Tu n'as jamais vraiment su à quel jeu nous jouions ou plutôt tu n'a jamais vraiment su décider. Tu en étais souvent l'instigatrice pourtant. Les échecs ? La bataille navale ? Tu mélangeais les règles pour créer ton propre plateau, tes propres pions et ta propre façon de les mener. Le lycée était ton damier, les membres du Glee club tes tours, tes fous, tes cavaliers ou tes navires. Au choix.

On m'a toujours prise pour la plus grande manipulatrice. J'étais celle qui mettait tour à tour Finn, Puck ou Sam à genoux. J'étais celle qui décidait qui était in qui était out. J'étais la sans-cœur, la sans-amis, mais la plus admirée, la plus crainte. Pourtant, je n'étais pas incontestée. Tu étais là. Bien sûr personne ne le voyait. Le lycée ne voyait qu'une looser obsédée par Broadway. Je préférais voir une joueuse obsédée par ma personne.

Il faut en effet le reconnaître. Sans amertume. Toi et moi, ce n'était ni de la haine, ni de l'amitié, pas vraiment de l'affection. Juste de l'obsession. J'étais tienne, tu étais mienne, parce qu'au delà des garçons, il y avait nous et notre jeu. Un jeu dangereux. Un jeu auquel on a refusé de mettre des limites. Un jeu enivrant qui peut-être nous occupera encore quelques années. Je l'espère.

Tu sais on dit souvent que les grands hommes d'affaires, ceux qui ont énormément de responsabilités ont comme plaisir coupables d'aimer se laisser dominer dans l'intimité. Je suis la femme d'affaire de ce lycée, nous formons une intimité et il me plaît de répondre à tes coups. C'est le plaisir de l'attente, de l'énigme. Je traque chaque semaine le nouveau rebondissement. Les autres s'en lassent. Pas moi. Ils ne voient rien, tandis que j'en comprends les implications.

Vos disputes m'interpellent, les nôtres me subjuguent. Tu ne devines pas Rachel l'adrénaline qui monte en moi quand tu t'avances, impétueuse, pour me crier dessus. J'ai tellement l'impression d'exister. Notre jeu me fait exister. Je suis un robot pour les autres, tout est calculé, toutes mes paroles sont pensées. Pas avec toi. Nos mots s'entrechoquent, comme nos corps quand j'ose attraper ton bras, ou te plaquer contre les casiers. J'aime nos regards pleins de défis. Dans ces moments tu ne regardes que moi, et c'est tout ce qui compte. Tu me tiens tête, et tu m'offres des enjeux. Cela doit être l'un des plaisirs d'un roi. Les guerres sont dévastatrices, mais elles seules, plus que toutes marques d'humilité ou d'amour vous font comprendre que vous êtes le maître. Tes mutineries me rappelaient que j'étais Quinn Fabray.

Parfois, je me demande tout de même si je n'invente pas. Si cette obsession n'est pas à sens unique.

Si je ne crois pas trop en toi. J'en viens à penser que je me trompe, que la Rachel que je vois n'est qu'un fantasme. Peut-être qu'en réalité il n'y a qu'une petite fille qui rêve de Broadway et d'un mari aimant comme Finn. Et puis je me ravise. Les regards que tu me lances sont trop intelligents. Non, tu joues définitivement un jeu. Oh, bien sûr, Finn est réellement l'homme de ta vie, tu y crois et je n'en pense rien. Mais avant lui, il y a le jeu. Cette danse que l'on mène depuis notre rencontre. Un pas en avant, juste assez pour se jauger, pour s'exciter, et puis un pas en arrière, pour se protéger, pour préparer la chorégraphie suivante.

Tu sais, je me fiche pas mal de Finn. Oui j'ai hurlé contre ton mariage et je t'en veux pour cela. J'ai eu peur. Le mariage est un engagement. Les engagements doivent être tenus, ils passent en priorité. Je me fiche bien que tu passes le reste de ta vie avec Finn, tant que tu continues de me préférer à lui. Mais tu m'as rassurée. Tu as annulé ton mariage. Même en fauteuil roulant, je suis toujours la première.

Nous sommes au Glee club et je te regarde. Les nationales arrivent, l'angoisse et l'impatience se lisent sur ton visage. Tu sembles contrariée également. Une rumeur concernant Finn et toi. Je n'ai qu'à jeter un œil sur son visage pour qu'elle se confirme. Il est distant, n'écoute pas du tout Shuester qui tente d'expliquer la future chorégraphie. Il se tortille sur sa chaise, lance des regards vers Puck ou Kurt de temps à autres. Je souris. Les faux-pas de Finn te frustrent, une colère en naît, et c'est à ce moment que j'interviens.

Notre vie serait monotone si nous n'étions qu'amies Rach.

Shuester continue son cours alors que je réfléchis aux différentes attitudes à adopter. Dois-je venir te voir avec un sourire de compassion pour t'inviter à la confidence. Dois-je t'ignorer afin que cette irritation gagne en puissance. Mais dans ce cas j'ai peur qu'il n'arrive à se faire pardonner avant. D'ailleurs...

