Et voilà voilà pour la troisième et dernière partie de ce bonus! En vérité, je planifiais de le publier hier, mais ça m'étais complètement sorti de l'esprit x_x J'espère ne pas vous avoir fait trop attendre :p Et j'espère surtout que ces quelques moments marquants ou décisifs de la vie de Milie auront été appréciés. Pour moi, les écrire fut, d'une certaine façon, un moyen de figer le passer de Milie sur quelque chose de tangible. J'ai beaucoup aimé pouvoir jouer de son évolution entre la jeune étudiante normale et la survivante que j'ai décidé d'exposer dès le début de ma fic. Je ne sais pas si ça a éclairé certaines lanternes de votre côté, mais vous avez tout le loisir de partager vos moindres impressions via les reviews! ;)

Éponyme Anonyme : Alors alors, déjà un gros merci pour le follow et le favori! Des petits gestes qui font grand plaisir, on ne le dira jamais assez.
En effet, il n'y avait rien de vraiment neuf à apprendre au niveau de Milie et Noah dans ce bonus. On avait une bonne idée de leur relation avec certains passages de Between mais c'était tout de même une façon de réellement voir leur couple en action. Voir sa dynamique qui est complètement différente de celle de Milie/Daryl, en grande partie parce qu'on réalise sans mal que Milie a énormément changée.

Ah, papa! J'ai déjà dit que j'avais carrément créé le personnage de Milie autour de sa figure paternelle et ça ce sent énormément dans les deux premières parties du bonus. Plus le temps avance et plus Milie se détache de lui, mais même si elle a fait son deuil de son père, celui-ci demeure très important. Sans qu'on ne le sente vraiment, son fantôme est dans de nombreuses actions de Milie, et également dans celles de Ray. Même s'il est complètement absent de Between (dans le sens où dès le premier chapitre, on sait un peu plus loin qu'il était déjà mort) il reste à mes yeux un personnage central de la fic. Parce qu'il a permis à Milie de survivre et de s'adapter, parce qu'il donne un but et un exemple à Ray (prendre soin de Milie et du groupe en temps que membre de la tête du groupe). Même sans être présent ou mentionné à chaque ligne, je le considère limite omniprésent :)
Je te rassure (même si j'ai absolument aucune idée de quand le bonus sur Ray sera publiable) le père de Milie aura tout le loisir de resplendir dans ce prochain bonus! Je crois que c'est inutile de dire que j'adore ce personnage inexistant et je compte bien profiter de l'occasion pour lui donner réellement vie!

Pour ceux que ça intéresse... je n'ai hélas pas beaucoup avancé mon chapitre 28 ces derniers temps. J'en suis environ au tiers, mais la motivation manque à m'installer devant mon écran pour écrire la suite. Je vais faire des efforts pour écrire tous les jours même si ce n'est qu'une page ou deux. Ça ralentira l'écriture et les publications, mais au moins l'histoire ne stagnera pas. Je crois que c'est le principal et c'est ce que je cherche à éviter à tout prix!

Place à cette dernière partie, donc. N'hésitez pas à laisser tout de même vos commentaires en review. J'y répondrai avec grand plaisir par PM ou via le forum ;)


PARTIE 3

CHAPITRE 1 – UN COMPAGNON DE ROUTE INATTENDU

Rapidement, Milie abandonna l'idée de se déplacer en voiture. Elle avait davantage l'impression d'avancer en marchant qu'en devant constamment contourner les routes bloquées, sans compter l'essence qui pouvait être un véritable casse-tête à trouver par moments. N'ayant qu'un sac à dos comme bagage et aucune destination précise à atteindre, la marche s'avérait de loin moins compliquée.
Les premiers jours, elle accueillit la solitude comme une bénédiction. Ne croiser aucun vivant lui fit autant plaisir que de ne croiser aucun mort-vivant. L'absence de questions sans réponse était tout aussi salvateur pour elle que l'absence de danger relatif à la présence d'infectés. À quoi bon débattre du quand, du comment, ou même du pourquoi? Elle préférait mettre son énergie dans quelque chose d'utile. Se poser des questions ne permettait pas de survivre et encore moins de vivre.

Au fil de ces jours qui se succédaient en solitaire, Milie avait complètement perdu le compte du temps. Le soleil se levait, se couchait et elle le revoyait se lever au bout de la nuit. Elle pouvait plus ou moins deviner les heures pendant la journée selon la position du soleil et ce genre de choses, mais sinon, elle ne faisait que vivre moment après moment, obsédée par la quête de nourriture, d'un logis pour la nuit suivante, des vêtements de rechange et de quoi s'occuper un peu de son hygiène personnelle. Étrangement, elle ne détestait pas cette situation dans laquelle elle s'était mise toute seule. Ses constantes préoccupations l'empêchaient de trop réfléchir. Ce qu'était devenu Noah et les autres, elle y pensait de moins en moins, laissant sa culpabilité de les avoir abandonnés sans vraiment les avoir cherchés se terrer au fond de son être dans ce petit compartiment où elle mettait la vie d'avant.
Parce que plus les jours se succédaient, plus une nouvelle réalité s'implantait dans son esprit. Le monde ne reviendrait pas à la normale. Les choses étaient devenues complètement hors de contrôle. Il ne restait plus que des vestiges de l'humanité telle quelle était auparavant. Peut-être était-ce le cataclysme qui devait conduire la planète à un nouveau stade d'évolution. Il y avait eu les ères glaciaires. Aujourd'hui, il y avait la résurrection des morts. Elle continuerait donc d'avancer, jour après jour, jusqu'à ce que quelque chose au fond d'elle lui murmure ça y est, tu peux t'arrêter, c'est ici que tu devais aller.
Cette idée de vagabonder toute seule, était loin d'être la meilleure qu'elle avait eue, elle le savait parfaitement. C'était beaucoup de danger et d'incertitude pour une personne seule, pourtant, ça lui convenait ainsi. Avancer seule, sans personne à se soucier, allant toujours plus vers le sud-ouest, oui, ça lui convenait. Même qu'une partie d'elle était prête à ajouter : ça lui plaisait. Ce malgré les moments où elle crut y passer. Les moments où elle n'arrivait pas à trouver de la nourriture. Les moments où elle devait marcher quelques heures sous la pluie avant de trouver un endroit où s'abriter. Les moments dans le noir à devoir continuer d'avancer, fatiguée, parce qu'elle n'avait su trouver un endroit sûr pour se reposer.
Une fois, elle ne se rendit même pas jusqu'à l'intérieur de la maison. Il s'agissait en vérité d'un petit chalet de chasse à en croire son isolement et son allure rustique. Elle était tombée sur une porte verrouillée. Ne possédant plus une once d'énergie, Milie alla s'asseoir dans un coin du porche, contre le mur en rondins de bois. Juste quelques minutes. Juste fermer les yeux un instant et ensuite elle forcerait la porte. Mais elle s'endormit là, complètement à découvert. Elle aurait pu mourir. En y repensant, elle aurait pu mourir des centaines de fois durant ces quelques heures où son corps éreinté l'avait plongée dans un sommeil profond et sans rêve sur un stupide porche sans protection d'aucune sorte.
Toutefois, lorsqu'elle ouvrit les yeux à cause de la clarté du soleil levant, ce ne fut pas un mort-vivant qu'elle trouva près d'elle. Un chien. Un berger allemand. Il était allongé là, près d'elle. Il avait la tête sur sa cuisse. Tête légère qu'elle sentait à peine sur elle, comme si l'animal avait voulu se faire aussi discret que possible.
Milie échangea un long regard avec l'animal qui ne détourna pas le sien sous l'instance du geste comme le faisaient souvent les chiens.

