Titre : Résilience
Prologue : "Un étranger sur la route".
Disclaimer : L'univers de HP et ses personnages sont la propriété de JK Rowling, je ne touche aucun argent en publiant ce texte.
Continuité : Juillet 1995. Voldemort est de retour, l'Ordre du Phénix doit s'organiser rapidement.
Rating : PG.
Avertissement
: Univers alternatif. Et si Sirius n'avait pas passé le tome 5 cloîtré au 12 Grimmauld Place...
Note 1 : L'idée de ce texte m'est venue après la lecture du tome 5. C'est donc une idée très ancienne. A cette époque, certains s'en souviennent peut-être, on a vu fleurir un bon nombre de fics qui cherchaient à sauver Sirius Black : les BBB, c'est-à-dire, les "Bring Back Black". Qu'y avait-t-il réellement derrière le rideau ? Sirius était-il véritablement mort ? Et si on trouvait un moyen pour le faire retraverser l'Arche... Pour ma part, j'ai choisi une autre option : et si Sirius n'avait jamais basculé de l'autre côté de l'Arche ? Et si Sirius n'avait pas passé une année à moisir et s'aviner au 12 Grimmauld Place ? Et si Sirius avait eu une mission à accomplir ? Une mission minable, certes, mais une mission tout de même...
Note 2 : Ce prologue a été publié une première fois en 2006. J'ai apporté quelques modifications pour l'occasion. Pour information, lors de cette première publication, les lecteurs n'avaient pas été informés que le personnage de l'auto-stoppeur était Sirius. ffnet ne permet malheureusement pas de laisser planer le doute.

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Résilience

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Prologue : Un étranger sur la route

(« Jimmy Jazz »)

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Jim jeta un regard rapide à la montre bracelet accrochée au rétroviseur. 17h26. Il serra les mâchoires et appuya sensiblement le pied sur l'accélérateur. Le vent s'engouffra bruyamment dans la cabine toutes fenêtres baissées et les grésillements qui s'échappaient du poste radio furent balayés. Il était en retard et ça allait être sérieusement sa fête. Il avait bien une excuse toute trouvée, mais Jim savait que Mrs Fairwood se souciait des excuses – même les plus valables – comme de sa première cravache.

L'étranger ramena machinalement ses cheveux en arrière. L'esprit bien loin, il regardait le paysage avec une obstination qui déconcertait Jim. Que pouvait-il y avoir de si fascinant dans cette terre desséchée et dans ce ciel bleu insipide ? C'était toujours la même chose : de la rocaille, de la rocaille et parfois, ô surprise, un buisson ! Jim songea qu'il aurait tout aussi bien pu laisser l'homme sur le bas de la route, son voyage n'en aurait guère été changé et il ne serait pas si en retard.

Pour quelle raison avait-il pris un auto-stoppeur déjà ? Ah oui, pour tromper son ennui ! Le voyage était d'une monotonie assoupissante, il ne captait pas la radio et avait trop écouté les quelques cassettes qui traînaient dans la boîte à gants. La seule distraction de Jim consistait à surveiller la fumée qui s'échappait du capot et déterminer à quel moment il devenait vital de faire une pause pour permettre au moteur de refroidir. Jim ne s'ennuyait pas, il se mourait d'ennui ! Or n'était-il pas universellement su que tout auto-stoppeur se devait de faire la conversation à son aimable conducteur, en remerciement ? L'homme se rendait à First King. Coup de bol, c'était la destination de Jim !

Tant bien que mal, ils avaient calé la moto en panne de l'homme à l'arrière. Jim ne s'y connaissait pas beaucoup en moto (son domaine s'étendait plutôt aux chevaux à quatre jambes qu'aux chevaux à deux roues), mais étant donné le poids de l'engin, il n'aurait pas été étonné que ce soit un pur-sang du bitume. On devait probablement engloutir les kilomètres sans même s'en apercevoir. L'homme avait acquiescé du chapeau : quand elle fonctionnait, elle volait même ! Malheureusement, pour le moment, elle était plutôt anorexique. La véritable difficulté avait été d'arrimer solidement la moto pour éviter qu'elle ne chute lourdement, au mieux dans le van, au pire, sur la route. Ils avaient perdu beaucoup de temps et Jim était maintenant très en retard.