Vous êtes vraiment exaspérants. Et Shuester devrait faire une formation pour devenir un vrai prof et empêcher toute démonstration d'affection en publique. Le discours et le baiser de Finn sont écœurants. Et dire que je pensais passer une bonne journée, il vient de me couper l'herbe sur le pied. Tu le regardes comme s'il était un dieu grec. Il te suivra où tu iras. Décevant. Toutefois tu me jettes un regard désolée, comme si toi aussi tu attendais notre potentielle altercation. Ce n'est que partie remise Rach. Distribution de nouvelles cartes.

Les jours passent et l'on joue toujours à être amies. Tu t'inquiètes de mes jambes. Tu semble être heureuse que j'en retrouve peu à peu l'usage. Peut-être préfères-tu un adversaire à ta taille. Cela expliquerait beaucoup de choses. Par exemple pourquoi tu t'évertuais à me remettre sur pieds après chaque désastre. Quand je suis tombé enceinte, quand Finn a appris qu'il n'était pas le père, quand j'ai dû donner l'enfant, quand les cheerios ont perdu, quand on m'a refusée la couronne, quand Finn ne cessait de te vouloir quand bien même il m'avait moi, quand j'ai perdu au jeu de « je suis avec Sam mais j'embrasse Finn », quand je suis devenue Skanks, quand j'ai merdé avec Beth. Notre jeu ne pouvait pas continuer si nous n'étions plus disposées à jouer convenablement. J'avoue en être ravie, tu me voulais moi comme adversaire, personne d'autre.

Finn te titille toujours mais pas assez. Il est hésitant mais il est tout de même dans le creux de ta main. Il te suivra c'est décidé. Je suis frustrée. Être ton amie a ses avantages mais nos accès de colère me manquent. Notre relation est moins passionnée. Je m'ennuie un peu. Toi aussi, cela se voit.

Ce soir nous sommes à Chicago. Ce soir nous allons gagner le trophée. Tous nos examens sont déjà passés. Nous savons tous ce que nous faisons l'année prochaine. Finn a réussi à intégrer une école sur New-York et tu vas à la NYADA. Tout est parfait. Je vais à Yale. L'on restera en contact. Un sourire triste s'affiche sur mon visage. Que veut dire rester en contact ?

La sonnerie retenti. Un dernier câlin de groupe et nous filons sur la scène. Je ne flanche pas. Tu es époustouflante. Nous gagnons. Libération.

Nous sommes tous dans la même chambre. Shue a ramené du champagne. Nous hurlons tous. L'euphorie nous gagne. Enfin, l'euphorie vous gagne. Je ne peux m'empêcher d'être nostalgique. La prochaine fois que je viendrais au lycée ça ne sera que pour prendre mon diplôme. Et je devrais me contenter de rester en contact. Cela paraît terne par rapport à notre relation d'avant.

Je bois par petites gorgées et continue de te fixer. Je suis mal à l'aise. Tu es heureuse alors que nous quittons le plateau. Le jeu va bientôt être remisé et l'on se sait même pas qui a gagné la partie. La colère me gagne tout à coup. Finn n'a jamais réussi à être le préféré, alors qu'il a faillit être ton mari, et une coupe devrait prendre ma place ? Je suis belle ce soir. Je me suis changée. Joe ne cesse de m'observer tout en priant pour ne pas céder à la tentation et toi tu fixes un gobelet plaqué or ?

Je ne sais plus très bien ce que tu as dit. Mais ça me suffit et je hurle. Les autres sont pétrifiés. Toi tu reprends vite contenance. Tu es dessoûlée, tu ne regardes que moi et mon corps vibre comme autre fois. On se reproche tous nos actes, mêmes s'ils n'ont jamais existés. Shue essaie de nous séparer, Finn lui explique que j'ai l'alcool colérique. Il veut te protéger mais tu le repousses. Tu le sens n'est ce pas ? C'est ce soir qu'il y aura un vainqueur. Les pions vont tomber, les navires sombrer. Tu surenchéris, il faut que nous montions en pression. Je me rapproche, tu te plaques contre le mur et me défis de venir te coincer. J'avance toujours. Je ne pense plus à rien sauf à l'adrénaline. Je suis heureuse Rach. Tant de vielles sensations, elles m'avaient manquées. Je ne sais pas ce que tu dis, tu ne m'écoutes pas non plus. Le bruit nous suffit, les lueurs de nos regards importent.

Il faut jouer, il faut abaisser sa dernière carte et je sais que j'ai perdu. Tu ne vas pas flancher et il faut une issue. Alors je me sacrifie, mais je n'abandonne pas non. Je fais pire. Je nous saborde. Je nous dévoile. Je montre aux yeux de tous notre jeu. Pardonne-moi mais je n'aime pas perdre. Si j'explose tu exploses avec moi.

Alors, d'un geste vif j'abaisse ma mâchoire au niveau de ton cou et je mords. Finn mets plusieurs secondes pour réagir. Puis il me pousse violemment. Je suis projetée dans l'un des fauteuils de la pièce.

Tu respires lourdement, repousse Finn et baisse tes yeux au niveau de la morsure. Tu la caresse doucement, et souries.

« Echec et mat, Quinn.

-Touché-coulé Rachel. »