Disclaimer : Comme toujours, Cato est l'invention de Suzanne Collins.

Remerciements : Merci à Artemys pour ces commentaires toujours très appréciés sur cette fanfiction ! J'espère que ce chapitre vous plaira autant que les précédents, si oui, vous pouvez remercier les cours où je m'ennuie... J'attends vos reviews avec impatience pour ce chapitre un peu plus long que d'habitude ! N'oubliez pas que la review, c'est l'opium de l'écrivain ! Héhéhé.

La sentence de vie

Pour la centième fois lui sembla-t-il, Stone épongea le front brûlant d'Helena. Il pressa le tissu dans la bassine à côté de lui et le gorgea d'eau froide dans une autre. Le visage de la petite se détendit l'espace d'une seconde, juste avant que son corps ne se couvre à nouveau d'une pellicule de transpiration. Cela faisait plusieurs heures déjà qu'elle était dans cet état, immobile dans le lit, à moitié consciente. A en juger par sa fatigue, Stone pensait que la petite était malade depuis une dizaine de jours. Et, comme à son habitude, Helena n'en avait rien dit à personne.

- Elle... Elle va s'en sortir ? demande Loke en repoussant une mèche de cheveux du front de son amie.

Le vieil homme ne répondit pas. Il hésitait. Mentir et faire espérer le garçon ou se montrer fataliste et condamner Helena ? Il pinça les lèvres. Lui qui n'avait jamais eu d'enfants s'était attaché à Helena et Loke. Il se devait d'être honnête. Même si prononcer la vérité signifiait s'enfoncer un couteau dans le cœur.

- Sans médicament, elle ne passera pas la nuit. Elle est trop faible pour combattre le virus.

Loke blêmit en entendant ces mots. Toute couleur déserta son visage. Il ferma les yeux, le temps de maîtriser ses émotions, profondément perturbé par la nouvelle. Lorsqu'il les rouvrit, il fixa son regard, brillant de larmes, sur la figure pâle de la malade. Il prit l'une de ses mains dans les siennes.

- Helena... murmura-t-il. Je t'en supplie, ne meurs pas.

Il ajouta plus fort, en rougissant, comme pour se justifier.

- Elle n'a même pas commencé à vivre pour elle ! Elle est trop jeune, Stone !

Il se mordit très fort les lèvres. Ses larmes refluèrent sous la douleur et sa voix se raffermit, cessant de trembler sous le poids des sanglots.

- On doit faire quelque chose, Stone.

Son regard, d'un marron tirant sur le vert, fit frémir le vieil homme. Dans quel monde vivait-il pour que des enfants arborent un tel regard, si sage et rempli de volonté ? Depuis quand Loke était-il capable de le regarder avec autant de force ?

Depuis qu'il connaissait Helena. Evidemment.

Stone se tourna vers elle. Elle avait ouvert ses yeux noirs et le fixait, calmement, doucement, avec juste une pointe de douleur noyée dans ses pupilles.

- Comment te sens-tu ? demanda-t-il tandis que Loke s'éloignait.

Helena ne dit rien. En tâtant délicatement sa gorge, Stone comprit qu'elle avait les ganglions trop enflés pour parler. D'un geste, il ordonna au jeune garçon de faire chauffer de l'eau. Il remonta la couette qui avait glissé, tremblant au contact de la peau brûlante de la malade.

- G... chuchota Helena.

- Tu nous as entendu ?

Elle hocha difficilement la tête.

- Ne t'inquiète pas pour nous, dit brusquement Loke. Nous allons très bien et nous sommes très contents de nous occuper de toi.

- Parle pour toi, rétorqua le vieil homme en lui jetant un regard éloquent.

Loke rougit immédiatement tandis que Stone pouffait. Cependant ces mots eurent l'effet escompté sur Helena : la jeune fille ferma les yeux, l'air apaisée, tranquillisée. Son ami fusilla Stone du regard mais son sourire adoucissait son expression. Il se tourna vers la gazinière, impatient de retourner au chevet de son amie.

- Je disais ça pour la rassurer ! s'exclama-t-il.