Le jeune homme tapota nerveusement le volant tandis que la camionnette peinait à franchir la côte. A chaque nouvel obstacle, Jim se penchait vers le tableau de bord et murmurait des paroles encourageantes. « Allez ma cocotte, je sais que tu peux le faire. C'est pas cette petite côte qui va t'avoir ! » L'embarras de la situation aurait peut-être arrêté Jim, s'il n'était pas convaincu, contre toute logique, que cela fonctionnait. Il semblait réellement à Jim que, quand il lui parlait, le moteur fumait moins, que les grincements se faisaient moins sonores, que la toux asthmatique se calmait un peu.

– Et une autre de passée ! soupira Jim, une fois le sommet de la côte atteint. Ça serait quand même bien ironique si on tombait en panne, non ? plaisanta-t-il.

L'homme marmotta à peine un « hmm » d'acquiescement. Jim ne s'attendait à guère plus de la part de son passager, il aurait d'ailleurs été davantage étonné si sa remarque avait amorcé une conversation plate et polie. Universellement su ? Jim secoua la tête. Il avait bien de la veine : il était tombé sur le seul auto-stoppeur fermement décidé à réfuter l'universellement su par une aphasie morne.

Dès le premier kilomètre cela avait mal commencé. Jim s'était obligeamment présenté (Jim Lowry), l'homme lui avait marmonné un nom que le jeune homme n'avait pas saisi et puis s'était muré dans un silence que Jim avait un temps hésité à qualifier d'autiste ou d'impoli.

Jim avait pourtant abordé tous les sujets usuels mais rien n'y avait fait. Le sport avait vite été balayé. Le dernier scandale politique n'avait pas eu non plus un franc succès. Jim avait tenté une incursion du côté du cinéma et de ses acteurs, l'étranger n'avait rien trouvé à dire. Dépité, Jim s'était rabattu sur le temps et la sécheresse qui menaçait. Mais là aussi : chou blanc. Bon sang ! Ce type était aussi bavard qu'une porte de prison ! Sans trop y croire, Jim tenta d'en savoir plus sur son passager (le peu de mots qu'il avait pu lui extirper, lui avait laissé entendre que l'homme n'était sûrement pas du coin, ni même du pays). Il n'en tira qu'un regard noir et méfiant. Jim n'avait jamais été très à l'aise avec le silence. Lors de son premier mois à First King, il avait été étonné de découvrir que ce qui lui manquait le plus de Camberra était le bruit. Le bruit et l'eau chaude non limitée. Jim avait donc décidé de se lancer dans un sujet qu'il maîtrisait parfaitement et qui ne nécessitait pas une part très active de son passager : sa vie. Il raconta son père et son commerce de cornichons (en réalité, il s'agissait d'épiceries fines éparpillées dans toute la région, mais pour Jim, tout cela n'était que commerce de cornichons) ; sa passion pour les chevaux depuis… depuis toujours en fait ; Alice et ses yeux couleur lagon Ginny, surnommée également le-petit-monstre, petite sœur dans l'arbre généalogique (mais seulement par vingt trois chromosomes !) ; la belle-mère qui signait ses chèques sous le nom de Mary Lowry ; Bob-aux-gros-bras et Pete-aux-petits-pieds, aussi jumeaux que les Gémeaux mais aussi différents que la main droite et la main gauche ; Mrs Fairwood et ses deux petites teignes de gamins ; Sheitan et ses ruades. Il évoqua le bac, survola les problèmes d'acné, mentionna quelques histoires de beuveries peu reluisantes. Jim préféra se taire avant qu'il n'en vienne à citer le nom de ses pornos préférés. Il but une longue gorgée d'eau minérale tiède, trifouilla les boutons du poste-radio. Non, il ne captait rien. La faute aux montagnes et à la distance. Il tenta de rester silencieux quelques temps, au moins quelques minutes, fredonna un air. Le premier qui lui vint et se se tut aussitôt qu'il reconnut le morceau des Back Street Boys que sa sœur écoutait à longueur de temps.

Et durant cette interminable et cahotante logorrhée, pas une seule fois l'auto-stoppeur n'avait prononcé le moindre mot. Il avait bien, au début, émis quelques vagues « hmmm », et puis avait cessé quelque part entre l'histoire du chauffe-eau qui avait explosé en plein hiver et celle de la voisine morte et décomposée dans l'appartement du dessus. Jim ne pouvait lui en tenir rigueur : les rôles auraient été inversés, il aurait probablement fini par assommer un type aussi bavard. Toutefois, si les rôles avaient été effectivement inversés, Jim aurait été suffisamment courtois pour faire la conversation à son aimable conducteur.