« Alors… tu te promènes souvent par ici? » demanda-t-elle vaguement sans trop savoir pourquoi.

Sa voix était rouillée. Elle n'avait pas prononcé le moindre mot depuis des jours, peut-être même des semaines, elle ne tenait pas les comptes.
Le berger releva la tête, captivé par des paroles qu'il semblait comprendre, mais qu'il ne pouvait pas comprendre. Ce n'était qu'un chien après tout. Milie se remit sur ses pieds et fit enfin la chose qu'elle prévoyait faire après s'être reposée trois secondes – qui s'étaient transformées en elle ne savait trop combien d'heures – forcer la porte de la petite résidence. À l'intérieur elle trouva quelques conserves et des vêtements. D'homme, mais ce serait toujours ça. Elle put alors savourer cette sensation presque oubliée de porter un t-shirt propre. Elle avait noué le bas du vêtement pour l'ajuster un peu afin de ne pas se perdre au milieu de son amplitude. Puis, elle avait enfilé une chemise, toute aussi grande, et mangé le contenu d'une conserve qu'elle partagea entre elle et le chien. Elle fouilla ensuite chaque recoin de la maisonnette, fourrant tout ce qui pourrait lui être utile dans son sac à dos. Dans son maraudage, elle trouva quelques livres. Pas de la grande littérature, loin de là, mais elle se surprit à feuilleter l'un d'eux et même à s'asseoir sur le canapé défoncé pour en lire quelques pages. Puis encore quelques pages. Et encore d'autres. Jusqu'à ce qu'il fasse nuit et qu'elle ne puisse plus voir les mots. Le livre n'était pas bon en soi, mais elle savoura le fait de renouer avec une particularité bien propre à l'être humain, l'écriture, ce livre mettant en scène l'histoire bidon d'une femme prise entre deux hommes apparemment parfaits. Le genre de grandes péripéties qui ne devaient probablement plus exister depuis ce virus mystérieux et ravageur. Milie dormit sur le canapé, appréciant de sentir la présence du chien allongé sur le sol à ses pieds. Elle dormit profondément. Le plus profondément qu'elle avait dormi depuis que le monde était parti en couilles. Elle ne savait pas trop comment elle le savait, mais elle savait que si quelque chose venait à se présenter, le chien l'avertirait d'une manière ou d'une autre.
Au matin, Milie ne termina même pas le bouquin. Elle ne l'emporta pas avec elle non plus. Elle le laissa trainer sur le coin du canapé, prit son paquetage de fortune et sortit sur le porche. Là, elle jeta un regard à la ronde, localisant le soleil pour s'orienter.

« T'as envie de venir te promener avec moi? » demanda-t-elle à l'animal.

Pour toute réponse, celui-ci dévala les quelques marches de la véranda avant de tourner la tête vers elle comme s'il attendait qu'elle le suive.

« Je vais prendre ça pour un oui! »

Elle sourit, sans réellement s'en rendre compte. C'était bien l'une des dernières choses qu'elle aurait cru possible. Un chien errant qui décidait ainsi de lui filer le train sans aucune raison. D'où il venait et pourquoi cette réaction, impossible à dire. Par contre, elle n'avait pas si bien dormi depuis des lustres. Ce chien s'avérait être une bénédiction.


CHAPITRE 2 – POINT DE RUPTURE

Sans savoir la date du jour, ni où elle se trouvait précisément, Milie continuait d'avancer encore et toujours. Elle savait qu'elle se trouvait quelque part à la frontière de la Caroline du Nord et du Sud à en croire les derniers panneaux indicateurs qu'elle avait croisé sur sa route. Depuis sa rencontre avec le berger allemand, elle n'avait plus croisé d'être vivant – ou mort-vivant. Elle se plaisait même à ces journées d'exploration, poussant toujours plus vers le Sud Ouest. Chaparder les maisons et les boutiques était plutôt amusant lorsqu'elle ne crevait pas de faim à s'en auto-digérer l'estomac. Elle pouvait alors profiter d'un tas de choses sans se soucier de la partie monétaire ou sociale qui allait d'office avec dans un passé pas si lointain.
Pour parer à la solitude, il y avait le chien à qui elle parlait de tout et n'importe quoi. Parfois, elle se surprenait même à chantonner les compositions farfelues de Noah. Lorsqu'elle s'arrêtait au milieu d'un couplet, elle réalisait toujours combien il lui manquait. Chaque fois, elle jetait un regard derrière elle en se demandant si elle ne devait pas rebrousser chemin. Chaque fois, elle ramenait la tête droit devant et se remettait en marche. C'était de la pure folie. Même en gagnant Washington il n'y avait qu'un très maigre pourcentage de chance de retrouver Noah, en partant du principe qu'il était toujours en vie. Elle adorait Noah, mais cette perspective lui apparaissait comme très faible. Il n'était pas taillé pour la survie, prétendre le contraire aurait été stupide.

