La progression de Sherlock Holmes

Par ivyblossom

Traduit en langue française par anchor31

Sommaire :

Sherlock est profondément amoureux de John, même si ce n'est pas apparent. Série de courtes scènes narrées à la première personne au temps présent, du point de vue de Sherlock, empruntant lourdement des récits de Arthur Conan Doyle. Version française de The Progress of Sherlock Holmes par ivyblossom.

Notes :

My humblest thanks to ivyblossom for creating this wonderful story and allowing me the privilege of translating it into French.

The original English version can be found on archiveofourown.

Merci à Fukan pour sa révision et sa patience! Ah, l'éternel conflit linguistique entre les Français et les Canadiens-français... (NdB : mais c'est ça qu'est drôle!)


Chapitre 1 : Reclus

Demi-seconde de désorientation qui se dissout brusquement en parfait éveil. Douleur irradiant dans mon visage. Douleur vive dans les côtes comme un coup de poing dans le ventre. Côte fracturée, probablement. Plus d'une? Incertain. Douleur à l'inspiration, à l'expiration. Le matin.

Un rêve étrange s'attarde : John avec des tasses de thé à la place des yeux, des lames de rasoir à la place des doigts : troublant. Sensation étrange dans la poitrine, comme un essoufflement. Détresse. Peur? Non. Impossible. Même avec des tasses à la place des yeux, c'est toujours John. Tristesse, peut-être. Perte. Regret? Il s'atténue. C'est le matin, les rêves s'atténuent toujours.

Les rêves ne sont pas importants.

Il fait environ douze degrés dehors; près d'un degré plus froid qu'hier matin. Le long et lent chemin vers le milieu de l'hiver. Ennuyeux. Lumière à travers la fenêtre; environ sept heures et quart, faible pluie, très nuageux. Il pleut depuis environ 4 heures du matin. La rive sera boueuse; je devrai porter des bottes.

Par contre : je ne pourrai éventuellement pas quitter l'appartement aujourd'hui, probablement. Surtout si John découvre la côte. John verrouillera la porte (comme si cela allait faire une différence), et Lestrade ne me laissera pas approcher de la scène de crime. Il trouvera peut-être un moyen de m'arrêter pour me garder à l'écart, m'empêcher de trop bouger. Dommage. La journée sera éprouvante. Je déteste me faire arrêter. Mais nécessité oblige.

Jambe droite raide, plutôt douloureuse : tordue? Étirée? Conséquence de la chute, sûrement. Blessures secondaires non traitées par mon docteur attentionné et inquiet. Son visage : empli de compassion, de bienveillance, de tout ce qui est beau et pur dans ce monde. Comment fait-il cela? Comment peut-il avoir le cœur sur la main de cette façon sans laisser une coulée de sang partout où il va? C'est un certain type de bravoure, plus mondain peut-être, mais pas moins exceptionnel. Il ne sait pas encore pour la côte. Il n'a pas vu les coups. Poignet : Fracturé? Non. Meurtri, sûrement, peut-être une légère entorse. Jouer du violon sera plus difficile, mais un peu de douleur n'a jamais fait de mal à personne.

Un vulgaire concerto de Tchaïkovski dans ma tête, pourquoi? Pas d'espace pour Tchaïkovski aujourd'hui. Peut-être plus tard ce soir? John aime Tchaïkovski. Ne semble même pas savoir que c'est Tchaïkovski lorsqu'il l'entend. Il ne semble pas s'en soucier.

« J'aime ça, qu'est-ce que c'était? » dira-t-il, assis dans son fauteuil, les yeux fermés (habituellement; parfois non, parfois il me regarde jouer et je le regarde en retour). J'imagine qu'il dit plutôt Je t'aime, et je m'en délecte. Comme la lumière du soleil émanant de lui, comme de la chaleur, comme des doigts de fumée qui me caressent. J'imagine qu'il ne l'a pas encore dit, mais qu'il le ressent, qu'il ressent l'envie de le dire. Et puis je suis pris dans le moment juste avant qu'il le dise, le moment où c'est parfaitement vrai, avant que ça ait une chance de se dégrader, de se désintégrer. Il est sur le point de le dire, de dire, Je t'aime, à moi, entre tous, à moi, des mots qui apparaîtront dans l'air devant lui comme des anneaux de fumée. Je la laisse planer au-dessus de moi, cette fiction, cette sensation. Lui écoutant les sons de mon violon, de mes doigts sur les cordes, de mon archet, le son vibrant à travers ma poitrine d'abord avant d'atteindre John, ses yeux fermés (ou non). John assis dans son fauteuil, aimant la Sérénade pour cordes, ou un bout du Lac des Cygnes (comme je disais : vulgaire) au lieu de m'aimer moi, mais c'est si près. Je me concentre, joue encore mieux, je pousse l'affreuse profondeur des cordes de mon cœur sentimental dans les cordes de mon violon. « J(e t)'aime, » dit-il, « qu'est-ce que c'était? » Comment quelqu'un ne peut-il pas reconnaître le Lac des Cygnes?

