Disclaimer : Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, mais l'histoire, si !

Couple : Harry/Draco.

Tout d'abord, je souhaiterais m'excuser.

M'excuser pour le temps affreux que j'ai mis à pondre cet OS, qui sort un an après la précédent commandé par une lectrice. Pour seule explication, je dirais que j'ai eu du mal à trouver une idée correcte et relativement courte pour ce thème qui m'a mis une pression monstre sur les épaules. Cet écrit est la 6e tentative, après d'autres qui me plaisaient mais qui m'auraient pris un temps fou. Et les OS à rallonge, ça me fatiguait d'avance, car comme vous le savez, quand j'écris, je ne m'arrête jamais...

J'espère que la personne (dont j'ai perdu le mp) appréciera ce petit OS sans prétention et tout en douceur, et il en va de même pour les autres lecteurs qui sont toujours présents, qui m'encouragent et que j'adore...

Sur ce, je vous souhaite un excellent Noël, une bonne année en avance, et je vous promets d'être plus régulière !

Je choisirai un lecteur parmi les personnes laissant des reviews pour le prochain challenge.

Bonne lecture !


L'espoir est un enfant triste

Il y eut comme une lumière derrière ses paupières. Une lumière soudaine, puissante, qui laissa un grand vide derrière elle. Quelques secondes plus tard, le ciel grondait, les nuages s'entrechoquant derrière les rideaux de sa chambre. Le bruit tonitruant de l'orage le réveilla, sans pour autant le forcer à ouvrir les yeux. Il était dans une sorte de demi-sommeil, blotti dans ses draps et la tête enfoncée dans son oreiller.

L'orage ne lui avait jamais fait peur, même enfant. Pourtant, le bruit du tonnerre se répercutant dans les pièces du Manoir avait quelque chose de terrifiant. Sa mère détestait ça, elle n'était jamais rassurée durant ces nuits-là. Il ne ressentait alors ni angoisse ni crainte… ni apaisement, quand soudain la pluie se mit à tomber, des seaux d'eau claquant sur le sol en contrebas et sur les vitres, comme un déluge.

Aux aguets, le cœur battant un peu plus vite, Draco écouta les bruits de la bâtisse. Le tonnerre explosa une nouvelle fois après avoir illuminé sa chambre un court instant. Et quand son grondement cessa, il entendit alors plus distinctement des petits pas dans le couloir, qui se voulaient discrets, mais trop précipités et trop habituels pour l'être vraiment. Les yeux clos et l'image d'un rêve qu'il poursuivait malgré tout sur les paupières, le jeune homme poussa un léger soupir en entendant la poignée de sa porte s'abaisser.

« Papa ? »

Alors, Draco ouvrit les yeux. Il ne fermait jamais ses volets, se contentant de tirer les rideaux trop minces pour vraiment contrer les rayons du soleil le matin venu. Il jeta un regard circulaire à sa chambre, s'attarda sur la silhouette de Harry que le tonnerre ne semblait pas avoir réveillé, avant de se retourner vers la porte. En dépit de l'obscurité, il distingua la forme de son petit garçon posté dans l'entrebâillement de la porte et qui tenait encore la poignée. Il se fit la vague réflexion qu'il ne devait pas être seul.

« Oui James ?

- Y'a du bruit… »

Appuyé sur un coude, Draco soupira avant de se laisser retomber sur le matelas, les yeux clos.

« Dépêche-toi. »

Aussitôt, alors qu'il se déplaçait dans le lit pour se mettre plus sur le côté du matelas, Draco entendit leurs petits pas pressés sur le parquet de la chambre puis le tapis sous le lit. Ils s'étaient levés tous les deux, l'escaladant de manière plus ou moins experte pour se lover entre lui et Harry.

Et quand l'orage éclata à nouveau au-dessus de leur tête, le jeune homme blond sentit ses enfants frissonner autour de lui et se blottir toujours plus contre eux dans le lit.

Au fil des minutes, leurs respirations s'apaisèrent, prenant un rythme plus régulier, en dépit du déluge qui était en train de noyer la bâtisse.

Et alors, Draco put se rendormir.

OoO

La salle de déjeuner était bondée. Vu l'heure, ce n'était guère étonnant, mais pour une fois, Draco aurait aimé pouvoir s'assoir à une table tranquille sans être obligé de partir en expédition pour la trouver. D'autant plus que pour une fois, ils seraient quatre à table, et comme ses collègues n'étaient pas fichus de se préparer eux-mêmes un repas à la maison, préférant la bouffe dégueulasse de la cantine, il se retrouvait tout seul à essayer de négocier une petite place en bout de tablée.

Ce ne fut pas une mince affaire, mais après une bonne dizaine de minutes, il parvint à poser son royal séant autour d'une table crade mais individuelle qu'il nettoya d'un mouvement de baguette. Il ne comprendrait jamais ces gens qui laissaient tant de saletés derrière eux, alors qu'ils travaillaient dans un hôpital et étaient donc soumis quotidiennement à des normes d'hygiène draconiennes. Et après la matinée qu'il venait de passer, son exaspération touchait presque le plafond.

Draco avait eu du mal à se réveiller, ce matin-là, et ce n'était pas uniquement à cause de l'orage qui l'avait réveillé en pleine nuit. Cela faisait deux semaines qu'il avait repris le travail et le rythme était comme toujours très intense. Aussi, sa vie de famille exigeait une grande attention de sa part depuis quelques mois et allier àde nouveau ces deux univers si diamétralement opposés n'était pas une tâche facile. Il lui faudrait encore une dizaine de jour pour retrouver le rythme et ne plus rentrer épuisé chez lui, tout juste capable d'écouter Harry lui raconter sa journée et jouer cinq minutes avec ses deux gamins.

Harry lui manquait. Terriblement. Pourtant, ils avaient passé deux belles semaines de vacances ensemble avec les deux petits et ils étaient ensemble depuis suffisamment longtemps pour qu'ils soient habitués au rythme effréné de son quotidien. Mais il fallait croire que plus les années passaient et plus sa présence lui manquait. Plus il avait la sensation de ne pas en faire assez. Il faisait beaucoup d'efforts pourtant et luttait de plus en plus pour se dégager du temps, mais il fallait croire que l'amour qu'il éprouvait pour lui ne faisait que croître avec le temps, plutôt que de se stabiliser, comme c'était le cas dans la plupart des couples.

Cet hiver, ils allaient fêter leurs douze ans d'amour. Douze ans. Quand Draco était rentré à la maison quelques temps plus tôt et qu'il avait vu un énorme douze écrit au marqueur rouge sur le calendrier de la cuisine, il était resté scotché. Il n'en revenait pas ce que cela fasse si longtemps, et surtout, que tout aille si bien entre eux, encore aujourd'hui. Ils n'étaient pas réputés pour se disputer souvent et vivaient plutôt sur la même longueur d'ondes, mais entre faire sa vie ensemble, fonder une famille, vivre au jour le jour les aléas et les joies de l'existence, et se rendre compte à un moment T que ça fait douze ans que vous êtes amoureux du même homme et qu'il ne s'est toujours pas lassé de vous… C'avait quelque chose d'incroyable et de magnifique.

Harry était magnifique, même avec son gros ventre et ses traits un peu tirés. Et la vie qu'il lui avait offerte était au-delà de tout ce dont il aurait pu rêver.

Il était en train de calculer mentalement le nombre de semaines le séparant de Noël quand ses collègues arrivèrent enfin avec leurs plateaux garnis. A une époque, il faisait comme eux, attendant avec tous les autres glandus de passer devant les cantiniers pour choisir un repas d'une qualité douteuse. Il avait fallu que Harry attende leur premier enfant pour qu'il commence à lui préparer ses repas du midi, parce qu'il s'était mis sérieusement à la cuisine et qu'il en faisait toujours trop. Depuis, c'était resté une habitude, et même si jamais il ne l'aurait avoué devant qui que ce soit, parce que c'était affreusement niais, Draco avait l'impression, avec sa boite repas, d'emmener un peu de Harry avec lui.

Et puis, bon, il fallait dire que ses collègues l'enviaient d'avoir un aussi bon repas, même si sa boite rose avec des fleurs que James lui avait choisie laissait franchement à désirer. Mais bon, après s'être occupé d'enfants pendant plusieurs années, il n'était plus à ça près.

« Désolé pour l'attente, il y avait du monde !

- Comme tous les midis…

- Pardon de ne pas avoir un petit mari attentionné qui nous prépare nos repas à la maison !

- Te cherche pas d'excuse, crétin… »

Dean s'assit à table, suivi de Malcolm et Ernie. Leurs plateaux s'entrechoquèrent, essayant de se caler sur la petite table ronde qui aurait plus convenu à trois personnes qu'à quatre. Mais pour une fois qu'ils pouvaient manger tous ensemble, ils n'allaient quand même pas s'en priver, même si Ernie ne tarderait pas à les quitter pour une opération. Ils avaient néanmoins le temps de profiter de leur pause et de discuter un peu.

Contrairement à la plupart des médicomages, Draco n'avait pas rencontré ces trois-là sur les bancs de la fac, tout simplement parce qu'il ne fréquentait pas grand monde du temps où il était étudiant, par faute de temps, et de motivation. Il avait découvert Dean grâce à sa relation avec Harry, qui se rendait fréquemment dans des espèces de réunions de Gryffondors où leurs principales activités étaient de boire de la bierraubeurre, bouffer à ne plus pouvoir tenir debout et parler Quidditch. Au prix de maints efforts, son petit ami avait réussi à le trainer dans ces rassemblements où Hermione et Dean devinrent rapidement ses points de repères, la première parce qu'elle avait une conversation civilisée et le second parce qu'il faisait les mêmes études que lui. Pour les deux autres, il s'en était rapproché durant son internat.

Depuis, les années étaient passées et leur amitié solide n'avait fait que se renforcer, même s'ils ne bossaient plus vraiment ensemble ou dans les mêmes services. Après la naissance de son premier enfant, Ernie avait décidé de se reconvertir en sage-femme, tandis que Malcolm et Dean travaillaient dans des services de chirurgie. Draco, lui, ne s'occupait que d'enfants. Malgré tout, ils essayaient de se voir le plus souvent possible le midi ou en-dehors de leurs horaires de travail, même si leur vie de famille respective le leur permettait de moins en moins.

« Ah, je mourrais de faim ! Bon appétit !

- Qu'est-ce que tu manges aujourd'hui, Draco ?

- Un reste de gratin de pâtes.

- T'as pas mangé des lasagnes, hier ?

- Harry est dans sa période pâte.

- La semaine dernière c'était les patates.

- Il a de drôles de lubies, quand même…

- Je préfère qu'il ait des lubies culinaires plutôt qu'il me fasse la vie impossible.

- T'as de la tarte au citron en dessert ?!

- James est dans sa période agrumes… »

Ignorant superbement les gloussements de ses collègues, Draco entama son repas. Son fils n'avait que six ans mais possédait déjà un sacré caractère, qui ne dérangeait pas Harry outre mesure étant donné qu'il vivait avec la version plus grande depuis plus de dix ans. Cependant, cela restait un gentil garçon très attaché à ses parents, un peu trop même, et qu'il avait fallu beaucoup rassurer à la naissance d'Elisabeth quatre ans plus tôt. Pour cette troisième et dernière grossesse, James avait paru plus apaisé et profitait allègrement de son père cloitré depuis déjà un mois chez eux, préparant la venue du bébé et s'occupant de ses enfants comme il rêvait de le faire.

Draco comptait s'arrêter courant janvier. Harry était censé accoucher en février et il voulait être présent pour s'occuper des petits avant la naissance du bébé et juste après. Ce n'était pas vraiment conventionnel chez les sorciers mais Draco se fichait bien de l'avis de ses collègues et patients, qui ne comprenaient d'ailleurs pas pourquoi Harry n'avait pas cessé son activité à la naissance d'Elisabeth pour s'en occuper pleinement avec James. A ceux-là, Draco répondait qu'ils formaient un couple moderne et que leurs enfants, si petits qu'ils soient, n'étaient pas malheureux, même s'ils allaient chez la nourrice tous les jours.

« Alors, comment va Harry ?

- Aussi bien qu'un homme enceint à trois mois du terme.

- Et vous savez enfin si c'est un garçon ou une fille ?

- Non, on va faire l'échographie demain.

- Ah, c'est pour ça que tu finis plus tôt…

- Une préférence ?

- Franchement, aucune. Autant pour Elisabeth je voulais vraiment une fille, mais là…

- Des jumeaux, ce serait drôle.

- Ah non ! Déjà que trois enfants ça va être du sport, mais alors quatre ! »

Ses collègues rigolèrent mais n'en rajoutèrent pas. Mis à part Dean qui n'avait qu'une fille, les deux autres s'étaient limités à deux enfants et n'en auraient sûrement eu qu'un seul si leurs épouses respectives ne les avait pas travaillés au corps. Leur métier était très prenant et il n'était pas vraiment dans la nature sorcière de faire beaucoup d'enfants. Concernant Draco, c'était plutôt le contraire : il rêvait d'avoir une grande famille, alors quand Harry lui avait parlé l'air de rien de son envie d'avoir un troisième, il ne fallut guère de temps à son conjoint pour ramener une potion de fertilité à la maison.

A vrai dire, Draco adorait les gamins. Pourtant, son attitude première démontrait le contraire, car il n'était pas du genre expansif ni particulièrement tactile avec les enfants. Certains collègues le trouvaient même assez dur, et au début de sa carrière, il avait essuyé nombre de critiques quant à son caractère et son manque de délicatesse. Mais Draco n'était pas le genre d'hommes à se laisser malmener par l'avis des autres. Il s'en fichait même éperdument. Il savait ce qu'il valait, et si on le jugeait trop froid ou pas suffisamment gentil avec les parents et leurs enfants, alors qu'importe. Il était ainsi et ne changerait pas.

Major de sa promotion, Draco avait tout de suite été embauché par Ste Mangouste qui depuis quelques années rivalisait d'ingéniosité pour tuer dans l'œuf toute envie d'indépendance. Car en dépit de son fort caractère et de son avis très arrêté sur certaines choses, Draco était la coqueluche de son service, aussi bien auprès des mamans que de certains papas, et encore plus des enfants qu'il semblait attirer comme un aimant. Ce qui n'avait arrêté en rien les critiques à son encontre, bien évidemment.

Draco n'avait que faire de tout cela. Il aimait son boulot et il aimait ces gamins au nez crade et à la gorge enflée qui venaient le voir tous les jours, lui apportant parfois un dessin parce qu'il était leur médicomage préféré et léchant une sucette chourée dans le gros bocal en forme de citrouille posé sur un coin de son bureau. Et ces familles qu'il voyait tous les jours, il avait tant caressé le rêve d'en faire un jour partie que quand Harry lui parlait de faire un enfant, Draco ne pouvait que céder à sa demande. Car à ses yeux, rien n'était plus beau qu'un gamin.

Et rien n'était plus beau que de découvrir Harry pieds nus dans la cuisine, les mains sur le ventre et un grand sourire sur le visage, parce que ça y est, l'aventure commence.

« Au fait, je me demandais ! Ton orphelinat organise toujours une collecte chez les Weasley ?

- Ouais, toujours.

- C'est quand ?

- Je sais plus, je crois que c'est mi-décembre. Je ne suis pas trop au courant de ce genre de truc, c'est plutôt Harry qui aime bien gérer ça.

- C'est un peu mort pour lui, cette année.

- Ah, mais je lui ai interdit de participer ! Ce serait mauvais pour le bébé !

- Tu verras qu'il va quand même faire une petite apparition…

- Qu'il apparaisse s'il le souhaite, mais assis sur une chaise !

- Tu me fais trop rire !

- Vous allez fêter le réveillon là-bas ?

- Je pense. J'en sais rien. C'est la première fois qu'e Harry est enceint à Noël.

- Nous, on a prévu de partir au Canada cette année !

- Sérieux ?!

- Ouais, Megan a envie de passer les fêtes dans sa famille. Et je vais pas m'en plaindre !

- Tu m'étonnes !

- Nous c'est avec la belle-famille, comme chaque année… »

En silence, Draco écouta Dean et Malcolm se plaindre de leur sort. Il n'avait pas grand-chose à leur dire pour leur remonter le moral, étant donné que ni lui ni Harry n'avaient encore leurs parents. Enfin, ceux de Draco étaient toujours en vie mais enfermés en des lieux peu hospitaliers où il ne s'était jamais aventuré à leur rendre visite. Ainsi, il n'avait plus de nouvelles de ses parents et ce n'était pas vraiment un mal. Il y avait des moments où ils lui manquaient, et il avait failli franchir le pas à la naissance de James, car il avait eu l'envie que sa mère, au moins, connaisse l'existence de son fils. Mais c'aurait sans doute été malvenu de lui apprendre par la même occasion qu'il était marié à celui qui avait causé leur perte, et si elle était déjà au courant, cette nouvelle ne la remplirait pas de joie. Ainsi, Draco avait renoncé et avait enterré définitivement ses parents dans un coin de son esprit, malgré les encouragements de son compagnon et de ses proches.