Débouchant sur un petit quartier en fin d'après-midi – selon ce qu'elle pouvait déduire du soleil qui fléchissait lentement sa course vers le couchant – Milie sourit à l'idée de farfouiller ces maisons. Elle avait encore de la réserve d'eau et de nourriture, mais c'était quelque chose qu'elle n'avait jamais en trop. Elle pourrait également changer de vêtements et peut-être même qu'elle s'arrangerait pour chauffer de l'eau et prendre un bain – ce qui à son odeur, qui commençait à l'incommoder elle-même, ne serait pas du luxe.
Dans cette optique, elle accéléra un peu le pas. Une fois au milieu de la rue, une certaine morosité s'empara d'elle. Le quartier avait l'air à la fois flambant neuf et en ruine. Il y avait des voitures accidentées un peu partout, une avait probablement dû s'enflammer en percutant une maison puisqu'il ne restait que des cendres. Les murs, les trottoirs et les rues étaient salis de sang séché. La pelouse longue, les plates-bandes de fleurs et les haies laissées à elles-mêmes. Tout ça faisait tache au milieu de ces maisons récentes au style des dernières modes en matière d'habitations.
Mais ce qui était le plus déstabilisant ce n'était pas les restes de scènes macabres qui laissaient deviner que plus d'un drame s'était produit ici. C'était le silence. Ce silence était indescriptible. Des comme ça, il fallait les avoir vécu pour comprendre combien ils pouvaient être lourds et angoissants. Où était le bruit des tondeuses à gazon? Des enfants qui s'amusent? Des femmes qui étendent la lessive? Des voisins qui papotent accoudés à la clôture? Tous ces sons qui créaient un bruit de fond infatigable n'existaient plus aujourd'hui. À croire que même les mouches s'étaient tues pour ne pas faire tache à ce décor sinistre. La solitude, ce n'était pas si difficile à gérer pour Milie, surtout maintenant qu'elle avait son compagnon de route à quatre pattes, néanmoins l'absence de ce brouhaha quotidien qui signifiait rien de moins que la présence humaine était plus accablante que ce qu'elle aurait cru au départ.

Choisissant une maison au hasard qui lui apparaissait avoir moins souffert de l'épidémie que celles qui l'entouraient, Milie l'inspecta soigneusement pour s'assurer qu'il n'y avait aucun mort-vivant à l'intérieur, puis elle verrouilla toutes les portes et les fenêtres avec soin avant de commencer sa fouille. Il y avait des conserves, des chips, des craquelins et du chocolat dans les armoires. Le temps de terminer d'inspecter le rez-de-chaussée, elle avait englouti toute une palette de chocolat au lait, savourant chaque carreau en le laissant fondre sur sa langue.
Elle grimpa ensuite à l'étage et le chien prit la liberté de sauter sur le lit pour s'y coucher – sans pour autant quitter Milie des yeux – pendant qu'elle fouillait la penderie de la chambre des maitres. Elle y trouva des vêtements féminins pas trop moches qui étaient peut-être un poil trop grands mais qui seraient toujours plus ajustés que les vêtements d'homme qu'elle portait à cet instant.
Une fois les vêtements choisis, elle descendit à la cuisine pour remplir toutes les casseroles qu'elle trouva d'eau et la mettre à chauffer sur le poêle qui avait la bénédiction d'être au gaz propane. Un vrai bain chaud. Ce n'était plus qu'une question de minutes! Certes, la température ambiante était peut-être un peu chaude, justement, pour s'adonner à ce luxe, mais la jeune femme se sentait si crasseuse que seul un bain bouillant arriverait à lui redonner une impression de propreté. Au pire, elle terminerait sa toilette sur un saut dans une douche froide.

Après un bain ô combien merveilleux – où tout du long, le chien était allongé la tête dans les pattes avant face à la porte – Milie envisagea d'aller explorer quelques autres maisons avant de choisir l'une d'elle pour y passer la nuit. Elle emplit son sac à dos de nourriture, amena de l'eau à ébullition qu'elle embouteilla par la suite, puis elle se dirigea vers la porte. Sa main ne touchait pas encore la poignée que le chien gronda à ses côtés. Tendant l'oreille, ce ne fut qu'après cette alerte qu'elle entendit le parquet de la véranda grincer. Milie s'accula au mur, dégainant son couteau de chasse.
La poignée tourna mais puisqu'elle avait tout verrouillé avant son bain, la porte ne céda pas. Maigre barrière. Elle entendit le son caractéristique d'un fusil à pompe se faire charger et elle eut tout juste le temps de se jeter par terre avant que la détonation ne fasse exploser la poignée et son verrou. La porte s'ouvrit d'elle-même sous la force de l'impact. Le chien se mit à aboyer en position de défense entre Milie et la menace. Lorsqu'elle sortit la tête de sous ses bras, elle constata la présence d'un grand gaillard rouquin et de son fusil à pompe pointé droit sur elle. Ils se dévisagèrent quelques secondes – toujours sous les aboiements agressifs du berger – puis l'inconnu abaissa son arme.

« Désolé » s'excusa-t-il comme si cette pratique avait encore cours au milieu de ce chaos. « J'ai entendu gronder, j'ai cru à un cannibale. T'as de la veine que ton chien ait une grande gueule, autrement, je te tirais dessus avant de regarder si t'étais dans le genre décomposée ou non. »

Un brin déstabilisée par la présence d'un être vivant qui avait la faculté de lui parler avec des mots, Milie mit quelques secondes avant de se redresser. Elle passa une main à l'encolure de l'animal pour le caresser et l'inciter ainsi au calme. Il cessa ses aboiements, mais n'en demeura pas moins sur ses gardes, elle pouvait le deviner rien qu'à la posture alerte qu'il avait conservée.

« Ça va, t'es pas blessée au moins? » poursuivit l'inconnu avec une inquiétude naissante.

Qu'un étranger se fasse du souci pour elle était en soi réconfortant et lui fit plus de bien qu'elle ne l'aurait cru. Elle secoua la tête de gauche à droite pour signifier qu'elle n'était pas blessée, se sentant incapable de prononcer le moindre mot.

« Tony! Tony tout va bien?! »

Rapidement, d'autres personnes arrivèrent. Avec le dénommé Tony, ils étaient six. Le rouquin devait avoir la trentaine. Il y avait trois autres hommes avec lui. Un gamin de peut-être quatorze ou quinze ans, un homme d'âge mur un peu ventru – qui lui fit douloureusement penser à Robert – et un homme dans la quarantaine. Il y avait deux femmes qui devaient s'approcher de l'âge des hommes les plus âgés. Peut-être leurs femmes et l'adolescent devait être le fils de l'un des ménages supposa Milie en se remettant sur ses pieds.
La jeune femme devint vite le centre d'attention, pourtant ça ne l'incita pas à prendre la parole. Comme si dire un mot allait faire disparaitre ce mirage. Des gens. Il existait encore des gens vivants. Elle n'était pas toute seule sur ce fichu globe terrestre. Ce fut à ce moment qu'elle réalisa combien la solitude lui avait pesé bien qu'elle se disait être mieux ainsi.
D'une manière qu'elle ne saurait expliquer, cette tignasse frisée, ces taches de rousseurs sympathiques et ces yeux mordorés soucieux la mirent tout de suite en confiance. Tony lui donna l'impression d'un de ces géants tout doux malgré leurs énormes paluches qui pouvaient vous presser la tête comme un citron.

