Une nouvelle fois, merci à tous ceux qui me lisent et vraiment un grand grand merci à ceux qui me suivent et ceux qui me laissent des commentaires pour mes bêtises. C'est vraiment très encourageant. Voici donc pour vous la fin du repas entre Will et Hannibal. J'espère que ça vous amusera et bonne lecture à tous.

"***"

Will regarda dans son assiette la flaque de fromage qui s'étalait. Il se mordit l'intérieur des lèvres, ne sachant pas trop quoi faire.

Il était ravi de pouvoir dîner avec Hannibal mais se sentait cependant contrarié que ce dernier l'ait interrompu au moment même où il se décidait enfin à le confronter. Il ne pouvait cependant pas en vouloir à son ami. Hannibal n'avait probablement pas réalisé que c'était important pour lui et comme toujours le psychiatre avait en tête de profiter au maximum du repas. Ce que Will pouvait comprendre. Ils avaient affronté le froid et la neige pour acheter ce fromage. Et un bon repas entre amis était le plaisir principal d'Hannibal.

Les yeux toujours rivés à son assiette, Will secoua la tête. Hannibal avait peut-être bien fait de l'interrompre. Peut-être se serait-il ridiculisé encore une fois s'il avait posé sa question. Hannibal avait toutes les raisons du monde d'avoir une mauvaise image de lui. Il était instable, souvent antipathique, parfois grossier. Et malgré cela, le psychiatre lui prodiguait toujours son amitié. Il ne manquait plus que ce dernier le prenne en plus pour un obsédé qui interprétait la moindre phrase en sous-entendu sexuel alors qu'Hannibal ne faisait qu'évoquer avec enthousiasme son amour de la nourriture.

_ Will ? l'interpela son ami.

Will releva la tête. Hannibal était en train de placer sa propre assiette sous la meule coulante.

_ Oui ?

_ Avant que je ne t'interrompe de manière très impolie… J'en suis d'ailleurs fort désolé mais je ne voulais pas que le fromage s'écoule sur la table… Tu paraissais sur le point de me poser une question.

Will grimaça et ses yeux tombèrent sur la charcuterie. Plus particulièrement ce fameux saucisson si ferme. Il se sentit ridicule. Non, décidément, il n'allait pas laisser son esprit tortueux lui gâcher un bon repas.

_ Oui… non ! Si ! Enfin…

Il posa les mains sur ses couverts, jouant nerveusement avec du bout des doigts. Il sentait le regard d'Hannibal posé sur lui. Et il savait le psychiatre bien plus patient que lui. Il soupira.

_ C'était une bêtise, admit-il.

Il chercha enfin le regard d'Hannibal et poursuivit d'un ton forcé mais enjoué.

_ Et si tu m'expliquais comment on mange ça ? Parce que pour le moment, je n'ai dans l'assiette qu'un tas de fromage et j'avoue être confus.

Hannibal se pencha vers lui, un sourire microscopique aux coins des lèvres.

_ Ah, Will, je n'aime pas te savoir confus. Laisse-moi te guider.

Hannibal récupéra la fourchette et le couteau encadrant son assiette et les leva. L'espace d'un instant, Will crut que le psychiatre allait se jeter sur lui pour le découper comme un rôti. C'était idiot mais la pensée le troubla autant qu'elle l'amusa. Si Hannibal voulait tenter de découper sa veste de laine avec son petit couteau à dents, bon courage à lui ! Ou son épaisse chemise en dessous ! Ou son pantalon… Will parvint à stopper son esprit avant que celui-ci ne s'emballe.

Finalement, Hannibal se pencha vers l'assiette de charcuterie et du bout de ses couverts, récupéra une tranche de mortadelle qu'il déposa à côté du fromage fondu, dans l'assiette de Will. Suivirent rapidement une pomme de terre et un cornichon.

_ Voilà mon cher Will, conclut Hannibal. Maintenant, il ne te reste plus qu'à combiner tous ces éléments pour créer la bouchée parfaite.

_ La bouchée parfaite ? demanda Will, les sourcils froncés.

Face à lui, Hannibal était en train de déposer les mêmes éléments dans sa propre assiette, coupant sa pomme de terre en petits cubes pour que le fromage coule harmonieusement dessus.

_ Un peu de fromage, un peu de charcuterie, un peu de pomme de terre, expliqua le psychiatre. Le cornichon n'est qu'une option. Après tout, tout le monde n'aime pas avoir les mêmes sensations en bouche.

Will eut un sourire crispé et hocha la tête de manière un peu raide.

_ A toi de doser les éléments pour les adapter à tes goûts, poursuivit son ami. Et ainsi créer ta bouchée parfaite.

_ Ma bouchée parfaite, répéta Will en baissant les yeux vers son assiette.

D'une main un peu hésitante, il saisit ses couverts. Il savait qu'Hannibal l'observait. Il sentait ses yeux sombres le scruter, le sonder même, jusqu'à pénétrer au plus profond de son être.

Will reposa brusquement son couteau et saisit son verre de vin qu'il porta immédiatement à ses lèvres pour faire passer la boule qui venait de se former dans sa gorge.

_ Il fait de plus en plus chaud ici, grommela-t-il en guise d'explication.

Le vin était puissant, presque épicé mais il s'en dégageait une étrange fraicheur qui détendit un peu la gorge de Will. Il reposa son verre en se léchant les lèvres.

_ Oui, de plus en plus chaud, répondit Hannibal sans le quitter des yeux.

Will eut un sourire crispé et désigna son verre du menton.

_ Il est bon, commenta-t-il en récupérant son couteau.

_ Et à priori, il se marie délicieusement bien avec le fromage, insista Hannibal.

Will saisit le message à peine dissimulé et observa son plat.

La bouchée parfaite.

Il coupa un morceau de pomme de terre et la moitié de la tranche de mortadelle. Puis il y ajouta un peu de cornichon car il appréciait également un peu de piquant dans ses plats. Enfin il couvrit le tout d'une dose du fromage qui commençait à durcir dans son assiette.

Voilà qui devrait satisfaire Hannibal.