– Je n'ose imaginer la corvée que je vais récolter pour mon retard, soupira Jim.

Il serra nerveusement les poings sur le volant. Derrière son visage de fée et ses yeux de biche, Mrs Fairwood (Juliet de son prénom, mais personne n'était autorisé à l'utiliser) cachait un tempérament de dragon et un caractère de cochon.

– La dernière fois, elle m'a fait cirer toutes les selles de la station. Trois fois ! Juste parce qu'elle ne les trouvait pas assez luisantes. Je me suis couché à quatre heures du matin – quatre heures ! – alors que le lendemain, je devais être debout à six heures, s'indigna-t-il. Six heures ! Et le lendemain, j'ai essuyé remontrances sur remontrances. Juste parce que je n'étais pas assez concentré. Mais comment fait-on pour rester concentré quand on a que deux heures de sommeil dans les jambes ? Et que les autres jours on tourne à six heures ? Et je ne vous raconte pas l'état de mes mains ou les nausées provoquées par l'odeur de la cire.

– Il fallait faire bien dès la première fois.

Jim se retourna vers son passager, tout d'abord surpris de l'entendre, puis vexé par sa remarque. Si c'était pour lui donner tort, l'homme pouvait tout aussi bien rester silencieux !

– C'est exactement ce qu'elle m'a dit, bougonna-t-il. Toujours est-il que si je ne suis pas à la station avant 17h30 pour accueillir la nouvelle pouliche, je risque bien de ne pas monter avant six mois et ce sera très probablement Balthazar III. Même les tiques ne s'embarrassent plus de monter Balthazar III ! Et il est…

Jim zyeuta la montre qui se balançait au gré des cahots de la route. 16h 43. Jim, éberlué, considérait tant et si bien les aiguilles qu'il sortit de la route. Les soubresauts de la voiture le ramenèrent rapidement à la réalité et il écrasa de toutes ses forces la pédale de frein.

– Un problème ? s'enquit l'auto-stoppeur, à peine troublé de se retrouver au milieu de la rocaille.

Sans un mot d'explication, Jim fit marche arrière jusqu'à regagner la route. Toujours aussi déconcerté, il s'empara de la montre et la porta à son oreille. Le tic-tac régulier était parfaitement audible. La pile était neuve et le mécanisme n'avait subi aucun choc. Peut-être les aspérités de la route ? Perplexe, Jim redémarra la voiture.

– Vous avez l'heure ? demanda-t-il tout de même.

– 16h45 à vue d'œil, répondit l'homme d'une voix lasse.

Jim fronça les sourcils.

– A vue d'œil ?

L'homme pointa le doigt vers le soleil.

– Vous savez donner l'heure de façon aussi précise, juste à la position du soleil ?

– Ce n'est pas très compliqué, marmonna l'autre.

– Qu'est-ce que vous êtes ? Marin ? Expert en étoile ?

– Quelque chose comme ça.

Comme ça quoi ? se demanda Jim. Pour la première fois, il prit vraiment la peine de détailler son passager. Jeans gris de poussière et déchirés aux genoux, bottes brunes, T-shirt blanc sous chemise en flanelle, épais blouson marron clair et chapeau fatigué posé sur de longs cheveux noirs que le vent emmêlait : tenue des plus ordinaires, jugea Jim. Il n'y avait guère que les bottes qui attiraient l'attention. À première vue, on aurait dit du croco, mais à y regarder de plus près, Jim ne reconnaissait pas les crêtes caractéristiques du batracien. De la mauvaise imitation ou bien une espèce qu'il ne connaissait pas ?

Le visage de l'étranger était peu avenant. Les os étaient trop saillants, la peau trop blanche, les yeux trop clairs, le regard trop sombre. Il était trop grand ou trop maigre. Le soleil aurait été couché, Jim aurait fini par se demander s'il n'avait pas invité un vampire à faire un bout de route avec lui. Mal à l'aise, il enclencha une K7 audio. Le silence lui était plus pénible que jamais et sa gorge bien trop sèche pour qu'il puisse prononcer le moindre mot.

Au milieu des grésillements, la voix de Joe Strummer s'extirpa vaillamment des enceintes. L'homme s'arracha brusquement de sa contemplation silencieuse. Il devint tellement blanc que Jim crut qu'il allait se trouver mal.

– Vous n'aimez pas ? s'inquiéta Jim.

– Le son ? Comment on l'augmente ? demanda-t-il d'une voix râpeuse.

