Depuis quelques mois, j'ai une vraie passion pour Hannigram et j'avais l'ambition de faire une grande fic épique et psychologiquement complexe dans laquelle je pouvais exploiter les personnalités tortueuses des deux principaux protagonistes.
Et puis là, je suis allée manger dans un resto de fromage avec ma copine Cymeteria et alors qu'on était en extase devant le fromage à raclette coulant de façon presque érotique de la meule, elle me sort "Tu devrais faire une fic Will/Raclette avec plein de UST (unresolved sexual tensions)!". Et voilà... Adieu fic complexe et psychologique et bienvenue fic à la con où les UST ne sont que des vannes graveleuses et lamentables. J'en aurais presque honte...

Enfin bon, j'espère que ça vous amusera au moins un peu. Et comme je suis incapable d'écrire quelque chose de court, ce sera une trilogie fromagère avec à chaque fois plusieurs chapitre. Voilà donc le début du thème "Raclette".
(Mais je n'abandonne pas l'idée de ma grande fic épique et complexe et tout le tralala!)

"***"

Du coin de l'œil, Hannibal voyait Will se tortiller d'un pied sur l'autre et l'espace d'un instant, il se demanda si l'agent spécial avait besoin d'aller aux toilettes. Une situation extrêmement embarrassante dans la mesure où il y avait encore deux personnes devant eux dans la file d'attente et que leur prochaine destination, le domicile d'Hannibal, était à une bonne vingtaine de minutes de là.

Décidant d'être, comme il l'était si bien habituellement, subtil, Hannibal se pencha vers son ami. Il se sentit sourire bien malgré lui. Un sourire discret mais un sourire quand même. Oui, il s'était bien fait un ami en la personne de Will Graham, quelqu'un avec qui il avait plaisir à discuter, qu'il avait, il fallait aussi l'avouer, plaisir à regarder et avec qui il pouvait, tout comme aujourd'hui, partager les moments excitants de sa vie, en l'occurrence, faire les courses dans des commerces de qualité !

Will l'observait les sourcils froncés. Sans doute trouvait-il étrange qu'Hannibal se soit ainsi collé à lui sans un mot, le fixant intensément et le sourire aux lèvres. Certes, Hannibal s'était peut-être égaré, l'espace de quelques secondes, dans ses pensées mais qui était Will Graham pour le juger, lui qui perdait des heures entières de sa vie ? Et puis, avec un peu de chance, Will prendrait cela pour un comportement classique de l'amitié. Après tout, il ne savait pas trop comment cela fonctionnait, l'amitié. Hannibal était son premier et son seul ami. Certes, la réciproque était vraie mais ça, Will n'était pas supposé le savoir. Et Hannibal allait faire en sorte que cela reste le cas. Ca, mais aussi le fait qu'il soit le seul ami de Will. A part un bon repas, Hannibal n'aimait pas partager grand-chose.

_ Un problème ? lui demanda finalement Will, d'une voix hésitante.

Bingo ! Hannibal avait eu raison, comme toujours ne put-il s'empêcher d'ajouter. Will ne savait pas trop comment interpréter son comportement. Hannibal se planta les mains dans les poches comme si son attitude était la plus naturelle du monde et il sourit plus largement encore à Will.

_ J'allais justement te poser la même question, Will, répliqua-t-il.

La nervosité était un état normal pour Will Graham, comme les chemises bon marché et l'odeur de chien mais en la matière, Hannibal savait le pousser dans ses derniers retranchements. Will se mordit les lèvres et eut un sourire poussif, qui tenait plus de la grimace que de l'expression d'une quelconque joie.

_ Pourquoi ? demanda-t-il, sur la défensive.

Il remonta ses lunettes sur son nez et baissa la tête, un double moyen d'éviter le regard d'Hannibal. Celui-ci ne chercha pas à le forcer. Il ne recula pas non plus, même si sa grande proximité mettait de toute évidence Will mal à l'aise.

_ Je ne sais pas, répondit Hannibal. Tu me paraissais... indisposé.

Le terme lui sembla être le plus politiquement correct qu'il puisse utiliser.

