Bonjour à tous,

Il va sans dire que cette fic abandonnée devait rester abandonnée ou se finir en un seul et unique chapitre. Plus de sept ans après son début, l'histoire de Harry et Drago se finit ici. Vous n'y croyez pas ? Et bien vous pouvez y croire, le chapitre fait 70 pages word.

L'histoire est dans ma tête depuis longtemps, mais voilà, écrire un chapitre c'est long, très long et je n'avais plus le courage de m'y remettre. Après tout ce temps, je me suis donc résolue à une solution qui n'est pas parfaite : mettre un point final à cette histoire, sans la rédiger complètement. En gros, vous donner la fin pour que vous ne restiez pas sur votre faim. C'est nul, je sais. Ça me paraissait toujours moins nul qu'une fic abandonnée.

Au final, je me suis prise au jeu et j'ai rédigé beaucoup plus que je le pensais. Certains passages (les premières lignes surtout) ne sont pas développés, c'est-à-dire que j'écris juste ce qu'il se passe pour que vous compreniez comment on en est arrivés là. Mais je ne m'en fais pas pour vous, vous arriverez à combler l'absence de description pour imaginer les scènes. Vous êtes des lecteurs de Harry Potter après tout ^^

Pour ma part, j'aurais vraiment aimé trouver le courage de venir complètement à bout de ce projet. J'ai vraiment eu l'impression d'être proche. Comme souvent, le travail qui reste à faire paraît simple. On croit que le plus dur est derrière nous. C'est seulement en s'attelant à la tâche qu'on se rend compte de l'ampleur du travail. J'ai passé sur cette fic je ne sais combien d'heures et je ne regrette rien, sauf d'avoir baisser les bras à la fin. Pour cela, je suis désolée.

Cet immensément long chapitre (à mon sens au moins) devrait répondre à toutes vos questions. S'il en reste, vous pouvez les poser et si j'ai oublié des choses importantes, je posterai un dernier chapitre pour ajouter les réponses manquantes. Ceci dit, je crois avoir fait le tour.

Vous remarquerez que certains passages sont en italique : ce sont des parties que j'avais déjà écrites dans mes tentatives infructueuses de reprendre cette fic (et il y en a eues). Comme c'était le cas jusqu'ici, ces parties sont rédigées à "je" (Harry - 1ère personne du singulier). Parce que ce chapitre est écrit en parlant de Harry à la troisième personne du singulier (c'était pour moi le plus simple pour aller vite), j'ai mis le texte en italique quand on repasse à la première personne du singulier. Solution de facilité, mais l'italique rend le changement moins brutal.

Voilà, je vous souhaite tout de même une bonne lecture et vous présente à nouveau mes excuses pour les attentes démesurément longues que je vous ai imposées. Merci pour vos reviews qui m'ont souvent fait rire ou épatée (quelqu'un avait trouvé le jeu de mot avec les noms des trois jurés de Master Chef, c'était bien joué, ça doit faire 7 ans et je m'en souviens encore !). Je vais découvrir les dernières de ce pas (c'est-à-dire celles des deux dernières années au moins car quand on a honte, on se cache, on évite de se mettre sous le nez des trucs qui nous rappellent qu'on n'a pas fait le taf...).

Bon courage à vous en cette période de confinement, je vous souhaite une bonne santé ainsi qu'à vos proches et le meilleur pour l'avenir.

Place au dernier chapitre !

Fantaisiiie


Harry ramène Thomas et Elena à Londres. A peine arrivée sur place, Elena le plante parce qu'elle est plus de nature à fuir les problèmes qu'à les affronter et qu'elle craint de revoir Drago. Harry se retrouve donc seul avec le petit Thomas. Il l'emmène avec lui au Ministère, direction le Département de la Justice Magique. Il n'a qu'une question en tête « comment as-tu pu ? ».

Sur le chemin, il croise Hermione à qui il présente l'enfant. Il lui explique qu'Elena a prétexté une urgence pour se défiler, qu'elle ne sait rien de ce qui arrive à Drago et qu'il ne lui a même pas dit que son fils était un sorcier. Avec son efficacité habituelle, Hermione trouve une solution à chaque problème. Elle se charge de demander à Seamus, qui est chargé des relations avec les moldus, de retrouver Elena et de lui annoncer la nouvelle. Seamus est un habitué de ce genre de tâches car c'est lui qui apporte les lettres de Poudlard aux nés-moldus et qui gère les réactions de leurs parents. Pour les convaincre, il a coutume de métamorphoser devant eux un livre ou un bibelot en un chaton mignon et inoffensif, méthode qui portera (non sans quelques cris) ses fruits avec Elena.

Hermione comprend également qu'avec l'enquête, Harry ne pourra pas "en plus" s'occuper de Thomas. Elle propose d'abord de le confier à Molly, mais Harry avoue qu'il préférerait que Drago s'occupe de son fils. Il est grand temps pour eux d'apprendre à se connaître. Hermione promet de voir ce qu'elle peut faire, au regard de la situation compliquée...

Thomas s'impatiente et il est grand temps d'aller retrouver Drago. Parce que Harry a démissionné, Kingsley ne s'y oppose pas. Peut-être qu'il aurait (encore) essayé de le dissuader, s'il n'y avait eu l'enfant. Vu les circonstances, il est clair que qu'essayer est voué à l'échec. Et puis, maintenant que l'enfant est là, il a bien le droit de voir son père.

Ce dernier n'a pas été prévenu. Il est seul, dans sa cellule, à ressasser les derniers événements. Je crois que c'est le mot sidération qui résume le mieux son état. Tout a basculé si vite et il n'a rien pu faire. Depuis son arrestation, dans la nuit de jeudi à vendredi, juste après sa qualification à la finale de Master Chef, Drago a l'impression d'être englué dans un cauchemar. Quoiqu'il fasse, quoi qu'il dise, il subit la situation sans avoir sur elle le moindre effet.

Lorsque Harry entre dans sa cellule, Drago voit son fils dans ses bras. Il ne l'a jamais vu, mais il sait que c'est son fils. Bien sûr que c'est son fils. Il se lève de sa couchette, trébuche, se redresse, court. Il a envie de crier oui et non, il ne sait plus. Il serre Harry et Thomas dans ses bras, les deux en même temps.

– Comment as-tu pu ?

Harry a posé sa question, mais la réponse n'est pas celle qu'il attend.

– Je peux ?

Drago demande à prendre l'enfant. Harry acquiesce, Thomas change de bras. Drago lui parle doucement, mais l'enfant pleure. Harry et Drago finissent côte à côte, sur le lit, à le consoler. Il se calme, puis s'endort entre eux. C'est l'heure des explications. Et cette fois, Drago veut tout reprendre, depuis le début, sans rien omettre. Fiertalon est là, dans un coin de la cellule, mais il sait se faire oublier.

Drago raconte à Harry les feuilles noircies de son sang, cette douleur qui étouffait la culpabilité. Des mois durant, il avait supporté de vivre grâce à elle. Jusqu'au jour où, assis à son bureau, il avait relu les dernières lignes qu'il venait d'écrire. Alors, il avait reposé sa plume et s'était levé, dégoûté de lui-même. Il avait sous les yeux la preuve qu'il n'avait pas changé, qu'il était le petit être imbu de lui-même et égoïste qu'il avait toujours été, ce gamin lâche, pleurnichard, malveillant.

Le nom d'une victime manquait et il n'y pensait que maintenant. Il avait oublié Dobby; l'elfe qu'il avait méprisé pendant douze longues années, l'elfe qui s'était infligé sous son toit toutes les tortures possibles et inimaginable pour le bon plaisir de ses maîtres, l'elfe ami de Harry Potter et que sa propre tante avait assassiné. La punition qu'il s'infligeait perdit tout son sens. Elle ne le soulageait plus. Au contraire, elle lui rappelait qui il était vraiment. Quelqu'un qui listait les victimes de la guerre et de Voldemort sans penser à Dobby, l'elfe de maison, l'elfe libre.

Alors qu'il s'était chaque jour enfermé dans sa chambre des heures durant, il ne supportait plus d'y rester. Il errait dans le manoir, craignant plus que tout de croiser son père et recherchant en même temps sa présence. Parce que c'était devenu sa nouvelle punition : soutenir le regard de Lucius et y lire ce qu'il lui avait fait. Sa mère avait bien essayé de le détourner de cette manie morbide, mais elle n'avait rien pu faire. Père et fils se trouvaient souvent face à face et, ensemble, revivaient cette nuit d'horreur, encore et encore.

C'était ce qu'il lisait dans le regard de son père qui avait poussé Drago côté moldu. Là-bas, ses hurlements déchirants se faisaient lointains. Si Drago y restait suffisamment, ils se faisaient même silencieux. Il oubliait presque qui il était et ce qu'il avait fait. Alors, il s'y réfugiait de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Jusqu'au jour où il n'a plus supporté de remettre les pieds sous le toit de l'homme qu'il avait torturé. Si Lucius Malefoy n'était pas devenu fou, il était irrémédiablement abîmé.

Parti définitivement et sans rien emporter, Drago avait erré dans le monde moldu comme un vagabond. En parcourant les couloirs du métro, il avait souvent songé à en finir, sans jamais trouver le courage de passer à l'acte. Puis sa route avait croisé celle d'Elena. Il avait compris, malgré la peur, malgré la lâcheté, que s'il laissait ses types lui faire du mal, s'il détournait une fois de plus les yeux, son âme ne s'en remettrait pas. Il s'était levé et n'avait rien fait d'autre que de se mettre en travers leur chemin, entre eux et la jeune femme. Parce qu'il n'avait pas bougé, il avait failli mourir.

A l'hôpital, Elena lui avait rendu visite. Elle avait convaincu son père de l'aider, lorsqu'il serait suffisamment en forme pour sortir. Entre temps, Peter Van Daart l'avait reconnu comme son fils et lui avait donné une nouvelle identité : celle de Thomas Van Daart. A sa sortie, Gibbons avait tenu parole. Il lui avait proposé un travail au restaurant et un coin où dormir. Dans cette loge où il avait vécu un temps, Elena lui rendait visite. Elle l'aimait bien. Lui aussi. En tout cas, sa compagnie ne lui déplaisait pas. C'était elle qui avait voulu de lui. Il l'avait laissé faire, littéralement. Ils discutaient, dînaient ensemble et ensuite... Disons qu'elle prenait les choses en main. Une fois, elle lui avait demandé si ça le dérangeait et Drago avait été honnête. Non, ça ne le dérangeait pas. Il n'avait rien dit de plus. Ça ne le dérangeait pas, c'était tout. Avec elle, il se sentait moins seul.

Dès le début, il avait été clair. Il ne voulait pas d'enfant et n'en voudrait jamais. Elle l'avait rassuré. Elle prenait ses précautions. Absorbé par sa solitude, Drago n'avait pas compris celle d'Elena. Elle voulait un enfant pour combler ce vide en elle et ce Thomas sortit de nulle part lui paraissait un bon père. Elle le trouvait beau, aimait son côté mystérieux et ce tatouage sur son bras... Elle ne cessait de lui dire qu'il l'effrayait, mais il voyait bien qu'elle passait son temps à le regarder. Elle avait très tôt compris que cette histoire n'avait pas d'avenir, que cet homme ne pourrait jamais l'aimer. Mais elle nourrissait en secret l'espoir qu'en apprenant la nouvelle, il accepterait l'enfant et changerait d'avis.

La réaction de Drago fut terrible, incompréhensible pour quiconque ne connaissait pas son passé. Elena sut trop tard qu'elle s'était trompée et blessée par ses paroles, ne remit plus les pieds à la loge. Est-ce qu'il avait été dur ? Oui, très dur. Il lui avait dit, hurlé même, tout ce qu'Elena craignait d'entendre : qu'elle était une gamine orgueilleuse qui ne pensait qu'à son bon plaisir et jouait avec les autres comme s'ils étaient des pantins. Qu'elle ne serait jamais une bonne mère. Qu'elle en était incapable. Qu'une fois cet enfant venu au monde, elle se lasserait de lui comme elle se lassait de tout et le détruirait. Qu'ils se ressemblaient beaucoup sur ce point, elle et lui : ils détruisaient tout ce qu'ils approchaient et ils détruiraient cet enfant comme tout le reste.

Elena était partie en pleurs. Drago avait espéré qu'elle réfléchirait. Il avait attendu une visite ou au moins des nouvelles de sa part, mais rien ne vint. De la bouche de Wilfried, il apprit qu'elle avait quitté le pays pour poursuivre ses rêves d'actrice aux Etats-Unis. Là seulement, il avait regretté. Il ne savait même pas si elle avait gardé l'enfant... Il espérait que non. Il s'en convainquit même : devenir actrice avec un bébé ? Non, elle n'avait pas pu le garder.

Un jour, au restaurant, Wilfried avait fait mine de l'interviewer pendant qu'il cuisinait. Drago l'avait laissé faire, s'était même prêté au jeu. Un mois plus tard, la production de Master Chef l'appelait. Il était présélectionné, on l'attendait à Londres pour le casting du Sud de l'Angleterre. Sous le choc, Drago n'avait rien trouvé à répondre. Il n'y était pas allé. Pour quoi faire ? Il avait un job, un toit sur la tête, une passion dévorante et la compagnie de Wilfried. Il trouvait encore le temps de lire et se découvrait un goût pour le cinéma. A toujours s'occuper, il avait fini par réussir à ne plus penser. Ni au passé, ni à l'avenir. Il vivotait dans un éternel présent où rien ne pouvait lui manquer.

La vie se chargea aussitôt de lui montrer son erreur. Wilfried était encore en train de lui remonter les bretelles (« Pourquoi ? Mais pourquoi ? Ça te coûtait quoi de te pointer là-bas et de tenter ta chance ? De l'or dans les mains et tu en fais du pipi de chat ! ») que Gibbons débarquait au restaurant, fou de rage. Cela faisait des mois que sa fille était partie et il venait de recevoir d'elle la photo du petit Thomas, dont elle lui laissait deviner qui était le père. En même temps que Drago apprenait l'existence de son fils, Gibbons avait essayé de l'étrangler. Wilfried avait réussi à s'interposer, mais plus de travail et plus de logement. A la rue, encore. Wilfried l'avait accueilli chez lui, contre l'avis de sa femme. Une solution précaire qui avait obligé à Drago à en envisager une autre : Master Chef.

En prétextant avoir été malade et parce que la vidéo de Wilfried avait fait son petit effet, Drago avait obtenu l'autorisation de participer au casting du Nord de l'Angleterre. Sélectionné parmi les cent meilleurs cuisiniers amateurs, il s'était lancé dans l'aventure avec un seul objectif : remporter les 100 000 livres et refaire sa vie aux Etats-Unis, près de son fils. Là-bas, il aurait ouvert un petit restaurant ou juste trouvé un job de cuisinier, qu'importe. Il aurait dit à Elena qu'il voulait une place dans la vie de Thomas, qu'il allait l'aider, qu'à deux, ils s'en sortiraient peut-être, qu'ils feraient de leur mieux en tout cas. Il n'aurait plus jamais entendu parler du monde magique, du moins jusqu'à ce que Thomas entre à Ilvermorny, l'école de sorcellerie américaine, en tant que né-moldu. Personne n'aurait jamais su qu'il était un Malefoy et Drago n'en n'aurait jamais rien dit.

C'était le plan, jusqu'à ce qu'un certain Harry Potter vienne tout bouleverser, une fois de plus.

Drago avait essayé de le lui dire plusieurs fois. Pas au début, bien sûr. La première fois qu'il a sérieusement envisagé la chose, c'était pendant une épreuve de Master Chef. Il venait de récupérer le plat catastrophique de Luke, sur le thème « Menu enfant », tandis que son parfait tournedos Rossini partait chez Julia. Harry avait volé à son secours, lui avait conseillé de faire quelque chose que les enfants puissent manger avec les doigts. Là, pour la première fois, il s'était dit qu'il devrait en parler à Potter. Parce que ce dernier l'avait embrassé, même s'il avait paru regretter aussitôt son geste, et parce qu'il commençait à lui faire confiance – bien malgré lui.

Mais après l'émission, Harry l'avait emmené chez Ron et Hermione, sans savoir qu'une fête d'anniversaire surprise l'y attendait. Drago avait perdu courage et s'était raccroché à l'idée qu'il pourrait en parler, plus tard. Et plus tard, Harry avait eu cette phrase malheureuse en parlant de sa rupture avec Ginny. Pendant longtemps, il avait cru qu'il se marierait avec elle, qu'elle serait la mère de ses enfants, mais maintenant, il savait qu'il ne se marierait pas et qu'il n'aurait pas d'enfant. Il avait ajouté, en regardant Drago : « C'est presque une déclaration ». Mais loin de ravir Drago, cette déclaration lui avait fait craindre une chose : si Harry ne voulait pas d'enfant, pourquoi voudrait-il du sien ? Il avait hésité encore, lors de leur escapade en France pour la septième émission, lorsqu'ils avaient discuté de Pansy Parkinson. Mais ils venaient juste de se réconcilier. Et puis repousser à plus tard était tellement plus confortable...

Peu à peu, Drago s'était convaincu d'attendre la fin de Master Chef pour tout dire à Harry. Il savait que c'était lâche, mais il se trouvait mille excuses. Leur histoire était déjà si compliquée... Et puis, il avait besoin de se concentrer sur Master Chef. Mais surtout, il avait attendu trop longtemps, si longtemps que son secret était devenu impossible à avouer. Il ne se raccrochait plus qu'à une option : remporter Master Chef et mettre Harry devant le fait accompli.

D'autres occasions s'étaient encore présentée pour dire la vérité et il avait presque trouvé le courage de les saisir – presque : à la mort de l'oncle Vernon, lorsque Harry lui avait dit qu'il était quelqu'un de bon et la nuit même de son arrestation, lorsqu'ils étaient encore à la fête, dans la chambre de Charles. Sans parler de la grossesse d'Hermione... Mais la lâcheté l'avait à chaque fois emporté. Il ne savait pas quoi dire d'autre. La lâcheté l'avait à chaque fois emporté.

Drago se tait. Harry vient d'obtenir les explications qu'il attendait. Il se sent à la fois soulagé, en colère et blessé. Il a terriblement peur aussi car s'il a trouvé le petit Thomas, il n'a rien trouvé qui permette d'innocenter Drago. Ils sont allongés l'un à côté de l'autre, sur le côté car la couchette n'est pas bien large, et l'enfant dort entre eux. Harry essaie de réfléchir à la situation comme s'il était encore le chef du bureau des Aurors, c'est-à-dire le plus objectivement possible. A un moment, Drago ne supporte plus son silence.

Je suis désolé. Désolé pour tout. J'avais espéré une autre fin pour cette histoire...

Ses mots me hérissent les poils et je sens la colère fourmiller dans mon corps, une fois de plus.

Une autre fin, hein ? C'est tout ce que tu trouves à me dire ?

Je croise le regard de Drago et ma colère s'écroule comme un château de cartes. Elle est remplacée par quelque chose de tranchant et de froid qui me blesse au cœur.

Je vais certainement passer le reste de ma vie à Azkaban. Peut-être seulement les quinze ou vingt prochaines années si j'ai de la chance... Mais Thomas Van Daart était un jeune homme brillant et plein de vie. Je ne me fais pas trop d'illusions.

Ne dis pas ça !

Il faut que je parle à ma mère. La connaissant, elle a dépensé beaucoup d'argent pour me retrouver, mais il doit nous rester assez pour assurer son avenir.

Il caresse doucement la joue de l'enfant, sans le réveiller.

Au besoin, je lui demanderai de vendre le Manoir. Elle devrait le faire de toutes les façons. Il n'y a plus que des mauvais souvenirs là-bas. Ils y dépérissent tous les deux.

De l'argent ? C'est ça que tu proposes à cet enfant ?

L'argent, c'est ce que j'ai de mieux à lui offrir.

La rage m'étouffe.

Et à moi, qu'est-ce que tu as à offrir ? Des visites aux parloirs ?

Je ne te ferai jamais ça, Harry. Jamais.

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Ma voix se brise, lui aussi l'entend.

Que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. Que ces quelques mois passés à tes côtés ont été les plus beaux de ma vie. Que j'ai gâché beaucoup de belles choses, mais toi...

C'est à son tour de manquer de souffle.

Toi, je ne veux pas t'abîmer. Je ne le supporterai pas.

Drago...

Lève-toi, m'interrompt-il.

Quoi ?

Lève-toi, c'est tout.

J'obéis. Je remarque alors que Fiertalon est sorti de la cellule. Il a laissé la porte ouverte pour nous entendre et je lui suis reconnaissant de nous offrir un peu d'intimité. Avec précaution, Drago soulève le corps endormi de l'enfant et l'installe près du mur. Il place son oreiller à côté de lui, pour s'assurer qu'il ne tombe pas. Puis il se redresse et se tourne vers moi.

Qu'est-ce que...

Il glisse ses mains autour de mon visage et m'embrasse. Ma question se perd quelque part, je ne sais où. Ses lèvres sont douces. Elles caressent les miennes puis remontent sur ma joue jusqu'à mon oreille.

Je vais te demander quelque chose de très difficile, Harry Potter, murmure-t-il.

Son souffle chaud me fait frissonner. Il poursuit :

Je vais te demander d'accepter de ne pas être le héros, juste cette fois.

Je ne réponds pas. C'est dangereux de répondre. Ça ne l'empêche pas de continuer.

J'ai beaucoup réfléchi, tu sais...

Tu ne devrais pas.

Il me fait taire en m'embrassant, encore. Il me presse contre lui, ses mains caressent ma nuque. Ses lèvres se font plus avides, puis descendent lentement dans mon cou. Je sens leur sillon brûlant, mais c'est une brûlure exquise qui m'arrache un soupir. Il profite de ma faiblesse comme il sait si bien le faire.

Tu ne peux pas me sauver, Harry. Tu ne dois même pas essayer.

Mon prénom, dans sa bouche, pour la deuxième fois... Sur moi, l'effet est dévastateur. Je cherche son regard, il m'offre ses yeux gris, intenses.

Tu dois me le promettre.

Jamais. Plutôt mourir.

Il sourit. Il a l'air encore plus sûr de lui et ça me fait peur. Un frisson me parcourt l'échine.

J'étais sûr que tu répondrais quelque chose comme ça. J'étais sûr que tu ne voudrais pas baisser les bras. Mais je veux encore que tu saches quelque chose...

Je sens ses lèvres contre mon oreille, la chaleur de son souffle.

Je t'aime, Harry Potter.

La surprise m'arrache un hoquet. Et c'est en disant ça qu'il espère me tenir à distance ? Il écarte son visage du mien pour me regarder. Il doit lire dans mes pensées car il sourit encore, mais d'un sourire si triste qu'il semble sur le point de pleurer.

Ça fait douze ans que je t'aime...

Sous l'effet de la surprise, je sens ma bouche s'entrouvrir.

Je veux que tu me regardes droit dans les yeux Harry, parce que c'est très important. Je veux que tu lises la vérité dans mon regard, que tu saches... vraiment.

Il enserre mon visage entre ses mains, plante son regard dans le mien.

Ça fait douze ans que je t'aime et je n'ai jamais aimé d'autre que toi.

Je veux parler, mais il pose un doigt sur ma bouche.

Chut, Harry... Je t'en prie, écoute-moi. Ce que je te dis là, je ne le dirai jamais qu'à toi.

Il retire son doigt et me serre contre lui, de toutes ses forces. Je sens son cœur battre à l'unisson du mien, vite et fort. Trop vite et trop fort. Il reprend, tout contre mon oreille :

J'étais debout sur un tabouret et une vendeuse de chez Guipure s'occupait de l'ourlet de ma robe. J'ai regardé par la fenêtre et je t'ai vu, avant même que tu entres dans la boutique. Une masse de cheveux noir, des yeux verts… Même de loin, j'ai vu qu'ils étaient verts. Tu ne regardais pas dans ma direction. Tu regardais l'enseigne et tu hésitais. J'ai eu envie que tu entres et tu as fini par pousser la porte. J'ai l'impression d'entendre encore la petite sonnette…

Il s'interrompt et reprend son souffle, une inspiration douloureuse.

Guipure t'a demandé si tu venais pour Poudlard et j'ai tendu l'oreille. J'ai entendu ta voix, polie, timide. Puis Guipure t'a conduit vers moi.

Je ferme les yeux. C'est si étrange de revivre cette scène, à travers les yeux d'un autre… A travers ses yeux… Drago Malefoy...

Je t'ai trouvé petit et maigre. Puis tu as posé tes yeux sur moi et je t'ai trouvé moins petit et moins maigre. Comme si tu prenais plus d'espace, comme si tu n'étais pas si timide finalement. Tu as pris le tabouret près du mien et j'ai eu envie de te parler.

Il laisse échapper un son à mi-chemin entre le rire et le sanglot.

J'aurais mieux fait de me taire.

Je sens une larme rouler sur ma joue. Au fond de moi, je sais déjà où il veut en venir. Je l'ai compris.

Je voulais t'impressionner, Potter. Je voulais te montrer que j'en savais plus que toi, je voulais faire mon intéressant... Quand tu es parti, je me suis rendu compte que je ne savais même pas comment tu t'appelais… Ça ne m'a pas inquiété. Je savais que je te reverrai bientôt, j'étais tellement pressé. Dans le train, je suis parti à ta recherche. Je me suis senti bête quand j'ai su… Harry Potter. J'avais parlé à Harry Potter et je ne lui avais même pas demandé comment il s'appelait !

Je hausse les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance, mais ma respiration est sifflante, douloureuse. J'essuie mes yeux et il me serre plus fort.

Je t'ai vu avec Weasley et ça m'a agacé. Tu ne pouvais pas être ami avec lui et avec moi, tu devais choisir. Mais là encore, ça ne m'a pas inquiété. Je pensais que le choix était évident et je t'ai tendu la main.

Il frotte sa joue contre la mienne, doucement.

J'étais ravi de t'avoir retrouvé, trop ravi pour que ce soit normal. Mais j'ai lu dans tes yeux que toi, tu ne l'étais pas et ça m'a… Je ne sais même pas comment dire. Puis tu as refusé de serrer ma main et ta voix était si froide et je me suis senti si vexé… Si horriblement vexé que ça a éclipsé tout le reste. Je ne le savais pas encore, mais ce n'était que la première d'une longue suite d'humiliations, la première de toutes mes défaites face à Harry Potter.

Arrête, Drago, murmuré-je. Je t'en prie…

Il arrache sa main à la mienne pour la glisser sur ma nuque. Il vient presser son front contre le mien. Il ne m'écoute pas parce qu'il veut me faire entendre raison.

Ce soir-là, en m'endormant, je n'ai pensé à rien de ce que j'attendais depuis des mois et des mois. Ni à Poudlard, ni à la maison de Serpentard, ni aux cours… Je me suis tourné et retourné dans mon lit en maudissant un crétin balafré aux yeux verts qui se croyait trop bien pour moi. Je me suis juré qu'il le regretterait, sans savoir à quel point moi, je le regretterais…

Sa voix tremble et je ne sais plus quoi faire. Sur ma nuque, ses doigts me paraissent glacés. Comment est-ce possible ?

Drago, écoute-moi... Je suis là maintenant. Je serai toujours là. La seule chose qui compte, c'est de te sortir de là. Alors arrête, je...

Pour une fois, Harry Potter, tu ne vas pas me dire ce que je dois faire ou ne pas faire et m'écouter jusqu'au bout. Tu vas le faire que ça te plaise ou non. Il faut que tu comprennes, d'accord ?

Je serre les dents. Sa main est toujours sur ma nuque, son front toujours contre le mien et même si je distingue à peine l'éclat de ses yeux, l'intensité de son regard me brûle. Sa voix est aussi douce qu'elle est rude et j'obéis. Je me tais. Je l'écoute parce qu'il ne me laisse pas le choix.

Je te haïssais, Potter. Du plus profond de mon être, je te haïssais. Je voulais que les autres te haïssent aussi. Que tu sois seul et abandonné. Que tout Poudlard se retourne contre toi. Si tu savais comme j'ai pu jubiler… En première année, après l'histoire du dragon, quand plus personne ne t'adressait la parole. Et surtout, pendant le tournoi des trois sorciers, quand même Weasley t'a tourné le dos. Je restais allongé sur mon lit et je devais me retenir pour ne pas hurler de joie. A bas Potter. Les insultes. Les croche-pieds. Et chaque petite pique que j'avais le plaisir de te lancer. A chaque fois, j'ai cru tenir ma revanche… mais je me trompais.

Puisque je n'ai pas le pouvoir de le faire taire, j'embrasse son visage. Je commence à la commissure de ses lèvres et remonte jusqu'à sa tempe. Il ferme les yeux et sa main se perd dans mes cheveux.

Parfois, j'étais pris d'une lucidité horrible qui me donnait mal au cœur. Je me rendais compte que je voulais que tu sois renvoyé mais pas, surtout pas, que tu disparaisses de ma vie. Je voulais que tu sois plus bas que terre, mais toujours dans mon champ de vision. Je voulais que tu sois seul pour que tu sois obligé de te tourner vers moi et, pourtant, je savais que tu ne le ferais pas. Jamais. Je prenais conscience que j'aurais voulu échanger nos rôles. Je voulais être le héros, l'Elu entouré d'amis, aimé et admiré. Je voulais accomplir toutes ces choses exceptionnelles et je voulais que ce soit ton regard à toi qui soit chargé d'envie… Je voulais que tu m'aimes pour pouvoir te rejeter. Et ça me mettait hors de moi, parce que je savais que ça n'arriverait pas et que c'était moi qui avait été rejeté. Qui l'était encore et encore. Qui le serait toujours.

Pas toujours, glissé-je en embrassant l'angle de sa mâchoire.

Il joue avec mes cheveux, sa voix n'est plus qu'un murmure. Il fait comme s'il n'avait pas entendu.

En sixième année, enfin, j'ai cru pouvoir prendre le dessus. Au début, je me suis senti tellement supérieur… Je me suis détaché de tout pour me consacrer à cette foutue mission. Plus rien ne m'intéressait, pas même le Quidditch. Je t'ai chassé de mes pensées, je t'ai tenu à l'écart, jusqu'à ce que je ne puisse plus… Jusqu'à ce que je me rende compte que cette marque sur mon bras, c'était contre toi. Que je cherchais simplement à me mettre en travers de ta route, encore et encore. Je voulais te forcer à lever les yeux vers moi, Harry Potter. Mais il aurait fallu que tu les baisses pour me voir et tu n'es pas le genre d'homme à baisser les yeux.

Il éloigne son visage du mien et me regarde avec cette intensité inquiétante. Ça me fait du mal. Ça me faut du mal d'avoir été aussi aveugle, aussi longtemps. Il reprend.

Quand les choses sont vraiment devenues horribles, quand je ne parvenais plus à manger ni à dormir, le seul réconfort que j'obtenais, c'était en cherchant ta silhouette dans la foule, en passant près de toi dans un couloir, en essayant de croiser ton regard. Je t'ai haï encore plus pour ça. Tout ce qui m'arrivait, je me répétais que c'était de ta faute.

Ma gorge est trop serrée pour que je puisse parler. Mon silence lui convient. Il lui laisse le champ libre.

Quand tu m'as surpris dans les toilettes du deuxième étage, Potter, j'ai souhaité ta mort. Vraiment. Je n'ai même pas réfléchi aux… conséquences. J'ai d'abord essayé de te faire horriblement mal, au moins aussi mal que j'avais mal... Puis j'ai compris que si je devais mourir, tu devais mourir aussi. Te laisser poursuivre ta vie sans moi, comme si de rien n'était, c'était impossible. Mais j'ai encore perdu. Tu m'as jeté ce sort, je me suis senti transpercé de toute part, j'ai cru mourir.

C'est à mon tour de le serrer contre moi, de toutes mes forces. Je réussis à laisser échapper un filet de voix, un pathétique filet de voix.