Chaque fois. Chaque fois qu'il demande, c'est Tchaïkovski. Pourquoi? Tchaïkovski fait-il appel à quelques tendances homosexuelles refoulées? On ne peut qu'espérer. Un cœur tendre, un cœur romantique.

Toujours vulgaire, par contre.

Je ne veux pas ouvrir les yeux; la réalité n'est jamais aussi intéressante que l'intérieur de ma tête. Des tasses de thé pour les yeux? Comme c'est étrange. John était nu dans ce rêve. Nu et quatorze pieds de haut. Toujours pas pertinent. J'étais minuscule; il pouvait me tenir dans la paume de sa main, me piéger entre ses doigts en lames de rasoir. Mon subconscient est fou.

Mes yeux sont collants, mon nez semble aplati et douloureux, douleur dans l'incisive latérale mandibulaire gauche. Je la touche avec ma langue. Branlante, mais elle ne tombera pas. Dieu merci, je déteste les dentistes. Maux de tête. Un peu de sang, goût cuivré. Yeux bouffis. Collants. J'ai été malmené hier soir. Ça en valait la peine. Tant de preuves. Ha! Si facile, celui-là. Idiot.

Les yeux s'assèchent durant la nuit, les cils humides collent ensembles. Un peu de sang, des larmes inconscientes. (Pleurais-je si je le perdais? Je crois que oui. Une blessure émotionnelle comme une blessure physique accablante, provoquant une réaction physiologique.) Je les force à l'ouvrir, arrachant quelques cils. Je cligne ce qu'à ce qu'ils arrêtent de coller. Le monde est un endroit foutrement gris lorsqu'on ouvre les yeux. Le gris monotone du matin. Plafond blanc, murs nus, porte de la chambre fermée, motif laissé par les traces des gouttes de pluies sur la fenêtre.

Je touche mon téléphone; le retourne. Texto de Lestrade? Rien. Je lui texte quelque chose d'irritant, il devrait apprendre à partager. Ça ne le mène de cacher les détails d'une affaire. Quand apprendra-t-il?

Ton indice est sous l'eau. SH

Ça lui permettra de continuer à se creuser la tête. Ha! Il devrait savoir qu'il ne doit pas me cacher d'informations. Comme si je ne savais pas déjà!

John se déplace dans la cuisine; l'eau bout dans la bouilloire. Une boîte de sachets de thé sur le plan de travail; un pot de sucre. (Un peu moins qu'à moitié plein, à juger par le son.) John porte des chaussettes, pas de pantoufles ou de chaussures. Il est encore somnolant, n'a pas bien dormi. Encore des cauchemars (bien sûr). Un de ces jours je débarquerai dans sa chambre et j'arrêterai ces cauchemars par la pure force de ma volonté. Je les affronterai. Je les déjouerai. Il murmure des jurons maintenant, pourquoi? Fatigué? Frustré? Ah, il a vu les doigts dans le réfrigérateur. Eh bien, où autre pourrais-je les garder?

Les pieds fatigués de John sur le plancher, marchant vers ma chambre avec une tasse de liquide chaud dans les mains. Il marche plus prudemment lorsqu'il m'apporte une tasse de thé, comme si quelque chose de terrible allait arriver s'il la renversait. Une sensation dans ma poitrine, comme si mon cœur souriait à son approche. Je connais les signes et symptômes d'une personne désespérément, irrémédiablement amoureuse. Je souhaite presque ne pas les connaître, mais je ne peux pas faire disparaître cette connaissance. Un peu de cocaïne ne ferait pas de mal, quand bien même, John ne serait jamais d'accord.

