Joyeux Noël tout le monde ! Voici mon cadeau de moi à vous en ce jour du 25 décembre, une petite overdose de guimauve (non, ne me remerciez pas, vous allez sans doute vous étouffer avec).

C'est donc l'épilogue de cette histoire. Merci à tous d'être restés jusqu'au bout, de m'avoir incessamment soutenue, épaulée, donné des coups de pieds au cul, d'avoir regardé Hannibal après avoir lu cette fic et d'avoir apprécié, de m'avoir envoyé tant de reviews, d'avoir mis cette histoire dans vos favoris, vos alertes, et moi aussi dedans en passant. MERCI. Je vous aime.

Merci à ma Ongi-chan chérie d'avoir lu et approuvé chaque chapitre, de m'avoir dit quand c'était de la merde (et c'était souvent de la merde), de m'avoir aidée à me sortir du scénario où je m'étais entortillée, et merci d'avoir crié presque chaque jour depuis que j'ai commencé "bon alors ?! T'écris IOU ?!". (Comme quoi, l'opiniâtreté paie!)

Je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d'année à tous, et j'espère qu'on se reverra bientôt pour une nouvelle histoire, qui sait ?

Note 1 : Il n'y a pas de Meert à Londres (ou probablement pas), je sais. (Dommage pour eux, hin hin hin!)

Note 2 : Le nom mentionné en passant de l'enseigne Bargelony appartient à Epice (Joyeux Noël à toi, si tu passes par ici!) et à sa génialissime histoire Hot Chili, trouvable sur fiction press. Courez la lire !

Voilà ! Bonne lecture à tous, et encore merci !


Everything about IOU

Épilogue

.oOo.

Lorsque John ouvrit les yeux, Sherlock n'était pas là.

Il réprima un bâillement, et se redressa sur les coudes, avant de tapoter le drap du côté de Sherlock – froid. Levé depuis longtemps, visiblement. John haussa un sourcil – c'était plutôt rare, quand Sherlock se levait avant lui. C'était lui le plus lève-tard des deux, car il passait souvent la moitié de sa nuit debout à faire des expériences ou des recherches, et John, qui gardait les habitudes d'un passé militaire, se levait souvent aux aurores. Il préparait son café, un thé pour Sherlock, le petit-déjeuner, et généralement, Sherlock apparaissait quand il arrivait aux trois-quarts de son journal. Il embrassait John presque machinalement, puis s'installait en face de lui sur la table et buvait son thé tiédi en mangeant ses toasts – John lui lisait les articles qui retenaient son attention, et Sherlock les critiquait avec véhémence. Puis John refermait son journal, et alors que Sherlock continuait à disserter sur les articles qui avaient retenu son attention, il levait les yeux vers lui et l'observait en souriant.

C'était leur petite routine, et elle variait assez peu souvent, quand ils n'étaient pas sur une enquête ; parfois, quand John était de bonne humeur, il lui apportait le petit-déjeuner au lit (mais assez rarement, car il détestait retrouver des miettes de pain dans les draps, et Sherlock semblait fondamentalement incapable de manger proprement). Et d'autres fois, il était malade, et Sherlock s'occupait de lui tant bien que mal ; il avait fini par s'y faire, au fil des années, mais au début, il était évident que Sherlock Holmes n'avait jamais pris soin de personne d'autre que de lui-même – et même cette dernière assertion était fortement contestable.

Et puis, il y avait une autre occasion, un jour particulier dans l'année, où Sherlock se levait immanquablement plus tôt que lui. John calcula rapidement dans sa tête ; quel jour était-on ? Oui, c'était aujourd'hui.

Légèrement inquiet, il se leva, et enfila sa robe de chambre en se demandant ce que ce serait, cette année. Sherlock n'avait pas manqué d'idées, les années précédentes – il y avait eu l'enquête sur le clown dérangé qui avait manqué de les faire tuer tous les deux, le week-end à la campagne qui s'était transformé en course poursuite en voiture, le restaurant où Sherlock avait mis un somnifère dans le verre des clients trop bavards de la table voisine, et comment oublier l'année où il avait attendu le retour de John vêtu d'un simple tablier pour tout vêtement (un conseil probablement donné par Miss Adler), et que celui-ci était arrivé accompagné de Mrs Hudson... (La logeuse avait hurlé de rire, et Sherlock avait été tellement vexé qu'il ne leur avait pas adressé la parole pendant deux semaines entières, y compris le jour de Noël.)

Il ouvrit la porte, appréhendant légèrement ce que lui réservait cette journée – mais au moins, le salon semblait relativement normal. Il n'y avait pas de restes humains dans le frigo, et Sherlock avait même préparé du thé, encore vaguement tiède dans la théière, ce qui indiquait qu'il était sans doute sorti environ une heure avant.

Rien d'autre dans l'appartement ne put lui fournir d'indice sur le déroulement de la journée, et il n'eut pas d'autre choix que d'attendre le retour de Sherlock – sauf que celui-ci ne revenait pas.

John ne s'inquiétait plus des départs inopinés de Sherlock, pour la bonne raison que celui-ci ne partait plus jamais nulle part sans lui. John avait eu l'impression de passer d'un extrême à l'autre en peu de temps, mais Sherlock avait pris la décision de se lancer sérieusement dans cette histoire, et le moins qu'on pouvait dire, c'est qu'il ne le faisait pas à moitié.

Au début, John ne pensait pas que ça se remarquerait. Même avant d'être en couple (il avait bien fallu au moins un an avant qu'il arrête de glousser nerveusement en pensant à ce mot), il suivait déjà Sherlock comme son ombre, quand celui-ci le laissait faire, et les gens était habitués. Pourtant, à sa grande surprise, le jour de Noël, à savoir moins de quinze jours après que Sherlock soit venu le chercher chez Harry et qu'ils aient posé un nom (couple) sur ce qu'il y avait entre eux, Lestrade avait pris John à part et lui avait demandé, sur le ton de la confidence :

- Vous... Vous êtes en couple, maintenant ?

Couple.

John avait été tellement éberlué par sa perspicacité qu'il n'avait même pas souri à la mention du mot.

- C... Comment tu...?

- Oh, avait répondu Lestrade en haussant les épaules, je ne sais pas, je... Vous avez l'air plus... détendus, c'est le mot. Et souriants. Ça fait au moins six mois que vous êtes sans cesse sur les nerfs, et maintenant, toute la tension a disparu.