Et elle ne se trompa pas sur son compte. Ils partagèrent tous les sept une maison pendant la nuit, puis vagabondèrent ensemble le lendemain. Ils s'installèrent dans une petite caserne de pompier la nuit suivante et continuèrent leur route le surlendemain. Milie apprécia rapidement leur compagnie. Les femmes étaient adorables avec elle, principalement la plus âgée. Elle ne savait pas où se trouvait ses enfants ou s'ils étaient encore en vie, mais le fait que Milie ait leur âge eut pour résultat que la demoiselle se fit materner plus durant ces quelques jours que durant toute sa vie. Les hommes étaient gentils, mais beaucoup plus tendus et froids que les femmes. Milie se dit que ça devait être le poids de la protection de leur famille qui les rendait ainsi. L'adolescent était bavard et ouvert, mais ses nuits étaient peuplées de cauchemars qui réveillaient parfois tout le monde.
La véritable bénédiction de ce petit groupe était cependant Anthony. Après à peine quelques jours, Milie se surprit à penser que si elle avait eu un frère, elle aurait aimé qu'il soit comme lui. Fort, têtu, fonceur, il savait également être léger, prévenant et soucieux des gens qui l'entouraient. Il était plus ou moins la force de frappe de ce groupe – puisqu'il était le seul homme que l'on pouvait qualifier dans la force de l'âge – et ils constatèrent rapidement que l'étiquette pouvait également être apposée à Milie.

« Ça me surprend pas » s'était égayé Tony une bonne fois, « autrement je vois pas comment elle aurait pu se démerder toute seule pendant aussi longtemps! »

Milie avait souri au compliment. Par le fait même, elle avait appris que juillet tirait à sa fin. Seulement juillet alors qu'elle avait la sensation que cette fin du monde s'était produite il y avait des années de ça.
Une chose était certaine, le temps lui apparaissait moins long en compagnie de gens à qui parler. Ceux-ci avaient une qualité non-négligeable. Ils avaient fait le deuil de la vie d'avant. Ils ne parlaient pas d'attendre les secours, que les choses se calment ou autres trucs dans le même genre. Ils étaient cent pour cent axés survie. Ils cherchaient un endroit sympa et à l'écart où ils pourraient s'installer et qu'ils pourraient fortifier pour pouvoir dormir tranquille – ou plus tranquille que maintenant au moins. Miranda avait même l'ambition de faire un jardin. Si une chose devait lui manquer, c'était les légumes frais de son jardin! C'était le genre d'idées qui lui plaisait. Aussi elle songea un soir qu'elle avait finalement trouvé cet endroit qu'elle cherchait, ici, au milieu de ces gens.

Bonheur fugace qui ne dura que deux ou trois semaines au bout desquelles le passage d'un troupeau de morts-vivants les firent se séparer. Tout s'était passé très vite.
Ils étaient sur une petite route de campagne. La fourgonnette qui leur servait à voyager était tombée en rade d'essence au milieu de nulle part et Milie les avait convaincu du pouvoir de la marche. Ça avançait peut-être moins vite qu'une voiture, mais ça avançait très certainement plus vite qu'une voiture sans carburant!
Ils s'étaient donc départis de tout ce qui n'était absolument pas nécessaire, puis s'étaient mis à marcher. Tony avait pris sur lui d'alimenter les conversations afin de conserver le moral des troupes. Était-ce un hasard ou sa voix babillant sans arrêt avec celle d'Alexandre – l'adolescent – qui attira les morts-vivants? Milie ne chercha jamais à jeter la pierre à quelqu'un en particulier. Toujours fut-il qu'ils les virent sur le sommet de la colline. Un tas de morts-vivants qui trainaient leur carcasse pourrie sous le soleil plombant vers une destination qu'ils n'étaient peut-être même pas conscients de connaitre. Lorsqu'ils reniflèrent l'odeur de chair fraîche, toutefois, ils émergèrent de leur marche lente et fatidique pour diriger leur pas vers eux sept.

Si le réflexe de la plupart fut de tourner les talons et revenir sur leurs pas à la course, celui de Milie fut de bifurquer dans l'immense champ de foin sur la droite. Tout au bout de ce dernier il y avait un petit boisé. Elle comptait faire comme elle avait fait près d'une centaine de fois, elle grimperait dans un arbre pour être hors d'atteinte, puis, elle se permettrait de réfléchir au reste.

« Emy! »

La voix de Tony la figea presque sur place mais n'arrêta pas sa course. Le chien donnait l'impression de flotter dans l'air à ses côtés en raison de son pas rapide et si agile. De ses grandes jambes, le rouquin ne tarda pas à la rattraper. Il s'abstint d'une bêtise dans le genre de la saisir par le bras pour l'arrêter et la forcer à rejoindre les autres. Il était trop tard maintenant de toute façon. Certains infectés suivaient la route et le reste du groupe, tandis que les autres les avaient pris en chasse.
Ils atteignirent les bois aussi rapidement que possible et Milie se mit en quête d'un arbre dans lequel ils pourraient grimper.

« Regarde, par-là! »

Anthony pointa à travers les arbres la silhouette de ce qui semblait être une maison. Celle-ci se révéla plutôt être une vielle cabane qui n'avait pas dû être visitée depuis des dizaines d'années. Milie chercha à l'ouvrir dès qu'elle arriva à la porte. Elle branla à peine sur ses gonds rouillés. Le bois avait dû prendre de l'expansion avec le temps puisqu'il n'y avait plus aucun espace entre la terre et le bas de la porte.
Tony prit sa place et poussa sur la porte récalcitrante de toutes ses forces. Le bois grinça et Milie craignit un instant qu'il éclate sous la puissance du géant. Sans porte, cet endroit ne leur servait plus à rien. Mais la porte finit par céder sans se briser et ils purent pénétrer à l'intérieur, le chien compris, tandis que les morts-vivants se rapprochaient dangereusement d'eux. Le rouquin dut à nouveau user de sa force pour refermer la porte pendant que Milie cherchait de quoi la barricader. La cabane ne contenait que peu de choses. Un vieux lit au matelas défoncé et bouffé par l'humidité. Une étagère pratiquement vide avec seulement quelques vieilles conserves qui devaient dater d'avant sa naissance. Et une petite table près du lit.