Je suis désolé... Je suis si désolé…

Ne le sois pas. Avant de perdre conscience, je t'ai vu te précipiter sur moi, j'ai vu la terreur dans tes yeux et je me suis senti bien, vraiment bien, pour la première fois depuis des mois. J'avais été trop loin pour que tu puisses me tendre la main, mais pas assez loin pour que tu souhaites ma mort. Crois-le ou non, c'était plus que je n'osais espérer… Cette image de toi, elle m'a accompagné plus souvent que tu ne pourrais le croire.

J'enfouis mon nez dans ses cheveux. Il reste un peu de son odeur malgré tout ça – la cellule, les interrogatoires, la peur.

Et il y a eu cette année horrible. Poudlard était devenu l'enfer sur terre et tu n'étais nulle part. Je m'attendais à apprendre ta mort d'une seconde à l'autre. J'ai dû vivre avec ça. Quand ils t'ont amené au Manoir, j'étais terrifié. C'était la fin, la fin de Harry Potter, la fin de tout. Mais tu t'es échappé, tu as survécu encore et ma famille et moi avons été punis comme jamais... Je pensais être arrivé au bout de la déchéance, mais ce n'était que le début. Dans la Salle sur Demande, j'ai enfin touché le fond. J'ai essayé de m'opposer à toi, une ultime fois. Mais même pour Crabbe et Goyle, j'étais devenu un moins que rien. J'ai perdu et tu m'as sauvé la vie. Tu as serré ta main dans la mienne, malgré le feu, malgré la sueur. Tu m'as tiré de là et quand j'ai serré mes bras autour de toi, j'ai eu envie de pleurer, Potter. Je savais que moi, j'aurais fui en te laissant mourir et au lieu de me haïr pour ça, c'est encore toi que je haïssais.

Ma bouche s'égare sur sa joue et il ferme les yeux, soupire, poursuit encore cette histoire qu'il a gardé en lui si longtemps.

Tu m'as sauvé la vie une deuxième fois. J'ai senti le poing de Weasley sur mon visage et j'ai vu le bas de tes chaussures sous la cape d'invisibilité. Étendu sur le sol, j'ai fermé les yeux et je me suis demandé pourquoi j'étais si lâche. Pourquoi je tenais tant à ma vie alors que j'avais tout perdu ? Alors que je t'avais perdu, toi.

J'embrasse doucement son cou. Il me tient toujours serré contre lui. Les mots s'échappent de sa bouche comme un flot ininterrompu, mais il approche de la fin, nous le savons tous les deux.

Après la guerre, je t'ai attendu. A ta place, je serais venu fanfaronner. Je t'aurais traîné devant le Magenmagot réuni au grand complet. J'aurais obtenu ta condamnation. Puis je serais venu te voir en prison pour que tu comprennes bien qui de nous deux avait gagné. Là, je t'aurais enfin eu, pour moi tout seul. Crois-moi, je serais venu te voir tous les jours. J'aurais veillé à ce que ta peine soit une longue et interminable torture dont j'aurais été le seul bourreau. Mais toi... Toi, tu n'es pas venu. Toi, tu n'as pas cherché à te venger. Avec ton éternelle bonté, tu m'as condamné à vivre loin de toi et c'était une punition exquise, la meilleure qu'on puisse imaginer.

Ses mains sont sur moi, ne veulent plus me lâcher.

Est-ce que tu comprends, Harry ? J'aurais dû être soulagé, soulagé à en hurler de joie. Mais, quand j'ai compris que tu ne viendrais pas, je n'ai plus réussi à me mentir. Toutes ces années, toute cette haine… C'est ma façon à moi de t'aimer... La seule dont je sois capable.

Il se tait enfin. Il pose la tête sur mon épaule et reste ainsi, silencieux, un long moment. Alors, c'est à mon tour de parler. Je murmure à son oreille ces quelques mots qui me font tant de bien.

Je t'aime aussi, Drago. Je t'aime de tout mon cœur.

Je le sens qui acquiesce.

Je sais, Harry. Il m'a fallu du temps pour le comprendre et encore plus pour le croire. Tu te souviens, cette troisième qualité ?

J'acquiesce. Il en avait trouvé deux et refusé de me dire la troisième.

Mon sens aigu de la justice, mon courage et ?

Ta capacité à aimer.

Il rit, un rire doux et triste qui me déchire de l'intérieur.

Il n'y a que toi pour me faire dire quelque chose d'aussi niais.

Il se redresse, passe une main sur ma joue, y fait glisser tout doucement le bout de ses doigts. J'ai l'impression que je ne m'habituerai jamais à cet effet.

D'où je viens, les gens comme toi sont considérés comme des imbéciles. L'amour... Je crois que je commence seulement à comprendre à quel point ça t'a rendu fort. Et à quel point ça m'a rendu faible. Mais aujourd'hui, je veux inverser la donne. Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je veux être le héros. Pour te sauver toi.

Si tu crois que je vais te laisser. Si tu crois que...

Oublie moi.

C'est impossible.

Trois mois, Harry, je te demande de tirer un trait sur trois mois. Qu'est-ce que c'est, trois mois, dans toute une vie ?

C'est impossible.

Tu crois ça aujourd'hui et c'est vrai que ça va être difficile. Mais Ron et Hermione seront là pour toi et un jour... Un jour, tu rencontreras quelqu'un digne de toi...

Ne dis pas n'importe quoi !

– … quelqu'un qui sera capable de te rendre heureux et...

Ne dis pas n'importe quoi !

– … et ce jour-là, je saurai qu'au moins une fois dans ma vie, je n'ai pas tout gâché...

Tu racontes n'importe quoi !

Si je finis à Azkaban et que tu finis aux parloirs, Harry, j'en mourrais !

Je le regarde, choqué. Il ne plaisante pas. Ses yeux sont trop brillants, il les essuie rageusement.

Tu entends ? Si je finis à Azkaban et que tu perds ta vie à m'attendre, je te jure que j'en mourrais !

Je n'ai plus de mot. Je ne trouve plus rien à dire parce que je perçois la menace dans son ton, je comprends exactement ce qu'il insinue.

Cela fait douze ans que je t'aime de la pire des façons, Harry. Tu m'as sauvé la vie deux fois et tu es venu à mon secours quand je n'attendais plus personne. Je te veux heureux parce que personne n'a plus le droit au bonheur que toi. Si tu es heureux, Harry, je crois que je pourrais enfin l'être aussi.

Des conneries !

Tiens-toi loin de moi. Je sais que tu as été déchargé de l'enquête. Tu n'as rien à faire ici. Si Skeeter l'apprend...

Je me contrefous de Skeeter...

– … ça pourrait te causer des ennuis. Je ne veux pas te causer d'ennuis. Laisse tes collègues faire le travail...

Ce ne sont plus mes collègues.

Il poursuit sur sa lancée, sans comprendre ce que j'ai dit

Si on peut prouver mon innocence, ils y arriveront. Ils n'ont pas besoin de ton aide.

Ce ne sont plus mes collègues.

S'ils n'y arrivent pas, tu dois l'acc... Quoi ?

Je ne réponds pas tout de suite. Un petit avion en papier violet clair vient voler sous mon nez. Si Hermione était là, je l'embrasserais. Pile au bon moment, comme toujours ! Je déplie la note d'Hermione tandis que Drago me secoue.

Qu'est-ce que tu as dit ?

Il ne m'interroge pas sur ce que je lis, il s'en moque même. Je replie le papier et le glisse dans ma poche, avant de répondre :

Ce ne sont plus mes collègues. J'ai démissionné.

Tu as quoi ?

Il est si pâle que je tends une main pour le soutenir. Mais il me repousse.

Tu as quoi ?

J'ai démissionné. Je ne pouvais pas être le Chef du bureau des Aurors et te voir. J'ai choisi ce qui comptait vraiment : te voir.

Je m'attendais à une flopée d'insultes, mais ce qu'il hurle n'a rien à voir.

Fiertalon ! Fiertalon !

Le pauvre Auror rentre en catastrophe dans la cellule.

Faites-le sortir d'ici.

Puis, se tournant vers moi :

Si tu n'es pas capable de te protéger, je vais le faire. Va-t-en.

Fiertalon me lance un regard déboussolé, mais je ne suis pas surpris le moins du monde.

Laisse-moi au moins lui dire au revoir.

Je désigne Thomas qui s'est réveillé en sursaut et qui commence à pleurer. Pris de court, Drago en oublie sa colère. Il ne lui reste plus que cette infinie tristesse qui me vrille le cœur. Mais je la savoure à sa juste valeur. C'est elle qui me donne le courage de faire ce que je vais faire. D'abord, je reste immobile dans l'attente de la réaction de Drago.

Il peut rester ici ?

Ce serait une bonne occasion de connaître ton fils. Ça te dérange ?

Non, bien sûr que non... Mais je n'ai rien pour...

On va faire aménager la cellule.

Je ne suis pas sûr que..., commence Fiertalon.

Le département de la Justice magique a dû recevoir quarante centimètres de parchemin signé par Hermione Granger. Les enfants ont le droit de rester avec leurs parents emprisonnés jusqu'à leurs dix-huit mois. Une disposition cruelle, mais moins cruelle que de les séparer, non ? Bref, le Ministère de la magie ne connaît pas la mère de cet enfant. Moi-même, j'ignore où elle se trouve en ce moment. Il marche à peine, demande simplement quelques soins et beaucoup d'amour. Je pense qu'il ne se rendra même pas compte qu'il est dans une prison. Par rapport à ce qu'il a connu jusque là, je pense même que c'est une légère amélioration.

Drago, qui serre son fils contre lui pour essayer de le calmer, répète :

Ce qu'il a connu jusque-là ? Qu'est-ce que tu veux dire par-là ?

Tu n'avais qu'à y réfléchir avant de laisser une jeune femme blessée et immature s'occuper seule d'un bébé qui a été fait à deux, désiré ou non.

Il serre les dents, comme si je l'avais frappé et je m'en veux un peu.

Ce qui est fait est fait, Drago. Maintenant, cet enfant a besoin de toi. Si tu ne te bats pas pour moi, bats-toi pour lui.

Me battre ? Me battre ? Mais tu n'acceptes donc jamais la défaite ?

Quand elle signifie croupir dans une geôle à Azkaban pour un crime que je n'ai pas commis ? Non, jamais.

Un sifflement rageur me répond. Il me tend l'enfant et dans mes bras, il se calme instantanément.

Fiertalon est médusé, Drago lève un sourcil, mais son expression reste indéchiffrable. Il est surpris, mais pas que. Moi, je souris.

On se comprend, hein, Thomas ? Alors écoute-moi bien, mon grand. Je te confie ton papa. C'est ce grand imbécile, là. Tu ne peux pas te tromper, vous avez les mêmes yeux. Jusqu'ici, je ne te cache pas qu'il ne s'est pas très bien comporté... Mais il progresse et vite. Tu peux lui faire confiance et, dorénavant, tu pourras compter sur lui. Il est encore un peu perdu, pour pas dire franchement à côté de la plaque, mais je suis sûr que tu vas lui remettre les idées en place. Je compte sur toi, d'accord ?

Drago garde les lèvres serrées, fait celui qui n'a rien écouté. Thomas lui, me regarde avec cette intensité qui colle si mal à un bébé de son âge. Sans trop savoir si je m'adresse à lui ou à son père, j'ajoute :

On se reverra très bientôt, c'est une promesse.

Je le serre contre moi, je l'embrasse sur le front et je le tends à Drago.

Dans les bras de son père, Thomas se remet à pleurer.

– Harry, attends !

C'est Drago. Il regarde son fils, qui pleure et moi, qui suis prêt à partir. Finalement, il arrache la couverture de sur le lit, l'étale par terre, y dépose l'enfant. Thomas se tient assis, immobile, mais hurle à pleins poumons.

Je reviens tout de suite, assure-t-il à son fils.

Il revient ensuite vers moi en courant, mais je le devance.

Je sais déjà ce que tu vas me dire.

Ça, ça m'étonnerait.

Tu vas me dire que je peux foutre en l'air ma carrière si ça me chante, tu ne changeras pas d'avis. Tu vas me dire que tu vas finir à Azkaban où tu ne pourras rien pour moi, ni pour Thomas. Tu vas me dire que tu vas assurer son avenir avec de l'argent et le mien en refusant de me voir. Peut-être même que tu vas oser me dire que si je m'entête, si tu vois que je refuse de passer à autre chose, tu... comment déjà ?

Je fais mine de réfléchir avant de susurrer :

Ah oui, tu en mourrais ! Et bien tu sais quoi, Malefoy ? Toi et moi, on n'est dans le même bateau. Tu meurs, je meurs, c'est bien compris ? Si c'est d'argent dont Thomas a besoin, et bien il en aura beaucoup : je lui laisse ma part.

Drago a reculé d'un pas, vacillant. Pour la seconde fois, je me demande s'il ne va pas faire un malaise. Je sais que je lui ai asséné le coup de grâce. Je sais qu'il ne voulait pas que je joue au héros. Une partie de moi le comprend. Mais je ne joue pas au héros. Je ne joue pas les sauveurs. Ou alors, c'est moi que je sauve. Tout ce que je fais, c'est me battre pour l'homme que j'aime et je le fais plus pour moi que pour lui. C'est égoïste, pas héroïque.

Tu es fou..., souffle enfin Drago. Complètement fou...

Fou de toi, oui. Donc voilà comment les choses vont se passer. Premièrement, je te sors d'ici. Deuxièmement, tu choisis si tu veux de moi ou pas dans ta vie. Si tu ne veux plus me revoir, je partirai. Pour Thomas, je me suis déjà arrangé avec sa mère. Elle est peut-être blessée et immature, mais elle l'aime et elle a besoin d'aide. Et elle, elle veut bien de la mienne !

Sur ces mots, Harry quitte la cellule sans se retourner. Suite à cette longue entrevue, il est déjà tard et Harry se rend chez Ron et Hermione. Dean ne tarde pas à les rejoindre. Grâce à lui, Harry apprend qu'un certain James, de la production, ne cesse d'appeler pour savoir si « Thomas » sera en état de disputer la finale ou non. En effet, le ministère de la magie a camouflé l'arrestation de Drago par une hospitalisation en urgence. Harry demande à Dean de les faire patienter, pour éviter qu'ils ne rayent trop vite Drago du tournage. Aussi improbable que cela paraisse, il ne perd pas espoir. Ou plutôt, imaginer que Drago pourra encore disputer la finale lui donne de l'espoir – et l'énergie nécessaire pour mener l'enquête.

Les quatre amis essaient ensuite de lister les pistes à explorer et de se répartir les tâches. Mais Harry reste bloqué sur les appels de James, sans que lui-même ne sache pourquoi, et il n'arrive à se décider pour aucune piste ni à formuler la moindre hypothèse. Alors que Hermione lui rappelle que le temps presse, il se lève d'un bond en hurlant : « Bittany Murdoch ! ». Les autres échangent des regards perplexes et il leur explique que le James qui ne cesse d'appeler est le remplaçant de Brittany Murdoch qui a elle-même subitement démissionné après avoir fait des pieds et des mains pour tenter d'éliminer Drago de la compétition. C'était la piste qu'il cherchait, ce dont il essayait désespérément de se rappeler. Tous veillent jusque tard dans la nuit pour mettre au point leur plan d'attaque et Harry prend ensuite une potion de sommeil pour dormir un peu.

Le lendemain, le dimanche donc, Ron et Hermione se rendent chez Emilia, l'ancienne petite amie de Thomas Van Daart, pendant que Harry et Dean partent à la recherche de Brittany Murdoch. La journée est riche en enseignements.

Emilia est une jeune femme triste, encore hantée par Thomas Van Daart, qu'elle sait mort, quoi qu'en dise la police. Elle explique à Ron et Hermione avoir rencontré Thomas pendant qu'il faisait un reportage sur les sans-papiers. Il avait interrogé Emilia, qui arrivait du Congo et essayait d'être régularisée en Angleterre où elle enchaînait des petits boulots. Ils avaient sympathisé. Un peu plus que cela même*... Il avait disparu un an plus tard, pendant un reportage sur les sans domicile fixe. Elle leur parle d'un garçon doux et gentil, qui se plaçait toujours du côté des plus faibles et prenait systématiquement le contre-pied de son père.

« Il avait une passion pour les histoires tristes. Comme si les coucher sur le papier, donner un nom et un visage aux victimes rendaient tout ça plus supportable. ».

Hermione aime bien le personnage de révolté de la première heure, Ron moins. Il trouve cela un peu déprimant, surtout lorsque Emilia a tenu à leur montrer l'un de ses derniers photo-reportages sur les enfants placés dans des foyers. Mais ils ne se sont pas déplacés pour rien. Ils apprennent que c'est Emilia elle-même qui a signalé la disparition de Thomas. Longtemps, elle a essayé de le retrouver, sans succès. Elle a arrêté lorsque la police lui a affirmé que l'affaire était résolue. Elle n'a pas réussi à en savoir plus. Elle était devenue trop insistante, trop insistante pour une sans-papier en tout cas.

Sur les relations entre Thomas et son père, Emilia les décrit comme glaciales. Aux antipodes sur le plan politique comme en toutes choses, ils se connaissaient finalement peu. Thomas a grandi en pension, élevé par le personnel de maison pendant les week-ends et les vacances. Sa mère était morte jeune, d'un cancer. Avant de partir, Hermione se tourne vers Emilia et lui assure que quoiqu'ils découvrent, ils la tiendront informée. Est-ce cette phrase qui la convainc de parler ? Elle leur demande de rester encore un peu et leur confie un secret, un secret dont Thomas avait honte et qu'il n'avait confié qu'à elle : le fils faisait chanter le père. Une histoire de comptes cachés, de fraude fiscale que Thomas avait découverte en surprenant une conversation entre son père et son avocat. Plutôt que de le dénoncer, il lui avait soustrait de grosses sommes pour financer diverses entreprises, certes louables mais néanmoins fondées sur de l'extorsion. Emilia ne savait rien de plus.

De leur côté, Dean et Harry ont beaucoup de mal à retrouver Brittany Murdoch qui a simulé une fuite au Mexique. Le fait qu'elle n'ait pas effacé l'historique de son ordinateur leur met la puce à l'oreille et ils finissent par découvrir qu'elle sous-loue sous un faux nom un appartement dans l'immeuble en face du sien, à partir duquel elle surveille la rue. Ils la trouvent paniquée et n'ont aucun mal à lui faire avouer tout ce qu'elle sait. Le commanditaire l'a contactée juste avant la première émission. Il avait vu un spot publicitaire de Master Chef et reconnu l'un des candidats : Thomas. Il a proposé à Brittany une forte somme d'argent contre son élimination. Elle a d'abord livré le nom de ses trois proches et le commanditaire s'est débrouillé pour qu'ils finissent inculpés dans une affaire de recel et écroués. Ils ont été libérés depuis (Harry le vérifie), mais trop tard pour qu'ils puissent participer à l'émission.

Malheureusement pour Brittany, au lieu de choisir le candidat suivant sur la liste comme cela aurait dû être le cas, la production a simplement proposé à Drago de choisir trois autres proches. Il faisait un trop bon candidat en termes d'audience pour s'en priver. Par la suite, Brittany avait connu déconvenues sur déconvenues et le commanditaire avait fini par devenir menaçant. Elle avait alors tout plaqué. Elle jure ne jamais avoir entendu parler de couteau et n'avoir jamais rien dissimulé dans la chambre de Thomas.

Les deux Aurors la croient, mais Harry la fait mariner un peu en lui faisant remarquer que si eux ont réussi à la trouver, le commanditaire y arrivera aussi. En réalité, il demande à Dean de lui trouver une planque et Brittany finit cachée dans un pied à terre que le beau-père de Dean possède à Londres. Dean demande à Lavande Brown de rendre de petites visites à Murdoch le temps que tout ça se calme. Parce que Lavande n'a aucun lien avec l'affaire, elle fait office de gardienne idéale.

Au terme de cette journée, l'étau se resserre autour de Peter Van Daart qui a le mobile (relations désastreuses, chantage) et les moyens (pouvoir, argent) pour faire tuer son fils, corrompre Brittany et envoyer les trois proches de Drago en prison.

Le soir, chez Ron et Hermione, les quatre amis mettent en commun leurs découvertes. Puis Dean doit partir car il est de poste de nuit au Bureau des Aurors. Du fait du rôle qu'il a joué, Kingsley a refusé de le mettre au premier plan de l'enquête et il est cantonné devant la cellule de Drago où il doit monter la garde. Il y voit au moins l'avantage de pouvoir se reposer. Avant de partir, il promet d'envoyer un patronus pour donner aux trois autres des nouvelles de Drago et de son fils. De son côté, Harry se sent comme un lion en cage. Avec Ron et Hermione, il essaie de démêler cette histoire qui ressemble à un sac de nœuds. Prenant à témoin ses amis, il teste ses hypothèses.

- Disons que Peter Van Daart supporte mal le chantage. Que son fils est l'obstacle qui entrave sa carrière politique. L'enfant délaissé qui en sait trop, la bonne âme idéaliste qui fait passer son père pour un riche salaud. Il le fait tuer, je ne pense pas que ce soit le genre à se salir les mains.

- On te suit, dit Ron.

- Pourquoi reconnaît-il Drago dans cet hôpital ? S'il sait que son fils est mort, pourquoi prendre le risque d'en reconnaître un autre ? Quel est son intérêt ?

Ron et Hermione restent silencieux un long moment.

- Tu as une idée ? demande enfin Hermione.

- Je crois qu'on a besoin que le fils mort soit vivant si on est soupçonné du crime... Je crois que Peter Van Daart s'est dit que le meilleur moyen de couper court aux soupçons, c'était de faire revenir son fils d'entre les morts. Ce n'est pas la seule explication, mais c'est celle qui me paraît le plus plausible.

Ses deux amis échangent un regard appréciateur.

- Laisse-moi te dire une chose, Harry, dit Ron. Tu n'es pas le chef du Bureau des Aurors pour rien.

- J'étais, corrige Harry, mais un sourire fugace éclaire son visage.

- Je crois que je comprends mieux cette histoire de vêtement, avance Hermione, hésitante.

- Vas-y, l'encourage Harry.

- Je crois que c'est une précaution que prend Peter Van Daart. Je crois qu'il a anticipé exactement ce qui est arrivé : le corps de son fils refait surface et on lui demande inévitablement comment il a pu confondre son propre fils avec un inconnu.

Ron acquiesce.

- Ça tient la route. Si le corps de Thomas venait à être retrouvé, tous les soupçons se porteraient à nouveau sur le père, puissance dix. Alors quand il va reconnaître Drago à l'hôpital, il amène le vêtement avec lui et le glisse dans ses affaires... et quand les policiers lui demande si c'est son fils, il dit qu'il le reconnaît, malgré les ecchymoses, grâce à ce haut qu'il porte souvent.

Mais Harry n'est pas satisfait. Il secoue la tête. Ses amis s'étonnent : pour eux, tout colle.

- Ça ne colle pas du tout, réplique Harry. Si Peter Van Daart a fait tuer son fils, pourquoi craint-il de voir ressortir le corps ? Un homme comme lui a les moyens de faire disparaître un corps, définitivement.

- Peut-être qu'il n'a pas peur que le corps ressorte, avance Hermione. Peut-être qu'il a peur que quelqu'un croise un jour le chemin de Drago et dise : cet homme n'est pas Thomas Van Daart. Emilia par exemple ? Ou un de ses collègues journalistes ? Avec un test ADN, son mensonge ne tiendrait pas la route.

- Très bien. Ça, ça me va. Mais tu oublies quelque chose, Hermione : le corps est ressorti. Si Peter Van Daart avait fait tuer son fils, jamais on aurait retrouvé le corps.

Ron pousse un long soupir. Il refuse de se laisser décourager, mais la fatigue s'abat sur lui comme une chape. Il se masse le crâne dans l'espoir de voir surgir une idée lumineuse, puis renonce.

- Rien ne colle. Pire, Kingsley dit que Peter Van Daart n'a pas tué son fils et je doute qu'un moldu puisse le tromper...

- Kingsley a forcément laissé passer quelque chose. Il est allé voir Peter Van Daart en étant persuadé que Drago était le coupable. Là, il a commis une grave erreur.

Ni Ron, ni Hermione ne paraît convaincu. Harry se laisse tomber sur une chaise en soupirant.

- Ecoutez, je sais que ça peut paraître décourageant, mais... on répond à des questions, on en pose de nouvelles... On tâtonne, mais on avance. C'est ce qu'il faut. Vous vous en sortez bien, très bien même.

Il est sincère. Quand il émet une hypothèse, il y a du répondant, il aime ça. Ça l'aide à y voir plus clair. Ron aussi le comprend et il se ressaisit. Sourcils froncés, il récapitule :

- Donc le haut, on est d'accord. C'est une excuse si jamais on demande à Peter Van Daart pourquoi il a reconnu Drago comme son fils. Et il reconnaît Drago comme son fils car ça commence à sentir mauvais pour lui. Mais si ça commence à sentir mauvais pour lui, pourquoi garde-t-il l'arme du crime ? D'ailleurs, puisque ce n'est pas lui qui a fait le sale boulot, pourquoi a-t-il l'arme du crime ?

- Voilà, exactement ! s'écrie Harry. C'est ça qu'il faut parvenir à comprendre !

Leur réflexion est interrompue par le patronus de Dean. Il ne prononce que trois mots, avant de disparaître : tout va bien. Harry regarde le visage épuisé de ses amis et les envoie se coucher. Lui-même ne parvient à dormir que grâce aux potions.

Harry est réveillé tôt par le patronus de Dean. D'abord, il craint qu'il ne soit arrivé quelque chose à Drago ou à Thomas, mais c'est une autre mauvaise nouvelle : « Skeeter sait ». Pendant une minute, Harry ne sait pas trop comment réagir. Puis il décide de s'en moquer. L'urgence de la situation reprend le dessus, le presse de toutes parts. Il se prépare rapidement et enfile sa cape d'invisibilité. Sans prévenir Ron et Hermione et sur un coup de tête, il transplane chez Peter Ven Daart. Il pense en savoir assez pour pouvoir le piéger.

Caché sous sa cape d'invisibilité, il visite la maison. Peter Van Daart est dans le salon. Il passe devant lui, silencieux comme une ombre. Il prend note de tout. Le luxe, la richesse est partout, pour qui sait la voir. Elle n'est pas tape à l'œil. Sur une bibliothèque, Harry remarque une photo du fils. Thomas Van Daart ressemble à Drago, sans plus. Même taille, même âge, même corpulence, visage fin aux traits fins. Mais le blond de Thomas est plus soutenu et son visage moins pointu, plus quelconque. Difficile de juger de la couleur de ses yeux, mais elle tire davantage sur le bleu que le gris. Sur la photo, ce n'est pas une coïncidence, Harry le sait, Thomas porte ce polo à col en V, celui de son école de journalisme, avec son année de promotion.

Quand Harry a fait le tour de la maison et quand l'envie d'affronter Peter Van Daart se fait trop forte, il ressort. Dissimulé derrière un bosquet, il ôte sa cape, la range dans son sac. Puis il traverse la rue et sonne chez Peter Van Daart comme s'il y arrivait pour la première fois. L'homme l'accueille avec lassitude. Au moment de la disparition de son fils, il avait déjà été entendu par les policiers moldus. Jeudi, Kingsley s'était présenté à son domicile, prétendant être l'inspecteur nouvellement chargé de l'enquête. Il lui avait annoncé que l'homme qu'il avait cru reconnaître comme son fils était un imposteur, que son fils avait été assassiné et que son corps, méconnaissable, avait été repêché dans la tamise. Et voilà qu'à présent, un autre inspecteur souhaitait lui aussi lui poser quelques questions... Il n'en peut plus, veut qu'on le laisse tranquille. C'est possible ça, qu'on le laisse tranquille ?

Harry tombe de haut. Peter Van Daart ne correspond pas à l'image qu'il se faisait de lui. Certes, c'est un bel homme, qui dissimule sous son apparence raffinée et élégante, des manières de requin. Un homme d'affaire au flair infaillible qui s'essaie, à la cinquantaine, à la politique. Mais pas un menteur. Harry n'a pas besoin de Veritaserum pour comprendre que Kingsley a dit vrai. Cet homme vient d'apprendre la mort de son fils. Il pensait réellement que le garçon qu'il avait reconnu était Thomas Van Daart. C'est une catastrophe.

Non, pire qu'une catastrophe. Que lui avait dit Drago ? Que Peter Van Daart savait aussi bien que lui qu'il n'était pas son fils ? Harry l'avait cru sur parole, sans songer un instant qu'il puisse se tromper. Drago était un sorcier, un Occlumens doué et un bon Legilimens. S'il avait dit que Peter Van Daart savait, alors Peter Van Daart devait savoir !

- Vous me pardonnerez de ne pas vous raccompagner, dit Peter, mais je suis fatigué. Allez-vous en, je vous en prie.

Harry ne résiste pas. Il se sent vide. Il ne comprend pas. Il refuse de croire que Drago lui ait menti, mais il sait aussi que Drago n'a pu se tromper. Pourtant, il n'y a que deux possibilités et il faut bien en choisir une. A moins que... Mais alors que cette troisième possibilité affleure à sa conscience, il s'effondre dans le vestibule.

De leur côté, Ron et Hermione ont trouvé le lit de Harry vide et sont fous d'inquiétude. Le lundi s'écoule sans qu'ils aient la moindre nouvelle de leur ami. Ils préviennent Dean qui ne l'a pas vu non plus. Pour mettre un terme à cette journée de malheur, la Gazette du sorcier annonce des révélations de son envoyée spéciale, Rita Skeeter, dans son prochain numéro, dès le lendemain matin. Ron et Hermione remuent ciel et terre sans trouver trace de Harry. Tard dans la nuit, ils reçoivent un message de Kingsley qui les convoque sur le champ au Ministère de la Magie. Ils débarquent en plein conseil de guerre, on se croirait au grand retour de l'Ordre du Phénix. Et pour cause : Harry Potter a été capturé.

Le Ministre de la Magie a reçu une lettre anonyme, accompagnée de photos de Harry stupéfixié et solidement attaché, comme si l'auteur du maléfice craignait qu'il ne parvienne à s'en libérer. Il leur donne rendez-vous le lendemain matin, chez Peter Van Daart. Le téléphone sonnera à huit heures précises, ils décrocheront. Une équipe d'Aurors est déjà sur place. Ils ont trouvé le corps sans vie de Peter et aucune trace de Harry, ni de lutte. A voir les visages sombres dans la pièce, on aurait pu croire que Kingsley venait d'annoncer que Voldemort avait ressuscité d'entre les morts. Pendant un long moment, on n'entend que des lamentations. C'est Hermione, les mains crispées sur son ventre, qui suggère d'aller chercher Drago Malefoy. Puisqu'il n'a ni tué Peter Van Daart, ni capturé Harry, on peut légitimement penser qu'il n'a pas non plus poignardé Thomas Van Daart. Tout le monde se tourne vers Kingsley.

- Je ne sais pas si c'est le bon choix, mais je sais que c'est ce que Harry aurait voulu, dit-il.

C'est une chance qu'il ne reste que quelques heures à peine à patienter avant le rendez-vous, car Drago est intenable. Il fait les cent pas en criant et maudit Harry autant qu'il prie pour lui. Mais qu'est-ce qu'il a fait ? Mais qu'est-ce qu'il lui a pris ? Si on lui adresse la parole, il mord. Mais si ça concerne Harry, il écoute de toutes ses oreilles et menace d'étrangler le premier qui parle. Il a peur de sombrer. Son impuissance le prend au cœur, lui retourne les tripes. Il se sent devenir fou. Ce n'est pas le seul. Avertie, Molly Weasley est sens dessus dessous. D'ailleurs, tous les Weasley, Hermione incluse, le sont. Kingsley reste calme, maître de lui-même, mais il est obnubilé par ce qui lui a échappé. Un sorcier est bien impliqué et ce n'est pas Drago Malegoy...

