Bonjour tout le monde !
Comme promis il y a quelque jours, voici enfin le chapitre que vous attendiez depuis... Un certain moment.
J'avais promis une explication alors la voilà : la flemme. Oui, je sais, ce n'est pas censé être une excuse. Mais chez moi, c'est presque une maladie. J'ai un peu comme des crises de flemmes, des périodes plus ou moins longues où je suis incapable de faire autre chose que de fixer mon ordinateur à rien faire. J'en ai eu une d'un mois avant d'avoir une soudaine inspiration... Et là je me suis tapée un rhume et un torticolis en même temps, ce qui a fait que j'étais super fatiguée et incapable d'écrire quoi que ce soit. Et bien sur une fois guérie j'ai à nouveau eu une période de flemme. Elle n'est même pas fini mais j'ai quand même fini par m'auto-boter le cul parce que je suis la première énervée de ne rien arriver à faire, sachez-le.
J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop, encore une fois. Je vais essayer de faire mieux la prochaine fois, promis.
Un grand merci à ceux qui ont reviewé et mis en favori, j'ai été surprise de voir que même en ayant pas posté depuis Mathusalem des gens continuaient de vouloir suivre la fic, ça m'a aidé à me remotiver. Quand à notre chère anonyme récurrente :
Junette : C'est le Capitole alors oui ils changent une peau comme ça, motherfucker. Caesar ne critique pas, il apprécie en reconnaissant le côté trompeur mdr Quand à Tigris, elle est faite pour ça et c'est aussi ça qui la rend géniale à mes yeux ! Quand au costume de geai, je ne dis rien sinon que ce sont des Hunger Games et que rien n'est jamais dû au hasard.
Voilà, je remercie une fois de plus Amiral Nothomb et Solene qui ont fait un boulot extra une fois de plus. Et je vous laisse avec le chapitre !
Chapitre quatrième :
La dure réalité
Centre d'entraînement pour tribut au Capitole, premier jour de préparation
Aniousha Orliv, trente-deux ans, tribut féminine du district Deux
J'écarte ma masse de cheveux auburn pour ramener l'élastique à la base de ma queue. J'aurais préféré avoir mon habituel nœud rose mais on ne m'a pas laissé le garder. On ne m'a pas laissé grand-chose, de toute façon. Je pince les lèvres en jetant un regard au survêtement que l'on m'oblige à mettre. C'est absolument immonde, difforme même. Je passe mes longs ongles vernis sur mon visage et grimace. Je suis encore parfaite mais c'était tout de même mieux avant que l'on ne m'arrache à mon maquillage.
Je serre la chaise sur laquelle je suis assise de mes doigts et regarde mon reflet. J'ai l'impression de faire plus jeune mais mon visage garde sa détermination. Tant mieux, j'en aurai besoin dans les prochains jours. Le plus gros du travail commence maintenant, je vais devoir observer les tributs, leur arracher un ou deux secrets. Peut-être y a-t-il un meurtrier ? Un infidèle ? Je pourrais me servir de leur côté sombre pour les faire chanter. Ils savent à quoi s'attendre, bien sûr. Qui ne me connaît pas ? Je suis quand même la célèbre Aniousha Orliv, la grande manipulatrice. Ils seront prudents. Un homme averti en vaut deux. Mais ce n'est pas grave, c'est encore plus drôle avec deux victimes en même temps.
— Aniousha, tu dois y aller, me hèle-t-on. Vas-y et ne me fais pas honte, t'es pas ma tribut la mieux partie mais ce n'est pas une raison pour porter préjudice au district Deux. Pigé ?
— Pourquoi ? je demande en ouvrant la porte. Si ça arrive, tu me mords ?
— T'es sûre de vouloir savoir ?
Je souris en coin alors qu'elle m'offre un rictus carnassier. Je me sens chanceuse d'avoir une ancienne carrière comme mentor. Surtout celle-ci. Elle est une de celles qui a eu les Jeux les plus impressionnants et depuis ceux-ci, pas mal de ses tributs sont sortis vivants. Enobaria sait ce qu'il faut faire pour garder ses protégés en vie et c'est un précieux avantage, même si elle semble avoir une préférence pour Spicer. Je ne comprends pas pourquoi, qu'a-t-il de plus que moi ?
Je rejoins celui-ci dans l'ascenseur et il m'accorde un de ses fameux regards noirs. Il commence à être énervant à en lancer à tout le monde et personne ! Il ne pourrait pas tout simplement dire ce qu'il me reproche ? Non mais. Je lui offre un grand sourire provocateur. Je ne lui ai rien fait alors il va me respecter. Après tout, je suis la célèbre Aniousha Orliv ! Il est impensable qu'il ne finisse pas par m'aimer, comme tous les autres. Après tout, nul ne me résiste.
— Tu sais, je crois t'avoir déjà dit que ces regards noirs sont assez vains si je ne connais pas la raison pour laquelle j'y ai droit, fais-je légitimement remarquer.
Pas de réponse, juste l'arête de son nez qui se fronce. J'aimerais pouvoir lire quelque chose en lui mais c'est toujours plus dur avec des prunelles noires comme les siennes. Je lui tapote l'épaule, satisfaite de moi. S'il ne me répond pas, c'est bien que j'ai raison, non ? J'ai réfléchi à comment le convaincre d'être mon allié et ai opté pour la séduction, un type aussi coincé a sûrement bien besoin d'un peu de drague. Et si jamais il faut que je donne mon corps pour ça... Eh bien, c'est un prix bien bas pour survivre. Je m'approche de lui et susurre à son oreille :
— Tu sais, si nous travaillons ensemble au lieu de nous faire la gueule à tout va, nous serons une bonne équipe. On gagnera. Qu'en dis-tu ? je susurre en tirant légèrement sur mon survêtement pour mettre ma poitrine en valeur.
Il me fixe un moment et je me rapproche de lui, attrapant ses mains. Il les passe le long de mes bras et remonte jusqu'à mes épaules. Ça marche. Hier déjà, il avait presque succombé, ses lèvres s'étaient retrouvées à quelques centimètres des miennes. Il s'était retiré avant, sûrement par gêne. Mais je sais que je peux l'avoir. Il est sûrement vierge, le pauvre. C'en est presque trop facile.