La jeune femme était en train de pousser l'étagère vers la porte – seul truc à peu près utile pour se barricader – lorsqu'elle entendit le hurlement d'Anthony. Levant les yeux vers lui, elle vit le macchabé accroché à sa main et le sang qui y coulait. Son cœur manqua un battement, mais il fallait réagir. Abandonnant l'étagère, Milie empoigna son couteau et vint le planter violement dans le crâne du mort-vivant. Celui-ci s'effondra sur le sol et ils se mirent à deux pour achever de pousser la porte. Ils postèrent ensuite l'étagère devant et ce ne fut qu'après ça que le géant s'arrêta sur sa blessure.
Malgré la pénombre, Milie vit ses yeux se rougirent avant qu'il ne lui tourne dos. Il était condamné. Ils le savaient tous les deux.
Le chien se mit à aboyer pendant que les infectés se rassemblaient autour de la cabane pour se presser contre elle avec espoir que les murs cèdent.

« Shhhhhh, tais-toi! » intima durement la jeune femme à l'animal.

Ils n'avaient pas besoin que ses aboiements excitent davantage la bande de cannibales qui se trouvait là-dehors. Aussi bien dressé que Milie avait pu s'en rendre compte depuis qu'elle avait fait sa rencontre, le chien s'arrêta immédiatement en émettant une dernière petite plainte comme s'il souhaitait souligner qu'il était désolé.

« Tony » murmura-t-elle doucement en tendant une main vers sa large épaule.
« Me touche pas! » protesta-t-il vivement en s'écartant.
« Tony, faut nettoyer la plaie. »
« À quoi bon? Je suis foutu! »
« Peut-être pas. Peut-être que si on nettoie rapidement ça s'infectera pas. »

Ce disant, elle posa son sac à dos sur le sol et en sortit de l'eau, des chemises, même une petite bouteille d'antibiotiques qu'elle avait chipé dans une pharmacie bien avant de tomber sur le rouquin qu'elle gardait en cas d'urgence.

« Qu'est-ce que t'en sais? »
« Bha si on essaie pas, c'est clair que tu vas crever! » s'entêta Milie.

Elle le poussa à s'asseoir sur le lit et nettoya la morsure du mieux qu'elle le put. Toutefois, ce ne fut pas suffisant. Toujours coincés dans cette cabane trente-six heures plus tard, les lamentations de souffrance de Tony enrageaient les morts-vivants au-dehors, ne les motivant que davantage à trouver ou créer une brèche pour entrer. Sa fièvre était forte. Il suait par tous les pores de la peau et simplement respirer donnait l'impression d'être la chose la plus douloureuse du monde.
Milie ne savait plus quoi faire. Elle était complètement dépassée par les événements. Ils étaient fichus. Ils étaient à court d'eau et de nourriture. Les infectés ne renonceraient jamais. Ils ne pouvaient pas s'échapper, Anthony était à peine capable de maintenir les yeux ouverts plus de trois secondes. Et si elle ne prenait pas une décision, ils allaient finir par y passer tous les deux et le chien en prime.

Elle l'observa pendant des heures, tournant et retournant l'idée dans son esprit. Les tuer eux, elle s'y était désensibilisée. Ils étaient déjà morts. Ce n'était pas un meurtre. Tous ces visages lui étaient inconnus et elle les oubliait toujours une heure plus tard. Mais comment l'oublier lui? Elle savait déjà qu'elle en serait incapable. Et comment vivrait-elle avec ça sur la conscience ensuite? D'un autre côté… voulait-elle mourir avec lui? Il était foutu. Malgré tout l'espoir qu'elle avait eu du contraire. Elle s'était même surprise à prier une fois ou deux. Est-ce que ça avait fait une différence? Absolument pas! Il continuait de souffrir et de s'éteindre petit à petit.
Et Milie réalisa qu'elle ne voulait pas mourir. Il y avait encore quelque chose à vivre ailleurs. Quoi? Elle ne le savait pas. Où? Elle ne le savait pas non plus. Mais elle refusait de crever dans ce trou à rat perdu au milieu de nulle part. Pas si elle pouvait faire autrement et elle pouvait faire autrement.

« Emy, j'ai soif » marmonna difficilement le malade allongé sur le lit.
« On a plus d'eau, tu te souviens? » répondit-elle aussi doucement que possible.
« Ah… ouais… désolé. »
« C'est pas grave. Essaie de dormir d'accord. »
« Ouais… »

Pendant un moment, seules les lamentations des morts-vivants remplirent le silence de la cabane. Assise sur le coin du lit, Milie sortit lentement un pistolet du sac du rouquin. Une larme roula sur sa joue. Elle prit une profonde et lente inspiration pour s'empêcher de renifler ou éclater en sanglots afin de ne pas alarmer son ami.

« Emy » murmura-t-il.
« Quoi? »
« Peut-être que je vais pas mourir…. On dirait que la fièvre est moins forte. »
« C'est bien » sourit-elle bien qu'il avait toujours les yeux fermés. « Je savais qu'une petite morsure comme celle-là pouvait pas tuer un gros balourd comme toi. »
« Ouais » sourit également le gaillard dans son demi-sommeil. « J'suis plus solide que ça. »
« Sûr. Et quand t'iras mieux, on va leur faire leur fête à ces enfoirés. »
« Compte là-dessus. »

Elle chassa une seconde larme du revers de la main qui tenait toujours le pistolet. Elle rabattit le chien très lentement pour faire le moins de bruit possible mais au bout d'une minute, elle se dit que Tony avait dû s'endormir de par sa respiration paisible. Elle approcha le canon tremblant de son front et ferma les yeux aussi fort qu'elle le put.
La détonation la fit sursauter et fit rugir les infectés davantage.
À ce moment là quelque chose se brisa en elle. Si la première femme infectée qu'elle avait tué lui avait fait réaliser qu'elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour survivre, mettre fin aux souffrances d'Anthony avait annihilé toute envie de se lier à nouveau avec des vivants. Les voir mourir les uns après les autres, toujours dans la souffrance, toujours dans l'horreur. Elle ne voulait plus avoir à vivre ça. Plus jamais.

« Pardonne-moi » susurra-t-elle plus pour elle-même que pour le géant.

Elle secoua la tête et renifla pour chasser ses pleurs. Il fallait agir maintenant. Elle vida le contenu des deux sacs à dos puis en remplit seulement un de tout ce qu'elle put. Elle empoigna ensuite la machette de son défunt ami, regarda le rouquin une longue minute et le tira en bas du lit. Elle se demanda si ce qu'elle s'apprêtait à faire allait l'envoyer en enfer avant d'abattre le premier coup.
Elle ne fut pas vraiment consciente des suivants. Lorsqu'elle n'eut plus la force de lever et rabaisser le bras, elle émergea de sa transe et réalisa qu'elle avait sectionné chaque membre du rouquin.