Jim fronça les sourcils. Sans quitter la route des yeux, il tourna la molette, jusqu'au seuil de tolérance de la machine. Comment pouvait-on ignorer comment augmenter le son ?

La fascination de l'homme intriguait et inquiétait Jim tout à la fois. Du coin de l'œil, il observait la palette hétéroclite d'émotions qui se bousculaient sur le visage de l'homme : des sourires craquelés, des contractions maxillaires inquiétantes, un regard qui oscillait entre la nostalgie et l'infinie tristesse.

– Vous aimez les Clash ? se risqua Jim.

L'homme ne répondit pas immédiatement.

– Par la force des choses, soupira-t-il finalement.

– Par la force des choses ?

– C'était le groupe préféré de mon petit frère et nous partagions la même chambre.

Jim hocha la tête. À force d'entendre les chansons poisseuses des Back Street Boys filtrer de la chambre de Ginny, Jim en était venu à les supporter. Ne dit-on pas que l'on s'habitue à tout ? Jim n'osait imaginer quelle aurait été la prochaine étape s'il n'avait pas quitté l'appartement familial. Le cerveau totalement lessivé et l'échelle des valeurs complètement chamboulée, peut-être aurait-il fini par s'offrir la discographie complète du Boys Band ? Jim se raccrocha à l'idée qu'il était toutefois bien plus facile (et logique !) de se laisser convaincre par les Clash que par les Back Street Boys.

– Un soir, il a fait le mur pour aller les voir jouer en concert, reprit l'homme.

– Pas le premier et pas le dernier à le faire, commenta Jim.

Joe Strummer chantait « White Riot » et l'homme marmonnait de temps en temps quelques paroles au gré de sa mémoire, de son inspiration. La main sur la cuisse, il battait le rythme. Il fit glisser son chapeau sur son front et il s'enfonça dans le fauteuil comme on s'enfonce dans ses souvenirs.

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Le Saloon, annonça cérémonieusement Jim en coupant le moteur de la camionnette. Ce n'est pas l'endroit le plus propre de la région, ni le mieux fréquenté, mais c'est le seul endroit où l'on peut se loger.

L'étranger leva les yeux vers la bâtisse. La façade décrépie, les peintures défraîchies et les vitres opaques de saleté ne l'offusquèrent pas le moins du monde.

– Tant qu'il y a des fenêtres, ça ira, statua-t-il calmement.

– Sûr ? demanda Jim, dubitatif.

Pour sa part, il aurait fallu payer Jim pour loger dans ce trou à rat.

– De toute façon, c'est le seul endroit, n'est-ce pas ?

– Oui, reconnut Jim.

– Alors la question de savoir si ça me convient ou non est superflue, déclara l'homme. Et puis, ce sera toujours mieux fréquenté que le dernier endroit où j'ai passé ces dernières années, ajouta-t-il sombrement.

Jim se garda bien de poser la moindre question, mais il aurait été curieux de savoir où l'étranger avait bien pu vivre. Il l'aida à sortir sa moto et trouva cela presque rageant de voir qu'il ne leur fallut pas plus de cinq minutes pour la détacher et la descendre de la camionnette, quand ils avaient eu besoin de près d'une demi-heure pour faire la démarche inverse.

– Il y a un garage de l'autre côté de la ville, ânonna-t-il entre deux grandes inspirations pour retrouver son souffle.

L'homme s'essuya le front d'un revers de la manche.

– Pas besoin. Et merci pour le transport.

Jim hocha la tête et se dépêcha de grimper au volant. Il démarra le moteur puis se pencha par la fenêtre.

– Sans offense, je me demande quand même ce que vous êtes venu faire dans ce coin perdu. À part, la station des Fairwood, y a rien à First King. Quasiment une ville morte.

L'homme considéra les environs et soupira.

– Je me le demande également.

Il attrapa le guidon de sa moto et, avec lenteur, la poussa en direction de l'établissement.

– Je vous souhaite de trouver une raison, car vous risquez de vous liquéfier d'ennui, lui cria Jim.

L'homme leva la main sans se retourner. Jim haussa les épaules, tout cela ne le concernait pas après tout. Il regarda l'heure. 17h26. De nouveau. Était-il réellement possible de vivre deux fois la même heure, le même jour ?

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Fin du prologue


note : Une station est l'équivalent australien du ranch américain.

note de fin : Finalement pour fêter les dix ans de mon pseudo, j'ai décidé que deux fics c'était mieux. Ca me ramènera à mes débuts... En espérant que ça vous plaira.