Je suffoque soudain et écarquille les yeux quand il me soulève en enserrant ma gorge dans la main qui la caressait la seconde d'avant. Il me colle violemment contre la paroi de l'ascenseur et je tente de lui asséner un coup pour qu'il me lâche. Il serre un peu plus et je laisse tomber l'idée de me débattre, je n'arrive plus à respirer. Je me sens oppressée, je cherche de l'air mais je n'arrive qu'à produire un affreux bruit rauque. Il attrape ma queue de cheval, m'arrachant ce qui aurait dû être un cri, et tourne ma tête pour que je le regarde dans les yeux. Il a le visage crispé par la rage, les veines saillant au niveau de ses tempes, un sourire en coin qui s'agrandit à chacun de mes râles.
— Écoute-moi bien, pétasse, souffle-t-il à mon oreille, n'essaye pas de faire ami-ami avec moi. Je déteste les gens dans ton genre et si tu m'emmerdes encore je me ferais un plaisir de te faire souffrir jusqu'à ce que tu demandes grâce. Pigée ?
Je hoche vigoureusement la tête. Qu'il me laisse respirer, pitié ! Je commence à faiblir, je le sens... Il va peut-être me tuer là, maintenant. Non ! Il n'y a pas de vidéo-surveillance ? Pas de Thraxs pouvant venir me sauver de cette situation ? Pitié, je ne veux pas mourir...
— Tu joues la grande mais t'es certainement pas prête à ça. Tu vas crever comme une grosse merde, tu t'en rends compte, de ça ? ajoute-t-il en serrant un peu plus.
C'est plus fort que moi, je laisse échapper quelques larmes. Il n'a pas le droit de me faire ça ! Je suis la célèbre Aniousha Orliv ! Il doit me reposer, me... Il me lâche d'un coup et je tombe par terre, m'effondrant de tout mon long. J'inspire un grand coup pour prendre le plus d'oxygène possible et les portes finissent par s'ouvrir, le laissant sortir.
Je laisse des larmes couler sur mes joues nues de maquillage. Nous ne sommes pas encore dans les Jeux et j'ai déjà failli mourir. Comment puis-je espérer survivre dans une arène si je ne peux même pas faire quoi que ce soit pour empêcher qu'on m'étrangle dans un pauvre ascenseur ? S'ils sont tous comme Spicer, jamais je ne parviendrai à m'en sortir ! Encore que ce n'est pas le pire, je suis sûre qu'Avos, le type du Cinq, est encore pire.
Je reste là un moment quand quelqu'un finit par arriver et s'accroupit à côté de moi. Je lève les yeux pour voir une femme très simple aux cheveux bruns noués. J'essuie directement mes larmes, personne ne doit les voir. Je pince les lèvres et me redresse alors qu'elle me demande :
— Ça va aller ?
— Oui, je réponds un peu brusquement. Tout va très bien, merci. C'est gentil de vous en inquiéter trois heures après ! Ça ne donne pas l'impression d'être invisible.
— J'aurais très bien pu ne pas venir. Alors si tu veux bien, j'ai un discours de bienvenue à faire et tu dois être là-bas, miss fantôme.
Je me lève d'un bond, vexée. Je ne suis pas un fantôme, bon sang. Je viens de me faire agresser en plus, elle pourrait avoir un peu plus de cœur. Elle pourrait... Je ne sais pas, demander ce qu'il s'est passé ! Ou alors elle le sait et elle n'en a rien à faire ? Je secoue la tête et m'en vais la tête haute pour la snober. On ne traite pas comme ça la célèbre Aniousha Orliv. C'est elle qui traite les autres comme ça parce qu'ils sont largement moins bien qu'elle.
Je me plante à côté de Caesar à qui j'adresse un grand sourire plein de défi. Il se contente d'un hochement de tête pour me saluer alors que derrière moi résonne un petit gloussement. Je me retourne pour voir Rika Coveï me regarder avec amusement puis s'essuyer les yeux de manière grotesque pour m'imiter en train de pleurer. Je serre le poing. Si je me fais déjà repérer le premier jour, je suis mal partie !
La femme qui est venue me voir, que je découvre être l'instructrice en chef répondant au nom d'Atala, commence un discours expliquant qui elle est avant de nous présenter les divers ateliers. Je les retiens tous, chacun pourrait avoir son utilité. Reste à savoir si j'aurais le temps de tous les faire, ce qui m'étonnerait bien. Il va falloir faire une bonne répartition de notre temps si on veut avoir une chance. J'élimine tout de suite les armes de rapprochement. Je fais un mètre soixante-deux pour quarante-neuf kilos, ce n'est pas moi qui ferait le poids face à de vrais guerriers comme Avos, Cyprien ou Spicer qui font tous plus d'un mètre quatre-vingts !
Elle finit par fusiller certaines personnes du regard. A ma grande surprise, Bleue, la tribut du Quatre, fait partie de ceux-là. Pourtant, elle ne me paraissait pas si effrayante, à part que c'est une géante affreusement moche qui semble maîtriser les arts martiaux. Je n'ai pas retenu son nom, mais vu sa couleur de cheveux, Bleue lui ira très bien.
Tout le monde se disperse et je me tourne vers Caesar, mon sourire artificiel toujours plaqué sur le visage. Il m'en offre un plus vrai et compatissant avant de me tapoter l'épaule.
— Pas la peine de le cacher, Aniousha. Vos yeux sont rouges, m'informe-t-il.
— Moi ? je m'insurge. Les yeux rouges ? Mon cher, vous commencez à vous faire vieux. Je crois que des lunettes vous seraient fort utiles.
Il hausse les épaules et s'avance plutôt vers le stand d'apprentissage des plantes et insectes comestibles. Je vois le vieux gâteux du Dix porter une baie de sureau à sa bouche. L'instructeur a à peine le temps de lui sauter dessus pour l'empêcher de le manger. Celui-là ne risque pas de faire de vieux os... enfin pas plus qu'ils ne le sont déjà, en tout cas !
Mon compagnon d'entraînement se plante devant un grand écran et m'offre son fameux sourire de présentateur, qui m'arrache mon sourire adorable. Il me désigne les tablettes de contrôle et me demande :
— Vous croyez que vous seriez capable de me battre à un entraînement de réflexion ?
— Évidemment, je suis plus intelligente qu'une vieille branche comme vous, quand même. Je n'ai pas un cerveau de soixante ans, moi !
