Et si ça me plait à moi?

Chapitre 1 : Opération

Shion

Tandis que le scalpel s'enfonçait dans sa chaire, Shion se sentit happer par des forces supérieures aux siennes. C'était donc ça la mort ? Le lit l'avalait et il ne sentait plus le poids de Nezumi sur son dos. Bien qu'il ait les yeux fermés, le monde semblait perdre ses contours comme si la couleur rongeait les lignes. Puis se fut la douleur.

Le feu serpentait dans tout son corps, léchant comme autant de langues mortelles, chacun de ses membres. Il allait sombrer. Shion ne savait même plus s'il hurlait ou non, s'il était vivant ou mort. Puis comme un lointain écho, il entendit la voix de Nezumi. Sa vie se rembobinait-elle sous ses yeux ? Il essaya de se rapprocher de ses souvenirs, car c'étaient les seuls qui avaient du sens, qu'il savait sans mensonges. Mais les mots de Nezumi lui échappaient, sa voix était différente…adulte.

- Shion ! Ouvre les yeux ! Shion !

Puis il se souvint, Nezumi était venu le chercher, le sauver encore une fois. Il lui avait fait quitter le confort de l'illusion pour la lueur douce-amère de la réalité. Cette vie semblait avoir infiniment plus de saveur. Il en avait rêvé de cette vie, comme il avait regretté de ne pas avoir suivit Nezumi, il y a de cela quatre ans. Et maintenant il y était !

- Tu ne vas pas mourir maintenant ! Shion !

- Je veux vivre !

C'était vrai, mais tellement difficile, il ouvrit brusquement les yeux. La douleur l'aveuglait, mais ça lui permettait de garder contact avec la réalité. Des livres, une table, une lampe à huile, le drap, le genou de Nezumi. Il sentit quelque chose de nouveau et de froid dans le brasier qu'était sa nuque, puis ce fut comme si on lui arrachait le crâne par l'intérieur. Et tout devint rouge. Il n'entendait plus la voix de Nezumi, plus qu'un vague bourdonnement, comme un essaim d'abeilles. Et enfin, il sombra dans le néant.

A l'orée de la conscience, dans les ténèbres les plus profonds, Shion n'était plus que mots sans lecteur, que sensations sans sens. Peut-être était-il en train de renaitre ? Peut-être était-il devenu l'abeille qui l'avait tuée ? Car ça ne pouvait être que la mort ou la naissance, ça n'était pas la vie, car il y a un sens à la vie, il y a des besoins. Hors, il n'y avait ni haut, ni bas, ni blanc, ni noir, ni son, ni bouche pour les émettre. Il sentit quelque chose de fugace comme un mouvement, puis aussi vite il oublia jusqu'à l'avoir noté, jusqu'à savoir qu'il en avait la capacité, jusqu'à ne plus avoir conscience de l'existence. Le temps passa bien qu'il ignora se que c'était, il lui sembla que c'était ce qui arrivait. S'accrochant à cette pensée, il déroula sa conscience.

Le temps. L'espace. L'univers. La terre. L'océan. Maman. La naissance. La mort. L'oubli. Les souvenirs. L'existence. Les peines. Les joies. Safu. L'amour. Nezumi. NEZUMI !

Il se réveilla en sursaut, il ne voyait rien, mais bouger lui arracha un petit cri. Il avait mal partout, comme s'il était passé sous une voiture. Il bougea à nouveau. Okay, un convoi de voitures. La tête lui tourna un peu quant il s'assit sur le lit. Une lampe à huile dessinait les contours de la pièce de sa lumière orangée. Elle était si tenue qu'on aurait pu croire à une veilleuse éloignant les cauchemars des enfants. Quand le vertige eut disparu, Shion empoigna la lampe à la recherche de Nezumi. Avançant d'un pas, il crut voir un mouvement à sa gauche. Une silhouette se détacha près du mur, ses cheveux blancs trahissant son âge, mais son visage…

Non ! C'était lui ! Comment ? La lampe lui échappa des mains pour aller se fracasser dans un bruit de verre brisé contre le sol. La lumière disparue, mais Shion voyait encore assez son visage pour être horrifié. Il était devenu un monstre ! Les yeux rouges comme le sang, les cheveux comme la morsure de la neige, et cette marque rougissante sous son œil… Il défit en hâte le bandage autour de son cou et jeta à terre ses vêtements. La marque courrait tout le long de son corps, enserrant son cou comme une marque d'étranglement. Il hurla, sa propre vue lui était insoutenable. C'était faux ! Contre nature ! Il aurait voulu disparaitre.

Effondré dans l'obscurité, il se demanda comment partir avant le retour de Nezumi, il ne pouvait pas se présenter à lui comme ça. Et s'il avait été contaminé par l'abeille. Non s'il était vivant c'est qu'elle n'avait pas éclos. Son regard échoua sur ses mains, la trainé rosée semblable à une cicatrice montait jusqu'à l'une d'entre elles. C'était dégoutant, inhumain. Il n'y avait rien de tel dans No.6. Pas d'yeux rouges comme la mort, pas de cheveux de neige avant l'âge, pas de visage et de corps défiguré. Il était trop plein de ces horreurs, c'était trop pour lui, les larmes coulaient sur son visage créant de nouvelles marques, accentuant le rouge de ses pupilles qui semblait maintenant contaminé le reste de l'œil. Il se demanda vaguement si ses larmes étaient rouges, elles aussi. Pleurant son malheur sans le vide, il n'entendit pas la porte s'ouvrir sur Nezumi.