La demeure de Peter Van Daart est considérée comme sécurisée. Kingsley décide que seules quelques personnes pourront se rendre au rendez-vous : Drago Malefoy, Ron ou Hermione Weasley, Fiertalon et lui-même. C'est un concert de protestations, mais Kingsley n'en démord pas. Ceux qui sont présents partageront leurs souvenirs avec les autres. Il ne veut aucune interférence, aucun échange de regard, aucune parole. Il veut trois personnes, en pleine possession de leurs moyens qui écoutent pendant que lui parle. C'est comme cela que ça se passera et pas autrement.

A sept heures trente, tout est en place. C'est une drôle de scène. Le salon de Peter Van Daart est impressionnant. Le corps a été retiré. Sur la table basse finement ouvragée, un téléphone. Autour, quatre chaises. Une pour Kingsley, une pour Fiertalon, une pour Drago et une pour Hermione. Elle a décidé qu'elle irait. Ron s'est inquiété, mais n'a pas insisté. Il sait que Hermione ne laissera passer aucun détail. Drago avait incliné la tête. De toute cette horrible histoire, il retenait qu'on lui reconnaissait sa place, là-bas, sans qu'il ait eu besoin de se battre, ni de quémander. Le choix de Kingsley en avait surpris plus d'un. Drago Malefoy pouvait être un complice. Mais Kingsley, qui se reprochait de ne pas avoir écouté plus tôt Harry, avait décidé de ne plus commettre les mêmes erreurs : si Harry faisait confiance à Drago Malefoy, il décidait de lui faire confiance, lui aussi.

Drago avait confié Thomas à Ron.

- Je n'ai pas tellement le choix, mais si je l'avais eu, c'est quand même toi que j'aurais choisi.

Le commentaire avait tellement surpris Ron qu'il avait à peine réussi à bégayer un merci. Épaulé par sa mère, il se sentait parfaitement capable d'assumer ce rôle, d'autant plus que – pour l'instant – Thomas dormait. Après ? Après, il ne serait pas mécontent de voir Drago revenir.

Enfin, le téléphone sonne, à huit heures piles. C'était attendu, mais tout le monde sursaute. Kingsley décroche immédiatement, sans laisser le temps à la première sonnerie de s'interrompre. Il y a eu des tests à l'aube, si bien qu'il parvient à mettre le haut parleur du premier coup.

– Bonjour, dit-il avec calme.

– Oh, l'exactitude est la politesse des rois, n'est-ce pas, Kingsley ? demande une voix masculine.

– A qui ai-je l'honneur ?

– Qu'importe, qu'importe. Ne gâchons pas le précieux temps du Ministre de la Magie en discussions inutiles.

– Je vous écoute.

Kingsley a le regard rivé sur le téléphone. Fiertalon fixe ses mains. Hermione, les yeux fermés, se masse les tempes. Chaque mot se grave dans son esprit. Il reste Drago. Celui qui va désobéir. Il le sait maintenant, depuis quelques secondes à peine. Il se demande si Kingsley s'en doutait lorsqu'il lui a réservé sa place parmi eux. Il parierait que oui.

– Je souhaite procéder à un échange.

– Je vous écoute, répète Kingsley.

– Je vous échange Harry Potter, ici présent.

La voix se fait plus distante, comme si l'homme avait éloigné sa bouche du combiné.

– Tu veux leur dire un petit mot, peut-être ? Endoloris !

Les hurlements de Harry remplissent le combiné. C'est insupportable. Hermione se couvre les oreilles en gémissant, Fiertalon est bord de la nausée, Kingsley serre les dents à s'en faire éclater la mâchoire. Drago bondit.

– Arrête ! hurle-il. Arrête, c'est Drago qui te le demande !

Il arrache le combiné des mains de Kingsley. Ce dernier essaie de le rattraper alors, sans réfléchir, il lui en assène deux coups pour le faire lâcher. Kingsley a l'arcade sourcilière ouverte. Autour de la table, c'est la stupéfaction. Mais pas au bout du fil. Au bout du fil, c'est un ricanement amusé qui répond. L'homme cesse sa torture. Ou plutôt, il ne cesse sa torture qu'en lançant sur Harry un sortilège de mutisme. Il ne veut pas qu'un seul mot lui échappe, pas un seul. Drago tient le téléphone serré entre ses mains.

– Je veux te parler, maintenant.

– Et pourquoi accepterais-je ?

– Parce que je viendrai seul et désarmé. Là où j'ai reçu la marque. Tu peux savoir que je ne mens pas parce que je viens maintenant. Je transplane. A tout de suite.

Dans un claquement sonore, il disparaît et le combiné tombe sur le sol avec un bruit sourd. Autour de la table, chacun regarde Kingsley et Kingsley essuie le sang qui coule le long de son visage.

– Les dés sont jetés. Mais je crois bien que Harry avait raison.

Drago atterrit dans un champ. Il frissonne. Il reconnaît le lieu désolé où les blés n'ont jamais repoussé. Il entend un claquement, sait que l'autre est arrivé, ne le voit pas. Et pour cause, il a revêtu la cape de Harry. Par précaution, l'homme le désarme. C'est inutile, Drago est seul, sans baguette. Comme il l'avait dit. L'homme le saisit par le bras et le fait transplaner ailleurs. Lorsque la poigne de fer le relâche, Drago regarde autour de lui. Un cimetière moldu. Aucune trace de Harry.

– Ça faisait un bail, hein Drago ? demande l'homme.

Le ton est devenu familier. L'homme hôte la cape d'invisibilité et fait face à Drago, qui le salue.

– Bonjour, Rodulphus.

Il a changé. Son corps a une allure décharnée qu'il n'avait pas avant.

– Je pensais bien que tu tiendrais parole, Drago. Je vous ai observés.

– Où est-il ?

– Une question chacun, d'accord ?

Drago acquiesce.

– Il est en sécurité. Maintenant, à moi : donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer, là, maintenant ?

– Tu as besoin de moi pour l'échange.

Lestrange a l'air agréablement surpris.

– Oh oh, intelligent.

– Qui veux-tu ? Pas ton frère puisque lui aussi a réussi à fuir. Alors Macnair ? Nott ? Yaxley ? Avery ? Ou Dolohov ?

– Question intéressante. Je te promets d'y répondre, mais à la toute fin.

Il tourne autour de Drago.

– Tu as donc mis le doigt sur mon problème, n'est-ce pas ? J'ai Harry Potter. Ils ont... ce que je veux. Comment procéder à l'échange ? Pour eux, comment être sûr que je remettrai Potter vivant ? Pour moi, comment être sûr qu'ils ne m'encercleront pas à cinquante ?

– Je procéderai à l'échange, coupe Drago. Je viendrai avec le prisonnier, celui que tu veux. Je te l'échangerai contre Potter.

– Potter ? Tu fais semblant de l'appeler Potter ? Oh, pas à moi, Drago. Appelle-le Harry. C'est ton petit ami après tout, non ?

Drago ne baisse pas les yeux.

– Je te l'échangerai contre Harry.

– Serment inviolable ? Je vous laisse partir sains et saufs, tu viendras, seul et sans baguette, me l'amener.

– Serment inviolable ? Mais...

– Rabastan sera notre Enchaîneur. Comme tu l'as dit, il est libre et je ne le laisserai pas me refuser cette petite faveur. Alors ?

Drago n'a pas le droit de réfléchir et encore moins d'hésiter.

– Très bien. Serment inviolable.

Lestrange sourit.

– Voilà qui me plaît. Mais avant d'entrer dans les détails, explique-moi un peu... Je veux dire, je suis surpris. D'abord à vivre dans la rue comme le dernier des moldus... Ensuite dans cette émission à jouer les singes savants... Enfin, céder peu à peu au charme de Potter jusqu'à... partager ton lit avec lui... N'as-tu donc plus aucune fierté ? Explique-moi, je t'en prie.

– Tu ne pourrais pas comprendre.

Lestrange ouvre la bouche, mais Drago est plus rapide.

– Tu ne pourrais pas comprendre, Rodulphus. Je suis désolé.

– Très bien, très bien. Garde tes petits secrets. J'en ai assez vu pour me faire une idée.

Déjà, Lestrange fait demi-tour, fait mine de partir. C'est un jeu, mais Drago est bien obligé d'y jouer.

– Attends !

Lestrange se retourne, ravi par la supplication qui perce dans sa voix.

– Oui ?

– Le Serment inviolable, l'échange... Qui veux-tu ?

Lestrange ricane.

– Quel imbécile je fais ! J'ai failli oublier ! Qui je veux ? Mais Ginny Weasley, bien sûr...


La Gazette du sorcier du mardi matin a tourneboulé la quasi-totalité du monde sorcier. Du pur Rita Skeeter, dans le titre :

« Démission de Harry Potter : l'amour secret de l'Elu est un Mangemort... et il est accusé de meurtre ! Comment Drago Malefoy a séduit le plus convoité des cœurs à prendre : révélations exclusives »

La quasi-totalité du monde sorcier est donc tourneboulée, mais la quai-totalité seulement car la petite partie restante a bien d'autres problèmes en tête et n'en a pas lu un mot.

Mis au courant par Drago des derniers événements, Kingsley, Fiertalon et Hermione sont atterrés. Ils avaient certes acquis la certitude qu'un Mangemort se cachait derrière tout ça puisque Drago avait reconnu la voix. Mais Rodulphus n'était qu'un suspect parmi d'autres, certes peu nombreux : les quelques Mangemorts qui avaient fui la justice ou les quelques autres qui, au bénéfice du doute, étaient restés libres. Et jamais ils n'avaient imaginé que Ginny pourrait se trouver impliquée.

De retour au Ministère avec Drago, ils sont pressés de questions par Ron, Dean et Molly. Thomas n'a cessé de pleurer et Drago ne parvient pas non plus à le calmer. Comment calmer un enfant quand on est soit même désespéré ? C'est impossible, il en est bien conscient. Kingsley garde le silence sur ce qu'il s'est passé et prend la décision de faire venir les Weasley manquants. Pour eux, Harry est comme un membre de la famille et puis, c'est Ginny que Lestrange veut. D'ailleurs, elle arrive, bouleversée, en compagnie de Dan. Lorsque tous les Weasley sont arrivés, ce qui prend moins de dix minutes, Kingsley leur résume les derniers rebondissements. Arthur Weasley se tourne vers Drago et le regarde, incrédule.

– Ginny ? Ma Ginny ?

Drago acquiesce. Son visage en dit long sur son état.

– Et tu as fait le Serment inviolable ? demande Ron, dont le teint cadavérique jure avec ses taches de rousseur et ses cheveux roux.

– Lui aussi, réplique Drago.

– Mais...

Drago ne le laisse pas continuer.

– La seule chose qui compte, c'est que Harry n'est plus en danger de mort immédiat.

– Ma Ginny..., murmure encore Arthur.

Dans la pièce, l'effondrement est palpable. Au début, Drago était au centre de l'attention. Entre l'anniversaire de Harry et le match de Quiddich, la fratrie des Weasley était plus ou moins directement au courant de leur relation. Même Arthur et Molly en avaient entendu parler, ce à quoi ils s'étaient dit qu'il faudrait qu'ils le voient pour le croire.

Mais, à présent que Harry a été capturé et que Kingsley les a tous réunis dans cette pièce pour leur annoncer qui Lestrange désire en échange, c'est Ginny qui est la cible de tous les regards, ce qu'elle ne remarque même pas. Elle garde les yeux rivés sur ses poings serrés tandis que Dean bégaye :

– Mais... pourquoi ?

– Parce qu'il aimait ma tante, répond Drago d'une voix coupante. Elle n'aimait que le Seigneur des Ténèbres et lui n'aimait qu'elle.

Il arpente la pièce, n'en peut plus de faire les cent pas. Il n'en peut plus d'attendre. Kingsley a envoyé un jeune Auror au Manoir, mais cet abruti n'est toujours pas revenu ! Et Thomas, dans ses bras, qui ne fait que pleurer.

– C'est de ma faute, sanglote Molly.

– Ce n'est pas de votre faute, dit Drago, avant de reconnaître : mais c'est vous qu'il vise, oui.

– Comment a-t-il pu prévoir ? demande Ron d'une voix blanche. Comment a-t-il pu prévoir...

Il cherche ses mots pour résumer au mieux la situation avant de baisser les bras et de souffler :

– … tout ça ?

Le sang de Drago ne fait qu'un tour.

– Il n'a rien prévu, c'est un opportuniste !

En l'entendant crier, Thomas se tait, surpris. Drago le serre encore contre lui. Il craint que les pleurs reprennent, mais non. Alors, il s'approche d'Hermione, dépose l'enfant dans ses bras et elle rabat sur lui une couverture. Elle sait ce que Drago attend de lui.

D'ailleurs, le voilà qui se tourne vers Kingsley.

– Elle arrive ou quoi ? Bordel, il suffit de deux transplanages, un abruti de Poufsouffle y arriverait !

– Doucement avec les Poufsouffle, grogne quelqu'un dans le pièce.

C'est Harvey Met, une autre jeune recrue chez les Aurors. Mais des coups frappés à la porte font oublier l'outrage. Lupus Bones est de retour. On lui crie d'entrer et Narcissa entre derrière lui. Enfin ! Il a fait aussi vite qu'il a pu, mais son âge n'a pas joué en sa faveur. Ce n'est que lorsqu'il a prononcé le prénom de Drago que Narcissa l'a pris au sérieux et a accepté de le suivre. Elle balaie la pièce du regard, ne remarque même pas le bébé qu'Hermione serre contre elle. En revanche, elle reconnaît son fils et quelque chose cède en elle. Elle se précipite sur Drago, qui la repousse plus durement qu'il ne l'aurait voulu. Mais elle s'en moque, cherche à le serrer dans ses bras par tous les moyens et lui la repousse encore et encore, finit par crier.

– Rodulphus Lestrange !

Elle le regarde, surprise. Il la prend par les mains, la force à s'asseoir puis met son visage à hauteur du sien et la regarde dans les yeux. Ça ne fait « que » deux ans qu'il ne l'a plus vue, mais cela faisait des années qu'il ne l'avait pas regardée comme ça. Que son fils ne l'évite pas, qu'il plonge son regard dans le sien, qu'il lui fasse face, cela vaut toutes les effusions du monde pour Narcissa. Pour elle, c'est le signe qu'il fait de nouveau partie du monde des vivants, de ceux qui veulent vivre. Comme s'il lisait dans ses pensées, il lui parle d'une voix vibrante.

– Maman, écoute... Je joue ma vie, tu comprends ? Plus que ma vie même, tellement plus... Rodulphus... Dis-moi ce que tu as fait...

Alors Narcissa raconte comment son beau-frère, pour échapper aux Aurors et à la justice, s'est caché côté moldu. Comment il loue ses services aux plus riches, aux plus puissants. On le paye grassement pour des crimes parfaits, sans trace. Chez les sorciers de sang pur, plus particulièrement chez les anciens Mangemorts, c'est une rumeur qui court. On murmure que Lestrange est tombé bien bas.

Quand Drago a disparu chez les moldus, Narcissa n'a vu que lui pour le retrouver. Elle lui a tout raconté. Son fils, son fils unique, parti... sans un mot, sans un sou, sans baguette... Rodulphus l'a écoutée, compréhensif. Il lui a juré de faire tout son possible pour ramener Drago. N'a rien demandé en échange. Mais n'a rien apporté non plus. Il prétendait que Drago était introuvable. Parfois, il sous-entendait qu'il était mort. D'autre fois, qu'il avait une piste. Mais à chaque fois, rien. Aucune certitude. Ni vivant, ni mort.

– Il a entretenu tes espoirs, a soufflé le chaud et le froid dans le seul but de te faire souffrir, crache Drago.

– Mais pourquoi ?

Cette question est l'étincelle et sa colère, le combustible. Il a l'impression de s'enflammer. Il sait qu'il ne devrait pas crier, mais il ne peut pas s'en empêcher.

– Pourquoi ? Tu oses me demander pourquoi ? Parce que le mari de ta sœur est un sadique, juste moins sadique qu'elle, voilà tout ! Parce qu'il a passé quatorze ans à Azkaban pendant que Papa et toi vous refaisiez une santé en prétendant avoir été abusés, forcés par Voldemort...

Narcissa pousse un cri, mais il poursuit sans paraître le remarquer.

– … parce que Bellatrix est morte en combattant pendant que tu ne pensais qu'à me sauver et que ton mari se cachait comme un lâche ! Parce que vous n'avez pas levé le petit doigt pour eux... Même son corps, tu n'as pas voulu le voir...

– Tu ne voulais pas...

– Ta sœur ! hurle Drago. Ta sœur et je la haïssais et elle me terrifiait ! Toi, tu discutais avec elle et l'accompagnais pour le thé bien tranquillement, mais une fois que ça risquait de te porter préjudice, c'était comme si tu ne l'avais jamais connue !

Il se tait brusquement et jette à sa mère un regard terrifiant. Elle agrippe ses mains, l'appelle « Drago, mon chéri », répète qu'elle ne supportera pas de le voir disparaître à nouveau. Alors il pense à cette lettre que sa mère lui a écrite, cette lettre que Harry lui a fait remettre et dans laquelle Narcissa lui dit qu'elle est prête à tout accepter, pourvu qu'il revienne. Il sait dans quel désespoir sans fond il l'a plongée. Il la regarde à nouveau, droit dans les yeux :

– Je ne disparaîtrai plus, Maman. J'ai arrêté de fuir.

Narcissa sanglote, veut dire quelque chose, mais Drago l'en empêche.

– Tu ne peux pas rester. Le reste est confidentiel.

Elle se raccroche à lui, mais il répète, avec fermeté :

– Tu ne peux pas rester.

Il semble hésiter et ajoute :

– L'homme que j'aime est en danger de mort. Et lui et moi, on est dans le même bateau. S'il meurt, je meurs, tu comprends ?

Il la tire jusqu'à la porte, la pousse doucement dehors.

– Rentre au Manoir.

Mais une petite voix lui rappelle qu'il ne peut pas la congédier comme ça, pas après tout ce qu'il s'est passé, pas après toute cette attente qu'elle a déjà endurée. Oui, Narcissa Malefoy a beaucoup souffert, beaucoup trop. Il ne devrait pas en rajouter. Cette petite voix ressemble furieusement à celle de Harry et il sent quelque chose dans son cœur, une vague de chaleur qui se répand ensuite dans tout son corps. Il écoute cette petite voix parce que Harry lui a appris à l'écouter et il serre sa mère contre lui, de toutes ses forces.

– Je t'aime. Je vous aime, même si ça n'a aucun sens. C'est comme ça. C'est en moi. Va-t-en maintenant. Et souhaite-moi bonne chance. J'en aurais besoin.

Il referme la porte. Pendant une seconde, Ginny n'est plus la cible de tous les regards parce que tout le monde le regarde lui. Il est temps de reconstituer l'histoire. Il est temps que tout le monde sache.

– Voilà comment ça s'est passé, commence Drago. Ma mère a envoyé Rodulphus à ma recherche...

– Moi d'abord, l'interrompt Hermione.

– Tu crois vraiment que c'est le moment de jouer à la première de la classe, Granger ?

– Weasley, corrige-t-elle. Et toi, tu crois vraiment que c'est le moment de jouer au petit connard prétentieux ?

Ça lui en bouche un coin. Hermione se lève, flamboyante.

– J'ai une question très difficile pour toi, Drago. J'ai la première partie de l'histoire, tu as la deuxième. Alors, on commence par laquelle ?

Drago s'assoit et d'un geste de la main relativement élégant au vu des circonstances, lui cède la priorité.

– Merci, dit Hermione en inclinant la tête. Donc Rodulphus Lestrange passe chez les moldus pour les raisons qu'on connaît. Là-bas, il trouve un moyen de survivre assez semblable à ce qu'il faisait chez nous : il se sert de sa baguette pour commettre des crimes. Des moldus le paient très cher parce qu'il tue comme personne : lentement ou rapidement, avec ou sans douleur, mais toujours sans trace.

– Il tue Thomas Van Daart, abrège l'exposé, grommelle Drago.

– Rodulphus Lestrange n'a jamais tué Thomas Van Daart. Jamais.

Stupeur dans la pièce.

– Ce n'est pas moi qui le dis, Drago. C'est Harry. Et si Harry le dit, tu le crois, n'est-ce pas ?

Drago serre les dents, mais pas de colère, non : de tristesse. Il fait l'effort d'acquiescer pour dire que oui, si c'est Harry, il le croit. Hermione poursuit :

– Si Rodulphus Lestrange avait tué le fils, le boulot aurait été parfaitement exécuté et on n'aurait jamais retrouvé le corps. Je pense même que Peter Van Daart aurait demandé à ce que la mort paraisse accidentelle, ce qui est parfaitement dans les cordes de Lestrange. Ainsi, il aurait été insoupçonnable.

Chacun écoute avec attention. Si Harry était là, il applaudirait et proposerait à Hermione de prendre le poste qu'il vient de quitter. Lui aussi de son côté est parvenu à reconstituer l'histoire, mais supéfixié, attaché et bâillonné (précautions qu'il ne peut s'empêcher de juger superflues puisqu'il y a déjà le sortilège), il ne peut rien faire d'autre que prier pour que ses amis avancent dans la bonne direction. Heureusement pour lui, Hermione veille au grain.

– Mettons que Peter Van Daart n'ait jamais voulu tuer son fils, simplement mettre un terme à un chantage qui lui coûtait trop cher, reprend-t-elle. Il envoie quelqu'un, un homme de main, pour lui faire peur. Les choses dérapent. Peut-être que Thomas se défend... Bref, l'autre le tue et panique. Il se débarrasse du corps dans la Tamise et s'enfuit. Il sait très bien qu'un jour ou l'autre, le corps de Thomas remontera à la surface. Il s'en moque : avec ou sans corps, Peter comprendra rapidement ce qui s'est passé et le lui fera payer. L'homme de main se cache. Et c'est là que Peter fait appel à Lestrange, pour la première fois. Il veut qu'il retrouve cet homme et qu'il le tue et je mets ma main à couper que l'assassin de Thomas Van Daart est mort et qu'il a mis longtemps à mourir.

Un autre frisson la parcourt et elle se tourne vers Drago.

– Je suppose que c'est là que je prends la suite ? demande-t-il.

Hermione incline la tête.

– Je ne sais pas exactement quand ma mère fait appel à Rodulphus, ni combien de temps il lui a fallu de temps pour me retrouver, mais il me retrouve. Il avait sûrement prévu de me tuer, mais je pense qu'il a eu plaisir à me voir à la rue. Le spectacle était suffisamment réjouissant pour me laisser vivre encore un moment.

« Je ne pense pas qu'il ait un lien avec mon agression. Pourquoi se serait-il donné tout ce mal ? Il avait des moyens plus directs de m'envoyer à l'hôpital, plus amusant aussi... Vraisemblablement, il vaquait à ses petites occupations et venait jeter un coup d'œil à ma situation, juste pour le plaisir, en attendant de passer aux choses sérieuses. Un jour, il ne m'a plus trouvé et je pense que c'est là qu'il a eu vent de l'agression. C'est là que lui vient l'idée de me faire porter le chapeau du meurtre. En me donnant l'identité de Thomas Van Daart.

– Harry pense que Peter Van Daart était soupçonné du crime, précise Hermione. Mais peut-être était-ce simplement des rumeurs et qu'elles gênaient sa carrière politique. Ou qu'on lui reprochait de penser au pouvoir au lieu de rechercher son fils... Qui sait ? Faire revivre le fils pour effacer le crime. Même si le corps était découvert, il aurait été méconnaissable... Qui aurait eu l'idée de comparer l'ADN du cadavre avec Thomas Van Daart maintenant qu'il n'était plus porté disparu... En tout cas, Peter a jugé que le jeu en valait la chandelle.

– Et je te parie qu'on lui a soufflé l'idée, dit Drago. Je pense que c'est Rodulphus qui s'est débrouillé pour que les policiers fassent le rapprochement entre Thomas Van Daart et moi. Je pense aussi que c'est lui qui a caché le haut dans mes affaires. Quoi qu'il en soit, le vêtement est photographié par les policiers et Peter assure que c'est grâce à ça qu'il est sûr de lui : le polo de promotion de l'école de journalisme de son fils...

Il grimace en songeant aux nombreuses fois où il l'a porté, sans se douter de rien. Puis il soupire.

« Pendant un temps, Rodulphus me laisse tranquille. Il attend son heure. Ou il n'a pas encore le temps de s'occuper de moi. Ou pas l'envie. Mais il a l'arme du crime, probablement arrachée au vrai tueur si Hermione a vu juste...

Parce qu'elle l'a appelé Drago, il lui rend la politesse.

« Avant même le début de Master Chef, Peter Van Daart le contacte, poursuit-il. Je l'imagine paniqué. Le garçon qu'il a reconnu comme étant son fils, à qui il a donné son identité, s'apprête à participer à une émission nationale, sur une chaîne de grande écoute. Lui qui s'est débrouillé pour que tout soit étouffé se retrouvait face à un problème de taille. Même si les candidats ne sont connus que par leurs prénoms, les noms finissent toujours par se savoir... Et si quelqu'un – un collègue, sa petite amie, qui sais-je – s'apercevait que je ne suis pas Thomas Van Daart...

– Si je puis me permettre, commence Hermione.

– Comme si je pouvais t'en empêcher...

– Tu ne peux pas. Je pense que Peter Van Daart n'a pas fait appel à Lestrange, pas tout de suite en tout cas. D'abord, il a tenté de passer par Brittany Murdoch via l'un de ses hommes de main, je suppose.

– Brittany Murdoch ? répète Drago, abasourdi.

Mais, presque aussitôt, la lumière se fait sur son visage. Hermione acquiesce.

– Elle a essayé de te faire éliminer, n'a pas réussi, a paniqué, a démissionné. Ensuite, Peter a commis l'erreur qui a fini par lui coûter la vie : il a fait appel à Rodulphus Lestrange pour ce qui sera la dernière fois. Est-ce que Lestrange savait déjà que tu avais quitté le restaurant pour Master Chef ou est-ce Peter Van Daart qui lui a appris en lui demandant d'intervenir ?

– Je parie qu'il le savait. Il en savait long sur Harry et moi. Ma trace n'était pas dure à trouver. Wilfried, tous les clients du restaurant savaient que je participais, la nouvelle était connue dans tout le quartier... C'est même comme ça que j'ai déniché mes proches...

– Très bien, alors il savait. Et c'est là qu'on arrive à la troisième et dernière étape de son plan. C'est quand il découvre ta relation avec Harry qu'il imagine un moyen d'atteindre Ginny. Il cache l'arme dans ta chambre et...

– Et les choses lui échappent. Il est pris de court. L'alerte est donné par quelqu'un d'autre.

La voix de Dean s'élève alors dans la pièce.

– Je suis désolé. Désolé de t'avoir soupçonné.

– Ne le sois pas. Ce qui devait arriver est arrivé et qui sait, peut-être que ça a joué en notre faveur.

Drago marque une courte pause avant d'ajouter :

– Moi aussi, je suis désolé. Je croyais que c'était toi.

Dean ouvre de grands yeux et Drago précise :

– Toi qui avais caché l'arme dans ma chambre. Pour te venger.

– Quoi ? Mais de quoi ?

– Plus tard, répond Drago. Si tu veux.

Il se tourne vers Hermione et lui fait signe de poursuivre. Elle ne se fait pas prier pour cela.

– Je pense qu'il s'en est pris à Peter Van Daart dès qu'il a su pour vous deux. Il a vu la présence de Harry comme une aubaine, une route toute tracée vers sa vengeance. Mais il l'a craint aussi. Pour ne pas se faire démasquer, il a modifié la mémoire de Peter. Ce dernier a oublié le meurtre de son fils et l'assassinat de l'homme de main. Pour lui, Thomas a simplement été porté disparu, on a fini par le retrouver et il continue de vivre sa vie de son côté comme il l'a toujours fait. C'est pour ça que Kingsley n'a pas décelé de mensonge chez lui : cet homme était persuadé de raconter la vérité.

– Tout se tient, confirme Kingsley. Lestrange surveille sûrement l'hôtel, sait qu'on a arrêté Drago, qu'on est tombés dans son piège. Et moi, avec toutes mes certitudes, je suis venu ici interroger Peter Van Daart, sans prendre aucune précaution...

– Vous pensiez interroger un moldu, intervient Fiertalon. Il n'y avait aucune précaution à prendre.

– Faux. Je suis passé à deux doigts de Rodulphus Lestrange, il aurait pu me tuer avant même que je m'en rende compte et par ma faute, Peter Van Daart est mort. J'ai oublié ce qu'un grand homme m'avait appris : VIGILANCE CONSTANTE !

Tout le monde dans la pièce sursaute et l'ange de Maugrey passe.

– C'est une erreur à laquelle on ne me reprendra plus, conclut tristement Kingsley, avant de se tourner vers Drago : Il n'y a pas que Dean qui te doit des excuses. Je t'en dois plus que n'importe qui ici.

Drago hausse les épaules.

– Les excuses peuvent attendre, Harry non. Parce que je lui ai demandé de ne pas jouer les héros, il s'est dit que ce serait une bonne idée de partir interroger Van Daart seul, sans prévenir personne au cas où quelqu'un de sensé essaierait de l'en empêcher.

– S'il n'y avait pas été seul, il y aurait un mort de plus à l'heure qu'il est. Lestrange avait besoin d'un otage, pas de deux. Il aurait capturé Harry et tué l'autre.

Cette fois, c'était Lupus Bones qui a parlé. Drago lui jette un petit regard en coin. Ce n'est pas le moment de le contredire, vraiment pas.

– Dommage qu'il ne t'ait pas amené alors.

Un large sourire se dessine sur le visage de Lupus.

– Entre Serpentards, les grands esprits se rencontrent. Je pensais exactement la même chose...

Kingsley s'éclaircit la gorge.

– Bien bien. Je pense qu'il est temps que Drago nous parle du Serment inviolable.

Drago oublie Lupus et s'exécute.

– Il m'a fait transplaner directement dans la demeure de son frère. Rabastan ne l'attendait pas. Il n'était au courant de rien, je crois. Et plutôt furieux de nous voir. Je serais incapable de dire où il se cache, mais il se cache. Rodulphus lui a donné l'ordre d'être notre Enchaîneur et nous avons fait le Serment inviolable.

– Est-ce que tu peux nous le répéter mot pour mot ?

– J'ai juré de conduire Ginny Weasley jusqu'à lui ce soir, à minuit. J'ai juré qu'elle et moi serons sans baguette et que nous ne l'attaquerons pas. J'ai juré de ne révéler à personne le lieu de l'échange, de ne pas m'y rendre avant le rendez-vous et de n'amener personne d'autre qu'elle. Il a juré qu'il ne torturerait plus Harry. Il a juré de venir seul et de ne révéler à personne le lieu de l'échange. Il a juré qu'une fois l'échange effectué, il nous laissera juste le temps de transplaner, Harry et moi, tous deux sains et saufs. Juste le temps de transplaner, pas plus.

– Ce qui veut dire ?

– Qu'il faudra faire vite. Et qu'il compte nous retrouver et nous tuer. Plus tard.

– Charmant. Rien d'autre ?

– S'il y avait quelque chose d'autre, je l'aurais dit.

Fiertalon s'était levé.

– Je ne vois pas de faille dans le Serment inviolable.

Drago, que le stress rendait décidément peu aimable, persifle :

– Désolé, je n'ai pas franchement eu le temps de négocier les petites lignes.

– Le Serment est clair, reprend Fiertalon, imperturbable. Drago mourra s'il ne lui apporte pas Ginny Weasley ce soir à minuit. Pas de baguette et interdiction d'attaquer Lestrange... Impossible également de lui tendre un piège sur un lieu de rendez-vous dont on ignore même où il se trouve. La seule solution est de trouver Lestrange avant l'heure dite et de le tuer. Le Serment inviolable sera annulé.