Il lâche un petit rire et je me mets à côté de lui. Le but est simple : réussir l'exercice proposé. Cela va du mémo à la devinette en passant par un quiz sur les plantes. Nous devons être rapides et pour nous c'est un véritable concours qui s'organise. Celui qui a le plus de points remporte la partie et si nous sommes ex-aequo nous sommes départagés par la rapidité. Quand le gong du repas résonne, nous sommes à égalité parfaite et il me serre la main.
— Je suis ravi de voir qu'il y a ici des tributs de votre trempe, annonce-t-il.
— Et moi je suis contente de ne pas être la seule intelligente parce que ça aurait été franchement ennuyeux, rétorquai-je. Et puisque nous sommes d'intelligence égale, même si j'ai un léger avantage quand même, je vous propose de nous allier.
Ses yeux à la couleur indéfinissable me fixent en silence et mes lèvres se fendent à nouveau jusqu'aux oreilles. Je me doute qu'il cherche à voir si je le manipule. Il y a de quoi, il est celui qui risque d'avoir le plus de sponsors parmi nous, sauf peut-être la femme enceinte. Je pourrais évidemment m'en servir et je prends cet avantage en compte dans ma proposition. Mais je dois avouer que ce n'est pas ce qui m'attire le plus. Je ne plaisante pas en disant qu'il est aussi intelligent que moi, même si ça me fait mal de reconnaître qu'on puisse égaler mon génie. Et c'est ça que je trouve intéressant. Je ne rencontre que peu de personnes qui puissent me tenir ainsi tête en jeu de réflexion. A nous deux, nous serons un bon duo de stratèges et nous parviendrons à mieux récolter des informations sur tout un chacun, puis à les manipuler.
— C'est d'accord, répond-il enfin.
— Super ! On va manger maintenant ? Ça creuse de réfléchir.
Il me présente son bras que je prends pour me diriger vers le réfectoire. Ses bonnes manières sont aussi très agréables. Quand j'arrive au réfectoire, quelques-uns me regardent et je croise le regard de Neessa, la femme enceinte. Je m'attends à ce qu'elle vienne me supplier de la prendre dans mon alliance, ce que je pourrais comprendre. Moi aussi, je voudrais m'avoir pour alliée si je le pouvais. Sauf qu'à la place, elle met sa main près de sa bouche et avec l'aide de sa joue mime grossièrement une fellation. Je retiens de justesse un glapissement outré alors qu'elle se met à rire, de même que l'autre peste du district Un. J'entraîne mon allié un peu à l'écart et il tente de me réconforter mais je ne suis pas triste. Je suis juste dans une effroyable colère.
Et j'ai peur aussi. Spicer me fixe et pour une fois j'arrive à voir une émotion dans ses prunelles : de l'amusement. Il se moque de moi ! J'aimerai bien lui en coller une mais à la place je me mets à trembler. Si ça se trouve, il ne fera pas que m'étrangler la prochaine fois. Peut-être va-t-il me briser un os ! Il vaut mieux que je ne l'approche pas.
Mais il ne me tuera pas, n'est-ce pas ? Il ne pourra pas. Après tout, on ne tue pas comme ça la célèbre Aniousha Orliv.
Breyndawn Bór, cinquante-six ans, tribut masculin du district Sept
Je trace une ligne verte le long du bras musclé de mon ami, avec un petit sourire en coin. Celui-ci lâche un gémissement en le remarquant, il sait très bien que je me moque de lui. Il faut dire que voir Aaron Stryker avec une couleur de peau normale est très peu commun. Quand il avait choisi de faire cette modification, il n'était pas aussi médiatisé et il avait un teint bronzé. Il me donne un petit coup sur l'épaule et je me tends. Il est dingue ? Il ne faut surtout pas qu'il me frappe. Je n'ai pas envie de... Non, n'y pense pas, Breyndawn. N'y pense pas et ça n'arrivera pas.
Je lève les yeux pour le fusiller du regard mais tout ce qu'il trouve à faire c'est de prendre son air de sale gosse qui m'exaspère toujours. Pour la peine, j'appuie sur le pinceau pour frotter le bois de celui-ci contre son muscle. Il grimace en lâchant quelques jurons et j'arrête pour remettre de la peinture. A quelques mètres, des Thraxs nous observent. Je suis certain que c'est à cause de moi. Cette précaution ne sera pas de trop si jamais je manque à mes convictions.
Quand je passe au marron clair, mon partenaire lâche un long soupir qui me fend le cœur. Ron est un homme toujours très joyeux, je déteste le voir triste ou inquiet. C'est trop contraire à sa nature pour que cela paraisse normal.
— Eh, Double-Face..., commence-t-il.
— Ne m'appelle pas comme ça, le coupai-je.
— Comme tu veux, Double-Face. Donc je disais : on est obligés de rester ici ? Pas que ça ne soit pas utile, bien au contraire. Mais je ne pense pas qu'on va tuer quelqu'un avec de la gouache. En tout cas, Peeta Mellark n'avait presque que ça comme atout et à part se planquer pour mourir lentement d'une infection, ça ne lui a pas servi à grand-chose.
— Arrête de tourner autour du pot.
— Je me demandais si on ne pouvait pas aller ailleurs. A l'escrime, par exemple. En plus, l'instructrice est plutôt canon. Tu crois que j'aurai le droit de la ramener à mon étage ? me demande-t-il avec espoir.
— Je ne crois pas, tu n'as plus qu'à te contenter de ta mentor.
— C'est un homme, pas une femme ! Tu ne peux pas plutôt me prêter la tienne ? Johanna Mason, c'est quelque chose !
— Hier, elle s'est renversée de l'eau dessus, je l'informe en reprenant mon petit sourire, et elle s'est mise à hurler en gigotant. Je crois qu'elle n'aime pas trop être mouillée.
Je trace une arabesque sur son biceps et le silence s'installe alors qu'il me fixe. Je hausse un sourcil. Quelle extravagance va-t-il encore me sortir ? Il a les yeux grands ouverts, de même que sa bouche. Je secoue la tête. Il va encore faire le pitre, ça se sent.
— Est-ce que tu viens de faire une blague sexuelle ? s'exclame-t-il. Bon sang, Double-Face, tu as fait une blague sexuelle !