Le vieil homme haussa les sourcils, absolument pas convaincu. Pourtant, dût-il reconnaître, les mots du garçon avaient su calmer Helena, comme s'il savait exactement ce qu'elle avait besoin d'entendre. Souriant, il songea que le petit Loke était devenu quelqu'un sur qui on pouvait compter. Loke, lui, n'en était pas si sûr. Il se mordait les lèvres, debout devant le réchaud.

- Tu crois que c'est bien de rigoler comme ça alors qu'elle est au bord de la mort ? demanda-t-il brusquement.

Le précepteur sursauta légèrement. Il passa une main lasse dans sa courte barbe tout aussi claire, prenant le temps de réfléchir. Loke était grand désormais, et Stone préféra ne rien lui cacher. Même si les mots étaient parfois dur à entendre, ils étaient aussi nécessaires.

- Tu la connais, non ? Helena ne sait pas être heureuse par elle-même. Elle ne sait que se blesser, se sacrifier pour les autres.

Loke acquiesça . Il s'éloigna de quelques pas et attrapa la lourde casserole d'eau qu'il avait mis à chauffer quelques minutes plus tôt. Une éternité auparavant. Ses yeux s'égarèrent dans le minuscule coin cuisine de Stone. Le vieil homme était pauvre : une seule pièce faisait office de cuisine, de salon et de chambre, tandis qu'un rideau délimitait les toilettes. Le lieu était sombre, mal éclairé. Un instant, il se demanda ce qu'avait fait Stone pour habiter ici, dans le quartier des déchus, avant de se concentrer sur l'état d'Helena.

- Si tu es heureux, elle le sera aussi. Helena ne se préoccupe que du bonheur des autres, jamais du sien, poursuivit l'ancien.

Il se tut. Loke en profita pour verser l'eau bouillante dans un bol ébréché. Pendant une minute, ils n'entendirent que le bruit de l'eau se déversant, giclant sur les bords du récipient. Et puis Stone reprit.

- Au plus profond d'elle, Helena est convaincue que ce qu'elle fait en vaut la peine, qu'assurer le bonheur de sa mère la rendra heureuse. Mais elle se trompe, souffla le vieil homme, un peu plus bas à chaque mot.

Douloureusement, il scruta la figure de la malade, à la recherche d'un signe, d'un espoir, d'une toute petite lueur d'espoir quant à son état. Il glissa sa main sur le visage de la petite, tremblant légèrement. Puis il termina, la voix aussi triste que son regard.

- Elle se trompe. Sa mère ne sera jamais heureuse.

.

.

.

Lorsque la nuit tomba, Helena ne rouvrit plus les yeux. Elle était trop lasse, trop fatiguée pour chercher à percer le noir de la case. Son corps maigre tremblait, agité de soubresauts, tandis qu'elle passait du chaud au froid, malgré les efforts de Stone pour réguler sa température. Une fois, deux fois, elle tomba dans un sommeil profond ; dont seul un cauchemar l'en tira, l'arrachant à sa torpeur par des hurlements de peur.

- Accroche-toi, petite, accroche-toi, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour elle.

Helena, il le savait, ne l'entendait pas. Elle faisait face à ses propres démons.

Le vieil homme se sentait inutile. Il avait renvoyé Loke chez lui pour que le garçon ne participe pas à cette veillée funèbre, pour qu'il ne ressente pas, lui aussi, l'impuissance dans chacun de ses membres tandis qu'il assistait à la mort d'une personne chère.

Rageusement, Stone serra les poings. A une époque, il aurait pu la sauver. A une époque, il aurait pu acheter les médicaments - ces foutus médicaments - qui manquaient à Helena pour lutter contre le virus. A une époque, il aurait été capable de faire ce qu'il fallait. Mais à cette époque, il n'était qu'un imbécile, un égoïste qui se préoccupait peu de la santé des autres.

Quelle ironie, songea-t-il tristement. Avant de la rencontrer, il aurait pu la sauver, il possédait tous les médicaments nécessaires ; et bien plus encore. Mais désormais, maintenant qu'il vivait dans une case aussi minable que celle d'Helena. Alors qu'elle agonisait devant lui, il ne pouvait rien faire. Il était impuissant.