Will se passa une main dans les cheveux. Lorsqu'il l'avait rejoint un peu auparavant, à la sortie de son cabinet, Hannibal avait remarqué que Will avait fait un effort et s'était peigné. Hannibal avait apprécié l'attention, même si un Will ébouriffé était pour lui aussi agréable à l'œil qu'un Will moins mal coiffé. Désormais, tout était à refaire.

Will parut s'en apercevoir et fébrilement il tenta de remettre ses boucles en place. De nouveau, Hannibal retint à grand peine un sourire. Les choses que cet homme lui faisait ressentir !

Un raclement de gorge derrière lui le surprit. Décidément, fréquenter Will n'était pas vraiment bon pour sa concentration. Il s'excusa d'un hochement de tête et recula pour laisser passer une vieille femme portant entre ses bras courts un impressionnant plateau de fromages. Fin connaisseur, Hannibal apprécia l'assortiment, même si la cliente l'avait forcé à s'éloigner de Will. D'un seul pas certes, mais Hannibal allait maintenant devoir trouver une nouvelle excuse pour se rapprocher de l'agent spécial sans paraître trop suspect.

A sa grande surprise, ce fut Will qui revint vers lui. Ce dernier se colla contre lui et, évitant toujours son regard, murmura :

_ C'est l'odeur, admit-il.

Hannibal l'observa sans commenter. Ce qui poussa Will à préciser.

_ Je suis indisposé par l'odeur.

Hannibal secoua la tête et cligna des yeux.

_ Will, je ne comprends pas ce que tu me dis.

Will soupira et enfin releva la tête, croisant pendant une demi-seconde le regard d'Hannibal avant de fixer ses pupilles sur le col de sa cravate.

_ Le fromage. Ca ne sent pas très bon.

Hannibal se raidit brusquement, comme s'il s'était senti personnellement injurié par la déclaration de Will. C'était, en fait, bien le cas. Certains étaient passés à la casserole pour moins que ça, Hannibal pouvait le certifier ! Les paroles de Will étaient pour lui plus offensantes encore que s'il avait remis en cause l'hygiène personnelle du psychiatre. Mais Will étant Will, Hannibal allait lui passer, une fois encore. Mais pas sans parfaire son éducation en la matière ! Will n'était qu'un morceau de charbon crasseux qu'Hannibal pensait pouvoir façonner en diamant avec le cela commençait avec un affinement de ses goûts et de ses connaissances gastronomiques.

_ Je suis désolé, commença Will face à la réaction pincée de son ami. C'est juste que...

Hannibal le stoppa en lui posant une main sur l'épaule. Il trouva son regard et cette fois ne le lâcha pas. Will ne détourna pas la tête. De toute évidence, il avait vexé Hannibal, inutile d'en rajouter une couche.

_ Will voyons ! Sais-tu où nous sommes ? Le sais-tu ! s'enthousiasma-t-il.

Avant que Will n'ait pu répondre, Hannibal poursuivit avec la même fougue.

_ Nous sommes chez José, Will ! Chez José ! Le meilleur maître affineur de tout Baltimore ! Que dis-je ! De tout le Maryland ! Crois-tu Will, qu'il existe un autre endroit à des centaines de kilomètres à la ronde où l'on puisse à la fois trouver un camembert au lait cru parfaitement à point, un reblochon au lait fermier de Savoie à la texture aussi crémeuse ou encore un Munster d'Alsace au fumet si particulier ? Sais-tu à quel point il est difficile dans ce pays de se procurer un Roquefort AOC au goût fort et délicat à la fois ? Non, Will ! Non tu ne sais pas ! Et je ne te blâme pas. Personne ne t'a jamais expliqué et je reconnais bien là la faiblesse des gens de ton peuple en la matière. Le peuple qui mange du fromage de chèvre en tube ! Mais je suis là, Will. Je suis là maintenant. Et je peux t'expliquer ! Je peux te montrer ! Et la prochaine fois que nous viendrons ici, juste avec ce charmant petit nez, tu sauras reconnaître un morbier d'un maroilles, un cabécou d'un mont d'or ! Je te ferai découvrir tous les couloirs et les chambres secrètes de ce temple du fromage qu'est Chez José !