Je lève les yeux au ciel. Super. Ce n'est pas parce que je n'en fais pas souvent que cela ne m'arrive jamais. Je lâche le pinceau et observe mon œuvre. Ce n'est pas du haut niveau pas mais ça pourrait aider à passer inaperçu dans une forêt. Je prends une éponge et commence à le nettoyer minutieusement. Me concentrer me permet de ne pas penser à autre chose et à ne pas paniquer.
— Et sinon, pour ma question... commence Ron.
— C'est non ! je réponds aussitôt. Tout ça... Tu sais parfaitement que c'est trop dangereux, je dois rester au calme ! Je ne veux pas qu'il arrive un truc. Le camouflage est ce qu'il y a de plus simple et sans danger, je ne bouge pas d'ici.
Il marmonna un moment et j'ajoute plus doucement :
— Tu n'es pas obligé de rester, tu sais. Je comprendrais que tu préfères aller voir d'autres gens, tenter de survivre. Tu peux te le permettre, toi.
Avant d'avoir le temps de voir quoi que ce soit venir, il se retourne et me colle son poing dans la figure. Je tombe en arrière sur le coup et porte la main à mon nez. Du sang en coule, se répandant sur mon visage et sur mes doigts. Je me mets à trembler sans pouvoir m'interrompre. Ma vue se trouble un peu et je panique. Je ne contrôle plus rien, je n'arrive plus à bouger. Ma conscience glisse doucement vers le néant.
Je prends une grande inspiration, me concentre. J'ai l'impression que ma tête va exploser, coincée dans un étau qui se resserre peu à peu pour la broyer. Je dois me battre, je ne peux pas sombrer. Ça ne voudrait dire qu'une chose, ce serait la fin. Je crains trop ce moment, je dois le retarder le plus possible. Je n'ai pas le choix. Je dois me battre avec moi-même.
Le silence est assourdissant et me crie mon incapacité. Je veux sortir de cet enfer, me débarrasser de mon fléau à tout jamais. Je ne veux plus avoir à le supporter, c'est trop dur. Je m'efforce de le repousser au plus profond de ma conscience. J'ai l'impression de me déchirer en deux, je veux hurler mais rien ne sort. Je sens la présence de mon mal tapie au fond de moi, qui remonte doucement jusqu'à l'écœurement.
— Laisse-toi faire, Breyndawn. Tu n'attends que de pouvoir te laisser aller, pourrais-je presque entendre.
Mais je ne me laisserai pas faire. Non. Je continuerai de me battre. Je...
— Double-Face, ça va ?! demande Ron qui réapparaît en même temps que ma capacité de vision.
Je regarde autour de moi, ma poitrine se soulevant et s'abaissant à vive allure. Je suis en boule par terre, avec mon ami au-dessus de moi. Deux Thraxs sont là aussi, je crois distinguer un visage inquiet derrière la visière presque opaque. Quelques tributs nous regardent, souvent avec un air moqueur. Je me redresse et passe une main dans mes cheveux. J'ai réussi à repousser le mal qui me ronge.
Je me tourne d'un coup vers mon pote milliardaire et m'exclame :
— Qu'est-ce qu'il t'a pris, nom d'un câble ?
— Nom d'un..., commença-t-il avant de se reprendre sous mon regard noir. Parce que tu es un idiot. T'es mon seul ami ici. Non, en fait tu es mon seul ami qu'importe la situation. Il est hors de question que je te laisse tout seul.
Que pourrais-je répondre à ça ? Il n'y a rien de plus vrai. Il n'a que moi, comme je n'ai que lui. Le reste n'a finalement pas eu d'importance. Il n'y a que nous qui comptons dans la vie l'un de l'autre. Je suis sa seule relation stable, il est ma seule famille. Pourtant, il n'y a rien qui aurait pu laisser penser qu'on deviendrait le frère que l'autre n'a jamais eu.
Il me tend la main et je l'attrape pour qu'il m'aide à me relever. Il me lance son habituel sourire arrogant et je ne peux que lever les yeux au ciel.
— La prochaine fois, si tu pouvais me le faire comprendre sans me faire courir de risque, ça serait adorable, je réponds finalement.
— Tu sais bien que je m'appelle Ron Adorable Striker, réplique-t-il d'un ton mordant.
— Ce n'était pas Ron Beauté Cosmique Striker, la semaine dernière ?
— Tu me connais trop bien.
Il réussit à m'arracher un petit rire qui finit de me détendre. Avec lui, les boules déstressantes sont inutiles. Il sait comment me calmer bien plus facilement. Et encore, j'ai de la chance de ne pas être une fille, il aurait d'autres techniques.
Il attrape un pinceau et commence à faire son camouflage sur mon bras comme je l'avais fait sur lui. Je ne dis plus rien, regardant ses yeux bleus se plisser sous la concentration. Je remarque avec amusement que ses cheveux d'or sont déjà maculés de peinture à force de passer sa main dedans, alors qu'il vient juste de commencer. Il aura l'air bien dans l'arène s'il y fait pareil.
Cette pensée me terrifie un peu. Dans l'arène. Dans la cage aux lions. Je ne veux pas y aller, je sais très bien ce qu'il va s'y passer. Je vais faire un carnage, tuer ce qui passera à ma portée, me déroger à ma nature, devenir une bête féroce. Puis, je vais me réveiller et constater, voir ce qu'on a fait de moi, à quel point je suis un homme horrible. Je ne veux pas tuer. Je ne veux plus tuer.
Je sais que Ron comprend ce que je ressens. Après tout ce que je lui ai dit, tout ce qu'il a vu de moi, il ne peut que comprendre. Il sait de quoi je suis capable et m'a juré d'être toujours là pour m'assister, me soutenir et au besoin me retenir. Mais est-ce que ce sera suffisant dans un endroit où tout le monde est censé s'entre-tuer ? Il vaut mieux que je prenne mes précautions.
La mort. Oui, la mort est une bonne solution. Si elle est rapide, mon mal n'aura même pas le temps de me reprendre. Mais ce ne doit pas être n'importe qui, mon meurtrier. Je ne peux pas le faire moi-même, j'en ai pleinement conscience. Il faut quelqu'un en qui j'ai confiance. Aussitôt, mon regard se tourne vers l'homme près de moi.
Il remarque que je le fixe après cinq bonnes minutes et marmonne :
— Mec, tu me stresses à me regarder comme ça. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
— Je veux que tu me tues.