Au fond, cette situation ne le rendait pas vraiment malheureux. Au fil des années, il s'était construit une famille à lui, avec des amis, des grands-parents de substitution pour ses enfants, des tantes et oncles à n'en plus finir et un mari incroyable qui faisait son bonheur depuis douze longues années. A l'époque où sa vie avait basculé, rien ne laissait présager un tel destin et il remerciait le ciel d'avoir mis des gens exceptionnels sur sa route.

Durant quelques instants, Draco laissa ses pensées vagabonder vers ses parents, qu'il ne reverrait plus jamais, et dont les erreurs lui avaient permis d'être l'homme qu'il était à présent. Un homme avec ses défauts et ses torts, mais un homme bien, malgré tout.

OoO

En dépit d'un ravalement de façade et de quelques travaux consistant à agrandir les dortoirs et la salle de repas, l'orphelinat Beatrix Bloxam n'avait guère changé en quatorze ans. A ses yeux, il restait le même grand et vieil édifice de pierre faisant vaguement penser à un manoir hanté les nuits de pleine lune. L'attitude très conservatrice de Mr Fish, son directeur, n'aidait pas non plus l'édifice à se faire une jeunesse. Cela dit, bien qu'il lui soit paru terrifiant la première fois qu'il y avait mis les pieds, Draco ressentait en le voyant un grand sentiment de bien-être. Comme celui qu'on ressent quand on rentre chez soi.

Pour la forme, Draco toqua à la porte, puis il souffla un mot de passe et entra dans la demeure. L'odeur si particulière du vieux bois ciré et celle indescriptible que seuls des enfants peuvent laisser derrière eux l'imprégnèrent aussitôt. Il ferma les yeux un instant, puis fit quelques pas dans le hall vide qui ne le resta pas bien longtemps, car déjà, il entendait des pas pressés dans les escaliers et un cri fusa tandis qu'il levait la tête.

« Draco !

- C'est Draco ?

- Il est là ! »

Le médicomage leur adressa un sourire et attendit patiemment que les jeunes filles descendent les escaliers. Elles étaient cinq et rayonnaient de plaisir de le voir, bien qu'il soit passé deux jours plus tôt pour soigner une de leurs copines. Il avait beau être habitué, Draco trouvait toujours cela agréable d'être accueilli ainsi, même après toutes ces années. Après tout, cela faisait déjà onze ans qu'il avait pris son indépendance et à peu près neuf qu'il ne travaillait plus ici. Il n'aurait guère été étonné que l'affection des orphelins à son égard décline, d'autant plus que les plus grands étaient pour la plupart partis à Poudlard. Ainsi, ça lui faisait du bien de voir que malgré les années, cette demeure restait la sienne, dans le cœur du directeur et dans celui des enfants qui y vivaient.

Les filles, qui devaient sans doute commérer en haut des escaliers, lui firent des câlins puis lui attrapèrent les mains pour l'emmener à l'étage. La procédure habituelle voulait qu'un adulte de l'orphelinat l'emmène chez le directeur ou que ce dernier vienne le chercher lui-même pour l'emmener auprès de sa patiente. Cependant, Mr Fish lui accordait une telle confiance qu'il arrivait régulièrement que Draco monte seul, croise quelques nourrices, en attrape une au passage et s'en aille soigner l'enfant malade. Il avait toujours eu des passe-droits, dans cette maison, et ce n'était pas maintenant que cela allait changer.

L'emprisonnement à vie de ses parents et le lourd procès qui les avait conduits à cette condamnation avait eu de lourdes répercussions sur leur fils unique, à savoir la confiscation de tous ses biens jusqu'au décès du couple et le déroutant statut d'orphelin. Sans un sou en poche et face à un avenir incertain, Draco s'était retrouvé face à deux options : abandonner ses études pour trouver un travail et un logement, avec l'espoir que quelqu'un lui fasse confiance au vu des circonstances, ou bien s'adresser à un orphelinat qui couvrirait ses frais jusqu'à ses vingt ans, le temps qu'il rebondisse. Terrifié et au bord du gouffre, le jeune homme avait envoyé de nombreuses lettres à différentes établissements, et le seul qui lui avait répondu, c'était Beatrix Bloxam.

Le directeur, Mr Fish, était un homme incroyable, d'une extrême générosité et d'une grande clairvoyance. Il avait su voir en lui autre chose qu'un jeune homme pourri d'orgueil et de suffisance, et plutôt que de l'éconduire, il avait préféré faire un pari sur l'avenir et lui faire confiance. Ainsi, du jour au lendemain, la veille de ses dix-huit ans, Draco intégra l'orphelinat Beatrix Bloxam avec pour condition de travailler bénévolement dans l'établissement, sans jamais percevoir le moindre salaire, et ce durant deux ans.

Là où certains auraient perçu cet arrangement comme dégradant, Draco y avait vu une chance à peine croyable. A l'époque, il n'y connaissait rien aux enfants et il se sentait beaucoup trop jeune, égoïste… pour leur apporter un tant soit peu d'affection. Mais ce que cet homme lui avait offert ce jour-là, c'était une maison, un point de repère dans son existence sans dessus dessous, une incroyable leçon de vie et une source inépuisable d'amour qui aujourd'hui encore lui donnait la force d'avancer, quand certains soirs il réalisait qu'il n'était qu'un être misérable qui ne méritait ni Harry ni cette vie merveilleuse qu'ils partageaient ensemble.

Cet arrangement avait duré trois ans, car à l'aube de son vingtième anniversaire, Draco n'avait ni l'envie ni le courage de quitter cet endroit. Il avait fallu qu'il tombe éperdument amoureux d'Harry pour que l'idée de partir devienne une évidence, et parce que son homme était un monstre de compréhension, le départ avait pu se faire en douceur. En effet, Harry lui avait permis de continuer à travailler à l'orphelinat, d'abord bénévolement puis en échange d'un salaire quand un employé démissionna. Draco n'avait ainsi pas eu la sensation d'être arraché à sa maison et les enfants s'étaient faits petit à petit à son départ. Même si, quelque part, il n'était jamais vraiment parti.

En effet, il n'avait cessé de travailler à l'orphelinat que pour mieux étudier et proposer ses services de médicomage gratuitement, en remerciement pour tout ce que Mr Fish avait fait pour lui. Bien évidemment, le directeur avait longtemps essayé de le payer, arguant qu'il ne lui devait plus rien depuis fort longtemps, mais c'était sans compter l'obstination de Draco et surtout, une petite parole que Harry avait dit un jour, l'air de rien, les mains posées sur son ventre.

« Cet orphelinat fait parti de lui. C'est comme ça et on ne peut rien y faire. »

Mr Fish s'était alors fait une raison et acceptait ses visites avec un mélange de plaisir et de soulagement. Ses visites régulières leur avait permis d'économiser des frais de médicomages, qui eux avaient sévèrement tiré la tronche. Aussi, le directeur avait la certitude que son ancien pensionnaire mettrait tout en œuvre pour venir les aider que ce soit le jour même ou bien le lendemain. C'était un vrai soulagement pour l'orphelinat, mais aussi pour les enfants qui l'adoraient, pour la plupart, et qui lui accordaient une certaine confiance, que ses confrères n'avaient sans doute pas.

A présent, Draco n'était plus un jeune médicomage, il était père de famille. Pourtant, il continuait à venir aussi régulièrement qu'autrefois, quand il n'allongeait pas sa journée de travail pour accueillir Mr Fish et quelques enfants mal-portants, sans jamais demander la moindre mornille à l'établissement. Comme disait Pansy, il n'avait pourtant plus de dettes à rembourser. Et comme disait Harry, ça faisait partie de lui.

Et tant que Harry lui dirait qu'il pouvait continuer… Draco n'avait guère de raison de tout arrêter.

En chemin, ils croisèrent Jaiman, qui poussa tout le monde pour lui faire un gros câlin. Il ne se passait pourtant pas une semaine sans qu'ils ne se voient, mais Jaiman étant ce qu'elle était, elle n'en avait que faire. Elle n'en faisait déjà qu'à sa tête quand elle était nourrice, mais depuis qu'elle était passée chef de la section des grands, cela n'avait fait qu'empirer. Et plutôt que de la repousser, Draco la garda quelques instants dans ses bras, respirant son odeur et se laissant bercer quelques secondes par d'agréables souvenirs, du temps où ils organisaient tous les deux les ateliers pour occuper les mômes et qu'ils se retrouvaient plus à faire les cons avec eux qu'à les encadrer.

« Oh mon Draco, ça fait tellement plaisir de te voir !

- Moi aussi. Mais qu'est-ce que tu fais encore là à cette-heure-ci ?

- Bénédicte est malade, du coup je fais des heures sup'. Tu viens pour qui ? La petite Rebecca ? Ah, j'ai Matthew, je crois qu'il me couve quelque chose. Tu veux bien regarder ? »

Draco hocha la tête et la suivie dans le dédale des dortoirs jusqu'à la chambre du petit Matthew qui toussait comme un perdu. Le médicomage l'examina, diagnostiqua une petite bronchite, prescrivit une potion pour apaiser tout ça puis quitta la chambre pour trouver le directeur, ne sachant pas pour quels enfants il était venu. Jaiman sur les talons, il quitta les dortoirs des grands, non sans préciser à son ancienne collègue qu'il pouvait très bien se débrouiller tout seul. Pour toute réponse, elle lui fit un grand sourire, comme ceux qu'elle esquissait quand elle lui parlait et qu'il n'avait rien écouté de ce qu'elle lui racontait.

En chemin, ils croisèrent d'autres orphelins qui prenaient tranquillement le chemin de leur dortoir, quand ils n'auraient pas déjà dû être au lit, pour les plus jeunes. Quand il était jeune, Draco aimait bien ce genre de moments, même s'il passait alors le plus clair de son temps à courir après les petits rigolos qui n'avaient pas envie de dormir, surtout le week-end ou en période de vacances. Et il fallait croire que rien n'avait changé car ce soir Jaiman s'était occupée des petits et c'était toujours la même galère.

A une époque, Draco était persuadé que Jaiman finirait par quitter l'orphelinat. Après tout, elle était maman de trois enfants, son mari gagnait correctement sa vie et elle avait parfaitement conscience qu'il y avait une vie en-dehors de cet endroit. Orpheline, elle avait quitté les lieux à sa majorité pour finalement se briser les ailes et se trainer dans cette demeure, où elle avait réussi à trouver un sens à sa vie. Depuis, les années étaient passées, et contrairement à ses prévisions, Jaiman travaillait toujours ici. Un peu moins qu'avant, parce qu'elle avait une famille, des amis, mais elle était toujours là, à essayer d'être une grande sœur, une figure maternelle pour ces pauvres gosses qui finiraient peut-être comme elle, assoiffés de liberté et si prompts à se casser la figure.

Draco adorait Jaiman. Elle était une sorte de grande sœur, à qui il pouvait confier ses soucis sans qu'ils ne parviennent d'une manière ou d'une autre aux oreilles de son mari et qu'il soutenait corps et âme quand c'était elle qui ne savait plus quoi faire. Quelque part, il aurait aimé qu'elle s'envole d'ici et qu'elle se libère de ses peurs. Mais comme disait Harry, la vie dehors l'avait trop cassée pour qu'elle puisse s'y faire une petite place. Elle était comme lui, plus heureuse avec des enfants partout qu'avec des adultes qui peuvent vous briser comme d'un rien.

« Comment va Tami' ? Et Monsieur ?

- Monsieur va bien, même s'il a beaucoup de boulot en ce moment. Et Tami'… Bah bien, écoute. J'ai hâte que les autres rentrent de Poudlard, ils me manquent, tu sais.

- T'imagines quand Tami' va les rejoindre ?

- Mon chéri m'a dit qu'au pire, on en fera un autre.

- Et tu as répondu ?

- Qu'il pouvait aller se faire foutre.

- Et il a rigolé ?

- Ouais… Tu te rends compte ? Il réagit même plus maintenant quand je l'envoie chier… »

Draco ricana en pensant à l'époux de Jaiman qui devait s'occuper de leur petit dernier, qui était sans aucun doute l'accident le plus mignon qui avait pu arriver dans leur vie.

« Harry va bien ?

- Oui, ça va. Il est dans sa période pâtes.

- Je le comprendrai jamais, ton mec…

- Ecoute, si ça lui fait plaisir, il peut… »

Sur le coup, Draco oublia ce qu'il voulait lui dire. Il oublia, car soudain, ses yeux se posèrent sur une jeune fille qui venait vers eux, la démarche lente et posée, et le regard si calme que rien ne semblait pouvoir l'ébranler. En le voyant, elle esquissa un joli sourire et Draco se sentit se perdre dans son si joli visage, qu'il avait quasiment vu naître.

« Bonsoir, Draco. Comment vas-tu ? Ca fait un moment.

- Bonsoir, Hope. Très bien, je te remercie. Et toi, comment te portes-tu ?

- A merveille. Tu viens pour moi ?

- Non, pour des petits.

- D'accord. Tu m'accompagnes toujours chez la gynécologue mardi ?

- Oui, bien sûr. Sauf si tu veux que quelqu'un d'autre…

- Non, je veux que tu viennes avec moi. Si ça ne te dérange pas…

- Bien sûr que non, ma belle.

- Merci, tu es vraiment gentil. »

Hope lui fit un sourire renversant, puis se mit sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue. Enfin, après un mouvement de tête envers Jaiman, elle reprit son chemin tranquillement.

Il y eut un silence entre eux. Puis, son ancienne collègue tourna la tête vers lui et lui jeta un regard en haussant le sourcil.

« Ca fait combien de temps que tu ne l'as pas vue ?

- Une semaine.

- Je trouve qu'elle a grossi.

- Moi aussi.

- Elle bouffe pas des masses, pourtant.

- Elle en est à combien, déjà ?

- Six mois.

- Comme Harry.

- Ouais, comme Harry. Drôle, hein ? »

Draco ne savait pas si c'était drôle, alors il préféra hausser les épaules. De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à dire.

Le cœur lourd, Draco reprit sa marche, et cette fois, Jaiman resta silencieuse. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes, mais il y avait des moments comme celui-ci où il valait mieux se taire. Alors, sans un mot, ils rejoignirent le bureau de Mr Fish, qui devait encore travailler malgré l'heure tardive. Et effectivement, ils le trouvèrent en train de lire des courriers, la mine concentrée et le regard fatigué.

Comme toujours, la porte du bureau était ouverte, alors Draco y toqua pour la forme et entra dans la pièce. Aussitôt, le directeur de l'orphelinat leva la tête et esquissa un grand sourire, de ceux qu'il accordait aux enfants qu'il n'avait pas croisé depuis un moment. Et malgré ses trente-deux balais, Draco se sentait toujours comme un môme quand cet homme le regardait, avec cette douceur dans les yeux et cette espèce de tendresse paternelle dans la voix.

« Oh Draco, quel plaisir de te voir ! C'aurait pu attendre demain matin, tu sais !

- Avec vous, ça peut toujours attendre demain matin. »

L'homme eut un léger rire puis il se leva. Après avoir contourné son bureau, il s'avança vers lui et lui serra chaleureusement la main avant de le remercier de s'être déplacé à une telle heure alors qu'il avait un mari enceint qui l'attendait à la maison. Draco lui répondit par un sourire.

« John, tu veux que je l'emmène ?

- Oh non, je vais l'accompagner. Ca va me dégourdir les jambes. Rentre donc chez toi, ton mari va se poser des questions.

- Je crois qu'il s'est résolu à l'idée que vous ayez une relation très particulière.

- Draco ! Mais quelle idée !

- Mais c'est tellement ça, en plus…

- Arrêtez vos bêtises ! Rentre chez toi Jai', va t'occuper de ton petit. Et toi, viens avec moi, tu as du travail.