– Impossible, répond Drago. Déjà, Lestrange n'est pas bête, il est caché et le restera jusqu'à ce qu'il transplane directement sur le lieu de rendez-vous. Et même en imaginant que, par le plus grand des hasards ou par quelque miracle, on tombe justement sur sa cachette avant ce soir, minuit, il aura trente-six fois le temps de tuer Harry avant que nous parvenions à pénétrer à l'intérieur. Il s'est très certainement entouré d'une dizaine de sorts de protection.

Cette fois, c'est Molly Weasley qui se lève. Des larmes coulent sur ses joues.

– Je considère Harry comme l'un de mes enfants. Mais je ne sacrifie pas l'un de mes enfants pour en sauver un autre.

– Ce n'est pas à toi d'en décider, Maman !

C'est la première fois que la voix de Ginny s'élève. Jusqu'ici, elle était restée silencieuse et à chaque fois que son prénom avait été prononcé, elle avait eu l'impression qu'on parlait de quelqu'un d'autre.

– Harry s'est sacrifié un nombre incalculable de fois pour sauver les autres. Aujourd'hui, il est peut-être temps de lui rendre la pareille !

Mais Drago ne tient pas compte de son intervention. Il s'adresse à Madame Weasley.

– Personne ne vous demande ça. En fait, j'avais pensé qu'on pourrait recycler le plan de Maugrey justement. Les sept Potter. Il faudrait le renommer bien sûr.

Il se tourne vers Ginny.

– Polynectar. Tu prends ma place, je prends la tienne. Tu rentres avec Harry. J'ai promis de te conduire à lui. Je n'ai pas promis que ce serait sous ton apparence. Ce ne sera pas de ma faute s'il te laisse repartir.

Drago ne s'y attendait pas, mais les protestations s'élèvent. Ron, Hermione, Dean et Ginny elle-même.

– Hors de question, affirme cette dernière. Harry ne me le pardonnera jamais.

– Je ne te laisse pas le choix. Si tu refuses, je ne te conduirai pas là-bas. Harry mourra, mais moi aussi. Si je le sauve en te livrant, je le perds. A tout prendre, je préfère qu'on meurt ensemble. Mais tu devrais penser à lui : ma mort sera plus douce que la sienne.

– Tu mens ! Tu ne ferais pas une chose pareille !

Les cheveux roux de Ginny forment une formidable crinière autour de son visage. Brièvement, Drago se rappelle ce sortilège de chauve-furie qu'elle lui avait lancé, il y a des années de cela et il lui sourit.

– Tu veux parier ?

La voix de Kingsley s'élève et coupe court à toute discussion.

– Dehors, tout le monde. Sauf toi, Drago.

Des protestations, encore. Kingsley y met vite un terme.

– Je veux vérifier s'il est sûr de sa décision et si oui, je veux que nous mettions en œuvre tout ce qu'on peut mettre en œuvre pour l'aider. Si je l'envoie à la mort sans rien faire, Harry me poursuivra jusqu'à la fin de mes jours et j'imaginais ma retraite différemment. Maintenant, DEHORS.

Un à un, les occupants quittent la pièce. Au passage, chacun a un mot ou un geste pour Drago. Il n'a même plus la force de s'en étonner.

Bientôt, il ne reste plus que Ron et Hermione. Ils se placent de part et d'autre de Drago.

– On reste, dit Hermione.

Kingsley veut protester, mais Ron l'en empêche.

– On a dit qu'on restait. Drago a besoin d'amis.

Amis ou non, la décision de Drago était irrévocable. S'il y avait la moindre occasion de s'enfuir, il la saisirait, point. Il n'y avait rien de plus à ajouter. Il prie Kingsley de ne pas insister et demande une faveur : pouvoir passer un peu de temps seul avec son fils dans le bureau de Harry. Il y passe le reste de l'après-midi et une grosse partie de la soirée. Quand Thomas dort, il emprunte la plume de Harry et rédige trois lettres. La première est pour ses parents, à qui il présente ses excuses et assure tout pardonner en espérant qu'ils pardonneront tout en retour. La seconde est pour Thomas, à qui il explique beaucoup de choses, à quel point il regrette d'avoir été si idiot et d'avoir raté les premiers mois de sa vie et à quel point il aurait été heureux et fier de l'aider à grandir. La dernière est pour Harry. Elle est si longue que sa main le fait souffrir bien avant la fin, mais il ne s'arrête pas. Il a tant à dire...

Il n'y met fin que lorsque Thomas se réveille. Et encore, il s'accorde une minute supplémentaire, le temps d'ajouter deux petites lignes, tout en bas du parchemin.

Ce n'était pas une question de confiance, Harry. C'est vrai que j'avais peur de te perdre. Mais j'avais plus peur encore de te décevoir. Toi qui arrives à voir le meilleur même chez moi...

Thomas s'impatiente. Alors, il repose sa plume et prend l'enfant dans ses bras. En serrant Thomas contre lui, il parcourt le bureau, caresse les livres et les affaires de Harry. Parfois, il ferme les yeux pour se le représenter dans ce bureau et mieux ressentir sa présence. C'est la première fois qu'il passe autant de temps avec Thomas sans crise de larmes, comme si l'enfant avait compris l'importance du moment. Drago lui parle beaucoup, lui raconte toute l'histoire. Le petit garçon ne s'en souviendra pas plus tard, mais plus tard, il y aura la lettre. Il finit en s'excusant. Il sait que sa vie a été pas mal bouleversée, ces derniers temps. Mais ça va très bientôt s'arranger. On peut s'ancrer à quelqu'un comme Harry Potter. C'est la personne la plus sûre qu'il connaisse. Quant à ses grands-parents... Drago soupire. Thomas aura l'argent, mais pas de grands-parents. Il ne laissera pas Narcissa et Lucius poser leurs griffes sur son fils.

A 22 heures 30, on arrache Drago du bureau de Harry. Beaucoup de monde l'attend, mais c'est à peine s'il regarde les visages. Il remet Thomas à Molly. L'enfant s'est endormi et change de bras sans s'en apercevoir. Un petit chaudron de polynectar, puisé dans les réserves du Ministère, est posé sur une table. On remplit deux verres. Dans le premier, on y glisse un cheveu de Ginny, dans le second, un de Drago. Les deux prennent une couleur agréable et Ron ne peut s'empêcher de commenter :

- On dirait que tu as meilleur goût qu'avant.

Drago ne relève pas. On a préparé pour lui des vêtements qui appartiennent à Ginny et Ginny elle-même a récupéré une robe de sorcier noir, toute simple. Ils s'enferment chacun dans un bureau. Drago avale la potion sans y penser. La transformation est douloureuse, mais il a connu bien pire. Il se demande s'il n'est pas en train de devenir courageux. C'est peut-être une chance que ça s'arrête bientôt. Harry est en train de déteindre sur lui.

Il n'a aucun mal à jouer Ginny. Il joue quelqu'un qui avance droit vers une mort horrible. Qu'on soit homme ou femme, bête ou intelligent, riche ou pauvre, ça revient à peu près à la même chose. Ginny en revanche est mal à l'aise. Sa démarche est hésitante, en plus d'être trop féminine. Elle a la voix de Drago, mais ni son intonation, ni cet aspect traînant qui en est si caractéristique. Sa façon d'écarquiller constamment les yeux donne au visage de Drago une expression qu'il juge pitoyable. Ils s'entraînent un peu. C'est Ginny qui doit fournir des efforts, lui ne fait que suivre le mouvement. Il n'aime pas être dans le corps d'une femme. Il se demande si Hermione a ressenti la même chose dans le corps de Harry. Est-ce que ça lui a déplu ? Est-ce qu'elle avait peur de mourir ?

Vingt-cinq minutes avant minuit, les effets du polynectar prennent fin. Drago a juste eu le temps de s'enfermer dans un bureau et de retirer les vêtements de Ginny. Il attend un peu, savoure le corps qu'il vient de retrouver, le sien, pense à Harry. Il se rappelle ses mains et ses lèvres sur sa peau. Il frissonne. Il aimerait qu'il soit là, une dernière fois. Il s'accorde encore cinq minutes de rêverie, avale à nouveau plusieurs gorgées de polynectar, se rhabille. De l'autre côté de la porte, Ginny est déjà prête. A présent, lui-même ne voit plus la différence. Il remet les trois lettres à Hermione. Il lui glisse un mot, pour le bébé qu'elle mettra au monde. Lui dit qu'elle fera une mère géniale. A sa grande surprise, Hermione fond en larmes et le serre contre lui. Elle lui dit que c'est dommage de toujours attendre d'être dans des situations dramatiques pour être gentil. Il parvient à sourire, parce qu'elle n'a pas tort.

Weasley aussi est ému. Ils échangent une poignée de main. Puis, au moment de lâcher, Ron change d'avis et lui donne une accolade. Je n'oublierai pas, qu'il souffle. Drago hausse les épaules. Moi non plus, je ne savais pas qu'on pouvait à se point massacrer des carottes. Ça le fait rire, tant mieux.

Drago n'en finit plus de serrer des paluches. Kingsley, Fiertalon, Dean et même Arthur Weasley. Sa femme, Molly, le serre contre elle. Lui souhaite bonne chance, il ne sait pas trop pourquoi au juste. Mais parce qu'elle compte beaucoup pour Harry, il la remercie. Il embrasse son fils sur le front, deux fois, sans le réveiller. Il sert d'autres mains encore puis, sans trop savoir comment, se retrouve face à Londubat.

- T'as intérêt de revenir, lui lance-t-il. Je n'ai pas envie de reprendre ma place au Quidditch.

Il aimerait trouver une réponse cinglante, mais on est trop près de minuit maintenant et il a la gorge trop serrée. Il se serait contenter d'une franche poignée de main, mais voilà que Londubat le sert contre lui et trop fort en plus. La manche de sa robe frotte contre sa nuque, c'est désagréable. Et puis Drago a une poitrine maintenant et il trouve ça gênant. Heureusement, Londubat se décide à le lâcher. Il se demande ce qu'il fait là, il aimerait juste faire marche arrière et retrouver son corps. Puis il se rappelle qu'il y a Harry.

Il cherche Dudley dans la pièce, mais il n'est pas là. Il trouve ça dommage, il aurait vraiment aimé lui dire au revoir. Il se demande si quelqu'un l'a mis au courant de... tout ça. Il espère que oui. Il lève une main vers son épaule, la gratte furieusement. Il se répète qu'il doit gérer son stress et surtout, ne penser à rien. Ou à Harry. Juste à Harry. Mais il a beau faire, il sent la sueur recouvrir sa peau, son cœur battre de plus en plus fort, son estomac se nouer. Et avec tout ça, sa peau commence sérieusement à le démanger.

– Vous êtes prêts ? demande Kingsley.

Drago acquiesce, Ginny aussi. On bande les yeux de Drago. On lui attache les mains dans le dos. Il se laisse faire. On lui demande une dernière fois s'il n'a pas changé d'avis. Il ne peut pas parler, alors il secoue la tête. Puis, parce qu'il trouve ça nul de partir comme ça, parce qu'il n'a pas envie qu'on raconte à Harry qu'il est parti sans un mot, la gorge nouée, il se force à sourire.

– Dites-lui de se souvenir de ce que je lui ai dit. Dites-lui d'être heureux.

Dans la pièce, une pendule sonne le premier des douze coups de minuit. Il sent la main de Ginny se refermer sur son bras, mais c'est lui qui transplane. C'est lui qui sait où ils retrouveront Harry.

Ginny et lui atterrissent dans le même cimetière moldu. C'est la deuxième fois de sa vie que Drago y met les pieds et les deux fois ont eu lieu au cours de la même journée. Jamais personne n'aurait pu deviner qu'ils se retrouveraient là parce que c'est une possibilité parmi des dizaines de milliers d'autres. A minuit, le cimetière est désert. Mais une voix les accueille aussitôt.

– Tu es à l'heure. J'apprécie. Oh, et que vois-je ? Tu as réussi ? A présent, je suis épaté.

Ginny répond et c'est sa voix qu'il entend, froide et traînante :

– Comment j'ai fait, c'est mon affaire.

– Très juste, très juste, susurre Lestrange. Mais ils ne l'auraient jamais sacrifiée.

– Eux non. Moi oui. Mais elle ne m'a pas donné trop de mal. Elle aussi veut le sauver, quoiqu'il en coûte.

– Elle est bien gentille, puisqu'il l'a plaquée pour toi.

– Il ne l'a pas...

– Qu'importe. Il est temps d'échanger nos petits paquets.

Drago tend l'oreille, il croit entendre des bruits étouffés, imagine Harry, lui aussi attaché et bâillonné, mais n'est pas sûr. Ce n'est peut être qu'un effet de son imagination et son cœur bat si fort... Il remonte ses mains nouées le long de son dos, les frotte sur le tissu de sa robe. Bon sang, mais qu'est-ce que ça le gratte ! Il se rappelle le magasin de Farces et Attrapes des jumeaux Weasley. Même s'il ne l'aurait jamais avoué, il avait acheté plusieurs de leurs créations. Et là, il était à deux doigts de se croire victime de leur poil à gratter.

– Comment procède-t-on ? demande Ginny.

– Très simplement, Drago, très simplement. Tu me remets la Weasley, je te remets ton petit ami. Et à partir de là, je te conseille de transplaner très vite. Mais avant, retire son bandeau. Je veux être sûr que c'est bien elle. Je ferai de même de mon côté.

– Si ce n'était pas elle, j'aurais violé le Serment inviolable et je serai déjà mort.

Rodulphus ricane.

– Tu m'as percé à jour. Disons plutôt que je veux qu'elle voit Potter et que Potter la voit, une dernière fois.

Il s'entend soupirer. Ou, plutôt, Ginny soupire pour lui. De part et d'autre, les bandeaux tombent au sol. Il croise le regard de Harry et Harry croise le sien. Il a alors la certitude que Harry le reconnaît, qu'il sait que c'est lui qui se cache derrière l'apparence de Ginny. Comment le sait-il ? Mystère.

Aussitôt, Harry se débat. Il essaie de hurler, d'arracher ses liens. Rodulphus le pétrifie d'un coup de baguette. Drago remarque alors une plaie sur la joue de Harry, mais à part ça, il paraît aller bien.

– Tu dois vraiment tenir à lui, Drago. Mais manque de chance, ce que tu viens de faire, il ne te le pardonnera jamais...

– Peu importe, rétorque Ginny. Il vivra.

Drago doit se mordre l'intérieur des joues pour rester immobile. Bon sang, mais ça le démange sur tout le corps. Il a l'impression des bêtes minuscules courent sur chaque centimètre carré de sa peau. Des milliers et des milliers de bêtes. Son cou, ses épaules et son dos en sont pleins. Pour résister et surtout pour ne pas penser, il dressa la liste des Farces pour Sorciers Facétieux qu'il connaissait.

– Approche alors et procédons à l'échange.

Mais Ginny ne bouge pas. Drago la supplie mentalement de faire vite. Il ne pourra pas tenir beaucoup plus longtemps. Il a envie de se rouler par terre. Si ses mains étaient libres, il s'arracherait la peau avec les ongles. Sa voix s'élève à nouveau, mais cette fois, Ginny ne parvient pas à l'empêcher de trembler, très légèrement.

– Et s'il ne me pardonne pas, quelle importance ? Tu comptes nous tuer, non ?

Drago a envie de hurler. Qu'elle le prenne par le bras et l'emmène là-bas ! Qu'elle récupère Harry et qu'elle transplane immédiatement ! Qu'il puisse enfin arrêter de se tenir ainsi, raide comme un bâton alors que les milliers de bestioles invisibles continuent d'envahir chaque parcelle de sa peau. Ce n'est plus seulement son cou, ses épaules et son dos, c'est tout son torse, son cuir chevelu, ses cuisses. Il les sent qui arrivent sur son visage, il se demande si on les voit courir sur la surface de ses joues. Et ses mollets ! Ses chevilles ! Jusqu'à la pointe de ses pieds ! Heureusement pour lui, la souffrance chasse toute autre pensée.

– Approche, j'ai dit ! ordonne Lestrange. Et finissons-en !

Alors Ginny le pousse doucement. Il avance maladroitement. Lestrange tend la main vers lui, l'attrape par le bras, jette Harry, toujours stupéfixié, sur le sol. Il voit son propre corps bondir en avant, saisir Harry et, avant de disparaître dans un claquement sonore, lui lancer un dernier regard. Il a encore le temps de remercier Ginny et ses réflexes de poursuiveuse qu'un autre claquement se fait entendre. Il a l'impression qu'on fait passer son corps dans un conduit beaucoup trop petit pour lui. Lestrange l'a fait transplaner. Alors il hurle, hurle de toutes ses forces malgré le bâillon qui étouffe son cri. Ce n'est pas seulement la peur de mourir. Ce sont ses bêtes devenues des millions qui se régalent de sa peau comme du plus délicieux des plats.

Lestrange et lui réapparaissent dans un endroit humide et sombre qu'il ne connaît pas. Il se tortille sur le sol, essaie de frotter sa peau contre la pierre rugueuse.

– Attends, petite, attends ! Je n'ai même pas commencé...

Alors, le visage déformé par la haine pure, Lestrange lève sa baguette dans sa direction. Drago ferme les yeux et prie pour que tout s'arrête et s'est effectivement ce qu'il se passe.


Il cligne des yeux. Il est allongé dans un lit. Des draps blancs qui sentent bons la lessive et une fenêtre ouverte qui laisse passer l'air doux de septembre. Il sent une main serrer la sienne et il lève les yeux. Des lunettes rondes, une cicatrice en forme d'éclair, des yeux verts, des cheveux noirs impossibles... Harry se penche vers lui et l'embrasse doucement.

– Comment te sens-tu ?

– Bien, répond Drago, sans mentir.

– Parfait. Alors je vais pouvoir te tuer.

Mais Harry l'embrasse encore. Différemment cependant. Ses lèvres se font plus pressantes, plus avides et ses doigts agrippent sa nuque. Drago n'y tient plus. Il l'attire sur le lit et presse son corps contre le sien. Il a envie de demander s'il est mort, s'il est au paradis, mais il a mieux à faire. Trop vite à son goût, Harry se dégage.

– J'ai cru que je t'avais perdu.

– Moi aussi.

Il saisit les lunettes de Harry, les fait glisser sur son nez pour les retirer, les pose sur la table de chevet. Puis ses lèvres s'égarent. Sur la bouche, les joues, la mâchoire, le cou de Harry. Il l'attire sur lui, sent le poids de son corps sur le sien, ses doigts sur sa peau, ses lèvres sur les siennes. Dans sa poitrine, son cœur bat joyeusement et fait résonner en lui un bonheur comme il n'en a encore jamais connu. Il se demande même si ce n'est pas trop de bonheur, si son cœur ne va pas éclater. Il a le temps de penser que ce serait une belle façon de mourir, puis Harry arrache sa bouche à la sienne et Drago consent à ouvrir les yeux.

– Tu n'as pas envie de savoir ce qu'il s'est passé ? lui demande Harry.

Drago ne répond pas immédiatement. Il fait basculer Harry sur le côté, l'embrasse. Ses mains se glissent sous sa chemise, cherchent le contact de sa peau. Harry bascule la tête en arrière. Drago sent son désir qui répond au sien, intense.

– Si, répond-t-il enfin. Mais il y a quelque chose qui me fait plus envie encore.

Plus tard, allongés l'un contre l'autre, Drago et Harry écoutent les bruits de la maison. On dirait qu'on prépare une fête, ce qui est sûrement le cas d'ailleurs. La fenêtre laisse passer un agréable courant d'air qui soulage leurs corps brûlants. Harry se redresse sur un coude, regarde Drago, lui donne un petit coup sur l'épaule.

– Et si ça avait mal tourné ?

– Tu serais vivant.

– Mais...

– Oh, arrête de faire le rabat-joie, Potter.

Il relève la tête pour l'embrasser. Puis se laisse retomber sur l'oreiller en soupirant. Il ne s'est jamais senti aussi bien.

– Raconte-moi tout.

Harry se penche pour récupérer ses lunettes sur la table de chevet. Puis il raconte.

Le salut était venu du noyau dur de l'AD, en quelque sorte, et de Neville en particulier. Ron et Hermione avaient donné l'alerte. Pendant que Drago écrivait ses lettres dans le bureau de Harry, ils avaient réuni les fidèles parmi les fidèles. Ils n'eurent pas plus de succès que Fiertalon pour trouver une faille au Serment inviolable, si ce n'est que Lestrange avait simplement exigé qu'ils viennent « sans baguette ». Ainsi que George le fit remarquer, « sans baguette » laissait toute une panoplie de possibilités. Il passa en revue toutes sortes de Farces et Attrapes de sa création, si bien que Drago n'avait pas été si loin que ça en songeant au terrible poil à gratter des frères Weasley.

Mais aucune des farces et attrapes Weasley ne se déclenchaient naturellement. Au moindre geste bizarre, Lestrange aurait tué Drago. Sans compter que les termes du Serment inviolable précisaient qu'il ne devait pas l'attaquer, au risque de mourir. C'était le mot « naturellement » qui avait alerté Neville. Il s'était levé et avait commencé à faire les cent pas. Tout cela, Harry le tenait de George lui-même et, pour une fois, il n'avait pas déformé l'histoire.

Neville avait lu un article dans l'HSM – Herboriste Sorcier Magazine – concernant une expérience botanique qui avait assez mal tourné aux Etats-Unis. Un croisement entre des spores d'Asphodèle et un microchampignon sans autre propriété que d'être particulièrement invasif par dédoublement. L'Asphodèle entrant dans la préparation de la Goutte du mort vivant, le plus puissant des somnifères, il s'agit d'une plante particulièrement recherchée. Le sorcier américain cherchait à faciliter sa culture afin d'en produire et d'en vendre en grande quantité. En greffant un spore d'asphodèle sur le microchampignon, étape déjà fort délicate vu sa taille d'un millimètre, il espérait que le processus de dédoublement concernerait également les spores. Il s'agissait ensuite de faire pousser une multitude de plants d'Asphodèles. Ce qui n'était pas non plus gagné parce que...

Là, George l'avait coupé en lui demandant d'en venir au fait – ou bien il se chargeait lui-même de lui greffer des microchampignons à un endroit où on aurait bien du mal à les lui retirer. Neville conclut donc en expliquant que les spores d'Asphodèle se développèrent certes aussi vite que le champignon, mais sans qu'on puisse en tirer la moindre pousse d'Asphodèle. Pour ne rien arranger, les spores se révélèrent inutilisables en potions. L'échec total se transforma en fiasco lorsque le sorcier voulut se débarrasser de la colonie de champignons qui s'était développée dans son bac à essai. Le puissant fongicide aurait certainement fonctionné si les spores d'Asphodèle n'avaient pas endormi le sorcier avant qu'il puisse le déverser dans le bac.

A ce stade, George avait conseillé à Neville de leur expliquer très vite comment ce charmant croisement de champignon-spore allait endormir Lestrange et sauver Malefoy, sinon il allait vraiment mettre sa menace à exécution. Grâce à lui, les fidèles de l'AD comprirent enfin que les spores d'Asphodèle protégeaient l'hôte qui leur permettait de se démultiplier en mettant en échec ses potentiels prédateurs, en l'occurrence le sorcier qui allait déverser son fongicide. En infectant Drago, le champignon...

A ce stade de l'histoire et envoyant la tête de Drago, Harry est pris d'un fou-rire dont il lui faut plusieurs minutes pour se remettre.

– Donc quand Lestrange a levé sa baguette sur moi, le champignon machin-chose de Londubat a réagi et les spores nous ont endormis tous les deux ?

– C'est à peu près ça, articule Harry entre deux rires.

Drago lui donne un coup de coude.

– Et comment ils nous ont retrouvés ?

– Un sortilège de traçage sur la robe de Ginny que tu portais. Mais Lestrange avait prévu beaucoup de protections et il nous a fallu du temps avant de parvenir jusqu'à vous. S'il n'avait pas été endormi, il aurait sûrement levé le sortilège de traçage avant de t'emmener ailleurs. C'était vraisemblablement son plan en tout cas.

– Et les champignons ?

– Devenus inoffensifs une fois les spores d'Asphodèle vidés. Il leur faut ensuite plusieurs heures avant de se remplir, mais Neville connaissait un sortilège plus efficace que le fongicide.

– Donc plus de champignons ?

– Plus aucun, j'ai vérifié en personne, dit Harry en lui adressant en clin d'œil.

Il esquive le coup de coude de Drago avant de poursuivre :

– Si ça t'intéresse, Neville se fera une joie de te donner tous les détails. Il est question d'organisme vivant permettant aux champignons de se développer – toi dans le cas présent et une carcasse d'animal mort pour l'expérience...

Drago fait mine de vomir et le fou-rire de Harry reprend plus de belle. Lorsqu'il est en état de finir son récit, ce dernier est plus au goût de Drago. Gardé sous haute surveillance dans les cellules du Ministère, Lestrange sera entendu dès son réveil, c'est-à-dire sûrement en ce moment-même (il confirmera alors la plupart de leurs hypothèses, puis sera envoyé à Azkaban).

– Je vois, dit Drago.

Il lui faut une minute pour réfléchir à ce que Harry lui a dit et Harry respecte son silence, se contentant de l'embrasser dans le cou et le creux de l'épaule.

– J'ai voulu lui faire jurer de ne plus toucher un cheveu de ta tête, reprend Drago, mais il s'est contenté de jurer qu'il ne te torturerait pas...

– Je vais bien, assure Harry, avant de lui adresser un nouveau clin d'œil : tu as vérifié en personne.

Drago l'attire contre lui. Puis, sans savoir trop pourquoi il éprouve ce besoin, il avoue :

– Je savais qu'ils tenteraient quelque chose. Kingsley, les Weasley, tous tes amis... Je ne savais pas comment, mais je savais qu'ils tenteraient quelque chose et pendant tout ce temps...

– Pendant tout ce temps ? l'encourage Harry.

– Je m'empêchais d'y penser. A cause du Serment Inviolable. Parce que si j'y allais avec la certitude qu'ils tenteraient quelque chose...

– Ça aurait presque été une tentative d'attaque de Lestrange.

Drago acquiesce.

– J'avais peur, avoue-t-il enfin.

– On a toujours peur, lui répond Harry.

– Même toi ? Le courageux Harry Potter ?

– C'est parce qu'on a peur qu'on est courageux.

Drago le regarde, étonné et Harry ne résiste pas à la tentation. Il l'embrasse. Puis il ajoute, tout bas :

– Un vrai Gryffondor, ce Malefoy.

Nouveau coup de coude. Puis Drago trouve un moyen plus plaisant de l'empêcher de dire des bêtises.


– Rappelle-moi de tuer Londubat avant de le remercier, dit-il un peu plus tard, en caressant le bras de Harry. Des champignons... Il ne pouvait pas trouver quelque chose de plus sympathique ?

– C'était l'option la plus sympathique. En tout cas, Kingsley a jugé que c'était la meilleure. Sans lui, jamais on n'aurait pu réussir dans les temps.

Harry hésite puis se lance.

– Après tout, la finale de Master Chef est demain. Ça s'est joué à peu de choses, tu sais... Dean a déjà appelé la production pour leur dire que tu seras sorti de l'hôpital demain, à la première heure. Si on te demande, tu as fait une crise d'appendicite avec complications post-opératoires.

Drago acquiesce. Master Chef lui paraît tellement loin, tellement irréel. Il pose sa tête sur l'épaule de Harry et inspire son odeur.

– Je dois y retourner quand ?

– Tu passes encore la soirée avec nous, on a beaucoup de choses à fêter. Je t'emmènerai à l'hôtel pour 8 heures, au plus tard la demie.

Drago acquiesce encore. Il sent sa gorge se nouer.

– Drago...

– Ne dis rien.

Il se tourne vers Harry.

– Je ne veux pas y penser. Demain, d'accord ? Pour l'instant, je veux juste...

Il fronce les sourcils, se rappelant quelque chose.

– Ma lettre ? Tu l'as lue ?

Le large sourire qui se dessine sur le visage de Harry lui apporte sa réponse.

– Potter, espèce de sale curieux !

– C'est une belle lettre, rétorque Harry en riant. Je la relierai souvent.

Drago fait mine de l'étouffer avec son oreiller. Lorsque Harry peut enfin respirer, il réajuste ses lunettes.

– Tu voulais vraiment me confier Thomas ?

Drago s'immobilise, surpris.

– Je te l'ai dit, non ? C'est une responsabilité que je ne veux pas t'imposer. Mais ça me rassurait de rejoindre Lestrange en pensant que tu accepterais... En sachant qu'il ne resterait pas seul avec Elena... Que tu ne laisserais pas mes parents, de quelque manière que ce soit, se charger de son éducation...

– Et maintenant, tu en penses quoi ?

– Je ne peux pas choisir entre lui et toi.

– Jamais je ne te demanderais une chose pareille !

– Je sais, Harry. Je sais cela. Mais justement...

Il l'embrasse doucement. Harry le repousse.

– Justement quoi ?

– Je veux que tu saches que je ne t'impose pas cet enfant. Je peux être là pour lui et là pour toi. Ce n'est pas ta responsabilité. Je ne veux pas que tu te sentes obligé de quoi que ce soit. S'il m'était arrivé quelque chose, ce serait différent, mais là... Là, je me sens capable d'assumer mon rôle. Est-ce que j'aimerais que tu assures ce rôle avec moi ? Oui. Mais seulement si tu en as envie aussi.

Harry ouvre la bouche, mais Drago ne le laisse pas parler.

– Attends. Je te jure que si tu refuses...

– J'accepte, le coupe Harry. Ça fait des jours que j'ai accepté. Je crois que ça ne dépend même pas de toi. Ou que ça va au-delà de toi.

Quelqu'un frappe à leur chambre, les faisant sursauter. A travers la porte, ils entendent la voix de George qui leur crie :

– On vous attend. Si vous n'êtes plus occupés bien sûr...

Ils l'entendent rire à travers la porte et ils rient avec lui, jusqu'à ce qu'il ajoute :

– Et au fait, Malefoy, les p'tits champignons n'ont pas repris du service j'espère ?

Harry étouffe toute velléité de contre-attaque en attirant Drago contre lui pour l'embrasser.

En se rhabillant, Drago ne peut toujours pas s'empêcher de sourire. Il se trouve ridicule à sourire comme ça, plus que ridicule même. Il finit de boutonner sa cheville quand Harry l'enlace par derrière.

– Je ne t'ai même pas remercié. Pour m'avoir sauvé la vie.

Drago se retourne, lui rend son étreinte. Même la finale de Master Chef ne parvient pas à l'inquiéter. Demain, il y pensera demain.

– C'est moi qui ne t'ai même pas remercié. Pour tout le reste...

La fin d'après-midi a des parfums de début d'été alors même que l'été touche à sa fin. Entre Harry et Drago, Thomas ne songe plus à pleurer. Ses yeux gris grands ouverts, il fixe le monde autour de lui avec attention et sérieux. Mais chaque démonstration de magie le déride. Il ne marche pas encore, il arrive à faire quelques pas, puis se laisse tomber sur les fesses. Pour l'amuser, Molly fait jaillir des étoiles de sa baguette. Ça fonctionne du tonnerre. Thomas ouvre grand la bouche, pointe son petit poing en direction des étoiles, index tendu, s'exclame avec toute la force de son vocabulaire (Bah ! Bah ! Bah !). Drago le porte pour qu'il puisse les attraper. Quand il les touche, elles disparaissent silencieusement dans une pluie d'étincelles. Ça le fait rire. C'est la première fois qu'on l'entend rire.

A vingt heures, Thomas est au lit. Drago et Harry le regardent dormir. Ils ont jeté un sort au-dessus du berceau qu'Arthur a fabriqué. Percy s'est débrouillé pour qu'il se balance tout doucement. Entre Harry et Percy, les choses ne se sont jamais vraiment arrangées, mais les relations sont polies, on pourrait dire cordiales. Il a l'impression qu'avec Drago, les choses pourraient changer, s'améliorer. Parce que Drago revient de plus loin que Percy, il ne le juge pas et ça se sent. Percy lui-même le sent, lui qui reste aux yeux de ses frères, et même un peu de son père, comme celui qui a trahi. L'arrivée de Drago dans la famille, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, force à la clémence et au pardon. Et il se trouve que Percy en profite lui-aussi. Il n'y a qu'à voir Bill, qui l'a appelé Perce sans même s'en apercevoir. Cela faisait des années qu'il ne l'avait plus fait.

