Le lendemain matin, Daniel et Régina allèrent dans la salle de restauration où le petit-déjeuner était déjà dressé. La nuit leur avait fait du bien apparemment, elle avait apaisée les tensions. Ce n'était pas encore la joie entre eux deux, mais les grosses effusions de voix étaient terminées, si bien qu'en se levant ils s'enlacèrent. La jalousie de Daniel avait cessé, il avait décidé de croire sa fiancée, il l'aimait et elle méritait qu'on lui fasse confiance. Il aurait peut-être un peu de mal à apprécier le prince, son égo de mâle se sentait toujours un peu blessé, mais il ne pensait plus à le frapper dès que le beau prince charmant posait les yeux sur sa bien-aimée.

A la table, le prince les attendait déjà. Il mangeait ses tartines tandis que la vieille femme lui remplit sa tasse d'une boisson brûlante. Lorsque le couple entra dans la pièce, les deux personnes s'arrêtèrent de bouger un instant, les regardant comme si c'était des revenants. En même temps, vu leur allure il était normal de se poser des questions. La jeune reine avait une bretelle de sa chemise de nuit déchirée et le garçon avait un manque évident de boutons sur sa chemise. Ils s'assirent à la table et Daniel s'excusant pour eux deux d'être arriver si tard pour le petit-déjeuner.

« Ne vous inquiétez pas… On comprend… » Répondit le prince en jetant un regard à la vieille femme, qui s'était assise avec eux à table.

Régina se trouva perplexe devant cet échange de regards et haussa un sourcil comme pour demander des explications.

« Les murs sont minces, jeune fille. » Lui répondit la vieille femme tandis qu'elle lui remplit sa tasse de la même boisson que pour le prince, les joues du couple rosirent instantanément.

« Nous sommes affreusement désolés. Nous ne voulions pas vous importuner. »

« Ne vous excusez pas, mes chers enfants. Vous savez, j'ai aussi eu des disputes assez virulentes avec mon mari, les réconciliations aux lits étaient aussi notre spécialité. » Finit-elle avec un clin d'œil.

Les trois compagnons se concentrèrent sur leur petit-déjeuner pour éviter d'avoir de drôles d'images qui leurs passaient par la tête. Ils mangèrent en silence un moment, ils étaient encore tous ensommeillés. Puis les discussions reprirent, ils parlèrent d'abord du trajet qu'il allait empreinter, pour rejoindre le royaume du prince James, puis ils parlèrent plus profondément de leur vie, essayer de mieux se connaître.

« Donc vous et votre mari vous tenez cet établissement tous les deux ? » Régina était bien décidée à en savoir plus sur leur hôte. Elle a toujours été d'un naturel curieux, et Daniel sourit légèrement lorsqu'elle questionna la vieille femme, parce que dès qu'elle commençait une question par 'donc' il savait qu'elle n'en avait pas fini avec cette seule question.

« Non, mon mari est mort, il y a de nombreuses années. »

« Donc, vos enfants vous aident quelques fois à l'entretien ? »

« Vous m'avez l'air d'être très curieuse, mademoiselle. »

« Et vous n'avez pas idée. » Marmonna Daniel dans sa tasse, ce qui lui valut un regard noir de la part de sa fiancée.

« Ma fille est partie dans la forêt depuis si longtemps qu'elle doit être morte. »

« Oh… » Un mal l'aise s'installa dans la pièce mais Régina ne se déroba pas. « Donc, vous êtes sûre qu'il n'y personne avec vous ici ? »

La vieille hôtesse rigola. « Vous êtes bien curieuse, ma chère. Pourquoi pensez-vous que je mens ? »

« Euh bah… Je me dis que ça doit être dur de s'occuper d'un établissement tel que celui-là toute seule. » Dit la brunette en se grattant la tête.

« Oui c'est dur. J'avais bien ma petite fille qui m'aidait auparavant, mais… »

« Mais ? »

« Régina, arrête s'il te plaît. » Ordonna Daniel, il voyait bien où la vieille femme voulait en venir et imaginait la peine qu'elle pouvait éprouver en ce moment.

« Non ça ira, je vous remercie. Elle est morte, i peine un an. »

« Je suis désolée. »

« Vous ne pouviez pas savoir. » Elle but une tasse de thé chaud. « En réalité, elle a été tuée. »

« Ça arrive souvent dans le coin ? » Demanda James.