- Vous voyez que ça ne pouvait pas attendre demain. »

Les joues rouges d'embarras, Mr Fish lui attrapa le poignet et le tira vers lui. Draco se retourna pour adresser un clin d'œil à son ancienne collègue qui lui envoya un baiser. Ensemble, ils passèrent en revu les dortoirs des petits où il y avait en effet une petite épidémie de rhumes et de toux sèches. Habitué à cette petite routine de l'hiver, Draco avait amené quelques remèdes avec lui qu'il laissa au directeur. Enfin, ils regagnèrent son bureau afin qu'il lui règle le prix des potions, car autant le directeur acceptait ses généreuses prestations, autant il se faisait un point d'honneur à payer chaque remède.

« Eh bien Draco, merci d'être venu. Nous avons eu de la chance cette année, mais il suffit d'un enfant pour que tous tombent malades…

- Je vous en prie, ça ne me dérange pas.

- Comme va Harry ?

- C'est marrant, on m'a posé la question toute la journée…

- Il n'est guère commun pour un homme de mener une troisième grossesse, surtout quand on a miseu tant de mal à faire naître son deuxième enfant.

- Harry suit son traitement et se porte comme un charme, ne vous en faites pas. Il cuisine, prépare la chambre du bébé, joue avec les enfants… Tout va bien. »

Le directeur le regardait en souriant. Cet homme n'avait pas eu une vie facile, et après le décès de sa femme dans un incendie, il s'était retiré du monde pour se consacrer pleinement à cet orphelinat où chaque enfant, quelque soit son origine, ses problèmes, ses souffrances et son caractère était comme une petite partie de lui. Il avait renoncé depuis longtemps à fonder sa propre famille et même à vivre ailleurs, préférant consacrer son temps et son énergie à des enfants qui n'avaient plus rien, mis à part lui.

Quand Draco était parti, Mr Fish avait été partagé entre le soulagement et la tristesse, entre la joie de le voir s'envoler de ses propres ailes et la peine de ne plus pouvoir compter sur lui au quotidien. Mais parce qu'il était un homme de cœur, il l'avait toujours soutenu dans toutes ses démarches et il avait été là quand ils avaient décidé d'avoir un enfant et que le corps d'Harry refusait de concevoir leur enfant. Il avait été là pendant cette si longue et pénible année, où Harry pleurait chaque début de mois parce que le traitement ne marchait pas. Le directeur avait été cette oreille attentive dont il avait tant eu besoin, cette figure paternelle qui lui manquait tant à cette période cruciale de sa vie d'homme.

« Vous venez toujours préparer des biscuits, samedi ?

- Oui, bien sûr. Harry et James adorent ça. Mais dites-moi… J'ai croisé Hope dans le couloir et…

- Ah, Hope. Douce et gentille Hope. »

Le regard du directeur s'assombrit de tristesse. Il lui parut soudainement plus vieux qu'il ne l'était vraiment et Draco regretta d'avoir abordé le sujet. Mais la revoir après l'avoir tant fuie depuis une semaine avait bousculé quelque chose en lui et il ne pouvait guère se taire.

« Comment la trouves-tu ?

- Plutôt bien. Jaiman trouve qu'elle a grossi. Et je me demande si ce n'est pas un peu le cas.

- C'est normal qu'elle grossisse, elle est enceinte.

- Oui, mais… Je ne sais pas. Ça me chiffonne.

- Elle doit manger en cachette, ça ne m'étonnerait pas. Moi, je trouve son regard infiniment triste… »

Il avait raison. Cruellement raison. Mais Draco refusa d'aller dans son sens, car cela ne ferait que le blesser plus encore, et Mrs Fish n'avait définitivement pas besoin de ça.

« Tu l'accompagnes toujours mardi pour son échographie ?

- Oui.

- Tu sais que c'est elle qui t'a choisi ?

- Oui, Jaiman me l'a dit.

- Tu sais pourquoi ?

- Pas du tout. Mais comme elle voulait que ce soit moi, j'ai dit oui… De toute façon, je ne la verrai pas nue, et je l'ai quasiment vu naître, cette gosse.

- Elle est en rejet, en ce moment, tu sais. Elle n'obéit plus aux nourrices, il n'y a que Jaiman qui a encore de l'autorité sur elle. C'est pour ça que je me pose la question, même si je sais qu'elle t'a toujours beaucoup aimé.

- John, Hope n'est pas amoureuse de moi. Nous ne sommes pas dans le même cas de figure que Cassiopée.

- Je l'espère, Draco. Je l'espère. »

Draco lui tapota gentiment l'épaule et parvint à lui arracher un sourire. Puis, après quelques mots, le médicomage rentra chez lui, le cœur lourd et l'estomac noué.

OoO

Cela faisait un peu plus de sept ans qu'ils avaient acheté la maison. Devenir propriétaire était devenu une nécessité quand l'idée du mariage l'avait effleuré, un beau matin où Harry préparait le petit déjeuner en débardeur et caleçon dans la cuisine tout en écoutant une vieille chanson des années quatre-vingt. Depuis qu'il était enfant, Draco nourrissait une sorte d'idéal qu'il parvint à concrétiser quelques mois plus tard en acquérant cette demeure somme toute plutôt modeste mais confortable et située dans un quartier paisible de la banlieue londonienne.

Cette maison dégageait quelque chose d'apaisant. La première fois où il y avait mis les pieds, malgré l'absence de meubles et la froideur des murs tout juste repeints, Draco s'y était senti incroyablement bien. Il aimait ses grands espaces bien répartis, la vieille cheminée du salon et le petit jardin où il s'était imaginé jouer avec ses futurs enfants. Il s'était tant projeté dans cette maison en quelques minutes que quand il s'était tourné vers Harry, l'idée qu'il puisse ne pas l'aimer ne l'avait même pas effleuré.

Draco aimait sa maison. Il l'aimait plus qu'il ne voulait bien l'admettre. Elle était son repaire, le centre de son univers, un endroit rassurant où il avait la sensation que rien ne pouvait l'atteindre. Pourtant, la vie de couple n'était pas tous les jours facile et Draco se savait pénible. Malgré tout, cette maison était l'endroit qui comptait le plus à ses yeux, car l'être auquel il tenait le plus au monde y dormait chaque nuit.

Comme tous les soirs, Draco traversa le portail, gravit les quelques marches du perron, souffla le mot de passe tout en insérant la clé dans la serrure puis rentra chez lui. Aussitôt, il entendit des petits pas dans le couloir accompagné de « Papa ! » en veux-tu, en voilà. Le médicomage eut à peine le temps de retirer ses chaussures que ses deux bébés surgissaient du salon, en pyjama et la mine encore énergique. Comme tous les soirs quand il faisait un détour par l'orphelinat, les enfants avaient déjà mangé et attendaient son retour pour pouvoir aller dormir. Cette routine faisait hurler Pansy au début, car elle estimait que Harry n'avait pas à s'occuper seul des enfants le soir. Elle avait cessé quand le principal concerné l'avait gentiment envoyé se faire foutre.

James et Elisabeth se jetèrent dans ses bras, et comme tous les soirs, Draco les serra fort contre son cœur. Ils sentaient bon le savon à la pomme et ils étaient si beaux, par Merlin, ils étaient si beaux qu'il y avait des moments où Draco se demandait s'ils étaient bien ses enfants. S'il ne vivait pas un rêve éveillé, où il s'imaginait avoir fondé une famille avec un homme dont il était éperdument amoureux. Et puis, il saisissait leurs visages dans ses mains, redécouvraient ses yeux au milieu des tâches de rousseur de son fils et son sourire sur le visage gracieux de sa fille, et il se rappelait que oui, ils étaient bien de son sang.

« Bonsoir, mes amours. Vous avez passé une bonne journée ?

- Oh oui !

- On a fait un gâteau avec P'pa !

- Un gâteau avec du jus de citron !

- Du jus de citron…

- Oui ! Et demain, il fera de la viande avec du jus d'orange !

- Je vois… Vous avez bien été sages avec P'pa ?

- Bah oui !

- Il avait besoin de nous !

- Il est tout vert notre gâteau ! »

Ces mômes étaient de vrais moulins à paroles, mais il les voyait si peu que c'était un vrai plaisir d'entendre leurs voix. Plus que la maison, elles étaient un peu comme le sas lui permettant de passer d'un univers à un autre. Même si le plus efficace restait cet être posé contre l'encadrement de la porte et qui le couvait de ce regard indescriptible, tant il contenait d'amour et de tendresse.

« Bonsoir, Chéri.

- Bonsoir. Tu rentres tard.

- Désolé…

- C'est pas grave. Les enfants, on va se coucher ?

- Je vais m'en occuper. Tu as mangé ?

- Non, je t'attendais.

- Va t'assoir alors, j'arrive. »

Draco se leva, caressa les cheveux de ses enfants, puis s'approcha de son mari emmitouflé dans son peignoir pour le prendre dans ses bras et l'embrasser. Aussitôt, Harry se blottit contre lui, comme il le faisait toujours quand il était particulièrement fatigué. Draco chuchota dans sa bouche qu'il allait faire vite, Harry hocha la tête avec un sourire. Enfin, Draco saisit les mains de ses enfants et les emmena au lit.

Quelques minutes plus tard, après leur avoir lu une histoire et les avoir couché dans leurs lits respectifs, Draco rejoignit son conjoint dans la cuisine. Assis sur une chaise avec une tasse de thé chaud entre les mains, il regardait la télévision posée sur le frigidaire. Il bougea à peine quand Draco se dirigea vers le four où les attendait leur repas.

« Qu'est-ce que tu regardes ?

- Un reportage sur les élections moldues américaines.

- Et c'est intéressant ?

- Autant qu'une conférence sur les droits et devoirs des géants au sein de la société sorcière.

- Tu ne t'en es toujours pas remis…

- Retire-moi ce sourire, je te prie.

- Et tu sais c'est quoi, le pire ?

- Que je me fais avoir à chaque fois ?

- Exactement ! »

Harry lui tira la langue avant de lever fièrement le menton, l'imitant avec un savoir-faire que conféraient de trop nombreuses années de vie commune. Le sourire aux lèvres, Draco sortit le plat du four, découpa des parts de lasagnes et les servit en écoutant vaguement le discours du journaliste, dont il ne comprenait pas grand-chose. A vrai dire, le monde moldu ne l'intéressait pas vraiment, et encore moins tout son aspect politique. Harry aimait bien s'informer de temps en temps, comme Hermione d'ailleurs.

« Tiens, bon appétit.

- Bon appétit ! »

Harry posa sa tasse sur le côté et se désintéressa du poste. L'air de rien, Draco lui demanda quand est-ce que Hermione repartirait à l'étranger pour donner des conférences sur le droit des hybrides. La fourchette à la main, Harry haussa les épaules sans lui répondre. Draco insista un peu car il leur faudrait s'organiser, étant donné que généralement elle leur confiait ses enfants quand elle se déplaçait, mais Harry garda le silence. Puis, après avoir avalé une bouché, il leva les yeux vers lui d'un air las.

« Tu sais, moi, les histoires d'amour des autres, ça me passe un peu par-dessus la tête.

- Oui je sais, mon cœur, mais là…

- Pourquoi tu ne demandes pas à Blaise ?

- Parce que Blaise me fait la gueule ?

- Et Théodore ?

- Il est comme toi, la vie intime des autres ne l'intéresse pas.

- Ecoute, on verra bien, hein. De toute façon je suis enceint donc je suis toujours à la maison.

- Chéri, il est hors de question que je te laisse seul avec quatre enfants dans ton état.

- Pour ce que ça change… »

Ça changeait beaucoup de choses, mais la vérité, c'était que Harry préférait ne pas y penser. Cela faisait déjà un an que Hermione et Blaise s'étaient séparés, sans divorcer, et qu'ils menaient des vies parallèles en se jetant mutuellement des bâtons dans les roues, se privant de l'amour de l'autre sans tolérer que qui que ce soit les remplace. Cette situation devenait de plus en plus compliquée, car ni Draco ni Harry ne souhaitaient prendre de position et cela leur était reproché des deux côtés, ce qui aboutissait à des disputes courtes mais intenses qui les laissaient parfois plusieurs semaines sans nouvelles. Jusqu'à ce qu'un déplacement ou souci quelconque les amène à garder leurs gamins.

Cette situation lui pesait beaucoup. Il savait qu'ils s'étaient séparés en grande partie parce que leurs carrières respectives les éloignaient toujours plus l'un de l'autre. Hermione voulait un mari plus présent et Blaise avait eu du mal à gérer la montée en puissance de sa femme qui était devenue une avocate redoutable et des plus sollicitées. Draco peinait à comprendre comment la réussite de l'un pouvait blesser l'autre. Harry avait beau n'être que masseur, il avait toujours de hautes responsabilités en vertu de son statut de héros national, et tous les ans, il était invité à de grands évènements auxquels Draco participait de façon très discrète. Cela dit, il pouvait concevoir que l'absence de l'autre puisse favoriser les conflits et malmener un couple. Néanmoins, à ses yeux, Blaise et Hermione faisaient une erreur en se torturant ainsi depuis un an, et en malmenant chaque semaine leurs enfants.

« Ne te prends pas la tête, mon Chéri. On a l'habitude.

- J'aurais préféré qu'on ne l'ait pas.

- Ils finiront sûrement par se remettre ensemble.

- J'en suis pas certain.

- Oh, tu verras.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Peut-être le fait qu'ils se voient régulièrement ?

- Comment ça ?

- J'ai ouïe dire par Ron qu'ils déjeunaient régulièrement ensemble. Apparemment il les croise souvent sur le Chemin de Traverse.

- Sérieux ?!

- Ouais. Il sait pas trop ce que ça veut dire, parce que bon, si Hermione songeait à divorcer, elle nous l'aurait dit quand même, et ça ne se fait pas comme ça, mais apparemment ils se revoient de temps en temps.

- Il y a de l'espoir, alors.

- Je suppose. Déjà, le fait qu'ils n'aient pas divorcé montre que…

- Ca ne veut rien dire.

- Oh si. Si je ne supportais plus ta manière de gérer ta vie et que je voulais m'en aller, je ne resterais pas marié avec toi.

- C'est un reproche ?

- C'en sera un si tu ne me dis pas pourquoi tu as été si long. Tu es plus rapide d'habitude.

- Grosse épidémie de rhumes et toux en tout genre…

- Ah, c'est la saison.

- Ouais. Et puis j'ai rencontré Hope. Ca m'a… perturbé. »

Il y eut un silence. Harry le regarda quelques secondes, puis il tendit la main pour attraper la sienne et la caresser. Alors Draco courba le cou et y déposa un baiser.

« Comment elle va ?

- On n'a pas beaucoup discuté, mais elle semble aller bien. Du moins elle sourit. Mais ça ne veut pas dire grand-chose.

- Pauvre gosse.

- Si je peux me permettre…

- Oui, je sais, elle est fautive et quelque part elle l'a sans doute bien voulu, mais quand même, c'est une pauvre gosse. »

Draco haussa les épaules. Il savait que Harry avait raison et malgré tout il continuait à penser que Hope était la grande fautive dans cette histoire, même s'il ne concevait pas qu'un adolescent de son âge ou plus âgé puisse envisager une relation sexuelle sans protection. Sans être de grands amateurs de préservatifs, les sorciers rivalisaient d'ingéniosité pour éviter tout accident ou maladie, et pour avoir fait de la prévention avec Jaiman pendant des années à l'orphelinat, Draco pensait vraiment que ce genre d'accident ne se reproduirait plus. A vrai dire, mis à part quelques filles en souffrance et nourrissant un besoin viscéral de fonder une famille, les orphelins avaient toujours fait preuve d'un comportement exemplaire.

Et puis, il y avait eu Hope. Petite, fragile et douce Hope, qui était arrivée un beau matin dans l'orphelinat suite au décès de son père et au suicide de sa mère. A l'époque, Draco était passé employé à temps partiel et Jaiman avait eu la charge de s'occuper personnellement de cette petite poupée de quatre ans. Souvent, sa collègue la comparait à un petit fantôme, car Hope ne parlait pas, ne souriait pas et restait dans son coin, à regarder les autres vivre pendant qu'elle se laissait mourir, espérant peut-être que les grandes ombres de l'orphelinat viendraient la happer et faire cesser ce cauchemar.

Hope était une enfant triste. Et quand il la voyait errer dans les couloirs, la tête basse et les mains dans les poches, Draco sentait son cœur se serrer.

Mais il y avait d'autres enfants autour de lui qui avaient les mêmes besoins de cadre, d'affection et de soutien. Alors, plutôt que de se laisser malmener par cette petite fille singulière dont la vie venait tout juste de basculer, le blond avait poursuivi sa tâche sans laisser la mélancolie pénétrer son cœur. Après tout, il y avait des enfants en situation plus terrible encore dans cet établissement. C'était difficile, mais la vie poursuivait son cours.