– Viens, dit Harry, abandonnant ses pensées. Laissons-le dormir. Ce soir, c'est ta fête.

Cette soirée n'est pas sans rappeler les grands festins de Poudlard, à la fin de l'année scolaire. Ceux des trois premières années de Harry, Ron et Hermione, alors que Gryffondor a remporté la coupe et qu'ils se sont tirés de situations inextricables. Partout, ce ne sont que des explosions de joie. A la différence que cette fois-ci, Drago participe à l'allégresse. Il y a de la nourriture et des boissons à profusion, toutes plus délicieuses les unes que les autres : Molly s'est surpassée. Dudley est là, bien sûr. Hermione l'a tenu informé, en temps réel. Il raconte à Harry et Drago qu'il a joué son rôle, lui aussi. C'est chez lui qu'Elena a trouvé refuge, avec Seamus. C'est chez lui qu'elle a découvert l'existence du monde sorcier. C'est lui qui l'a aidée à digérer la nouvelle, bien que Seamus s'y soit pris avec beaucoup de tact.

– Elle est encore chez moi, là. Je crois que ça ira mieux demain, après une bonne nuit de sommeil. Par contre, le chaton est redevenu un simple magazine télé. Mais je le garderai en souvenir. Je vais peut-être l'encadrer, qu'est-ce que vous en pensez ?

Et, face au regard que les deux autres lui jettent, il éclate de rire.

– C'est bon, je plaisante ! L'encadrer... Ah ah !

Dudley se sent si heureux qu'il en éprouve même un peu de culpabilité, à cause de la mort de son père. Mais voilà, il ne peut s'en empêcher, il profite de tout, s'amuse de tout et discute avec tout le monde. Lui aussi oublie Master Chef. Il sait bien que demain, il se réveillera avec la peur au ventre et qu'il ne pourra plus rien avaler. Alors il profite. Et il fait des réserves. Molly n'a peut-être pas la finesse de Drago, mais c'est une cuisinière hors paire.

Il y a Dudley donc, tous les Weasley, Dan bien sûr, les anciens de l'AD et de Poudlard... Tout le monde sait déjà tout, l'histoire s'est répandue aussi vite que les microchampignons de Neville. Drago se sent bien avec tout le monde. On lui parle, on lui sourit, on lui tape dans le dos. A côté de lui, Harry lui souffle :

- On dirait bien que tu m'as volé la vedette.

- Ça te manque, Potter ?

- Pas le moins du monde, Malefoy.

Et il l'embrasse.

Drago n'est pas le seul héros de la soirée. Il y a également Neville, que George et Ron forcent à monter sur la table pour qu'il raconte, cette fois avec force de détails, cette histoire de champignons. En temps normal, Neville aurait été horriblement gêné et, de fait, il fallut le traîner de force et pratiquement le hisser sur la table. Mais il avait bu juste ce qu'il fallait pour trouver le courage de se lancer et gargarisé par les applaudissements et les rires, il dispense le plus prenant des cours de botanique jamais dispensé (qui sera retranscrit par la suite par Hermione et qui est reproduit en toute fin de chapitre pour ceux que ça intéresse).

Lorsque les applaudissements se taisent enfin, Harry entraîne Drago en direction du buffet et ils se resservent une autre part du gratin de pomme de terre de Molly, qui est à tomber par terre (et qui aurait elle aussi mérité une standing ovation, ce qui arrivera d'ailleurs, mais ni Harry ni Drago ne seront là pour le voir).

– Tu as la permission de minuit, lance Harry à Drago en jetant un coup d'œil à la pendule. Demain, tu te lèves tôt...

Ils échangent un long regard et Harry demande, l'air de rien :

– Tu es inquiet ?

– Pas encore. Pas tant que tu es avec moi.

– Alors je ne te quitte pas.

Souriants, Harry et Drago rejoignent les autres autour d'une table. Les sujets de discussion sont légers, variés. De temps en temps, Drago s'éclipse, va jeter un coup d'œil dans la chambre de Thomas. Il ne peut s'en empêcher, c'est juste pour le voir.

Lorsque les douze coups de minuit sonnent, Harry veut l'entraîner hors de la salle, mais Drago négocie une dernière coupe de champagne. Alors qu'il va chercher les verres, il tombe sur Dean.

– C'est une belle soirée, hein ? lui demande le jeune homme.

– Très, approuve Drago. Mais ma permission de minuit touche à sa fin, ajoute-t-il en désignant Harry d'un signe de tête.

– Tu crois que tu as quand même le temps de discuter un peu ?

Drago acquiesce.

– Sinon, ça peut attendre, s'empresse d'ajouter Dean. Il n'y a pas urgence.

– Tu veux savoir pourquoi je t'ai soupçonné toi, dit Drago, en l'entraînant à l'écart. Pour le couteau dans ma chambre ? Ça a commencé quand j'ai compris que c'était toi qui avais tout découvert. Je trouvais la coïncidence trop grosse. Tu m'accuses et, comme de par hasard, on découvre la preuve de tes accusations dans ma salle de bain. Tout se goupillait si bien. Et puis...

Drago hésite.

– Vas-y, l'encourage Dean. Dis-moi.

– C'est que l'autre raison est plus personnelle.

– Au point où on en est...

– Tu me dirais quelque chose que Harry ne sait pas lui-même ?

– Oh, alors tu es au courant. Comment ? demande Dean.

– Quand c'était ton tour de garde. Finnigan est passé te voir. Disons que je faisais simplement semblant de dormir. Je l'ai entendu te demander comment elle allait... Avec la pleine lune...

– Ah oui. Je vois. C'est pour ça que... ?

Et Drago acquiesce.

– Je ne te tiens pas pour responsable de ce qui est arrivé à Lavande. C'est Greyback qui lui a fait ça.

– Je pensais que tu me voyais comme son complice.

– Si j'ai un jour pensé un truc pareil, alors je me trompais.

Drago regarde les coupes de champagne qu'il tient dans chaque main. Il n'a plus trop envie de les boire. Il regrette d'avoir remué tout ça. Il aurait mieux fait de se taire, dans le bureau de Kingsley.

– Comment va-t-elle ?

– Mieux.

– Alors... ?

– Elle se transforme, oui. La potion tue-loup est efficace.

– Vous êtes ensemble depuis quand ? Si ce n'est pas indiscret...

– Ca va faire six mois.

Sans trop qu'il sache pourquoi, Dean éprouve subitement le besoin de se confier et il se trouve que Drago est une oreille attentive.

« Pour moi, c'est très sérieux. Pour elle... Tu sais, après la guerre, elle a fuit en Inde. Elle a toujours été intéressée par des branches de la magie un peu... ésotériques. Là-bas, elle a découvert des disciplines plus sérieuses que la divination, en tout cas telle que l'enseignait Trelawney. Elle y est restée trois ans et n'a gardé de contact qu'avec les sœurs Patil, surtout Parvati pour tout dire.

« A tous ceux de Poudlard qui ont pris de ses nouvelles, et je sais que Hermione l'a fait, malgré... Bref, à tout le monde, Lavande a juré que tout allait bien. Elle a peu à peu coupé les ponts, ne donnant des nouvelles que si on lui en demandait.

« C'est Parvati l'a convaincue de revenir. Elles vivent en colocation depuis deux ans. C'est la seule à avoir vu Lavande... en loup-garou. A ma connaissance en tout cas. Par le biais de Parvati, Lavande s'est remise à voir Padma. Or, Seamus court depuis des années après Padma. Il est toujours fourré chez les filles, même si Padma ne s'est toujours pas décidée. Et moi... Moi, je suis toujours fourré avec Seamus...

« Ça s'est fait comme ça, sans que j'ai besoin d'y réfléchir. Je l'ai toujours bien aimé, tu sais. Mais je la trouvais un peu... pas gourde, pas vraiment superficielle mais... Je ne sais pas. Pas suffisamment intéressante à mon goût. Je crois que je me suis lourdement trompé. Lavande a toujours été intéressante, mais elle passait trop de temps à piailler pour que je le remarque.

– Je crois que je vois ce que tu veux dire. Je te souhaite bonne chance alors. J'espère que ça va marcher, pour vous deux.

– J'espère aussi. Je...

– Ce n'est pas toi, l'interrompt Drago. C'est elle. C'est dur, mais il faut qu'elle le fasse.

Dean comprend ce qu'il veut dire par là.

– Je sais. C'est ce que j'attends. Qu'elle soit prête. C'est peut-être beaucoup te demander, mais... Si tu pouvais garder tout ça pour toi...

Drago incline la tête.

– Ça m'arrange. Depuis peu, je n'ai plus aucun secret pour Harry. J'ai besoin de reconstituer mon stock.

– On parle de moi ? demande Harry.

Il s'est levé et est en train de les rejoindre. Dean répond que oui en riant, mais Harry n'apprendra rien de plus.


Le lendemain, lorsque le réveil sonne, Harry pousse un long grognement. Il n'a pas assez dormi, six heures et encore... Il sent les bras de Drago s'enrouler autour de lui, sa bouche se presser sur sa nuque et il sourit.

– Ce n'était pas raisonnable, hier. Tu as besoin d'être en pleine forme.

– Je suis en pleine forme, dit Drago contre son cou. Je te parie que je suis le finaliste qui a le mieux dormi cette nuit.

Harry essaie de se relever. Il n'en a aucun envie, mais ils doivent se présenter à l'hôtel dans une heure et... Drago le retient par la taille.

– Reste.

Il caresse le dos de Harry, mais ce dernier se retourne en riant.

– Cette fois, je ne me laisserai pas distraire. Debout, c'est un ordre. Je refuse que tu nous mettes en retard.

Lorsque Drago et Harry arrivent à l'hôtel avec un bon quart d'heure de retard sur l'heure prévue, un sourire amusé flotte sur les lèvres de Drago.

– N'aie pas l'air trop fier de toi, lui souffle Harry alors qu'ils se dirigent vers l'hôtel.

Le sourire de Drago s'accentue. Pour peu de temps, malheureusement. A l'entrée de l'hôtel, James les attend.

– Bon sang, Thomas ! Comment vas-tu ? Quelle joie de te voir ! Tu te sens bien ? On a bien cru que c'était fichu pour la finale. Qu'est-ce que tu nous as fait peur ! Tu crois que tu es en état, pour ce soir ?

Drago n'a le temps de répondre à aucune des questions que James se tourne vers Harry.

– Merci de nous l'avoir déposé. Les proches sont attendus ici, à 18 heures. Le tournage commencera à 20h30 précises. Ne soyez pas en retard, il risque d'y avoir beaucoup de public devant l'hôtel et vous auriez du mal à entrer.

Déjà, il essaie de tirer Drago dans l'hôtel.

– Ne perdons pas de temps. C'est une journée de master class qui t'attend, tu as du pain sur la planche...

– Attendez...

James le regarde, surpris.

– J'arrive tout de suite, lui assure Drago et, comme l'autre hésite, il précise : je vous demande juste deux minutes.

James s'engouffre dans l'hôtel et Drago se tourne vers Harry. Il hésite, puis se penche pour souffler à son oreille :

– Tu vois... Je suis content que tu te sois encore laissé distraire, Potter.

Harry lève les yeux au ciel et Drago rit. Puis il le regarde, plus sérieux.

– Je sais que ce n'est qu'une journée, mais pour moi, ça va être long.

Et, sans attendre de réponse, il s'engouffre dans l'hôtel.

D'abord, Harry flâne un peu aux alentours. Malgré la finale qui approche, il se sent bien. Il lui semble que toutes les pièces de sa vie se sont remises en ordre et qu'il pourra bientôt, très bientôt – dès ce soir même, en profiter. Il repense aux paroles de Drago et un sourire lui échappe. Oui, tout s'est remis en ordre. Enfin presque. Alors, il trouve un coin tranquille où transplaner et s'attelle à régler les derniers détails de cette histoire.

D'abord, il renvoie Brittany Murdoch chez elle, en lui assurant qu'elle ne craindrait plus rien à condition de ne plus se trouver sur sa route (et effectivement, elle ne la recroisera plus). En partant, il tombe sur Lavande Brown, qui apportait justement des provisions pour Murdoch. Il lui trouve mauvaise mine, mais est plus content de la voir qu'il ne l'aurait cru. (Une dizaine de jours plus tard, lorsqu'il repensera à cette rencontre, il fera le rapprochement entre le visage fatigué, pâle et cerné de Lavande et celui de Lupin et, à partir de ce moment, sera convaincu qu'il n'avait pas seulement été content de revoir Lavande, mais absolument ravi et qu'il était grand temps de l'inviter à dîner).

Ensuite, Harry transplane au Manoir Malefoy. Il sonne, refuse d'entrer quand Narcissa lui ouvre. En revanche, il lui remet un petit papier avec une adresse inscrite dessus, celle du studio où Brittany Murdoch était jusque là cachée.

– Rendez-vous là-bas pour 20h30. Il y a un code au bas de l'immeuble, c'est 1213. Tapez-le, la porte s'ouvrira. N'utilisez pas la magie. L'appartement est au premier étage. La porte n'est pas verrouillée. Ne touchez à rien. Vous avez juste à vous installer sur le canapé et à regarder en face de vous.

– Qu'est-ce que nous verrons ?

A ces mots, Harry comprend qu'elle compte emmener Lucius. Il ne relève pas.

– Votre fils. A travers un écran de télévision, mais votre fils quand même. Quand vous repartirez, fermez juste la porte derrière vous.

Déjà, il fait demi-tour.

– Potter ! crie Narcissa.

Il se retourne, s'apprête à lui dire qu'il doit partir, qu'il n'a pas le temps, mais elle se contente de le regarder, le papier serré dans sa main tremblante.

– Merci.

De retour au Terrier, Harry prend son déjeuner en compagnie des Weasley et de Thomas. Ce dernier s'est très bien adapté. Il regarde autour de lui, décoche des sourires et, quand il voit Harry, il tend vers lui ses petits bras.

Pendant et après le déjeuner, Arthur Weasley est intarissable sur cette invention moldue qu'est la télévision. Et pour cause : bien des sorciers qui s'étaient jusque là moqués de savoir à quoi cela ressemblait en cherchait une de toute urgence et, en la matière, Arthur faisait office de référence. Il expliquait donc à son auditoire attentif le fonctionnement de cet étrange objet. Il y aurait eu bien des choses à redire, mais Harry ne prit pas la peine de corriger. En ce domaine, Dean fut d'une plus grande aide : son demi-frère moldu tenait un pub à Londres, pub doté de deux grandes télévisions. Dean pourrait lui demander de le privatiser et ainsi en faire bénéficier les Weasley et tous les anciens de Poudlard qui le souhaiteraient. La nouvelle a en effet tant circulé que tous les anciens de Poudlard sont au courant et tiennent absolument à voir Malefoy – Drago Malefoy ! – à l'œuvre.

Molly, qui juge qu'un pub n'est pas un endroit pour un enfant, décide qu'elle et son mari ne se joindront pas aux « jeunes ». Puisque Dudley participe à la finale, Harry propose son appartement à Molly et Arthur qui regarderont la finale de là-bas. Puis, jugeant qu'il serait plus poli de demander la permission à son cousin, il transplane chez lui avec Thomas.

Dudley est bien sûr d'accord. Ravi même. Harry ne savait pas s'il trouverait Elena chez lui, mais elle y est encore, en train de siroter un thé. Elle regarde d'abord Thomas avec méfiance, puis soupire et le prend dans ses bras. Elle regarde longtemps l'enfant, qui la regarde en retour.

– Je savais bien qu'il y avait quelque chose de pas... normal.

– C'est un bébé comme les autres, assure Harry. Disons simplement qu'il ne fera pas les mêmes études.

A sa grande surprise, sa remarque fait rire Elena, un petit rire nerveux mais un rire quand même. Harry enchaîne :

– Il va grandir, apprendre à marcher et à parler, bouder les légumes, réclamer des frites, aller à l'école, faire du vélo avec puis sans petites roues... Puis à onze ans, il ira apprendre la magie à Poudlard. C'est l'école ou nous nous sommes rencontrés, Drago et moi.

Elena acquiesce.

– Il y a encore beaucoup de choses que je ne sais pas... Comment va-t-il ?

Elle parle de Drago. Elle pose Thomas sur le tapis du salon de Dudley, va chercher quelques jouets pour lui dans son sac à main et le regarde jouer.

– Bien. Très bien même. Ce soir, c'est la finale de Master Chef.

– Le journal télé dit qu'il a été hospitalisé...

– Un mensonge. Une longue histoire. Il participera à la finale ce soir et... j'espère bien qu'il va gagner.

– Qu'est-ce qu'il se passera s'il gagne ?

– De quoi commencer une nouvelle vie.

Elena hoche la tête, puis précise :

– Je veux dire, pour Thomas...

– Il voudrait prendre sa part. Qu'est-ce que vous en pensez ? demande prudemment Harry.

Il ne veut pas la brusquer. Elena hoche la tête.

– Prendre sa part... Mais moi aux Etats-Unis et vous ici...

Harry sourit.

– C'est ce qu'il y a de bien avec la magie. Beaucoup de problème n'en sont plus.

Elena réfléchit longuement. Harry respecte son silence. Il regarde Thomas qui joue sur le tapis.

– Vous seriez d'accord pour le garder un peu ? J'ai beaucoup de problèmes à régler et je ne suis pas une sorcière moi... Je dois quitter mon mec, trouver un nouveau logement et peut-être essayer d'autres castings...

– Vous avez géré seule pendant un an, lui répond Harry. Je pense que Drago est d'accord pour que ce soit un peu son tour.

– Je ne l'abandonne pas, hein...

Cette fois, elle parle de l'enfant. Harry lui sourit.

– Je sais, Elena. Je sais.

Jusqu'en fin d'après-midi, Harry reste chez Dudley. Lorsque Molly et Arthur le rejoignent là-bas, il confie à Elena le soin de se servir de la télécommande.

– Ne la laissez pas traîner, recommande-t-il à voix basse, en partant. Si Arthur la voit, vous n'aurez plus qu'à reprendre tous les réglages...

– Ce sont des sorciers, eux aussi ?

Et comme Elena a l'air un peu inquiète, Harry la rassure :

– Les plus gentils que je connaisse.

Et il transplane avec Dudley près de l'hôtel.

Du côté de Drago, les master class ont occupé la totalité de sa journée et il s'en est bien tiré.

– Une crise d'appendicite qui a mal tourné ? grommelle Charles, ne plaisantant qu'à moitié. Tu parles, ils nous l'ont dopé dans cet hôpital !

Lorsque la dernière master class s'achève, ses proches sont déjà arrivés. Drago les rejoint dans sa chambre, où la production les a fait conduire. Il n'y reste plus aucune trace de l'intervention des Aurors. Drago est tendu. Il regarde Harry, Ron, Hermione et finalement Dudley, à qui il sourit.

Je vais avoir besoin de ton aide.

Tout ce que tu voudras, affirme mon cousin et au ton de sa voix, on comprend que si Drago lui demandait de se jeter du haut de la fenêtre, il le ferait.

Le sourire de Drago s'élargit.

Il y a un bar restaurant sur le toit de l'hôtel. Tu veux bien y emmener ces deux-là ? Si je les ai dans les pattes, je vais être désagréable.

Désagréable, toi ? souffle Ron tandis que Dudley se précipite vers la porte. Jamais.

Mais Hermione s'est déjà levée et l'entraîne à sa suite. Elle sourit elle aussi et n'a pas l'air vexé le moins du monde.

Je te préviens, Harry. On a déjà pu expérimenter le Drago Malefoy en situation de stress et c'est loin d'être une partie de plaisir...

Je ris, mais Drago ne la laisse pas avoir le dernier mot. Il se laisse tomber de tout son long dans le canapé que mes amis viennent de quitter.

Ne t'inquiète pas, Granger, dit-il avant de marquer une courte pause. Avec lui, je promets de ne pas être désagréable.

Son regard, le sourire sur ses lèvres... Lorsque la porte se referme enfin, il n'a pas à me faire signe d'approcher, je suis déjà sur lui. Il se redresse, je l'embrasse, il m'attire tout contre lui.

Comment ça s'est passé ? demandé-je.

Ne parlons pas de ça, Potter.

Je n'insiste pas. J'emmêle mes jambes aux siennes et fais glisser mes lèvres dans son cou. Lui ferme les yeux, caresse ma nuque d'une main, noue l'autre avec la mienne, qu'il caresse doucement du pouce.

Comment va Thomas ? murmure-t-il.

Bien. Il est avec Molly et Arthur.

Et toi, comment tu vas ?

J'écarte sa chemise pour dégager sa clavicule. Je l'embrasse doucement, puis je réponds :

Mieux que je n'ai jamais été. Ce soir...

Il ouvre la bouche, mais j'y appuie mon index pour le faire taire.

Ce soir, tu vas gagner ou tu vas perdre. Je ne dis pas que ça n'a pas d'importance. Je veux que tu gagnes. Je le veux de toutes mes forces. Mais...

Je dégage ma main de la sienne pour venir tapote ma poitrine à l'emplacement du cœur.

Même si tu perds, quand je regarde vers l'avenir, je vois quelque chose de radieux.

Drago se redresse pour mieux me regarder.

Qu'est-ce que tu vois ?

Toi. Je vais quitter mon appartement. J'aimerais qu'on trouve un endroit à nous, tu vois ?

Je vois.

Drago glisse une main sous ma chemise, la fait glisser sur mon ventre et sur mon torse. Il me fait perdre le fil et s'impatiente en plus.

Alors ? Quoi d'autre ?

J'immobilise sa main, mais il en profite pour m'embrasser. Puis sa bouche quitte la mienne, rejoint mon oreille.

J'attends, Potter.

Thomas, soufflé-je. Je le vois lui aussi.

Je bascule la tête, cherche son regard.

Elena aimerait que tu le reconnaisses, côté moldu.

Drago incline la tête.

Je le ferai bien sûr. Moi aussi, j'aimerais qu'elle fasse quelque chose.

Quoi ?

J'en parlerai d'abord avec elle.

J'étouffe un soupir de frustration et il rit.

Je sais, Harry. Mais que veux-tu, je ne peux pas résister à la tentation...

Oh, c'est comme ça ? demandé-je. Et bien figure-toi que je sais quelque chose que tu aimerais bien savoir moi aussi, mais il se trouve que je vais le garder pour moi.

Impossible, réplique Drago.

Et pourquoi ça ?

Parce que toi, tu es gentil. Et puis... j'ai les moyens de te faire parler.

Il m'embrasse une dernière fois et me repousse doucement. Je suis surpris de le voir se lever, mais il me tend la main.

J'aimerais bien prendre une douche avant le tournage. Tu m'accompagnes ?


La porte-fenêtre est ouverte et un air frais vient agiter les cheveux humides. Je suis accoudé au bar et Drago place devant moi des gressins et de belle olives vertes et charnues.

C'est toi qui dois prendre des forces, rappelé-je en attrapant un gressin.

Je vois bien qu'il n'a pas d'appétit, mais il se force pour me faire plaisir. Puis il se glisse par-dessus le bar pour me faire face. Son visage est à dix centimètres du mien.

Alors, cette chose que j'aimerais bien savoir ?

Je réponds l'air de rien :

C'était du bluff.

Drago a l'air si étonné que je ris.

Qu'est-ce que tu crois ? J'apprends vite !

Il secoue la tête, amusé, mais j'avoue presque aussitôt :

Je te le dirai après l'émission.

Et, comme il s'apprête à protester, j'ajoute :

Drago, il nous reste quinze minutes. Après, tu vas rejoindre les autres finalistes. On aura tout le temps de parler... après. Raconte-moi plutôt comment ça s'est passé, les master class.

Il picore une olive avant de me répondre.

Je n'ai pas perdu mon temps, mais bonjour l'ambiance...

Comment ça ?

Julia est tellement concentrée qu'elle ne parle plus à personne. Charles a essayé de déstabiliser Lauryn en sous-entendant qu'elle avait de la chance d'être arrivé jusqu'ici et Lauryn, que je n'avais jamais vu s'énerver, lui a renversé son osso bucco sur le crâne.

Il nous faut deux bonnes minutes pour nous remettre. Mais ensuite, tous mes efforts restent vains pour le faire sourire. La finale est trop proche, plus rien ne peut empêcher la tension refaire surface. J'essaie quand même. Je me lève, fais le tour du bar et le serre contre moi.

Cette finale, c'est notre cerise sur le gâteau, d'accord ? Quoiqu'il arrive, il nous restera toujours le gâteau.


La présentatrice entre sur la plateau. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression que c'est moi qui vais disputer la finale de Master Chef. Ce n'est pas une image. Si la présentatrice venait me prendre par la main, me conduisait au milieu du plateau et me demandait de cuisiner quelque chose devant des millions de téléspectateurs, je suis sûr que je ressentirais exactement ce que je ressens en ce moment. J'ai la gorge si serrée que j'ai du mal à avaler ma salive. Pour me raisonner, je repense à ces derniers jours. Après ce qu'on vient de traverser, je ne devrais pas avoir l'impression de jouer ma vie, là, maintenant. Et bien si. Ce n'est pas la cerise sur le gâteau, mais ce n'est que maintenant que j'en prends conscience. A dix mille lieues de ce que je ressens, la présentatrice arbore un sourire resplendissant.

C'est avec un plaisir immense que je vous retrouve ce soir pour la dernière étape de Master Chef, la grande finale qui verra s'opposer Charles, Julia, Lauryn et Thomas. Un seul d'entre eux obtiendra ce soir le titre tant convoité de Master Chef, un chèque de 100 000 livres et un an de scolarité dans l'une des plus prestigieuses écoles de cuisine du pays. Mais lequel ?

Drago ! hurle mon cerveau de toutes ses forces. Je serre les poings alors que les trois membres du jury font à leur tour leur entrée. Ils semblent parfaitement détendus et pour cause : pour eux, cette finale s'annonçe être un plaisant moment de dégustation. A croire qu'il peut lire dans mes pensées, Kandborg lance avec gourmandise :

Je ne sais pas ce que vous en pensez, chers confrères, mais cette finale s'annonce... exquise !

Ofwordan a l'air d'hésiter.

Exquise ? Oui, sûrement... Mais ne l'était-ce pas déjà avant ? Vu nos quatre candidats d'exception, j'aurais dit... sensationnelle !

Je vais mettre tout le monde d'accord, dit Ormon. Cette finale sera sensationnellement exquise !

Voilà qui met l'eau à la bouche ! reprend la présentatrice avec un large sourire. Mais avant d'accueillir nos quatre finalistes, je vous propose de retrouver les huit derniers candidats à avoir été éliminés : Cathy ! Elizabeth, Mark et Sue ! John, Jane... Alan et pour finir... Rachel !

A l'appel de leur nom, les anciens candidats viennent se placer face aux chefs. Je me devine quel va être leur rôle lors de la finale. C'est étrange de les revoir. Je me rends compte que j'avais presque oublié Sue. Et si Alan et Rachel n'ont été éliminés que la semaine dernière, pour moi cela fait une éternité.

Cela nous fait terriblement plaisir de vous revoir, dit Ofwordan, et nous vous remercions d'avoir répondu présents ce soir pour épauler nos finalistes. Chacun d'entre vous a marqué Master Chef de son empreinte. Nous savons que vous ferez des commis d'exception pour vos anciens concurrents.

J'ai envie de bondir. Car ça y est, les quatre finalistes entrent sur scène. Drago porte un pantalon noir et une chemise blanche. Les autres candidats également, mais ça ne me fait pas le même effet. Il semble tendu et concentré. Il n'est pas le seul. Même Charles a renoncé à jouer au sportif prêt à en découdre. Son visage est fermé et quand il croise le regard de Lauryn, ils n'acceptent ni l'un ni l'autre de détourner les yeux. Un combat silencieux a débuté, auquel Drago et Julia font mine de ne pas prêter attention. Mais même d'ici, je sens la tension qui monte ; alors comment eux pourraient l'ignorer ? Ce n'est que lorsque Kandborg parle enfin que Charles et Lauryn arrêtent de s'affronter du regard et portent leur attention sur le chef.

Deux heures et trente minutes d'épreuve, voilà ce qui attend nos candidats ! Deux heures trente pour réaliser une entrée, un plat et un dessert. Mais à chaque étape, un finaliste sera éliminé. Que je sois bien clair : seuls trois des quatre finalistes cuisineront le plat et seuls deux d'entre eux cuisineront le dessert. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

Le chef Ormon acquiesce, comme si c'était à lui qu'on posait la question.

Personne ne peut prévoir s'il disputera l'épreuve du plat et celle du dessert. Et bien sûr, pas question d'attendre de le savoir pour lancer les préparations ou vous manquerez de temps et ce sera l'élimination assurée ! Autrement dit, nos quatre finalistes vont devoir se préparer à servir un repas complet, mais seuls deux d'entre eux iront au terme. A l'issue de la dernière dégustation, nous désignerons le Master Chef !

Ok, j'ai toujours dit que cette émission sadique condensait tous les clichés de la téléréalité – et je le maintiens. Il n'empêche : j'ai la chaire de poule ! A ma droite, Dudley semble au bord de l'apoplexie. A ma gauche, Hermione se retient à grand peine de sautiller sur place. A côté d'elle, j'entends Ron marmonner. Je le soupçonne de réciter des prières, comme lorsque les Canons de Chudley disputent un match – j'espère juste que Drago aura plus de chance que son équipe fétiche.

Chers finalistes, prenez place derrière vos plan de travail.

Je regarde Drago s'installer derrière le sien. Il est en face de moi, légèrement sur le gauche. Je le vois qui parcourt l'assistance du regard. Il n'y a que les proches des finalistes et il me trouve sans difficulté. J'essaie de lui sourire, mais je sens que je grimace. Cependant, je soutiens son regard sans ciller. J'ai envie de lui hurler de tout déchirer, mais ça ferait tache.

La présentatrice désigne les anciens candidats du doigt.

Chacun d'entre vous a droit à deux commis. Charles, à vous l'honneur.

Charles choisit Rachel. Puis c'est au tour de Julia, qui choisit Alan. Lauryn opte pour Jane et Drago pour John. J'ai envie de crier à l'injustice, mais comme Drago – Thomas pardon – a choisi son commis en dernier, il a le droit de choisir le second immédiatement et il retient Mark, un ex-candidat blond aux yeux clairs. Lauryn choisit Elizabeth, Julia, Cathy et Charles, Sue.

Parfait, se réjouit Ormon. Sur vos plans de travail, vous avez remarqué deux assiettes sous cloche. L'une d'entre elles dissimule l'élément clé de votre entrée et l'autre, de votre plat, l'ingrédient que vous devrez mettre en valeur. A mon signal, déclochez la première assiette... TOP !

Les quatre candidats enlèvent la première cloche et découvre une assiette creuse. A l'intérieur, je vois une espèce de gros légume bosselé et violet. Une...

Betterave ! hurle Kandborg. Un produit mésestimé. Votre travail ce soir : nous faire rêver avec une entrée mettant en valeur ce produit. On veut saliver, compris ?

Parmi les proches, j'entends des exclamations étouffées. Ma propre gorge est trop sèche pour ça, mais je me joindrais bien à eux. Faire rêver avec de la betterave ? Et puis quoi encore ? Un orgasme culinaire avec un brocolis ? Mais comme s'il lisait dans mes pensées, Ofwordan susurre :

A ce stade la compétition, on attend de vous que vous fassiez de l'extraordinaire avec de l'ordinaire, compris ?

Les candidats acquiescent. J'essaie désespérément de déchiffrer l'expression de Drago, mais il regarde fixement son assiette. Je me raccroche à l'idée qu'il est concentré, déjà en train de réfléchir à son entrée.

A mon signal, reprend Kandborg, déclochez la deuxième assiette... TOP !

