« Tu ne fermes jamais les yeux. »

C'est vrai. Je n'ai jamais réussi à le surprendre les yeux fermés, même endormi. Il m'entend arriver, certainement, et ses yeux noirs me sondent dès que je lui fais face. Toujours.

« Tu n'avais pas besoin de m'attendre. »

Il ne bouge pas. Ses yeux fixent le vide. Il prétend toujours ne pas me voir, quand il est contrarié. Il prétend toujours ne pas m'attendre, aussi. C'est la petite lueur d'agacement qui le trahis. Me trahis, plutôt, car il le fait exprès, là encore.

« Tu ne devrais pas être là. Il fait froid. »

Le feu est éteint dans la cheminée. Depuis longtemps, semble-t-il. Seules les bougies éclairent la pièce, et je frissonne. Il est plus frileux que moi, il a forcément froid. Il a du finir ses dernières potions il y a des heures et rester méditer sur un de ses obscurs grimoire de magie noire.

Il a du rester là, seul, à réfléchir.

A la lueur faiblissante des bougies, j'aperçois un reflet à ses pieds. Une fiole, incassable bien-sûr. Pas une goutte ne s'en échappe, elle a été vidée de son contenu avec efficacité et méthode. C'est un maître des potions, après tout.

Sa main, sur ses genoux, est glacée. Il ne tourne pas son regard noir vers moi quand je prends délicatement son livre pour le poser sur la table. A y bien regarder, il n'est pas si noir, par ailleurs, fixé sur une éternité de contemplation. Il est déjà légèrement vitreux.

Il n'a pas froid. Il ne m'a pas attendu. D'une main que je veux légère, je ferme ses yeux pour lui.

Et son livre. Et la porte. L'histoire est finie.