Notes :

J'ai découvert que j'avais oublié de publier ce chapitre, et je veux en profiter pour présenter mes excuses à vous tous. Lorsque que j'ai entrepris ce projet, j'étais au chômage et mon fils aîné était à la pré-maternelle, alors j'avais du temps libre tous les jours. En janvier, j'ai dû retirer mon garçon de la pré-maternelle faute de coûts et j'ai commencé à travailler comme traductrice indépendante, et depuis je n'ai plus de temps, mais plus du tout. Et puis le 25 août, mon fils cadet est né... Ceci dit, je ne veux pas abandonner ce projet. S'il vient un temps où j'aurai un peu de temps pour moi, je reprendrai cet ouvrage. D'ici-là, je vous présente mes plus plates excuses.

Chapitre 8 : Le chef d'orchestre

Mycroft a mon archet à la main, ses doigts étreignant lâchement la hausse, ses jointures dangereusement près de la mèche. Je déteste ça. Il l'agite dans les airs comme une baguette au rythme d'un tempo imaginaire (lent 6/8, comme un Allemand entêté), lançant des ictus partout. Pour Mycroft, la musique débute et se termine par la direction. Tout ce qui importe pour lui est ce qui est dans sa tête, il ne prend pas son alto pour jouer. Putain de fainéant. (A-t-il encore son alto? L'a-t-il mis au rencart avec tous les autres trésors familiaux lorsque Maman est morte?) Mon regard froid est inutile, il ne me regarde pas. Il lit d'un carnet qu'il tient en l'air comme s'il était le foutu Lord Byron. Il essaie d'attirer mon attention. Il l'a toujours. Ça me rend furieux.

Je pince les cordes de mon violon, le son résonnant dans ma poitrine. (Un peu de Tchaïkovski, seulement une note sur deux de la mélodie. Mycroft n'a pas besoin de savoir comment je soulage mes petites blessures.) Je veux saisir mon archet de lui afin de pouvoir jouer, bruyamment, et noyer les bêtises qu'il essaie de lire, mais il ne me laisserait pas l'avoir même si j'essayais. Il préférerait me laisser le briser, puis avec un sourire suffisant, il continuerait de lire.

« Problèmes de confiance. » J'ai déjà entendu ça, pourquoi me le lit-il? Il attend le haut ictus, suivi d'une longue préparation vers le nouveau battement. Mon archet siffle dans l'air. Je peux presque entendre les tensions de la marche Wagnérienne qu'il dirige et ça me rebute. « Problèmes d'intimité. Il y a toute une section là-dessus ici, tu voudras en savoir plus, n'est-ce pas? »

John n'a pas de problèmes d'intimité. Enfin, il n'a pas de problèmes d'intimité en général. L'intimité avec moi, par contre, est une perspective effrayante. Pas avec d'autres, si les événements avec Mary sont indicatifs. Il est prêt à être intime avec toute femme qui en démontre la moindre inclinaison. Et même avec certaines qui n'en démontrent pas. Panique hétérosexuelle? (Ou est-ce seulement moi qui cause cette panique? C'est probablement seulement moi.)

« Pas le moindrement intéressé. » Je ne le regarde plus. Je regarde plutôt la caisse lisse de mon violon, les marques de mes propres empreintes digitales, visibles seulement d'un certain angle (celui-ci). Mes doigts bougent sur la touche par mémoire musculaire. Le Lac des Cygnes. (Vulgaire, mais réconfortant.) Je pince les cordes doucement. Je vois encore la tête en ivoire de mon archet monter et descendre du coin de l'œil. Il réussit toujours à garder mon attention, peu importe à quel point je résiste. Horriblement frustrant.

« Tendance, » dit Mycroft, s'arrête pour l'effet, « à des accès d'infidélité. Mais tu le savais déjà, n'est-ce pas. »

Je lève les yeux. Il a un rictus moqueur au visage. Tout ceci lui fait plaisir.