C'est une autre assiette creuse, remplie à ras-bord par quelque chose de blanc. Plus qu'à ras-bord, même : la matière forme un monticule blanc qui dépasse de l'assiette, comme si on en avait ajouté une dernière louche. J'ai beau plisser les yeux, je n'arrive pas à déterminer de quel ingrédient il s'agit. Du fromage blanc ? De la crème fraîche ? Une sorte de fromage ? Ou bien du yaourt ? C'est si épais que je me décide pour du fromage frais. Mais le chef ne tarde pas à me donner tort.

De la crème fraîche d'Isigny, d'une des meilleures laiterie-fromagerie de France ! De l'or blanc, chers candidats. 40% de matière grasse, excusez du peu.

De la crème fraîche... Elle doit être très épaisse car le monticule n'a pas l'air de vouloir s'affaisser. Le chef Ormon se frotte la panse avec une mimique gourmande.

Voilà un ingrédient qui va vous permettre de vous démarquer ! Car on peut tout imaginer avec un produit pareil. Mais attention : n'oubliez pas que la crème fraîche n'est pas un ingrédient parmi d'autres. Bien sûr, elle va venir accompagner votre plat, mais c'est votre plat qui doit la mettre en valeur, pas l'inverse !

Une nouvelle fois, les candidats acquiescent, concentrés. Moi, je tombe des nues. Au premier abord, l'ingrédient m'avait semblé facile à cuisiner, presque un cadeau aux candidats. Mais la précision du chef me remet les idées en place : c'est une finale, il n'y a pas de cadeau ! Je ne suis même pas sûr qu'il y en ait eu un jour. La crème fraîche m'apparaît alors comme un piège... En faire l'élément central d'un plat alors qu'elle n'est jamais l'élément central du plat ? Oui, à n'en pas douter, c'est la porte ouverte à toutes les erreurs. Les chefs ont fait des plis dans le tapis et attendent que Drago et les autres s'y prennent les pieds.

Et maintenant, parlons un petit peu du dessert, dit Ofwordan. Sur l'entrée et le plat, vous aurez tout loisir de vous démarquer et de faire marcher votre imagination. Mais pour le dessert, nous attendons de vous que vous reproduisiez à la perfection un monument : la fameuse Sachertorte !

Certains proches échangent des regards surpris. Moi, je regarde le visage de Drago. « Sachertorte » a l'air de lui parler plus qu'à moi et tant mieux car je suis bien incapable de dire à quoi ce dessert ressemble.

Ah, soupire Ormon, la Sachertorte du célèbre hôtel Sacher, à Vienne. Sa spécialité... On y fait la queue pendant des heures pour en déguster une part. Ce gâteau au chocolat et à la confiture d'abricot est un modèle de finesse, d'élégance et d'équilibre. Impossible d'y rester insensible.

Kandborg renchérit :

Vous l'avez compris, nous attendons de vous que vous réalisiez une Sachertorte d'exception. La recette est vieille de près de deux siècles. Vous devez lui faire honneur. Vous n'avez pas le choix si vous voulez remportez le titre de Master Chef !

A ces mots, la présentatrice frappe dans ses mains.

Chers candidats... Le chrono est lancé et c'est à vous de jouer !

Ils ne se le font pas dire deux fois. Entourés de leurs commis, les quatre finalistes leur donnent des ordres à voix basse. Je vois Julia qui parle en faisant de grands gestes, Charles qui murmure à toute vitesse, Lauryn qui explique quelque chose à Jane et... Drago bien sûr. Il désigne successivement ses deux assiettes. John et Mark l'écoutent religieusement. Ça me paraît bon signe. Ses commis sont les premiers à s'élancer vers l'épicerie, mais ceux des autres candidats les suivent de près.

A peine sont-ils partis que Drago se penche sur les deux assiettes et examine avec attention ce qui s'y trouve. Il pique sa betterave, découpe délicatement l'une des extrémités et la porte à sa bouche. Son expression ne laisse rien paraître. A présent, il teste la texture de la crème fraîche à l'aide d'une cuiller. Il prélève un peu de crème fraîche, place sa cuiller à la verticale au-dessus de l'assiette. La crème met un temps fou à retomber. Elle est aussi épaisse que je l'avais imaginé. Sans attendre, Drago commence à la travailler, ce qui m'étonne : les autres candidats l'ont directement placée dans le réfrigérateur commun. Lui se sert d'un robot et, pendant que l'appareil fouette la crème, Drago l'assaisonne. Derrière lui, je vois John qui revient en courant. Il a du passer moins d'une minute dans l'épicerie. Et pour cause, il n'a récupéré qu'un seul ingrédient, une bouteille de lait qu'il tend à Drago. Je regarde Drago verser un peu de lait dans le batteur. Il arrête le robot plusieurs fois, rajoute du lait petit à petit, jusqu'à obtenir exactement la consistance souhaitée.

Alors seulement, il relève la tête et son regard se dirige droit vers moi. Son expression concentrée se fendille pour laisser surgir un bref sourire. Mais déjà, John lui pose une question et Drago se détourne. Ils discutent quelques instants, pendant que Drago transvase sa préparation dans un bac. John l'accompagne lorsqu'il se dirige vers le réfrigérateur et place son bac dans la partie congélateur.

A voir les chefs qui discutent dans un coin, je devine que la production diffuse les portraits des candidats ou un résumé des épisodes précédents. Je commence à connaître leurs procédés et il est vrai que pour le téléspectateur, le début du tournage n'est pas le moment le plus palpitant de l'émission. Pour moi en revanche, chaque seconde compte. Dès les premières minutes, j'arrive à me faire une idée. Drago est-il en difficulté ? Ou serein ? Content ou déçu ? Aujourd'hui, je le sens calme et déterminé. Ni la betterave, ni la crème fraîche, ni cette Sachertorte ne l'ont ébranlé. Le problème, c'est que les autres candidats ont l'air aussi calmes et déterminés que lui.

Ça y est. Les chefs ont arrêté leur papotage. Ils commencent à se balader entre les plans de travail, jettent partout des coups d'œil intéressés, le sourire aux lèvres. Je ne m'y laisse pas prendre. Je vois ce qu'il faut voir : des prédateurs à la recherche d'une proie. Ils s'abattent sur Julia en premier.

Alors, parlez-nous de votre entrée. Qu'allez-vous nous concocter avec cette betterave ?

Je vais partir sur un méli-mélo, betterave rouge que vous avez choisie pour nous, betterave blanche que Cathy est allée chercher pour moi et grenade. Je vais tailler les betteraves en julienne sauf quelques copeaux que je passerai à la mandoline avant de les frire.

Beau jeu de textures, beau jeu de couleur, approuve Ormon. Mais encore ?

Je vais monter une mayonnaise bien relevée pour lier les betteraves en julienne. J'ai demandé à Alan de me dénicher de la red chard ou, s'il n'en trouve pas, des jeunes pousses d'épinard.

Mais sans conteste, de la red chard apportera une belle couleur à l'ensemble.

Julia acquiesce.

Je compte m'en servir de la même façon que les chips de betterave : c'est un détail qui sera important tant pour la texture que pour le dressage.

Les chefs ont l'air satisfaits par ses explications. Mais Ofwordan lui précise qu'elle sera attendue au tournant de la mayonnaise. Il veut l' « émulsion parfaite ».

Mon cœur cogne à s'en décrocher et pour cause : les chefs se dirigent à présent vers Drago.

Thomas ! Vous nous avez fait une sacrée frayeur !

Sans aucun doute, la production aura fait monter sa propre mayonnaise sur la prétendue hospitalisation de Drago. Mais ce dernier se contente de hausser les épaules.

Frayeur partagée.

Les chefs échangent un regard amusé.

Opération ou non, vous restez fidèle à vous-même, lance Kandborg. Peu loquace ! Mais dites-nous un peu ce que vous nous préparez là.

Je pense décliner les betteraves de différentes façons : en billes, glacées dans leur jus, en fines tranches, confites et en émulsion, avec un beurre de café.

Ormon a l'air intéressé.

Un beurre de café ? Ça, c'est de la prise de risque...

Je veux l'odeur du café, mais pas le goût.

D'où la prise de risque, réplique Ormon. Difficile techniquement, mais voilà qui apportera la complexité que l'on recherche à ce niveau de la compétition. Si vous y parvenez, bien sûr.

Drago ne lui répond même pas, ce qui me fait sourire autant que ça m'exaspère. Bon sang, Drago ! Ces gars vont te noter, fais au moins l'effort d'avoir l'air poli. Heureusement, Ofwordan enchaîne presque aussitôt :

Et pour l'assaisonnement ?

Vinaigrette d'airelle.

Cohérent, approuve Kandborg. Sur le papier, ça me plaît.

Mais avant de partir, il remarque l'air de rien qu'un de ses commis lui a ramené des betteraves blanches, comme Julia. Deux candidats qui ont la même idée... « Vous aussi comptez jouer sur les couleurs... Est-ce un manque d'originalité ? », fait-il semblant de se demander. Aucune idée, mais moi, la baguette me démange. Il garderait peut-être ses questions pour lui si je faisais tripler sa langue de volume.

C'est autour de Lauryn de parler de son entrée. Avec son mille-feuilles de betterave et Saint Jacques, elle s'en sort bien. Mais comme pour les autres, au moment de partir, les chefs lui lancent une petite pique : « La Saint-Jacques ne risque-t-elle pas d'éclipser la betterave ? Attention à votre produit phare... ».

Reste Charles. Selon les chefs, ce sérieux concurrent a bien avancé. Je ne fais que regarder Drago, mais j'entends parler de betterave et de comté, tous deux servis en carpaccio, d'un jus gras et de noix de muscade. Charles est longuement interrogé sur son jus gras et ses réponses semblent convenir aux chefs. Il est félicité pour le choix du comté pour accompagner la betterave : choix judicieux qui n'éclipsera pas le produit central et qui permet de jouer sur les couleurs sans tomber dans la classique opposition betterave rouge et betterave blanche. Je serre les dents. L'une des piques est pour Drago et Julia, l'autre pour Lauryn. Devant moi, le frère de cette dernière, Sébastian, se retourne pour me jeter un regard malheureux. Charles, lui, ne se prive pas de lancer à Lauryn un sourire goguenard qu'elle ignore royalement.

N'oubliez pas de lancer vos plats en même temps que vos entrées ! rappelle Ormon. Si vous attendez, il sera trop tard ! Je vous conseille également de penser aux étapes la Sachertorte. Elle compte une dizaine de préparations différentes et un temps de cuisson non négligeable... Mieux vos ne pas tarder.

Vous avez des commis : vous devez an-ti-ci-per ! conclut Kandborg.

Sur chaque plan de travail règne l'effervescence. Les dits commis partent en réserve, en reviennent, épluchent, découpent, taillent, lancent des cuissons, nettoient ou font la vaisselle. Les candidats gardent pour eux les étapes les plus techniques, sans perdre de temps sur le reste. Les entrées sont bien avancées, les plats sont tous plus ou moins lancés. Comme tous les proches, je dois attendre que les chefs passent entre les plans de travail pour me faire une idée : si les téléspectateurs ont la chance de voir des gros plans sur leur écran de télévision, ce n'est malheureusement pas notre cas.

Mais je ne regrette pas d'être là, aux côtés de Drago. De temps en temps, il lève les yeux vers moi et nos regards se rencontrent. Ça ne dure qu'un bref instant car il ne perd pas une seconde. Ses gestes sont rapides et précis, son visage reste concentré, ses yeux sont partout. De temps à autre, je vois ses lèvres qui remuent à toute vitesse. Je devine que sous le pression, sa voix n'a plus rien de traînant : les ordres fusent. Tout en avançant ses propres préparations, il vérifie le moindre geste de ses commis, demande à goûter toutes les deux minutes, rectifie les assaisonnements.

Plus d'une demi-heure s'est déjà écoulée depuis le début de l'épreuve. Pour ne rien arranger, les chefs ne se contentent plus de suivre l'avancée du travail en lâchant quelques commentaires. Les voilà près du plan de travail de Lauryn à qui ils demandent de présenter son plat. Elle a choisi des pavés de thon qu'elle compte servir mi-cuits avec une crème chantilly salée au gingembre. Cette idée de crème chantilly séduit les juges. Ils lui assurent qu'elle a parfaitement compris ce qu'ils attendaient d'elle : mettre la crème fraîche en valeur dans son plat, même si la crème fraîche ne peut être l'élément principal en tant que tel. Pour l'assaisonnement, le gros sel et le citron vert achèvent de convaincre les chefs.

C'est ensuite au tour de Charles. D'abord, je saute au plafond car à peine a-t-il lâché le mot « risotto » que les jurés conspuent unanimement son manque d'originalité. C'était mal connaître la bête, qui rebondit avec panache. Charles désigne ses autres préparations en cours : un bouillon de fruits de mer (« déjà ultra-parfumé, ce sera du grand art » selon Ormon qui le goûte), des brochettes de gambas qu'il fera griller au dernier moment dans une huile de noisette et un velouté de courgette très concentré, sur lequel le risotto sera servi (« cette couleur, mais regardez-moi cette couleur » s'extasie Kandborg). Le candidat fait valoir que la crème sera à l'honneur tant dans le risotto que dans le velouté, avec une attention particulière lors du dressage.

Oh oh ! se réjouit Ofwordan. La crème fraîche qui strie le vert de votre velouté... Je parle pour les collègues, mais je pense ne pas me tromper en disant que c'est quelque chose que nous sommes très pressés de voir.

Les chefs quittent un Charles aux anges et cette vision suffit à me rendre nauséeux. Il en est visiblement de même pour Lauryn. Lèvres serrées, sourcils froncés, elle enchaîne les préparations avec une combativité que je ne lui connais pas. C'est comme si chaque cellule de son corps criait à Charles : « je ne te laisserai pas prendre le dessus ». Le tout suivi d'une insulte bien sentie.

Vient ensuite le tour de Julia et je trépigne d'impatience car Drago suit juste derrière. Je l'écoute parler de son trio de volaille farcie, servi sous forme de roulés, en priant pour qu'elle ne s'éternise pas. Malheureusement, les chefs lui posent une foule de questions et elle n'est pas avare en détails : crème à l'ail, crème au piment et crème à la passion viendront relever ses blancs de poulet et le tout sera accompagné d'une mousseline de pommes de terre aux marrons. Les chefs sont enthousiastes, cette crème passion les intrigue et ils saluent la prise de risque.

Enfin, ils rejoignent Drago. Comme les autres, il a entamé la préparation de son dessert. Il est en train de préparer la pâte de cette fameuse Sachertorte. Il verse du chocolat fondu sur sa préparation, mélange délicatement et incorpore ensuite des blancs d'œuf que John lui a monté en neige.

Mais ce n'est pas son dessert qui retient l'attention des chefs et mon sang ne fait qu'un tour.

Alors là, mon cher Thomas, il va falloir nous expliquer parce qu'on ne comprend pas, mais alors pas du tout, dit Ormon.

Ce n'est pas que ça n'a pas l'air excellent, renchérit Ofwordan. Je veux dire, ces dés de veau qui qui se colorent lentement... On sent qu'ils vont être fondants à souhait ! Et là, ce bouillon... Non, ce consommé pardon ! Cette odeur qu'il dégage en frémissant...

Il hume le fumet, ravi.

Et cette couleur, complète Kandborg en plongeant une cuiller à soupe dans la casserole. Brun caramel au centre et devient miel sur les bords... Extra, vraiment. Je peux ?

Tout en tamisant un peu de farine par-dessus sa préparation, Drago incline la tête et le chef porte la cuiller à sa bouche. Il reste déguste le consommé lentement, observe quelques secondes de silence.

Aussi extra qu'il en a l'air. De l'or en barre. Un consommé pareil, ça vous rend inoubliable les choses les plus simples. Vous allez nous le servir avec quoi ?

John vient interrompre l'échange. Il s'excuse auprès des chefs et demande à Drago de regarder si « ça » lui convient. Il a fait je-ne-sais-quoi avec un cercle à pâtisserie et une feuille de papier sulfurisée. Visiblement, Drago est satisfait. Il tend à John le bol de son robot où se trouve la pâte qu'il vient de finir de mélanger et lui demande de verser l'appareil dans le cercle, sans l'écraser :

Il suffira de le lisser à la spatule. Juste le lisser pour égaliser, d'accord ? Puis tu enfournes pour 50 minutes à 170°.

John acquiesce et repart avec le bol et son cercle à pâtisserie.

Vous m'avez l'air dans les temps, commente Ormon. Alors, ce consommé, vous allez nous le servir avec quoi ?

Avec ça, répond Drago en désignant les dés de veau.

Il coupe le feu, ce qui a l'air d'étonner les chefs et il précise :

Je finirai la cuisson au four.

Déjà, il verse un peu d'armagnac dans sa poêle, la fait tourner lentement pour faire réduire le jus. Quand le résultat lui convient, il y ajoute des légumes coupés en brunoise et des champignons entiers, puis repose le tout sur son plan de travail. Ofwordan désigne le lobe de foie gras cru que Mark est en train de dénerver.

Et le foie gras ?

Tout va ensemble.

Tout va ensemble ? répète Ofwordan. Mais... ôtez-moi d'un doute... On vous a vu mettre une pâte bien tourrée au frais. Ce n'est pas une pâte feuilletée quand même ?

Drago secoue la tête.

Non, puisqu'il faudrait qu'elle repose au moins trois heures. Mais le résultat devrait s'en approcher.

Kandborg se met à rire :

Oh oh, je crois que j'ai une petite idée de ce que vous nous préparez...

Alors seulement, Drago daigne relever les yeux.

J'espère. La quasi-pâte feuilletée était censée vous mettre sur la voie.

Le chef rit de plus belle.

Vous ne manquez pas de culot, Thomas et je dois reconnaître que vous avez le talent qui va avec. Ce que vous nous préparez, je sais que ça va être mieux que succulent. Mais attention à vous : la crème fraîche, vous allez vous en servir pour lier votre plat. Et c'est justement ce que nous ne voulons pas. Aujourd'hui, dans cette épreuve, la crème fraîche doit être plus qu'un liant, vous comprenez ?

J'aurais pu paniquer, si un fin sourire ne s'était pas dessiné sur les lèvres de Drago. Un fin sourire de carnassier.

Ne vous inquiétez pas, Chef. Je crois que j'ai parfaitement compris.

Je respire plus librement alors que Kandborg, Ormon et Ofwordan consentent enfin à s'éloigner. Mais mon répit est de courte durée.

Il vous reste dix minutes avant de présenter votre entrée ! annonce la présentatrice.

Comme s'ils n'en croyaient pas leurs oreilles, les candidats se tournent vers le chronomètre. Sans leur laisser le temps de digérer la nouvelle, les chefs leur conseillent instamment de lancer les préparations les plus longues de leurs desserts. Ça me met en rogne parce que je sais que leur seul but est de les déstabiliser en faisant monter le stress. La présentatrice me donne raison en enfonçant le clou :

Après, nos trois membres du jury procéderont à la première dégustation et à la première élimination.

Je regarde Drago. Il a l'air concentré, mais aussi inquiet. Il ne cesse de jeter des coups d'œil en direction du chronomètre et de s'activer dans tous les sens. J'essaie de me rassurer, parce que les autres candidats n'ont pas l'air plus sereins. Les mains de Lauryn tremblent, la très organisée Julia ne sait plus comment combiner les temps de cuisson de ses différentes préparations et Charles a commis l'erreur de lever la voix contre Rachel, qui s'est vexée. Partout, c'est le branle-bas de combat.

A cinq minutes de la fin, les quatre candidats ont adopté la même stratégie : ils ont laissé leurs consignes à leurs commis et se sont isolés pour finaliser le dressage leur entrée. Les regards des proches sont tournés dans leur direction et tout ce que j'aperçois me paraît approcher la perfection. Je me demande comment les chefs vont pouvoir différencier les candidats... Parce que dans quelques minutes, l'un d'entre eux va être éliminé.

A dix secondes de la dégustation de l'entrée, la présentatrice lance le décompte. A deux secondes de la fin, les quatre candidats ont cloché leur assiette et les chefs applaudissent.

Vous êtes tous les quatre parfaitement dans les délais et on n'en attendait pas moins d'une finale. Charles, vous voulez bien commencer ?

En passant, je le vois jeter un coup d'œil sur l'assiette de Lauryn. Je me demande bien ce qu'il espère y voir, puisqu'elle est clochée, mais il ne s'agit peut-être que d'un geste inconscient.

Alors, qu'avons-nous là ? demande Kandborg, lorsque le candidat dépose son entrée face aux chefs.

D'où je suis, je vois assez bien la table de la dégustation et comme Charles se tient un bon mètre derrière l'assiette qu'il vient de déclocher, je suis en mesure de juger que... c'est très réussi.

Les tranches de comté sont coupés si finement qu'elles sont translucides. Elles forment un cercle aussi parfait que les rondelles de betteraves tranchées à la mandoline. Il y a là quelque chose que je ne m'explique pas, mais je n'ai pas été très attentif aux préparations de Charles (et pour cause, Drago est un spectacle à lui tout seul). Il n'en reste pas moins que le rendu est impressionnant. Les cercles de betterave tapissent le fond de l'assiette, espacés d'environ un centimètre. Les cercles de comté sont positionnés par-dessus, légèrement en décalé. Par un jeu de transparence, ils laissent apparaître tantôt le blanc de l'assiette, tantôt le rouge de la betterave. Charles a enduit au pinceau chaque cercle de son fameux jus, ce qui donne à l'ensemble une belle couleur brillante, sans déborder sur l'assiette. Pour couronner le tout, il a soigneusement parsemé son entrée de poivre concassé et de muscade. Les chefs parlent de tableau et, même si j'aimerais trouver qu'ils exagèrent, je n'ai d'autre choix que d'être d'accord avec eux.

Sans surprise, la dégustation se passe bien. On salue sa maîtrise du geste professionnel, l'harmonie de l'assiette et la perfection du dressage. Charles regagne sa place, rayonnant. Je sais que c'est un garçon sympathique au fond, j'en ai déjà fait l'expérience. Mais là, à cet instant précis, je regrette qu'il ne se soit pas pris les pieds en apportant son plat aux jurés. Sa suffisance m'exaspère.

C'est ensuite au tour de Lauryn. Elle présente une Saint-Jacques juste snackée au beurre de noisette, servies en millefeuille avec la betterave. Les lamelles sont très régulières, sur pas moins de six couches. A première vue, les chefs lui reprochent d'avoir inversé le produit-phare. Lauryn leur conseille de goûter et, effectivement, tout s'arrange à la première bouchée. Parce qu'elle a ajouté une compotée de betterave « joliment relevée », les chefs y trempent leur fourchette avant chaque bouchée et reconnaissent qu'il n'y a pas de hors sujet : la betterave est bien l'élément central du plat. Par ailleurs, ils la félicitent pour la régularité du millefeuille et pour la cuisson de la Saint-Jacques (« à point, pas de meilleur compliment pour moi », assure Kandborg).

Lauryn repart la tête haute. Mon cœur est sur le point d'exploser. Logiquement, c'est au tour de Drago et c'est bien lui que les chefs appellent. Il approche, dépose son assiette, décloche et recule. Comme les autres proches, je tends le cou. Je ne suis pas objectif, mais je trouve le résultat formidable. Les billes de betterave donnent du volume à l'assiette et leur glaçage brille sous les lumières de la salle. Entre chaque bille, Drago a déposé une tranche de betterave confite et a terminé son dressage par l'émulsion qu'il a dressée au siphon. C'est bien simple, j'ai beau chercher, je ne vois pas un seul défaut.

Les chefs commencent par le féliciter pour son dressage – comment pourrait-il en être autrement ? La dégustation se poursuit sur la même lignée : la vinaigrette aux airelles est qualifié de « choix judicieux, parfaitement exécuté » « elle apporte cette touche d'acidité qu'il manque à la betterave ». Quant à ce beurre de café, dont je me demande bien quel goût il peut avoir, il fait l'unanimité : bel arôme, mais au nez seulement. Il apporte à l'émulsion de betterave la complexité attendue à ce niveau de compétition. Drago repart, impassible. Je le comprends. Jusqu'ici, tout le monde s'en tire avec les compliments et je ne compte pas sur Julia pour changer la donne. La suite me donne raison : elle repart elle aussi avec une foule de compliments. Les chefs disent que sa mayonnaise est digne d'un grand restaurant, que son dressage est parfait (« alors que la mayonnaise, par nature, ne simplifie pas les choses », selon Ofwordan) et qu'elle a fait un vrai effort de recherche dans la structure de son entrée.

La dégustation achevée, les candidats sont renvoyés à leurs plans de travail pour avancer leur plat pendant que les juges délibèrent. Je trouve cela particulièrement cruel car les quatre finalistes reprennent leurs préparations sans perdre une seconde, alors que l'un d'eux est d'ores et déjà éliminé. Reste à savoir qui.

Pour une fois, je ne prête pas attention à Drago. Mon regard est fixé du côté des chefs, qui discutent entre eux. Une caméra suit les débats et j'attends le verdict, les poings serrés.

Ne t'inquiète pas, Harry, me souffle Dudley.

J'essaie de lui sourire, mais je n'y arrive pas. Les secondes s'écoulent, interminables. J'essaie de me concentrer sur Drago. Il sort du four trois petits cercles de pâte. D'un diamètre de six ou sept centimètres, ils ont bien gonflés. Drago les met à refroidir. Pour une préparation qui ne devait que s'approcher d'une pâte feuilletée, je trouve le résultat sacrément réussi. Mais je n'ai pas la tête à m'en réjouir. S'il est éliminé, à quoi cela servira-t-il ? Enfin, les chefs semblent se mettre d'accord et rejoignent la présentatrice.

Julia ! lance Ormon d'une voix forte.

La candidate sursaute, mais le chef lui sourit.

Vous pouvez continuer à travailler votre plat car vous êtes la première candidate qualifiée.

Un sourire rayonnant illumine le visage de Julia. A ma gauche, j'entends ses proches qui étouffent leur joie en s'étreignant. Je les envie. Je les envie terriblement.

Votre jeu de texture était une réussite. Votre mayonnaise, une tuerie. Le dressage, admirable. Il n'y a rien à redire.

Je regarde vers Drago. Lui et ses commis continuent de s'affairer, mais je sais qu'il est tendu. Plus que deux places et...

Thomas ! Vous aussi êtes qualifiés. Vous pouvez poursuivre vos préparations.

Hermione agrippe ma main, Dudley lève ses deux poings vers le plafond et j'entends Ron pousser un long soupir de soulagement. Drago relève brièvement la tête dans notre direction. Il nous sourit. Puis son regard s'attarde sur moi, sur moi seul. J'articule silencieusement « bien joué » et il doit avoir compris car son sourire s'élargit. Il s'est déjà remis au travail quand les chefs le complimentent.

Vous nous avez proposé une entrée d'une belle complexité. Vous avez pris des risques et le résultat était parfaitement équilibré. Et maintenant...

Dans la zone des proches, la tension est à son comble : il ne reste plus qu'une place pour deux candidats. Même moi, je n'y suis pas insensible. Ofwordan ouvre la bouche. C'est comme si le monde était suspendu à ses lèvres.

Charles !

Je vois Lauryn reposer sa cuiller, tête basse. Elle venait de goûter la sauce de son plat. Les larmes perlent à ses yeux. C'est alors que je remarque que Charles n'exprime aucune joie. Au contraire, il regarde les lèvres d'Ofwordan comme s'il craignait les prochains mots qui viendraient à en sortir.

Coupez vos feux. C'est vous qui rendez votre tablier.

Lauryn redresse brusquement la tête. Puis, elle reprend sa cuiller et se remet à sa préparation avec ardeur. Devant moi, les proches de Lauryn n'en croient pas leur chance. Sebastian a le plus grand mal à rester silencieux et ses parents se démènent pour le faire taire. Une caméra fixe son gros œil noir sur nous, les proches et je devine qu'elle retransmet la scène en direct. L'image est trop belle pour s'en priver. Je risque un regard du côté des proches de Charles. Ils ont l'air sous le choc. En moins d'une seconde, ils sont passés du soulagement à la plus cruelle déception. L'ascenseur émotionnel voulu par Master Chef.

Votre entrée était parfaitement réalisée, sur tous les plans. Mais sa simplicité vous a porté préjudice. Face à vos concurrents, vous n'avez pas placé la barre assez haut et c'est dommage car, depuis le début, nous savons que vous avez l'étoffe pour remporter Master Chef.

Je devrais m'en réjouir. Charles était en candidat redoutable. Mais puisqu'il ne reste que des candidats redoutables, le problème de Drago est loin d'être réglé. Le calcul n'est pas compliqué. Il a une chance sur trois de remporter Master Chef.

Kandborg se tourne vers Lauryn :

Votre entrée était audacieuse. Vous nous avez servi de la Saint Jacques avec de la betterave. Votre Saint-Jacques était exquise et pourtant... vous avez réussi à la mettre au second plan. Ce n'était pas la betterave qui la mettait en valeur, non. C'était votre Saint-Jacques qui mettait en valeur la betterave ! Quel exploit !

Les commis de Charles sortent du champ. Leur rôle dans l'émission s'arrête ici. Charles lui, le nez baissé, a coupé ses feux et éteint son four. Il dénoue lentement son tablier avant de rejoindre les chefs. Il est sans mot. Les chefs le brossent dans le sens du poil, retracent son parcours avec éloquence, lui assurent qu'il ira loin, ils le savent. Mais rien ne peut consoler Charles. Au fond de moi, je le comprends. Je ne dis pas qu'il pensait gagner Master Chef. Tout au long de la compétition, il a dissimulé ses doutes et ses craintes pour jouer le rôle du jeune prodige ravi d'affronter ses concurrents. Ce n'était qu'une illusion. Il savait que la compétition serait sans pitié, mais... mais il ne pensait pas être éliminé avant Lauryn. Non, Julia et Drago étaient pour lui ses vrais concurrents, pas cette jeune femme timide qu'il avait dès le début cataloguée dans le menu fretin – sans mesurer à quel point elle avait progressé. Grave erreur.

Sous des applaudissements fournis, Charles trouve le courage de remercier les chefs et a l'élégance de souhaiter bonne chance aux trois finalistes. Il a encore du mal à y croire, ça se voit. Il jette un dernier regard à son plan de travail et quitte le champ. Aussitôt, il s'isole avec ses proches. Je n'ai pas le temps de m'en préoccuper. Drago passe d'une préparation à l'autre, ses commis s'agitent dans tous les sens sous ses ordres et lui-même passe du plat au dessert et du dessert au plat. Je me demande comment il fait. A sa place, j'aurais déjà explosé sous la pression.

Pendant quelques minutes, les chefs offrent un répit aux candidats. Ils vont jeter un œil aux préparations de Charles et parlent de ce plat qu'ils regrettent de ne pas pouvoir goûter. Ils poussent le vice jusqu'à goûter le bouillon. Ce dernier rapporte à Charles une flopée de compliments qui ne lui servent plus à rien. A la place de Charles, j'aurais envie de les étrangler.

Un coup d'œil au chronomètre m'apprend qu'il ne reste plus qu'une heure pour présenter le plat et le dessert – à condition de ne pas avoir été éliminé avant bien sûr. Je m'empresse de chasser cette pensée de mon esprit et me concentre à nouveau sur Drago. Je le vois travailler sa compotée d'abricot à la casserole. De leur côté, John surveille la cuisson du gâteau et Mark est reparti dans l'épicerie. Trop vite à mon goût, le répit prend fin et les chefs se dirigent vers le plan de travail de Drago. Cette fois, c'est lui qui est questionné en premier.

Commençons par ce dessert. Où en êtes-vous ? demande Kandborg.

A la confiture d'abricot. Elle a suffisamment réduit. Je vais la mettre à refroidir.

Joignant le geste à la parole, Drago retire sa casserole du feu et commence à répartir la confiture sur une grande plaque à pâtisserie froide.

Quelle belle couleur ! se réjouit Ofwordan. Et cette brillance !