Désespéré, fatigué, harassé, le vieil homme finit par s'endormir dans le fauteuil que Loke avait poussé au bord du lit de la malade. Il rêva d'une jeune femme, souvenir d'un lointain passé, d'un amour perdu, d'enfer sur Terre, de vie et de mort. Il rêva longtemps, plusieurs heures, cherchant un sommeil réparateur qui ne vint pas. Lorsqu'il se réveilla, surpris par un bruit, il se morigéna lui-même : le visage d'Helena était blanc. Secouée de violents frissons, elle baignait dans sa transpiration. Pendant qu'il dormait, l'état de la petite s'était aggravé !

Encore vif pour son âge, Stone se leva vers la cuisine. L'eau avait eu le temps de refroidir, il fallait absolument qu'il...

- Vous boitez ? demanda une voix dans son dos.

Sursautant, il porta la main à son cœur. Le souffle court, il se retourna vers l'entrée de sa case. Un garçon, sensiblement du même âge qu'Helena, se tenait là, le dévisageant. Mais ce n'était pas Loke. Pourtant Stone le reconnut en un instant. Cato Hadley. La fierté des Hadley.

- Que fais-tu ici ? rétorqua Stone, énervé.

Il n'aimait pas l'idée que ce gamin puisse être chez lui. Cet enfant était la progéniture de deux monstres.

- Je viens voir qui a enlevé ma servante, répondit calmement Cato. Elle est dans un sale état, ajouta-t-il en se rapprochant d'Helena.

Le vieil homme tenta de s'interposer mais, comme l'avait fait remarquer Cato, il ne pouvait pas s'appuyer sur sa jambe gauche depuis plusieurs années. Il ne fut pas assez rapide et Cato arriva avant lui au chevet de la malade. Stone serra les poings. Il n'aimait pas ça. La réputation de Cato, déjà trop sanguinaire pour son âge, inquiétait le vétéran. Mais c'était ainsi que les jeunes se démarquaient dans le District Deux. Par la violence.

- Est-ce... Est-ce que vous savez qui lui avait fait ce bleu ?

Stone s'arrêta net. Il ne s'attendait pas à cette question. Il dévisagea le garçon, ressentant un mélange de curiosité et d'agacement à son égard. Il fusilla longtemps Cato du regard mais l'enfant ne frémit pas. Ses yeux clairs affrontèrent ses pupilles furieuses sans crainte. Cato ne connaissait pas la peur. Uniquement l'angoisse de n'être pas craint et respecté à sa mesure.

- De quoi parles-tu ? l'interrogea enfin le vieil homme.

- Du sale bleu qu'elle avait à la joue.

Le jeune Hadley tremblait légèrement. Debout à un mètre d'Helena, il était tellement tendu que sa mâchoire se contractait. Une colère bouillonnante le secouait à l'évocation de ce souvenir. Il était énervé. Agacé. Il ne comprenait pas. L'image de cette ecchymose s'étalant sur la joue pâle d'Helena le mettait hors de lui. Il était... Quelle était cette émotion, par tous les Carrières ! pensa-t-il en fermant les poings. Pourquoi ne pouvait-il pas oublier cette blessure, d'apparence si anodine ? Pourtant des bleus, il en avait vu des dizaines. Il les avait provoqué, les avait reçu, les connaissait par cœur.

- Je... Je ne sais pas.

Il sursauta. Tout à sa fureur, il ne s'était même pas aperçu qu'il avait baissé la garde. Stone en avait profité pour se rapprocher du lit d'Helena et le fixait maintenant avec plus de curiosité que d'animosité dans le regard. Oui, il était intrigué. Cet enfant n'était pas comme il le pensait. Cato n'avait pas été complètement contaminé par la monstruosité de ses parents. Il semblait s'inquiéter pour Helena. L'était-il réellement ? Stone préféra se méfier. Cato était un Hadley, et les Hadley des tyrans.