Il ouvrit en grand la bouche pour faire passer l'impressionnante fourchetée. Il savait qu'Hannibal ne le quittait pas du regard, alors Will prit sur lui et leva les yeux pour les plonger dans ceux du psychiatre. Sans se détourner, il mâcha et avala sa nourriture. Le large sourire qui se dessina sur son visage se répercuta sur celui d'Hannibal.

_ C'est délicieux, concéda Will, réellement surpris.

Hannibal parut se détendre immédiatement.

_ J'étais sûr que ça te plairait, commenta-t-il. Comme quoi il ne faut jamais avoir d'aprioris sur ses goûts.

Le psychiatre se pencha pour racler le fromage dans sa propre assiette. Il détestait devoir de lui-même briser le contact visuel que Will venait d'établir mais le prolonger n'avait aucun intérêt. Et il avait faim, l'odeur du fromage lui chatouillant agréablement les narines. Mais il avait été agréablement surpris quand Will avait trouvé le courage de soutenir son regard. Il aimait cette facette de Will, un peu rude mais forte. Elle soulignait le fort potentiel de l'agent du FBI. Sous son apparence fragile, Will Graham était solide, probablement bien plus que Jack Crawford lui-même, s'il était bien guidé. Certains auraient sans doute préféré le terme « manipuler » mais Hannibal le trouvait un peu vulgaire. Après tout, son seul but était de mettre en avant les qualités naturelles que Will possédait déjà.

Il reposa son assiette devant lui et huma le fort fumet du fromage se mêlant à celui plus délicat de la mortadelle et à l'acidité du cornichon. Il salivait déjà.

Se préparant sa propre bouchée parfaite, il observa Will qui terminait le reste de son fromage et de sa charcuterie avec enthousiasme.

_ Je suis vraiment conquis, commenta ce dernier en mâchant sa nourriture.

En temps normal, Hannibal aurait été rebuté par tant de grossièreté mais il passait vraiment beaucoup de choses à Will, en particulier quand celui-ci dévorait son plat avec autant de plaisir. Il goûta lui-même le contenu de son assiette et soupira de satisfaction. José était peut-être un imbécile mais ses produits étaient de tout premier ordre. Et Hannibal n'était pas peu fier de sa mortadelle.

_ Je pensais, poursuivit Will en avalant bruyamment, que le fromage serait beaucoup plus fort. Mais avec le reste, c'est juste succulent.

Il leva alors sa fourchette sur laquelle était planté son dernier morceau de mortadelle.

_ Et ce machin avec les pistaches, conclut-il, c'est juste incroyable.

Et il croqua goulument sa pièce de charcuterie.

Hannibal se sentit durcir sous la table. Ce n'était pas une réaction inhabituelle pour lui lorsqu'il observait les autres déguster ses préparations maison. Mais aujourd'hui il ne s'agissait pas de n'importe qui. Aujourd'hui il s'agissait de Will et il savait que c'était un facteur à l'effet exponentiel. Il se força à respirer lentement. Il devait rester maître de lui-même. C'était Will qui devrait craquer le premier, pas lui.

Lorsqu'il se sentit un peu plus serein, à peine quelques secondes plus tard, il offrit à l'agent du FBI un sourire franc.

_ Je suis ravi que tu apprécies, répondit Hannibal en poursuivant son propre repas.

Will opina avec enthousiasme. A sa grande satisfaction, Hannibal voyait apparaître de fines gouttes de sueur sur son front, juste sous ses boucles. Mais Will n'en fit pas mention. Pas encore. A la place il prit son assiette vide en main et la dirigea sous l'appareil.

_ Je peux ? fit-il.

Hannibal hocha la tête.

_ Tu n'as pas à me demander à chaque fois, Will.

Hannibal crut déceler une légère rougeur sur ses joues mais c'était peut-être juste la chaleur ou un effet visuel du feu.

_ C'est que nous sommes chez toi et…

_ Mon intérieur est ton intérieur, répondit Hannibal.

Cette fois, il vit très clairement Will se mordre les lèvres avant d'approuver. Puis il plaça son assiette sous le fromage.

Imitant Hannibal, il coupa sa pomme de terre en morceaux, pile sous le filet coulant. Il observa ensuite le plateau de charcuterie. Le jambon était l'autre élément qu'Hannibal avait préparé lui-même. Le choix de Will se porta tout naturellement vers celui-ci. Il posa son couteau et récupéra sa fourchette pour piquer une tranche. Celle-ci était tellement fine qu'elle se déchira avant d'avoir pu se décoller de celle d'en-dessous. Will fronça les sourcils et réitéra, sans plus de succès, sa tentative.

Hannibal le regarda, amusé, essayer de nouveau mais cette fois-ci à l'aide de ses deux couverts. Ce fut un nouvel échec flagrant.

_ Tu sais, intervint le psychiatre, tu peux mettre les doigts.

Will releva la tête vers lui, comme pour vérifier qu'il avait bien compris le psychiatre.

_ Moi-même, poursuivit Hannibal, je dois confesser que j'y vais souvent avec les doigts lorsque je suis en privé.

Will se levant brusquement fit sursauter intérieurement Hannibal. Heureusement, son visage n'en laissa rien paraître. Il sentit cependant comme une boule se former à l'intérieur de son estomac. La nervosité n'était pas une sensation à laquelle il était habitué. Il se demanda s'il avait poussé Will un peu vite et un peu fort.

Mais il se détendit légèrement lorsqu'il constata que Will ne faisait que retirer son épaisse veste. Malgré la pénombre, Hannibal devina les larges auréoles qui s'étalaient sous ses aisselles.

_ Je suis désolé, fit Will, la tête baissée. Avec le feu dans le dos, j'ai juste… C'est que…

Lorsque Will commença à buter sur ses mots, Hannibal vint à sa rescousse.

_ Mets-toi aussi à l'aise que tu veux Will.

Hannibal hésita un instant à être plus explicit sur un éventuel striptease de Will mais il était peut-être un peu tôt pour ça. Will n'avait apparemment déjà pas très bien vécu l'histoire des doigts.

_ Tu vois que j'ai aussi tombé la veste, ajouta Hannibal rien que pour sentir le regard de Will se poser sur lui.

Pris de court, Will leva les yeux vers Hannibal et traça aussi discrètement que possible les courbes de ses épaules. Des épaules vraiment larges pour quelqu'un qui passait la majorité de son temps derrière un bureau.

