Scène 8 – La Lune Blanche

Le loup observa un long moment l'homme inconscient à ses pieds. Empêtré dans le filet, il ne semblait pas bien dangereux. Mais les apparences étaient souvent trompeuses, il était bien placé pour l'affirmer.

Le roi de Bretagne portait à cet être insignifiant une bien étrange affection. Il avait quitté sa forteresse douillette pour vérifier qu'il allait bien. Et à l'annonce de sa « disparition », il avait ordonné à son plus brave chevalier de partir à sa recherche.

Le loup pourrait utiliser cette affection à son avantage si le besoin s'en faisait sentir, mais pour le moment …

Il leva les yeux vers le ciel.

La lune gibbeuse (19) le narguait.

Demain soir, la lune serait pleine. Il avait attendu des années que cette nuit se produise, et il ne laisserait rien ni personne s'interposer entre lui et son destin.


Arthur avait mal dormi.

Il avait ressassé sa petite discussion avec Lancelot une bonne partie de la nuit. Il était pris entre la colère et la déception, la position du roi et celle de l'ami. Non, de l'ancien ami. Se pourrait-il que les idéaux qui les avaient autrefois rapprochés, Lancelot et lui, aient aujourd'hui totalement disparu ? Le « roi » avait-il détruit l' « ami » ?

« Sire, est-ce que vous croyez que c'est vraiment une bonne idée ? Demanda le père Blaise.

- Est-ce que je crois que « quoi » est une bonne idée ? Grogna Arthur.

- Euh, envoyer les seigneurs Yvain et Gauvain avec Lancelot. Je ne suis pas sûr que -

- MAIS CA SUFFIT À LA FIN ! Gueula Arthur, excédé. Merde ! Quand est-ce que vous aurez tous fini de contester mes ordres ? Vous voyez ce que ça donne ? J'ordonne à Perceval de rester le cul bien au chaud, mais non, y s'prend pour François d'Assise (20) et y disparaît. Les deux autres crétins ont failli se prendre une volée de piques dans la tronche alors que je leur avais formellement interdit de sortir de c'te putain d'auberge et Lancelot se croit en pleine bataille contre les saxons. Alors vous savez quoi, à partir de maintenant, vous fermez tous vos mouilles et vous faites ce que j'vous dis ou c'est trois ans de galère pour tout le monde !

Arthur n'attendit pas que l'homme d'église lui réponde et d'ailleurs, y l'avait intérêt à pas le faire.

- Vous êtes prêt oui ou merde ? Demanda t-il froidement à Lancelot. Vous devriez être déjà parti. Avec ce temps pourri, chaque minute compte.

Les flocons tourbillonnaient autour d'eux. Il s'était remis à neiger dans la nuit.

- Parce que vous y croyez encore ? Lui répondit Lancelot.

- Je crois encore à quoi ? Demanda Arthur qui commençait à en avoir marre qu'on lui parle comme s'il savait ce qu'il y avait dans la tronche des gens !

- Vous croyez que cette mission a un sens ? Une nuit dehors dans la neige … Lancelot secoua la tête. Passe encore si cela avait été n'importe quel autre chevalier que Perceval, murmura t-il, mais je doute que cet idiot connaisse ne serait-ce que les rudiments des techniques de survie.

- DE QUOI ! Hurla Arthur au bord de l'explosion. Vous êtes prêt à remuer ciel et terre pour trucider une bête qui vous a rien fait mais vous abandonneriez sans lever le petit doigt un de vos pairs ?

- Mais je n'abandonne personne moi, je dis juste qu'il faut être un peu réaliste ! S'énerva Lancelot.

- Ben, j'sais pas, y'a des endroits où on peut s'planquer bien pépères dans une forêt, dit Yvain.

Lancelot et Arthur se tournèrent vers le jeune homme.

- Par exemple, pour bien dormir, au calme et au sec, bah, faut trouver un arbre, plutôt un truc, là, les machins qui restent vert tout le temps …

- Un conifère, précisa Gauvain.

- Ouais, un matelas d'épines de mammifère là, c'est trop bien et puis ça fait aussi un abri avec les branches. Faut bien couper les arrivées d'air en bloquant les trous avec des feuilles plus grandes ou des branchages bien fournis, hein, parce que le vent, franchement, ça gave quand on veut bien dormir. Sinon, quand il a neigé comme ça, c'est encore plus facile : on creuse un abri en neige et en glace.

- Nous en avons construit un la semaine dernière, mon oncle, dit Gauvain tout sourire.

- Ouais, ma mère, elle est trop chiante en ce moment, elle comprend pas qu'à nos âges, on a besoin de repos, soupira Yvain. Alors, faut qu'on se planque.

- Nous étions parfaitement à l'abri et même, au chaud ! Dit Gauvain. C'est le seigneur Perceval qui nous a donné l'idée. Il nous a expliqué que c'étaient les caractéristiques thermiques de la neige emprisonnant des milliers de bulles d'air qui permettaient d'obtenir une aussi bonne isolation, ainsi qu'une température acceptable, même en conditions extrêmes (21).

- Ouais, ça bloquait même les cris de ma mère, alors pour être extrême, c'était extrême comme conditions, ajouta Yvain.

Arthur se tourna vers Lancelot, un large sourire aux lèvres.

- Alors, toujours persuadé que Perceval ne peut pas se débrouiller seul en milieu hostile ? Le nargua le roi.

Lancelot en resta coi un moment, puis il se reprit.

- Soit, je vais vous ramener votre chevalier.

- Mon chevalier ? C'est pas un peu aussi le votre ? Nous faisons tous partis de la table ronde, non ?

- Bien sûr, Sire, répondit Lancelot sur un ton qui disait clairement le contraire. »

Arthur regarda s'éloigner la petite troupe avec un pincement au cœur. Il devrait être celui qui menait ces recherches. Mais il avait aussi fait une promesse à Perceval : donner une chance à son fameux loup. Et cette chance résidait dans l'éloignement de Lancelot.

Il espérait juste que l'enjeu en valait la chandelle.


Perceval n'avait rien contre les oiseaux mais il aimait pas trop que l'un d'eux élise domicile dans sa pauvre caboche. Ça devait être un pivert s'il devait en croire le rythme endiablé avec lequel il tapait. Z'étaient cons ces bestioles à taper comme ça contre des bouts de bois mort ! Mort … Hé ! Y l'était pas mort et de toute manière, y l'était pas non plus un bout de bois. Temps de dire deux mots à c'machin emplumé.

Il ouvrit les yeux. Sur une paire de bottes blanches. Il leva la tête vers leur propriétaire.

« Ah, quand même, je me demandais quand tu allais enfin te réveiller, dit l'homme.

Il était vêtu d'une grande cape blanche et sa capuche lui cachait le visage.

Perceval était par terre, toujours ficelé dans le filet et ses mains désormais attachées devant lui. Il soupira. Y l'était revenu à la case départ et franchement, y l'avait trop mal au crâne pour jouer à « Que ferait Lancelot du Lac ? ». Fallait qu'il attende que le loup donne son médaillon à Arthur, c'était ce qu'il avait de plus sage à faire. Attendre.

- Perceval, c'est ça ? Dit l'homme.

Perceval sursauta.

- Bah, comment vous savez mon nom ? Demanda t-il.

L'homme éclata de rire.

- Je sais tout, répondit-il. Je sais que le loup t'a conduit ici. Ce que j'ignore c'est si toi, tu sais quelque chose.

Perceval cligna des yeux.

Perceval connaissait 77 jeux du pays de Galles, 6 façons de lancer des boulettes de pain avec le nez, que 16 131 pierres avaient été utilisées pour construire Kaamelott et aussi des trucs pas super utiles comme que la terre est ronde et que la lumière va plus vite que ce que l'œil peut voir.

- Ben, ça dépend …

L'homme éclata à nouveau de rire.

- La réponse d'un sage ! Alors, Perceval le sage, sais-tu quel pouvoir recèle la lune blanche ?

Perceval secoua la tête. Il était manifestement tombé sur du bon taré.

- Non, bien sûr, tu l'ignores, pauvre humain prisonnier de ta mortalité, soupira l'homme. Ce soir … ce soir est le soir de ma résurrection.

- Euh, c'est pas faux, tenta maladroitement Perceval qui ignorait le sens du mot résurrection.

- C'est pas faux ? Comment ça c'est pas faux ?! Tu sais donc quelque chose, et bien parle !