- Impressionnante déduction, avait marmonné John, les dents serrées.

Ce n'était pas vraiment de cette façon qu'il tenait à faire son coming-out, mais après tout, Lestrade était un ami proche, et il ne paraissait absolument pas se soucier du fait qu'il ait subitement retourné sa veste hétérosexuelle pour se mettre en couple avec son colocataire, et John haussa mentalement les épaules.

- Oui, on... Oui. On est en couple.

Il n'avait pas pu s'empêcher de sourire, cette fois.

- Pour l'instant, du moins.

- Comment ça ?

- C'est Sherlock, pas vrai ? On ne sait jamais ce qui se passera ensuite, avec lui.

À vrai dire, après tout ce que Sherlock lui avait faire subir, il ne s'attendait pas à ce que la vie de couple avec lui soit simple, et il s'était préparé en conséquence – pour rien. Être l'amant de Sherlock Holmes était en tout point pareil au fait d'être son colocataire, sauf qu'il y avait beaucoup plus de sexe, et que c'était donc beaucoup plus facile de se réconcilier après une dispute.

En réalité, le changement le plus notable de tout cette histoire était Sherlock lui-même – comme si son attitude presque brutale à l'égard de John pendant les mois qui avaient précédé leur mise en couple tenait surtout du fait qu'il allait à l'encontre de tous ses instincts. Et quand la barrière qu'il avait érigée était tombée, John avait été stupéfié de découvrir que non seulement Sherlock Holmes était capable d'avoir des gestes de tendresse, mais qu'en plus, il n'en était pas avare. Il embrassait John quand celui-ci revenait à l'appartement après être sorti, il passait sa main dans ses cheveux quand John était installé à l'ordinateur, et la nuit, il le serrait dans ses bras jusqu'à s'endormir, tandis que John mourait de chaud de son côté.

Quand John avait prudemment évoqué ce côté curieux de sa personnalité, auquel il n'avait pas été habitué, Sherlock avait demandé d'un ton revêche si ça lui posait un problème – ce à quoi John s'était empressé de répondre que non. Il préférait encore mourir étouffé sous ses caresses que de subir à nouveau la traversée du désert qu'il avait vécu avant qu'ils ne soient ensemble.

Contre toute attente, donc, John avait vu les années défiler sans que les sentiments ne s'effritent et sans que les problèmes n'apparaissent. Contre toute attente, ils formaient un couple stable, aux fondations solides – John avait presque envie de rire en songeant qu'il avait envisagé de passer sa vie avec Mary ; il y avait quelque chose de légèrement effrayant à l'idée qu'il aurait pu rater sa vie dans de telles proportions, en continuant à nier le fait que la personne qui était faite pour lui n'était pas sa future femme, mais son ex-colocataire. Il bénissait Harry de lui avoir fait toucher du doigt la réalité de la chose.

En ce qui les concernait, elle et son ex-fiancée, Harry était parvenue à ses fins de séduction environ six mois après John – mais après un an d'entente, Mary et elle s'étaient séparés. Puis elles s'étaient remises ensemble. Puis séparées à nouveau. Et là, d'après ce que lui en avait dit Mary, elles avaient décidé de se donner mutuellement une autre chance peu de temps auparavant – John, en lui-même, se demandait combien de temps ça durerait, cette fois.

Au début, il n'était pas enchanté à l'idée de voir Mary partager la vie de Harry, car, sans compter le fait que voir son ex-fiancée sortir avec sa sœur était une situation très bizarre, il n'avait pas particulièrement envie de se remettre à fréquenter Mary – trop de passif. Mais il s'était finalement rendu compte que toute la rancune que Mary avait pu entretenir contre lui avait fondu comme neige au soleil, et que son rapprochement avec Harry ne participait pas non plus d'un moyen subtil pour essayer de se rapprocher de lui à nouveau. Ils avaient donc pu devenir amis, et quoi que la situation ait été un peu bizarre au début (pour lui et pour Sherlock, dont les yeux lançaient des éclairs quand il les posait sur Mary, ou quand il entendait son nom), finalement, tout le monde s'était habitué assez rapidement. Les repas de Noël réussissaient même à être conviviaux.

Tout compte fait, il n'y avait pas réellement eu de changement dans leur vie. Mrs Hudson était toujours là, sa hanche légèrement plus douloureuse qu'auparavant. Irene Adler s'était mariée aux États-Unis, mais elle continuait à flirter avec Sherlock par sms. Lestrade avait divorcé ; il avait eu, dans un moment de confusion émotionnelle, une relation passagère avec Molly Hooper, qui s'était de toute façon terminée très rapidement (mais pas assez vite pour leur épargner les réflexions moqueuses de Sherlock), puis il était sorti avec une jeune femme qu'il avait rencontrée au supermarché, avant qu'ils ne finissent par rompre à leur tour. À présent, il était de nouveau célibataire, et passait tout son temps libre avec Mycroft Holmes – une association étrange qui n'avait pas manqué de faire hausser les sourcils à John, mais Greg lui avait répondu que Mycroft pouvait être quelqu'un de très gentil quand on le connaissait vraiment.

John avait haussé prudemment les épaules, préférant ne pas trop en dire sur le sujet. Il n'avait jamais vraiment eu d'atomes crochus avec Mycroft, et surtout, il ne lui avait jamais pardonné le fait de lui avoir caché que Sherlock était en vie. S'il parvenait à se faire des amis, tant mieux pour lui, mais en ce qui concernait John, moins il le voyait, mieux il se portait.

Mycroft, toutefois, en digne frère, lui avait fait un petit discours pour lui avertir qu'il ne tenait pas particulièrement à voir un Sherlock au cœur brisé à la suite d'une rupture, ce à quoi John lui avait poliment répliqué que déjà, il n'avait pas l'intention de rompre, et qu'ensuite, après tout ce que Sherlock lui avait fait subir, entre sa fausse mort et tout ce qui avait suivi, il avait une certaine marge avant qu'ils en soient quittes. Mycroft avait reniflé d'un air dédaigneux et n'avait pas répondu.

Celui dont John n'avait plus de nouvelles, en revanche, c'était Will Graham. À sa sortie de l'hôpital, Sherlock était allé le voir chez Hannibal Lecter ; selon lui, Will s'y trouvait de son plein gré, Hannibal prenait soin de lui et tout allait bien. John ne voyait pas comment tout pouvait aller bien avec Hannibal Lecter, mais Will avait refusé d'en dire plus.

