J'ai brûlé, Math. Tout ce que j'avais à brûler, je l'ai utilisé pour nous réchauffer. Me reste rien. Pas même des braises. Pas assez pour vivre. T'as de quoi tenir encore longtemps, avec ou sans moi. Tu trouveras quelqu'un d'autre, peut-être pas.

Je suis mort avant d'être né. Je me suis enflammé comme une comète avant d'avoir de quoi entretenir le feu. J'ai jamais vécu. Jamais. Tu te demandes pourquoi, je le sais.

C'est mon père, Math. Il m'a fait gamin ce que nul ne devrait jamais subir. Il s'en est pris aussi à ma sœur aînée, Marisha. Neuf ans de plus que moi. Un jour, elle l'a tuée avec un flingue, et s'est suicidée juste après. Elle m'aimait, mais elle aussi, elle avait brûlé.

Brûler.

Je t'aime, Math, comme personne n'a jamais aimé. Je t'aime comme un soleil, comme la lune. Je t'aime à en mourir, mais malgré tout pas assez pour en vivre. Et je te demande pardon.

C'est horrible de te demander ça, mais… Vis pour moi, Math. Vis pour moi. Et ne m'oublie pas.

Lucas

J'ai mal. Encore. Toujours.

Alors voilà. Je vis, parce qu'il m'a imploré de le faire. Mais je ne vis pas vraiment. J'ai laissé tomber l'alcool qui me fait plus d'effet, je fume joint sur joint, ecstasy de temps en temps. Pour oublier. Pour parer de couleurs mon monde monochrome. Pour ne plus croiser mon reflet. Pour effleurer un pseudo-bonheur. Chaque retour à la réalité me tue. Chaque plongeon me rapproche de ma fin.

Spleen et idéal. Deux albatros, l'un est mort, l'autre agonise. Deux roses sur une branche, l'une mourut, l'autre n'y survécut…

Voilà ma vie. J'ai tout perdu.

Riez donc, maintenant.


… pardon de vous infliger ça.

Si vous saviez, j'ai failli me faire pleurer en écrivant, quoi. Même pour moi, je suis trop cruelle.