L'homme le secoua comme un prunier pendant quelques minutes puis il le lâcha.

- Peu importe … rien ne pourra m'arrêter maintenant. Sais-tu combien de temps j'ai attendu cette nuit, cet instant précis ?

Perceval en avait un peu marre des questions débiles de ce mariole.

- Une éternité, murmura l'homme. Une éternité à chercher le bon village, à attendre l'arrivée de celle ou celui qui me ramènerait à la vie … et enfin, enfin mon attente est récompensée. Et rien, n'y personne ne se mettra en travers de ma route. Ni toi, pauvre vermisseau, ni ton roi et ses pantins ridicules. Ni même ton loup …

Une lumière blanche enveloppa l'homme et là où il s'était tenu quelques secondes auparavant se trouvait un loup blanc. L'animal approcha Perceval en grognant et le gallois ferma les yeux, certain que sa dernière heure était arrivée.

Il le savait, les loups c'est pas dangereux. Ce qui est dangereux, ce sont les hommes qui se font passer pour des loups.

- C'est … c'est vous qui avez attaqué le village ? Demanda t-il, sa curiosité l'emportant sur sa peur. »

Le loup arrêta immédiatement de grogner et le regarda longuement avant de quitter la clairière. Un hurlement se fit entendre dans la forêt glaçant le sang du gallois.

C'était le cri d'un fou, pas celui d'un loup.


« … Oui, la compote de pomme, c'est une bonne idée. Le mien, y l'a pas encore deux ans et y l'engouffre déjà deux bonnes parts de tarte le matin et le midi.

Arthur leva les yeux au ciel. Il ne savait pas ce qui était pire, savoir Lancelot en charge d'Yvain et de Gauvain ou Karadoc s'occupant … d'un bébé.

Ils étaient tous réunis dans la maison de Bryn et de Siwan et chacun y allait de son petit conseil pour élever un enfant.

- Nan mais ouais, manger des fruits et des protéines, c'est important, répondit Merlin à Karadoc, mais ce qu'il faut, c'est qu'elle ait le bon environnement pour s'épanouir. Un gamin, ça a surtout besoin d'amour.

- Et de roter correctement, le rot, c'est super important, ajouta Karadoc. Péter aussi, mais je sais que pour les filles, c'est plus difficile.

- Mais c'est débile, là, vos conseils. De l'amour et c'est tout, grogna Merlin.

- Ben, l'amour, ça vous rempli pas l'estomac et pour lire vos trucs là, vos parchemins et faire vos potions, faut bien qu'vous ayez le ventre plein, non ?

Eirwenn babillait dans les bras de sa mère. Bryn se trouvait assis à ses côtés et caressait le petit duvet blond du bébé. Aucun d'eux ne semblaient prêter une grande attention aux délires de Karadoc et de Merlin, au plus grand soulagement d'Arthur.

- Dieu merci, je n'ai pas d'enfant, grommela le père Blaise. C'est dégradant de perdre tout sens commun sous le coup des areuh-areuh.

Arthur qui depuis des années luttait pour ne pas avoir d'enfant avec Guenièvre fit la grimace. Il espérait secrètement que des petits Pendragon courraient de par le monde …

- Merci de nous accueillir dans votre maison Bryn, dit le roi.

- Non Sire, c'est un honneur pour moi et les miens répondit le boisselier sur un ton fier.

- Je crois qu'Afon s'est joint au seigneur Lancelot. Ainsi que votre ami Cynydd. Je suis étonné que vous ne soyez pas vous aussi parti ? Demanda le père Blaise.

Bryn sourit.

- Afon saura représenter avec honneur notre famille. Il a pour le seigneur Perceval un grand respect et n'aurait pour rien au monde laisser à quelqu'un d'autre c'te chance d'lui venir en aide. Quant à Cynydd, c'est un chasseur. Y connaît la forêt comme sa poche et sera d'une plus grande utilité avec eux qu'ici, à ronger son frein. Et puis …

Il se pencha vers sa fille et déposa un baiser sur son front.

- … y a des choses plus importantes que la gloire, en ce monde.

- Oui, comme le repas, dit Karadoc. Nous avons préparé des tourtes au fromage ainsi que deux pâtés en croûte. Vous m'en direz des nouvelles !

Le repas se passa dans une ambiance bon enfant. Cela faisait bien longtemps qu'Arthur n'avait pas goûté au plaisir simple d'un repas familial sans cri et …

Ouinnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn !

… Ah, pas tout à fait sans cri.

- Je vais la coucher, dit Siwan en se levant.

Elle déposa le bébé dans son berceau et revint à la table.

Arthur devait blâmer l'abus de cervoise (22), le bon repas et la chaleur régnant dans la pièce pour ce qui allait se passer ensuite.

Comment expliquer sinon qu'il n'ait pas remarquer la présence de deux loups dans la pièce ?!


Les yeux d'Arthur commençaient à papillonner. Karadoc ronflait déjà comme un bienheureux, le nez dans son assiette (vide, bien évidemment). Bon, y l'était temps d'aller se coucher, c'était visiblement pas ce soir que le loup attaquerait.

Après le départ de Lancelot, il avait passé la journée à réorganiser les défenses du village, essentiellement pour qu'il puisse être prévenu si l'animal se pointait, après, il aviserait.

Arthur se leva et wouaouh, vertige ! Gah. Le rouquin, c'était quand même moins fort que la cervoise.

Il récupéra son épée (qu'il laissa traîner par terre, elle pesait des livres ce soir la bougresse !) et un grognement lui fit tourner les yeux vers le berceau.

Il s'immobilisa lorsqu'il reconnut la silhouette de l'animal qui se trouvait là, caché dans la pénombre.

Excalibur se retrouva immédiatement brandie, toute pensée relative à son poids oubliée. Siwan poussa un cri, les chaises furent renversées et Bryn se trouva avec le père Blaise aux côtés d'Arthur, chacun d'eux armé d'une des piques de Lancelot. Bryn tremblait. Siwan pleurait mais ne bougeait pas.

« C'est pas un loup, dit Merlin.

- Ah ouais, bah, j'suis désolé mais d'ici ça y ressemble vachement quand même répliqua Arthur.

La bête était imposante. Sa fourrure complètement blanche la rendait fascinante. Arthur n'avait jamais vu de loup de cette couleur. Il n'avait jamais vu non plus de loup avec des yeux bleus.

L'animal grogna une fois encore puis il renversa le berceau et saisit dans sa gueule couverture et enfant.

- NON ! Hurla Siwan.

Les piques de Bryn et du père Blaise volèrent simultanément comme si les pleurs de la jeune femme étaient tout ce qu'ils attendaient pour agir. A cette distance, il était impossible qu'ils ratent leur cible mais c'est pourtant ce qui arriva. Les piques volèrent en éclats avant même de toucher l'animal.

- J'vous l'avais bien dit qu'c'était pas un loup ! Cria Merlin en se protégeant des éclats de bois avec ses bras.

Arthur s'avança vers le loup et lui asséna un violent coup d'épée. Du moins, il crut l'avoir fait mais la lame ricocha avec un éclair comme si l'animal était protégé par un bouclier invisible. Le choc fut tel qu'Arthur fut projeté par terre avec force.

Ok, pour une fois, ce grand con avait raison, ça c'était pas un loup, pensa Arthur sonné par le choc.

L'animal, ou quoique ce soit, avançait vers la porte, le bébé dans la gueule, lorsqu'une voix endormie s'éleva :

- Eh, y'a un loup ! Dit Karadoc.

- Oh bravo pour votre sens de l'observation, marmonna le père Blaise qui ne quittait pas ledit animal des yeux, brandissant son crucifix comme une arme.

- Bah non, j'parle pas de ce loup ci mais de celui qu'est juste là, sur la table à manger.

Toutes les têtes se tournèrent vers la table.

Un autre loup, gris cette fois, se tenait là, poils hérissés, muscles bandés prêts à l'attaque. Il laissa tomber quelque chose de sa gueule puis il sauta sur son congénère.

Si les armes des hommes ne touchaient pas le loup blanc, il n'en alla pas de même d'une attaque par l'un des siens. Les deux loups roulèrent sur le sol, leurs crocs lançant des éclairs blancs à travers la fourrure dans laquelle ils s'enfonçaient.

- EIRWENN ! Hurla Siwan.

Par terre, entre les deux loups, le bébé hurlait de toute la force de ses jeunes poumons.