Il baissa le regard. Il aurait dû être aussi prévenant que le docteur car il sentait sa chemise lui coller au corps, dans le dos et sous les bras. Lui qui avait tenté d'être élégant…

Il avait été pris d'un grave dilemme quelques minutes auparavant lorsqu'il avait senti les premières gouttes de sueur glisser le long de sa colonne vertébrale. Retirer sa veste et étaler à la vue d'Hannibal les petites taches sombres qui marquaient à présent sa chemise auparavant immaculée ou la garder et tenter de paraître impeccable, tel son hôte, d'un bout à l'autre du repas. Il avait misé sur le second choix et il s'était de toute évidence raté. Aussi mal à l'aise qu'il était, il pensait pouvoir gérer la chaleur montante jusqu'au bout. Mais la réflexion d'Hannibal sur l'utilisation de ses doigts avait été la pique de trop. Soudain, la chaleur n'était plus venue de l'extérieur mais de l'intérieur de son corps. Et il s'était presque senti défaillir.

La dernière chose dont il avait besoin était bien de s'évanouir dans la salle à manger d'Hannibal. Le psychiatre l'avait déjà vu dans des états vraiment lamentables, ce n'était pas la peine d'en rajouter. Surtout que lorsqu'il avait soigneusement choisi sa tenue pour la soirée, Will avait pensé tenir là une chance de se réhabiliter un peu.

Alors, il avait choisi l'option la moins pathétique et il avait retiré sa veste. Et tant pis si ce qui n'était auparavant que de petites souillures était désormais de larges taches sombres. Au moins, il n'aurait pas besoin, cette fois, qu'Hannibal vole à son secours.

Il jeta un sourire crispé au psychiatre, espérant détourner l'attention de celui-ci sur son visage plutôt que sur son corps. Hannibal y répondit et Will se sentit un peu mieux. Hannibal avait sans doute remarqué ses auréoles mais il avait le bon goût de ne pas y référer. Will était vraiment soulagé d'avoir un ami aussi à cheval sur les conventions et capable de l'aider d'un sourire à se détendre.

Se sentant rougir, il se décida à « mettre les doigts » comme l'avait si bien formulé le psychiatre et récupéra une tranche de jambon.

_ C'est bien plus simple comme ça, admit-il.

_ Nos outils modernes nous font souvent oublier que la main est le plus pratique et le plus adaptable des outils, répondit Hannibal. Il ne faut jamais avoir honte d'utiliser ses mains en certaines occasions.

Will approuva d'un mouvement de tête mais il se sentait encore trop fébrile pour parler.

Tremblant un peu, il récupéra le couteau plat servant à racler le fromage. Sentant son hésitation, Hannibal décida de le guider.

_ Tu verras, ça va tout seul quand on a un peu l'habitude. Déjà, tu te places bien au-dessus.

Will s'exécuta et plaça le couteau en haut de la meule coulante. Mais il avait dû mal à contrôler ses mouvements, surtout ave la voix de velours qu'Hannibal avait prise.

_ Puis tu te positionnes au bon endroit, doucement. Trop de précipitation pourrait engendrer des brûlures et nous ne voulons certainement pas ça, n'est-ce pas Will ?

_ Non… Non.

_ Bien. Maintenant, tu laisses glisser, lentement. Suis la courbe naturelle.

Will descendit tout en douceur le couteau le long du fromage. Celui-ci coula abondamment dans son assiette, recouvrant la pomme de terre et le morceau de cornichon laissé à côté.

_ Très bien Will. Avec la pratique, tu pourras y aller plus rapidement mais pour une première fois, la précaution est de mise.

Will poursuivit son geste avec la même délicatesse.

_ Oui. C'est parfait comme ça, murmura Hannibal. Une fois au bout, n'hésite pas à bien passer en dessous pour récupérer la dernière goutte.

Se mordant les lèvres, Will racla le bord du fromage. Il poussa un long soupir lorsqu'il reposa le couteau. Il n'avait même pas réalisé qu'il avait retenu son souffle tout au long de l'opération.

_ Bien, très bien Will, conclut Hannibal, les yeux toujours fixés sur les mains de son ami.

Ce dernier remarqua un peu de sueur au-dessus de la lèvre supérieure, légèrement tremblante, du psychiatre. Au moins, Hannibal était humain et pour Will c'était une pensée réconfortante. Avec un sourire gêné, il se réinstalla à sa place et récupéra son assiette.

_ C'est amusant à faire, admit Will en attaquant son assiette fumante.

_ Tout le plaisir était pour moi, murmura Hannibal en s'essuyant délicatement la bouche du bout de sa serviette.

Il espérait que Will n'avait pas remarqué à quel point leur petite séance de raclage l'avait troublé. Les mains de Will, ces larges mains aux doigts si longs, saisissant le couteau et le passant avec presque sensualité sur un fromage fondu de toute première qualité, cela avait affecté sa libido plus qu'il ne l'aurait imaginé. Et qu'est-ce qu'il faisait chaud dans cette maudite pièce !

_ Hum ! gémit Will en avalant une nouvelle bouchée, envoyant comme un choc électrique dans la colonne d'Hannibal. C'est vraiment sublime. Et félicitations pour ton jambon, c'est une merveille !

Hannibal dut réellement prendre sur lui pour retrouver sa contenance habituelle.

_ Merci Will, j'apprécie le compliment.

Il était satisfait, sa voix n'avait pas tremblé. Il récupéra ses couverts et continua son assiette. Lorsqu'il eut terminé, il réalisa que Will l'observait discrètement, par-dessus l'épaisse monture de ses lunettes.

_ Oui, Will ? demanda-t-il en prenant son verre de vin.

_ Tu as fini ? fit Will en désignant du menton l'assiette d'Hannibal.

_ Oui, répondit ce dernier après avoir bu une gorgée de vin.

La douceur de celui-ci l'aida à se détendre. Il ne fallait pas qu'il tombe dans son propre piège. Faire monter la tension pour Will était une chose, s'en retrouver lui-même affecté en était une autre.

_ Je te ressers ? proposa Will.

Hannibal leva un sourcil. Will lui répondit d'un petit sourire tendu.