Il était repassé les voir ensuite à l'appartement, une fois totalement guéri, pour les remercier de l'avoir logé et pour s'excuser des problèmes qu'il avait causés. John avait essayé de comprendre ce qui s'était passé, mais Will avait secoué la tête, un sourire vague sur les lèvres.

- Il s'est montré plus fort que moi, c'est tout. Ne vous en faites pas, avait-il ajouté en voyant John sur le point de le couper ; je sais que ça donne l'impression que je suis dans une situation abominable, mais il m'a rendu une chose à laquelle je tenais énormément et que je croyais perdue à jamais, et pour la protéger, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Et puis, ce n'est pas si terrible, au fond. Il suffit que je m'imagine être en train de manger du veau ou du lapin.

John s'était senti révolté, mais il savait parfaitement qu'il n'y avait rien à faire ; en dépit des accusations de Will, même si on avait passé son appartement au peigne fin, rien n'aurait été suffisant pour le faire incarcérer – Will s'en était assuré lui-même.

Par la suite, ils avaient disparu tous les deux. Ils étaient peut-être retournés aux États-Unis, ou peut-être qu'ils étaient partis ailleurs – quoi qu'il en soit, ils disparurent brutalement de la circulation, et ni Sherlock, ni l'ex-patron de Will, Jack Crawford, ni le FBI ou Scotland Yard ne furent capables de retrouver leurs traces. Il n'y eut plus de meurtre de l'Éventreur de Chesapeake sur le sol américain, et aucun mentionné sur le sol anglais – mais Sherlock et John étaient certains qu'il devait y avoir d'autres meurtres qu'on n'avait pas pu relier à lui et qui devaient pourtant être de son fait.

John pensait souvent à eux – surtout à Will. Peut-être que ce dernier était mort, quelqu'un part, finalement tué par Hannibal. Peut-être qu'ils vivaient tranquillement ensemble dans un village isolé et qu'ils mangeaient du poisson et du chevreuil au menu. Peut-être qu'Hannibal avait converti Will en tueur et qu'ils chassaient l'humain tous les deux, avant de le manger. Ce n'était pas une idée très réjouissante, mais il aurait aimé savoir ce qu'il en était. Mais Sherlock lui avait dit un jour qu'on ne pouvait pas tout connaître, et John n'avait pas d'autre choix que de se résoudre à ne pas savoir le fin mot de l'histoire. Il espérait juste que Will allait bien, où qu'il puisse être.

Quoi qu'il en soit, pour l'instant, c'était Sherlock qui était aux abonnés absents, et le fait de ne pas l'avoir sous les yeux, s'il ne l'inquiétait plus comme avant, ne lui plaisait toujours que moyennement. Lorsqu'il sortit de la douche, il n'avait toujours pas de nouvelles de lui, et il commençait à se demander s'il était censé partir à sa recherche ou s'il valait mieux qu'il continue le livre qu'il avait commencé la veille.

Finalement, vers dix heures, il reçut un sms.

S.H : Tu as déjà pris ton petit déjeuner ?

John haussa un sourcil. Il avait juste pris un café ; quand Sherlock n'était pas là pour le partager avec lui, le petit déjeuner avait singulièrement moins d'attrait.

Non. Pourquoi ?

Bon. Je pense que ton blog a une nouvelle entrée. S.

John fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il avait encore fait, cet abruti ?

Avec appréhension, il ouvrit son ordinateur portable, attendit impatiemment qu'il s'allume, et fonça vers son propre blog, où il y avait effectivement une nouvelle entrée, constituée d'une seule ligne, qui le laissa perplexe.

Afghanistan Or Iraq ?

Il relut deux trois fois, tout aussi déboussolé que les commentaires qui fleurissaient déjà sous le post, et attrapa son téléphone, agacé.

Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?

Il attendit, attendit, mais Sherlock ne répondit pas – le message était clair : il fallait qu'il se débrouille lui-même. Bon. Soit. Afghanistan Or Iraq ?

Dubitatif, il ouvrit un nouvel onglet et tapa deux simples mots dans la barre du moteur du recherche.

SH FANS

Ça faisait des années qu'il n'y était pas retourné, et il y avait de fortes chances que le site soit tombé dans les oubliettes du palais mental de Sherlock, mais là, tout de suite, c'était la seule chose qui lui venait en tête, et ça ne coûtait rien de vérifier.

Et là – miracle ! Il avait eu raison. IOU avait posté un message dans un nouveau topic, une heure plus tôt.

Meert, Shaftesbury Av, 11h. La table ronde près de la fenêtre la plus éloignée de l'entrée.

John cligna une nouvelle fois des yeux sans comprendre, avant de réaliser que Sherlock était probablement en train de lui donner rendez-vous, là. Meert, c'était le nom de cette petite pâtisserie flamande dans laquelle ils étaient allés une fois ensemble ; c'était là qu'il avait vu pour la première fois de sa vie Sherlock faire le gourmand en commandant plusieurs petites délicatesses qu'il avait avalées les unes après les autres.

Bon. Si c'était ce que Sherlock voulait, il n'allait pas refuser. Il se leva, enfila sa veste, attrapa son téléphone et son portefeuille, et sortit de l'appartement.

Il prit le métro jusque Piccadilly Circus, remonta Shaftesbury Avenue, dénicha la petite boutique dont la façade était décorée façon art nouveau, et d'un pas plein de circonspection, entra à l'intérieur.

Il n'y avait pas foule dans la boutique, comme c'était le cas la dernière fois qu'ils étaient venus, un samedi après-midi en été ; néanmoins, pour un jeudi matin de décembre, il y avait quand même assez de place pour que la plupart des tables mises à disposition se retrouvent occupées, à part une petite table ronde d'une personne, installée près de la vitre la plus éloignée de la porte. Sherlock, quant à lui, n'était pas là. John eut beau scruter la boutique, l'extérieur, les alentours, il ne l'aperçut pas.

Étouffant un soupir de dépit, il s'installa à la petite table que Sherlock lui avait indiquée. Une vendeuse blonde surgit à côté de lui aussi brusquement que si elle était apparue par magie.

- John Watson ?

- C'est moi...?

- Si vous voulez bien patienter une petite minute.

Patienter ? Pourquoi ? Il ne pouvait même pas commander ? Non, évidemment – c'était sans doute compris dans le plan de Sherlock.