Mary. Je ne croyais pas qu'elle avait un thérapeute.

« Ces notes datent de plusieurs années. » Il les brandit vers moi. « Penses-tu que beaucoup de choses ont changées? » Mon archet tranche toujours dans l'air : ictus, ictus, ictus, préparation. « Père froid et distant, indices d'inceste affectif. » Il dépose le carnet sur ses genoux, me laisse voir les minuscules caractères entassés sur le papier. Il y en a des pages. Des montagnes d'information sur Mary. « Tu sais que l'inceste affectif n'est pas vraiment - »

« Je sais. » Je crache les mots. Je suis impatient. Anxieux. Que veut-il? Pourquoi me dit-il tout ça?

« Elle a été mariée trois fois. Ça ne peut pas être des nouvelles pour toi. Elle a été fiancée une quatrième fois, mais elle a saboté cette relation plus rapidement que les précédentes. Il est écrit ici, » il soulève le cahier de nouveau, « peur de l'intimité ajoutée à une pauvre estime de soi et un désir de l'approbation des hommes résulte en une sexualité agressive et des infidélités en série. » Il tourne une page. « Ce thérapeute a recommandé la thérapie par régression. Incompétent. »

« Ai-je besoin de te rappeler, » je pince une corde de mon violon plutôt violemment, « que ce n'est moi qui va l'épouser? »

« Elle a démontré des remords. » Il continue comme si je n'avais rien dit. Ça me rend furieux. « Elle ne le fait pas délibérément. C'est compulsif. Son thérapeute avait pitié d'elle. Savais-tu qu'elle a fini par coucher avec lui? Il a perdu sa licence. Ce n'était pas la faute de Mary, bien sûr. Elle est une grande narcissiste, celle-ci. »

« Elle n'est pas une narcissiste. » Devrais-je la défendre? Oui, bien sûr. Mycroft ment.

« Tu le saurais, bien sûr. »

« Je l'ai rencontrée. »

« Tu la considères comme ta compétition. » Il croit qu'il me corrige. La direction musicale n'a pas cessée, pas même ralentie. Mycroft pourrait avoir cette entière conversation sans moi.

Ictus, ictus, ictus. « J'ai suspecté depuis le début, à propos de toi et ton colocataire. Tu le sais. »

Je soupire bruyamment. Ce n'est pas de ses affaires. Pas du tout. S'il veut avoir cette conversation, il peut y ajouter mes répliques sans que je ne les dise. Si je pense assez fort, peut-être pourrai-je bloquer le son de sa voix. Il y a une expérience dans la cuisine (plomb, sel, sang coagulé) que je pourrais vérifier, ou je pourrais compter les nombres primaires : 83, 89, 97, 101, 103, 107...

« À partir du moment où je l'ai rencontré pour la première fois, j'ai soupçonné qu'il pourrait avoir cet effet sur toi. Est-ce à ce moment-là que ça a commencé? À ce moment-là, où tu l'as vu pour la première fois? Ou est-ce venu plus tard? »

...109, 113, 127 ah seigneur, c'est trop ennuyant, sa voix traverse mes pensées. Merde.

Il ne sait pas tout. Il le voudrait, même ces choses sans pertinence. Le non quantifiable. Les choses qui n'ont pas leur place à la lumière du jour. Les choses qu'il peut garder contre moi pour me manipuler et me demander de faire ce qu'il veut. Je ne lui donnerai pas. Je ne lui donne jamais. Salopard manipulateur. Je veux prendre le carnet de sur ses genoux. Le cahier ou mon archet. Un ou l'autre. Il ne peut avoir les deux. Les échecs de Mary ou les miens : choisis, Mycroft. N'en choisis qu'un seul.