Au fil du temps, Hope s'était habituée à son nouvel environnement et il fut de moins en moins difficile pour Draco de la croiser au détour d'un couloir. Elle parvint à retrouver un semblant de sourire et communiquait davantage avec ses camarades. Elle avait presque retrouvé sa joie de vivre quand une tante éloignée vint la chercher un beau matin, l'emmenant loin de cet orphelinat rempli d'enfants comme elle et se partageant l'affection de leurs nourrices. Et sans doute était-elle redevenue une petite fille comme les autres quand sa tutrice décéda un an plus tard.

Quand Hope réintégra l'orphelinat, l'idée de l'adopter l'effleura. Jusque-là, Draco n'avait jamais songé à cette possibilité étant donné qu'il travaillait depuis des années à l'orphelinat et qu'il voyait ainsi les enfants régulièrement. Par ailleurs, adopter un enfant reviendrait à fonder une famille et ce n'était pas encore à l'ordre du jour. Mais quand il demanda la main d'Harry, peu après avoir obtenu sa titularisation, adopter Hope, l'emmener loin de cet orphelinat qu'elle détestait, lui redonner le sourire, la joie de vivre et cesser de voir des larmes dévaler ses joues aux moments les moins opportuns, devint une envie presque obsédante, à tel point qu'il lui fut rapidement impossible de le cacher son fiancé.

Mais ce dernier, peu conscient de ce qui se tramait dans son esprit, l'assit à la table de leur petite cuisine, lui prit les mains et fixa en douceur les règles fondamentales de leur mariage à venir.

Si Draco approuvait chacune d'entre elles, la dernière lui coupa quasiment la respiration. Car dans cette petite cuisine qu'ils avaient aménagée à deux, où ils avaient vécu tant de bons moments et qu'ils s'apprêtaient à quitter pour une autre plus grande, avec de plus jolis meubles et de grands murs clairs, Harry lui avait dit, les yeux dans les yeux, qu'il voulait fonder une famille, mais qu'il refusait d'adopter.

Bien sûr, Harry avait raison. De façon générale, il avait toujours raison. Mais ce jour-là, s'il ne l'avait pas autant aimé, s'ils n'avaient pas fait un tel travail sur lui-même et s'ils ne vivaient pas depuis plusieurs années sous le même toit, Draco aurait sans doute quitté l'appartement dans les cris. Et parce que Harry était l'homme avec lequel il voulait faire sa vie, et parce qu'au plus profond de lui-même, il savait qu'il avait raison, Draco s'était contenté de baisser les yeux, de quitter la table et de s'enfermer dans leur chambre. Le soir venu, il l'avait rejoint dans le canapé, s'était blotti dans ses bras et lui avait soufflé qu'il voulait un enfant avec lui.

Harry ne voulait pas adopter un enfant, parce qu'il refusait de laisser l'orphelinat entrer dans sa vie intime, plus qu'il ne le faisait déjà, et surtout, il voulait protéger Draco. Car adopter un enfant reviendrait à faire un choix et Harry, pour en avoir parlé en secret avec Jaiman, savait que cela ne ferait que détériorer les relations de son homme avec les enfants, car ils vivraient ce choix comme une préférence, même si cela se déroulait dans un autre établissement. Il n'était pourtant pas question de ça. Draco voulait sauver cette petite fille, et les autres qui provoqueraient une relation en chaîne qui aboutirait à faire de leur foyer une vaste famille d'accueil. Harry ne voulait pas rentrer là-dedans.

Ainsi, son projet était tombé à l'eau, mais Draco ne le regrettait pas. Il ne pouvait pas sauver tous les enfants, comme lui disait Harry. Et quand il avait répété cette phrase à Mr Fish, ce dernier lui avait souri, puis lui avait répondu que c'était ce qu'il se répétait chaque jour.

En vain.

« Quand est-ce que tu l'emmènes chez la gynéco' ?

- Mardi. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle m'a choisi…

- Elle est en révolte après tout le monde, même si elle fait mine d'aller bien.

- Quand même, Harry… J'ai déjà emmené des filles chez le gynéco' mais à chaque fois je m'en occupais quand elles étaient petites, c'est pas pareil… »

Harry haussa les épaules. Un mois plus tôt, Mr Fish avait été averti de la grossesse de la jeune fille, qui était parvenue à la dissimuler pendant toute la durée des grandes vacances. Le directeur était tombé des nues et Hope avait été rapatriée à l'orphelinat afin de bénéficier d'un suivi médical et psychologique. Si le premier était suivi assidument, ce n'était pas le cas du deuxième. Hope, qui s'était tant ouverte en intégrant Poudlard, s'était fermée comme une huître et affichait une nonchalance à vous donner envie de lui donner des claques. Elle ne communiquait plus avec personne, mis à part le directeur et Draco à de rares occasions.

De toute évidence, Hope était tombée enceinte d'un autre élève, mais personne ne connaissait son nom. Elle n'avait pas de petit ami et ses copines ne semblaient pas lui connaître d'amoureux. Pourtant, il fallait croire qu'elle avait fricoté avec un garçon sans doute plus âgé, et au pire plus jeune et ce sans protection, ce qui la conduisait à cet état délicat. La paternité de ce bébé restait donc un grand mystère que la future maman ne semblait pas prête à lever.

« Je ne comprends pas pourquoi elle m'a choisi.

- Sans doute parce que certaines filles t'ont choisi et elle est en froid avec les nourrices qui doivent la traiter de trainée quand personne n'est là pour les entendre.

- Arrête…

- Quoi, arrête ? Tu sais très bien que c'est le cas.

- Pas pour toutes…

- Mais certaines, oui.

- Hope se fiche bien de ce qu'on dit sur elle.

- Elle va être maman. Elle ne veut pas partager un tel moment avec des personnes qu'elle n'aime pas et qui ne l'aiment pas. »

Il n'avait pas tort, mais Draco partageait difficilement son avis. Autant il pouvait parler de sexualité, de règles et autres sujets intimes avec les orphelins sans la moindre gêne, parce qu'il estimait que les enfants devaient être informé sur ce qui se passait entre leurs cuisses, autant accompagner les filles chez le gynécologue l'embarrassait grandement. Les premières fois où l'avait fait, c'était pour des gosses dont il s'occupait et il s'était contenté de les attendre dans la pièce à côté. Une nourrice aurait parfaitement fait l'affaire mais comme Draco n'assistait à rien, Mr Fish l'avait autorisé à les emmener.

Et puis, une fois, il avait emmené une orpheline abandonnée par le papa à son échographie, et depuis, d'autres filles l'avaient choisi pour ce moment particulier. Mais à chaque fois, il s'en était occupé quand elles étaient petites ou adolescentes et les années avaient fait qu'elles étaient toujours ses patientes, et leurs enfants également. Il y avait un lien entre elles et lui, qui n'existait pas avec Hope.

« Tu sais, mon chéri… Je pense que Hope t'a choisi simplement parce que tu es une personne de confiance.

- Comme ça ?

- Eh bien, outre le fait que tu es homosexuel et qu'elles ne risquent donc rien avec toi, tu restes quelqu'un en qui elles ont confiance et à qui elles peuvent tout dire. Tu ne les juges pas, tu les soignes sans ambigüité… A leurs yeux, tu es comme une personne neutre, tu vois ?

- Ouais…

- Je pense que Hope a besoin de ça. Elle a juste besoin d'être avec quelqu'un de neutre qui la prend comme elle et qui ne la juge pas, ou du moins qui ne lui fait pas sentir son jugement. Et puis, tu l'as soignée quand elle était plus jeune, et tu soigneras son bébé. Cela a peut-être quelque chose de rassurant. »

Draco réfléchit à cette idée, puis hocha la tête. C'était peut-être ça. Jusque là, il s'était refusé à l'idée que Hope reproduise le même modèle que Cassiopée, une jeune fille en grande détresse qui était tombée enceinte un an plus tôt d'un camarade de sa classe et qui avait fait croire à un des animateurs de l'orphelinat, avec qui elle avait noué une relation malsaine, que le bébé était de lui. Cette histoire avait été une telle souffrance pour le directeur qu'il craignait qu'une telle horreur se reproduise. Enfin, il savait Draco parfaitement sain et résolument homosexuel, mais ce dernier n'était pas à l'abri de sentiments inavouables de la part d'une jeune fille en manque de repères.

« Même les garçons ont toujours eu une grande confiance en toi. Quasiment tous les orphelins oublient que tu es pédiatre quand ils ont la crève et ils t'amènent leurs gosses depuis leur naissance.

- Je leur fais un prix, aussi…

- Ca ne change rien. Mange, ça va être froid.

- Ca me perturbe quand même, tu sais. Toute cette histoire, ça me perturbe.

- Tu prends tout cela trop à cœur.

- Je sais. Mais c'est ce qui fait mon charme, non ?

- Ce qui fait ton charme, ce sont tes mains divines qui vont me masser le dos et les pieds ce soir quand on aura fini de manger.

- Tu es d'un glamour, mon chéri… »

Harry lui fit un clin d'œil avant d'avaler sa dernière bouchée, raclant avec sa fourchette et son couteau pour récupérer le reste de sauce et de fromage. Comprenant le message, Draco se dépêcha de terminer son assiette. Quelques minutes plus tard, il se changeait dans la salle de bain, se brossait les dents avec application, vérifiait que ses enfants dormaient paisiblement dans leur lit, puis rejoignait Harry dans la chambre, où il s'empressa de le dorloter comme il semblait en rêver depuis son levé.

OoO

Venir à l'orphelinat Beatrix Bloxam avec sa famille était toujours quelque chose de particulier. Pourtant, ce n'était pas comme si Harry et lui n'y faisaient pas de visites régulières, d'une part parce que c'était le meilleur compromis que son compagnon avait trouvé pour que Draco y passe moins de temps tout en profitant pleinement des orphelins, et d'autre part parce qu'il aimait y aller. Après tout, c'était dans cet endroit que leur amour était né et Harry appréciait ces après-midis d'activités où il apportait un peu de bonheur à ces enfants.

Cependant, si rendre visite aux orphelins avec Harry était quelque chose de somme toute plutôt naturel, emmener ses enfants occasionnait en lui une sorte de tension, qui disparaissait dès qu'ils franchissaient les portes de l'établissement et que les gosses accouraient pour les prendre dans leurs bras et les papouiller. C'était sans aucun doute dû au fait qu'il avait choisi de fonder une famille plutôt que de rendre pleinement heureux des enfants abandonnés ou seuls au monde, et puis, quelque part, James et Elisabeth ne faisaient pas partie de leur univers, étant donné qu'ils avaient des parents qui les aimaient et qui, selon toute vraisemblance, ne disparaitraient jamais de leur existence.

Pourtant, il n'y avait jamais vraiment eu d'incidents car les orphelins faisaient la part des choses, même s'ils les jalousaient quelque peu. Cependant, Draco avait toujours veillé à ce que leurs enfants fréquentent régulièrement l'orphelinat afin qu'ils prennent conscience de la chance qu'ils avaient et qu'ils gardent plus tard les pieds sur terre. Il voulait pour sa descendance une éducation plus proche de la réalité du monde, avec de vraies valeurs et un regard plus sensible et tolérant sur les autres. Tout ce qu'il n'avait pas eu et qui lui avait manqué à une période cruciale de sa vie d'adulte.

Il y avait des moments comme celui-ci où, tandis qu'il regardait ses bébés s'amuser avec d'autres orphelins sans la moindre réserve, où Draco se sentait fier de ce qu'il était devenu et de ce qu'il accomplissait chaque jour. Et quand il baissait les yeux vers son compagnon, qui gloussait en voyant une petite fille marcher avec un oreiller caché sous sa robe pour l'imiter, il réalisait qu'il était juste l'homme le plus heureux du monde. Et le plus chanceux, aussi. Car même si Harry tenait son bras depuis douze ans, nombre d'hommes avaient tenté de l'en décrocher, en vain.

« Bon, tu viens ?

- T'es si pressé que ça de faire des gâteaux ?

- Chéri, tu fais des sablés avec les petits pendant tes jours de repos…

- Il n'empêche que je n'aime pas faire ça.

- Pourquoi tu as dit que tu venais, alors ?

- Parce que je ne sais pas dire non ?

- Allez, viens !

- Je préfère encore jouer aux cubes… »

Ignorant sa dernière remarque, Harry le tira par le bras, et ensemble, ils gagnèrent la salle du déjeuner. Celle-ci était directement reliée aux cuisines où s'activait le chef comme tous les samedis après-midi afin de préparer avec les enfants des gâteaux et biscuits qu'ils dégusteraient les jours suivants au petit-déjeuner ou bien au goûter. Et parce que les fêtes de Noël approchaient, les nourrices étaient de corvée de sablés à pétrir, cuire et décorer avec une armée d'enfants.

Pour une fois, les petits avaient été mis sur d'autres activités afin de laisser aux grands le plaisir de concevoir eux-mêmes leurs biscuits sans avoir à chapeauter un ou deux nains de jardin tout juste capables de tenir un feutre dans leur main. Et parce que Harry passait son temps à cuisiner avec James et Elisabeth, ils avaient choisi cette date afin de se consacrer aux orphelins sans avoir leurs propres enfants dans les pattes. Et vu les sourires sur les visages quand ils entrèrent main dans la main mais seuls, le couple sut qu'il avait pris la bonne décision.

Pendant que Harry filait en cuisine pour se laver les mains, non sans saluer au passage des orphelins qui lui faisaient de grands signes pour qu'il vienne à leur table, Draco fit le tour des quelques nourrices présentes dans la pièce, dont Jaiman qui se chamaillait avec deux gamins qui avaient décidé de faire des sablés de forme douteuse. Et parce que Draco n'aimait définitivement pas faire des biscuits, il traina avec deux nourrices peu motivées jusqu'à ce que son homme l'assoie à une table de force en lui intimant de travailler sérieusement. Draco fit la moue pour la forme mais le regarda repartir en souriant.

De façon générale, Draco n'aimait pas tellement les activités manuelles, ou même les activités impliquant une certaine attention de sa part, que ce soit du dessin, de la peinture, de la cuisine ou tout autre truc potentiellement salissant impliquant qu'il se prenne la tête avec un ou plusieurs mômes. Cependant, il avait tellement été obligé de surveiller ou d'animer ce genre d'atelier qu'il éprouvait à présent une agréable nostalgie en regardant ces gamins pétrir avec application de la pâte à gâteau qu'ils décoreraient une fois leurs biscuits cuits et refroidis. La vie était si triste pour eux que les voir sourire était un véritable plaisir, même si au fond ce n'était que de la pâtisserie et qu'ils en faisaient depuis leur arrivée en ces lieux.

Ils avaient besoin de vivre, ces gamins. De vivre ce genre de moments de communion, de partage et de complicité, tout ce qui lui avait manqué à lui quand il était enfant, et qui n'existaient pas dans d'autres établissements qu'il avait visités au cours de sa carrière, lors de journées bénévoles où il jouait au dentiste et à l'ophtalmologiste. Il aurait pu s'investir davantage de ce côté-là, il y avait même songé, mais c'aurait sans doute été trop de souffrances pour lui qui peinait déjà, certains soirs, à ne pas emmener certains enfants avec lui. Et puis, comme lui disaient Blaise et Harry, mieux valait qu'il se concentre sur une seule communauté d'enfants et qu'il les suive dans leur vie d'adulte, qu'il soit là pour eux plutôt que de s'éparpiller et de ne plus parvenir à aider personne.

Alors, plutôt que de jouer les héros, Draco venait au moins deux fois par semaine soigner les enfants malades, participait à des ateliers un week-end sur deux avec Harry, baissait ses tarifs quand un orphelin venait se faire soigner, lui ou son môme, et essayait de rester un homme bien qui payait sa dette à la société, en sachant que son nom, même associé à celui de son mari, ne serait jamais lavé. Mais c'était toujours mieux que de rester un Malfoy et de regarder derrière lui en regrettant l'époque où sa vie était toute tracée.

« Bonjour, Draco. »

Le médicomage sursauta sur le banc et se retourna. Son cœur se serra en croisant le regard de Hope, qui lui souriait avec cette douceur angélique qu'il ne connaissait que chez elle. La regarder, c'était comme découvrir la beauté pure de l'être humain, qui vous éblouit par sa puissance et vous rend misérable. Et sa voix, si paisible et mélodieuse, pouvait presque vous faire oublier qui vous étiez.

« Bonjour, Hope. Comment vas-tu ?

- Très bien. J'ai hâte d'être mardi. Et toi, comment vas-tu ?

- Un peu fatigué, mais ça va.