Il n'eut pas à attendre longtemps, toutefois – la serveuse fut de retour une demi-minute plus tard avec un plateau dans les mains.

- Voilà pour vous !

- M... Merci, répondit John, stupéfait.

Le plateau contenait un jus d'orange pressé, un chocolat chaud viennois, et une assiette gourmande contenant trois macarons de couleur différentes, une petite tartelette au citron, un minuscule pain aux raisins, et un fortune cookie qui jurait avec l'ensemble coquet du reste.

Intrigué, John dégaina son téléphone portable.

J.W : C'est quoi, ça ?

S.H : Un petit déjeuner. Elle n'a pas oublié le fortune cookie ?

J.W : Non, il est là...

S.H : Bon. Alors bon appétit.

J.W : Je croyais que tu mangerais avec moi.

S.H : Ce n'est pas mon petit-déjeuner.

Certain que Sherlock ne lui dirait rien de plus, John haussa les épaules, et commença à manger le petit-déjeuner que Sherlock avait préparé pour lui – car il était évident que c'était lui qui avait passé commande : John y retrouvait tout ce qu'il aimait dedans. À part le fortune cookie, qui avait pourtant été la seule chose sur laquelle Sherlock avait insisté.

Il décida de ne pas laisser la curiosité prendre le dessus sur lui, et termina d'abord tout son petit-déjeuner avant de ne plus résister à la tentation, et de craquer délicatement le biscuit surprise. Il en mangea la moitié, et tira de son autre moitié creuse une petit papier plié.

Il s'attendait à une prédiction un peu ridicule comme il y en avait toujours dans les fortune cookies, telle que "vous allez bientôt partir en croisière", ou "rien de nouveau sous le soleil", mais le papier contenait un message très différent.

Bargelony, Oxford Street, entre 11h et 15h.

John haussa un sourcil intrigué – c'était ça, ce que voulait Sherlock, cette année ? Le lancer sur une chasse au trésor ?

Bon. De toute façon, ce n'était pas comme s'il avait mieux à faire pour aujourd'hui.

Lorsqu'il s'approcha du comptoir pour régler son petit déjeuner, la serveuse blonde refusa avec empressement, en indiquant que tout avait déjà été réglé d'avance.

J.W : Merci.

S.H : Tu as ouvert le biscuit ?

J.W : Oui. Tu comptes me dire ce que tu as en tête ou non ?

S.H : Non.

J.W : Je m'en doutais.

Il appela un taxi pour l'emmener jusqu'à l'entrée d'Oxford Street, et se retrouva à arpenter la rue en cherchant de tous les côtés une boutique qui porterait le nom de "Bargelony" – du moins, il supposait qu'il s'agissait d'une boutique. Il n'avait jamais entendu le nom de sa vie, mais si c'était situé sur Oxford Street, il s'agissait probablement d'un magasin.

Les décorations de Noël étaient en place, mais il n'était que 12h30, et elles n'étaient pas allumées.

- Excusez-moi, interpella-t-il un passant, vous sauriez où se trouve Bargelony ?

Le passant, qui était une passante, eut un rire étouffé par son écharpe, et leva une main gantée vers une enseigne à dix mètres d'eux, où scintillait le nom "Bargelony" en lettres dorées. John sentit le frisson du ridicule lui courir sur la colonne vertébrale, mais il réussit tout de même à forcer un sourire sur son visage.

- Merci.

Des mannequins en silicone montaient la garde derrière la vitrine. Ils étaient vêtus de costumes dont la cravate seule devait coûter un mois de salaire, et John n'osait pas imaginer pour quelle raison Sherlock l'avait envoyé ici.

Il poussa la porte avec hésitation, et maudit les grelots de trahir sa présence. Le magasin – une boutique étroite, aux murs et aux plafonds blancs – était entièrement vide, à part un vendeur qui se tenait près de la caisse.

- Bonjour, monsieur, puis-je vous aider ? demanda-t-il en s'avançant vers John, l'air avenant.

John ouvrit la bouche avant de la refermer, confus. Il n'avait aucune idée de ce qu'il venait faire ici, et il ne savait absolument pas quoi répondre à la question. "J'ai trouvé l'adresse dans un biscuit, alors je suis venu" ? Allons bon.

- Euh...

- Oh, vous devez être John Watson, n'est-ce pas ?

John s'efforça de réprimer le soupir de soulagement qui menaça de lui échapper.

- Oui, c'est ça.

- Très bien, ne bougez pas !

Le vendeur s'élança vers la caisse, fouilla un moment derrière le plan de travail, et en ressortit un sac en carton, couleur blanc verni, qu'il lui tendit avec un sourire.

- C'est... pour moi ?

- Oui. Vous pouvez l'essayer ici, si vous avez peur qu'il ne soit pas à la bonne taille, mais puisque c'est du sur-mesure, je pense qu'il n'y aura pas de problème.

- Du... sur-mesure ? répéta John d'un air stupide.

Comment ça, du sur-mesure ? Sherlock n'aurait quand même pas...

Oh. Le saligaud. John se rappelait qu'il avait effectivement pris ses mesures presque deux mois auparavant – soit disant pour une enquête. Et maintenant...

Il jeta un coup d'œil hébété au sac.

- Je... Je n'ai rien à...?

- Tout a déjà été payé, répondit le vendeur.

- Oh. D'accord. Je vois.

Il fixa le sac d'un air interdit, et le vendeur haussa un sourcil.

- Quelque chose ne va pas, monsieur.

- Non, rien du tout. Il n'y a pas... Je veux dire... Sherlock... parce que c'est Sherlock Holmes qui vous l'a commandé, n'est-ce pas ? Sherlock n'a pas laissé de message ?

- Si, sur une carte de visite agrafée au sac. La voilà, répondit l'homme en lui montrant la carte du doigt.

John releva le sac pour la lire plus facilement.

Félicitations pour cette nouvelle acquisition, John ! Tu peux à présent retourner à Baker Street pour l'étrenner. Je te suggère ensuite de regarder dans le tiroir du haut de la table de chevet.

John leva les yeux au ciel – mais il souriait.

- Merci, dit-il au vendeur, avant de sortir de la boutique.

Dans le taxi du retour, il ne put s'empêcher de jeter un œil à l'intérieur du sac plastique, mais les bords étaient agrafés et il ne vit qu'une vague forme sombre qui ne le renseigna pas plus sur le contenu.