D'un coup de tête, le loup gris envoya soudain valdinguer le loup blanc. Il leva les yeux vers Arthur et pendant un moment, ils restèrent l'un et l'autre à s'observer puis le loup saisit les langes du bébé et d'un bond, sauta par la fenêtre. Estourbi quelques instants, le loup blanc grogna et se lança à sa poursuite.

Lorsque Arthur et Bryn sortirent de la maison, il était trop tard, les deux animaux avaient disparu dans la nuit.

Dans la maison du boisselier tout ce que l'on pouvait désormais entendre comme son, c'était celui des pleurs de Siwan.

- Sire, sire regardez c'que j'ai trouvé par terre près de la table !

Karadoc tenait le médaillon de Perceval dans la main.

- Vous croyez … vous croyez qu'le loup l'a bouffé ? Demanda Karadoc d'une voix tremblante.

Arthur secoua la tête.

- Je n'sais pas, Karadoc, je ne sais vraiment pas. »


« Alors ? Demanda Lancelot à Cynydd.

Le chasseur secoua la tête.

- Il a pas mal neigé cette nuit, et si votre bonhomme est arrivé jusque là en un seul morceau, bah, les traces ont été recouvertes depuis un bon moment.

Lancelot hocha la tête et soupira.

- C'est ce que je redoutais. Nous aurons plus de chance en forêt. Si Perceval y est entré, nous en trouverons forcément les traces. Cet idiot se déplace comme s'il était un éléphant, grogna Lancelot.

- Wouaouh, dit Yvain, bah nous, on en a vus des éléphants et ça c'est sûr, on peut pas rater des traces laissées par ces bestiaux mais bon, je savais pas que le seigneur Perceval était moitié gallois moitié éléphant.

Lancelot prit une large inspiration, ferma les yeux un moment avant de les rouvrir et de jeter un regard noir au prince de Carmélide.

- Allez donc tous les deux chercher du bois sec pour le feu, ordonna t-il, lèvres pincées. Nous allons faire halte ici pour la nuit. »


« Occupez-vous de Perceval, prenez des piques dans la poire, ramassez du bois sec, nan mais c'est moi où y nous prennent tous pour leurs esclaves ? Grommela Yvain qui ramassait des brindilles par terre.

- Oui, c'est à croire que notre statut de chevalier n'impressionne guère, soupira Gauvain. Je me demande si nous n'aurions pas du rester à l'auberge en fin de compte.

- Ouais, ça c'est clair, au moins on aurait eu les miches au chaud parce que là, ça caille.

- Mais l'occasion est trop belle de montrer à mon oncle que nous sommes dignes de notre poste à la table ronde ! Imaginez, si nous retrouvons le seigneur Perceval.

- Ben déjà qu'c'est nous qui l'avons laissé filer …

Grrrrrrr.

- Ah, vous avez faim ? Moi aussi, ça commence à gargouiller là-dedans, grimaça Yvain.

- Euh, non, ce n'était pas mon estomac ça.

Grrrr.

- Bah si c'est pas vous, c'est qui ?

Grrrr.

Les deux jeunes gens se tournèrent lentement vers l'endroit d'où provenaient les grognements.

- C'est ce que je crois que c'est ? Demanda Yvain.

- Eh bien, je dirais que oui, ça y ressemble …

- Nan mais on pourrait se tromper, c'est une bestiole qui ressemble quand même pas mal à un chien.

- Vous n'avez pas tort, ça pourrait être un des chiens du sieur Cynydd.

- Bah ouais. Bon allez, on décide que c'est un chien …

Houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu uuuuuuhhhhouuuu, hurla l'animal.

- Ca, c'est pas un aboiement de chien j'vous ferais dire ! S'exclama Yvain, tout pâle.

Gauvain secoua la tête.

- Peut-être que si nous ne bougeons pas, il partira.

- Ah bon. Là comme ça, dans la position où on s'trouve ?

- Oui, ne bougez plus.

Gauvain avait les bras écartés et Yvain le menton en l'air et une jambe tendue.

- Y s'en va pas, murmura Yvain.

Le loup s'approcha d'eux et déposa quelque chose à leurs pieds.

- NE BOUGEZ PAS ! Hurla soudain la voix de Lancelot.

- Ah bah bravo le super chevalier, y voit pas que c'est déjà ce qu'on est en train de faire ? Se lamenta Yvain.

Plusieurs traits d'arbalète sifflèrent à quelques pouces seulement des deux jeunes chevaliers qui crièrent et s'aplatirent sur le sol.

Le loup grogna et sauta sur l'un de ses assaillants. Il le fit tomber, sans le blesser, et disparut dans les sous-bois.

- Dites à Arthur que je suis sur le coup, rentrez tous au village, leur cria Lancelot qui s'élança derrière le loup.

A l'aide d'une brindille, Yvain, à quatre pattes par terre, tapota le paquet que le loup avait laissé. Il eut un mouvement de recul lorsque ce dernier se mit à bouger. Penché juste au dessus de son épaule, Gauvain sourit :

- Hé ! C'est un bébé !

- Euh, vous croyez que ça peut être Perceval ? Demanda Yvain qui essayait de récupérer sa brindille que le bébé tenait fermement dans son petit poing. Vous aviez pt'être raison pour la magie. Sauf que c'est pas une princesse transformée en loup mais Perceval transformé en bébé.

Les yeux de Gauvain s'arrondirent comme des soucoupes. D'une certaine manière le bébé ressemblait un peu à Perceval avec ses grands yeux bleus et ses cheveux presque blancs.

- Vous pouvez fort bien avoir raison ! S'exclama t-il.

Puis il se pencha sur le bébé et le prit dans ses bras :

- Seigneur Perceval, nous allons vous ramener au village. Notre bon enchanteur pourra certainement vous rendre votre, euh, votre bel âge d'homme mûr.

- Un homme ça peut être mûr, comme les poires !? S'étonna Yvain. »


Perceval fut réveillé par un violent coup de pied dans les côtes. Il se recroquevilla et le second coup l'atteignit dans les reins lui arrachant un cri.

« OU EST-IL ! PARLE ! OU !

Le type en blanc était revenu et ses questions n'avaient pas davantage de sens, ce qui était nouveau, c'était la violence et Perceval n'était pas sûr que ce soit une super bonne chose.

- Des années … des années d'attente pour RIEN ! Hurla l'homme en envoyant valdinguer le bol et tous les trucs de magie qu'il avait installés sur la souche du vieil arbre. Des années … marmonna t-il. Des années … NON. Je ne peux plus attendre. Mon pouvoir s'éteint depuis trop longtemps … et la lune. Il leva les yeux vers le ciel. La lune est avec moi. La lune blanche, enfin …

Il se tourna à nouveau vers Perceval.

Et cette fois, il avait le couteau blanc à la main.


« Bon, alors ? Demanda Arthur.

- Bah alors quoi ? Laissez-moi le temps de chercher quand même, lui répondit Merlin.

- Mais vous farfouillez depuis une bonne heure et vous avez toujours rien trouvé, répliqua Arthur agacé.

- On a pas le même système de rangement entre druides vous savez, alors c'est plus dur de m'y retrouver.

Le regard d'Arthur fit le tour de la tente. Tout y était parfaitement rangé.

- Ah bah c'est sûr, ça doit vous changer un mode de rangement qu'est pas fondé sur le bordel.

S'ils étaient dans la tente de Rhian, c'était que le druide avait lui aussi disparu. Et comme les loups qui les avaient attaqués n'étaient pas des loups «ordinaires », il y avait fort à parier que Rhian y était pour quelque chose. Arthur soupira. Il devait être le seul dans toute la Bretagne à ne jamais s'inquiéter de ce que pourrait faire son enchanteur vu que c'était un gros nul qui ne savait absolument rien faire. Du moins de magique.

- HAHAHA ! s'exclama soudain Merlin.

- Quoi « AHA » ? C'est quoi ça ? Demanda arthur.

Merlin brandissait plusieurs vieux parchemins.

- Ben je sais pas encore … mais comme c'était bien planqué, je suis sûr que c'est quelque chose d'important.

- Posez ça sur la table, qu'on y jette un coup d'œil à votre découverte.

Merlin s'exécuta.

- Ouais, c'est des dessins. Sympa d'ailleurs, fit-il remarquer.

Les dessins représentaient tous des cercles. Certains étaient composés d'entrelacs (23), d'autres représentaient des motifs géométriques ou encore des végétaux stylisés.

