Death

La cinquième avait été trouvée et la sixième enlevée en presque l'espace de trois jours; toutes les Unes londoniennes ne parlaient que de cela, poursuivant leur macabre travail en répandant toujours plus de terreur parmi la population déjà redevenue bien superstitieuse.

Cette fois-ci, la famille de la dernière demoiselle enlevée fit directement appel à ses services, ne se sentant visiblement pas tranquille à l'idée que Scotland Yard soit chargée seule de l'enlèvement de leur fille bien-aimée – et ce fut l'une des premières choses qui posèrent question à Holmes. Pourquoi enlever une Miss issue d'une famille plutôt riche, plutôt connue, aux cheveux couleur de cuivre particulièrement reconnaissables parmi la masse de chevelures sombres hantant les rues de Londres ?

Lestrade consentit, de fait, à laisser plus de policiers que d'ordinaire à patrouiller dans les rues, notamment près des entrées marquées par Holmes comme étant potentiellement utilisables par des suspects; aucun homme ne devait agir, simplement patrouiller pour ceux en uniforme et observer discrètement pour les quelques uns étant stratégiquement placés en civil au milieu de la foule.

- Cela sent l'erreur, souffla un soir Holmes tandis qu'eux-mêmes patrouillaient les rues noires de la ville.
Watson n'avait pas répondu, aux aguets; si comme son ami le prétendait il s'agissait de nobles, les sbires employés par ceux-ci n'auraient aucun scrupule à tuer pour se débarrasser de témoins pour le moins gênants.

- Nous sommes presque trop informés, marmonna-t-il ensuite, son regard aussi sombre que la nuit balayant les passages les plus étroits d'un seul regard plus suspicieux que jamais.
- Vous en plaindriez-vous ?
Ce fut au tour d'Holmes de ne pas répondre, pensif.

L'hiver avait avancé sans les attendre et il faisait froid, bien trop froid pour demeurer dehors longtemps et donc suffisamment pour que les hommes du culte aient à se déplacer en carrosse fermé; ceux-là même qui portaient souvent des armoiries sur leurs portes et employaient des cochers de préférence muets. Ils n'en verraient aucun, voilà qui était on ne peut plus certain – mais des voitures louées pour peu de frais à des personnages peu scrupuleux ? Voilà qui était davantage certain.

Isoler l'une des nombreuses salles correspondant aux critères du culte avait été plus compliqué, cependant, et si Holmes était certain que cela se passerait ce soir, Lestrade semblait pour une fois partager son sentiment sur la question et s'était muni de son plus épais manteau pour les accompagner.

Trois endroits pouvaient convenir, mais au final, ce ne fut aucun d'eux.

Ils pataugeaient dans l'eau sale de Mars lorsque Watson l'attrapa par la manche et l'entraîna dans une ruelle sans ménagement, sa cane le retenant contre le mur tandis qu'il observait avec attention ce qui se déroulait au loin; et, lorsqu'Holmes put finalement se libérer de sa faible prison de bois, à quatre pattes non loin d'une flaque aux pieds de Watson, il put finalement entrevoir ce qui se tramait.

Une large voiture s'était arrêtée à proximité d'une grille dont l'utilité ne laissait aucun doute, mais qu'ils avaient écartée, John se rappela-t-il, à cause d'un éboulement datant de l'année dernière qui avait été confirmé par ailleurs par une patrouille récente d'égoutiers. Cette voiture pouvait aussi être tout autre chose. De nombreuses personnes allaient et venaient encore dans les quartiers les plus fréquentés de la capitale britannique, aurait souligné Holmes pour le tester (ce qu'il fit, d'ailleurs).

- Mais aucun d'eux n'utiliserait ce moyen de transport, lui répondit Watson avec un sourire satisfait.
- Dépêchons, l'entrée la plus proche qui n'attirera aucun regard sur nous est de l'autre côté du block, vous, allez avec –

- Lestrade, et je les emmène à l'entrée de Neal Street.
Ils hochèrent la tête, se séparant déjà et se mettant à courir; le matin n'était alors plus si loin, lorsqu'Holmes pénétra dans les catacombes et descendit les escaliers dans le plus grand silence, tandis que Watson faisait son chemin avec Lestrade dans un de leurs wagon-cages, comme son colocataire aimait à les appeler.

Peu de temps plus tard, Watson découvrit avec stupeur que l'idée aristocratique d'Holmes n'était pas si éloignée de la réalité, et en était même totalement identique – le fait que les jeunes femmes aient visiblement été droguées et poussées à se poignarder elles-mêmes, cependant, était un fait nouveau qui relançait l'idée d'une mise en scène bien plus subtile que ce qu'ils avaient cru auparavant.