Il s'arrêta à bout de souffle. Face à lui, Will n'osait plus bouger, pétrifié par son discours enflammé. Il semblait aussi embarrassé que perplexe.

Dans son dos, des applaudissements s'élevèrent.

Hannibal se retourna brusquement. José en personne venait de servir sa dernière cliente et frappait des mains avec entrain.

_ Merci et bravo ! Si un jour j'ai besoin de tourner une publicité pour ma boutique, je vous engage !

Hannibal se racla la gorge. Il s'était laissé emporter par la passion. Il lui fallait à présent retrouver sa façade habituelle.

_ Merci, répondit-il en reportant son regard sur l'imposante vitrine lui offrant pour la soirée l'embarras du choix.

Il sentit Will se rapprocher à son tour pour observer les fromages. Hannibal espéra l'espace d'une instant que l'enthousiasme délirant avec lequel il avait sermonné Will juste auparavant avait été communicatif mais à bien y réfléchir, Will essayait probablement juste de se montrer poli après son évident outrage.

Enfin, au moins il ne se tortillait plus comme si sa vessie était pleine, c'était toujours ça de gagné.

_ Alors, que puis-je vous servir ? demanda José après avoir rendu sa monnaie à la cliente précédente qui s'éclipsa le plus rapidement possible et tout en silence.

Hannibal fit une petite moue.

_ Je pensais juste prendre un fromage de saison pour compléter le dîner, mais je me demande à présent si un repas entièrement tourné vers le fromage ne serait pas préférable.

_ Un assortiment varié ? Camembert ? Chèvre ? Munster ? Maroilles ? Une gamme de classiques en sorte ?

Hannibal se frotta le menton et soupira longuement. Will, à ses côtés, gardait la tête baissée. Il espérait qu'on ne l'entraîne pas dans une conversation à laquelle il n'allait rien comprendre et pour laquelle il n'avait d'ailleurs aucun intérêt.

Il n'osait pas l'avouer à Hannibal mais il ne partageait pas son amour délirant du fromage. Pour Will, le fromage c'était un truc apportant une texture moelleuse dans un hamburger ou formant des filaments rigolos dans un plat de macaronis, mais certainement pas quelque chose qui valait la peine d'un faire tout un repas, encore moins la peine de dépenser des milles et des cents. Mais après tout, Hannibal pouvait bien dilapider son argent comme il le voulait, même si c'était l'équivalent d'un mois de salaire de Will qui passait dans un machin malodorant.

_ Alors ? insista José, face au silence des deux hommes.

_ Je crains, reprit Hannibal, aussi pensif que si on lui avait demandé l'ingrédient secret de ses paupiettes, qu'un tel assortiment ne soit quelque chose de trop violent pour une première expérience. Comme vous l'avez probablement deviné à notre conversation, mon ami est un profane en la matière.

José eut un sourire crispé.

_ Pour être honnête, je n'ai pas entendu votre conversation. Je ne vous ai entendu que vous ! précisa-t-il.

Hannibal pinça les lèvres. L'espace d'un instant, il eut envie de dévorer José. De lui ouvrir la peau du bide, d'en faire des lardons et de noyer le tout sous des kilos de son propre reblochon fermier importé directement des montagnes françaises. Ce serait la plus délicieuse des tartiflettes ! Hannibal en avait déjà l'eau à la bouche. Mais après, il allait devoir faire des dizaines de kilomètres pour trouver des produits d'une qualité équivalente à ceux de José et ce serait vraiment peu pratique. Et puis Will était avec lui. Et même si son influence sur l'agent spécial du FBI était de plus en plus grande, Will n'était sans doute pas encore prêt à accepter avec le sourire son petit passe-temps favori.

Hannibal se força donc à rester calme. Il ébaucha même un rictus.

_ Pour résumer, reprit-il, mon ami ici est un novice et je pense qu'il apprécierait une introduction plus en douceur.