- Bon, c'est bien joli tout ça, mais j'vois pas franchement où ça nous mène, grogna Arthur.

Merlin prit l'un des dessins et l'examina en plissant les yeux.

- Sire, ça vous dit rien ça ? Demanda t-il au roi.

- Euh, non, désolé.

- Mais si réfléchissez, c'est le cercle de culture de Silbury Hill ! (24)

- Mais qu'est-ce que vous déconnez encore, grogna Arthur en arrachant presque le parchemin des mains de Merlin. Bah merde, c'est vrai.

- Tenez, y'a même le nom, là écrit derrière. Silbury. Combien vous pariez que tous les autres, c'est aussi des représentations de cercles de culture.

Merlin, tout excité par sa découverte, examinaient chaque recto des dessins.

- Y sont pratiquement tous du coin. En tous les cas, du pays de Galles. Tenez, y'en a un ici à Ystradgynlais !

Le cercle était de taille plus raisonnable que celui de Silbury et représentaient un entrelacs de fleurs et de feuilles.

- Et ça veut dire quoi tout ça ? Demanda Arthur qui pour une étrange raison se sentait soudainement mal à l'aise.

Merlin soupira.

- Je sais pas encore mais –

- Nous pouvons peut-être vous aider à c'propos, fit une voix derrière eux.

Arthur et Merlin se tournèrent vers la personne qui avait parlé.

Devant l'entrée de la tente se tenaient Bryn et Siwan.


Ils étaient tous les quatre assis sous la tente de Rhian et Arthur attendait la petite « révélation » des parents d'Eirwenn. Il avait une petite idée de ce qu'allait être la dite révélation.

Impression de déjà vu …

« Nous essayons d'avoir des enfants depuis longtemps, murmura Siwan. Mais … mais c'est comme si mon corps, y l'était pas fait pour les porter jusqu'au bout. J'tombe bien enceinte mais y reste pas en dedans. Ou pas assez longtemps.

- Il y a deux mois, Siwan et moi avons eu une fille, dit Bryn qui serrait sa femme dans ses bras. Elle a vécu deux jours. J'suis parti l'enterrer, notre petit Eira (25), elle pesait pas plus qu'un flocon de neige. J'suis tombé sur ce truc là. Un cercle … les herbes étaient toute brûlées en dedans et la neige, elle y tenait pas. Y'avait un dessin. Et là, au milieu, toute seule qui pleurait …

- Eirwenn, termina Arthur.

Bryn hocha la tête.

- J'ai bien r'gardé partout autour de moi. Y'avait personne. Personne sauf ce bébé. Un bébé bien en vie et … et Eira elle, elle était morte. J'l'ai posée par terre au même endroit. Et je suis parti avec Eirwenn. Elle serait morte elle aussi, si j'l'avais laissée !

- Eirwenn est notre fille, dit Siwan en fixant le roi droit dans les yeux. Elle est ma chair et mon sang aussi sûrement qu'Eira l'était.

- Je sais, répondit Arthur. Je sais.

C'était apparemment le type d'amour que faisait naître les enfants trouvés dans les cercles de culture, pensa t-il.

- Rhian est notre druide depuis longtemps. Il a accouché Siwan et il savait pour Eira et pour Eirwenn. Il a gardé notre secret. Il ne peut pas lui avoir fait du mal ! Cria Bryn.

- Mais on ne sait même pas d'où il vient ! S'emporta Siwan. Vous êtes tous si soulagés depuis qu'il est ici mais nous ignorons tout de lui. Y l'est apparu un jour, comme ça … Nous lui avons offert nos vies et lui ne nous a jamais rien dit de la sienne. Il … il m'a toujours fait un peu peur, et j'sais qu'suis pas la seule à ressentir ça.

Arthur se tourna vers Merlin.

- Vous le connaissez vous ?

- Qui ?

- Le pape, crétin ! Rhian !

- Bah non mais on est super nombreux dans la profession aussi, alors connaître tout le monde …

- Ça m'aurait étonné, soupira le roi.

- Nan, mais le truc des bébés et des cercles de culture, ça je connais.

Arthur s'étrangla avec sa boisson.

- Sire ! Vous allez bien, dit Merlin en lui tapotant le dos.

- Comment ça vous connaissez le truc des bébés et des cercles de culture ? Parce que c'est fréquent ?

- Les cercles de culture ? Ben oui, on –

- Mais non abruti, le fait qu'on trouve des mômes dans ces foutus cercles !

- Ah, ça. Nan, j'peux pas dire. Y'a pas vraiment de statistiques, vous savez.

La force, il fallait qu'un dieu, tous les dieux, lui donnent la force de ne pas asséner à cet idiot un magistral pain.

- Merlin, j'vais vous en mettre une dans dix secondes si vous me répondez pas clairement. C'est quoi le « truc » des bébés trouvés dans des cercles de culture ?

- Bah, ça va pas vous plaire …

- Y vous reste moins de cinq secondes …

- C'est pour des sacrifices. Le sang de ces mômes, les enfants de la lune, qu'on les appelle, ben, il est sensé avoir des propriétés magiques puissantes et -

- DE QUOI ! Hurla Arthur.

- NON ! Cria Siwan. Non ! Non, non, non !

- Ah bravo, dit Arthur en se tournant vers Merlin. Pour la magie j'sais pas mais pour le tact vous êtes un as.

- Ben vous m'avez dit d'vous l'dire sinon j'me prenais une baffe ! Se défendit merlin.

- Bryn, ramenez Siwan chez vous, dit Arthur, nous vous –

- Sire ! Sire ! Hurla Karadoc en entrant sous la tente. C'est Yvain et Gauvain, y ramènent Perceval !

Ils sortirent tous en trombe de la tente.

- Mon oncle, mon oncle ! Nous avons mené à bien notre mission !

Arthur regardait de tout côté, cherchant des yeux Perceval. Il allait avoir une longue discussion avec le gallois lors de laquelle il alternerait les baffes (pour lui avoir désobéi) et l'engueulade (pour lui passer l'envie de recommencer).

- Ben alors, y l'est où !

- Mais là mon oncle !

Gauvain lui tendit un paquet.

- Faut juste trouver le moyen de le faire mûrir, précisa Yvain, un large sourire sur les lèvres. P'être qu'en le mettant au soleil …

- Quoi … ?

Arthur était un peu paumé. Que lui racontaient ces deux crétins ?

Karadoc se pencha sur le paquet et sourit :

- Hé ! Mais c'est la pt'ite, là ! Elle a l'air d'avoir faim …

- EIRWENN ! Cria Siwan qui arracha pratiquement le bébé des mains de Gauvain.

- Ah, c'est aussi devenu une fille ? Fit remarquer Yvain. Ben, p'être qu'en mûrissant, ça aussi ça changera, hein.»


Après avoir laissé la famille du boisselier sous bonne escorte, Arthur se retrouva en conseil de guerre sous la tente de Rhian en compagnie de Merlin, du père Blaise, de Karadoc, d'Yvain et de Gauvain.

« Et vous dites que le loup ne vous a pas attaqués ?

- Et bien non mon oncle. Il a un peu grogné, pour attirer notre attention, je pense. Puis il a laissé le bébé et il est parti lorsque Lancelot est arrivé.

- Ouais, et on a bien failli encore une fois se faire transpercer, ajouta Yvain. J'crois que Lancelot a un postiche …

- Un postiche ?

- Ouais, quand on est super obsédé par un truc là, qu'on aime vachement un machin. Lancelot, y l'est obsédé par les trucs qui piquent. C'est un vrai postiche.

- Fétiche, corrigea Arthur en soupirant. Bon, et Lancelot justement ?

- Il s'est lancé à la poursuite de l'animal mon oncle. Il semble réellement déterminé à l'exterminer.

- Je vous le dit depuis le début sire, intervint le père Blaise. Il y a quelque chose qui ne va pas avec le seigneur Lancelot. Je ne parlerais pas de fétichisme mais une obsession, ça c'est certain.

Arthur soupira.

- Bon, on verra pour Lancelot un peu plus tard, là, l'urgent, c'est Perceval. Merlin … ce truc là, les enfants de la lune, vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Merlin fronça les sourcils.

- Ben oui, mais quel rapport avec Perceval ?