- Ah... murmura le garçon. Alors qui lui a fait ça ?

Il n'attendait pas de réponse. Stone, bien que la connaissant, ne la lui fournit pas. Il se contenta de changer le linge sur le front brûlant de la fillette.

- Tu as peur pour elle ?

Cato leva la tête vers lui. Inconsciemment, il avait baissé les yeux vers ses mains qui se fermaient et s'ouvraient. Son visage se plissa. De contrariété.

- Bien sûr que non.

Mais il n'était pas tout à fait convaincu.

- Je ne m'inquiète pas pour elle. C'est juste que...

Stone le laissa poursuivre. La lueur d'intérêt dans ses yeux grandit davantage.

- C'est juste qu'elle n'a pas peur de moi. Je veux qu'elle me craigne. Je veux être le seul dont elle ait peur.

Le vieil homme sursauta. Cato ne s'en rendit pas compte. Il regardait la figure pâle d'Helena. Elle était recouverte de transpiration des pieds à la tête. Soudainement, il se demanda si elle survivrait assez longtemps pour avoir peur de lui. Sa mâchoire se contracta à nouveau. Non ! Il fallait qu'elle vive. Il fallait que sa vie soit un enfer mais qu'elle se batte. Et qu'un jour, elle le supplie de l'achever.

Souriant, il sentit son corps se relâcher.

- J'ai...

Il dévisagea l'homme sale qui lui faisait face. Son sourire n'avait rien d'aimable. Stone trembla discrètement.

- Restez-là ! s'écria Cato en courant vers la porte de la case.

Estomaqué, le vétéran ne fit pas un seul geste. Ce... Ce gamin était-il dingue ?! Pourquoi était-il parti ? Secouant la tête, Stone se reprit. Il entreprit de chauffer de l'eau en s'interrogeant sur les paroles insensées de l'adolescent. Pourquoi Cato souhaitait-il tant terroriser Helena ? Quel était son but ? Le vieil homme, rencontrant pour la première fois Cato, ne comprenait pas ses motivations. Il avait entendu dire que l'enfant des Hadley deviendrait un monstre lui aussi, mais il lui semblait plutôt perturbé. Presque inquiet pour sa servante. Presque... Presque jaloux de celui qui avait osé la marquer d'une ecchymose.

Il n'avait changé le linge d'Helena qu'une fois lorsque Cato revient. Accompagné d'un médecin. L'homme, infiniment reconnaissable grâce à sa blouse verte, fronça les sourcils et le nez en sentant l'odeur de la pièce, puis en apercevant Helena. Ses habitudes prirent immédiatement le dessus et il se mit à ausculter la fillette. Il parla seul un long moment, marmonna des mots incompréhensibles pour l'enfant comme pour le vieillard. Puis il se releva et jeta les gants qu'il avait enfilé en toute hâte.

- Elle est très malade. Il faut la transporter à l'hôpital immédiatement si on veut avoir une chance qu'elle survive.

Stone se figea. L'hôpital... Il n'en avait pas les moyens. Même en rassemblant toutes ses économies, il n'était pas en mesure de payer les médicaments nécessaires. Il s'apprêtait à ouvrir la bouche, se résignant à supplier un crédit, à prendre des tesserae pour le compte d'Helena, lorsque Cato le coupa.

- Evidemment qu'on veut qu'elle survive ! Mettez-la sur la note des Hadley.

Il ajouta, plus bas, pour lui-même :

- Sinon, je ne pourrais jamais la torturer.

Sans l'écouter, le médecin sortit dehors demander à une équipe de le rejoindre pour transporter la malade. Au moment où les hommes rentrèrent dans la case, poussant les rares meubles avec le brancard, Cato s'approcha de la malade. Il se pencha à son oreille.

Il souffla sur le visage de sa servante et sourit, tout doucement, en murmurant :

- Tu vas vivre, Souillon. Tu vas me faire la promesse de vivre et de rester avec moi. Tu m'entends, Helena ? Tu vas vivre. Et tu me maudiras pour t'avoir sauvée.

Et loin, très loin de lui, dans son sommeil, Helena frémit.