Mais Ormon ne se laisse pas attendrir.

Proportion de sucre ?

1/3 pour 2/3 de fruits.

Normalement, c'est 50-50.

Pour que la confiture se conserve bien, oui, réplique Drago sans se laisser démonter. Là, elle sera mangée ce soir.

Bonne stratégie, approuve Kandborg. Le juste équilibre entre le sucre et l'acidité du fruit, c'est l'une des choses qui fait le charme de la Sachertorte.

Ofwordan jette un coup d'œil en direction du four.

Comment de temps encore pour votre biscuit au chocolat ?

Quinze minutes, répond Drago au tac-o-tac.

Avec un air que je trouve un peu sadique, Ofwordan se tapote le bout des doigts.

Pour le dessert, vous me paraissez dans les temps. Mais a-t-on le droit d'en savoir un peu plus sur votre plat, maintenant ? Racontez-nous tout.

Drago incline la tête.

J'ai commencé par le feuilletage et le consommé. Le feuilletage est prêt à cuire, le consommé est ok.

Pendant qu'il répond aux questions des chefs, Drago ne perd pas de vue qu'il doit présenter son plat dans une demi-heure à peine. Plus tôt, Mark lui a ramené trois bols en porcelaine et Drago les dispose à présent sur son plan de travail. Il est en train de répartir le contenu de sa poêle dans les trois bols lorsque, la tête tendue au-dessus de la casserole de consommé, Ofwordan hume avec délice.

Ok ? Non, mais sentez-moi ça... Et ce jeune homme nous dit ok ! Enfin... parlez-nous du reste, nous verrons bien si c'est à la hauteur.

J'ai étuvé les brunoises au beurre, séparément puis ensemble. Le veau est juste revenu à la poêle et déglacé. Maintenant, je remplis les bols avec ce mélange... j'ajoute mes dés de foie gras... j'arrose avec mon consommé...

Je regarde Drago faire. Ses mains ne tremblent pas. Brunoises de légumes, veau, foie gras finissent dans les bols, puis il ajoute deux louches de consommé dans chaque. Là, sans qu'il ait besoin de faire le moindre geste, John et Mark lui apportent trois cercles de pâte feuilletée crue d'un diamètre un peu supérieur à celui des bols.

Intelligent, souligne Kandborg.

Il regarde Drago refermer chaque bol avec un cercle de pâte, en veillant à bien rabattre les bords pour les souder.

Je ne vois que des bons points, reprend Kandborg. Le veau va garder sa belle coloration prise à la poêle, mais grâce à ce couvercle de pâte, il va cuire à l'étouffée avec vos légumes et votre foie gras. C'est un plat de très haut niveau que vous revisitez et je ne peux que valider vos choix. Mais je me pose cependant une question : où est l'élément principal ? Où est la crème fraîche ?

A l'aide d'un pinceau, Drago a étalé un peu d'œuf sur chaque cercle de pâte feuilletée. Il met les trois bols de porcelaine au four avant de répondre :

Elle arrivera en dernier.

Kandborg fronce les sourcils. Il semble attendre d'autres explications, mais elles ne viennent pas. Il finit par soupirer :

Et bien... Espérons que ce ne soit pas trop tard...

Sur cet avertissement lourd de sens, les chefs quittent le plan de travail de Drago et rejoignent celui de Julia.

Ni Ron, ni Hermione, ni Dudley, ni moi ne sommes sereins. Le temps passe et toujours aucune trace de cette foutue crème fraîche. Je me rappelle ce que Drago en a fait, au tout début de l'épreuve. Les chefs l'ont-ils vu placer sa crème au congélateur quand les autres candidats réservaient la leur au frais ? Sûrement que non, puisque pas un n'en a touché un mot. Mais peut-être l'ont-ils fait exprès ? Quoi qu'il en soit, Julia et Lauryn travaillent leur crème fraîche depuis bien longtemps. Mais Drago... toujours rien. A un moment, j'ai une lueur d'espoir car je vois Mark lui ramener de l'épicerie un gros pot de crème. Puis, presque immédiatement, je réalise que cette crème n'a rien à voir avec son plat : déjà parce que la fameuse crème fraîche d'Isigny à 40% de matière grasse « excusez du peu » est au congélateur ensuite parce que Mark a également ramené des gousses de vanille et du sucre non raffiné.

En deux temps trois mouvement, Drago réalise une crème montée vanillée qui accompagnera son dessert. Puis il lisse sa confiture d'abricot au fouet. Pendant ce temps, les deux commis ne chôment pas. John s'attelle à la vaisselle car l'évier semble se remplir de vaisselle et d'ustensiles sales à mesure qu'on le vide. Mark lui, bondit sur la four à la première sonnerie. Il y laisse les trois bols en porcelaine, mais en sort le gâteau... pardon : le biscuit au chocolat. Il s'apprête à refermer la porte du four lorsque Drago se penche pour jeter un œil à ses bols. La pâte feuilletée a bien gonflé, elle forme un chapeau doré et dodu sur chaque bol. Drago demande à Mark de baisser la chaleur du four de 20°, puis met sa crème montée au frais.

De retour à son plan de travail, il découpe le dessus de son biscuit au chocolat pour en retirer la partie bombée. Il en goûte un morceau, a l'air satisfait, en propose à ses commis qui goûtent à leur tour. Pendant ce temps, il divise son gâteau en deux en coupant dans la hauteur. L'opération a l'air délicate. Non seulement le gâteau sort du four, mais en plus Drago vérifie plusieurs fois que sa lame ne dévie pas et qu'il est bien en train de diviser le biscuit en deux parties d'égale épaisseur. A un moment, il s'interrompt, fait tourner le gâteau sur lui-même, se baisse pour placer ses yeux à la hauteur de la lame, puis il reprend la découpe, très lentement.

Dix minutes avant de présenter votre plat ! annonce la présentatrice.

J'échange un regard catastrophée avec Dudley à ma gauche et un regard désespéré avec mes amis à ma droite. Dix minutes, toujours pas de crème fraîche et Drago découpe son gâteau avec la précision d'un chirurgien sur une table d'opération. L'opération s'achève justement. Alors que j'espère voir Drago courir vers le congélateur, il demande Mark de placer les deux parties du gâteau sur une grille pour les laisser refroidir. Puis il humidifie un torchon et sort ses bols de porcelaine du four. De leur côté, Julia et Lauryn ont déjà commencé à dresser. Je ne dis pas que le plat de Drago n'en jette pas, mais... et bien Julia et Lauryn ont opté pour des présentations épurées qui mettent en valeur l'élément central : la crème fraîche. Élément central qui fait toujours cruellement défaut à Drago. Je n'ose même pas regarder de plus près ce que ses concurrentes ont fait de peur de me laisser envahir par la panique.

De son côté, Drago est toujours très calme. Il rince la lame du couteau avec laquelle il a coupé son gâteau puis découpe un petit cercle de pâte au centre de chaque bol. Il s'arrête un peu avant la fin, pour laisser comme une charnière qui tient le morceau de pâte en place. Si je ne l'avais pas vu faire, je pourrai croire que la pâte feuilletée est intacte.

Cinq minutes ! annonce la présentatrice d'une voix forte.

J'ai envie de hurler. Il reste cinq minutes mais je ne vois toujours aucune trace de crème fraîche ! Bon sang Drago, mais à quoi tu joues ! Comme s'il lisait dans mes pensées, il lève les yeux vers moi. Ma tête lui arrache un sourire. Il se mord la lèvre inférieure, je vois bien qu'il a envie de rire. Les mains tremblantes, Lauryn et Julia finissent leur dressage. La première se débat avec son siphon, qui contient sa chantilly au gingembre, et la seconde positionne avec mille précautions ses roulés de volaille autour de sa purée (pardon, mousseline) aux pommes de terre et aux marrons. Et Drago lui, cet imbécile, n'a pas une goutte de crème fraîche dans son plat et me regarde en se marrant ! Je sens que Dudley, Hermione et Ron sont aussi décontenancés que moi. Pour ne rien arranger, Drago pousse la provocation jusqu'à m'adresser un clin d'œil. Très tranquillement, il récupère les trois petit cercles de pâte feuilletée qu'il a fait cuire plus tôt et qui sont désormais froid. Il les dispose sur un plateau, ajoute en face les trois bols, trois cuillers à soupe et une cuiller à glace.

Deux minutes ! nous rappelle la présentatrice, au cas où nous serions incapables de suivre le temps qui défile sur le chrono.

Les autres proches nous jettent des regards surpris que nous faisons semblant de ne pas voir. Que dire ? A présent, Drago se dirige avec son plateau vers le frigo, toujours sans se presser. Il pose son plateau, ouvre la partie congélateur du frigo, en tire son bac de crème fraîche. J'ai envie de lui demander s'il est fou, idiot ou suicidaire, à moins que ce ne soit les trois à la fois. Il ouvre le bac, faire une première belle boule de glace à la crème fraîche et la pose sur l'un des petits cercles au pied des bols, sur la face creuse, celle qui n'a pas doré. J'en conclus qu'il est au moins devenu fou. Il va servir de la crème fraîche congelée. Ok.

Les yeux ronds, je le regarde répéter l'opération une deuxième, puis une troisième fois. Les trois cercles de pâtes feuilletée forment comme une soucoupe pour la boule de glace. Si on était en arts plastiques, je lui donnerai un vingt sur vingt... Lui ne s'inquiète pas le moins du monde. Il range son bac et referme la porte du congélateur. Alors, il fixe son regard sur le chronomètre. Quand il ne reste plus que trente secondes, il ôte le tout petit cercle de pâte au sommet de chaque bol en cassant la charnière et le met directement à la poubelle. Puis il place ses soucoupes en pâtes au sommet, de telle sorte que les boules de glace viennent remplacer le chapeau parti à la poubelle. Il pose ses deux mains bien à plat sur la table et deux secondes plus tard...

Veuillez clocher ! Le temps est écoulé !

Je n'ai même pas réussi à voir ce que Julia et Lauryn avait fait. Tant pis.

Thomas !

Ofwordan le fixe, tout sourire.

Nous ne devions pas commencer par vous, mais vous nous avez trop intrigué. Et puis la glace, ça n'attend pas !

Drago s'approche, nonchalant.

J'ai pris mes précautions. La glace peut attendre.

Peut-être, rétorque Ormon. Mais nous, on n'en peut plus. Une heure qu'on se demande à quoi vous jouez et je dois dire que la curiosité est à son comble !

Ses compères acquiescent avec vigueur. Ofwordan prend la suite.

Je résume : vous revisitez la célèbre soupe VGE de Bocuse ! Et quand je dis revisiter, je veux dire que vous lui empruntez le principe de la cuisson à l'étouffée avec cette magnifique pâte feuilletée, c'est bien ça ?

C'est bien ça, confirme Drago.

Alors moi, il y a quelque chose qui me plaît déjà, intervient Kandborg : cette glace de crème fraîche qui surplombe le plat, on ne voit que ça. Et quelle prise de risque ! Je dois avouer que je ne sais pas ce que ça va donner, mais en tout cas, j'ai terriblement envie de goûter !

Bon, Drago n'est peut-être pas devenu fou. Peut-être est-il simplement inconscient. Je regarde les chefs retourner la soucoupe de pâte pour faire tomber la boule de glace à l'intérieur du bol.

Système au poil, plaisante Ormon, tout sourire. Pas une goutte à côté grâce au couvercle de pâte.

Avec délice, il casse la croûte, puis la fait tomber dans le consommé. Ses collègues l'imitent. La dégustation se déroule d'abord en silence. Je n'en peux plus d'attendre. Mon cœur bat si fort que je ne suis même plus sûr d'entendre les commentaires des chefs. Enfin, Kandborg se décide à parler et je suis rassuré : j'entends parfaitement.

Vous savez ce qui est bien avec vous, Thomas ? Vous nous épatez toujours.

Je n'aurais pas mieux dit, renchérit Ofwordan. Déjà, vous venez de trouver la solution à un problème de taille : on apporte au client un plat de ce type et par définition, il ne peut pas le déguster parce qu'il est brûlant. Ou alors il le déguste quand même et se brûle. Vous, vous inventez un truc révolutionnaire : votre plat, on est affamé, on le déguste sans attendre, la température est juste parfaite.

La température ? proteste Kandborg. Mais qu'est-ce qu'on en a à faire de la température, mon ami ? Ce qui compte, c'est le goût. Et figurez-vous que moi, le mot soupe, ça me fait peur. Votre consommé, à l'œil on voyait qu'il était parfait, on avait forcément envie de le goûter, impossible de lutter. Mais la soupe ? Chez Bocuse, il y a les truffes alors passe encore... Sauf que ce n'est pas du tout une soupe, n'est-ce pas Thomas ?

Pas du tout une soupe, confirme Thomas.

Ormon, qui était jusque là trop occupé à manger, trouve le temps de parler :

Le veau fond sur la langue, c'est une merveille. L'armagnac est parfaitement dosé, c'est subtil juste ce qu'il faut. Le consommé a encore réduit en cuisson, c'est du concentré de goût à l'état pur. Et vous, là-dessus, vous nous rajoutez cette belle crème glacée qui vient enrober le tout, donner de l'onctuosité et on se retrouve avec une sauce à tomber par terre et au foie gras s'il vous plaît ! La seule chose que je regrette, c'est de ne pas avoir pensé à goutter votre glace avant. Seule je veux dire. Il vous en reste ?

Ok, je retire ce que j'ai dit. Drago est un génie. Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les chefs. Un à un, ils goûtent dans le bac de glace que Drago leur a ramené.

Parce qu'en plus, c'est votre glace qui porte l'assaisonnement ?

Drago hausse les épaules.

Le sel durcit la viande à la cuisson. J'ai pensé que ce serait une bonne idée.

Lorsqu'il regagne son plan de travail, Ron, Hermione, Dudley et moi sommes aux anges. Cette fois, je n'évite plus le regard des autres proches. Je leur souris comme si j'avais toujours su que cela finirait ainsi.

Après Drago, c'est au tour de Lauryn. Elle présente son pavé de thon mi-cuit. L'assaisonnement au citron vert et au gros sel fait l'unanimité, mais c'est sa chantilly au gingembre qui m'inquiète la plus car les chefs la qualifient de « très équilibrée ». Je suis Master Chef depuis suffisamment longtemps pour savoir que « très équilibrée » est l'un des plus beaux compliments possibles. Je me raccroche au fait que les chefs la taquinent pour avoir eu du mal avec son siphon. Ormon finit sur cette phrase :

Au début du concours, vous auriez paniqué. Je parie que vous auriez laissé tomber. Mais là, vous saviez que votre chantilly devait finir dans votre assiette, vous avez refusé de céder à la panique, vous avez dompté votre siphon d'une main de maître. C'est bien simple, Lauryn, on a du mal à vous reconnaître !

La candidate regagne son plan de travail, rose de plaisir.

Julia, à vous.

Elle s'avance, sans parvenir à dissimuler son stress. Je la comprends. C'est dur de passer en dernier quand les candidats précédents ont reçu tant de louanges. Mais elle a tort de s'inquiéter. Je n'ai pas besoin d'attendre les commentaires des chefs pour savoir que son plat est une réussite. Les roulés de volaille sont parfaitement calibrés, garnis d'une crème onctueuse. De trois crèmes onctueuses même : à l'ail, au piment et à la passion. Les chefs adorent. Ils émettent un doute sur le fait que ce soit une recette grand public, mais eux adorent. Les crèmes sont fortes en goût, elles donnent tout son caractère au poulet, dont la viande est tendre et savoureuse. Quant à la mousseline, ils la qualifient d'aérienne.

Et entre les pommes de terre et les marrons, ce n'était pas gagné ! précise Ormon.

Julia regagne sa place. A présent, que la dégustation est finie et que les chefs délibèrent, Lauryn, Julia et Drago reprennent les préparations de leur dessert. Les commis ont bien avancés : les plans de travail sont nettoyés et les ingrédients pour la suite bien alignés, les uns à côté des autres. A bien y regarder, j'ai l'impression que les trois finalistes en sont au même stade : les confitures d'abricot sont prêtes et les biscuits au chocolat sont divisés en deux dans l'épaisseur. La suite ne tarde pas à me donner raison puisque les trois se lancent dans la préparation du glaçage au chocolat. Mon regard oscille de Drago aux juges et des juges à Drago. Sans signe avant coureur, ils prononcent le nom que j'espérais bien voir sortir de leur bouche, celui du premier qualifié.

Thomas ! C'est avec plaisir que nous dégusterons votre dessert.

Drago incline la tête. Mais sous ses longs cils, c'est moi qu'il regarde. Il sourit, gentiment moqueur et je lui souris en retour. Un instant, je me demande s'il n'a pas plus brouillé les pistes plus pour moi que pour les chefs. A la réflexion, j'en suis sûr. C'est tout à fait son genre. Mon sourire s'élargit. Reçu cinq sur cinq, Drago. Tu fais de moi ce que tu veux. Mais la seule envie qui me vient en retour, c'est de l'embrasser. Je le trouve encore plus beau quand il jubile.

Votre plat était le plus surprenant, explique Ofwordan. Ce n'était pas gagné, mais c'est vous qui avez le mieux compris la consigne. La crème fraîche est l'élément central de votre plat et pas seulement dans le dressage : elle apporte l'assaisonnement et c'est elle qui structure votre plat, lui donne son onctuosité. Tout était réfléchi, jusqu'aux chapeaux que vous avez fait cuire et refroidir pour éviter que votre glace ne fonde trop vite. Vraiment, c'était une belle prise de risque et une sacrée réussite...

Les chefs se ménagent un long silence. Lauryn et Julia échangent un regard. Elles ont dû mal à se concentrer sur leur préparation alors que Drago, lui, avance bien. Déjà, il verse son sirop de sucre sur les pistoles en chocolat et mélange soigneusement. Ses concurrentes elles, ont suspendu leur geste et attendent le verdict des chefs.

Lauryn...

La candidate relève la tête. Elle sait, tout le monde sait, mais elle espère encore.

C'est vous qui avez la plus belle progression. Vous êtes allée bien au-delà de ce que nous pensions, vous avez dépassé vos limites, vous vous êtes battues comme une lionne. Mais votre plat a le même défaut que l'entrée de Charles : c'est le moins complexe des trois que nous avons dégustés.

Étrangement, Lauryn n'a pas l'air si déçue que ça. Elle n'explose pas de joie, bien sûr, mais elle parvient à garder la tête haute alors qu'elle avait semblé être sur le point de pleurer quand elle avait cru être éliminée à la place de Charles. Quelque chose me dit que c'est peut-être parce qu'elle est allée plus loin que lui, justement. Y a-t-il du vrai dans les paroles des chefs ? Elle a l'air de le croire qu'elle est allée au-delà de ses limites. Peut-on être vraiment déçu quand on s'est surpassé ? Lauryn me répond que non. Et en face de moi, son frère pleure à chaudes larmes. Tout le monde applaudit, les proches, les chefs, la présentatrice, Drago et Julia, les commis et même Charles.

Rendez-nous votre tablier, mais encore une fois, croyez-nous quand on vous dit que ce n'est que le début, pas la fin. Ouvrez bien grand vos oreilles, Lauryn : ce n'est que le début ! lance Kandborg avec emphase.

Il ajoute quelques mots, mais je ne l'écoute plus. Drago a une chance sur deux de reporter la victoire. J'imagine Wilfried chez lui, avec sa femme. Je l'imagine tendu, près à bondir. J'imagine le reste des Weasley, nos amis de Poudlard, tous ceux qui ont eu vent de cette histoire et qui se sont débrouillés pour trouver un endroit où regarder une télévision, objet moldu dont ils s'étaient jusqu'ici moqués et qui était devenu soudain si recherché. Je pense enfin à Narcissa et Lucius Malefoy, à qui j'ai donné l'adresse du studio du beau-père de Dean où Murdoch était cachée, pour qui j'ai laissé la télévision allumée sur la bonne chaîne. Je sais sans l'ombre d'un doute, c'est une certitude absolue, qu'ils s'y sont rendus, à 20h30 précises, comme demandé. Le choc a dû être immense. Comment ont-ils réagi en voyant de quoi leur fils est capable ? Je ne sais pas pour Lucius Malefoy. Mais Narcissa y a vu quelque chose de magnifique, la preuve que son fils est revenu d'entre les morts et ne compte pas y retourner.

On s'active, Julia et Thomas. Il vous reste dix minutes. Actuellement, je ne vois pas l'ombre d'une Sachertorte alors je vous conseille de ne pas vous reposer sur vos lauriers. Nous voulons du goût, nous voulons du moelleux, nous voulons du craquant, nous voulons de l'onctuosité, nous voulons un dressage parfait et nous voulons une tenue impeccable. Alors, au boulot !

Cette tirade de Kandborg m'arrache à mes pensées. Dix minutes ! Drago a chargé ses commis de surveiller la température de son glaçage, tâche qu'ils prennent très au sérieux. Grâce aux entraînements prodigués par Drago, je sais qu'un beau glaçage dépend de la température – de mémoire, je dirais qu'elle doit être redescendue à 35° après avoir monté à 108. Pendant ce temps, Drago réparti sa confiture d'abricot sur la partie basse du biscuit, posée sur une grille. Là encore, il porte une attention qui me paraît extrême à l'épaisseur de la couche de confiture.

Lorsque le résultat lui convient, il scelle les deux parties du gâteau en ajustant bien les bords. Il fait ensuite tourner le gâteau sur lui-même, pour vérifier la perfection de l'ensemble. Je le regarde placer la grille au-dessus d'un bac et prendre le relais de ses commis. Pendant une longue minute, il ne quitte plus le thermomètre des yeux. Puis, il verse le glaçage sur le biscuit, en dessinant des cercles de plus en plus large avec son poignet. Le résultat me semble parfait, mais Drago passe tout de même deux spatules entre son gâteau et la grille pour couper les filament du glaçage. Il en profite pour faire glisser son dessert dans le plat de service et s'empresse de le mettre au congélateur. Julia l'imite une dizaine de secondes plus tard. Tous deux préparent une soucoupe avec la crème qui accompagnera le dessert, dressée au siphon. Puis ils lèvent les mains. Le chronomètre affiche encore deux minutes restantes et les chefs applaudissent.

Décidément, vous êtes épatants ! Produire une Sachertorte dans ses conditions et en aussi peu de temps, c'est un exploit. Je vais maintenant demander à vos proches de vous rejoindre.

Hermione est la première à réagir. Elle nous tire en avant, Ron et moi. Nous sommes sous le choc. Les proches de Julia n'en mènent pas large, eux non plus. Puis je croise le regard de Drago et j'oublie le reste. Les caméras, la présentatrice, les chefs. Après tout, ce n'est pas la première fois que je passe à la télé. Après tout, le seule chose qui compte, c'est Drago. Et il me sourit. Un sourire fatigué, un peu hésitant, mais un sourire quand même.

Tu as été génial, murmuré-je en arrivant à sa hauteur.

La présentatrice ne me laisse pas le temps d'en dire plus.

Nos deux finalistes ont fini leur Sachertorte, les glaçages sont en train de prendre et la dernière dégustation aura lieu dans dix minutes. En attendant, je vous propose de revenir sur les temps forts des parcours de Julia et de Thomas.

Un membre de l'équipe technique annonce qu'on a rendu l'antenne. Aussitôt, Kandborg se détend.

La production a préparé une vidéo aux petits oignons... Vous regarderez ça de chez vous, tranquillement, mais ça vous rappellera de bons souvenirs. En attendant, profitez de cette pause pour vous détendre.

Se détendre ? répète Hermione quand il s'est éloigné. Mais comment veut-il qu'on se détende ?

Je regarde Drago.

Ça va ?

Ça ira mieux quand tout ça sera fini. Disons dans un quart d'heure.

Il fait signe à mon cousin de le rejoindre et Dudley ne se fait pas prier.

C'était... Wahou ! Je pense que je vais faire une crise cardiaque quand il vont annoncer les résultats.

Sa remarque fait rire Drago. Derrière lui, j'aperçois Julia dans les bras de son mari. Il l'embrasse. J'ai envie d'embrasser Drago aussi, mais je n'ose pas.

Tu as été très bon en tout cas, dit Ron.

Il y a encore peu de temps, jamais Ron n'aurait dit ça. Et il y a encore peu de temps, Drago aurait trouvé le moyen de l'envoyer balader. Mais aujourd'hui, il incline la tête.

Merci.

Puis un sourire éclaire son visage fatigué et fait oublier, l'espace d'un instant, la tension.

Je vous ai fait peur, hein ?Si vous aviez vu vos têtes...

Il s'adresse à tout le monde, mais c'est moi qu'il regarde.

Tu peux te moquer, répliqué-je. Mais tu as pris un risque énorme avec cette histoire de crème fraîche.

Ron, Hermione et Dudley renchérissent. Selon les versions, il est question de folie, de coup de génie, de bluff, de culot et d'une dizaine d'autres termes encore. Quand Drago a l'impression que plus personne ne lui prête attention, il se penche vers moi et susurre à mon oreille :

Ne t'inquiète pas, Potter. Je saurai me le faire pardonner.

Et je me mords les lèvres pour ne pas me trahir.

Les dix minutes de pause passent trop vite. Déjà, l'équipe technique veille à ce que chacun reprenne sa place. La présentatrice ajuste son micro, prépare son sourire de façade. Elle est pressée que ça se termine, elle aussi, mais pas pour les mêmes raisons que nous.

Chers téléspectateurs, c'est avec grand plaisir que nous vous retrouvons car l'heure de la dernière dégustation a sonné !

Les chefs prennent place derrière la table de dégustation et invitent les deux candidats à venir présenter leur Sachertorte devant eux. Je regarde Drago s'éloigner de moi, à regret. Au centre de la salle, il ne reste plus que Ron, Hermione, les proches de Julia et moi. Observer la scène d'ici rend la tension encore plus insoutenable car on se sait épiés par l'œil des caméras. Julia et Drago sortent leur gâteau du congélateur et l'apportent devant les chefs.

Mark et John ont été briffés. Ils apportent trois assiettes et les couverts. De leur côté, les commis de Julia apportent chacun un long couteau. Puis ils sortent du champ. Ofwordan invitent les deux finalistes à découper trois parts de leur gâteau.

Ainsi, nous verrons si le glaçage tient la route.

Je sais que ce n'est pas gagné car il a eu très peu de temps pour prendre, mais Drago comme Julia s'en sort admirablement bien. Les parts sont parfaites. Elles forment un beau triangle, le glaçage en chocolat noir tranche sur le brun plus clair du biscuit et, au milieu, la confiture d'abricot dessine une fine ligne luisante. Je n'en crois pas mes yeux lorsque Ormon sort une fine règle métallique noire de sous la table et prend les mesures du gâteau. Et pourtant...

Le biscuit est bien divisé en deux parts quasiment égales, bravo à vous deux. La différence est invisible à l'œil nu ! Et Dieu sait que l'esthétique est important.

Ni Julia ni Drago ne dit quoi que ce soit. Ils se tiennent l'un a côté de l'autre, mains croisées dans le dos.

Mais au fait ! s'écrie Kandborg. Vous pouvez retirer vos tabliers ! Et nous, pendant ce temps, nous allons déguster...

Il appuie le tranchant de sa fourchette contre le glaçage pour en tester la dureté. Drago et Julia obéissent pendant que les chefs goûtent chaque gâteau en silence. Puis, ils se lèvent, remercient les candidats et s'isolent. Les délibérations durent moins de trente secondes, à l'abri des caméras. Mon cœur bat à tout rompre lorsque les chefs regagnent leur place.

Nous avons dégusté deux Sachertorte parfaitement réalisés, commence Ofwordan.

Je trépigne d'impatience. J'ai envie de lui hurler d'abréger.

Biscuit aérien et moelleux, fort en chocolat. La confiture est goûtue, bien fruitée, elle apporte sa touche de fraîcheur à l'ensemble. Le glaçage est sans défaut, lisse et bien homogène. Mais deux détails nous ont permis de faire la différence.

Cette fois, je murmure « abrège » à voix basse. A côté de moi, Hermione approuve avec vigueur.

L'un des glaçage était plus fin, dit Kandborg. Il a mieux pris, était plus craquant. Le craquant, c'est un élément qui fait de la Sachertorte un dessert d'excellence. Et c'est vrai que vu le temps imparti, il fallait que le glaçage soit d'une grande finesse pour réussi à atteindre ce niveau de craquant.

L'autre détail, c'est vous qui l'avez apporté, Thomas.

Il me faut une demi-seconde pour comprendre ce que ça signifie, mais Ormon le dit en toutes lettres :

C'est vous, notre Master Chef.

La suite, je ne l'entends pas.


Plus tard, je me souviendrai de Dudley qui saute sur place, de Ron et Hermione qui s'embrassent à pleine bouche, des applaudissement étourdissants qui ne veulent plus s'arrêter. Je me souviendrai des chefs qui s'entêtent à commenter cet équilibre parfait : l'acidité d'une confiture un tout petit peu moins sucrée et qui fait toute la différence. Un blabla auquel personne ne prête attention et pour cause : tout le monde nous regarde. Je ne sais plus qui a couru vers qui, qui a pris l'autre dans ses bras, mais je suis sûr d'une chose : c'est Drago qui m'embrasse. La sensation de ses lèvres qui se pressent contre les miennes traduisent mieux que tous les mots la joie qu'il éprouve. Et moi, qui trouve le temps, entre deux baisers, de crier : tu l'as fait, tu l'as fait ! Et lui qui répond, avant de m'embrasser à nouveau : on l'a fait, on l'a fait !

Le reste de la soirée fut mémorable. Plimder, le producteur de l'émission, n'était pas content que deux hommes se soient embrassés à la télévision, dans son émission. Alors que je ne l'avais jamais vu sur le tournage, il était sorti dont-ne-sait-où, une fois les caméras coupées, pour nous le dire. Le reste de son équipe n'était pas d'accord, parce qu'une scène pareille entrerait dans les annales de Master Chef. Je trouvais la première remarque aussi ridicule que la seconde, mais pour être honnête, je m'en moquais. Même si la Tante Marge était apparue pour insulter mes parents, je m'en serais moqué. Mais Plimder a ajouté que ce n'était pas conforme à ses valeurs et tout le monde lui est tombé dessus. Julia d'abord, qui lui demande pourquoi elle et son mari auraient le droit de s'embrasser et pas nous. Charles, qui le traite de vieux con. Lauryn qui précise : vieux con fini. Et Drago, qui m'embrasse et m'embrasse encore. Et les autres, tous les autres, qui applaudissent. Ces images là sont gravées dans ma mémoire.

Après, la soirée s'est poursuivie au Terrier. Tout le monde avait, d'une façon ou d'une autre, suivi l'émission, la plupart dans le pub moldu du demi-frère de Dean. Ce dernier m'avouera plus tard que son frère avait fait son chiffre du mois.

En comparaison, même la soirée de la veille me paraît fade. Parce qu'aussi joyeuse qu'elle avait pu être, il restait cette dernière étape à franchir, la finale de Master Chef. A présent, Drago et moi pouvions enfin apprécier la fête à sa juste valeur. Et pour une fête, ce fut une sacré fête. La dernière fois que j'avais vu tant de monde au Terrier, c'était pour le mariage de Bill et Fleur. Vers six heures du matin, Drago m'avait entraîné loin de l'agitation, qui battait encore son plein. Nous avons fait un crochet par la chambre de Thomas. Il dormait paisiblement.

Elle t'a dit pour combien de temps ?

Je lui avais enfin raconté ma conversation avec Elena, dans l'appartement de Dudley.

Quelques mois je pense.

En fait, nous allions garder Thomas beaucoup plus longtemps que ça. Dudley allait utiliser l'argent de son héritage pour financer le film dans lequel Elena avait obtenu un rôle. Sa carrière allait alors décoller. Sacrément décoller même. Elle accueillerait Thomas chez elle quelques jours entre deux tournages et lui consacrerait toujours trois semaines pendant les vacances d'été, mais guère plus. Personne ne trouverait à s'en plaindre, mais à ce moment-là, nous ne le savions pas encore.