- Aucun, aucun, bredouilla Arthur. C'est juste que tel que je le connais, y sera tombé par hasard sur l'endroit où doit avoir lieu le sacrifice. J'vous rappelle que c'est le type qui trouve des portes dimensionnelles en pleine forêt lorsqu'y va pisser. Trouver le chemin du camp, ça en revanche …

- Trouver l'endroit, ça, je devrais pouvoir le faire, assura Merlin.

Arthur écarquilla les yeux sous la surprise de cette annonce.

- Ah bon ! Ben ça, c'est un jour à marquer d'une croix blanche.

- Nan mais, je pourrais vous dire à peu près où il se trouve …

- Ah, j'me disais aussi, soupira Arthur. Et comment allez vous réussir ce petit miracle ?

- Grâce à ça ! Dit-il en brandissant le dessin du cercle de culture. L'autel doit pas être bien loin pour que la magie soit à son niveau optimum.

- Ok, et quoi d'autre ?

- Quoi, quoi d'autre ?

- Ben vous devez avoir d'autres éléments pour vous aider à trouver c't'endroit, non ?

- Dans la forêt j'dirais. Moins de risque d'être découvert. Dans la partie la plus ancienne, pour qu'la magie soit la plus efficace. Mais y'a rien qui presse …

- Non mais putain, y'en a pas un d'entre vous qu'est un peu inquiet pour Perceval ?! S'emporta le roi.

- Mais si, mais si, balbutia Merlin, mais moi je dis ça parce que pour que la magie fonctionne, faut agir un soir de pleine lune.

- Euh, mais c'est pas ce soir la pleine lune ? Fit remarquer le père Blaise.

- Ben si, c'est pour ça que ça urge pas. Y l'a pas la pt'tite, Rhian, donc à priori, y pourra rien faire ce mois ci.

- Et merde, hurla Arthur en se levant d'un bond. Karadoc, vous me rassemblez une dizaine d'hommes avec des torches. VOUS ! dit-il en pointant un doigt sur Merlin. Vous l'vez votre cul d'ici et vous m'trouver cet autel, fissa.

- Mais enfin pourquoi maintenant, geignit Merlin. J'viens d'vous dire que le sacrifice, y pourrait pas le faire ce soir !

- Parce que … parce que je vous l'ordonne voilà pourquoi ! Vociféra le roi. DEHORS !

- Mais y fait nuit, pleurnicha Merlin.

- Ouais, et vous avez une superbe lune bien blanche pour vous éclairer, allez, magnez-vous ! »

Arthur avait le cœur qui battait la chamade.

Il savait aussi sûrement que deux et deux font quatre que Rhian allait découvrir que Perceval était lui aussi un de ces enfants de la lune. Pourquoi ? Parce qu'avec Perceval si une merde devait arriver, elle arrivait jamais seule. Le jour où ce con paumait les clous de la sainte Croix, y foutait aussi à la flotte le Saint Suaire alors tomber sur des loups maléfiques, un cercle de culture et un druide fou en quête de victime à sacrifier, c'était vraiment de la gnognotte à côté …


Perceval n'avait jamais eu peur des loups mais des hommes, ça oui. Ce type allait le massacrer avec son couteau, il en était sûr. Il ferma les yeux et mit ses bras devant lui pour se protéger.

Il ressentit une violente douleur à l'avant bras, comme une brûlure, bientôt suivie d'une autre, et d'une autre … Le couteau, perçait et déchirait. Comme des dents, se dit Perceval.

Les hommes étaient les vrais loups en fait.

L'homme continuait à hurler et son couteau à mordre. Et puis soudain, tout cessa. Perceval entendait juste sa propre respiration, hachée, difficile. Il ouvrit les yeux.

Juste à quelques pouces de lui, se trouvait une lame. Une lame familière. Celle d'une épée. La lame bougea s'approchant de la gorge du fou au couteau qui recula.

« Si j'étais vous, fit une voix familière elle aussi, je poserai gentiment cette arme à terre. Perceval, Vous allez bien ?

Ca c'était vraiment une question con !

- Perceval … répondez-moi bon sang !

Toujours à donner des ordres, c'lui là, pensa Perceval. Lancelot le fixait, un air inquiet sur le visage. Mieux valait lui répondre ou alors, il allait encore se faire engueuler.

- Ouais, croassa t-il.

Lancelot lui sourit et se concentra sur le fou.

- Levez-vous, lui ordonna-t-il. Doucement et … VOUS ! Rhian ! Mais qu'est-ce que tout cela signifie ?

L'homme, Rhian, éclata de rire. Il se redressa, sa main tenant toujours fermement le couteau. Il recula jusqu'à atteindre le cœur de la clairière, baignée par la lumière de la pleine lune.

- Oui, moi. Pauvre chevalier, je vois que vous avez échoué. Incapable de tuer un simple loup, dit-il avec mépris. Et moi qui pensais que vous pourriez m'en débarrasser.

Perceval suivit le regard du fou. Et il sourit. Là, juste devant le camp, se tenait son loup ! Lancelot ne l'avait pas tué !

- Il m'a mené jusqu'ici, répondit Lancelot. Et je crois que nous savons désormais, vous et moi, que ce n'est pas un simple loup. Et que vous, vous n'êtes pas le gentil vieillard que vous paraissez être.

- Vieillard ! Hurla Rhian. Vieillard … oui, c'est ce que je suis devenu, mais plus pour longtemps. Avec le sacrifice, je redeviendrais puissant et crains.

- Le sacrifice ? Mais de quoi parlez-vous pauvre malade. Et posez cette arme, je ne me répèterais pas !

Il y eut un grognement. Le loup faisait les cent pas devant la clairière, soudainement nerveux. Et Perceval compris ce qui allait se passer.

- LE LOUP ! Cria –t-il.

Lancelot se tourna vers lui.

- Oui, et bien quoi le loup ? Vous devriez être content, vous voyez qu'il va bien !

- Non, pas ce loup, celui ! Cria Perceval en désignant Rhian du menton.

- Mais de quoi est-ce que vous –

Il y eut un éclair de lumière blanche et le loup blanc apparut. Il sauta sur Lancelot, le désarmant. Perceval entendit Lancelot hurler lorsque les crocs du loup se refermèrent sur son épaule. Il leva les yeux vers son loup :

- S'il te plaît, murmura t-il.

Aide nous, pensa Perceval.

Le loup gris disparut dans le sous-bois. Perceval soupira. Il n'aurait pas du lui demander ça. Il avait le droit d'avoir peur lui aussi et -

Comme le trait tiré d'une arbalète, le loup gris vola dans les airs et atterrit, lourdement, sur la souche au beau milieu de la clairière ! Il grogna et le loup blanc abandonna sa proie pour se concentrer sur lui.

- Perceval, vite, venez … dit Lancelot souffle coupé. Il coupa le filet qui retenait le gallois prisonnier. Nous devons filer !

- Mais … le loup ?

Les deux animaux se battaient sur la souche. Et Perceval ne pensait pas que le loup gris était celui qui avait le dessus.

- Perceval ! Lancelot le secouait. Vous l'avez bien vu, ce ne sont pas des loups mais des magiciens. Des magiciens dangereux, alors dépêchez vous !

Perceval obtempéra, à contre cœur. Aidé de Lancelot, il se leva et ils se mirent à courir dans le sous bois.


Rhian poussa un long hurlement de satisfaction. La victoire était sienne. Sous lui, le loup gris haletait, ses yeux à demi clos. Et sur son poitrail, une large blessure dont le sang s'écoulait. Rhian aurait presque lapé un peu de cette vie qui s'échappait. Un tel adversaire pourrait lui redonner de la force !

Mais il avait mieux à faire …

La lune était toujours pleine. L'enfant lui avait certes échappé une fois mais cette fois, pas de loup d'argent pour la sauver et pas de chevaliers non plus. Et ce n'était pas ce druide, Merlin, qui pourrait faire grand-chose contre lui : des années sous un toit de pierres avaient complètement étouffé ses pouvoirs ! Quel idiot !

Oui, il pouvait encore y arriver mais avant … avant, il devait assouvir sa soif. Une soif de vengeance. Ces deux êtres insignifiants allaient périr.

Leur mort marquerait sa renaissance.

Rhian ferma les yeux et lança l'incantation.

Il était de nouveau humain.

Il chercha des yeux son couteau puis, lorsqu'il l'eut récupéré, il leva la main.

« Pauvre esprit de la forêt, murmura t-il au loup agonisant. Je vais mettre fin à ta souffrance … et à ton règne de protecteur !

