Enfin, l'assassin eut un mouvement involontaire qui brisa ce moment d'immobilité : il ouvrit la bouche en grand, incapable de prononcer un seul mot. Puis, prenant conscience que cela le faisait davantage ressembler à une créature marine échouée qu'à un être humain, il se ressaisit et parvint à articuler lentement :

– …Je… je peux prendre ça comme une déclaration ?

Le jeune shinigami retint un rire amer face à cette question si enfantine.

Où s'arrêtait l'innocence et où commençait la stupidité ? C'était là un des mystères de Black Star. Le fait est que cette naïveté, qu'elle ait été fortuite ou au contraire planifiée, rendait ses mots frappants de vérité.

Écrasé bien malgré lui par cette évidence, Kid n'eut d'autre choix que de se taire, momentanément à court d'idées. Mais cela ne dura pas bien longtemps, car le jeune homme aux cheveux azur éclata de rire, chose qu'il adorait faire lorsqu'un silence devenait un peu trop gênant. Pour une fois, le meister brun lui en fut reconnaissant : son éclat de rire venait de transformer l'atmosphère qui planait autour d'eux, rendant ainsi le silence plus acceptable. Alors qu'il réfléchissait à ce que pourrait être sa prochaine réplique, le souvenir de ce qu'il s'était passé un peu plus tôt affleura et prit le dessus sur le reste de ses pensées :

– Tu t'es moqué de moi tout à l'heure. Quand je t'ai dit qu'on risquait quelque chose.

– Je ne ferais jamais ça, répliqua l'assassin avec un énorme sourire. Le Dieu de la Mort le dévisagea d'un air agacé.

– Et là, tu fais quoi ?

– Je constate juste à quel point t'es adorable, Kiddo.

Ces simples mots suffirent pour qu'une vague brûlante traverse Kid des pieds à la tête : il se fit violence sur lui-même pour ne pas rougir et détacha les yeux du visage de son ami, se maudissant intérieurement pour avoir ainsi baissé sa garde.

…que se passait-il, au juste ?

Peu importe la manière dont on la regardait, la situation dans laquelle ils se trouvaient était extrêmement ambiguë. Ils venaient de s'embrasser. Et bien que cela ait commencé de manière assez chaste, on ne pouvait pas dire que la chasteté ait perduré jusqu'à la fin de leur petite expérience. Aucun des deux n'avait semblé en éprouver un quelconque dégoût, bien au contraire. Lui-même avait ensuite avoué qu'il était "dans tous ses états" lorsqu'il se trouvait en présence de Black Star. Ce dernier, enfin, n'avait pas paru choqué ni indigné de ce fait. Bien au contraire.

Tout cela le ramenait donc à sa question : que se passait-il, bon sang ? À quel point Black Star était-il sérieux ? Et à quel point était-il sérieux lui-même ?

Plongé comme il l'était dans ses réflexions, il en avait presque oublié que la cause de ses interrogations se trouvait juste à côté de lui. Se redressant, il remarqua alors que les orbes vert foncé n'avaient cessé de le fixer, énigmatiques dans la noirceur environnante.

Le shinigami déglutit nerveusement et s'apprêtait à dire quelque chose pour briser la glace, quand soudain un éclat d'une émotion indéfinie sembla passer dans le regard de son camarade tatoué : Kid s'en rendit compte mais avant d'avoir pu faire quoi que ce soit il vit l'assassin se pencher vers lui et chuchoter de façon suggestive :

– Tu sais, Kiddo…

Ce dernier recula instinctivement, et sentit l'angoisse l'envahir à nouveau. Il se détestait d'adopter un comportement de jeune vierge effarouchée mais n'y pouvait rien, absolument rien. Il avait perdu l'un après l'autre tous ses repères. Arborant son plus beau sourire, Black Star acheva sa phrase :

– …je pense que la vie ne mérite d'être vécue que pour ce genre de risques.

Sans attendre de réponse, il combla la distance qui les séparait et ses lèvres traversèrent l'espace vide pour venir effleurer celles du brun.

Un frémissement s'empara du jeune shinigami. Une nouvelle fois, il sentit la langue du meister aux cheveux bleus se poser sur sa bouche, quémandant l'accès qu'il avait forcé quelques minutes auparavant et qui cette fois-ci lui fut accordé. Le baiser se poursuivit et s'intensifia rapidement, mélangeant leurs souffles et accentuant les délicieuses sensations qui peu à peu s'emparaient d'eux.

Tout à coup, un désir irrépressible sembla faire vibrer chacune des cellules du corps de Black Star, et il renversa Kid en arrière, l'obligeant à s'allonger sur le muret. Sans se soucier du changement de position, il continua de l'embrasser sauvagement, les deux mains plaquées de chaque côté de la tête du Dieu de la Mort, son torse collé au sien dans une attitude possessive et sensuelle.

Les deux garçons surplombaient à présent la ville, en équilibre précaire sur une superficie en pierre de quelques centimètres de largeur seulement, mais paraissaient ne pas l'avoir remarqué : une toute nouvelle insouciance les envahissait progressivement, qui s'intensifiait au fur et à mesure que leurs langues s'unissaient dans une folle danse enivrante.

Ce petit jeu dura presque cinq minutes, et plus le temps passait, plus l'assassin devenait entreprenant, s'aventurant toujours plus loin dans la bouche du jeune homme brun, caressant distraitement son cou, ses épaules, ses hanches.

Death the Kid.

Le manieur d'armes à feu. Celui qui depuis sa naissance avait été destiné au combat et à la solitude.

Ce Death the Kid là se trouvait maintenant plongé dans un monde inconnu, peuplé de sensations fébriles et toutes plus fantastiques les unes que les autres ; cette chaleur qui irradiait de son bas ventre à la totalité de son corps lui faisait littéralement perdre la tête... sans parler du parfum de Black Star penché sur lui… ce très délicat parfum d'eau de Cologne qui imprégnait encore sa chemise…

…tiens, sa chemise… c'était peut-être à cause d'elle s'ils en étaient arrivés là…

Il entrouvrit les yeux, constatant que deux des boutons étaient placés au mauvais endroit et que le tissu était, si possible, encore plus fripé qu'auparavant. Son travail méticuleux au début de la soirée n'avait servi à rien.

Mais aussi incroyable que cela puisse paraître, il s'en foutait. En cet instant précis, rien ne lui paraissait plus futile que la symétrie, et rien au contraire ne lui paraissait plus vital que ce baiser. Ce fut presque à contrecœur qu'ils se séparèrent pour reprendre leur souffle, haletant comme s'ils venaient de courir sur une longue distance sans jamais s'arrêter.

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bonjour je suis la personne la plus lente du monde