« Non. En ce temps-là, il y avait un loup qui rodait. » Elle ne pleurait pas, elle n'en avait pas besoin, son émotion dans sa voix se faisait entendre. « C'était devenu dangereux de sortir la nuit. Mais elle ne m'écoutait pas, c'était une tête brûlée. Un soir, elle est sortie pour aller voir son petit-copain, elle n'est jamais revenue. »

« J'espère qu'ils ont eu le loup, pour pouvoir vous venger. »

« Ecoutez-moi bien jeunes gens, la vengeance ne sert à rien ! Elle n'engendre que la douleur, le mal et encore plus de vengeance. » Elle appuya son point de vue en tapant du poing sur la table. « Et ce n'est pas le loup qui l'a tuée. Il ne l'aurait jamais tuée. Ce sont les chasseurs. A tirer sur tout ce qui bouge ! Ils… Ils ont cru voir le loup dans les bois, mais il s'est avéré que c'était ma petite-fille. »

Finalement une seule larme s'échappa des yeux de la vieille femme. Les trois jeunes gens restèrent sans voix devant la douleur de cette femme qui a subi des épreuves que personne ne devrait avoir à affronter.

« C'est d'ailleurs à elle qu'appartenait le chaperon rouge, j'ai remarqué que vous le regardiez avec intérêt. » Dit-elle à l'intention de la reine. « Pourquoi elle ne m'a pas écoutée pour une fois… »

Régina prit la main de l'hôtesse dans la sienne, en la regardant dans les yeux, elle ne dit rien, elle fit juste un léger sourire qui lui disait qu'elle n'était pas seule. La vieille femme lui rendit ce sourire et essuya sa larme.

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Ils étaient prêts à reprendre la route. James avait prêté une chemise à Daniel qui en avait bien besoin tandis que la vieille hôtesse donna à Régina un pantalon et un corset rouge, probablement appartenant à sa petite-fille, la brune était d'ailleurs honorée qu'elle la laisse partir avec des souvenirs de son enfant. Ils étaient dehors de l'auberge, les chevaux déjà sellés, les deux hommes prêts à partir. Régina prit le temps de faire un dernier câlin à cette femme qui l'avait tant touchée. C'était d'ailleurs la première femme qui s'était comportée avec elle comme une mère, une vraie mère qui tient et qui aime son enfant, une mère comme elle en aurait voulu une. Cette embrassade était chargée en émotion, de la part des deux femmes.

La vieille femme posa une main sur le ventre encore plat de la brune. « Il aura de la chance d'avoir une mère comme toi j'en suis certaine. » Il la serra encore une dernière sa cadette et lui murmura d'une voix ferme. « Tu ne seras pas pareille qu'elle, tu es différente. »

Ces mots touchèrent Régina en plein cœur. Elle était terrifiée qu'elle fasse les mêmes erreurs que sa propre mère, qu'elle dirige son enfant, qu'elle décide à sa place, qu'il soit malheureux, qu'il la haïsse. Elle n'avait pas fait part de ces inquiétudes à son aînée, mais pour une raison qui lui était inconnue, elle avait réussi à taper dans le mille ! Elle lui sourit de toutes ses dents, c'était une des plus belles choses qu'on lui avait jamais dite.

Elle s'écarta et monta sur son cheval derrière Daniel, pour reprendre la route, elle lança un dernier regard vers cette femme qu'elle aurait peine à ne plus jamais revoir.

« Au revoir Madame Lucas. » s'écria la brune qui reprit son chemin.

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Le soleil était en train de tomber laissant place à l'obscurité, mais les trois compagnons ne s'arrêtèrent pour autant. Ils préférèrent continuer avant que des soldats ne les rattrapent. La forêt devenait de plus en plus menaçante à mesure que la lumière diminuait. Le silence était de plomb. Les arbres semblaient bouger. C'est comme si la forêt revêtait un tout nouveau visage lors de la nuit tombée.

La reine resserra sa prise sur la taille de son fiancé. « Je voudrais pas paraître comme la petite fille apeurée, mais cette forêt commence vraiment à me faire flipper ! » Chuchota-t-elle, comme si quelqu'un pouvait l'entendre.

Les deux hommes ne daignèrent pas répondre, eux-mêmes étaient terrifiés par l'ambiance.

Les chevaux avançaient à pas de velours, pour ne pas réveiller quelque chose de sombre et ténébreux, même ces animaux ressentaient le danger de cette forêt.