Il allait plonger la lame dans le cœur de l'animal lorsqu'un rayon de lune tomba sur le couteau. Un éclair argenté brilla. Sa main retomba.

- Comment … Comment est-ce possible ?

La lame avait la couleur de la lune comme si elle avait été trempée dans un bain d'argent. Il la toucha. C'était bien du sang. Tremblant, il la porta à ses lèvres et lécha le sang. Immédiatement, Rhian sentit la force revenir en lui, la puissance de la rejuvénation.

Qui … ? Rhian se revoyait frappant l'homme de Kaamelott. Comment s'appelait–il au fait ?

- Perceval … murmura t-il.

Le loup gris gémit. Il essaya de bouger, en vain. Sa tête retomba sur la souche et il poussa un autre cri, comme un sanglot.

Rhian éclata de rire.

- Deux … Ils sont deux ! Quelle incroyable coïncidence ! Et tu croyais pouvoir me cacher cela ? Voilà qui va grandement me faciliter la tâche. Deux hommes blessés traversant en pleine nuit une forêt, huhuhu, combien de temps me faudra t-il d'après toi pour les retrouver ?

Rhian ferma les yeux et lorsqu'il les rouvrit, il était à nouveau un loup.

Le loup gris vivait encore mais Rhian avait plus urgent à faire.

Il avait un sacrifice à accomplir.


Perceval s'écroula.

Pas d'avertissement, pas de cri, rien, juste la chute. Comme si son corps disait « pas question que je fasse un pas de plus ! Débrouillez-vous sans moi, j'pars en vacances ! » sauf que Perceval ne voyait pas bien comment y pourrait avancer sans son corps, mais d'un autre côté, y partirait bien lui aussi en vacances et -

« Perceval ! Mais qu'est-ce que vous racontez ? Demanda Lancelot.

Ah, y l'avait du parler tout haut.

- Vous avez de la fièvre. Venez … allez, encore un tout petit effort. Faites moi confiance.

Perceval fronça les sourcils. Faire confiance à Lancelot ? A Arthur, oui, mais à Lancelot … en même temps, y l'avait pas buté son loup et y l'était à la table ronde. Il hocha la tête et laissa Lancelot le soulever. Ça devait pas être évident parce que Lancelot aussi était blessé.

Le chevalier déposa Perceval dans une sorte de trou formé entre les racines d'un arbre.

- Il faut arrêter les saignements, dit Lancelot.

Gné ? Arrêter quoi ? Perceval poussa un cri. Lancelot manipulait son bras.

- Pas très joli à voir, grommela t-il en soulevant la manche de sa veste, mais ça ne saigne presque plus, vos vêtements vous ont protégés. Je dois avoir quelque chose pour ça.

Il fouilla dans sa veste et en sortit une bourse. Il farfouilla dedans et sortit deux petites compresses.

- Voilà, un léger cataplasme de camomille romaine et de lavande, ça devrait suffire pour désinfecter, du moins pour le moment.

- Hé ! C'est cool ça ! Grimaça perceval. C'est des plantes, comme Merlin ?

- Oui.

- Et c'est pour soigner les gens.

Lancelot marqua un temps d'arrêt.

- Oui, répondit-il, d'une voix un peu étranglée.

- Ben, alors vous sauvez des gens avec des plantes et avec votre épée.

- C'est ça, et maintenant taisez-vous et ne bougez pas.

Lancelot allait appliquer les compresses sur le bras de Perceval lorsque celui-ci s'exclama.

- Oh, mais et pour vous, y'en aura plus ? Si y'en a deux, faut partager.

- Ne faites pas l'enfant et laissez moi faire, soupira Lancelot.

- Non, répondit Perceval, têtu. C'est une chacun, c'est une question de diététique.

- De quoi ?

- Ben le truc là, sur le bien et le mal.

- L'éthique ?

- Ouais, c'est ça.

Lancelot fixa un long moment Perceval avant de baisser les yeux au sol comme s'il était embarrassé par quelque chose. A coup sûr, Perceval avait encore du dire une connerie ! Y pouvait pas s'en empêcher.

- D'accord, finit par dire Lancelot.

Il mit une compresse sur la plus grosse entaille et enroula une des écharpes de Perceval autour de la blessure puis il serra.

- Ouille ! Dit Perceval, dents serrées.

- Ça va passer. En attendant, vous pouvez peut-être me dire ce que vous voulait Rhian ?

- Rhian ?

- Le type qui a vous a ficelé comme un saucisson et qui était prêt à vous égorger comme un vulgaire cochon ?

- Oh, lui, ben, je savais pas qu'y s'appelait comme ça. Et y m'a rien dit. Enfin, j'ai rien compris à ce qu'y m'disait.

- Original, soupira Lancelot avant de s'asseoir près de Perceval. Tenez, lui dit-il en lui tendant une petite outre d'eau.

Perceval but un peu et lui rendit l'outre.

- Merci.

- De rien.

- Vous pouvez m'le dire maintenant.

- Vous dire quoi ?

- Ben, qu'j'avais raison.

- Raison ? Mais de quoi est-ce que vous parlez ?

- Le loup. Y l'est pas dangereux. Y fallait pas le tuer. J'avais raison. »

Lancelot poussa un autre soupir.

Perceval devait reconnaître que Lancelot avait ça en commun avec le roi, cette manie de soupirer tout le temps.

Pt'être que les gens super courageux soupiraient tout le temps.


Merlin zigzaguait dans la forêt comme un poivrot. Allant d'arbre en arbre, yeux clos et prenant de larges inspirations. Puis il se mettait à grommeler, et hop, y r'partait pour un tour.

Arthur ne savait pas si l'enchanteur faisait encore son charlot ou s'il était enfin sérieux.

«AHAHAHAHA ! Hurla enfin Merlin. C'est ici !

Le « ici » c'était une petite clairière. Ils entrèrent tous prudemment, épée en mains.

- Et ça, c'est quoi ? Demanda Arthur en désignant l'immense souche qui se trouvait là.

- Ben c'est l'autel. A vu de nez, je dirais que c'est un vieil if. Super puissant ça, lui répondit Merlin.

- Euh, mais, c'est recouvert de sang ! S'exclama le père Blaise. Vous … vous croyez que c'est celui de -

- Non, le coupa arthur.

- Ben j'crois pas non plus, fit remarquer Merlin. Le corps serait toujours là. Et puis y l'a aucune raison d'utiliser cet endroit pour le tuer. Au contraire, ça contaminerait le site.

- N'empêche y'a quelque chose ou quelqu'un qu'a saigné ici, et pas qu'un peu dit le père Blaise.

- Et ça, c'est quoi ? Demanda Karadoc qui tenait un petit bol blanc dans la main. Y'en à d'autres par terre.

- Ah, ça, c'est pour le sacrifice. Pour l'enfant de la lune. On recueille son sang dedans sous la lumière de la lune. Ça absorbe la puissance de la lune. Faut pas en faire tomber, c'est trop précieux pour qu'on le gâche …

Arthur ferma les yeux. Il se sentait nauséeux.

- Mon dieu, murmura le père Blaise, c'est … c'est barbare !

- Bah non, c'est de la magie. Magie noire, hein. Pas mon truc, grogna Merlin. Euh Sire, ça va ?

Non, ça n'allait pas très fort.

Il allait foutre à Merlin la baffe qu'il méritait pour sortir des trucs pareil lorsqu'un hurlement se fit entendre.

- Le loup, murmura t-il.

- Oui, mais lequel ? Demanda Merlin.

- On s'en fout ! S'énerva Arthur. Là où y'a un loup, vous pouvez être sûr que Perceval est pas loin et c'est tout ce qui compte.

- Perceval … ou Lancelot ? Fit remarquer le père Blaise. »

Raison de plus pour se magner, pensa Arthur.


Quelqu'un le secouait. Perceval ouvrit les yeux. Y s'était endormi sans même s'en rendre compte. Lancelot se trouvait penché au-dessus de lui, son épée à la main.

« J'ai entendu du bruit. Restez là, je vais voir ce que c'est.

- Mais …

- Pas de mais, et ne faites pas de bruit, bon sang, grogna Lancelot avant de disparaître.

Perceval se recroquevilla dans son trou et attendit. Et attendit. Et … merde, c'était trop flippant d'attendre sans savoir ce qui se passait ! Doucement, sans faire de bruit, il se hissa à l'aide des racines jusqu'au bord du trou et jeta un coup d'œil.