Le pinceau s'arrête au milieu de sa course sur mon biceps. Il relève le visage avec un air grave que je ne lui avais plus vu depuis la fois où il a hérité pour de bon de l'entreprise de son père. Ses mains attrapent les miennes et les pressent doucement.
— Je ne peux pas, annonce-t-il. Tu pourrais me demander ce que tu veux mais pas ça. Je ne tue déjà pas mes ennemis, alors mes amis...
— C'est la seule solution. Tu sais très bien comment ce sera dans l'arène. Je ne veux pas... Je ne... Tue-moi, c'est tout.
— Et s'il ne se passe rien ? Je ne veux pas courir le risque de te tuer sans raison.
— Très bien. Alors tue-moi si je commence à massacrer tout le monde, conclus-je.
Il serre le poing et détourne le regard, visiblement songeur. Je sais que je lui demande quelque chose d'énorme mais il est le seul qui puisse m'offrir ça sans être tenté de me faire souffrir. Il est mon seul recours.
— D'accord, finit-il par dire. Je le ferai si le besoin s'en fait sentir.
Je lui lance un regard empli de gratitude et il reprend son pinceau.
Maav « Tigris » Filiss, cinquante-huit ans, tribut féminin du district Huit
Je pourfends, j'attaque, je pare, j'esquive, je fends, je feins. Je me sens bien. Je ne connais rien de mieux que cette sensation, cette adrénaline qui grimpe d'un coup dans mes veines pour me fournir ce bien-être. Je n'ai plus été dans cet état depuis longtemps, très longtemps. Trop, peut-être. Je n'en sais rien. Je sais juste que je me sens dans mon élément et ça me fait le plus grand bien.
Mon adversaire est fort mais moi aussi. Nous avons presque le même niveau mais je suis la meilleure de nous deux. Je le sais. Ça ne peut qu'être ainsi. Nul n'est capable de me battre à l'escrime, je suis tout simplement la meilleure. Bien sûr, il se croit supérieur à moi. Je le vois à ses lèvres trop fines qui s'étirent dans un rictus triomphant, ou à sa balafre déformée par ses sourcils remontant dans un contentement auquel ils ne sont pas habitués. Oh oui, il se pense meilleur. Mais moi je sais que ce ne sont qu'illusions.
Je tente alors un coup avec le pommeau, faisant un tour sur moi-même pour prendre de l'élan. Je l'atteins en plein nez, une zone assez difficile à manquer à vrai dire. Il bronche à peine malgré le bruit qui résonne soudain et le sang qui se met à couler sur son tee-shirt blanc de survêtement. A la place, il attrape la chaîne que j'ai autour du cou et m'étrangle avec. Je me débats mais il fait au moins vingt centimètres de plus que moi et me soulève, je ne touche plus terre.
Il finit par me lâcher en éclatant de rire et je ne le suis dans son hilarité qu'une fois mon souffle repris. J'ai été affreusement idiote. La chaîne, évidemment ! On peut si facilement me tuer avec ça. Avos finit par cesser et se moque de moi :
— Tu ne mets jamais de bijoux et tu commences justement quand il ne faut pas. Tu vas être si facile à tuer, Gueule de Monstre. Ça ne sera même pas drôle.
— Ne pars pas vainqueur d'avance, lui rétorquai-je. Je retiens très vite mes leçons.
Il hausse les épaules et range l'épée à sa place d'un geste brusque. Le message est clair : on en a fini avec l'escrime. Nous avons passé la journée dans les stands offensifs afin de montrer aux autres qu'ici nous sommes les meilleurs. Ça a eu de l'effet en tout cas, nous sommes sûrement passés dans les dangers de l'arène. Ils vont nous craindre, c'est certain.
— Pourquoi tu portes ça, d'ailleurs ? m'interroge Avos.
Je baisse le regard vers le médaillon à mon cou, me mordant la lèvre. Je ne sais pas trop pourquoi je ne l'ai pas jeté à la poubelle. J'aurais dû. Je ne suis pas une sentimentale. C'est l'effet de stress lié au défilé qui m'a fait dire n'importe quoi, je n'aurais jamais accepté de sortir avec Don, sinon. Je soupire. Si, je l'aurais fait. Il faut que je regarde la vérité en face : depuis neuf ans qu'on est amants, il y a un truc qui s'est tissé entre nous. J'aime pas ça mais en même temps... Je ne sais pas. Je me sens stable.
Pourtant, je n'aime pas être stable, putain ! Être stable c'est être faible, avouer qu'on s'attache, entrer dans une routine. Je n'ai jamais vécu la moindre routine, du moins ai-je détesté le peu que j'ai eu, coincée entre deux manteaux de fourrure dans mon magasin qui sent le renfermé et la naphtaline. Et c'est ça le problème. Il est venu ajouter quelque chose en plus à ma vie. Sûrement l'après-rasage, ça sent l'homme parfumé à la naphtaline maintenant.
J'ouvre le médaillon et regarde rapidement la photo avant de répondre à Avos :
— C'est pour me rappeler de dormir gueule fermée.
— Pas mal, l'initiative. Parce que ça schlingue quand tu l'ouvres.
Je lui porte un coup au biceps, en sachant très bien qu'il ne va rien sentir. Je n'ai pas mis de force, ce n'était pas mon but de faire mal. Encore que des fois, j'aimerais bien. Aime bien. C'est pas comme si je me privais.
Il l'attrape et et regarde la photo, lâchant un « Ah putain l'horreur ». Je gronde avec férocité. Qu'il fasse attention à ce qu'il dit, quand même. Il le referme et s'attarde sur l'inscription en lettres cursives. Je reprends violemment le médaillon, en colère. Je n'aime déjà pas cette partie du cadeau alors s'il s'en moque... Bien sûr, ça ne manque pas.
— Don & Tigris ? ricane-t-il froidement. T'es pas sérieuse, là ? Toi et un mec ? Je pensais que t'étais gouine. Et que t'avais personne, d'ailleurs. Quoi qu'il y a ta copine, là... Comment c'est son nom ? Grésilla ? Ah non, Cressida.
Je lui saute dessus d'un bond, le plaquant contre le mur où reposent les nombreuses épées. Je lui enfonce mes griffes dans l'épaule mais tout ce qu'il fait, c'est s'esclaffer encore et encore. Je lui lacère le bras autant que possible mais il a vraiment l'air de n'en avoir rien à foutre. Je continue quand même, il n'a pas le droit de parler de Cressida. Non, ça lui est interdit, il peut se moquer de tout sauf d'elle. Elle est la seule pour qui ça vaut la peine que je me batte, putain !