Lord Blackwood alors arrêté, il ne leur restait plus grand-chose à faire; le jugement se fit dans la plus grande discrétion, bien que tout Londres semblât à chaque fois savoir quel jour précis l'audience se tenait. Il y eut tant d'attroupements et de cris scandant toutes sortes d'insanités à l'égard tantôt de Blackwood, tantôt de la cour, que la totalité de la procédure prit des mois avant d'être finalisée, et ce bien que tous les magistrats concernés aient été complètement d'accord sur le fait d'y mettre un terme le plus rapidement possible.

Finalement, ce fut en Novembre qu'on décidât de la date de pendaison de Lord Blackwood, et, au grand désarroi d'Holmes, que les charges retenues penchaient davantage du côté satanique que de celui du meurtre. Watson partageait les mêmes opinions, et ils en discutèrent longuement un soir où ni l'un, ni l'autre ne parvenait à s'échapper des événements de la veille (un énième malade avait pénétré la cour et juré fidélité à Lord Blackwood, qui n'avait su que lui sourire sereinement depuis le siège des accusés – le forcené avait vite été maîtrisé, mais les proportions que prenaient l'affaire avaient ce quelque chose de surprenant qui les étonnait sans les surprendre).

- S'il n'avait pas été à la Chambre des Lords, il n'y aurait pas eu besoin d'évoquer le satanisme pour le condamner, avait sombrement pointé Watson en relisant ses notes.
Le carnet étant plein, et puisqu'il s'agissait là de leur très probable dernière enquête commune, il avait envisagé de le remettre à Holmes, un peu comme un cadeau d'adieu – et bien qu'Holmes semblât ignorer tout du mot cadeau (ce qui expliquait en partie pourquoi le carnet demeurait dans la poche intérieure du gilet de Watson depuis hier).

- Je ne devrais pas être si morose, se reprit-il. Sa fortune ne lui aurait pas évité la corde, c'était un flagrant délit.
- Pour celle-là, oui, lui fit-on remarquer. Les autres, il lui aurait été facile de dire qu'il s'agissait là d'un complice, et de nommer un homme de main quelconque pour subir la sentence à sa place.
Watson acquiesça, pensif.

- Vous allez sans doute me prendre pour un grand naïf, mais toute cette mise en scène ne pouvait décemment pas être le travail d'un homme de main – c'était trop étudié, trop méticuleux pour quelqu'un sans moyens conséquents, vous l'avez dit vous-même.

Pensif, Holmes ne lui répondit que par un simple hochement de tête.

- Que diriez-vous de venir avec moi voir Mary, demain ?
- Je ne peux pas, demain. Je suis pris, lui signifia-t-on d'un ton fermé.
- Oh, fit Watson avec une déception où l'on sentait poindre un certain agacement.

Il n'y avait peut-être qu'un mois ou deux que cela durait, Blackwood arrêté depuis cinq semaines tout au plus et Watson soudain si sûr de lui qu'il laissait le choix à Holmes de rencontrer celle qu'il pensait demander en mariage d'ici quelques mois.

Ne pas discuter de Mary avec Holmes, dans un premier temps, ça avait été autant par pudeur que par précaution; il connaissait son ami, et bien entendu ses mesquineries les plus fréquentes ne lui étaient pas inconnues – Mary n'avait nul besoin de protection, mais de certitudes. John la voulait en confiance une fois finalement confrontée à Holmes, car ni lui, ni elle, ne souhaitaient être soumis à la question sans être certains de leurs sentiments.
Cependant, une fois qu'il fût sûr de lui – d'eux – Watson multiplia les propositions de dîner, de rencontres autour d'un thé dans un lieu plus neutre que l'appartement; d'abord subtilement, puis avec un certain début d'énervement.

Le printemps mourut et l'été à sa suite, puis vint bientôt le tour de l'automne lorsqu'ils se rencontrèrent enfin – et les mots durs de Mary résonnèrent longuement dans ses oreilles alors qu'il se précipitait après elle aussi vite qu'il le pouvait pour la rattraper et essayer de réparer ce qu'Holmes avait fait.

Il est mort.


Hey,
Donc voilà, finish. En espérant avoir satisfait jusqu'au bout, je vous remercie pour toutes les lecteurs, reviews, follows et favoris. Puissiez-vous continuer dans cette bonne voie :3