- Dis Draco, j'avais une question à propos de…

- Bonjour Hope ! »

Soudain, ce fut comme si le charme de Hope s'évaporait. Car si aucun être ne pouvait indéfiniment résister au charme des vélanes, même au sang dilué, il n'y avait rien de plus puissant que la voix de la personne qu'on aime.

Alors, tout en regardant le sourire de Hope vaciller, Draco reprit ses esprits et s'arracha à la contemplation de cette jeune femme qui avait réussi à le charmer des années auparavant, dans l'espoir qu'il l'arrache à ces lieux, et qui avait vu ses plans contrariés et finalement détruits par un homme adorable mais ferme. Son regard se posa sur son mari qui tenait un plateau où s'alignaient des sablés prêts à être décorés. Il le posa sur la table et gratifia les enfants d'un grand sourire.

« Bonjour, Harry.

- Comment vas-tu ? Alors, c'est mardi le grand jour ?

- C'est ça.

- Tu as une préférence ?

- Non.

- Ah, au moins tu ne seras pas déçue. Draco, tu as besoin de quelque chose ?

- Ouais : d'un câlin. »

Les enfants autour de la table gloussèrent tandis que Harry levait les yeux au ciel et repartait aussi sec. Discrètement, Draco leva son regard vers Hope, dont les poings crispés révélaient une grande tension. Elle n'avait jamais beaucoup aimé Harry, et depuis le début de sa première grossesse, elle le détestait. Harry n'en avait pas vraiment conscience car elle ne trainait jamais autour de lui et il n'accordait guère d'intérêt aux enfants qui refusaient de lui parler. Mais Draco percevait sa colère quand il était dans les parages, et pire quand il lui adressait la parole.

Harry était celui qui avait fermé la porte à ses rêves, et peut-être ce à quoi elle avait droit, en temps que descendante de vélane, ruinée par la guerre et orpheline par la maladie. Comme Jaiman qu'elle défiait sans cesse, il était le symbole d'une vie douce et paisible à laquelle elle n'avait plus droit, parce que la Vie en avait décidé autrement.

« On va avoir un fils.

- Pardon ?

- C'est un garçon.

- Ah.

- Tu t'en fiches ?

- Non.

- Menteuse. J'arrête de t'en parler. »

Draco s'intéressa alors aux jeunes filles devant lui qui avaient coupé la pointe de leurs biscuits en forme de cœur et qui tentaient tant bien que mal de dessiner une culotte sur ce qui ressemblait à une paire de fesses. En d'autres circonstances, sans doute leur aurait-il fait comprendre que ce n'était résolument pas une bonne idée, mais Jaiman était loin de lui et elles s'appliquaient bien trop pour les couper dans leur créativité.

« Tu n'es pas déçu ?

- Pardon ?

- Que ce soit un fils. Tu n'es pas déçu ?

- Bien sûr que non, pourquoi je serais déçu ?

- Tu avais l'air plus heureux quand tu as su qu'Elisabeth serait une fille.

- Parce que j'avais déjà un garçon et je ne pensais pas que Harry voudrait un troisième enfant.

- Je vois.

- Tu préfèrerais une fille ?

- Bien sûr. Les garçons ne savent pas manipuler la magie vélane. Et les filles sont naturellement plus matures. »

Draco haussa les épaules, se doutant déjà de sa réponse, et préféra ne pas poursuivre. Pourtant, il aurait été préférable qu'il ait une conversation à ce sujet, étant donné qu'elle refusait de voir un psychomage, mais Draco estima que ce n'était pas son rôle.

Et soudain, tandis qu'il regardait Harry manipuler une poche à douille avec un petit garçon au visage couvert de taches de rousseur, Draco se demanda si elle ne l'avait pas choisi parce qu'elle aurait voulu, à une époque, qu'il devienne son père. Et qu'il était peut-être cette figure paternelle dont elle avait tant besoin, faute d'avoir le père du bébé auprès d'elle.

« Tu as une idée pour le prénom ?

- Oh oui ! J'aimerais l'appeler Velvet.

- Velvet ?

- Pourquoi cette grimace ? C'est très joli !

- Tu te rappelle que ton nom est Redcarpet ?

- Oui, justement. Ce sera une petite fille originale.

- Ah ça… »

La grimace du médicomage fit glousser Hope. Il se rappelait encore des débats ridiculement courts qu'ils avaient eus à chaque grossesse. Ils avaient tiré au sort et c'était Harry qui avait eu le droit de choisir le prénom de leur premier enfant, qui n'avait ni étonné ni déplu à Draco. Il leur avait paru logique que ce dernier décide pour leur petite fille, mais ils aimaient déjà tellement le prénom d'Elisabeth que la conversation avait rapidement pris fin.

« Et toi, tu sais comment tu vas appeler ton bébé ?

- Je pense.

- Tu penses ?

- On garde le secret. Mais je crois qu'on sera bientôt d'accord.

- Qui choisit le prénom, cette fois ?

- Moi. Parce que Harry n'arrive pas à faire un choix. »

Son sourire mit fin à la discussion. Il ne voulait pas parler bébé avec elle, et encore moins du bébé qu'il chérissait alors qu'il sommeillait encore dans le ventre de son époux. Il ne voulait pas partager ces tendres débats dans le salon, où Harry triturait sa liste de prénoms tout en le regardant avec ses yeux incroyables, les joues roses d'excitation et ce sourire magnifique qui disparaissait par instant sous ses lèvres. C'était trop intime, et ça ne regardait absolument personne. Et puis, ce serait lui partager son bonheur. Et sans doute n'avait-elle pas besoin de cela pour le moment.

Sans doute comprit-elle le message car Hope quitta la pièce d'un pas tranquille. Draco la regarda disparaître derrière les grandes portes de la salle de repas, non sans remarquer, après un rapide coup d'œil, que son ventre était aussi rond que celui de Harry, et que les voir si similaires malgré leur différence d'âge, cela avait quelque chose d'embarrassant.

OoO

La veille, en se levant de son lit, Harry avait ressenti une très grande fatigue. Si grande qu'emmener les enfants à l'école lui fut très pénible, et quand vint l'heure du déjeuner, il ne parvint pas à se lever. Il dut demander à une maman de récupérer les petits, et parce qu'il ne sentait pas capable de ramener au moins James à l'école, il envoya un courrier à son compagnon afin qu'il quitte le travail un peu plus tôt et qu'il le soulage de cette tâche. Forcément, Draco rappliqua dix minutes plus tard et prit trois jours de congé, non sans envoyer un doigt d'honneur mental à son chef de service qui beugla après lui tandis qu'il piquait un sprint dans les couloirs de Ste Mangouste.

Les grosses fatigues étaient monnaies courantes chez les personnes enceintes et plus encore chez les hommes qui suivaient un traitement de fer pour assurer la bonne santé de leur enfant, qui grandissait dans leur ventre en dépit des lois de la nature. Si elles étaient gérables de façon générale, elles devenaient plus pénibles quand il s'agissait d'une seconde ou troisième grossesse. Et parce que Harry était dur au mal, s'accommodant en silence aux désagréments de son état, il était d'autant plus important de le surveiller et d'entendre les appels à l'aide de son corps. Surtout avec deux enfants dans les pattes.

Bien sûr, Draco s'était fait gronder, par la maman en question qui s'était fait un devoir d'emmener James à l'école et Elisabeth au jardin d'enfants et comptait visiblement les ramener à la maison, et d'autre part parce que Harry estimait qu'il y avait des malades bien plus nécessiteux que lui à soigner. Néanmoins, il se laissa dorloter sans trop ronchonner. Harry adorait quand on prenait soin de lui, même s'il avait tendance à ne pas le montrer, même après plus de dix ans d'amour. Et ces derniers jours, son mari lui manquait tellement que Draco savoura cette après-midi ensemble, sans les enfants et loin de tout ce qui le préoccupait dernièrement.

Après avoir emmené les enfants à l'école, Draco fila à l'orphelinat pour aller chercher Hope et l'emmener chez le gynécologue. Il était censé initialement reprendre le travail un peu plus tard afin d'assurer son rendez-vous, alors quelle ne fut pas la surprise de Jaiman quand il débarqua les mains dans les poches habillé en moldu avec un bon quart d'heure d'avance. Elle le recruta aussi sec pour envoyer les derniers petits garnements dans la salle de jeu où deux nourrices organisaient un temps calme avant de passer aux ateliers de l'après-midi. Au passage, il croisa un directeur soucieux parce qu'un adolescent s'était cassé une jambe la veille à Poudlard, et après qu'il ait rappelé à Jaiman qu'il avait quand même un horaire à respecter, il put récupérer Hope qui l'attendait dans sa chambre.

Tous les orphelins dormaient dans des chambres communes, à quatre ou à six, et de part son retour en pleine période scolaire, Hope dormait seule depuis plusieurs semaines. Mr Fish lui avait bien proposé de partager une autre chambre, les grandes étaient prêtes à s'arranger entre elles pour éviter qu'elle ne reste trop seule, mais Hope avait décliné avec un sourire. Visiblement, elle préférait s'isoler. Quelque part, Draco comprenait son attitude, sans pour autant l'approuver. Il se doutait que cette grossesse la rendait trop femme pour une bande de gamines qui lui poseraient mille et une questions, et par ailleurs, le médicomage avait su saisir qu'elle percevait son départ inopiné de Poudlard comme une trahison de la part de la directrice de l'école et une punition pour l'acte d'amour qui avait abouti à cette situation.

Hope était révoltée contre le monde entier et le faisait savoir d'une manière douce mais ferme.

Ainsi, Draco la trouva assise sur son lit, occupée à lire un roman dont l'auteur lui était inconnu. A peine ouvrit-il la porte, non sans avoir toqué au préalable, qu'elle leva les yeux de son ouvrage et lui fit un grand sourire. Aussitôt, le médicomage se sentit plus léger, lui qui angoissait tant pour cette échographie à laquelle il ne voulait pas assister. Autant il avait éprouvé du plaisir à voir le visage de Nicoletta et de son copain rayonner de bonheur quand la gynécologue leur avait annoncé que c'était une fille, alors qu'ils avaient tout juste vingt ans et une situation peu stable, autant être seul avec Hope l'embarrassait. Ce n'était pas son rôle. Et ce n'était pas non plus une bonne idée.

Draco n'aimait pas être avec Hope. Il n'aimait cette sensation particulière qu'engendrait son charme de vélane qu'elle actionnait toujours en sa présence. Il n'aimait pas sentir la culpabilité le prendre, parce qu'il n'avait pas été assez fort face à Harry, parce qu'elle ne méritait pas cette vie, et parce qu'il était un homme faible face à ce genre de maléfice. Et puis, quelque part, il avait la sensation de trahir Harry, même s'il savait que cette attraction un peu particulière n'était pas de son fait. Mais le plus dur, c'était la culpabilité. De nombreux couples, ou plutôt de nombreuses mères avaient refusé d'adopter la petite fille, par crainte ou jalousie. Il avait fait partie, quelque part, de ces hommes charmés prêts à beaucoup pour sauver cette petite. Et qu'une petite voix d'amour insensible à son charme avait préservé d'une telle responsabilité.

« Bonjour, Hope. Prête ?

- Oui, bien sûr ! »

Elle lui fit un sourire renversant puis posa son livre avant de le rejoindre. Elle enfila sa cape d'hiver, attrapa son bras, et ensemble, ils quittèrent d'un pas tranquille l'orphelinat en passant par la cheminée du bureau du directeur, scellée par un mot de passe qui changeait tous les jours. Quelques minutes plus tard, ils apparaissaient dans la pièce d'un relais cerclée de cheminées anciennes. Du même pas paisible, ils gagnèrent la rue et se faufilèrent jusqu'au cabinet de Mrs Magson.

Agée d'une cinquantaine d'années, Mrs Magson s'était fait une réputation dans le milieu en ne traitant que de petites gens, comme elle les appelait. C'était à elle que la plupart des directeurs et directrices d'orphelinat envoyaient leurs pensionnaires et Hope ne faisait donc pas exception. Jusque-là, c'était Jaiman qui l'accompagnait, bon gré mal gré. Mais aujourd'hui, les choses seraient différentes : la gynécologue projetterait sur un mur magique la projection de son futur bébé et enfin ils en connaîtraient le sexe.

C'était sans aucun doute l'un des moments les plus magiques de la grossesse. Pour Draco, le meilleur restait ce jour si particulier où Harry lui annonçait que, ça y est, le bébé était en route. A vrai dire, Harry avait eu tant de mal à tomber enceint la première fois, et cela avait été une telle souffrance et une telle peur pour lui… La pression était alors énorme car il savait à quel point Draco rêvait de fonder une famille et ne pas pouvoir la lui offrir avait entraîné en lui des angoisses sans nom. Le médicomage avait tout essayé pour le rassurer, pour lui faire comprendre que ces choses-là pouvaient prendre du temps et que jamais il ne demanderait le divorce si jamais il se révélait infertile. Mais Harry était buté. Buté, amoureux, et convaincu quelque part ne pas le mériter.

Les autres grossesses s'étaient déroulées de façon bien plus paisible car rien ne pressait et Harry était alors si apaisé qu'il était rapidement retombé enceint. Mais voir son sourire sur son visage à chaque fois qu'il lui avait annoncé la bonne nouvelle était toujours le plus beau moment. Plus encore que la naissance en elle-même, car c'était le début d'un tout, de nouvelles projections, de nouvelles envies, d'une nouvelle vie.

Néanmoins, Draco n'avait pas boudé son plaisir quand le gynécologue leur avait annoncé le sexe de leur troisième bébé. Ils avaient été heureux de savoir que ce serait un garçon, et ils l'auraient été tout autant si cela avait été une fille. C'était juste du bonheur et ils avaient fêté cela le soir même devant une sorte de pique-nique installé sur la table du salon avec leurs deux monstres affamés et contents d'avoir un petit frère qui poussait dans le ventre de leur papa.

Draco sortit de ses pensées quand ils franchirent la porte du cabinet, pénétrant dans la salle d'attente vide, promettant ainsi un retard somme toute relatif. Ils s'assirent sur les antiques chaises en bois recouvertes d'un coussin qui n'en portaient plus que le nom, Draco regarda la décoration triste à pleurer qui n'avait pas changé depuis le jour où, quinze ans plus tôt, il avait accompagné une adolescente souffrant de règles douloureuses. A ses côtés, Hope se retenait de se dandiner sur sa chaise, préférant tripoter sa robe de ses longs doigts graciles. Draco aurait voulu lui prendre la main pour la rassurer, parce qu'il le faisait toujours, et qu'après avoir tenu celle de Nicoletta pendant qu'elle accouchait seule sans ce crétin qui aurait dû servir de père à son bébé, il savait qu'il y avait des moments où on en avait besoin, mais il s'abstint. Elle n'était pas Nicoletta. Ni toutes ces gamines qu'il avait essayé d'aider depuis qu'il était devenu un orphelin.

Nicoletta, si pleine de joie de vivre, qui avait eu tant de mal à se faire une place dans un monde si peu tolérant, mais qui s'était battu comme une dingue pour offrir à sa fille la vie qu'elle méritait.

Une petite fille dont il était le parrain et qu'il choyait avec Harry du mieux qu'il pouvait.

« Dis, Draco…

- Hm ?

- Tu crois que je vais y arriver ?

- A quoi donc ?

- A élever mon bébé.

- Il n'y a pas de raison. Si tu aimes ton bébé, tu vas y arriver. Même si c'est un garçon.

- Ce ne sera pas pareil si c'est un garçon…

- Il est inutile de t'accrocher à ton héritage hybride, Hope. Un enfant est un enfant, quel que soit son sexe ou ses origines. Et ce sera ton enfant.

- Je sais.

- Tu comptes l'élever seule ?

- Non ! Non non…

- Le papa approuve cette grossesse ?

- Non. Enfin… Il est perdu, je pense. Il n'était pas prêt à avoir un bébé.

- A votre âge, c'est normal.

- Et il a peur de la réaction de sa famille…

- C'est compréhensible.

- Tu trouves ?

- Si j'avais engrossé une fille à ton âge, mon père m'aurait sans doute déshérité.

- Même si tu l'avais aimé ?

- Encore plus si je l'avais aimé. Il est des familles où les sentiments n'ont pas leur place.

- Il aurait approuvé votre relation avec Harry, s'il n'y avait pas eu la guerre ?

- Jamais. Harry est un sang-mêlé.

- Mais toi, tu t'en fiches.

- Disons qu'il y a des choses plus importantes dans la vie qu'un sang prétendument pur. Et quand tu as goûté au bonheur d'être avec quelqu'un qui te comprend et te complète, le sang ou l'origine, quelle qu'elle soit, n'a plus guère d'importance.