Lancelot était étendu sur le sol !

Perceval jeta des regards affolés autour de lui mais il n'y avait personne. Il finit par se résoudre à sortir de son trou. Lancelot s'était peut-être pris les pieds dans une racine et paf, ç'avait été le gadin, lui, ça arrivait tout le temps.

Perceval avança jusqu'à l'endroit où Lancelot était tombé. Il s'agenouilla à ses côtés et le secoua.

- Hé ! Hé, faut vous réveiller !

- Je doute qu'il te réponde, fit une voix derrière lui.

Perceval fit volte face.

Rhian se tenait devant lui, l'épée de lancelot à la main.

- Une belle arme. Pas très maniable mais une belle arme, marmonnait le fou tout en faisant tournoyer l'épée.

C'était super bizarre parce que Perceval était incapable de lui donner un âge. Vieux, jeune … c'était comme si les traits de son visage changeaient tout le temps, oscillant entre l'un et l'autre sans jamais se fixer.

- Vous … vous avez fait quoi ? Demanda t-il.

- Hein, fait quoi ? Oh, à lui. Pas grand-chose, juste un sort de sommeil.

Rhian planta l'épée dans le sol et leva les yeux vers le ciel. Il sourit.

- L'endroit est parfait. Aucun feuillage, pas de nuage. Parfait.

- Mais vous voulez quoi à la fin ! Cria Perceval. J'comprends rien à toutes vos conneries !

- Tttttt, calme toi, c'est mauvais pour le sang toute cette agitation.

Et il éclata de rire comme s'il venait de dire une bonne blague.

Perceval se leva. Rhian l'observait, un sourire de gros débile sur les lèvres. Il en avait plein le dos ce type.

- Le loup … vous avez fait quoi au loup ? Demanda t-il.

- Ah, oui, le loup, ton protecteur … je crains qu'il n'ait donné sa vie pour toi. Pour rien bien sûr, puisque tu vas mourir.

- DE QUOI ! S'étrangla Perceval.

- Je me demande d'où tu viens, marmonna Rhian. Allons, dis moi. Ton accent est gallois. Garth Celyn ? Dinas Brân ?

- Caerdydd, lâcha Perceval.

- Ah oui, un magnifique cercle. Imposant. Pas franchement comme toi mais je suppose qu'il n'y a pas nécessairement corrélation entre les deux.

Mais qu'est-ce qu'y racontait ce taré ?

- Bon, je crois qu'il est temps d'en finir, Perceval le sage. Belle épitaphe, non ?

- Pouvez vous garder votre olographe et vous le mettre là où j'pense ! Cria Perceval qui se jeta sur l'épée de Lancelot et l'arracha du sol. Vous approchez pas, menaça t-il.

- Ou quoi ? Tu vas me transpercer avec cette épée ? Mais tu peux à peine la tenir ! Voyons, ça suffit. La lune nous attend. C'est ton destin, tu sais, comme celui de tout ceux de ta race.

- Mon destin ? Ma race ? Mais c'est quoi toutes ces salades ? Et j'vous ai dit de pas bouger ! Cria Perceval à Rhian qui continuait à avancer vers lui.

Il ferma les yeux et fit appel à ses dernières réserves d'énergie. A deux mains, il parvint à lever l'épée. Son bras lui faisait super mal mais y savait qu's'il faisait rien, il aurait plus jamais l'occasion d'se sentir bien ou d'avoir mal.

Cette fois, c'était pas un « test ». Il devait réussir.

Rhian ne souriait plus.

- Ça suffit ! Hurla t-il. Je n'ai pas de temps à perdre avec toutes ces idioties !

Il leva la main et une lumière blanche atteignit Perceval en pleine poitrine, le projetant contre le tronc d'un arbre.

Rhian se pencha sur lui et lui caressa doucement les cheveux.

- Là, là, ce ne sera pas long.

Il tira Perceval, encore estourbi, jusqu'à un endroit où aucun arbre ne cachait la lumière de la lune et sortit son couteau. Il prit la main de Perceval et lui entailla le poignet qu'il porta ensuite à sa bouche.

Perceval détourna les yeux. C'était trop dégueu. Il avait envie de vomir. Ce fou était en train de boire son sang !

- Intoxiquant, dit Rhian en faisant claquer sa langue sur son palais. Et si revigorant. Regarde, regarde !

Les mains de Rhian devenaient en effet plus lisses, ses tâches de vieillesse disparaissaient.

- Il m'en faut plus, marmonna le magicien, plus, maintenant …

Il sortit un bol de sa robe et saisit Perceval par les cheveux. Il exposa sa gorge, posa son couteau sur sa carotide et …

… et un cri retentit.

Un long hurlement guttural.

Un hurlement de colère.

Rhian relâcha immédiatement Perceval.

- IMPOSSIBLE ! Cria Rhian. Tu devrais être mort ! MORT !

Le loup gris se trouvait à quelques pieds seulement du magicien. Son pelage était couvert de sang mais son regard était clair, déterminé. Il sauta sur le magicien qui se transforma immédiatement en loup.

Perceval, sous le choc, resta un moment à regarder le combat puis il se ressaisit. Il devait faire quelque chose pour aider son loup ! L'épée était hors de portée et de toute manière, il n'aurait pas pu la soulever.

La lune éclaira quelque chose par terre. Le couteau de l'autre fou !

Un cri perçant retentit, faisant sursauter Perceval.

Le loup blanc se trouvait penché au dessus du loup gris. Sûr cette fois de sa victoire, Rhian reprit sa forme humaine. Le combat l'avait obligé à puiser dans ses toutes nouvelles ressources et il était de nouveau un vieillard. De rage, il donna un coup de pied à l'animal étendu à ses pieds qui poussa un petit gémissement.

- J'aurais du t'achever lorsque j'en ai eu l'occasion mais c'est mieux ainsi, tu seras le témoin de ma renaissance et …

- Et rien du tout, grogna Perceval juste derrière lui.

Rhian cligna des yeux. Quelque chose n'allait pas. Il ressentit une douleur violente au niveau du dos. Il y porta la main. Elle était rouge de sang. Il se tourna.

Perceval se tenait devant lui, le couteau de Rhian à la main.

- Non, c'est impossible, murmura Rhian. Impossible …

- Bah si, c'est possible. Vous ferez plus de mal à personne, dit juste Perceval qui sans hésiter planta cette fois le couteau dans l'estomac de Rhian. Plus jamais.

Rhian s'écroula sans un son.

Perceval lâcha le couteau et s'agenouilla près du loup. Il posa la tête de l'animal sur ses genoux :

- Hé, hé, me lâche pas maintenant ! Je suis là, tu vois. Et … et y faut qu'tu restes. L'autre fou est mort, on a gagné, tous les deux.

Les yeux du loup se fermèrent et sa respiration se fit plus hachée.

- NON ! Cria Perceval. Non, je … je sais c'qui faut faire !

Perceval leva son poignet. Sous la lumière de la lune, son sang prit une teinte plus foncée, bleue d'abord puis argentée.

- La magie … la magie est encore active ! Si ça a marché pour ce vieux dégénéré, ça doit marcher aussi pour toi. Allez, bois, fais un p'tit effort !

Le loup ouvrit les yeux.

- S'te plaît. Pour m'faire plaisir ? Cajola Perceval. Juste une goutte …

Et le loup obéit. Il lapa le poignet de Perceval.

Perceval avait le tournis. Un peu comme le jour où Karadoc et lui avaient testé tous les pt'its vins grecs du tavernier sauf qu'y s'sentait pas rond, juste bizarre.

Il perdit connaissance.


« J'crois qu'le cri venait de par là, fit Yvain un doigt en l'air.

- Euh, et c'est votre petit doigt qui vous l'a dit ? Demanda le père Blaise.

- Ben ouais, c'est comme ça qu'on fait pour savoir d'où vient un bruit. On mouille son doigt et on le lève.

- Non, ça c'est pour savoir d'où vient le vent, soupira le père Blaise.

- Sire, y'a quelque chose là bas, dit Karadoc.

En effet, on pouvait distinguer une masse par terre. Un corps …

- C'est le seigneur Lancelot ! S'écria Gauvain qui était agenouillé auprès du corps.

- En vie ? Demanda Arthur, yeux clos.

- Euh, ouais, y ronfle en fait, dit Yvain.