Nous avons quitté la chambre de Thomas sans bruit. Dans les escaliers, à force de s'embrasser, on manquait de tomber et on riait. Puis j'ai senti la bouche de Drago contre mon oreille.

J'espère que tu n'as pas oublié... J'ai quelque chose à me faire pardonner...

Je l'ai poussé vers la chambre de Ron, où nous passerions la nuit. Je n'avais pas oublié.

La première année, tout avait été facile. Drago suivait des cours de cuisine dans une école londonienne. Une très bonne école. Il débutait à 9 heures, finissait à 17 heures, ne travaillait pas les week-ends. Il y a appris beaucoup de choses, avait du temps pour Thomas et pour moi. A l'issue de sa formation, il a fait un stage d'un mois dans un grand restaurant, qui s'est parfaitement bien passé. Il a reçu une offre d'embauche qui ne se refusait pas et l'a refusée. Le service du midi lui convenait bien, mais... finir chaque soir après minuit, travailler les vendredis soirs et les samedis... Un seul mois et il avait l'impression que nous ne faisions plus que nous croiser. Il voyait plus souvent son fils endormi qu'éveillé. C'était quelque chose que je n'avais pas anticipé. Lui si.

Chez nous, dans la maison que nous avions achetée, il s'est occupé personnellement de la cuisine, jusqu'à dessiner les plans lui-même, explorant toutes les options. Il y avait alors développé un service de restauration en livraison à domicile, inspiré de chez les moldus. Pas de téléphone, il suffisait d'être relié au réseau de la poudre de cheminette ou, pour les moins pressés, d'avoir un hibou. L'affaire était vite devenue florissante. Parce que Drago proposait ses plats du lundi au vendredi, de douze à quatorze heures, sa clientèle était majoritairement composée de sorciers au travail et la cantine du Minstère avait vu sa fréquentation sérieusement baisser. Pas qu'elle d'ailleurs : Ste Mangouste, Gringotts, les boutiques de Pré-au-lard et du Chemin de Traverse, personne ne passait une semaine sans commander chez Drago. Les prix étaient abordables et la nourriture sans pareille.

Il fallait vivre avec lui pour se rendre compte du travail que cela représentait. Comme ça, on se dit : « de 12 à 14 heures ? J'aimerais faire pareil ! ». C'est vrai que la magie l'a un peu aidé, mais pour deux choses : éplucher les légumes et faire la vaisselle. Tout le reste, il le faisait à la main. En potions, on ne coupait pas nos ingrédients à la baguette, non ? Selon lui, c'était la même chose en cuisine. Chaque soir, il mettait son réveil à 4 heures. A la première sonnerie, il se levait, prenait une douche et transplanait près d'un immense maché moldu réservé aux professionnels. Là-bas, il vérifiait la fraîcheur de chaque produit, choisissait de quoi préparer deux entrées, deux plats et deux desserts pour 75 couverts. Vers 5 ou 6 heures du matin, il était de retour. Pendant que les légumes se lavaient et s'épluchaient, il s'occupait des préparer ses marinades, bouillons et consommés, ses pâtes feuilletées, ses crèmes chantilly, ses mousses, ses infusions... bref, tout ce qui demandait du repos avant d'être servi. Quand je n'étais pas de garde, il me rejoignait au lit à sept heures et je sentais son corps frais se glisser dans la chaleur des draps, tout contre moi.

Notre journée commençait alors, vraiment. Réveiller Thomas, prendre notre petit déjeuner, se préparer. Puis, à huit heures tapantes, je l'embrassais. Je transplanais avec Thomas chez Molly et Arthur qui l'ont gardé avec plusieurs de leurs petits-enfants jusqu'à ce qu'il soit en âge d'aller à l'école. Même avec ses cheveux pâles et ses yeux gris, Thomas a dès le début fait partie de la tribut Weasley. Ensuite, c'est à l'école que je l'ai déposé chaque matin, avant de partir pour le ministère.

De son côté, Drago se remettait derrière les fourneaux. Tout devait être prêt pour midi tapantes. Une fois que le service commençait, la seule chose qu'il avait encore le temps d'assurer, c'était les cuissons. 75 couverts, c'était son maximum. Il ne pouvait pas en assurer un de plus. Et effectivement, dès midi, les commandes commençaient à affluer. Elles ne s'arrêtaient qu'à 14 heures. Alors, Drago fermait boutique, plaçait au frais notre repas du soir et s'accordait une sieste de deux heures avant d'aller récupérer Thomas chez Molly et Arthur ou, plus tard, à l'école.

Je n'ai jamais regretté d'avoir récupéré mon poste de chef du bureau des Aurors. J'ai eu des périodes chargées, des soirs où je ne suis pas rentré, des affaires qui n'en finissaient plus de me préoccuper, mais dans l'ensemble, j'ai passé la grande majorité de mes soirées et de mes week-ends en famille, l'esprit libre. Et puis, l'ambiance au travail me plaisait. Dès le début, Zabini a su mettre du sel dans notre service. Entre Harvey Met, Lupus Bones et lui, le bureau des Aurors avait pioché de jeunes recrues prometteuses. J'avais craint que Dean lui réserve un mauvais accueil, un plus mauvais accueil que les autres en tout cas, du fait de nos souvenirs communs à Poudlard. Mais, après Drago, plus rien ne pouvait l'étonner et ils sont vite devenus amis.

Blaise, qui avait lu l'article de Rita Skeeter... Oh, je vais trop vite pardon. L'article de Skeeter d'abord. Dès le lendemain de la finale, Kingsley a tenu à ce que je passe au Ministère. Il avait préparé un communiqué de presse pour informer la population sorcière de l'innocence et la libération de Drago (avec les excuses du Ministre de la Magie en personne) et de l'arrestation de Rodulphus Lestrange. Mais la préoccupation principale de Kingsley était de savoir si j'acceptais de réintégrer mon poste. Je sortais à peine de son bureau, après avoir dit oui (bien sûr que oui !), que deux journalistes de Sorcière Hebdo me tombaient dessus pour savoir comment je réagissais aux publications de la Gazette du Sorcier. Habituellement, j'élude toute question personnelle posé par un journaliste, mais ce jour-là, j'ai fait une entorse à la règle.

Désolée, mais je ne lis pas la Gazette du Sorcier. Je ne lirai jamais une seule ligne d'un journal dont Rita Skeeter se prétend l'envoyée spéciale.

La deuxième partie de ma phrase avait fait la une de Sorcière Hebdo.

Blaise, donc, avait lu l'article de Rita Skeeter, puis le communiqué de presse du Ministère et, enfin, le dernier article de la Gazette sur le sujet (qui rétablissait peu ou prou les faits). Il avait jugé qu'il était temps d'essayer de reprendre contact avec Drago et, ce coup-ci, son hibou reçu une réponse. Plus qu'une d'ailleurs, puisque Blaise a fait doubler le nombre d'anciens Serpentards dans notre groupe d'amis, comme Ron ne cesse de le faire remarquer. Et Dudley reste, à ce jour, l'unique moldu.

Mon cousin a pris une place importante dans ma vie, bien plus que quand je vivais sur son toit. Il est le parrain du petit garçon qui m'appelle Papa et que je considère comme mon fils. C'est une idée de Drago, qui m'a laissé choisir la marraine. Pour faire preuve d'originalité, j'ai choisi Pansy... Non, je plaisante, Hermione bien sûr. Dudley fête donc avec nous tous les anniversaires (rien que du côté des Weasley, nous avons de quoi nous voir une fois par mois) et passe la journée du 25 décembre avec nous, bien au chaud au Terrier. En revanche, il fête le réveillon entre la Tante Pétunia et la Tante Marge, mais j'imagine que cela lui paraît moins pire qu'à moi.

En parlant de la Tante Pétunia, elle remercie le ciel que son fils se soit trouvé une petite amie parfaitement saine de corps et d'esprit (entendez par là, moldue) : Lauryn. Le lendemain de leur mariage, auquel Ron, Hermione, Drago et moi étions conviés (Drago et Sébastian étaient leurs témoins et j'ai entendu là-bas une remarque très agaçante de Marge, mais elle n'a pas gonflé comme un ballon – en revanche, sa caille rôtie lui a sauté au visage), Lauryn est donc entrée dans le secret magique. N'importe quel autre candidat à Master Chef aurait aussitôt accusé Drago de s'être servi de ses pouvoirs pour tricher, mais pas elle. Elle avait bien pris la chose, mais elle avait été rassurée de savoir que Dudley « n'en était pas ».

Oh, je me souviens que j'ai oublié de vous parler de cette chose mystérieuse que Drago m'avait tue, juste avant la finale. Il reconnaîtrait Thomas à l'état civil moldu et de ce côté là, Elena et lui seraient ses parents. Il souhaitait son accord pour que moi, côté sorcier, je puisse adopter Thomas et devenir légalement son père, au moins aux yeux de notre monde – ce qui était pour moi largement suffisant.

A qui tu écris tout ça ?

Je relève les yeux de mon parchemin, ma plume suspend sa course.

A personne. A moi.

Drago abaisse son livre.

Tu t'écris à toi-même, Potter ?

C'est interdit, Malefoy ? Alors dis-toi que j'écris à de vieux amis que tu ne connais pas et à qui je dois des réponses.

Il rit.

J'ai toujours su que Skeeter avait raison. Un peu maboul, ce Harry Potter.

Je lui donne un coup de coude.

Ne me parle pas de Skeeter.

Très bien.

Il reprend son livre et souffle :

Moi non plus je n'aurais pas envie d'entendre parler de la femme que j'ai envoyé pointer au chômage.

Nouveau coup de coude, puis je relis mes dernières phrases pour retrouver le fil de mes pensées. Impossible, je l'ai perdu. Tant pis, je repars de nulle part.

Demain, Thomas entre à Poudlard. Il a eu 11 ans le 31 juillet. Lorsque nous avons découvert sa date de naissance, Drago et moi, nous avons eu un choc. Elena nous a indiqué qu'il était prévu pour fin août et était né avec presque un mois d'avance. Drago a dit que c'était le destin, mais je ne crois pas au destin. Les prophéties, j'ai eu ma dose. Ce n'est qu'une belle coïncidence.


Dire au revoir à Thomas est plus difficile qu'on le pensait. Sur la voie 9 ¾, notre fils est surexcité et nous pose un million de questions. On lui répond invariablement d'être patient. On croise beaucoup d'anciens de Poudlard, généralement un peu plus âgés que nous. On se salue, on se promet de se voir bientôt. On va avoir le temps, maintenant que les enfants s'en vont. La plaisanterie me fait rire jaune. Parce que je n'avais pas de famille, je n'avais jamais tiqué sur l'âge. Mais 11 ans bon sang ! Je regarde Thomas et son large sourire me rassure. A côté de moi, Drago a du mal à faire bonne figure. Il pousse le chariot de son fils, au sommet duquel trône un gros hibou, au plumage fauve.

– Tu nous envoies Kandborg dès que tu arrives, d'accord ? On compte sur toi.

– Oui oui, répond vaguement Thomas, en regardant autour de lui, émerveillé.

Nous lui avions offert le hibou pour son anniversaire et c'est moi qui avais soufflé à Drago : « Regarde ce gros là-bas, on dirait Kandborg ! » Drago avait ri, jusqu'à ce que Thomas décide que c'était justement celui-là qu'il voulait. On avait essayé de le convaincre de l'appeler autrement, mais Thomas n'aimait que Kandborg. Il n'y avait rien eu à faire.

– Tu diras bonjour à Neville de notre part, dis-je à Thomas en le serrant contre moi.

– Mais Papa, proteste-t-il, là-bas, c'est un professeur !

Drago se penche à son tour et l'attire contre lui.

– C'est pour cela que tu dois bien te comporter. Si tu fais quoi que ce soit, Neville nous le dira aussitôt.

Je corrige :

– Il ne nous dira rien du tout.

– Harry ! proteste Drago.

Mais je l'ignore. Je regarde notre fils.

– Si tu fais quelque chose de mal, tes professeurs te puniront. Et si tu te comportes vraiment mal, le professeur McGonagall nous préviendra comme elle aurait prévenu n'importe quels autres parents, d'accord ?

Thomas acquiesce et Drago grommelle quelque chose comme quoi « c'est sûr que dit comme ça, on sait de qui il va suivre les traces ! ». Je souris.

– Tu sais, Thomas, tu vas passer sept belles années à Poudlard et durant ces sept années, tu vas devoir faire tes propres choix. Ton père et moi, on veut que tu respectes le règlement de l'école, c'est très important.

Drago acquiesce avec vigueur.

– Mais, parfois, il y a des choses plus importantes que le règlement...

– Harry ! proteste encore Drago et, cette fois, il ne plaisante plus.

Je retire ma main et je soupire.

– Nous t'aimons très fort. Et tu vas beaucoup nous manquer.

– Vous allez me manquer aussi !

On l'aide à charger ses affaires dans le train et on l'embrasse une dernière fois. Le voir monter à bord me donne envie de le rappeler, mais je me retiens. Drago lui, semble vouloir camper sous la fenêtre de son compartiment.

– Laisse-lui un peu d'air, murmuré-je en le tirant en arrière. Tu te souviens, à son âge ? Tu aurais voulu que tes parents te fassent coucou à travers la vitre ?

– Je ne lui fais pas coucou !

– Non, mais c'était moins une.

Cette fois, j'ai réussi à le dérider. Mais bientôt, le sifflement du train se fait entendre. Puis la locomotive commence à s'ébranler.

– C'est bon, je peux faire coucou là ?

Je ris. Je ris et j'agite mon bras de toutes mes forces. Je ris, j'agite mon bras de toutes mes forces et j'ai envie de pleurer. Une minute plus tard, le train est parti.

– Je te préviens, soupire Drago. S'il finit à Gryffondor, je te tue.

– Thomas James Scorpius Malefoy Potter... Avec un nom pareil, on est capable de tout.

Drago ne le sait pas encore, mais nous avons quelque chose de prévu à la sortie de King Cross. A l'abri des regards, je lui demande de prendre mon bras. Il s'exécute, non s'en avoir profité pour m'embrasser, et je transplane. C'est une salle de restaurant, aussi grande que vide. Les cuisines sont à l'arrière. La décoration est à refaire, mais la base est saine. Dudley et Lauryn sont déjà là.

– Où est-ce qu'on est ? demande Drago en fronçant les sourcils.

– Dans votre restaurant, répond Dudley.

Drago se tourne vers moi. Il n'a plus l'air d'avoir envie de m'embrasser.

– C'est une plaisanterie ?

– Tu te souviens, quand tu es sorti de cette école londonienne ? Quand tu m'as dit que ce mois de stage nous prouvait que c'était impossible ? Pas faisable ?

– Je me souviens, dit-il, les dents serrées.

– Tu avais raison. Enfin, c'était faisable, mais il fallait faire des sacrifices : pas de soirées, pas de week-ends.

– Ce sont des sacrifices que je ne suis toujours pas prêt à faire.

Il a l'air furieux, mais je ne me laisse pas avoir. Je le connais, cet air menaçant. Il veut que je me taise car il a peur... de ce qui pourrait arriver.

– Tu avais parlé de cet endroit où moldus et sorciers déjeuneraient et dîneraient ensemble. Une entrée pour les moldus, une autre pour les sorciers. Un chef de vestiaire qui veillerait à la cohérence des tenues : pas de chapeau pointu, pas de robe de chambre, pas de bottes en cuir de dragon... et les baguettes qui ne devront être sorties sous aucun prétexte.

– J'ai dit ça comme ça ! Je...

– L'Entre-deux mondes. C'est le nom que tu aurais choisi. Et je te présente ton chef de vestiaire, dis-je en désignant Dudley. Et ta coéquipière en cuisine, la merveilleuse cheffe Lauryn !

Drago rouvre la bouche, mais je suis le plus rapide.

– On a déjà acheté le fonds de commerce, ça nous arrangerait que tu acceptes.

Il en bégaye et nous, nous rions.

– Impossible, articule-t-il enfin. A Londres, un restaurant pareil, ça vaut une fortune.

– Un jour, réplique Dudley, j'ai financé le premier film d'une grande actrice et le retour sur investissement a de loin dépassé mes espérances.

Je n'ajoute rien. Sur les 100 000 livres gagnées par Drago, il en a dépensé une grande partie pour la maison et pour lancer son affaire. Mais là aussi, le retour sur investissement a été excellent – ce n'est que justice. En un mot, notre compte à Gringotts déborde. Ça ne servirait à rien de le préciser, il le sait aussi bien que moi. Et justement, ce n'est pas sur ce tableau qu'il joue.

– C'est ça que tu veux ? demande-t-il en se tournant vers moi.

– Si c'est ce que tu veux, oui.

– Moi en cuisine du matin jusque tard dans la nuit ? insiste-t-il. Plus de week-end ?

Je souris.

– Oh, n'exagère pas non plus... On ne va pas t'enchaîner à la gazinière, tu sais...

Il lève les yeux au ciel et je précise :

– Tu ne seras pas tout seul. Lauryn sera avec toi, en cuisine. Dudley se chargera d'expliquer les règles aux sorciers et de les accompagner à leur table. En salle, vous aurez des salariés pour assurer le service. Tu travailleras du mardi midi au samedi soir. Le dimanche et le lundi seront pour nous... J'ai déjà vu avec Kingsley pour changer mes jours de repos.

Il me fait les gros yeux, mais j'ai juste envie de sourire. D'ailleurs, c'est ce que je fais. Depuis des années, je ne fais plus que ça. Je souris.

– Alors comme ça, tu avais tout prévu..., dit-il. Vous aviez tout prévu.

Je hausse les épaules.

– Ton idée, je la trouve révolutionnaire. Je veux qu'elle voit le jour. Je veux que tu travailles dans une vraie cuisine...

– Je travaille dans une vraie cuisine !

– Dans un vrai restaurant.

Cette fois, il se tait. Il n'y a rien à répondre. Je lui donne le coup de grâce.

– Nous sommes deux adultes, Drago. Tu n'as plus besoin de te plier au rythme d'un enfant. Tu as eu raison de le faire, mais Thomas a grandi maintenant. La question, c'est est-ce que tu es prêt ?

Drago regarde autour de lui. Il regarde Lauryn. Il regarde Dudley. Ils acquiescent. Il me regarde moi et je souris.

– Alors, on le fait ? demandé-je.

Drago ne regarde plus que moi, de cette façon si particulière à laquelle je ne me suis jamais vraiment habitué. Comme s'il n'y avait que moi sur la terre entière.

– On le fait.


Critique de la Gazette du Sorcier :

L'entre-deux mondes est un restaurant où tout sorcier devrait mettre les pieds au moins une fois, au risque d'y retourner souvent. L'endroit est tenu par Drago Malefoy, sorcier vainqueur de la cinquième édition de Master Chef (concours culinaire moldu), et Lauryn Dursley (moldue, finaliste du même concours). Il n'y a pas de mot pour décrire l'atmosphère des lieux. Avant d'emprunter l'entrée principale, on vérifiera que votre tenue est conforme aux mœurs moldues. Pas d'inquiétude, un jeune homme charmant tient à votre disposition les vêtements nécessaires si vous avez commis une fautes de goût ! Ensuite, vous pourrez rejoindre votre table et vous mêler à nos amis moldus. Une occasion de faire de vraies découvertes : car pas question de manger dans son coin, entre sorciers... En plus de déguster le fameux Harry Potter, vous aurez peut-être la chance de rencontrer un dentiste ou même un électrotechnicien, qui sait ? Et si vous avez peur de ne pas trouver de sujet de discussion, soyez rassurés : la nourriture est si divine qu'il vous suffira d'un commentaire (« cette sauce est à tomber par terre » ou « ce poulet est un cadeau du ciel ») pour animer la conversation ou la détourner d'un terrain glissant. Car L'entre-deux mondes nous apprend une chose : la nourriture met tout le monde d'accord et nous fait oublier nos différences !

(Les baguettes magiques ne peuvent être utilisées dans l'enceinte du restaurant.)

Critique du Times :

Une décennie après leur participation à la cinquième saison de Master Chef, Lauryn Dursley (finaliste) et Drago Malefoy (gagnant, alors connu sous le nom de Thomas Van Daart – notre article de l'époque sur l'affaire Van Daart a été reproduit en fin de journal) ont décidé d'ouvrir un restaurant gastronomique, L'entre-deux mondes. Ce restaurant bouscule les habitudes du petit monde très fermé des grands chefs, dont Madame Dursley et Monsieur Malefoy font incontestablement partie, pour notre plus grand plaisir. Des prix abordables, de larges tables où l'on s'assoit à côté de parfaits inconnus, des clients toujours charmants mais souvent excentriques, une ambiance de folie douce qui surprend au premier abord... Mettons fin au suspens : on entre curieux, on ressort conquis. La nourriture dépasse nos espérances les plus folles. De l'entrée au dessert, on s'émerveille. Vous trouverez ci-dessous nos suggestions, mais nous mentionnons dès à présent le dessert phare de la maison, le Harry Potter (en l'honneur de l'un des proches de Drago Malefoy). Un dessert menthe-chocolat qui vous fera fondre de plaisir. Car il est impossible d'y résister...

FIN


Recettes de la finale inspirées de Frédéric Anton (Charles), du Chef Simon (Lauryn), Anne-Sophie Pic (Drago) et Yannick Alléno (Julia).

*Peut-être que Emilia a lu Christelle Dabos. Peut-être.

Reproduction du discours de Neville :

Bon... alors... La première étape a été de se procurer une colonie de spécimens de Penicilium Duplicatum, des microchampignons originaires d'Amérique du Nord. Leur diamètre dépasse rarement un millimètre et comme leur nom l'indique, ils se multiplient en doublant leur taille avant de se scinder en deux. Mais le processus de reproduction nécessite un organisme animal – au sens large [Neville désigne Drago, déclenchant les premiers rires]. Autrement dit, aucun risque qu'une colonie de Penicilium Duplicatum se développe sur la table de votre cuisine. En revanche, si vous approchez un peu trop votre main, il se pourrait que vous soyez bientôt sujet à des démangeaisons bénignes, mais désagréables [Drago rectifie vigoureusement].

Étant membre de l'International Botanic Club, me procurer un bac de Penicilium Duplicatum ne fut pas la partie la plus compliquée de l'histoire... De son côté, le professeur Chourave m'a gentiment prêté ses plants d'Asphodèles sur lesquels j'ai pu prélever des macrospores. C'est là que les difficultés ont commencé. Il m'a fallu trente-six essais avant de parvenir à greffer un macrospore sur l'un des champignons, en prenant toute les précautions nécessaires pour ne pas être moi-même colonisé. Réaliser une greffe aussi délicate quand vous êtes pratiquement entièrement recouvert de cuir de dragon, c'est... Disons, pour vous donner une idée, que c'est comme faire tenir un gallion en équilibre sur le museau d'un Nifleur après que Lockhart ait fait disparaître tous les os de vos deux bras. Bonne chance. [Cette fois, les rires et les applaudissements durent si longtemps que Luna a le temps de lui servir deux verres d'eau qu'il avale d'une traite.]

La greffe réussie, j'ai sécurisé l'opération en permettant à mon champignon de se reproduire sur un tout petit morceau, disons 1 cm², d'une vieille tranche de jambon. J'avais donc approximativement cent Penicilium Duplicatum dotés chacun d'un spore d'Asphodèle. Pour ceux qui ne comprennent pas ce calcul, je vous renvoie vers Dan qui est un bien meilleur mathématicien que moi. [Cris enthousiastes pour Dan, qui s'incline, rayonnant.] La seule chose qui m'intéressait, c'était de m'éviter une autre greffe s'il arrivait malheur à mon premier spécimen, mais si on m'avait demandé combien de Penicilium Duplicatum je pouvais avoir sur un centimètre carré de jambon... et bien j'aurais probablement répondu dix. [George fit semblant de se moquer, ce qui était d'autant plus drôle que chacun pouvait lire sur son visage qu'il n'aurait trouvé ni 100, ni 10.]

Pour comprendre le pourquoi de ces questions mathématiques, il va falloir que j'entre dans le détail du système reproductif du Penicilium Duplicatum. En terrain favorable [il désigne à nouveau Drago et déclenche une nouvelle salve de rires], le champignon met sept secondes à doubler sa taille et sept autres à se scinder en deux. Chaque partie forme alors un parfait spécimen de Penicilium Duplicatum qui n'a alors qu'un objectif : se reproduire et ce, tant qu'il lui reste un organisme vivant à coloniser [cette fois, Drago n'attend pas qu'on le désigne et agite la main, si bien que les rires repartent sans presque avoir eu le temps de s'éteindre]. Si on prend l'exemple de mon carré de jambon qui mesure donc un centimètre par un centimètre, il ne pourra accueillir que cent spécimens. Au-delà, ils n'ont plus la place de se développer, en tout cas, plus sur cette face, mais je rentre un peu trop dans le détail.

Bref, quand j'ai posé mon premier Penicilium Duplicatum sur mon petit bout de jambon, il a mis sept secondes à doubler son volume et sept autres à se diviser. En quatorze secondes, j'avais donc non plus un spécimen, mais deux. Et quatorze secondes plus tard, je n'en n'avais plus deux, mais quatre. Encore quatorze secondes plus tard, j'en avais huit. Puis 16. Puis 32. Puis 64. Et là, les choses se corsent : car il ne reste de la place que pour 36 spécimens. Autrement dit, seuls mes 18 spécimens les plus rapides pourront se reproduire sur les quatorze dernières secondes et, en l'espace d'environ 98 secondes, ma tranche de jambon était entièrement colonisée. Vous n'avez pas suivi ? Reposez votre coupe de champagne ! [Au contraire, chacun lève sa coupe en direction de Neville.]

Mais rassurez-vous, là encore, je dois l'exactitude de mes calculs à Dan. Moi, je m'arrachais les cheveux à essayer de déterminer combien de Penicilium Duplicatum je pouvais caser sur les 2m² de peau de Drago et surtout en combien de temps. Et si vous vous demandez comment je sais qu'il y a environ 2m² de peau sur Drago, je vous renvoie une nouvelle fois vers Dan, qui n'est pas seulement un matheux, mais aussi un excellent médicomage [Pour Dan, hip hip hip...]. Bref, il a refait l'ensemble de mes calculs et m'a assuré qu'on pouvait espérer une reproduction maximale sur Drago de 2 000 000 de champignons en cinq minutes [308 secondes, précise Dan sous les ovations].

Ces considérations mathématiques ont leur importance car nous devions nous assurer que les spores d'Asphodèle se seraient suffisamment développés pour endormir Lestrange. Soyons clair : si j'essaie de mettre un fongicide sur mon centimètre carré de jambon, les cent pauvres spores d'Asphodèle ne vont pas me faire grand chose. Peut-être endormir une mouche qui passe justement par là, et encore. Dans l'expérience de l'HSM, mon collègue américain travaillait sur des Penicilium Duplicatum qui avaient colonisé la carcasse d'une demi-vache. Lorsqu'il a voulu s'en prendre aux champignons, les spores d'Asphodèle l'ont endormi pour une semaine.

Bienvenue en plein problème mathématiques ! Et si vous avez l'impression de vous arracher les cheveux, mettez-vous à ma place : Harry est entre les griffes de Rodulphus Lestrange et Drago prendra bientôt sa place. Croyez-moi, ça met la pression. [Le public, convaincu, scande son prénom une dizaine de fois.]

Grâce à Dan, qui a calculé que la carcasse d'une demi vache devait pouvoir accueillir trois fois plus de spores que Drago [nouveaux rires, tandis que Neville assure : "c'est très sérieux, c'est très sérieux"] – en neutralisant la face sur laquelle elle repose parce que les spores tournés vers le sol sont inefficaces, j'ai calculé qu'environ six millions de spores avaient endormi un homme seul pour 168 heures. Autrement dit, les deux millions de spores sur Drago ne seraient pas trop pour s'assurer que Lestrange et d'éventuels complices seraient hors d'état de nuire au moins jusqu'à ce qu'on les retrouve et libère Drago. Comme si ce n'était pas suffisant, Hermione m'a demandé si « éventuellement », je pouvais m'assurer que Drago dormirait au plus 24 heures afin qu'il puisse participer à la finale de Master Chef [applaudissements en furie auquel Neville met bien vite fin].

J'ai répondu que je pouvais m'en assurer, bien sûr, mais qu'il risquait par contre de mourir torturé. ["Ooooooooh" déçu.] Hermione a eu la gentillesse de considérer que, « en fait », il valait mieux s'en tenir au plan initial et simplement s'assurer que Lestrange dorme suffisamment longtemps.

C'est là qu'intervient Arthur Weasley. Il a jeté un sortilège d'imperméabilisation sur la manche de ma robe de sorcier. Nous y avons soigneusement déposé quatre spécimens de Penicilium Duplicatum parmi ceux qui, bien sûr, avaient reçu la greffe. Sans contact avec un organisme animal, les Penicilium Duplicatum n'ont pas poursuivi leur développement. Je me suis en suite entraîné à les déposer sur la nuque de Dan où nous avons vérifié qu'ils se reproduisaient normalement sans pour autant les laisser devenir trop nombreux pour pouvoir les éliminer sans tomber dans un profond sommeil, ce qui aurait été bien bête. [Arthur et Dan finissent à leur tour sur la table, sous des salves d'applaudissement]

Avant 23 heures, j'étais devenu un expert en la matière. Arthur a encore apporté son aide jetant aux Penicilium Duplicatum un sortilège de désillusion si puissant qu'il n'en restait plus une trace. En se scindant, les champignons désillusionnés donnent naissance à d'autres champignons eux aussi pratiquement invisibles. Nous en arrivions alors à l'étape la plus délicate de notre plan : faire un câlin à Drago Malefoy [ici, même Drago ne peut s'empêcher de rire, lui qui se contentait d'un sourire en coin à chaque fois qu'il était question de le mettre en contact avec un champignon].

Les Penicilium Duplicatum et leurs macrospores sont sur ma manche gauche, sans contact avec le moindre organisme susceptible de leur permettre de se développer. Je suis inquiet parce que je ne peux pas les distinguer. Avec ma main droite, je serre celle de Drago qui me fait face, sous les traits de Ginny [ce qui facile d'ailleurs les choses, hurle Lee Jordan sous les rires]. Puis, je me lance. Je le serre contre moi, je frotte ma manche gauche contre sa nuque et les dés sont jetés. Il ne nous reste plus qu'à prier. Il est minuit moins une. A partir de maintenant, toutes les quatorze secondes, le nombre de Penicilium Duplicatum sur le corps de Drago double. Ginny devra alors impérativement attendre au moins cinq minutes avant de livrer Drago à Lestrange, ainsi que Dan le lui a précisément expliqué.[Ginny rejoint Arthur et Dan sur la table où elle est acclamée à son tour.]

Vous vous demanderez peut-être pourquoi nous n'avons pas averti Drago pour les Penicilium Duplicatum et les spores d'Asphdèle [ouiiiiiiii]. Effectivement, cela aurait permis de les lui administrer un peu plus tôt, un peu plus simplement et également se s'assurer qu'il ne mettrait pas la puce à l'oreille de Lestrange en hurlant que ça le démangeait. Et bien à cause du Serment inviolable, les Aurors estimant que si Drago était informé du plan, les Penicilium Duplicatum pourraient être vu comme une tentative d'attaque de sa part et entraîner sa mort, ce qui n'était bien évidemment pas le but.

Pour conclure, le plan a marché au-delà de nos espérances. Bien que Drago soit tombé au sol, les spores se sont libérées en nombre suffisant pour endormir Lestrange et ce pendant suffisamment longtemps pour que nous puissions les retrouver, lever les sortilèges de protection, tirer Drago de là et capturer l'une des pires vermines du monde sorcier... qui s'est par ailleurs à son tour trouvé infecté. La boucle est bouclée.

[Sur ce, Neville s'incline et... tonnerre d'applaudissements, la plus longue standing ovation qu'aucun cours de botanique ou même de biologie n'ait jamais reçu.]