José resta quelques secondes silencieux, ses yeux passant d'Hannibal, parfaitement stoïque, à Will, qui ne fixait plus les fromages mais ses pieds et qui n'avait visiblement qu'une envie, c'était de sortir de la boutique le plus vite possible.

Le fromager se racla la gorge avant de répondre.

_ Si votre... ami... préfère une introduction en douceur, peut-être allons partir sur quelque chose de moins invasif en bouche. Pour les débutants, la chaleur aide en général à atténuer la surprise initiale et la texture plus liquide permet une déglutition plus aisée. Quant aux accompagnements ils facilitent la diversification des plaisirs.

Le sourire d'Hannibal se fit plus franc.

_ Vous suggérez une fondue ? Quelle riche idée !

Will lui tourna brusquement le dos et se précipita vers la porte.

_ Je vous attends dehors, grommela-t-il en se ruant hors de la boutique.

Hannibal le regarda avec surprise et haussa les épaules.

_ Je suppose que l'idée le rend un peu nerveux. Où en étions-nous ? Ah oui ! La fondue !

_ En fait, reprit José avec un air de conspirateur, je pensais plutôt à une raclette.

_ Intéressant, admit Hannibal.

_ J'ai reçu il y a quelques jours un arrivage exceptionnel de raclette de Savoie au lait cru, venu directement du massif de la Chambotte, en France.

_ Dites m'en plus.

_ Cinq mois d'affinage et en ce début décembre, c'est la période idéale. Le goût est à sa pleine maturité et avec le froid qu'il fait dehors, c'est la solution idéale pour réchauffer l'atmosphère.

José conclut, à travers la vitrine, avec un regard appuyé pour Will, sautillant sur place pour ne pas geler, les mains plantées dans les poches et un bonnet de marin pêcheur solidement enfoncé sur son crâne. De toute évidence, il avait abandonné l'idée d'être coiffé pour sa soirée en compagnie d'Hannibal.

Ce dernier retint à grand peine un gloussement d'anticipation. Il trouva que ça aurait été vulgaire. D'ailleurs, José lui-même devenait vulgaire avec tous ces sous-entendus. Même s'ils étaient parfaitement justes. L'idée non plus d'un repas, mais d'un vrai tête-à-tête avec Will, le visage rougit par la chaleur de l'appareil, était pour Hannibal tout à fait attractive. Cependant, il n'était pas prêt à le montrer et ce n'était certainement pas à José de s'en mêler. Il allait devoir conclure cette transaction sinon, il allait rapidement retourner à sa recette de tartiflette au maître affineur.

_ Vous m'en mettrez une demi-meule, demanda-t-il.

Pour la première fois, José perdit sa contenance et eut l'air franchement surpris.

_ Une demi-meule ?

Hannibal opina.

_ Je possède un appareil traditionnel, expliqua celui-ci.

Le fromager lui sourit.

_ Monsieur est connaisseur. Je vous mets les pommes de terre et la charcuterie avec ?

Le psychiatre secoua la tête.

_ Comme vous le dites, je suis vraiment connaisseur. J'achète mes pommes de terre dans une coopérative bio locale et je produis moi-même presque toute ma charcuterie.

D'ailleurs, un jambon de plombier arrogant fumé au bois de hêtre l'attendait à la maison et ferait un accompagnement de tout premier ordre.

_ En revanche, reprit-il, si vous avez une bouteille de Chautagne Gamay rouge, je suis preneur.

Le fromager disparut dans l'arrière-boutique et revint quelques minutes plus tard, un énorme paquet sous un bras et une bouteille soigneusement emballée dans l'autre main. Il posa le tout sur le comptoir.

_ Autre chose ? demanda-t-il.

Hannibal secoua la tête et derrière lui une sonnette retentit. Il se retourna, espérant trouver Will mais ce dernier patientait toujours dehors, lui jetant des regards de détresse qu'Hannibal trouva tout à fait adorables. Il n'était pas étonnant que Will se trouve si bien au milieu des chiots, il était un des leurs. Avec bien plus d'avantages intellectuels et physiques, Hannibal devait bien le reconnaître.