Je finis par m'arrêter, les yeux humides de rage. On peut se moquer de Don, je sais que s'il l'entendait ça ne lui ferait rien. Mais Cressida est fragile, elle a besoin qu'on la protège. C'est comme ça qu'on s'est rencontrées après tout, quand je l'ai protégée. J'ai laissé tomber ces dernières années mais il faut que je me rattrape. Il le faut à tout prix. C'est mon seul moyen de me racheter.
Avos me fait reculer en me tenant les poignets, son sourire supérieur toujours aux lèvres. Oh, comme j'aimerai le lui faire ravaler !
— Comment oses-tu te moquer de mes proches ? je siffle. Tu aimerais que je parle comme ça de ta famille, peut-être ?
— Eux ? demande-t-il en semblant surpris que j'en parle. Bah vas-y fais-toi plaisir. J'en ai rien à foutre, moi.
Je pince un peu les lèvres. Nous n'avons jamais parlé proches et famille, j'ignore tout des siens. Tout ce que je sais, c'est qu'il a une femme et deux fils. Rien de plus.
— Au pire, complète-t-il, on fait punching-ball à deux sur eux. J'suis quelqu'un de vachement partageur, des fois.
Punching... Non ? Quand même pas ? Avos bat sa femme ? D'un autre côté, ça ne m'étonne pas. Après tout, il n'est pas très aimant, pas très tendre et pas très patient. Ça m'arrive de battre Don, moi aussi. En général c'est pour le plaisir, ça fait du bien de cogner et il ne dit rien. Enfin, parfois il m'en colle une en retour, c'est pas le genre de mec à se laisser faire sagement. Des fois, on en vient à se battre vraiment, les pieds et les poings volent dans tous le sens et on finit par se retrouver sur le lit à danser à l'horizontale sans vraiment savoir comment on est passés de l'un à l'autre.
Mais je ne crois pas qu'il voulait dire qu'ils se battaient l'un l'autre pour ensuite tirer un coup. Encore qu'Avos doit bien aimer tenter de tirer un coup alors qu'elle ne veut pas. Le viol marital, ça me semble bien être son style à lui. Je le vois bien rentrer de boulot, renfrogné et mécontent, frustré d'un boulot dont il ne veut pas mais obligé par son licenciement des Jeux. Je le vois bien passer sa mauvaise humeur à coups de poing sur des enfants amaigris d'une carence alimentaire causée par les privations imposées. Je le vois bien faire taire les faibles protestations de sa femme à coups de poing avant de l'envoyer sur le lit et de la violer sans complexe jusqu'à ne plus avoir le moindre besoin de jouissance.
Ses yeux bleus brillent d'une lueur malsaine, mais pas parce qu'il parle de sa femme. Non, ça m'est directement adressé. Il ne fait que me tester, me dire que ça pourrait être moi, que ça sera moi et qu'il y prendra plaisir. Au fond, c'est ça qui pourrait le faire gagner. Il n'a pas vraiment de sentiments négatifs ou positifs. Juste une soif insatiable de faire du mal aux gens de quelque façon que ce soit. En les frappant. En les sous-alimentant. En parlant de leur meilleure amie presque perdue. Il sait où frapper. Je crois que je l'ai sous-estimé. Il n'est pas que fort, il est aussi intelligent même s'il gâche son potentiel avec sa fermeture d'esprit. A ses yeux, je ne suis qu'une victime, une femme. Un punching-ball, en fait.
Mais il ne se rend pas compte que je ne suis pas comme ça. Moi et sa femme sommes différentes. Elle ne doit être qu'une pauvre créature qui se plaint et se laisse faire. Je suis une combattante. Maav, guerrière dans une ancienne langue. Je suis née pour savoir frapper, moi aussi. Et pour savoir tuer efficacement mes ennemis. Je n'en ai rien à foutre des femmes battues. Qu'elles crèvent sous les coups de leur mari, elles le méritent par leur faiblesse.
Moi, je souris et je réplique avec mordant et amusement :
— J'ai un meilleur punching-ball, sûrement un peu plus résistant que les tiens. Il ose même parfois ouvrir sa gueule pour mieux se la faire fermer. C'est tout de suite moins ennuyeux. C'est ce qui fera sûrement que je gagnerai d'ailleurs. Moi je m'entraîne constamment sur du vivant. Je ne suis pas une lavette qui frappe sur des demi-cadavres sans défense. Tu sais ce qu'est frapper mais je sais ce qu'est se battre. C'est là que se trouvera ta défaite, Avos Kolović.
Il ne répond rien, mais je m'y attendais. Ce n'est pas le genre d'homme à mettre les points sur les i. Il préfère mettre les poings dans la gueule. Je le vois venir, bien sûr. Maintenant que j'ai compris pour de bon son fonctionnement, il ne m'aura plus comme ça. J'attrape son bras et le tord en tournant sur moi-même avant de le faire tomber d'un grand coup dans le creux du genou.
— Salope, crache-t-il, la haine assombrissant ses prunelles froides.
— Tiens, ce n'est plus Gueule de Monstre, maintenant ? demandai-je innocemment en le lâchant.
Il ne répond que par un sifflement agacé et se relève. Je vois qu'il est furieux et au fond je m'en délecte. Peut-être que je suis comme lui après tout. J'aime voir les autres souffrir, blessés en plein cœur par mes propos. Je suis sadique, parfois. Mais ça fait tellement de bien.
Il s'avance à grand pas vers la porte de son ascenseur et manque de renverser la Boule, le tribut du Six. Je crois que c'est le tribut qui a le moins de chance au monde. Personne ne l'aime, il est tiré dans les jeux, il a un costume à la con et maintenant il se retrouve face à un Avos furieux. On pourrait presque faire un feuilleton sur lui, « La vie misérable de la Boule mal-aimée ». Ce n'est pas sûr que ça soit vraiment passionnant mais ça changera de la trois-cent-vingt-sixième saison des « Feux de l'Amour ».