_ J'ai vraiment aimé faire ça. Ca me donne l'impression de faire de la cuisine européenne alors que je n'y connais rien. Et pour une fois que c'est moi qui peut te préparer ton assiette.

Hannibal lui sourit et lui passa son assiette. Will se leva de sa chaise et tendit le bras le moins possible pour éviter qu'Hannibal ne remarque sa chemise tâchée de sueur. Il plaça l'assiette entièrement vide sous le fromage pour récupérer le fil coulant qui commençait à s'en échapper.

Puis il récupéra sur le plateau de charcuterie une pomme de terre, qu'il prit à même les doigts. Après tout, Hannibal l'avait autorisé et si jamais la pomme de terre se décrochait de sa fourchette et tombait dans l'un des verres, il n'aurait plus qu'à se jeter dans la cheminée allumée pour oublier sa honte.

Il coupa le plus régulièrement possible la pomme de terre. Ses mains ne tremblaient quasiment plus et c'était là une vraie satisfaction. Il voulait prouver à Hannibal qu'il était capable de faire quelque chose de bien. Et pour la première fois, cela pouvait être dans un autre domaine que les enquêtes criminelles.

Puis il ajouta un cornichon et se tourna vers son hôte.

_ Je te mets une tranche de jambon ? demanda-t-il.

Hannibal l'observa de longues secondes dans un silence parfait. Il paraissait le jauger. Puis il sourit et se pencha légèrement en avant. Will vit ses narines frémir et il se demanda ce que le psychiatre pouvait bien sentir. Il espérait que l'odeur persistante du fromage et la fumée du feu de bois couvraient ses propres odeurs corporelles.

_ Je prendrais bien quelques tranches de saucisson, fit Hannibal en penchant légèrement la tête de côté.

Will sentit sa gorge s'assécher brutalement. Mais il ne but pas. Il ne voulait pas qu'Hannibal détecte sa nervosité. C'était un homme intelligent et il ne tarderait pas à comprendre ce qui se passait dans la tête de Will, l'attirance, le désir. Et cela risquait d'endommager à jamais leur amitié. Et c'était bien la dernière chose dont Will avait besoin. Hannibal était la pierre angulaire de sa stabilité mentale.

Avec un sourire qu'il espérait naturel, il s'avança vers la planche de bois et y récupéra le grand couteau. Du bout des doigts, il caressa la peau du saucisson avant de le saisir à pleine main.

Hannibal se crispa sur sa chaise. Décidément, la vision de Will un couteau en main était pour lui un vrai stimulus. Il s'imaginait déjà, en compagnie de l'agent spécial, lors de sa prochaine chasse, guidant Will lors de la découpe du corps comme il l'avait guidé lors du raclage du fromage. Il pourrait même poser la main sur la sienne, pour stabiliser son geste, leurs corps collés l'un à l'autre et son nez dans les boucles rendues moites par la transpiration excessive.

Il inspira plus bruyamment qu'il ne l'avait prévu lorsque Will s'empara du saucisson. L'odeur du fromage, du feu de cheminée et de la sueur de Will l'envahit. Il ferma les yeux. Il était au paradis ce soir.

_ Hannibal ? appela Will.

Hannibal rouvrit brusquement les yeux. Ce n'était vraiment pas le moment de rêvasser. Il devait faire craquer Will, non pas se perdre dans ses propres fantasmes.

_ Pardon Will, s'excusa Hannibal. Il fait juste tellement chaud ici.

Il déboutonna un second bouton de sa chemise dans l'espoir que l'agent du FBI lui emboiterait le pas. Le pauvre Will dégoulinait littéralement.

Ce dernier se raidit un peu mais se contenta de lever le saucisson vers Hannibal.

_ Je coupe ça en tranches épaisses ou fines ?

_ Tu coupes un beau morceau, puis tu tires sur la peau.

Will se laissa une nouvelle fois guider.

_ Tu la retires et ensuite, tu tranches. En fines lamelles.

Will coupa une dizaine de tranches, en prenant garde à ses doigts. Les couteaux d'Hannibal étaient vraiment très aiguisés. Il en plaça la moitié dans l'assiette d'Hannibal puis l'autre moitié dans sa propre assiette, déjà bien entamée.

_ J'ai envie de goûter au tour suivant, ajouta-t-il avec un sourire qu'Hannibal trouva adorable.

Puis Will saisit de nouveau le couteau plat et racla le fromage, comme il l'avait fait auparavant. Cette fois, Hannibal n'intervint pas mais admira le geste de Will qui s'était raffermi. Celui-ci apprenait rapidement. C'était bon à savoir.

_ Et voilà, conclut-il en reposant l'assiette devant Hannibal.

_ Merci Will. Tu as fait ça magnifiquement bien.

Will se laissa retomber sur sa chaise avec un large sourire. Là seulement, il s'autorisa à déboutonner le premier bouton de sa chemise. Ses doigts tremblaient légèrement à présent, alors qu'ils avaient été parfaitement stables lorsqu'il avait raclé pour la seconde fois le fromage.

Il appréciait l'intimité que prodiguait ce repas. Le feu de cheminée, malgré la chaleur excessive, Hannibal, qui exceptionnellement ne multipliait pas les allers-retours dans la cuisine, le fait de pouvoir le servir et pour une fois n'être pas juste qu'un simple invité. Et il devait bien l'admettre, la nourriture était délicieuse et remettait en cause tout ce qu'il croyait savoir sur le fromage.

Il prit une gorgée de vin et se détendit. Il avait laissé ses émotions le submerger toute la première moitié du repas mais il était désormais prêt à juste profiter de ce bon moment. Il termina le contenu de son assiette en laissant juste les cinq tranches de saucisson qu'il avait prévues pour la tournée suivante. Car tournée suivante il allait y avoir. Et probablement quelques autres après.

Il plaça son assiette sous le fromage et regarda Hannibal qui, contrairement à lui qui dévorait, mangeait élégamment son repas.

_ Je peux juste laisser couler le fromage ? demanda-t-il en rajoutant une pomme de terre.

Hannibal hocha la tête.

_ Traditionnellement, on racle pour aller plus vite lorsque les convives sont nombreux mais si tu souhaites faire une pause, je t'en prie.