Le nouveau client qui venait d'entrer se plaça derrière lui et le fixa, se demandant probablement pourquoi cet homme élégant restait figé là. Avait-il terminé ? Faisait-il une attaque ? Etait-il un mannequin de cire placé là par quelque facétieux client voulant semer le trouble dans la file d'attente ?

José toqua trois coups sur le comptoir, pour le ramener à la réalité et Hannibal se dit qu'il allait vraiment se la faire, sa tartiflette.

Sans se décontenancer, il sortit son portefeuille de la poche de son manteau et régla le fromager. Puis il récupéra ses achats et se dirigea vers la sortie.

_ Je vous souhaite une bonne journée et bien du plaisir à vous et à votre... ami, lui fit José alors qu'il avait la main sur la poignée de la porte.

Hannibal se retourna et répondit par un hochement de tête et un sourire crispé. Ses intentions envers Will étaient-elles si évidentes que cela ? Sans doute José n'avait-il pas deviné l'intégralité de son plan, c'est-à-dire manipuler Will jusqu'à la folie pour qu'il accompagne Hannibal main dans la main sur le chemin du meurtre et des victuailles humaines. Mais probablement en soupçonnait-il l'une des composantes qui était de mettre Will, magnifique Will, avec son esprit tortueux, son imagination parfaite et ses yeux aux couleurs de l'océan, dans son lit.

Hannibal fronça les sourcils. Si José s'en était aperçu, Will, qui après tout était spécialisé dans l'analyse comportementale, en avait-il conscience ? Etrangement, probablement pas puisqu'il acceptait promptement chacune des invitations d'Hannibal, voire il était celui qui débarquait chez lui ou dans son cabinet à l'improviste.

Ou alors, c'est qu'il était d'accord et là, Hannibal se donnait vraiment du mal pour rien. Un simple « on couche ? » faciliterait tout de même les choses.

Il redressa la tête, ses yeux cherchant le regard de Will pour y déceler ne serait-ce qu'une trace de suspicion. Il n'eut aucun mal à le trouver puisque Will était collé à la porte de la boutique, les yeux écarquillés vers lui et lui faisant frénétiquement signe de se dépêcher parce que, si ses lèvres bleues étaient un indicateur fiable, il était en train de congeler. Auquel cas, Hannibal lui réserverait une place de choix dans sa chambre froide et l'aurait ainsi à ses côtés pour l'éternité.

Hannibal sourit. Il ne se saurait jamais cru aussi romantique. Mais Will était unique et faisait naître en lui des sentiments uniques, autres que le dégoût ou le mépris, qui étaient en général les seuls sentiments qu'Hannibal ressentait avec force. Avec l'amusement. Mais ça, souvent aux dépends de ces mêmes gens que le dégoûtaient et qu'il méprisait.

L'expression de Will se fit alors légèrement impatiente et Hannibal constata qu'encore une fois, il s'était perdu dans ses pensées et qu'il était planté devant la porte, la main sur la poignée depuis au moins une bonne minute. José et son client ne s'occupaient plus de lui, le fromager l'ayant certainement depuis un bon moment catalogué comme un genre de tordu pervers. Mais Will le fixait en agitant frénétiquement les bras pour lui dire de se dépêcher un peu.

Finalement, Hannibal tira la porte et sortit de la boutique.

_ Qu'est-ce que vous faisiez ? demanda-t-il entre deux claquements de dents.

Hannibal trouva ses joues délicieusement rougies, comme deux pommes d'amour sucrées et juteuses qui... Il se redressa en sentant qu'il divaguait encore. Peut-être avait-il lui-même un genre d'encéphalite pour s'égarer ainsi de plus en plus dans son propre esprit ? Il allait devoir étudier cela.

_ Je réfléchissais, répondit Hannibal, parfaitement maître de lui-même. Je m'en voudrais d'avoir oublié quoique ce soit pour notre tête-à-têt... repas, se corrigea-t-il.

_ Notre tête-à-tête repas ? demanda Will les sourcils levés jusqu'à l'ourlet du bonnet.