Il toque à la porte, comme un colocataire poli. Je grogne en réponse. La porte s'ouvre avec un grincement. J'aime qu'il ne se soucie pas de ce que j'en pense; il entre parce qu'il a besoin d'entrer, parce qu'il veut entrer. Il veut voir si je vais bien, se soucie de mon bien-être. John : il est comme la lumière du soleil se déversant dans ma chambre. Comme la chaleur se faufilant dans une pièce froide. Ses cheveux, ébouriffés, son visage plein de sommeil, je veux l'embrasser, je veux m'enrouler autour de lui et ne jamais le laisser partir. Le matin n'est pas si gris lorsqu'il est là. Il est ma palette de couleurs.

« Sherlock? » sa voix est rauque après une nuit de silence. Un instrument rouillé. Imaginez un reclus, caché dans une grotte pour des décennies, vivant une vie de sommeil et prières, sans parler à une seule âme pendant des années et des années, puis essayant de former des mots avec des cordes vocales si hors d'usage qu'elles ont oublié leur fonction; le corps humain a besoin d'être utilisé pour fonctionner complètement. Comme ton cœur, dit le troisième homme, mon subconscient intelligent. Comme ton cœur, Sherlock. Comme un reclus tentant de parler. Métaphore : pas vraiment mon domaine.

John s'assoie sur mon lit, le bas de son dos contre ma cuisse. Il est la définition de chaleureux a lui tout seul, un bout de vocabulaire ambulant. Soupir. Je joue l'ennuyé, vaguement irrité. John dépose la tasse sur ma table de chevet, puis approche ses mains vers mon visage.

« Comment vas-tu ce matin? » Toujours le médecin, mon John. Et il l'est, mon John. Peu importe ce qui arrive. De légers contacts sur mes pommettes, testant le bandage sur mon nez, ses doigts retraçant légèrement ma lèvre fendue.

« Bien. Ça va, n'en fait pas tout un plat. » Grande inspiration; toux accidentelle (vraiment?); grimace de douleur. Les mains de John sur ma poitrine, seulement le mince tissu d'un t-shirt entre nous. Mes yeux se referment.

« Merde, » dit John à mi-voix. « Tu n'as pas parlé d'une côte fêlée, Sherlock. » Une note de reproche dans sa voix. Ses mains soulèvent le t-shirt. La douleur de la côte n'est rien comparée au plaisir des mains de John posées sur moi. Comme des anneaux de fumée. Comme un amour imaginaire. « Je vais te donner quelque chose pour la douleur, » dit John.

« Mmm. » Ça ne sert à rien de discuter. Un opiacé soulagerait toutes les blessures, physiques et émotionnelles. Mais John me donnera probablement seulement que du paracétamol. Salaud.

« Je sais que tu veux retourner sur la scène de crime. » dit John, et soupire. Il bouge un peu sur le lit, ses mains toujours pressées contre moi, ses mains chaudes. Ses doigts, ils appuient sur des gâchettes et tuent, ils sont si doux sur moi. « Je dois faire un bandage d'abord. »

Ah, mon John. Mon blogueur, mon aide. Fais-moi un bandage et sors-moi d'ici. Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime.

Je grogne, marmonne, « Bon, » détourne la tête. « Donne-moi mon thé. » Pas une question, une demande. Un reclus, finalement, essayant finalement de parler. Cœur battant à l'envers. Tasse chaude dans mes mains, doigts chauds sur les miens. « Merci. » Atypique : ça le déroutera. Il s'arrête, j'ouvre les yeux et le regarde. Il sourit. Il a l'air inquiet. Je dois avoir l'air plus mal que je ne me sens.

« Pas de problème, » dit-il. Sa voix est douce, comme ses doigts, son toucher.

Je mettrai mes bottes avant d'aller sur la rive pour montrer à Lestrade et ses sous-fifres exactement qui ils devront arrêter. Ce ne sera pas difficile. Je marcherai prudemment par égard pour John et John tiendra mon bras, inquiet. Nous dînerons, et je mangerai, à l'insistance de John. Peut-être de la soupe. Et lorsque nous reviendrons à la maison je jouerai du Tchaïkovski pour John, malgré son évidente vulgarité et les protestations de John à propos de mes entorses, ma côte fêlée et mes blessures. Il gardera les yeux ouverts pour me regarder. Et il aimera ce que je joue pour lui. Et ce sera suffisant.