_ Oh oui, je souhaite faire une pause. J'ai l'intention de faire durer ce repas le plus longtemps possible.

Hannibal se mordit le bout de la langue pour éviter de dire à Will que le repas pouvait continuer jusqu'au lendemain matin, et jusque dans sa chambre s'il le voulait. Mais non, aussi fort que soit son désir à ce moment-là, il allait laisser Will venir à lui.

_ Je comprends. L'attente fait aussi partie du plaisir, c'est bien connu.

Will approuva d'un mouvement de tête mais en évitant le regard du psychiatre. Il récupéra son verre et le termina. Il faisait vraiment très très chaud. Son dos n'allait pas tarder à adhérer au dossier de sa chaise mais même s'il portait un t-shirt léger en-dessous, il était hors de question qu'il retire sa chemise. Hannibal était très tolérant avec lui mais Will doutait que le psychiatre apprécie qu'il se déshabille à table.

Du coin de l'œil, il vit Hannibal se lever de sa chaise pour attraper la bouteille de vin. Il se pencha vers Will pour remplir de nouveau son verre.

_ Pas trop, l'arrêta Will. Je dois conduire après.

Hannibal releva la bouteille après n'avoir rempli que le quart du verre de Will. Il voulait le détendre, pas le soûler. Un Will sans souvenir le lendemain matin serait quelque chose d'extrêmement décevant.

_ Tu sais, répondit Hannibal en se voulant discret, si tu veux rester…

Il vit la pomme d'Adam de Will monter et descendre lorsqu'il avala sa propre salive.

_... j'ai une chambre d'ami de disponible.

Will se passa une main sur le visage, laissant échapper un petit rire nerveux.

_ Non, non. C'était vraiment très aimable à toi mais je dois encore sortir mes chiens. Il faut que je rentre.

Hannibal eut un sourire crispé. Ah oui, les chiens. Il oubliait toujours ce paramètre pourtant si important dans la vie de Will. Eh bien tant pis pour les chiens. Si son plan aboutissait et que Will terminait la soirée nu dans son lit, sur son sofa ou dans sa baignoire (Hannibal n'était pas très regardant à ce niveau-là), il était hors de question qu'Hannibal le laisse repartir au beau milieu de la nuit. Tant pis si les chiens se soulageaient sur les tapis ou les couvertures, il était prêt à payer pour le nettoyage !

_ Je comprends, répondit-il finalement d'un ton paisible, la tête légèrement penchée sur le côté. Mais en bon médecin, si jamais je vois que tu n'es pas en état de conduire, je ne te laisserai pas reprendre la route.

_ Ca ira, répondit Will en croisant les mains devant lui, sur la table. Je connais mes limites. Du moins en matière d'alcool.

Hannibal opina puis se réinstalla et prit une nouvelle bouchée de son assiette. Will leva les yeux vers lui mais les détourna immédiatement vers la meule de fromage.

L'idée de passer la nuit avec Hannibal, enfin dans la maison d'Hannibal, était bien trop oppressante pour lui. Il n'était pas prêt. Les chiens étaient une excuse pratique. Mais il avait bien d'autres raisons. Comme par exemple son besoin de quitter rapidement cette chemise qui lui collait au corps. Et il n'avait aucune envie de souiller les draps du psychiatre avec les litres de sueur qu'il perdait chaque nuit. Il ne se sentait pas non plus capable de demander à Hannibal des serviettes pour dormir dedans, comme il le faisait régulièrement chez lui. Après tout, cette soirée devait lui permettre de restaurer une image décente de lui-même.

Il se perdit dans la contemplation du fromage en train de fondre.

La chaleur du cache de cuivre irradiait la meule d'une lumière douce aux accents rougeâtres. Will observa la pâte du fromage. Elle était pâle et cireuse, comme un corps froid, inerte. Il fronça les sourcils.

A peine s'était-il fait la réflexion que sous l'effet de la chaleur, elle parut s'animer, prendre vie. Cela commença de manière presque imperceptible. Will vit d'abord une fine pellicule se former à la surface du fromage. Une reproduction presque parfaite de la couche de sueur qui couvrait désormais tout le corps de l'agent du FBI. Celui-ci retint un rire nerveux. Le voilà qui entrait en empathie avec un morceau de fromage maintenant !

Mais la suite des évènements attira son attention. Car désormais le fromage se gonflait, se magnifiait. Sous la fournaise, il paraissait révéler ses plus précieuses saveurs. Pendant de longues secondes, il ondula, faisant de la chaleur son allié le plus précieux, se liant à elle pour qu'elle le forge en une version sublimée de lui-même.

Souple et révélé, le fromage prenait une teinte dorée, bien plus attirante et accomplie que sa couleur originelle.

Et lorsqu'enfin, il parvenait à son point d'apogée, lorsqu'enfin son aspect et sa texture se mêlaient au pic de sa perfection, sa beauté sublime et son goût irrésistible, là seulement, il lâchait prise, abandonnait son amant de feu pour couler jusqu'au bas de la meule en filets luisants.

Will sentit l'eau lui monter à la bouche.

_ A quoi penses-tu, Will ?

La voix d'Hannibal le fut sursauter mais Will ne quitta pas la meule des yeux. Il eut juste un sourire penaud.

_ J'admirais le fromage, admit-il dans un souffle.

Du coin de l'œil, il devina Hannibal qui se penchait pour lui aussi se rapprocher de l'appareil.

_ Et que vois-tu ? insista le psychiatre.

_ Je le vois prendre vie, murmura Will.

Hannibal ne répondit pas et Will comprit rapidement que le psychiatre attendait de lui qu'il extrapole ses idées et ses sensations.

_ Lorsque tu l'as placé là, il n'était qu'un produit sans âme. De qualité peut-être mais dépourvu de… passion.

Hannibal hocha la tête.

_ Et ensuite ? fit celui-ci à voix basse.

Le ton de la conversation était devenu étrangement intime.

_ Ensuite, il rencontre le feu et là, il s'anime. La chaleur et le fromage se mêlent et s'épousent. Celui-ci s'éveille et présente sa vraie nature. Il devient…

_ Brûlant ?

_ Oui. Mais plus encore. Il louvoie, il frémit. Il est…

_ Sensuel…

_ Oui. Exactement. Puis il dore. Son odeur est enivrante et son apparence…

_ Désirable.