« Tu te crois amoureux de lui, n'est-ce pas? » Ce n'est pas une question. Je le déteste. « Ah. Oui. Tu le crois. C'est bien, Sherlock. C'est du progrès. Ça aurait plu à Maman. »

Je lève les yeux vers le ciel. Bien sûr qu'il allait la mentionner. Il essaie seulement de marquer un point. Frapper un peu plus fort. Oui, elle voulait que je fasse cela, que je ressente cela. Elle s'inquiétait. Se demandait si je le pouvais. (Ou, plus précisément, si je le ferais, si je daignerais à laisser quelqu'un s'approcher de moi à ce point. Elle n'a jamais douté que j'en étais capable. Contrairement à d'autres. Contrairement à moi.) Il n'y avait rien que je pouvais faire, alors, pour la rassurer. Elle aurait aimé John.

« Jusqu'à maintenant, je croyais que ce n'était pas réciproque. Insensé, adolescent et non partagé. Je comprends maintenant que ce n'est pas tout à fait vrai. »

Il soulève le carnet de nouveau. « Ceci était la preuve qui m'a finalement convaincu, où le thérapeute a écrit : Mary est principalement attirée envers les hommes compromis émotionnellement. Les hommes qui sont émotionnellement instables ou incapables de l'aimer en retour ou qui sont amoureux de quelqu'un d'autre. » Il laisse le carnet tomber sur ses genoux, il se ferme. « Il parlait de lui-même ici, la façon dont son amour pour sa femme le rendait plus attirant pour Mary. Il aurait aussi bien pu être en train d'écrire à propos de ton John. Tu as toi-même à blâmer pour l'intérêt de Mary envers John. Il t'aime beaucoup. Beaucoup en effet. »

Si bien orchestré, comme toujours. Mes yeux croisent les siens sans ma permission. Il me sourit. « Le savais-tu déjà? Ah. Bien sûr. Tu le savais. Oh, pauvre Sherlock. Tu ne sais pas quoi faire avec lui maintenant, n'est-ce pas? »

Je soupire. Je le déteste pour ça. Pourquoi ne me laisse-t-il pas tranquille? « Il n'est pas amoureux de moi. »

« Les preuves suggèrent autrement. » Il laisse tomber un dossier sur la table devant moi, mais je refuse de même le regarder. Pourquoi doit-il toujours être indiscret?

« Il se marie. »

« Le mariage ne t'empêche pas physiquement d'aimer quelqu'un d'autre, Sherlock. » Je lève les yeux vers le ciel. « Et tu es assis-là, pinçant Le lac des cygnes sur ton violon comme si ça allait le rendre assez amoureux de toi pour qu'il la quitte. »

Je peux sentir le sang me monter au visage.

« Tu peux faire mieux que ça, Sherlock. »

« Non. » Je replace mon violon dans son étui. Je tends la main pour mon archet. J'attends. Il termine les deux dernières mesures et le glisse doucement dans ma main. Mes mains sont humides et tremblent légèrement. J'essaie de le cacher, mais il voit tout. C'est sans espoir.

« Oui, tu le peux. »

« Ça n'a pas d'importance. » Je peux sentir ma colère déborder, me faisant perdre tout sens du jugement. Je vais dire des choses que je ne veux pas dire, que je ne veux pas admettre, je ne veux pas que Mycroft le sache, tout ça parce qu'il sait exactement comment inspirer ma rage la plus absolue et aveugle. Il y a un moment, avant de tomber dans le précipice, que je comprends avec une clarté étonnante à quel point Mycroft me manipule bien, me forçant à redevenir l'enfant qu'il considèrera toujours que je suis (âgé de sept ans, avec un bol à poisson brisé dans les mains, le visage rouge, furieux et honteux), mais je suis réduis en postillons et indignation. « Il ne veut pas. »

Une pause. « Ah. »

Je ne le regarde pas. Je tremble de rage, le monde est teinté de rouge. Une partie de moi avait espéré qu'il aurait trouvé une solution. Mais il n'en voit pas. Mon évaluation est douloureusement juste.

« Alors peut-être se méritent-ils. »

Après son départ, je découvre que j'ai brisé mon archet en deux.