Hannibal fit une petite moue.

_ Will, tu sais pertinemment que l'anglais n'est pas ma première langue et j'aurais pensé que tu me passerais mes erreurs de langage.

Il espérait que culpabiliser Will suffirait à faire dévier le cours de la conversation. Will n'était sûrement pas encore prêt pour une approche directe de « cette phase » du plan et Hannibal n'avait aucune envie de gâcher jusqu'ici ses efforts par impatience. Et pourtant, bien impatient il était.

Cela fonctionna à merveille. Will baissa de nouveau la tête et observa le bout de ses chaussures, rendues humides par la neige qu'il piétinait depuis quelques minutes déjà.

_ Pardon, fit-il d'une voix rauque.

Hannibal secoua la tête.

_ Ce n'est rien. Peux-tu me tenir ça ?

Il tendit la bouteille à Will qui la récupéra religieusement.

_ Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il en l'observant comme s'il pouvait voir à travers l'emballage.

_ Une bouteille, répondit Hannibal avec un sourire.

Will eut l'air navré. Hannibal reconnaissait que ses blagues de cannibale étaient bien meilleures, malheureusement, personne ne les comprenait, ce qui était toujours pour lui une grande source de frustration. Il s'essayait donc, de temps en temps, à d'autres types d'humour mais visiblement, il n'était pas encore au point.

_ Un Chautagne Gamay, fit-il finalement en prenant le chemin de la voiture, garée à quelques rues de là.

Will lui emboîta le pas. Ils marchaient lentement, leurs chaussures crissant sur la neige fraîche.

_ Je ne connais pas du tout, admit Will, les mains crispées autour de la bouteille comme s'il craignait à chaque instant de la faire tomber.

_ Je compte bien te faire découvrir beaucoup de choses ce soir, Will, lui répondit Hannibal, le fromage toujours solidement callé sous le bras.

_ Oh... répondit Will avant de se racler la gorge.

Un long silence s'installa entre eux.

_ C'est un vin de Savoie, une région de France, se sentit obligé d'expliquer Hannibal alors que Will semblait se ratatiner de plus en plus. Ca se marie très bien avec le fromage à raclette.

_ Du fromage à raclette ? demanda Will. C'est ce que vous avez pris ?

Hannibal approuva.

_ Oui. C'est... Je te montrerai ! C'est plus sympathique de le découvrir que de l'expliquer.

Will eut un rire crispé.

_ Ca promet d'être un sacré tête-à-tête repas.

Le psychiatre lui sourit.

_ En tout cas j'espère que tu apprécieras.

_ Je vous fais confiance, répondit Will et Hannibal se retint difficilement d'éclater de rire.

De toute évidence, contrairement à José, Will ne se doutait de rien. Le maître fromager avait probablement raté une brillante carrière au sein du FBI.

Will leva cependant un sourcil.

_ Je ne peux cependant pas m'empêcher d'observer votre paquet et je me demandais juste si vous n'avez pas un peu surestimé mon appétit ?

Il se mordit brusquement les lèvres et secoua la tête.

_ Le... le paquet que vous portez sous le bras, précisa-t-il d'une voix hésitante.

Hannibal fit mine de ne pas relever et prit le fromage à deux mains. Les deux kilos et demi étaient certes impressionnants. Mais il n'avait pas l'intention de tout manger ce soir.

_ Un morceau de belle taille est toujours plus appétissant, expliqua-t-il d'une voix totalement neutre mais il vit du coin de l'œil Will glisser sur la neige pour se rattraper au dernier moment. Et il serait dommage de brider nos appétits.

_ Certes, admit Will qui surveillait à présent très attentivement où il mettait les pieds, ou peut-être était-ce juste un moyen d'éviter le regard d'Hannibal.

_ De plus, j'ai un cellier dans lequel le fromage se conserve très bien. J'utiliserai donc les restes pour d'autres occasions.

_ Oh.

_ Ne t'en fais pas, si tu n'aimes pas ça, je ne te forcerai pas une fois de plus.