_ Oh oui, tellement. Et lorsqu'il est prêt, lorsqu'il ne peut être plus sublime encore, là il se laisse aller complètement. Il s'abandonne, prêt à s'offrir. Il coule et devient le fruit de tous les…

_ Plaisirs.

_ Oui…

Will releva la tête pour découvrir les yeux d'Hannibal posés sur lui. Et ce qu'il y découvrit le fit se plaquer contre le dossier de sa chaise. Il y avait un tel désir dans le regard du psychiatre, une telle passion.

Mais l'expression passa rapidement et le temps pour Will de cligner des paupières qu'Hannibal avait déjà retrouvé son visage parfaitement neutre.

_ Un problème Will ? demanda celui-ci.

Will secoua la tête.

_ Non, non, tout va bien.

Cette fois, il en était sûr, il avait vu chez Hannibal quelque chose d'inhabituel. Mais cette envie était-elle dirigée vers lui ou vers le fromage, Will aurait été bien incapable de le dire. Il récupéra son assiette, maintenant presque noyée sous la raclette.

Il l'attaqua avec enthousiasme tout en levant discrètement les yeux vers Hannibal. Le psychiatre se penchait vers l'appareil pour placer sa propre assiette sous le fromage. Son expression était impeccable mais ses joues étaient rougies par la chaleur et ses cheveux plus décoiffés qu'habituellement. Il était magnifique. Will n'était vraiment pas au niveau. Le fromage, lui, l'était. Nul doute que le désir du psychiatre avait plus de chance d'être pour un produit laitier français que pour lui.

Hannibal sentit les pupilles de Will suivre chacun de ses mouvements mais il n'en laissa rien paraître. Leur petit échange autour de la meule l'avait fortement secoué et il avait été une nouvelle fois à deux doigts de se jeter sur l'agent spécial. Will était parfait. En un regard il avait saisi l'essence même de la raclette et l'avait restitué avec une précision et un érotisme qui avait saisit Hannibal jusqu'au plus profond de son corps.

Maintenant, tout ce à quoi il pensait, c'était couvrir le corps de Will de fromage fondu avant de le dévorer. Le fromage, pas Will. Il allait avoir besoin de Will encore un certain temps pour, il l'espérait, de nombreuses activités. Comme par exemple le couvrir de fromage fondu. Et le dévorer. Et le couvrir de fromage fondu. Et le dévorer. Et il pourrait même tenter des variantes. Il y aurait la version petites flaques, avec juste de légères touches de fromage aux points sensibles où Hannibal voulait poser sa bouche. Mais aussi la version momie où il enrubannerait de longs filaments l'intégralité de Will. Après tout, il y avait tellement d'endroits où Hannibal voulait poser sa bouche que ce serait probablement la méthode la plus évidente. Mais il pouvait également…

_ Hannibal ?

La voix de Will le ramena à la réalité et il eut pour son ami un sourire crispé. Il était en train de se laisser prendre à son propre jeu. Il devait se contrôler. Même si Will, là, face à lui, avec ses stupides boucles et ses stupides grands yeux bleus et ses stupides pommettes rouges et sa stupide bouche perplexe et sa stupide chemise ouverte sur son stupide torse…

_ Tout va bien ? insista l'agent spécial.

Hannibal se pencha pour récupérer son assiette et ainsi, il l'espérait, cacher une partie de sa confusion. Il devait être prudent. Il devait s'en tenir au plan. Sentant son calme revenir, il répondit à Will.

_ Je suis désolée Will, je me suis laissé distraire. Ce que tu as dit sur le fromage était magnifique et j'étais en train de penser que je le goûterai bien ainsi, dans sa plus pure expression.

Will hocha la tête. Il avait eu raison. Le désir qu'il avait senti auparavant dans les yeux d'Hannibal était bien destiné à la meule. Il retint à grand-peine un soupir.

Lorsqu'Hannibal prit son assiette, un filet de raclette resta accroché entre la porcelaine et la meule. Le psychiatre eut une petite moue. Du bout du doigt, il racla le bas du fromage. Il n'avait aucune envie d'avoir quelque chose de bien gras sur sa table parfaitement cirée. Le fromage resta accroché à son index et, conscient du regard de Will toujours posé sur lui, il le récupéra du bout des dents. Il décida de ne pas en faire des tonnes. Il n'avait pas l'intention de passer pour une trainée de bas étage. Il allait faire juste le nécessaire pour piquer la curiosité de Will. Avalant le fromage, il poussa un soupir de satisfaction.

_ Parfait dans sa plus pure expression, confirma-t-il.

Sa tactique fonctionna car à son tour, Will se pencha pour récupérer un peu de fromage du bout du doigt. Mais ce dernier retira précipitamment sa main.

_ C'est brûlant ! s'écria-t-il en fixant Hannibal d'un air perplexe.

_ Je suis résistant, confirma le psychiatre en entamant calmement le contenu de sa nouvelle assiette.

Il était déçu que Will ne soit pas allé jusqu'au bout. Voir l'index de Will couvert de fromage fondu était déjà un bon début dans l'accomplissement de ses fantasmes. L'examiner le prendre en bouche aurait probablement marqué la fin de son self-control. Finalement, c'était peut-être mieux ainsi. Will était sur le point de craquer, il le savait. Il sentait son regard sur lui lorsqu'il croyait qu'Hannibal ne le voyait pas. C'était une erreur. Hannibal observait toujours Will Graham. Toujours.

Il releva les yeux et effectivement, Will se replongea immédiatement dans le contenu de son assiette.

_ J'espère que tu ne t'es pas fait mal, fit Hannibal, un peu songeur.

Il allait devoir renforcer Will s'il voulait un jour accomplir son fantasme de fromage fondu sur son corps.

Ce dernier tenta à la fois de secouer la tête et de mettre sa fourchette en bouche. Finalement, il abandonna et reposa sa fourchette pour répondre.

_ Non, j'ai retiré ma main dès que j'ai senti la chaleur.

_ Ca me rassure. Je m'en voudrais que tu sois blessé par ma faute.