Lorsqu'il arriva à l'appartement, dévoré de curiosité, il se précipita dans les escaliers à toute allure avant de gagner la chambre et d'ouvrir enfin le paquet.

Sherlock semblait avoir mis les petits plats dans les grands. Avait-il emprunté de l'argent à Mycroft pour lui faire ce cadeau ? Quoi qu'il en soit, John avait sous les yeux un costume qui devait certainement coûter trois fois leur loyer mensuel.

Le costume, extrêmement doux au toucher, était composé d'une veste et d'un pantalon bleu marine aux reflets changeants, d'une chemise bleu-gris probablement en soie – John n'y connaissait pas grand-chose, mais ça y ressemblait, en tout cas – d'un gilet aux boutons argentés assortis à ceux de la veste, et d'une cravate bleu clair à fines rayures foncées.

Il retira avec attention les épingles de la chemise, et enfila le complet, éprouvant un étrange sentiment de délice alors qu'il glissait ses bras dans la douce chemise de soie. Le miroir de la garde-robe lui renvoya l'image d'un homme mieux habillé qu'il ne l'avait jamais été, mais ses pieds nus lui rappelèrent que les plus belles chaussures qu'il avait risqueraient de paraître singulièrement miteuses à côté du splendide ensemble.

Il se rappela soudain que Sherlock lui avait dit de regarder dans le premier tiroir de la table de chevet, et ce qu'il découvrit en l'ouvrant stoppa son cœur pendant un bref instant – un écrin.

Non. Quand même. Il n'aurait pas... Il... C'était John qui se faisait des idées, Sherlock ne... Et puis, de toute façon, qui offrait une bague de fiançailles en lui disant de regarder dans la table de chevet ?

Sherlock en aurait été capable, songea John rapidement.

Il saisit l'écrin en ordonnant à son cœur de battre à nouveau à sa vitesse normale, et l'ouvrit avec mille précautions.

La déception qui le saisit lorsqu'il découvrit qu'il ne s'agissait absolument pas d'une bague de fiançailles fut puissante, sur l'instant – mais elle passa vite devant la splendeur des boutons de manchettes qu'il avait devant les yeux. Ils semblaient anciens, faits d'ivoire, avec un petit diamant incrusté au centre, qui brilla à la lumière lorsque John l'éleva pour mieux l'observer.

Des boutons de manchettes – effectivement, sa chemise n'en avait pas. Pas comme les autres chemises de John, où les manchettes se fermaient avec de simples boutons à pression...

Il avait l'impression d'être entré par erreur dans un autre monde. Il avait souvent eu cette impression aux débuts de sa colocation avec Sherlock Holmes – Mycroft et les virées en hélicoptère jusque Buckingham Palace y contribuaient grandement – mais il avait fini par s'habituer, petit à petit. Toutefois, Sherlock ne l'avait jamais habitué au luxe. Certes, les vêtements qu'il portait étaient généralement de bonne qualité et devaient coûter assez chers, mais il ne faisait jamais ses achats avec John, tout comme celui-ci préférait aller acheter ses chemises tout seul.

C'était donc une étrange sensation pour lui de porter des vêtements qui semblaient valoir plus cher que lui-même.

Lorsqu'il reposa l'écrin, il aperçut un petit bout de papier glissé à l'intérieur, qu'il avait totalement occulté en découvrant les magnifiques boutons de manchette. Avec précaution, il l'extirpa, puis le déplia pour le lire – il ne faisait nul doute qu'il s'agissait d'un autre message de Sherlock.

Une fois encore, celui-ci était plutôt concis.

Va jeter un œil dans la garde-robe.

La garde-robe était celle de Sherlock. John avait un placard pour ses propres vêtements, mais il avait appris à ses dépens qu'il ne fallait pas toucher à la garde-robe s'il ne voulait pas subir le courroux de Sherlock pour avoir dérangé ses chemises rangées par couleur ou ses cravates triées par motifs.

Un peu étonné, donc, il suivit les instructions du message, et ouvrit la porte, curieux de savoir ce qu'il allait découvrir, cette fois.

Sherlock avait repoussé toutes ses chemises sur le côté, pour faire de la place à ce que John identifia comme un manteau, à première vue : il saisit le cintre, et observa, bouche bée, le pardessus que Sherlock lui avait choisi pour aller avec son costume. Il était long, mais moins toutefois que le manteau habituel de Sherlock. Il était d'un gris perle, très bien coupé, accompagné d'une écharpe (probablement) en cachemire, de couleur anthracite. Alors qu'il remettait le cintre sur le portique pour pouvoir enlever l'écharpe et le manteau en douceur, il aperçut les chaussures noires vernies sagement posées en bas de la garde-robe, et la paire de chaussettes qui trônait fièrement à côté.

Sherlock voulait-il l'habiller des pieds à la tête ?

J.W : T'as oublié le caleçon.

S.H : Tiroir du haut de ton placard.

John poussa une exclamation étouffée, et ouvrit ledit tiroir, où un boxer gris au liseré argenté flambant neuf l'attendait au dessus de ses slips blancs usés.

J.W : ... Je suis sans voix.

J.W : ... Merci.

S.H : Tu as trouvé le mot sous les chaussures ?

Encore un ?

Intrigué, John souleva les chaussures. Un autre message était inscrit sur une petite carte de visite.

221A Baker Street.

John haussa les sourcils, perplexe.

J.W : ...Mrs Hudson ?

S.H : Habille-toi avant d'aller la voir.

Haussant les épaules, John reposa son téléphone, et enfila les chaussettes, les chaussures et le pardessus... avant de tout enlever à nouveau et changer son vieux slip noir un peu troué sur les bords par le slip gris flambant neuf que Sherlock avait caché dans son tiroir.

Cinq minutes plus tard, il descendait les escaliers pour aller frapper à la porte de sa logeuse, et Mrs Hudson lui ouvrit avec un regard émerveillé.

- John ! Mon dieu, que vous êtes beau !

- Merci, Mrs Hudson, répondit-il, extrêmement embarrassé. Vous savez à quoi ça rime, tout ça ?

- Vous connaissez Sherlock. Vous croyez qu'il me tient au courant de ses plans ?

Malgré tout, l'expression rieuse qui se lisait dans ses yeux indiqua à John qu'elle ne disait probablement pas toute la vérité.

- Je ne sais pas pourquoi je suis là, avoua-t-il tout à trac.