- J'aimerais vivre une histoire comme celle-ci.

- Tu pourrais. On ne connait pas la vie.

- Tu penses qu'il va me quitter, c'est ça ?

- Vous êtes ensemble ?

- On aurait pu, mais il est fiancé.

- Et tu es quand même tombée enceinte.

- Tu vas me juger, toi aussi ?

- C'est humain de juger les autres.

- Je ne veux pas parler de ça avec toi.

- Très bien. »

Draco cessa alors de parler et évita le regard quelque peu courroucé de Hope, qui sans doute aurait voulu qu'il insiste un peu plus, comme le font les personnes qui ressentent le besoin de se confier sans pour autant être capable de s'ouvrir pleinement leur cœur. De toute façon, Draco avait déjà la principale réponse à sa question : Hope fréquentait en secret un garçon en âge de se fiancer et sans doute quitterait-il l'école l'an prochain. Dans le cas contraire, sans doute aurait-elle fait en sorte de s'enfuir pour le rejoindre, mais son envie de retourner à Poudlard démontrait le contraire.

Du coup, Draco ne sut quoi en penser. A moins que la famille ou Poudlard n'impose un veto, ce qui était rarement le cas, les jeunes filles dans son cas retournaient à l'école après leur accouchement, une fois qu'elles se sentaient prêtes à reprendre leurs études, et bénéficiaient d'un passe-droit exceptionnel leur permettant de rentrer chez elles chaque soir pour s'occuper de leur enfant. Ces allées et venues étaient rendues possibles par une cheminée située non loin du bureau de la directrice qui surveillait ainsi les déplacements de ses élèves. Hope était promise à la même organisation et comptait les mois la séparant de son retour à l'école. Draco n'aurait su dire quelle était sa motivation première, que ce soit quitter l'orphelinat ou bien rejoindre son amoureux. Dans les deux cas, gérer ce bébé serait une tâche bien ardue. Surtout si le papa refusait d'assumer.

Le départ de la patiente précédente le tira de ses pensées. Les portes s'ouvrirent et se fermèrent, laissant place à un silence un peu embarrassant. Puis, enfin, cette brave Mrs Magson apparut dans l'encadrement de la porte, les mains sur les hanches et le regard pétillant.

« Eh bien, voilà du beau monde ! Dr Malfoy, j'ignorais que j'allais vous voir aujourd'hui.

- Hope m'a demandé de l'accompagner.

- Décidément, vous n'êtes pas un médicomage comme les autres. Comment allez-vous, cher collègue ? »

Son désintérêt manifeste pour la petite Hope détendit considérablement l'atmosphère. Draco se leva, serra chaleureusement la main de la gynécologue, puis jeta un regard à l'adolescente qui consentit enfin à se lever, la main sur le ventre. Malgré son sourire, elle avait le visage tendu et ne dit quasiment pas à un mot à Mrs Magson. Déjà confrontée à son drôle de caractère et habituée aux jeunes filles dans son genre, la gynécologue se contenta de l'inviter à entrer dans son cabinet.

Le rendez-vous débuta par quelques questions de rigueur, puis Hope s'allongea sur la table et la gynécologue l'ausculta. Draco voulut sortir à ce moment-là même si un paravent le séparait des deux femmes, mais Hope lui avait quasiment ordonné de rester avec elle et il y avait tant de tension dans sa voix que Mrs Magson n'eut pas la force de rétorquer. C'était peu conventionnel mais tous deux savaient à quel point la jeune femme était fragile et têtue, et aucun des deux praticiens ne souhaitaient voir ce rendez-vous écourté pour une raison ou une autre.

Enfin, le paravent disparut et Draco put rejoindre l'orpheline, il s'installa sur une chaise tout près d'elle. Elle ne portait plus que ses sous-vêtements, chose qui n'étonna guère le médicomage même s'il aurait préféré qu'elle se rhabille un peu plus, elle paraissait plutôt excitée, même si elle essayait de le cacher. Ses mains agitées sur son ventre trahissaient les émotions qui se bousculaient dans sa tête et Draco ne pouvait que comprendre ce sentiment d'allégresse à quelques secondes de la grande révélation.

« Ca y est, nous y sommes. Vous êtes prête, Hope ?

- Oh oui ! J'espère que ce sera une fille.

- Fille ou garçon, le principal c'est qu'il soit en bonne santé.

- Oui, je sais… Mais je préfèrerais une fille. »

Mrs Magson étala un baume sur le ventre rond de Hope. En regardant ses mains ridées masser sa peau, Draco eut comme une sensation de déjà-vu. Fugace, l'image de Harry allongé sur une table similaire avec des mains fines mais plus viriles caressant son ventre apparut sous ses yeux. C'était vraiment perturbant, cette similitude entre leurs deux ventres. Même taille, même arrondi. Il trouvait ça étrange, car Harry lui-même n'avait pas vécu chaque grossesse de la même manière, il était énorme pour James et presque svelte pour Elisabeth. Et voir leurs ventres si similaires avait quelque chose de dérangeant. Il n'aurait su dire quoi exactement. Mais il lui suffit de penser à son mari qui l'attendait à la maison pour que ses interrogations s'effacent et laissent place à un peu de quiétude.

Soudain, il sentit la main longue et fine de Hope se glisser dans la sienne. Elle la serra fort dans la sienne tandis que Mrs Magson levait sa baguette, actionnant des maléfices compliqués qui illuminèrent le mur en face d'eux. Le cœur battant d'émotions, car c'était toujours un beau moment, Draco regarda la gynécologue poser le bout de sa baguette sur le ventre rond de l'adolescente. Un rapide coup d'œil sur son visage lui tira un sourire, car Hope avait l'air si heureuse à cet instant, si belle dans son bonheur de découvrir un peu plus l'identité de son enfant que ses angoisses disparurent d'un coup, laissant place à la quiétude pour quelques instants.

« Alors, voyons voir… »

Un dernier sortilège et enfin, l'image de l'enfant fut projetée au mur. Elle mit quelques instants à apparaître et à se faire plus nette. Et quand enfin le bébé apparut, Draco sentit une bouffée de chaleur l'envahir.

Puis, il eut la sensation que son cœur tombait de sa poitrine.

« C'est mon bébé ? C'est vraiment mon bébé ?

- Oui…

- Oh par Merlin ! »

Cela dura quelques secondes. Quelques interminables et pénibles secondes. Et les yeux rivés sur cette projection du bébé, sur cette forme nageant dans l'obscurité du ventre de sa mère, il eut la sensation que le temps s'était comme arrêté. Et son cœur qui gisait sur le sol, il n'était pas certain d'être capable de le ramasser et de le remettre à sa place.

« Alors, qu'est-ce que c'est ? Un garçon ou une fille ? Et il va bien ? Il se porte bien ?

- Votre bébé… se porte bien. »

Lentement, Draco tourna la tête vers Mrs Magson. Son regard fut comme un miroir du sien. Le souffle coupé, Draco tenta de reprendre sa respiration, mais tout semblait bloqué en lui, jusqu'à ses poumons qui refusaient de lui apporter de l'air. Il était comme en apnée.

« Et le sexe ? Par pitié, dites-moi son sexe ! Je veux savoir !

- Eh bien… »

Draco ferma les yeux et tourna la tête. Cela lui était trop insoutenable, et à cet instant, s'il avait pu, il se serait enfui de la pièce, pour ne plus jamais y revenir.

« C'est un garçon.

- Ah… Ah bon ?

- Oui. C'est un garçon.

- Vous êtes sûre ?

- Oui.

- Ah… »

Draco parvint à retrouver sa respiration et son cœur reprit sa place dans sa poitrine. Il risqua un regard vers la projection de l'enfant et rabaissa douloureusement les yeux. Incapable d'affronter le regard de Hope, il garda la tête sur le côté, jusqu'à ce qu'elle lui parle, lui demandant pour être certaine que c'était bien un garçon. La gorge nouée, le médicomage lui répondit que oui, c'était bien un garçon.

Et en dépit de tout ce qu'il avait vécu et dit dans sa vie, ces mots furent parmi les plus pénibles qu'il avait eu à prononcer.

« Ah, d'accord. Bon. Bah on fera avec. »

Draco n'eut pas la force de lui répondre, mais Mrs Magson, en grande professionnelle, parvint à se reprendre, et d'une douce voix, elle mit fin aux maléfices. Enfin, après avoir nettoyé le ventre de sa patiente, elle lui intima de se rhabiller. Aussitôt, Hope se leva et enfila sa robe, tandis que les deux praticiens, derrière le paravent, s'échangeaient des regards lourds de sens.

Avant de partir, tandis que Hope mettait ses chaussures, Mrs Magson lui souffla qu'il faudrait en parler avec le directeur de l'orphelinat au plus vite. Et le cœur lourd, Draco hocha la tête comme un enfant, faute de pouvoir lui répondre avec des mots.

OoO

Quand Blaise et Hermione avaient décidé de se marier, Draco s'était dit que c'était une belle connerie. Cela faisait pourtant trois ans qu'ils étaient ensemble, si on omettait ces périodes de break où ils souffraient plus qu'ils ne profitaient de leur relative liberté. Amoureux, ils désiraient fonder une famille et stabiliser leur couple qui souffrait de leurs caractères forts et de leurs ambitions personnelles. Bien qu'il ait soutenu son meilleur ami, Draco s'était fait la réflexion que ça ne marcherait jamais longtemps. Et quelque part, il ne s'était pas vraiment trompé.

Quand Draco s'était mis avec Harry, il n'avait pas d'argent ni vraiment de temps à lui consacrer. Toute son énergie passait dans ses études et l'orphelinat. C'était d'ailleurs pour cela que ses relations amoureuses ne fonctionnaient jamais, car cet espèce d'égoïsme mêlé d'altruisme réduisait considérablement ses chances de nouer quoi que ce soit avec un homme. Harry avait été le premier à l'accepter comme il était, et surtout, il avait été le seul à avoir su trouver la manière et les mots pour lui faire concevoir la nécessité de faire des concessions.

Leur couple reposait sur ces concessions. Sans elles, Harry serait parti depuis longtemps, car bien qu'il accepte son caractère parfois compliqué, ce besoin viscéral de payer sa dette à la société et cet amour bienveillant qu'il portait aux enfants défavorisés, jamais il n'aurait pu faire sa vie avec lui s'il n'avait pas eu la primeur dans son cœur. Tout était une question de dosage. Et depuis douze ans, Draco s'acharnait à lui prouver qu'il était ce qu'il avait de plus précieux sur cette terre, et que s'il y avait un choix à faire, il ne durait pas plus de quelques secondes. C'était la base de leur couple et de leur mariage.

Hermione et Blaise n'avaient pas posé les mêmes fondements, sans doute parce qu'une discussion à ce sujet ne s'était pas imposée ou ne leur avait pas parue nécessaire. Draco n'était même pas certain qu'ils communiquent vraiment quand un problème survenait, qu'ils s'assoient autour de la table pour évoquer leurs soucis et essayer de les régler. Cela dit, il ne pouvait pas vraiment le leur reprocher, car sans Harry, jamais il n'aurait pris cette habitude, lui qui s'était construit en masquant au mieux ses émotions.

Quand le couple avait annoncé leur séparation, après tant d'années d'amour et deux beaux enfants, Draco avait sombré dans une sorte de mutisme, dont Harry peina à l'extraire. Il se doutait que ça ne finirait pas bien, mais voir son meilleur ami si malheureux et Hermione si raide et crispée lui fit un mal de chien. S'en était suivi d'une grosse remise en question qui aboutit à une engueulade mémorable avec son mari, celui-ci ne supportant plus son attitude surprotectrice et cette paranoïa qui bouffaient leurs relations plus qu'elles ne les protégeaient.

Depuis, une année s'était déjà écoulée et Draco s'était fait une raison. Alors, quand il était passé dans la boutique de Ron pour acheter de quoi occuper ses gamins le lendemain après-midi, il ne s'attendait absolument pas à y croiser Blaise venu pour les mêmes raisons que lui. Ce fut un plaisir de le croiser, et plutôt que rentrer directement chez lui, le blond avait accepté d'aller prendre un verre avec lui, non sans envoyer un message à Harry sur le vieux téléphone qu'il lui avait offert lors de leurs six mois d'amour. Finalement, ils étaient allés dîner ensemble et Blaise, l'air embarrassé, lui avait avoué avoir renoué avec Hermione, qui acceptait de lui redonner une chance.

Cette nouvelle aurait dû le ravir, et au fond de lui, c'était le cas. Mais Draco allait si mal depuis le début de l'après-midi qu'il était tout simplement incapable de se sentir heureux pour lui. Pourtant, il lui avait souri, l'avait encouragé, et lui avait finalement soufflé qu'il se sentait très mal pour une orpheline et qu'il ne se sentait donc pas capable de sauter au plafond ce soir en dépit de cette bonne nouvelle, mais qu'il le ferait quand ils seraient officiellement de nouveau ensemble. Blaise avait alors hoché la tête avant de lui sourire et lui avait promis qu'il ferait des efforts pour que ça remarche. Il aimait Hermione. Plus que tout. Et il voulait qu'elle reste à jamais sa femme, même si leur vie ensemble n'était pas toujours facile.

A présent, Draco était rentré chez lui. Seul dans l'entrée, il avait écouté la voix lointaine de Harry lire une histoire aux enfants. Cela lui avait fait du bien. Puis, il avait retiré ses chaussures, sa cape d'hiver et s'était installé dans la cuisine. Comme souvent quand il rentrait tard, une tasse remplie d'eau avec sa boule à thé et un carré de sucre l'attendait sur la table. Cela lui arracha un sourire fugace, qui disparut au moment où il s'assit. Même ça, ça ne parvenait pas à lui mettre du baume au cœur. Même ça.

Alors, ses mains cerclant la tasse chaude qui sentait bon la menthe, Draco se remémorait sa journée, cette après-midi passée à l'orphelinat en espérant le retour de Mr Fish qui avait brillé par son absence, enchaînant les rendez-vous sans prendre le temps de rentrer, et cette rencontre inopinée dans la boutique de Ron, dont le sourire solaire lui avait fait un peu de bien. Maintenant, il était chez lui, le cœur glacé et les mains brulantes.

Le médicomage ferma les yeux un court instant quand il entendit les pas de Harry dans les escaliers. La démarche régulière, son compagnon le rejoignit dans la cuisine, sans dire un mot, dans ce silence paisible qui n'appartenait qu'à lui. Draco ne rouvrit les yeux quand l'entendant entrer, mais il se sentait tellement mal qu'il préféra garder la tête baissée. Il avait honte, en fait. Honte d'avoir fui la maison toute l'après-midi et de rentrer si tard, alors que Harry était si fatigué et surement inquiet, car cela ne lui ressemblait pas de disparaître comme ça sans explications.

En silence, Harry s'avança vers lui et posa une main douce sur son épaule. Alors, Draco leva la tête et le regarda. Une bouffée d'amour lui gonfla le cœur et ce fut comme si le monde s'éclairait, l'espace d'un instant. Harry lui sourit et allait se mettre dans son dos, mais Draco lui saisit le poignet et l'attira sur ses genoux. Aussitôt, son compagnon s'installa et ouvrit grand les bras. Le médicomage s'y blottit aussitôt, enserrant doucement sa taille et calant sa tête contre son cou pour respirer pleinement son odeur.

Ils restèrent ainsi quelques minutes. Harry était un peu lourd et son ventre ne rendait pas sa prise facile. Pourtant, Draco se sentit bien. Il sentait bon, et il avait cette manière si particulière de lui caresser les cheveux et la nuque, que le poids sur son cœur parut s'alléger un peu. Mais très vite, ses pensées sombres lui revinrent et sa prise se resserra autour de lui, comme s'il craignait qu'il ne disparaisse soudain et le laisse seul dans cette cuisine trop grande pour lui, dans cette maison qu'ils avaient acheté à deux et où il comptait finir ses jours.

« Draco ? Mon chéri ? Qu'est-ce qui se passe ?

- Je suis fatigué. Pardon de t'avoir laissé seul aujourd'hui.

- C'est pas grave. Tu étais où ?

- A l'orphelinat. Je m'occupais des enfants. Manque d'effectif.

- D'accord. »

Il y eut un silence. Harry ne le croyait pas. Il le connaissait beaucoup trop bien. Et Draco, en dépit de sa volonté de tout garder pour lui jusqu'au lendemain matin, sentit sa volonté flancher.

« Harry ?

- Hm ?

- Tu sais… Quand tu es tombé enceint de James. J'étais… angoissé. Très angoissé.