Avos attrape la Boule par le col et celui-ci... Non ? C'est une blague ? Sa vessie, c'est une passoire ou ça se passe comment ? C'est pas possible de se faire dessus aussi souvent, quand même. Avos ne remarque même pas la flaque à ses pieds et soulève les cent-vingt kilos que l'homme doit faire. Je m'approche, les mains dans les poches, mais je n'interviens pas. Ce ne sont pas mes affaires.
— Et toi, fais gaffe à ton cul, menace Avos. Je ne t'ai pas oublié et tu seras le premier de ma liste. Quoi que tu fasses, une fois dans les Jeux, je te trouverai et je m'arrangerai pour que ta tête soit si loin de ton corps que jamais les hovercrafts ne la retrouveront. Pigé ?
Il le lâche quand sa victime bafouille des petits « oui ». Une fois les pieds à terre, la Boule ne se fait pas prier pour partir le plus loin possible de mon allié énervé, dérapant sur son urine au point de tomber. Avos part à grandes enjambées et disparaît derrière les portes coulissantes.
J'ose un sourire. Si je me bats avec ma tête autant qu'avec mon corps, je pourrai gagner. Avos ne m'aura pas appris grand-chose mais j'aurais au moins retenu ça. La victoire sera mienne. Mais pour le moment, je vais surtout aller à mon étage. C'est que ça creuse de s'entraîner à tuer !
Bersalah Sullivan, soixante-quinze ans, tribut masculin du district Onze
Elle est là, à dix mètres à peine. Il faut que j'aille la voir, que j'aille lui parler. Je ne peux pas rester ici à rien faire et pourtant je ne bouge pas. Trop intimidé, je suppose. Ou trop peureux, peut-être. Mais je ne peux pas ne rien faire, c'est mon unique chance de lui dire tout ce que je pense et ce que je ressens. Dans moins d'une semaine, je serai mort. Il ne faut pas que je fasse la bêtise de ne pas y aller. Mais bon sang, c'est si dur ! Et si elle ne comprend pas et me rejette ?
Je la vois parler avec la blonde du Douze et la fille au macaron du Dix. La première est souriante mais pas trop, on sent qu'elle respire la joie de vivre et qu'elle n'a pas dû vivre beaucoup d'épreuves dans sa vie. La deuxième non plus, elle est sautillante, souriante, une vraie puce. Je ne sais pas comment elle fait pour ne pas agacer ma protégée, elles ne se ressemblent en rien.
Je la vois replacer une mèche échappée de sa coiffure derrière son oreille. On va bientôt retourner à nos appartements. Je ne sais pas quand je dois y aller. Est-ce plus prudent d'attendre qu'elle soit seule ou vaut-il mieux avoir des témoins qui pourraient contenir un rejet trop brusque ? J'hésite. Il faut que j'y aille.
J'aimerais tellement ne pas m'en soucier. Crier au travers la salle un puissant « Rosalynde ! » et me précipiter vers elle pour lui expliquer, lui dire qui je suis, lui promettre de toujours la protéger, la prendre contre moi peut-être, rattraper le temps que j'ai perdu. Ou n'en avoir rien à faire, passer mon chemin et me dire que je ne me suis pas porté volontaire pour elle, que je ne veux que m'amuser. Mais tout ça serait faux. Elle est mon pire défaut, ma grande faiblesse, mon seul regret.
Alors je me contente de la regarder à distance, tremblant comme une feuille à l'idée d'échanger trois mots avec elle. Je me sens pitoyable. Je ne suis pas quelqu'un de timide pourtant alors pourquoi ? Pourquoi je suis incapable de faire le moindre pas en avant, de sourire ? Pourquoi je n'arrive pas à être le moi de d'habitude ?
Parce que si je n'avais pas été le moi de d'habitude, je n'aurais pas tout ces regrets, je suppose. Je n'aurais pas eu besoin de cela. Nous aurions vécu ensemble de nombreuses années, nous serions proches. Je ne serais pas dans les Jeux. Bon dieu, qu'est-ce qu'il m'a pris ?
Je suis bête. C'est la seule explication à cela. Je ne suis qu'un gros idiot égoïste qui ne se soucie pas des autres et qui les piétine parfois même. Mon cerveau a dû être gelé à la naissance ou recouvert d'une couche épaisse de codes et de conventions que notre bonne société nous impose et qui ont donné naissance à des générations entières de nombrilistes. Nombrilistes qui sont devenus comme moi des vieillards à la vie remplie de vides et de regrets, cherchant inlassablement leur jeunesse perdue pour ne pas sombrer dans le gouffre de la nostalgie.
J'aimerais pouvoir me racheter et faire enfin quelque chose de bien dans ma vie. De ma vie. Du peu qu'il me reste du moins. Je sais que je dois la protéger. Mais pour ça, il faut d'abord qu'elle accepte que je le fasse. Et pour qu'elle accepte, je dois lui parler. On en revient toujours au même point.
Elle quitte les deux autres femmes pour se diriger vers l'ascenseur où je suis déjà et j'en profite pour la regarder véritablement. Elle est magnifique, avec sa cascade de cheveux blonds qui roule sur ses épaules, ses yeux d'or encadrés de cils argentés et les innombrables diamants qui font scintiller sa peau. J'ai parfois l'impression qu'elle est un mirage. Toute proche mais impossible à saisir.
Elle me jette un regard de travers et je rougis. Elle sait que je la fixe, c'est désormais évident. Sa réaction me le confirme d'ailleurs puisqu'elle me dit sèchement :
— Quoi que tu veuilles, tu ne l'auras pas.
Je reste surpris qu'elle ait compris que je voulais quelque chose. Ai-je été si indiscret ?
— Je ne veux rien, bafouillai-je.
— Bah voyons. Tu ne veux rien. Alors comment expliques-tu les innombrables regards que tu me lances chaque jour depuis la Moisson ? Comment tu expliques la lueur dans tes yeux ? Comment tu expliques qu'un vieux comme toi ait l'air prêt à tout pour une pauvre femme de quarante ans comme moi ?
Je recule sous le choc. Non ! Non, elle interprète mal, ce n'est pas ça que je veux ! Bon sang, je ne suis pas ce genre d'homme qui ne veulent que le corps de femmes de trente ans de moins qu'eux. Comment peut-elle ne pas voir, ne pas comprendre ? Je croyais qu'elle était la meilleure profileuse qui ai jamais existé alors comment peut-elle confondre ma tendresse avec du désir ?