- Ne vous inquiétez pas, je le sais. Installez-vous ! Vous prendrez bien un petit thé ? Le taxi ne part qu'à 15h30.

- Le taxi ?

- Oh ! Attendez, je dois vous donner l'enveloppe.

Au final, ce fut deux enveloppes qu'elle lui tendit, l'une qui portait la mention "à donner au chauffeur de taxi", et l'autre "16h22, n°9040. Prends ta carte d'identité".

- Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda John en fronçant les sourcils.

La deuxième enveloppe était plus lourde que la première, mais le papier était trop épais pour lui permettre de voir ce qu'elle contenait. Mrs Hudson haussa les épaules.

- Vous verrez bien quand vous y serez. Vous avez déjeuné ? Il est déjà quatorze heures. Vous voulez que je vous fasse à manger ?

- J'aurais peur de tâcher le costume...

- Allez l'enlever, vous le remettrez avant de partir !

Le petit déjeuner semblait déjà loin, et John n'hésita que brièvement avant d'accepter.

À quinze heures, il retourna mettre son costume, de plus en plus nerveux à mesure que l'heure tournait, et vérifia qu'il avait sa carte d'identité dans son portefeuille. Pourquoi Sherlock voulait-il qu'il la prenne avec lui ? De toute façon, il ne se déplaçait jamais sans, en général. Pourquoi insister sur ce point ?

J.W : Où est-ce que ce taxi me conduira ?

S.H : Tu veux vraiment le savoir et voir ta surprise gâchée, ou tu poses la question juste parce que tu ne sais pas quoi faire de tes doigts en cet instant-même ?

J.W : ... La ferme.

À 15h30, le taxi était stationné devant l'immeuble. John s'engouffra dedans, et remit au chauffeur la lettre que Sherlock lui avait confiée. Celui-ci éclata de rire en la lisant, ce qui porta la frustration de John à des niveaux jamais atteints auparavant, mais il refusa de lui dire ce qui était écrit, et s'engouffra dans la circulation londonienne plutôt fluide de l'après-midi.

John ne put s'empêcher d'essayer de déterminer la destination par rapport à la route que le taxi empruntait : il n'eut pas à attendre très longtemps, puisqu'un quart d'heure plus tard, le taxi, qui avait remonté tout Euston Road depuis Baker Street, s'arrêta devant la gare St Pancras.

- Euh, balbutia John, je...

- Vous devez vous rendre à l'intérieur, qu'elle dit la lettre ! Bonne soirée ! Ha ha ha !

Le chauffeur, toujours riant aux éclats, ne demanda pas de paiement, et John jugea que Sherlock devait avoir glissé des billets dans l'enveloppe. Intrigué, il s'extirpa du taxi, et traversa la rue pour rentrer dans la gare.

Il y avait un certain monde dans le hall, mais pas de Sherlock – quitte à prendre le train (puisque visiblement, c'était ce qui était prévu), John aurait au moins pensé qu'ils le prendraient ensemble. Nerveux, il s'avança vers le tableau des départs, et relut l'intitulé de son enveloppe.

16h22, n°9040.

John chercha des yeux la correspondance sur le tableau – si correspondance il y avait.

16h22. Train n°9040. Il n'y en avait qu'un.

J.W : Paris ?

S.H : N'oublie pas de composter ton ticket.

J.W : PARIS ?

S.H : À tout à l'heure.

Bouche bée, John fixa alternativement le tableau et l'enveloppe, puis finit par déchirer le rabat du papier, pour en sortir un billet de train, qui indiquait en toutes lettres son départ à 16h22 de Londres et son arrivée à 19h47 à Paris Nord, par le train 9040.

J.W : Si tu m'expédies en France sans venir avec moi, Sherlock, je te jure que...

S.H : Est-ce que mes plans ont déjà raté ?

J.W : Oui. Des milliards de fois.

S.H : Eh bien, pas cette fois. Alors ne loupe pas le train.

L'embarquement se faisait une demi-heure avant le départ. John, en dehors de son portefeuille, n'avait rien emmené avec lui, il n'eut eu donc pas grand-chose à montrer aux vigiles lors de l'embarquement. Bon sang – si seulement Sherlock lui avait dit où il comptait l'emmener ! Il aurait pu prendre un slip de rechange, au moins...

Enfin. Il se plaignait, mais au fond de lui, il était quand même incroyablement excité. Il était déjà allé à Paris, mais ça remontait au moins à une vingtaine d'années, avant qu'il ne rentre dans l'armée, et depuis qu'il habitait avec Sherlock, il avait plusieurs fois émis le souhait d'y retourner.

Il ne pensait pas que Sherlock l'aurait entendu – et encore moins qu'il lui aurait prêté assez d'attention pour accéder à sa requête.

J.W : Je suis dedans. Où tu es, toi ?

S.H : Ne t'inquiète pas, on se retrouvera bien assez vite.

J.W : Bon. Je ne suis pas sûr que mon portable fonctionne en France, ceci étant dit.

S.H : Même si ce n'est pas le cas, théoriquement, ça ne devrait pas poser de problème.

Bon. Si Sherlock le disait, il n'y avait pas de raison de ne pas lui faire confiance, n'est-ce pas ?

Il regretta tout de même de n'avoir pas pris un livre ou un magazine – deux heures vingt de train, on le sentait passer. Il se déplaça jusqu'au au wagon-bar pour acheter une bouteille d'eau gazeuse, et se contenta de lire le magazine de l'Eurostar, puis de regarder les lumières nocturnes défiler dehors – lorsqu'il sortit du tunnel, la nuit était déjà tombée.

À Londres, il avait fait maussade, mais le ciel était resté sec. Lorsqu'il arriva à Paris, il neigeait. John regarda avec stupeur le sol qu'on devinait déjà blanchi dans la pénombre. Il aperçut le Sacré-Cœur illuminé par la fenêtre, puis, quelques minutes après, le train entra en gare.

John commençait à se demander que faire, en descendant du train, mais il repéra très vite un homme qui tenait une pancarte avec son nom écrit dessus – un homme qui n'était pas Sherlock, mais il commençait à s'y habituer. Il s'avança devant l'inconnu et hocha la tête.

- Bonjour, je suis John Watson.

- Bonjour, Mr. Watson, lui répondit l'homme dans un accent français à couper au couteau. Veuillez me suivre.