Il y avait une fenêtre – qu'elle avait obstrué avec de la boue pour que les infectés ne puissent pas les voir à l'intérieur, s'ils pouvaient les voir, elle n'en savait rien – en face du lit et Milie le poussa jusque là afin d'y grimper. Les parties du corps de Tony à côté d'elle, elle enfila le sac à dos et se servit du manche de la machette pour briser la vitre. Rapidement, les bras des morts-vivants cherchèrent à l'attraper. Sans trop savoir comment, elle arriva à ne pas se faire mordre pendant qu'elle jetait des bouts d'Anthony aussi loin qu'elle le pouvait.
Son stratagème macabre eut au moins le mérite de fonctionner. La chair du géant attira les infectés un peu plus loin de la cabane et ce fut la diversion dont put profiter Milie pour sortir – toujours par la fenêtre – et filer aussi vite et aussi silencieusement que possible avec le berger allemand. Quelques uns d'entre eux cherchèrent à la suivre, mais elle avait conservé un bras de Tony expressément à cet effet. Après avoir mis une certaine distance entre elle et ses poursuivants, elle largua le bras. Ils se jetèrent tous dessus, oubliant la présence de la jeune femme. Elle put donc quitter le bois sans se faire suivre et gagner un petit village où elle put se ravitailler, pleurer et se maudire pour ce qu'elle venait de faire jusqu'à ce qu'elle tombe de fatigue.


CHAPITRE 3 – LES VIVANTS NE VALENT PAS MIEUX QUE LES MORTS

Le soleil de plomb lui martelait la cervelle suffisamment pour qu'elle ait la sensation que ses méninges soient en train de fondre et lui coulent le long des oreilles. Mais non, il s'agissait seulement de sueur, ce qui sous-entendait qu'elle n'était pas encore aussi déshydratée qu'un raisin sec. Si les jours commençaient lentement à raccourcir en raison de la venue de l'automne, ça ne voulait pas dire que l'astre solaire ne s'en donnait pas à cœur joie pour torturer le peu de vivants qu'il devait rester dans le pays pendant qu'il se trouvait bien haut dans le ciel. La dernière fois qu'elle avait vu un panneau de signalisation, c'était pour découvrir qu'elle se trouvait à présent en Géorgie. Ça faisait déjà bien des jours de ça, mais elle continuait d'avancer, se refusant de rebrousser chemin ou ne serait-ce que regarder en arrière. Elle venait de passer des semaines sans croiser un seul être vivant et compte tenu sa dernière expérience avec eux, ce n'était pas plus mal. Si elle n'avait pas déjà suffisamment de raison de faire des cauchemars, dormir s'avérait encore plus difficile depuis l'épisode de la vieille cabane.
Bien décidée à ne plus s'approcher des vivants, au moins maintenant lorsqu'elle croisait des cadavres en putréfaction, c'était toujours des visages qu'elle ne connaissait pas. C'était mieux ainsi. La perte de Robert, le visage défiguré de Carmen figé dans une expression d'atroce souffrance, Anthony… jamais elle ne les oublierait et elle préférait de loin ne pas rajouter d'autres glorieux souvenirs de ce genre à la liste.
Atteignant un petit lotissement à l'écart d'une ville dont elle ignorait le nom, la jeune femme décida de s'y arrêter pour la nuit, peut-être même un jour entier si l'une de ces maisons renfermait quelques trésors. Elle en fouilla cinq, tua deux morts-vivants dans la foulée et mit la main sur une conserve qui n'était pas encore périmée. Posant son sac sur le comptoir de la cuisine de la cinquième maison, Milie plongea la main à l'intérieur à la recherche de son ouvre-boite. Elle n'avait pas encore réussi à le trouver au milieu de son barda que le chien gronda entre ses dents. Elle leva brusquement la tête vers la fenêtre. Quinze, vingt, peut-être même trente macchabés avançaient en trainant leur carcasse en décomposition. Les regroupements informes s'agglutinaient les uns aux autres et se dirigeaient tous dans la même direction. Elle.

« On verra une autre fois pour un week-end en amoureux, t'en dis quoi? »

Pour toute réponse, le berger allemand fila vers la porte principale de la maison, là où ils étaient entrés, et Milie ne tarda pas à le suivre après avoir fourré la conserve dans son sac qu'elle jeta dans son dos. Ils étaient beaucoup trop nombreux. Sa seule chance était de mettre les voiles et d'avancer plus vite qu'eux suffisamment longtemps pour qu'ils soient distraits de leur piste et se mettent en chasse après autre chose que ses fesses.
Courir, ça n'avait jamais été particulièrement son truc. Le jogging, quel intérêt? Avant, elle n'en voyait aucun. Maintenant qu'elle avait dû marcher des centaines de kilomètres en quelques semaines et qu'elle avait la mort aux trousses, l'intérêt était facile à trouver. Survivre. Et elle y avait pris goût. Courir. Ça symbolisait littéralement de semer ses ennuis. Si au départ il ne s'agissait que de ces cadavres ambulants, elle avait fini par laisser derrière toutes ces pensées qu'elle préférait oublier. Son père, Ray, Noah, Bob, Tony…

Débouchant sur la rue principale d'un village, Milie chercha de tous côtés un endroit où se cacher le temps que la horde passe et s'éloigne. Ensuite, elle repartirait dans la direction inverse sans faire de bruit. Aussi simple que ça. Elle l'avait déjà fait des dizaines de fois. Le chien aboya, attirant son attention devant elle. Ses pieds se plantèrent dans le sol bitumineux pour freiner. Une dizaine de morts-vivants marchait en face d'elle. Ils n'étaient pas regroupés, mais l'avertissement de l'animal avait attiré leur attention. Elle se retrouverait vite prisonnière entre ceux-là et ceux qui la pourchassaient à quelques mètres derrière. Elle bifurqua dans une allée tout juste sur sa gauche, s'engouffrant par mégarde dans un entonnoir sans issue. Le fond de la ruelle ne possédait qu'une porte et elle n'arriva pas à l'ouvrir de l'extérieur. Acculée au mur, le chien posté entre elle et les macchabés qui s'engageaient dans l'allée, elle n'avait plus moyen de s'échapper.
Ce serait donc ici que se terminerait son voyage. Sans avoir été en mesure de trouver cette mystérieuse chose qui l'avait poussée jusqu'ici. Prise au piège dans une ruelle miteuse déchiquetée par une quarantaine d'infectés assoiffés de sang. Curieusement, ce n'était pas si grave. Son cœur battait tellement fort. L'adrénaline pétillait dans chacun de ses membres. Son souffle court lui brûlait les poumons. Elle ne s'était jamais sentie aussi vivante qu'en face de sa propre mort. Partir de manière grandiose? Elle s'en fichait. Les chances qu'une personne qu'elle connaissait arpente la Géorgie et la reconnaisse étaient risiblement inexistantes. Nul ne la pleurerait. C'était une bonne façon de partir.