— Je ne suis pas du même acabit que Tigris ou Lirey, je ne me bats pas sans pitié, continue-t-elle. Je ne suis pas Aniousha ou Rika, prête à vendre mon corps comme la première pute venue afin de survivre. Mais je sais une chose. Si jamais tu oses m'approcher, si jamais tu oses me toucher, je te couperai les couilles. Est-ce que c'est bien clair ?
Je déglutis. Elle sait ce qu'elle veut, on ne peut pas le nier. Mais il faut que je nie, je ne peux pas la laisser m'imaginer comme ça. Alors je prends enfin mon courage à deux mains pour répliquer :
— Ce n'est pas ce que je veux ! Je ne suis pas comme ça.
— Alors qu'est-ce que tu veux ? demande-t-elle froidement.
— Je veux te protéger, réussis-je à dire après un moment d'hésitation.
Elle me regarde un moment avant d'éclater d'un grand rire sans joie qui me brise le cœur. Elle se moque de moi. J'avais envisagé des options mais pas celle-ci. Je ne pensais pas qu'elle irait jusqu'à rire. C'est la pire réaction que je pouvais avoir en retour de ma confession et c'est celle qu'elle a. Jamais je ne me suis senti aussi mal, les larmes aux yeux et les jambes n'attendant que de pouvoir fuir.
— Me protéger ? finit-elle par dire entre deux hoquets. Évidemment, c'est logique. Tu veux me protéger. D'ailleurs, c'est ce que les vingt-deux autres veulent, on est pas du tout là pour s'entre-tuer après tout. Tu me prends vraiment pour une débile ? Je sais très bien que tu veux me tuer. Je crois que tu devrais arrêter la manipulation. Visiblement, ça ne te sied pas.
Je baisse la tête, rouge de honte. Et voilà. Le rejet que j'avais tant redouté est arrivé. M'y être attendu ne change rien au froid mordant qui me brûle de l'intérieur. La douleur est peut-être même pire quand elle est anticipée. J'aimerais pouvoir la convaincre de ma bonne foi mais elle voudra des preuves irréfutables et elle n'en aura pas.
Les portes s'ouvrent et elle part la première, bousculant notre mentor qui glapit en manquant de tomber en arrière sur le coup. Je vais la relever en soupirant et elle me regarde avec de grands yeux paniqués. Je l'assois sur le canapé, elle se débat en hurlant que je ne l'aurai pas. Je lui prends la main et lui annonce :
— Vous savez, Katniss, Rosalynde est devenue amie avec la femme du district Douze.
Ça semble l'apaiser car ses muscles se détendent un peu et son visage laisse entrevoir comme un début de sourire. Elle en aurait un bien plus joli si ses yeux n'étaient pas dilatés et cernés. Mais elle semble se faire beaucoup de soucis. Moi qui ai toujours vu des jeunes de son âge pleins de joie de vivre, cela me brise le cœur.
— Elle est alliée avec elle ? demande-t-elle.
— Je ne suis pas sûr, avouai-je. Je ne suis pas resté avec elles. Mais elles ont beaucoup parlé et sont restées ensemble une bonne partie de la journée, avec la femme du Dix en plus.
— Ça ne m'étonne pas. Prim a toujours eu un don pour se faire aimer des autres. Avec des alliés, elle peut gagner.
— Mais elle ne s'appelle pas Prim..., pensai-je à voix haute, surpris.
Katniss se redresse d'un coup et me plaque contre le canapé, un couteau appuyé contre ma gorge. J'écarquille les yeux de stupeur et de peur. Mais qu'est-ce qu'il lui prend ? Je ne me rappelle plus le nom de la tribut, mais je sais que ce n'est pas Prim quand même. Je n'ai rien dit de mal.
— Elle s'appelle Prim, siffle l'ancienne gagnante. Je la connais depuis quatorze ans. C'est ma sœur. Alors n'essaie pas de m'avoir par tes manipulations, homme du Capitole. Je sais qui elle est. Et jamais tu ne me feras l'oublier.
Je hoche la tête et elle me lâche enfin avant de fondre en larmes en geignant après sa petite sœur. Je préfère me lever et partir à la table du dîner. Elle est folle. La fille du feu est folle. Jamais je ne l'aurais cru. Même les jeunes femmes fortes perdent la raison. Où va donc le monde ?
Le repas est silencieux jusqu'au dessert, où notre mentor nous rejoint. Elle s'assoit sur sa chaise qui racle le sol et nous regarde tous deux un long moment, puis finit par coasser :
— Bersalah m'a dit que tu avais passé la journée avec Prim, Rosalynde.
Celle-ci me lance un regard de travers qui me fait détourner les yeux mais ne semble pas plus déphasé par la confusion entre la tribut et la sœur. Peut-être l'avait-elle déjà constaté ou peut-être ses dons de profileuse l'auront aidé.
— Je suis alliée avec elle, en effet, répond-elle. C'est une jeune femme très bien et très forte. Mais très fragile aussi. C'est ce que j'aime bien chez elle, elle a ce besoin d'être protégée.
— Alors je compte sur toi pour la protéger du mieux que tu peux. En revanche, fait-elle en se tournant vers moi, je ne veux pas que Bersalah l'approche.
Voilà encore autre chose. Je ne bronche même pas, pas envie. Je ne fais que m'en prendre plein la figure ce soir. Ce n'est pas ma journée mais demain ira sûrement mieux. Il faut juste que je m'adapte à tout ça. Je ne suis pas fait pour vivre dans ce genre d'ambiance alors je suis perdu. Je dois certainement trouver des points de repères pour aller mieux.
— Il ne nous approchera pas, assure Rosalynde. Barcy et moi y veilleront.
Ça rassure notre mentor qui mange un peu avant d'aller tout vomir. Rosalynde profite de son absence pour me défier du regard. Je tente de ne pas ciller mais elle est dure, forte et déterminée. Je ne peux rien contre ça. Je détourne les yeux.
Je n'imaginais pas que les choses se passeraient comme ça quand je me suis porté volontaire. Je pensais juste qu'elle me tomberait dans les bras en demandant ma protection face à toutes ces brutes. Que ce soit l'inverse me surprend et ne me rassure pas forcément.
Mais qu'importe finalement. Je la protégerai quand même. Je ne veux pas qu'elle tombe dans la dure réalité des Hunger Games. Je veux qu'elle vive. Quitte à y laisser la vie.