L'inconnu était en fait un autre chauffeur de taxi ; il le conduisit jusqu'à son véhicule, tandis que John levait la tête vers les flocons qui tombaient du ciel aux lueurs orangées, et bientôt, le taxi se mit en route.

Cette fois, John ne connaissant absolument pas Paris, il lui était impossible de déterminer leur destination. Ils s'arrêtèrent une vingtaine de minutes plus tard devant un immeuble parisien, chic jusqu'au bout des ongles, et le chauffeur l'invita à entrer à l'intérieur.

C'était tout à fait le genre d'endroit où John se serait senti mal à l'aise, en temps normal ; mais ce soir, son complet et son manteau chic lui permettaient de passer relativement inaperçu parmi la tranche de population visiblement aisée qui dînait dans le restaurant – car c'était un restaurant. Il avait l'impression qu'il s'agissait d'une sorte d'imposture de sa part, mais il en était tout de même éperdu de gratitude.

Un maître d'hôtel vint chercher son manteau – John, de nature méfiante, récupéra son portefeuille auparavant – et le fit monter dans un ascenseur qui semblait scintiller de partout, où toute la poussière paraissait avoir été éradiquée.

- Si vous voulez bien me suivre, monsieur, dit le maître d'hôtel en sortant de l'ascenseur, avec un accent beaucoup moins prononcé que celui du chauffeur de taxi.

John hocha la tête en déglutissant. Il était tellement nerveux qu'il remarquait à peine à quoi ressemblait la pièce dans laquelle il évoluait – la seule chose qui capta (et retint) son attention, ce fut une tête brune et bouclée, tranquillement installée à quelques tables de là, un verre de vin blanc à la main.

Le maître d'hôtel désigna la table, et John s'avança vers Sherlock, avec l'étrange envie soit de l'embrasser, soit de le frapper.

- John ! s'exclama Sherlock.

Il bondit sur ses pieds en le voyant arriver, et John ne put s'empêcher de remarquer à quel point il était beau, lui aussi. Il portait un costume noir, comme à son habitude, mais plus chatoyant que ses vestes quotidiennes – sa chemise était d'un rouge sanglant qui rehaussait la pâleur de son teint, et il portait une cravate noire à fin liseré rouge. Mais il n'y avait pas que son costume qui renversa le cœur de John – c'était surtout lui. Ses boucles folles d'un noir de jais, ses lèvres souriantes, ses yeux lumineux. La façon dont il regardait John comme s'il était la seule chose qui vaille la peine d'être regardé dans cette salle. Il était à tomber, et John manqua d'air, un bref instant. Il oubliait, parfois, à force de toujours l'avoir avec lui, à quel point il aimait cet homme. Et quand il s'en souvenait à nouveau, ça le frappait toujours comme une gifle.

Seigneur, faites que je puisse rester avec lui jusqu'à la fin de mes jours.

- Tu vois, tout s'est passé selon le plan.

- Je suis obligé de l'admettre, sourit John en s'asseyant en face de lui (il n'avait pas osé l'embrasser dans un restaurant si luxueux, devant tant de personnes). Je n'ose même pas imaginer combien tu as dépensé pour tout ça. On sera encore capables de payer le loyer ensuite ?

- Ne t'inquiète pas, dit Sherlock en balayant l'air de la main. C'était une occasion particulière... Et surtout, je voulais effacer le souvenir de l'année dernière.

- Pourquoi ? J'ai trouvé tes petites fesses nues sous le tablier vraiment très mignonnes. Et je suis sûr que Mrs. Hudson a pensé pareil.

Sherlock lui jeta un regard noir, dont John ne tint absolument pas compte – à la place, il lui saisit la main sur la table, et lui sourit.

- Joyeux anniversaire.

Il n'en fallut pas plus pour faire fondre la contrariété de Sherlock comme neige au soleil.

- Joyeux anniversaire, John, dit-il avec un regard plein de tendresse. Je me suis dit que cinq ans passés ensemble était un chiffre assez particulier pour être fêté de façon marquante.

- Et donc, une chasse au trésor ?

- Tu n'as pas aimé ?

- Si, admit John. C'était plutôt amusant. Et très frustrant, aussi.

Il tourna la tête vers la fenêtre, et découvrit pour la première fois le panorama, qu'il avait totalement occulté en apercevant la tête brune de Sherlock – sa bouche s'ouvrit de stupéfaction.

- Oh...

En face d'eux, la Tour Eiffel avait revêtu ses lumières de Noël, Paris brillait de tout ses feux, et la neige tombait doucement sur la ville. John avait l'impression de contempler une carte postale.

- C'est magnifique, murmura-t-il.

Lorsqu'il tourna les yeux vers Sherlock, celui-ci le regardait intensément – ses yeux semblaient dire que le spectacle le plus magnifique se trouvait de l'autre côté de la table, et John fut férocement heureux qu'il ne prononce pas la phrase à voix haute. Il eut envie de l'embrasser une nouvelle fois, mais il avait toujours l'impression d'être épié – et même s'il ne s'agissait juste que de sa paranoïa, il ne voulait pas se donner en spectacle.

Mais Sherlock sembla deviner ce qu'il avait en tête, et il lui adressa un sourire.

- Qu'est-ce que tu veux manger ?

John s'aperçut qu'il mourait de faim – entre le stress de l'inconnu et les heures qui s'étaient écoulées depuis qu'il avait pris un frugal déjeuner chez Mrs Hudson (une éternité auparavant, semblait-il), son estomac avait repris ses droits.

Le repas fut fantastique. Le fois gras frais maison servi en entrée sur son pain d'épice toasté et sa confiture de figues chaude le marqua tout particulièrement, mais la truite saumonée au bleu accompagnée de légumes au court-bouillon et à la sauce hollandaise était également particulièrement délicieuse. Ils eurent droit à un plateau de fromage bien garni, dont John ne picora que l'emmenthal et un peu de brie, mais que Sherlock dévora avec avidité en faisant particulièrement honneur au roquefort. (John ne put s'empêcher de se demander si c'était le fromage qui l'intéressait ou la composition subtile de ses moisissures ; il eut la réponse à sa question quand Sherlock tenta d'en subtiliser un bout en le cachant dans sa serviette et en le fourrant dans sa veste – il eut toutes les peines du monde à le convaincre d'abandonner cette idée, en lui promettant qu'ils iraient acheter du roquefort avant de rentrer en Angleterre, et qu'il pourrait l'étudier à volonté au microscope à ce moment-là.)