Elle fit donc face au cortège funèbre qui la conduirait dans l'autre monde sans sourciller. C'était vraiment très étrange. Elle n'avait soudainement plus peur de ces immondices. Elle ne voulait pas partir dans la peur. Elle voulait partir en paix. À quoi bon avoir peur? Le résultat serait le même. Inévitable. Il fallait juste affronter la douleur le temps qu'elle durerait, puis, tout serait terminé.
Le chien grondait dans l'espoir de faire reculer leurs assaillants, n'arrivant qu'à les exciter davantage. Le premier cadavre la touchait presque, bras tendus vers elle pour agripper sa peau dès qu'il le pourrait, lorsque les gonds rouillés de la porte qu'elle avait tenté d'ouvrir grincèrent. Elle le réalisait à peine qu'elle se sentit happée vers l'arrière, brusquement plaquée contre un mur, à l'intérieur de l'édifice. Le chien eut tout juste le temps de suivre, que la porte se referma violemment. Le déclic du verrou fit comprendre à Milie que cette porte ne s'ouvrait que de l'intérieur.
Dans l'obscurité du bâtiment, la jeune femme discerna difficilement un homme. Du moins, elle se dit qu'il devait s'agir d'un homme. Impossible de dire son âge, elle ne pouvait même pas dire s'il était caucasien, asiatique ou noir. Il se pencha subitement vers le sol, l'entrainant avec lui après l'avoir attrapée par les épaules. Des coups de feu déferlèrent à l'extérieur, dans cette allée où elle avait été si certaine de mourir. Le son rugissant des armes ne lui fit pas fermer les yeux. Ancrés dans ceux de son sauveur, son esprit se vidait d'absolument tout comme si chaque balle tirée anéantissait l'une de ses pensées.
Lorsque la cacophonie destructrice s'estompa, l'homme remua, sortant un briquet de sa poche qu'il alluma entre eux, éclairant leurs visages d'une lumière tamisée et imprécise qui tressaillait au rythme de leur respiration saccadée. Il devait avoir dans la fin de la vingtaine. Peut-être le début de la trentaine. Un physique avenant, mais qui respirait la force du survivant. Il lui sourit. Elle le lui rendit, plus timide. Il y avait un bout de temps qu'elle n'avait pas croisé quelqu'un de réellement vivant. Elle avait l'impression d'avoir oublié les bonnes manières.

« Tu parles d'un endroit pour se balader » blagua-t-il. « Je m'appelle Mark. Et toi? »

Ils étaient un peu plus d'une vingtaine. Pas d'enfant. Quelques hommes dépassant la quarantaine. Quelques femmes entre vingt et trente-cinq ans. Mais surtout des hommes dans le genre de Mark. Les plus à même de survivre au fond. Des hommes dans la force de l'âge. Ils étaient une demi-douzaine, au préalable élus par tout le monde, à diriger le groupe. Un fonctionnement différent des groupes qu'elle avait connu jusqu'ici, mais qui faisait ses preuves puisqu'ils avaient réussi à survivre ensemble plus longtemps.
Ils étaient huit à être parti marauder au village lorsqu'ils l'avaient vue se faire prendre au piège par la horde. Mark avait contourné l'obstacle pour aller la sortir de là par l'intérieur du bâtiment pendant que les autres tiraient ni plus ni moins dans le tas jusqu'à ce qu'il ne reste plus un sac à viande vivant, comme ils les appelaient.
Mark fut incroyablement accueillant. Il partageait une caravane avec son frère, Nick, et son cousin, David, et lui offrit de s'installer avec eux aussi longtemps qu'elle le voudrait. Le camp était près d'une rivière et Milie eut l'occasion de se laver à l'éponge. Se départir de cette couche de crasse lui fit énormément de bien. Elle ne savait même pas depuis combien de jours elle ne s'était pas donnée cette peine.
Peu bavarde, n'ayant pas eu l'occasion de beaucoup parler durant les dernières semaines, Milie réalisa le soir venu au milieu des conversations anodines, que les gens lui avaient manqué. Pas en particulier, mais en général. Les voir se sourire, rire, partager la nourriture autour du feu. Ce bien malgré elle. Elle ne voulait plus rien avoir à faire des vivants. Demain, elle partirait. Elle était mieux toute seule. Le même schéma que les dernières fois finirait par se répéter. Elle ne le voulait surtout pas.

Néanmoins, elle dormit relativement bien cette nuit-là. Nick et David dormaient sur la table à manger de la caravane – qui se métamorphosait en lit au besoin –, elle dormit donc avec Mark. Il lui arrivait de bouger en dormant et c'était sa caravane, c'est pour ça qu'il avait le lit pour lui tout seul, lui avait-il expliqué. Trop fatiguée, Milie ne le sentit absolument pas bouger de la nuit. Sa présence avait même quelque chose de rassurant. Sûrement parce qu'il lui avait évité la mort. Voilà qu'elle souffrait de ce stupide syndrome de la demoiselle en détresse face à son sauveur! Elle s'était traitée d'idiote en y songeant. Néanmoins, elle arriva à dormir six heures d'affilée. Elle n'avait pas accompli un tel exploit depuis une éternité.
Le lendemain, lorsqu'elle le remercia et annonça son départ, il insista lourdement afin qu'elle reste. Au moins quelques jours pour réellement se reposer. Une voix en elle insista. Elle devait partir. Le plus tôt serait le mieux. Mais ce sourire charmeur. Cet éclat d'inquiétude et de considération. L'odeur de viande grillée sur le feu tellement plus alléchante que les conserves qu'elle arrivait à trouver en grappillant à droite à gauche. Rester deux ou trois jours, ça ne pouvait pas faire de mal, non?
Cette nuit-là, après une merveilleuse journée où elle en oublia presque l'infection, elle était allongée depuis à peine dix minutes lorsqu'elle sentit Mark se rapprocher dans son dos. Il se pressa contre elle, embrassa son cou avant de tracer une ligne de baisers jusqu'à son oreille qu'il mordilla. Le contact la fit d'abord frissonner d'excitation. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait senti personne contre elle de cette manière. Toutefois le malaise prit rapidement naissance. Elle le connaissait à peine. Elle avait fait son deuil de Noah, mais tout de même. Elle n'était pas du genre à s'offrir au premier venu, aussi agréable pouvait sembler ses caresses au premier abord. Elle se désista, s'écartant de Mark.