Arthur poussa un soupir de soulagement.

- Sire, dit le père Blaise, on a aussi retrouvé Perceval …

Arthur tourna sa torche vers l'homme d'église.

Perceval était allongé non loin de Lancelot.

Et son garde du corps aussi. Un garde du corps bien éveillé qui les observait avec suspicion.

- On fait quoi ? Murmura Karadoc.

- Vous, surtout rien soupira Arthur. Laissez-moi faire.

- Dommage qu'on ait plus de trucs qui piquent, dit Yvain.

Arthur leva les yeux au ciel.

- J'ai dit que vous faisiez rien, alors vous faites rien, vous ne parlez plus et surtout vous ne pensez plus … si tant est que vous sachiez ce que ça signifie, grogna t-il.

Le loup observait Arthur, tête penchée, comme s'il réfléchissait.

- Euh, salut, dit Arthur qui s'approcha, mains levées en signe de non agression. Je veux juste voir s'il va bien. Je peux ? On se connait pas mais je crois qu'il t'avait donné ça pour moi.

Arthur montra le médaillon de Perceval au loup.

- Je veux juste l'aider, comme toi.

Le loup ne dit rien mais il ne montra pas non plus ses crocs ce qu'Arthur prit pour une autorisation.

Arthur s'agenouilla et posa sa main sur le cou de Perceval.

- Alors ? Demanda Karadoc.

- Il est en vie. Inconscient mais en vie.

- Ben c'est pas comme lui, y l'est mort et bien mort dit Merlin qui était penché sur un autre corps.

- C'est quoi ça ! S'exclama Karadoc sur un ton dégoûté.

- Ça, c'est ce qui reste de Rhian, le druide, dit Merlin.

- Mais y l'est tout vieux comme ces vieux machins moisis là, les éponymies.

- Les momies, corrigea Merlin. Et c'est ce qui arrive lorsque l'on joue avec des pouvoirs qui nous dépassent. Hum, il a été poignardé. Avec ça.

Il brandit le couteau du druide.

- Détruisez-moi cette saloperie, grogna Arthur. Et ces putains de bols aussi, j'veux plus voir ces horreurs, c'est compris.

Merlin hocha la tête.

- Un petit feu druidique devrait en venir à bout sans problème. Je pourrais faire ça quand on sera rentrés au village. Euh, d'ailleurs, faudrait peut-être pas tarder, non ? Y z'ont tous les deux besoin que je les examine.

- Ok, et je fais comment moi, avec c'te bestiole ?

Merlin approcha du loup qui leva les yeux vers lui et grogna.

- Ouais, y l'a l'air de faire confiance qu'à vous. Z'avez qu'à lui demander d'vous aider.

Arthur soupira. Il passa le bras autour de la taille de Perceval et plongea le regard dans celui du loup.

- Ecoute, c't'idiot a fait les pires conneries pour toi, et c'est pas peu dire vu que les conneries, c'est un peu sa spécialité mais là, faudrait qu'tu m'laisses m'occuper de lui. Il ne lui arrivera rien, je te le promets.

Et voilà à quoi en était réduit Arthur Pendragon, roi de Bretagne, élu des dieux : causer à un loup dans une forêt au fin fond du pays de Galles.

Le loup se leva.

- Karadoc, filez-moi un coup de main.

A eux deux, ils soulevèrent Perceval.

Au dessus d'eux, la lune s'était retirée pour laisser place aux premiers rayons du soleil.


Epilogue

« Allez Perceval, faut y aller maintenant, grommela Arthur.

Il en avait assez de ce patelin. Les gens y étaient sympas mais Arthur ne s'y sentait pas franchement à l'aise.

C'était sans doute de sa faute. Après leur retour de la forêt, il avait insisté pour voir le fameux cercle de culture. L'endroit était froid et vide, les formes élégantes dessinées sur le sol défiaient la neige et restaient vertes. Et lorsqu'ils avaient finalement quitté les lieux, Bryn, Merlin et lui, Arthur aurait juré avoir entendu les pleurs d'un enfant.

Depuis, il n'avait qu'une seule envie, rentrer à Kaamelott et oublier qu'Ystradgynlais existait.

Mais c'était compter sans son foutu chevalier.

- Perceval … grogna t-il.

- Mais Sire, y doit bien être quelque part ? Vous avez dit qu'il était vivant !

Arthur soupira. Oui, ils avaient quitté ce loup en vie mais le problème c'était qu'il n'était pas réapparu depuis. Et Perceval ne les croyait pas.

- Perceval, je vous jure que votre loup va bien, non de dieu, mais pourquoi je vous mentirais ?!

- Bah, vous -

- Non, taisez-vous, je veux rien entendre. Putain, j'suis votre roi, j'vous dit que la bestiole est en vie et ça doit suffire, alors on y va.

Perceval fit la moue mais ne dit rien.

Qu'il boude, pensa Arthur qui se tourna vers les autres.

- Allez, on y va. En traînant pas, on devrait être à l'auberge pour la nuit.

Ils se mirent en route. Ils avaient décidé de prendre une route un peu plus longue à cause de la carriole. Ni Perceval ni Lancelot n'étaient en état de marcher dans cette neige. Cynydd et Afon les accompagneraient jusqu'à l'auberge et reviendraient ensuite au village.

Ils étaient sortis du village depuis une bonne vingtaine de minutes et allaient descendre dans la petite vallée menant à l'auberge lorsqu'un long hurlement retentit.

Ils tournèrent tous la tête vers la petite colline qui surplombait le village.

A son sommet, se tenait un loup.

Un loup gris comme la couleur de la lune.

Perceval arborait un large sourire.

- Vous aviez raison, dit Arthur qui souriait lui aussi, les loups, c'est pas dangereux.»

Fin !

(19) Nom de la phase lunaire précédant la pleine lune.

(20) Encore un petit anachronisme. François d'assise a en effet vécu au 12ème siècle, soit quelques six cent ans après l'ère arthurienne mais c'est pas grave, na ! On raconte que les habitants de la ville de Gubbio en Italie, avaient peur d'un loup rodant dans les environs et que le saint, allant à la rencontre de l'animal, le convertit à la sagesse divine en lui disant : «frère loup, je te commande, au nom de Jésus-Christ, de me suivre maintenant sans rien craindre, et nous allons conclure cette paix au nom de Dieu ». J'ai, je l'avoue, eu l'idée de cette fic à partir de cette anecdote.

(21) Ah, Perceval et ses étranges connaissances scientifiques ! Il a bien entendu, encore une fois raison même si, sans aucun chauffage (à huile ou à la graisse de baleine pour les igloos inuit), la température ne devrait pas monter dans l'igloo au-dessus de zéro. La sensation de « chaleur » provient surtout de la différence de température avec l'extérieur : - 50 degrés celsius dehors contre un petit - cinq à l'intérieur.

(22) La cervoise est une boisson alcoolisée faite avec de l'orge (ou une autre céréale). Elle est le plus souvent aromatisée avec des herbes (comme la menthe) et était très appréciée des celtes (et des gaulois) qui la consommait comme boisson de base (elle était, de par son mode de fabrication, parfois moins dangereuse que l'eau). Il faut attendre le 15ème siècle pour que le houblon ne supplante l'orge dans la fabrication de la cervoise qui devient ainsi … la bière ! Miamslurpyabon !

(23) En peinture mais surtout, en sculpture, des entrelacs sont des ornements (pictural ou bas-relief ou encore gravure) évoquant des cordes sans extrémités et enchevêtrées, en général symétrique ou se répétant le long d'une frise avec des croisements visibles qui permettent de suivre chaque corde le long de son tracé. Le livre de Kells, manuscrit illustré de motifs ornementaux (vers an 820) réalisé par des moines de culture celtique a poussé à son paroxysme cette forme d'enluminure. Le résultat est bluffant ! Chaque monogramme est une œuvre d'art. Il ferait baver d'envie le père Blaise.

(24) Silbury Hill, près de Stonehenge, abrite un tumulus néolithique. Dans les nuits du 2 au 3 août 2004 et du 30 juin au 1er juillet 2009 sont « apparus » deux gigantesques crop circles (150 m de diamètre, i.e. un stade de foot !) dont Alexandre Astier s'est inspiré pour les deux sketchs du même nom. Cependant, leur dessin s'inspire de l'art maya et non de l'art celtique.

(25) Prénom gallois féminin signifiant « neige ».