- Oui, je sais. Tu avais du mal à dormir la nuit, au début.

- Tu l'as remarqué ?

- Bien sûr.

- Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

- Parce que j'avais peur.

- De quoi ?

- Que tu regrettes.

- Que je regrette quoi ?

- Eh bien, d'avoir un enfant avec moi. Mine de rien, ça faisait…

- T'es sérieux, là ? »

Draco s'arracha de l'étreinte tendre de ses bras et chercha son regard, mais Harry regardait le sol, les joues un peu rouges. Son cœur se serra à l'idée que son mari ait été torturé par une pareille idée, alors que par Merlin ils l'avaient tellement attendu, ce bébé, ils l'avaient tant désiré… Comme pour se faire pardonner, Draco déposa un baiser appuyé sur sa joue et Harry sourit, les yeux toujours baissés.

« J'ai jamais regretté notre union, Chéri.

- Je sais. Enfin, maintenant, je le sais. Mais c'était compliqué, à ce moment-là. Et puis, tu as changé après l'échographie.

- Changé ?

- Ouais. Tu souriais plus. Tu avais l'air plus détendu. Et tu parlais vraiment du bébé, comme s'il existait enfin. Avant, tu n'abordais pas le sujet si je ne le faisais pas.

- Je te demande pardon.

- Oh tu sais, tu t'es tellement bien rattrapé après que je ne t'en ai jamais voulu. Je me suis toujours dit que tu vivais une mauvaise passe à ce moment-là ou que c'était trop de pression pour toi.

- La vérité, c'était que j'étais terrifié.

- Terrifié ?

- Oui. »

Draco baissa les yeux et chercha ses mots. Doucement, Harry caressa ses cheveux puis l'embrassa sur le front, comme pour l'encourager à poursuivre. Après un soupir de bien-être mêlé d'embarras, Draco leva à nouveau les yeux, se perdit quelques secondes dans ses incroyables yeux verts, puis se lança, le ventre noué et la gorge un peu serrée.

« Tu sais, Harry… Il arrive lors d'une grossesse que les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Je ne te parle pas de malformations ou de maladies, ça arrive et on ne peut rien y faire. Forcément j'y ai pensé, comme n'importe quel parent attendant son premier enfant. Mais il arrive aussi que les choses dégénèrent quand, comme nous, on a désiré avec autant de force l'arrivée d'un bébé.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Eh bien, il arrive que, quand on désire trop fort un enfant, le corps et l'esprit se persuade qu'il est là. Les symptômes sont similaires, le corps se transforme, et…

- Attends, tu parles d'une grossesse nerveuse ? Tu pensais que je faisais une grossesse nerveuse ?! Mais on entendait les battements de son cœur ! C'est toi-même qui me les as fait écouter !

- Une grossesse nerveuse de ce type prend rapidement fin, car il n'y a pas de cœur. Mais il arrive que le corps, par soif de maternité, crée un corps. Crée un bébé. Un bébé avec un cœur, qui bat, et des pieds qui tapent contre le ventre. Mais c'est un bébé infécond. Un bébé difforme, tout juste humain, qui ne survivra pas à la naissance. »

Prononcer ces mots, sur un ton si calme, presque professoral, lui fit un mal de chien. Car c'était mettre enfin des mots sur ce qui le torturait depuis des heures, ce qui l'avait maintenu loin de chez lui, et qui l'avait empêché d'être heureux pour son meilleur ami.

C'était mettre des mots sur ce qui l'avait empêché de dormir des semaines durant et qui lui donnait, à cet instant, juste l'envie de hurler.

« Draco…

- J'étais terrifié. J'y pensais jour et nuit. On l'a tellement voulu, ce bébé, tu pleurais tellement quand le test était négatif… Et tu étais si serein quand enfin tu as su que tu étais enceint… L'idée m'est venue un jour et elle ne m'a plus quittée jusqu'à l'échographie. »

Les larmes lui montaient aux yeux et Draco luttait pour ne pas les laisser couler. Il se devait de rester fort, de ne pas craquer, car par Merlin toute cette histoire ne le concernait pas, la vie de Hope n'influencerait pas la sienne, et cette putain de culpabilité qui le torturait depuis des heures, parce qu'il n'avait pas été capable de le lui dire et parce qu'il ne pourrait rien faire pour elle, parce que ce n'était qu'une gosse et qu'il ne lui était d'aucune aide, il ne devait pas la laisser l'envahir…

Mais il était faible. Et malheureux. Et le regard si triste et si doux de son époux lui donnait juste envie de craquer dans ses bras et de tout oublier.

« Chéri… T'aurais dû m'en parler.

- Mais non, je ne pouvais pas…

- J'ai cru pendant des semaines que tu regrettais cet enfant…

- Mais ça t'aurait détruit, Harry. Tu n'aurais pas supporté l'idée d'avoir peut-être un enfant mort dans tpn ventre. Et si c'avait été le cas… Je suis désolé, Harry, mais je ne pouvais pas te le dire…

- Ne pleure pas, Draco… C'est du passé, de toute façon. Viens là. »

A nouveau, Harry l'enserra dans ses bras et le tint avec force, lui offrant le peu d'énergie qu'il lui restait. Il était sans doute trop fatigué pour l'engueuler, ou trop conscient de ces angoisses qui lui avaient bouffé les tripes lors de sa première grossesse. Et peut-être que ce destin funeste qui aurait pu l'attendre refroidissait ses envies de le gronder. Car ni l'un ni l'autre n'osait imaginer ce qui se serait passé, par la suite, si tel avait été le cas.

Il y eut un silence entre eux. Un silence long et un peu pesant. Blotti dans ses bras, Draco respirait son odeur en essayant de se calmer, mais il était trop tard : les larmes coulaient sur ses joues et il revoyait le corps déformé du bébé qui semblait nager dans des eaux troubles dont jamais il ne parviendrait à s'extraire en vie. Finalement, la voix de Harry brisa le silence, tandis que ses mains allaient et venaient dans ses cheveux et sur sa nuque.

« C'est ce qui attend Hope, c'est ça ?

- Oui…

- Elle le sait ?

- Non.

- Comment ça, elle ne le sait pas ?

- On n'a pas eu la force de le lui dire. La gynéco' a interrompu l'échographie et lui a dit que c'était un garçon.

- Un garçon ? Ces bébés ont un sexe ?

- Oui. Celui que désire leur génitrice. Mais elle a pensé que lui dire que c'était un garçon réduirait son enthousiasme et rendrait peut-être les choses un peu moins difficiles.

- Et quand allez-vous lui dire ?

- Demain. Je vais voir John demain matin pour lui parler de la grossesse, et je pense que nous le lui annoncerons ensemble. Ou peut-être que ce ne sera que moi. J'en sais rien.

- Tu vas y arriver.

- Dis pas ça, ça m'angoisse, t'imagines même pas…

- Si, j'imagine. Je le sens. »

Harry déposa un baiser sur le sommet de sa tête. Plutôt que de s'extraire de ses bras, Draco préféra y rester, se laissant bercer par la voix réconfortante de son mari, par ses doigts qui caressaient ses cheveux, et par cet amour dont il avait tant besoin, pour affronter Hope et ses désillusions.

OoO

D'un mouvement mécanique, Draco ouvrit la porte de son cabinet et se dirigea vers la secrétaire qui gérait d'une main de maître l'emploi du temps des cinq médicomages de leur section. Après avoir jeté un coup d'œil au registre, il tiqua légèrement en voyant le nom de son dernier patient, au-dessus de celui de Jaiman qu'il avait griffonné à la va-vite après avoir reçu une note de sa part dans la matinée. Cependant, il n'en montra rien et gagna la salle d'attente où patientaient encore quelques parents avec leurs bambins de différents âges, mouchant et toussant pour la plupart, allongés dans leur poussette, blottis contre leur maman ou jouant bruyamment dans le coin dinette.

Quand Draco avait intégré la section en temps que remplaçant, il avait été atterré par l'état de la salle d'attente qui semblait comme figée dans le temps, avec de la moquette aux murs, des tapis si élimés qu'on voyait le sol en transparence et quelques vieux jouets d'un autre âge que les enfants ne touchaient plus depuis longtemps. Cette pièce était juste un cauchemar qui le remplissait de dégoût à chaque fois qu'il était forcé d'y mettre physiquement les pieds. Cependant, n'étant que remplaçant, il lui était compliqué de faire entendre sa voix et de faire comprendre à ses supérieurs qu'il n'était guère tolérable que des familles attendent dans un tel endroit avec leurs enfants malades.

Il avait fallu qu'un de ses collègues parte à la retraite pour que Draco obtienne son propre cabinet, après des entretiens musclés et le soutien indéfectible de certains de ses collègues et personnels de l'hôpital. A peine prit-il ses fonctions qu'il organisa une réunion afin de rénover cette pièce abominable qui hérissait tout autant les poils des autres médicomages. Après une opération forcing, ils avaient réussi à obtenir des financements pour arracher ces horreurs collés aux murs, repeindre tous les murs, changer le parquet, acheter de nouveaux sièges et des jouets neufs pour occuper les enfants. Autant dire que l'ambiance du cabinet changea radicalement et que les patients ne tarirent plus d'éloges. Et quand un an plus tard ce fut au tour des cabinets et du secrétariat de leur section, ce fut l'apothéose.

Draco aimait son lieu de travail. Contrairement à certains collègues, il ne se lassait pas de venir ici tous les jours, même si parfois l'idée d'indépendance l'effleurait. Mais il se sentait si bien avec ses collègues, dans cette grande bâtisse qu'il commençait à connaître par cœur, avec ces patients qu'il connaissait depuis des années ou qu'il découvrait chaque jour, suivant le parcours de leur vie et aidant au mieux les familles en difficulté, dans la mesure de ses moyens. Draco était épanoui dans son travail et ne comptait pas remettre en question son quotidien certes très calibré mais qui lui donnait la sensation d'être utile.

Car contrairement à ses collègues, qui tendaient cependant à emprunter son chemin de temps à autre, Draco consacrait une bonne partie de son temps aux familles défavorisées, aux parents célibataires, aux mères filles et aux orphelins nécessitant un regard expert à un prix convenable. Vu ses compétences, Draco aurait pu viser beaucoup plus haut, mais ses trois années passées à l'orphelinat Beatrix Bloxam lui avaient fait relativiser la valeur de l'argent. Il n'avait pas besoin de gagner plus pour être heureux. Son bonheur était ailleurs. Il était dans ce qu'il faisait chaque jour et qui rendait Mr Fish et Harry fiers de lui.

« Mr Mish ? »

Aussitôt, une tête se leva parmi les quelques patients assis dans la pièce. Draco fit un petit mouvement de tête et alors Jeremiah se leva gauchement, jeta son sac sur son épaule, se pressa vers le coin dinette pour récupérer un petit garçon de quatre ans recouvert de boutons rouges, et le regard baissé, il marcha vers le médicomage comme un enfant sur le point de se faire gronder. Draco se retint de lever les yeux au ciel et se contenta de saluer l'enfant avec un sourire et un mot gentil et de poser ensuite une main apaisante sur son épaule tout en le guidant vers son cabinet.

A peine entra-t-il dans la pièce que Jeremiah s'assit sur un des sièges devant son bureau, le petit garçon sur les genoux et son sac à ses pieds. Puis, il attendit en silence que Draco rejoigne son bureau d'un pas tranquille, derrière lequel il s'installa non sans passer une main douce dans la tignasse bouclé de son jeune patient. Le petit garçon lui fit alors un grand sourire, comme seuls les enfants savent en faire.

« Alors, Jeremiah, quel bon vent t'amène ? Mathis ne se porte pas bien ? Tu le traites bien, dis donc, j'ai l'impression qu'il a moins de boutons que la dernière fois.

- Non, il va bien. Enfin, je fais au mieux. C'est un peu casse-pieds, la varicelle…

- Ah, ça… Tous les enfants y passent.

- Ouais.

- Alors, qu'est-ce qui t'amène ?

- Je suis un peu malade. J'ai mal à la gorge et… »

D'une voix timide, Jeremiah lui expliqua ses maux. Cela faisait un moment que Draco ne l'avait pas vu, en grande parie parce que l'orphelin vivait chichement et préférait dépenser son argent pour cette petite boule d'amour lovée contre lui. Il savait pourtant que Draco était des plus arrangeants et qu'il avait des crédits avec tout le monde, mais sa fierté et sa peur des lendemains difficiles l'avait rendu dur au mal.

Et puis, il avait honte. C'était souvent le cas pour les parents célibataires qui se retrouvent du jour au lendemain plantés par la personne qu'ils considéraient comme leur moitié, après avoir cru des mois durant qu'ils feraient leur vie ensemble et qu'ils élèveraient leurs enfants à deux. Et parce que Jeremiah, adolescent difficile, en manque de repère et en rébellion constante, avait rêvé d'une belle histoire d'amour comme Jaiman et Draco avaient pu en vivre, parce qu'il avait été amoureux secrètement de celui qui était à présent son médicomage, il s'était jeté à corps perdu dans une relation perdue d'avance avec un homme fragile qu'il avait tenté de remettre dans le droit chemin.

Et il avait réussi. Un temps. Le temps d'avoir un enfant. Et puis, ça s'était cassé la gueule. Son homme avait replongé et leur avait préféré quelque chose qui le rendait plus heureux qu'un bébé geignant toute la journée et un gars qui gagnait à peine de quoi vivre dans une boutique de vêtements.

Maintenant, il en était là. Avec son boulot qu'il adorait mais qui ne lui garantissait jamais de fins de mois paisibles, un petit garçon en bonne santé avec des besoins à subvenir, et cette mélancolie difficilement surmontable qui l'empêchait d'envisager une vie stable avec un autre homme.

Et cette honte. Parce que les choses auraient pu se passer autrement. Il aurait dû être moins con. Ecouter plus. Ne pas se faire d'illusions. Et avoir quelque chose de meilleur à offrir à son fils, la source de ses malheurs, mais aussi la plus belle chose qui lui soit arrivée et à laquelle il s'accrochait comme à une bouée de sauvetage au milieu d'une mer déchainée.

Draco n'avait jamais aimé Jeremiah. Et en dépit de ses malheurs, son avis sur son compte n'avait guère changé. Bien évidemment, il ressentait de la pitié pour lui et de la compassion, et il essayait de l'aider au mieux, en écoutant ses malheurs quand il osait les lui confier, en lui offrant tous les conseils qu'il pouvait lui dispenser, et en soignant son petit garçon qu'il chérissait plus que tout. Mais malgré les années, ses sentiments à son encontre restaient les mêmes. Cela le faisait culpabiliser, parfois. Quand il se disait qu'il n'était qu'un vieux con et que ce gamin casse-burnes avait bien changé. Mais il fallait croire que certaines choses ne changeraient jamais, et le mieux qu'il avait à faire, c'était de le soutenir quand il en avait besoin.

« Viens là, je vais t'examiner. Mathis, va jouer, mon grand. »

Aussitôt, le petit garçon descendit des genoux de son père et se pressa vers le petit coin dinette toujours en bordel qui attirait les enfants comme un aimant. Jeremiah osa alors se lever et alla s'installer sur le lit médical où Draco put l'examiner soigneusement. Il se trainait une bronchite depuis quelques jours, mais rien de bien grave. Enfin, le médicomage s'était attendu à pire car Jeremiah était du genre à attendre sans cesse que les choses se tassent plutôt que de venir le voir pour régler le problème.

Une fois Jeremiah rhabillé, Draco alla chercher Mathis pour jeter un coup d'œil à ses boutons et le reste de son corps. A l'évidence, l'enfant se portait parfaitement bien, ce qui était un vrai plaisir à voir. Tout comme il était plaisant de voir le sourire timidement fier de Jeremiah quand Draco lui dit qu'il avait un petit garçon en bonne santé. C'était dans ces moments-là qu'il se disait qu'il n'était vraiment qu'un vieux con. Et puis, dans les semaines qui viendraient, il entendrait parler de ses frasques, de ses histoires d'amour qui ne menaient à rien, il le retrouverait à bout de nerfs ou épuisé, ils se rentreraient dedans mutuellement… C'était un cycle sans fin.

Un cycle qui, Draco l'espérait, prendrait fin un jour.

« Bon, tout va bien. Enfin, fais attention à ta santé. Tu n'en as qu'une, et Mathis n'a que toi.

- Ouais, je sais. T'inquiète, je vais prendre mon veux pas qu'on me le prenne.

- Il n'y aucune raison pour qu'on te le prenne. Tu t'en occupes bien, il n'est pas malheureux. Mais il faut que tu prennes soin de ne vais pas te faire un long discours, on a déjà eu cette conversation de toute façon. Mais fais attention à toi, Jeremiah. Vraiment.