« Je suis désolée » murmura-t-elle afin de ne pas alerter Nick et David.
« Non, c'est moi qui suis désolé » s'excusa-t-il tout aussi bas. « C'est juste que ça fait longtemps que j'ai pas été près d'une fille et tu me plais beaucoup. J'ai pas réfléchi. »
« C'est pas grave. »
« On peut rester comme ça? S'il te plait. Je tenterai rien, promis. »

Elle hésita, mais ce souffle chaud dans son cou et cette étreinte eurent raison d'elle. Elle aussi, elle avait envie de se sentir près de quelqu'un.

« Ok. »

Il referma davantage ses bras autour d'elle et il lui fallut quelques minutes – où elle demeura complètement immobile – avant de se détendre et de se laisser aller contre le torse de Mark. Elle ne pensait pas la chose possible, mais elle dormit encore mieux que la veille.

Le jour suivant fut semblable au précédent. Milie commençait à connaître chaque nom et elle se surprit à détailler Mark du regard quand celui-ci avait les yeux ailleurs. C'était signe qu'il était temps de partir. Avant de faire une connerie dans le genre de s'attacher à quelqu'un pour ensuite voir son cadavre désarticulé se relever d'entre les morts, ou pire encore. Elle ne tomberait pas dans le panneau. Pas encore. Il lui suffisait d'être discrète. Ramasser son sac et s'en aller sans rien dire à personne. Elle siffla le chien, le flatta un moment, le temps que les gens cessent de la regarder, puis elle se dirigea vers la caravane, l'animal sur ses talons. La forêt n'était qu'à quelques mètres. Juste une minute soustraite à tout regard et il n'y aurait aucune confrontation. Il n'y aurait pas les yeux insistants de Mark pour la convaincre à nouveau de rester.

« Hey! Emilie! L'équipe de ravitaillement a trouvé tout un stock de caisses de bières, on va faire la fête ce soir! » s'exclama Mark alors qu'elle n'avait même pas atteint la caravane.

Elle se mordit la langue. S'accorder le droit de s'amuser le temps d'une soirée ou s'en aller? Finalement, elle fit demi-tour. Elle pourrait toujours partir demain. Ce n'était pas tous les soirs qu'il y avait de la bière pour engourdir un peu la peur, les cauchemars et le stress constants.
Cette nuit-là, elle s'étala dans le lit en riant aux éclats, sa tête bourdonnant d'ivresse. Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas autant ri. Ça remontait aisément à l'école d'arts avec Noah. Avant que le monde parte en couilles et que tout se déglingue. Lorsque Mark s'effondra à moitié sur elle, hilare, la pièce tangua légèrement autour d'elle et Milie cessa graduellement de rire. Il se mit à presser son bas-ventre contre le sien, frôlant sa joue de la sienne avant de glisser à ses lèvres pour l'embrasser. Elle détourna la tête, n'ayant pas plus envie que la veille de devenir aussi intime avec lui si rapidement.

« Non, Mark, ça a pas changé depuis hier. » L'alcool ingéré lui donnait une voix qui manquait de conviction.
« Soit pas si vieux jeu, ça va être bon, tu vas voir. »

Il l'embrassa à nouveau, s'étendant de tout son poids sur elle. Il était lourd et ses bras fermement posés de chaque côté d'elle étaient trop bien ancrés dans le matelas pour qu'elle puisse s'éloigner.

« Non. »

Elle chercha à se redresser sur les coudes, mais il la plaqua contre le matelas. Pas violement, mais presque.

« J'te ferai pas mal, je te promets. »

Elle aurait préféré qu'il lui fasse mal. Qu'il soit violent. Elle ne se serait peut-être pas enlisée dans cette stupide torpeur où son corps n'arrivait pas à bouger le moindre muscle. Elle était devenue une poupée de chiffon. L'alcool la faisait vaguement réagir aux caresses. Et il tint sa promesse. Elle n'eut pas mal. Du moins, pas physiquement parlant. Était-ce considéré comme mal d'arracher son libre-arbitre à quelqu'un? Mark semblait croire que c'était tout à fait normal. Il fut même plutôt tendre bien qu'il demeurait fortement pressé contre elle pour l'empêcher de s'enfuir. Néanmoins, elle n'en retira aucun plaisir. Pendant que son esprit se détachait de son corps, il fit son affaire et roula sur le côté, contenté, une fois l'orgasme atteint.
Elle attendit de longues minutes, inerte, jusqu'à ce qu'elle détecte le son lent et régulier de son souffle. Lorsqu'elle fut assurée qu'il dormait, elle se rhabilla aussi silencieusement et rapidement que possible. Elle empoigna son sac et le passa à son dos. Elle avait la main sur le loquet de la porte de la caravane lorsque celle-ci s'ouvrit brusquement. Nick et David se soutenaient l'un l'autre, complètement saouls.

« Hey, où est-ce que tu vas comme ça?! » gueula Nick d'une voix forte.

Il réveilla bien évidemment Mark dont le regard changea du tout au tout. Cette étincelle sympathique et charmeuse avait disparu pour laisser place à la colère.

« Qu'est-ce tu fous? » demanda-t-il brusquement en s'extirpant du lit.
« Je fous le camp » répondit-elle avec fermeté.

Elle fit un pas pour sortir. Le frère et le cousin lui bloquèrent le passage pendant que Mark enfilait un caleçon.

« Laissez-moi passer! »

Nick allait dire un truc qui fut coupé par le grondement agressif du berger allemand. Plutôt que de parler, Nick hurla, mordu au mollet par l'animal ange-gardien. C'était pour ça que Mark avait insisté pour que le chien dorme dehors. Rien à voir avec les poils, les puces et la saleté. Juste pour éviter que le chien ne l'attaque pendant qu'il profiterait d'elle!

« Tu vas nulle part trésor » assura Mark en l'empoignant durement à l'épaule.

Sans réfléchir, elle prit son couteau et le planta violemment dans la cuisse de son agresseur qui cria sa douleur à son tour. Elle sauta hors de la caravane et s'élança en hâte vers la forêt, le chien sur ses talons. Elle entendit vaguement le remue-ménage que créaient les hurlements derrière elle, mais ça demeurait plutôt flou dans sa tête. Au milieu de cette nuit noire, sans lumière, mais surtout sans arme – son couteau, maintenant fiché dans la cuisse de Mark, était la seule arme qui lui restait – elle était uniquement concentrée sur ses pieds. Ne pas trébucher et s'éloigner de ce camp aussi vite que possible. C'était tout ce qui comptait. Ce fut donc avec la ferme intention – plus ferme que jamais – de ne plus interagir avec qui que ce soit qu'elle s'enfonça dans la forêt, direction plein sud-ouest, comme toujours. Finalement, le pire fléau de l'humanité n'était peut-être pas les morts qui se relevaient pour dévorer les vivants. Non. Le pire fléau de l'humanité, c'était l'homme, tout simplement.