Will répondit par un sourire un peu triste. Hannibal était toujours tellement gentil avec lui. Tellement prévenant. Il était l'un des seuls à se soucier plus de Will que du fruit de son travail. Et lui était en train de tourner cette affection en quelque chose de beaucoup plus sombre au point qu'il confondait gentillesse et désir.

Sa précipitation avait déjà gâché les choses avec Alana, il n'avait pas l'intention de faire la même erreur avec Hannibal. Il décida une fois de plus de laisser son cerveau en veille et d'arrêter de voir des sous-entendus inexistants dans chaque phrase ou presque du psychiatre. Sa libido et la chaleur lui jouaient des tours, à lui de prendre du recul. Il allait profiter au maximum du repas et voilà ! C'était tout ! Plus de bouffées de chaleur, plus d'échanges de regards pouvant être mal interprétés !

Il but cul sec son verre d'eau et termina le contenu de son assiette avec enthousiasme. Il en était à sa troisième tournée mais il ne s'en laissait pas. Ca n'avait effectivement rien à voir avec son fromage de chèvre en tube.

_ J'aime particulièrement, reprit Hannibal en observant le bout de sa fourchette, la première bouchée. Quand tout est encore chaud et qu'en plus du goût, je sens la texture couler le long de ma gorge.

Du calme, Graham, du calme, se sermonna Will. Dans le contexte, c'est une remarque parfaitement innocente. C'est ton esprit tordu qui lui donne cette consonance. Alors vas-y tranquille.

_ J'avoue que j'en apprécie chaque bouchée, répondit-il, serein.

Sa voix n'avait pas tremblé et il n'était pas possible qu'il soit plus rouge qu'il ne l'était déjà à cause de la chaleur. Donc globalement, il s'en était pas mal sorti. Il était sûr qu'il pourrait continuer ainsi le reste de la soirée. Surtout s'il se focalisait plus sur la nourriture et moins sur Hannibal.

Ce dernier était déçu. Will n'avait pas réagi comme il l'avait espéré à sa dernière réplique. Pas de balbutiements, pas de mains nerveuses sur ses couverts. Hannibal avait-il été trop subtil ?

Tout en cherchant une nouvelle remarque délicieusement salace mais discrète, il observa Will se resservir une quatrième assiette. Le temps qu'Hannibal ne termine sa troisième, Will entamait sa cinquième.

Hannibal avait bien tenté d'autres piques mais Will s'était contenté de hocher la tête, la bouche à chaque fois pleine de fromage et de charcuterie. Le seul moment où il s'était un peu manifesté avait été quand il avait goûté la viande des grisons et avait admis que c'était effectivement délicieux.

Se sentant momentanément à court d'idées, Hannibal remplit son verre. Il était évident que Will n'allait plus boire, comme il était évident qu'il n'allait pas retirer sa chemise, ni d'ailleurs se jeter sur Hannibal. Non, il était probable que Will allait continuer à manger jusqu'à la nuit des temps, jusqu'à ce qu'Hannibal ne soit plus d'un squelette poussiéreux et desséché, mort un verre à la main. Mais où s'était-il fourvoyé ? Il était pourtant évident que Will nourrissait une attirance pour lui.

Pris dans ses pensées, il ne picora plus que par-ci, par-là. Au moins maintenant, il était sûr d'une chose, il ne convierait plus Will à un repas « à volonté ». La prochaine fois, il prévoirait des portions raisonnables.

_ Hannibal, c'est fantastique ! répéta une fois de plus Will en nettoyant avec enthousiasme le plateau de charcuterie.

Le psychiatre lui donna un sourire de façade.

_ J'en suis ravi, Will. S'il te plait, fais-toi plaisir.

A défaut de me faire plaisir, pensa Hannibal avec amertume.

En tant normal, il aurait été ravi que Will apprécie autant ce qu'il lui servait mais il avait espéré tellement plus de cette soirée. Il n'avait même plus le cœur à faire de petites blagues à double sens.

Après un temps indéterminé mais insupportablement long, Will reposa ses couverts. Il se laissa retomber lourdement contre le dossier de sa chaise.

_ Je n'en peux plus ! s'exclama-t-il.

Moi non plus, manqua de grogner Hannibal. Heureusement qu'il avait derrière lui des décennies de maîtrise de lui-même.

Se levant pour débrancher l'appareil et débarrasser les assiettes, il observa Will.

Ses yeux étaient fermés et ses mains croisées sur son ventre légèrement proéminent. Son visage était en sueur mais il affichait un sourire tranquille et satisfait. C'était le genre de sourire qu'Hannibal espérait lui voir après une nuit ensemble. Mais cela n'allait pas être pour cette nuit. Il se demandait même si Will allait être capable de se lever de sa chaise.

_ Un petit dessert ? proposa Hannibal.

Will secoua la tête en riant.

_ Oh non ! Si j'avale une bouchée de plus je vais exploser. J'ai l'impression d'être… enceint ! D'au moins des triplés !

_ Et qui est le père ? demanda Hannibal avec un sourire taquin.

Ca faisait maintenant un bon moment qu'il n'avait plus embêté Will.

Ce dernier gloussa.

_ Oh, ça ! Je dirais le fromage ! C'est lui qui m'a mis dans cet état.

Il tapota son estomac.

Sans répondre, Hannibal prit le chemin de la cuisine avec une petite moue. Cet ingrat de Will aurait au moins pu citer son nom. C'est lui après tout qui avait acheté le fromage. Il était, certes bien involontairement mais quand même, celui à l'origine de l'état de Will.

Lorsqu'il revint à la salle à manger, Will était en train de s'extraire laborieusement de sa chaise.

_ Crois-le ou non, mais je crois que je n'ai jamais autant mangé de ma vie. C'était exquis. Réellement exquis. Merci.

Devant le sourire brillant de Will, Hannibal se sentit fondre comme neige au soleil. Bon, encore une fois, il lui passerait son comportement et lui donnerait une nouvelle chance. Il avait raté le coche ce soir mais il y aurait bien d'autres occasions. En tout cas, Hannibal comptait bien en créer. Et la prochaine fois, Will ne lui résisterait pas.

_ Ca me ravit Will. Je suis vraiment heureux d'avoir fait naitre en toi la passion du fromage. Mais tu as encore tellement à apprendre. La prochaine fois nous pourrions organiser…

Un éclat de rire de Will le coupa en pleine phrase.