Le souffle du vent se fit entendre. Un bruit aigu et prolongé, assez mélodieux, comme… Non, ce n'était pas le bruit du vent, mais un sifflement. Un sifflement lointain qui parcourait toute la forêt. Les chevaux s'arrêtèrent soudainement et se cabrèrent sans aucune réelle raison. Les trois compagnons se regardèrent chacun leur tour. Aucun d'eux n'osa faire de bruits. Les mains moites tenant les rênes fermement, ils attendaient. Ils attendaient le prochain mouvement de cette flore ténébreuse. Les feuilles des arbres bougeaient doucement presque imperceptiblement.

Le temps s'arrêta. Les secondes se figèrent. Un croassement, à s'en hérisser les poils, déchira le silence. Les chevaux partirent au galop sans que leurs cavaliers aient besoin de le leur demander. Ces derniers se rattrapant de justesse à leur monture pour ne pas tomber de la selle, ils essayèrent de les arrêter mais pas moyen de ralentir le rythme.

Qu'est-ce qu'il pouvait se passer pour que même les chevaux veuillent s'enfuir à toute vitesse ? Et c'est là que Regina le vit. Elle s'accrocha de toutes ses forces à Daniel alors qu'elle glissait de la selle. Elle jeta un coup d'œil derrière son épaule. Deux points orange vifs contrastaient avec l'obscurité de la nuit. Deux yeux menaçants qui les suivaient à travers la forêt.

Des bruits de galops se firent entendre derrière eux, et les formes se firent plus précises. Des masses énormes qui les poursuivaient. Une armée d'ours poilus, de loups gigantesques, et même quelques minotaures et centaures, ces créatures mythiques, s'élançaient à travers la forêt.

Et pourtant ce n'était que ces yeux que Regina fixait, elle ne pouvait plus détacher son regard, comme si elle était hypnotisée. Attirée irrémédiablement par cette lueur. Elle leva un doigt, essayant de l'approcher, de la toucher. Elle se sentit tombée dans un abysse. Dans l'abysse de ces deux grands yeux qui n'était plus qu'à quelques mètres d'elle à présent. Ces yeux, paradoxalement rassurants, lui faisaient mille et une promesses. Promesses de bonheur, de sûreté, d'amour. Choses que Regina voulait le plus au monde. Promesses tellement criantes qu'elle pouvait littéralement les entendre de sa tête.

« Viens avec moi, chérie. Je peux te donner tout ce dont tu as toujours rêvé. » Des battements d'ailes lui soufflaient sur ses bras nus. « La paix, la sérénité,…. L'amour de ta mère. » Ces derniers mots retentirent dans sa tête tellement fort qu'elle avait envie d'en pleurer. Cet amour qu'elle n'a jamais eu, qu'elle n'a jamais ressenti. Cet amour qu'elle a toujours voulu.

Et pourquoi ne pas le suivre ? C'est tout ce dont elle avait toujours rêvé, n'est-ce pas ? L'amour de sa mère… Ça avait l'air tellement facile, tellement simple. La reine se pencha un peu plus pour atteindre son but. Et pourquoi ne pas abandonner ?

Elle serait tombée de la selle si Daniel ne l'avait pas rattrapée in extremis, il cria de douleur pour l'avoir retenue de son bras encore enrubanné, et lui fit passer ses mains autour de sa taille pour qu'elle se tienne correctement. La brune regarda une dernière fois derrière elle, pour voir les yeux couleur de feu s'éteindre dans la nuit dans un nouveau croassement.

« Reste avec moi, Regina. » S'exprima Daniel, à peine audible pour l'oreille de la reine. « Reste avec moi. »

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« Vous les avez ? »

Le château royale, autrefois brillant même à travers la nuit enchantée, baignait d'une noirceur que même le teint opalin de Blanche-Neige ne pouvait éclairer. Le corbeau de la princesse, ce cher Nox, atterrit sur l'épaule de la jeune brunette.

« Oui, nous les avons trrrouvés, ma future rrreine. Crroaa, nous pouvons dès à prrrésent nous occuper d'eux, ils sont à notre merci. » Croassa le vieil oiseau.

Un rictus s'élargit sur le visage enfantin. « Non, ramenez-les-moi. Je voudrais les accueillir à ma façon. »

« Trrrès bien votre Majesté, crrroaa ! »

Le volatile décolla et partit à nouveau dans l'épaisseur de la forêt.

Blanche-Neige se délecta de la fraîcheur de la nuit, elle frissonna légèrement plus à l'excitation qu'à la brise qui venait de se lever. Elle sentait le pouvoir, le contrôle couler dans ses veines. Elle aimait ce sentiment, plus que tout, plus que la vie elle-même. Elle courut descendre les escaliers de sa haute tour, pour se préparer à accueillir ses nouveaux invités.