- Ouais, t'inquiète.

- C'est John qui s'inquiète.

- Ouais, je sais. Je vais le voir ce week-end.

- Il sera content.

- Ouais. Tu sais, je vois quelqu'un en ce moment.

- Ah oui ? Et ça se passe bien ?

- Plutôt.

- Il est au courant pour Mathis ?

- Ouais. Il s'en fout. Enfin, il accepte, quoi. Et puis… C'est quelqu'un de bien, tu sais. Vraiment bien.

- Si c'est quelqu'un de bien, pourquoi est-ce que tu as envie de pleurer ?

- Il est mort, Draco.

- Mort ? Qui ?

- Nolan. Il est mort. »

Draco sentit son souffle se couper dans sa gorge. Il allait dire quelque chose, mais se ravisa. Pour le coup, il ne savait quoi lui répondre. Après tout, Nolan était parti quelques mois après la naissance de leur fils, et après avoir essayé de le récupérer quand Mathis avait deux ans, Jeremiah avait jeté l'éponge et tiré un trait sur son histoire avec le père de son bébé. Ainsi, lui présenter ses condoléances lui paraissait malvenu. Mais la souffrance qu'il lisait dans ses yeux et sur son visage, elle, n'avait rien de malvenu.

« Je ne sais pas quoi te dire.

- Alors ne dis rien.

- Ce que je veux dire, c'est que je comprends que tu sois malheureux et je compatis, sincèrement.

- Merci.

- Ton copain est au courant ?

- Ouais. Et il est très présent. Surtout pour Mathis. Il y a des soirs où c'est pas facile.

- Je comprends.

- Je sais pas si je l'aime mais…

- Tu as tout le temps pour statuer là-dessus, Jeremiah.

- Ouais mais… C'est comme si Nolan avait emporté une partie de mon cœur. Il m'a fait tellement de mal… et je l'aimais toujours, quelque part.

- Tu aimais son souvenir, Jeremiah. Tu l'aimais pour ce qu'il t'a offert, pour ce but qu'il a donné à ta vie. Donne à cet homme la chance qu'il mérite. Tu as le droit d'être heureux, comme n'importe qui, et Mathis a le droit d'avoir un beau-papa qui prendra soin de lui.

- Oui. Tu as raison. Merci de m'écouter.

- Je suis là pour ça. Tu le sais.

- Oui, je le sais. Mais merci.

- Je t'en prie.

- On va y aller, je suis fatigué.

- Pas de problème. »

La main un peu tremblante, Draco farfouilla dans son armoire à pharmacie et saisit deux flacons, tandis que Jeremiah sortait sa bourse et déposait quelques pièces sur son bureau. Il partit quelques instants plus tard, sa cape sur le dos, son sac sur l'épaule et son fils dans ses bras.

Quand la porte claqua derrière lui, Draco s'assit à son bureau. Il avait besoin de respirer un peu, de réfléchir. Il n'arrivait pas à se prononcer sur la mort de Nolan, qui avait succombé à ses vices et qui aurait sans doute pu emporter Jeremiah avec lui s'il n'y avait pas eu leur fils. Il n'arrivait pas à se dire que ce n'était pas une mauvaise chose, car ce n'était pas dans son tempérament, mais Nolan était de ces hommes perdus que rien ne semble pouvoir sauver et Jeremiah, tout abruti qu'il soit, ne méritait pas de payer le prix de ses névroses. Au final, c'était juste la vie. C'était comme ça.

OoO

Depuis tout petit, Tamilinyan était connu pour sa grande fragilité. A vrai dire, lors des premières années de sa vie, il ne se passait guère une semaine sans que Jaiman ou son mari ne se rende chez le médicomage. Depuis, le petit garçon avait bien grandi et arborait un sourire à toute épreuve que même la pire des gastro ne parvenait pas à entacher. Devenu leur médicomage de famille, Draco avait toujours été impressionné par sa capacité à attraper au vol tous les virus passant par là et préférait en sourire, histoire de détendre ses parents aussi inquiets qu'exaspérés.

Cette fois, Jaiman venait pour une petite toux qui pourrait très rapidement dégénérer si elle ne la traitait pas immédiatement. Guère adepte des potions maisons, elle préférait passer par Draco pour avoir de bons remèdes. Autant ses trois autres enfants étaient plutôt résistants, autant elle ne pouvait guère se permettre d'écart avec son dernier, une petite erreur contraceptive qui embaumait leurs jours de rire et de douceur.

« Merci de m'avoir reçue, mon Draco. Je ne vais pas t'embêter plus longtemps, ton homme t'attend à la maison.

- Ah non, pas ce soir. Il dîne chez Hermione et j'ai pour ordre de ne pas le déranger.

- T'es sérieux ?!

- Apparemment Blaise et Hermione se refréquentent sérieusement en ce moment et il veut entendre tous les ragots du moment sans m'avoir dans les pattes.

- J'adore ton homme.

- Moi aussi, je l'adore. »

Draco lui fit un sourire avant de poser de nouveau les yeux sur Tamilinyan qui jouait tranquillement dans le coin dinette de son cabinet. Il y eut un silence entre eux, un silence agréable et un peu complice. Puis, Jaiman poussa un soupir, se laissa aller dans son siège et se massa la nuque d'une main lasse.

« John est malheureux, en ce moment.

- Je me doute.

- Ca ne dure jamais longtemps, il n'est pas défaitiste dans l'âme et il essaie toujours d'aller de l'avant. Mais il est triste comme la mort…

- Ce n'est guère étonnant, vu la situation. Hope a ressenti quelque chose ?

- Non. Elle va bien. Enfin, aussi bien qu'elle peut aller vu son état. Mais c'est très perturbant de la regarder, maintenant.

- A cause du bébé ?

- Ouais. Et aussi pour… Enfin, tu sais quoi. »

Ils échangèrent un regard entendu. Jaiman était la seule éducatrice au courant de la situation de l'orpheline. Pour éviter les fuites, qu'elle ne soit stigmatisée ou que le comportement des autres ne change, Mr Fish avait décidé que personne ne serait informé de son état. Seule Jaiman, pour des raisons purement médicales, savait à présent que le bébé que Hope portait n'était pas viable et décèderait à la naissance, comme lors d'une fausse couche.

Ils avaient beaucoup pleuré. Lui et John. Pourtant, Draco s'était blindé et le directeur en avait vu d'autres. Mais quand Draco, la gorge serrée, lui avait expliqué la situation, avec des mots choisis et difficilement articulés, Mr Fish avait craqué. Les mains croisées devant la bouche, il avait laissé des larmes couler sur ses joues. Parce qu'il avait déjà vécu cette situation, parce qu'il avait déjà soutenu des orphelines atteintes de ce mal, il avait craqué devant lui, chose qui n'était jusqu'alors jamais arrivée, et parce que voir cet homme si bon et si sage verser des larmes était une véritable torture, Draco s'était de nouveau laissé aller, comme un enfant.

Cela avait duré un moment, sans que ni l'un ni l'autre ne parvienne à prononcer le moindre mot. Et puis, ils avaient essayé de se ressaisir, d'envisager l'avenir pour cette pauvre fille, pour enfin écrire un courrier à une psychomage pour connaître la marche à suivre. Quelques jours plus tard, une concertation avec des spécialistes avait aboutie à la décision de cacher la réalité de sa grossesse jusqu'à la naissance du bébé. Après la fausse-couche, une thérapie serait mise en place afin de révéler la vérité à l'adolescente et engager un véritable suivi afin qu'elle puisse surmonter cette épreuve.

Draco n'avait pas eu la force de contester ou d'approuver cette décision, qu'il acceptait sans concessions. A vrai dire, c'était un tel dilemme qu'il était tout simplement incapable de prendre parti, et il en allait de même pour le directeur. De toute manière, ce dernier était bien incapable de parler, accablé qu'il était par les nouvelles qu'il apprit ce jour-là, à savoir la liaison de Hope avec un Septième année de Serpentard bien sous tous rapports mais malheureusement fiancé dans les plus pures traditions familiales.

Par ailleurs, outre son désir profond de se lier à jamais à cet homme qu'elle aimait, de fonder la famille dont elle avait toujours rêvé, de s'échapper de l'orphelinat et de vivre une vie de princesse, il paraissait évident à la psychomage alors présente que le déclic s'était fait lors de l'anniversaire du directeur. Cet évènement s'était déroulé lors d'un week-end, et comme chaque année, les orphelins étaient autorisés à quitter l'école le temps d'une nuit. Hope avait fait l'effort de se déplacer, malgré le peu d'intérêt qu'elle portait à cet anniversaire, et parmi tous les invités se trouvaient bien évidemment Draco et son mari. Et c'était l'occasion rêvée pour annoncer à Mr Fish que Harry attendait leur troisième enfant.

Il était vrai que tout concordait. Cependant, Draco refusait de se sentir coupable et ne parvenait pas à se faire à l'idée que Hope ait pu avoir un tel déclic à leur contact. Pourtant, il fallait croire que les voir si heureux avec leurs deux enfants, eux, le couple parfait qui auraient dû l'adopter des années auparavant, avait mis Hope dans un tel état que, quelques jours plus tard, sa grossesse miraculeuse débutait à la suite d'un rapport non protégé mais malheureusement infructueux. Cette logique lui paraissait peu concevable, mais il y avait une telle ressemblance entre la grossesse de Hope et celle de Harry, et ces spécialistes en avaient vu tellement, des filles comme elle…

Ce n'était pas le dénouement dont Draco rêvait pour cette enfant, mais comme disait Harry, il ne pouvait pas sauver tout le monde. Et quand il lui avait raconté tout ça le soir venu, il lui avait répété ces mêmes mots, avec des larmes dans les yeux et le cœur gros.

« C'était une drôle d'histoire, quand même. J'arrive pas à imaginer la souffrance que c'est de…

- Je crois qu'il vaut mieux ne pas l'imaginer.

- Ouais, t'as raison. Enfin, c'est dur pour John. T'imagines même pas.

- Malheureusement, on ne peut rien faire. Il s'en remettra.

- C'est toujours difficile quand des filles font des grossesses nerveuses.

- Ca n'arrive pas tous les quatre matins non plus…

- Non. Mais c'est dur. Tu sais, sa femme est morte de ça…

- Pardon ?! »

Sa voix fit sursauter Tamilinyan, qui leur jeta un drôle de regard. Ignorant l'enfant, Draco ne put cacher sa stupéfaction, tandis que Jaiman, l'air embarrassé, se triturait nerveusement les mains, un geste qui ne lui ressemblait pas.

« Elle n'est pas morte dans un incendie ?

- Si. Mais l'incendie, c'est elle qui l'a provoqué. Elle a brûlé le berceau où aurait dû dormir leur bébé. En fait, ils l'ont su au moment de l'accouchement. Elle n'avait jamais fait d'échographie car elle voulait avoir la surprise, et tu sais, à l'époque, c'était pas vraiment obligatoire, hein. Elle s'en est jamais remise.

- Mais… Mais il ne m'en a jamais…

- Je l'ai su quand Harry est tombé enceint de James. Tu étais tellement angoissé qu'un soir, il a eu besoin de m'en parler. Il savait que j'étais au courant de tes angoisses, alors il savait qu'il ne te trahirait pas. Et il a fini par me l'avouer.

- Par Merlin…

- Ne te sens pas coupable. T'en savais rien. Si je te le dis, c'est parce que je crois qu'il a besoin que tu le saches. Tu comptes beaucoup pour lui.

- Si j'avais su, je…

- Avec des si, on refait le monde, Draco. Et John, il a voulu l'améliorer, ce monde. Quand sa femme est morte, il a renoncé à la paternité, et à l'amour, sans doute parce qu'il avait très peur de souffrir à nouveau. Aujourd'hui, il est bien dans sa vie. Il aime sa vie. C'est juste qu'en ce moment, eh bien ce n'est pas la grande forme.

- Je passerai à l'orphelinat, demain.

- Surtout pas. Laisse-le tranquille. Il a besoin qu'on lui fiche un peu la paix, tu sais.

- Alors dis-lui que je suis au courant.

- Je le ferai. »

Jaiman lui fit un sourire et Draco le lui rendit comme il put. Le cœur douloureux, il sentit une grande lassitude l'envahir. La lassitude de voir des gens biens, des gens dans le malheur souffrir sans cesse, comme si la Vie avait décidé de s'acharner sur eux, sans jamais leur laisser un instant de paix.

« Je vais te laisser. Va rejoindre ton homme.

- Je vais le faire. Il va grogner mais tant pis.

- Ca l'empêchera pas de te demander un massage quand vous serez rentré.

- Ca, c'est certain.

- Allez, je m'en vais. Tami', tu viens ? Allez Poussin, on rentre à la maison, Papa nous attend. »

Enfin, Jaiman se leva et tapa dans les mains pour attirer l'attention de son fils, qui faisait mine de ne pas l'entendre. Il consentit finalement à se lever, alla embrasser Draco puis il quitta le cabinet, tenant la main de sa mère avec tant de naturel que cette vision lui fit mal un court instant.

Mais celui d'après, il enfila sa cape d'hiver et filait chez Hermione, où il serait accueilli par un Harry repu de ragots en tous genres et plutôt prompt à lui pardonner cette arrivée un brin trop rapide en échange d'un petit moment à deux dans leur large baignoire après le dîner. Un caprice qui fit sourire le médicomage, qui se ferait un plaisir d'y consentir.

OoO

Il y eut comme une lumière derrière ses paupières. Une lumière soudaine, puissante, qui laissa un grand vide derrière elle. Quelques secondes plus tard, le ciel grondait, les nuages s'entrechoquant derrière les rideaux de sa chambre. Le bruit tonitruant de l'orage le réveilla, sans pour autant le forcer à ouvrir les yeux. Il était dans une sorte de demi-sommeil, blotti dans ses draps et la tête enfoncée dans son oreiller.

L'orage ne lui avait jamais fait peur, même enfant. Pourtant, le bruit du tonnerre se répercutant dans les pièces du Manoir avait quelque chose de terrifiant. Sa mère détestait ça, elle n'était jamais rassurée durant ces nuits-là. Il ne ressentait alors ni angoisse ni crainte… ni apaisement, quand soudain la pluie se mit à tomber, des seaux d'eau claquant sur le sol en contrebas et sur les vitres, comme un déluge.

Aux aguets, le cœur battant un peu plus vite, Draco écouta les bruits de la bâtisse. Le tonnerre explosa une nouvelle fois après avoir illuminé sa chambre un court instant. Et quand son grondement cessa, il entendit alors plus distinctement des petits pas dans le couloir, qui se voulaient discrets, mais trop précipités et trop habituels pour l'être vraiment. Les yeux clos et l'image d'un rêve qu'il poursuivait malgré tout sur les paupières, le jeune homme poussa un léger soupir en entendant la poignée de sa porte s'abaisser.

« Papa ? »

Alors, Draco ouvrit les yeux. Les volets n'étaient jamais fermés et laissaient alors filtrer la lumière vive et fugace de l'orage. Il se perdit quelques instants dans l'obscurité de la rue, puis jeta un coup d'œil circulaire à la chambre plongée dans la pénombre. Son regard se posa sur la silhouette de Harry, qui gigotait un peu mais que l'orage n'avait pas encore réveillé, puis il s'allongea sur le dos et regarda la porte. En dépit de l'obscurité, il distingua la forme de son petit garçon posté dans l'entrebâillement de la porte et qui tenait encore la poignée. Il se fit la vague réflexion qu'il ne devait pas être seul.

« Oui James ?

- Y'a du bruit… »

Appuyé sur un coude, Draco soupira avant de se laisser retomber sur le matelas, les yeux clos.

« Dépêche-toi. »

Aussitôt, tandis qu'il se rapprochait du bord du lit, Draco entendit leurs petits pas pressés, et le temps qu'ils réalise qu'ils étaient tous les trois, James l'escaladait de façon experte et allait se blottir dans le dos de Harry, qui poussa un soupir. Ce petit bruit fit naître un sourire sur les lèvres de Draco, qui cala les deux autres petits entre eux, avec des gestes habiles que conférait l'habitude.

Et quand l'orage éclata à nouveau au-dessus de leur tête, le jeune homme blond sentit ses enfants frissonner autour de lui et se blottir toujours plus contre eux dans le lit.

Au fil des minutes, leurs respirations s'apaisèrent, prenant un rythme plus régulier, en dépit du déluge qui était en train de noyer la bâtisse.

Et alors, Draco put se rendormir.

FIN