Le dessert, lui, était composé d'une glace au nougat, avec des éclats de pistache et des fruits confits, accompagnée d'un coulis de fruits rouges particulièrement savoureux et d'une tuile caramélisée. John eut besoin de faire appel à toute sa volonté pour s'empêcher de faire son Mycroft et d'en commander une deuxième.

L'estomac plein, il se laissa tomber sur sa chaise, les yeux rêveusement posés sur la Tour Eiffel, avec l'impression que tout allait bien dans le monde, et ne put s'empêcher d'adresser à Sherlock un regard plein de tendresse – généralement, il était toujours plus affectueux après un bon repas.

- Ça t'a plu ? demanda Sherlock, l'ombre d'un sourire sur les lèvres.

- Et comment ! C'était un fantastique anniversaire. Merci.

Pour la première fois de la soirée, il songea qu'il n'avait pas, lui, de cadeau à offrir à Sherlock. Et pire – que c'était chaque année la même chose. Sherlock, pour une raison qu'il ignorait, accordait énormément d'importance à l'anniversaire du jour où ils s'étaient mis ensemble, et lui, il oubliait de façon systématique. Sherlock ne semblait pas lui en tenir rigueur, et John savait que de toute façon, il faisait probablement tout ça pour exprimer ses sentiments envers John, et que la seule chose qui comptait, pour lui, c'était que John soit heureux de recevoir ce qu'il avait préparé pour lui.

Et c'était le cas, bien sûr, mais ce soir, après le costume, le manteau, les chaussures, le train, et le dîner de luxe avec vue sur la Tour Eiffel, John se demandait si l'inégalité n'était pas un peu trop marquée.

Mais il n'avait rien à offrir à Sherlock, il n'avait rien pris avec lui. Il n'avait rien...

Rien d'autre que lui.

- Sherlock, dit-il subitement en se penchant par-dessus la table. Est-ce que tu veux te marier avec moi ?

Il y eut un énorme silence, et Sherlock le fixa, les yeux écarquillés, bouche bée – une expression qu'il n'était pas donné à John d'observer tous les jours. Il aurait presque eu envie de rire, si une tension sortie de nulle part ne venait pas subitement de s'écraser sur ses épaules. Il avait dit la phrase presque en blaguant, et maintenant qu'elle était sortie de ses lèvres, il se rendait compte à quel point la question était beaucoup plus sérieuse qu'il ne l'imaginait – et à quel point l'attente de la réponse le rendait nerveux.

Il avait envie d'épouser Sherlock. Ça ne changerait rien à leur vie, concrètement, ce serait juste un passage à la mairie, signer des papiers, partir en voyage et recommencer à vivre ensemble – mais c'était un symbole, quelque chose de fort, et l'espace d'un instant, John avait songé que c'était la seule chose qu'il aurait souhaité lui offrir après une telle soirée.

Il se rappelait la déception qu'il avait ressentie l'après-midi même en découvrant les boutons de manchette dans l'écrin bleu marine, et il réalisa qu'il avait terriblement envie que Sherlock dise oui – même si ça ne changeait rien à leur vie quotidienne, ce serait différent quand même. Sherlock serait à lui. Officiellement.

Mais c'était Sherlock. Il avait toujours clamé haut et fort son dégoût du mariage, et John ne voyait pas pourquoi il ferait une exception pour lui. Alors que son cœur tambourinait dans son poitrine, il réalisa qu'il y avait de fortes chances que la réponse soit non.

Il ne remarqua qu'il avait baissé les yeux sur son assiette vide de glace au nougat que lorsque Sherlock posa la main sur la sienne. Lorsqu'il releva la tête, le cœur dans les talons, la première chose qu'il aperçut fut son petit sourire tranquille. Ses doigts se glissèrent dans ceux de John, et il répondit :

- Bien sûr.

John cligna des yeux, incrédule.

- Quoi ? demanda-t-il d'une voix enrouée. Quoi ?

- Bien sûr. J'accepte de me marier avec toi.

- Tu... acceptes ? Mais tu...

- Tu n'étais pas sérieux en disant ça ? demanda Sherlock en haussant un sourcil incrédule.

- Si ! Si, bien sûr, mais... Je ne pensais pas que... Tu disais...

- Je sais, admit Sherlock. J'ai dit beaucoup de choses, et je me suis beaucoup trompé. Bon, ajouta-t-il avec un geste agacé de la main, je continue à penser que le mariage n'est qu'une célébration de tout ce qu'il y a de plus faux et de plus hypocrite dans notre société, et qu'il ne peut être pris qu'au titre de symbole, mais... Contre toute logique, c'est un symbole que j'ai envie de partager avec toi.

- Vr... Vraiment ? marmonna John, se maudissant d'avoir bafouillé.

- Oui. Tiens.

Il lâcha la main de John pour aller fouiller dans la poche intérieure de sa veste, et en sortit un écran bleu nuit qui ressemblait beaucoup à celui qu'il avait trouvé dans la table de chevet l'après-midi même. John lui jeta un regard incrédule alors qu'il posait la petite boîte de velours sur la table, devant lui.

- J'allais te le demander moi-même, dit Sherlock. Je ne penserais pas que tu le ferais avant moi.

L'écrin contenait un simple anneau, sans aucune fioriture – une alliance or pâle qui, sans attirer particulièrement l'attention, semblait briller de mille feux. Avec hésitation, John la prit entre ses doigt, et l'observa attentivement.

C'était un très bel objet – discret s'il le fallait, mais avec du caractère. Il leva les yeux vers Sherlock, qui l'observait avec une sorte de nervosité dans le regard, et il se mit à sourire – toute la tension s'était échappée de ses épaules comme par magie.

Il saisit la main de Sherlock, et glissa la bague à l'annulaire de sa main gauche.

- Mais... C'est la tienne, protesta Sherlock.

- C'est moi qui t'ai demandé en premier, contra John. C'est moi qui te mets la bague.

Sans lui laisser le temps de répliquer, il se pencha sur la table, attira Sherlock à lui par la cravate, et l'embrassa.

Et tant pis s'ils étaient le centre de l'attention des clients du restaurant – ça ne le dérangeait plus.

Rien ne le dérangeait plus.

.oOo.

FIN.


(J'ai résisté à l'envie de faire des tas de blagues sur John et sur l'anneau, mais de peu.)

Et voilà mes bons amis !

Encore merci pour tout, et à la prochaine !