Will lui fit un sourire crispé.

_ Merci.

_ Et je suis désolé de t'avoir imposé le fromager. Je ne pensais pas que l'odeur t'indisposerait autant.

_ Ce n'est rien. En fait, sur la fin, c'est plus le fromager que l'odeur qui m'indisposait, ajouta-t-il avec un rire nerveux.

Hannibal le regarda en silence, comme s'il ne comprenait pas.

_ Que veux-tu dire ? demanda-t-il alors que Will devenait de plus en plus rouge, l'addition de sa gêne au froid le rendant écarlate.

_ Vous n'avez pas remarqué ? fit Will.

_ Remarqué quoi ?

_ Il était... étrange... expliqua l'agent du FBI, utilisant le terme le plus neutre qu'il puisse trouver.

Hannibal secoua la tête.

_ Je n'ai rien remarqué, mentit-il, ce qui chez lui était une seconde nature, voire une première.

Will se mordit les lèvres.

_ C'est probablement moi.

Hannibal ne répondit pas, laissant Will dans son trouble le plus total. Et un Will troublé était un Will manipulable.

Hannibal sortit les clés de la poche de son manteau et déverrouilla la voiture, à côté de laquelle ils venaient de s'arrêter.

Will avait laissé sa Volvo devant le cabinet d'Hannibal, ce dernier l'ayant convaincu qu'il serait plus simple de ne prendre qu'une seule voiture pour s'aventurer dans le centre-ville de Baltimore. Will n'avait pu qu'approuver. Surtout qu'Hannibal lui avait assuré que le ramener en fin de repas ne lui posait aucun problème.

Le plus discrètement possible, Will suivit du regard Hannibal qui s'avança jusqu'au coffre qu'il ouvrit de sa main libre. Quand le psychiatre releva la tête vers lui, il baissa les yeux. Il était en plein questionnement. D'accord, il était le premier à admettre qu'il n'était pas de nature très stable mais s'il en venait à interpréter de manière salace la moindre conversation, c'est qu'il déraillait encore plus qu'habituellement. Surtout que ça venait obligatoirement de lui puisqu'Hannibal n'avait rien remarqué. Et après tout, qu'est-ce qu'il pouvait y avoir de salace dans une discussion avec un fromager ? Il secoua la tête, espérant que ça suffirait à lui éclaircir l'esprit.

_ Tu devrais vite rentrer, lui fit Hannibal, le coupant dans ses pensées. Tu vas finir par prendre froid.

Le psychiatre arrangeait l'intérieur de son coffre pour y caler sa demi-meule.

Will ne put qu'approuver. Il retenait à grand-peine ses dents de claquer, sa main qui tenait la bouteille était figée et ses orteils trempés le brûlaient. Il sentait également que son nez commençait à couler et la dernière chose qu'il souhaitait, c'était de renifler bruyamment face à Hannibal. Ou pire, de s'en empêcher et de finir avec de la morve plein la barbe. Hannibal l'avait déjà vu dans des états lamentables, délirant et couvert de sueur, ce n'était pas la peine d'en rajouter une couche dans la catégorie « fluides corporels dégoûtants ».

Il ouvrit la portière du côté passager et s'assit. Il ne faisait pas beaucoup plus chaud à l'intérieur qu'à l'extérieur mais au moins, il était à l'abri du vent et il ne sentait plus le froid perçant de la neige à travers ses semelles trop fines.

Il savait qu'il n'était pas bien équipé pour affronter l'hiver mais lorsqu'Hannibal l'avait appelé quelques heures auparavant pour lui proposer de dîner, il avait tenu à faire un effort parce que… parce que Hannibal était Hannibal. Il avait pris une douche, brossé ses dents, taillé légèrement sa barbe, peigné ses boucles, mis une chemise et une veste qui ne juraient pas trop l'une avec l'autre et enfilé son pantalon le plus élégant. Puis, il avait sélectionné une paire de mocassins quasi neuve qu'il avait achetée pour une soirée organisée par le FBI à laquelle il ne s'était finalement pas rendu. Il était même allé jusqu'à s'assoir dans la salle de bain pour cirer consciencieusement ses chaussures et éviter ainsi de se retrouver couvert des poils de chien qui maculaient chacun de ses fauteuils.