_ Oh Hannibal, pitié. Ne me parle plus de nourriture ou je vais vraiment… Peu importe. Je ne vais vraiment pas être élégant donc je préfère me taire.

Hannibal opina. Puis il fronça les sourcils. Will s'était levé mais manifestement, il ne se rendait pas aux toilettes. Il ne paraissait pas non plus en état de débarrasser ce qu'il restait sur la table. Cela voulait-il dire qu'il comptait partir ?

Autant Hannibal avait trouvé que la soirée traînait vraiment en longueur, autant maintenant que Will était sur le point de lui fausser compagnie, il désirait le retenir et prolonger ce tête-à-tête devant le feu de cheminée. Il lui fallait trouver quelque chose et vite !

_ Je peux te proposer une tisane, si tu as l'impression d'avoir surestimé tes capacités stomacales. J'ai quelques infusions qui facilitent la digestion, proposa-t-il d'un ton bienveillant.

Will lui sourit mais secoua la tête.

_ Pourquoi ne suis-je même pas surpris ! C'est gentil, vraiment gentil mais j'aimerais rentrer maintenant. J'ai encore pas mal de route et je vais vraiment avoir besoin de m'allonger longuement pour faire passer ça. Est-ce que tu pourrais me ramener à ma voiture ?

Hannibal opina. Il avait tenté le coup et il avait échoué. Il était à présent à court d'excuses pour retenir son ami.

_ Nous pouvons y aller dès que tu veux, fit-il, masquant la déception dans sa voix.

Will attrapa la veste qu'il avait laissée sur la chaise près de la sienne.

_ Je suis prêt ! annonça-t-il.

Hannibal ne prit pas la peine de récupérer la sienne dans la cuisine. Il guida Will jusqu'à l'entrée et là seulement il passa son manteau. Il rendit le sien à l'agent spécial et les deux hommes sortirent en silence de la maison.

Hannibal n'avait plus à cœur de parler. Il avait accepté son échec et à présent, il profitait du silence confortable qui s'était installé entre lui et Will. Ce dernier frissonna lorsqu'ils passèrent la porte et Hannibal se retint de passer son bras autour de ses épaules. Il ne fallait pas que Will soit malade ! Hannibal avait déjà en tête le menu de leur prochaine rencontre et il ne voulait pas que celle-ci n'ait lieu que dans plusieurs semaines.

_ Qu'est ce qu'il faisait chaud chez toi, commenta Will en posant un pied dans la neige.

_ Je suis désolé si tu t'es senti mal à l'aise. Je tentais juste de créer une ambiance conviviale.

Plus intime que conviviale en fait mais cela, Hannibal n'allait pas l'admettre.

_ Non, pas du tout ! J'ai vraiment… passé une excellente soirée.

Will était fier de lui. Malgré son esprit tortueux et ses pensées inappropriées, il était finalement parvenu à se détendre et à profiter pleinement du repas et de la présence d'Hannibal.

Ce dernier lui sourit. Ils atteignirent sa voiture et avec un long soupir, Will s'installa dans le siège passager.

_ J'espère que j'arriverai à me glisser derrière le volant de ma propre voiture, fit-il avec humour.

Hannibal pensa une nouvelle fois à lui proposer de rester mais son insistance aurait paru probablement suspecte. Will pouvait être naïf sur certains sujets mais il n'était pas non plus totalement idiot. Il démarra, laissant le silence s'attarder entre eux.

La circulation était limitée et en une poignée de minutes, ils atteignirent le cabinet d'Hannibal, devant lequel était stationnée la voiture de Will.

_ Et voilà, conclut Hannibal en s'arrêtant en double file.

Il n'y avait personne dehors à cette heure tardive dans la petite rue mais il prit garde à mettre ses warnings. Rien ne l'agaçait plus que les conducteurs ne respectant pas le code de la route.

_ Merci. Encore merci, fit Will en détachant la ceinture de sécurité.

Hannibal le regardait intensément et Will se sentit rougir. Juste quand sa température corporelle venait de retrouver à un niveau normal ! L'espace d'un instant, il hésita à embrasser le psychiatre. Il n'était pas très au point sur les relations sociales mais il savait que c'était là le moment idéal. Mais même si le moment était idéal, le partenaire, lui, ne l'était pas. Enfin si, Hannibal était idéal. Même trop idéal pour Will. C'était juste qu'il n'était probablement pas d'accord pour qu'un tas de sueur tel que Will se jette sur lui.

_ Je… devrais y aller, balbutia-t-il.

Hannibal eut envie de retenir Will mais ce n'était pas raisonnable. Il lui semblait pourtant étrangement… frustrant… de le laisser repartir de la sorte.

_ Will ?

Celui-ci se retourna alors qu'il allait claquer la portière de la Bentley.

_ Oui ?

_ Je compte sur toi pour une prochaine soirée fromage ?

_ Quand tu veux ! répondit-il avec enthousiasme.

Hannibal hocha la tête, comme si satisfait. Will lui sourit timidement.

_ Bonne nuit Hannibal.

_ Bonne nuit Will.

Ce dernier claqua la portière et s'éloigna en titubant sur la neige.

Hannibal resta stationné jusqu'à ce que Will monte dans sa voiture, sans heureusement resté coincé derrière le volant, démarre et disparaisse au loin. Là seulement il fit demi-tour pour rentrer chez lui.

Son plan avait été un échec cuisant mais il avait quand même passé un bon moment en compagnie de l'agent spécial. Après tout, il n'avait livré là que sa première bataille. La prochaine fois serait la bonne. En plus d'un plan, il aurait le temps de peaufiner une stratégie.

Il alluma la radio et, sur un air de Verdi, se plongea dans l'organisation de leur prochain tête-à-tête.

FIN

Merci à tous de m'avoir lue jusque là. Cette partie, Raclette, est terminée mais la suite viendra très bientôt, dans le tomme (ceci n'est pas une faute d'orthographe mais un jeu de mots. Rho ça va hein! Je ne suis plus à une vanne pourrie près) 2 de ma trilogie fromagère : Fondue
Merci à Cymeteria pour m'avoir inspirée cette histoire et à Hermineuh pour ses relectures pleines de souffrances!