Lorsqu'il s'était regardé dans le miroir, il s'était trouvé… décent. Il n'était pas d'une élégance surnaturelle comme pouvait l'être Hannibal mais il n'avait pas non plus son allure habituelle de clochard en plein delirium tremens. C'était une nette amélioration.

Mais bon, depuis, il s'était décoiffé plusieurs fois en se passant nerveusement la main dans les cheveux, se maudissant à chaque fois qu'il se surprenait avec les doigts dans les boucles. Et ses chaussures, auparavant si brillantes, étaient froides, mouillées et maculées de neige boueuse.

Il soupira et déposa la bouteille à ses pieds. Puis il se ravisa. Si Hannibal mettait le chauffage à ce niveau, la bouteille n'allait certainement pas apprécier. Il se la cala donc entre les cuisses, le temps de fouiller dans ses poches à la recherche d'un mouchoir. Un claquement se fit entendre derrière lui. Il jeta un coup d'œil dans le rétroviseur et constata qu'Hannibal avait refermé le coffre.

Will partit en panique. La morve au nez et une bouteille pointant de façon presque suggestive d'entre ses cuisses n'étaient pas les meilleures manières d'accueillir le psychiatre. Aussi rapidement que possible, il se moucha, vérifia du bout des doigts que sa moustache était propre et fourra de nouveau le kleenex au fond de sa poche. De l'autre main, il saisit la bouteille qu'il coucha en travers de ses jambes au moment même où Hannibal ouvrait la portière et s'installait derrière le volant. Le psychiatre le regarda et Will parvint à esquisser un sourire naturel.

Hannibal le gratifia d'un hochement de tête avant de mettre le moteur en route. Will se sentit rassuré et leva la main à son visage pour réajuster ses lunettes. Il réalisa qu'il portait toujours son bonnet et le retira brusquement. Il avait eu tellement froid à attendre Hannibal hors de la fromagerie qu'il l'avait finalement sorti de la poche de son blouson pour se l'enfoncer sur la tête. De toute façon, il était déjà décoiffé depuis un moment alors un peu plus ou un peu moins. Maintenant qu'Hannibal venait de monter le chauffage, il n'en avait plus besoin.

Du mieux qu'il put, il se recoiffa du bout des doigts. Mais ses gestes étaient nerveux et maladroits. Il avait tenté d'être discret, ne voulant pas qu'Hannibal le remarque et le prenne pour quelqu'un de superficiel mais le psychiatre avait les yeux fixés sur lui. Will détourna le regard et groupa ses mains sur ses cuisses, autour de la bouteille.

Du coin de l'œil, il vit la main d'Hannibal s'approcher de son visage et il sursauta. Il releva la tête, interloqué. Hannibal s'était arrêté avant de le toucher, le bout de son index à quelques centimètres seulement de son front.

_ Will, tu permets ?

Will resta silencieux. Hannibal le touchait rarement mais chacun de ses gestes avait une signification. Il se mordit les lèvres et approuva d'un hochement de tête.

Très lentement, Hannibal passa ses doigts dans les cheveux de Will. Ce dernier retint sa respiration. Puis le psychiatre lui sourit et retira sa main, un fil de laine pincé entre le pouce et l'index.

_ Tu avais ça dans les cheveux, expliqua-t-il.

Will cligna des yeux puis comprit qu'il s'agissait là d'un fil de son bonnet. Il se sentit gêné. Qu'avait-il imaginé là ? Hannibal n'allait certainement pas lui caresser les cheveux, comme ça, sans raison. C'était complètement idiot et totalement déraisonnable.

Hannibal déposa le fil dans le vide poche de son côté de la voiture et alluma les phares avant de quitter sa place de parking. Ils en avaient pour une bonne vingtaine de minutes jusque chez lui.

Will se cala dans son siège et regarda défiler les lampadaires qui venaient de s'allumer.

(à suivre...)