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Disclaimer : Toute l'œuvre Harry Potter sur laquelle je me base est la propriété de J.K. Rowling.
Warning : Ne prend pas en compte l'épilogue ni tous les éléments du livre 7. Relations homosexuelles explicitées. A noter aussi que j'ai gardé la version originale du prénom de Draco Malfoy et Severus Snape.
Note : Voilà une histoire que je pensais ne jamais reprendre et pourtant... me revoilà ! Après un long, très long passage à vide où le goût de l'écriture m'était un peu passé, l'envie de recommencer à finalement refait surface au milieu de l'année dernière et après des mois à chercher comment reprendre tout le chantier que j'avais laissé derrière moi, c'est en relisant le dernier chapitre que tout a fini par me revenir. Je m'excuse juste par avance parce qu'à ne plus m'exercer régulièrement, j'ai fini par perdre ma plume et il m'a fallu du temps pour retrouver un peu d'aisance avec les mots. Pour autant, je ne suis pas certaine d'avoir réellement retrouvé la même manière d'écrire, et j'espère que vous me pardonnerez mes maladresses.

Sur ce, bonne lecture !

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Chapitre VIIIème

Sainte Mangouste, bureau du docteur White…

« C'est toujours pareil. Je suis quelque part, dans Londres. Il fait nuit. Enfin je crois. Il fait tellement mauvais que j'en suis pas sûr. » Un silence concentré. Un haussement sec des épaules. « Il n'y a presque personne autour de moi, je croise à peine un ou deux types bizarres, toujours tout en noir mais ils ont pas de visage. Ils sont pas importants de toute façon. Parce qu'au fur et à mesure que j'avance, je les croise de moins en moins et au bout d'un moment, il ne reste plus personne. »

Une tension dans l'air. Un visage et des poings crispés.

« En fait, il n'y a plus personne quand j'arrive devant le cimetière. Juste moi et le portail. Finalement, je crois bien qu'il fait nuit. Parce que le portail est fermé. Je grimpe au-dessus d'un pilier, sur le côté, et j'atterris dans l'allée. C'est pas important mais… tout est brillant. Comme s'il avait plu juste avant. »

Les yeux au plancher. Les mains jointes.

« Bref. Je me remets à marcher sur la pelouse et je finis par arriver dans un coin encore plus sinistre que le reste. Je m'approche d'une tombe où il n'y a pas de nom. Et je me mets à la fixer. Longtemps. »

Une pause.

« Autour de moi, j'entends rien. Juste le vent qui souffle. Fort, très fort. De plus en plus fort même. Jusqu'au moment où je me rends compte que c'est plus le vent. Je me tourne et je me retrouve devant tout un tas de monde, rassemblé autour de moi. C'est des gens qui murmurent, qui chuchotent et j'arrive pas à saisir ce qu'ils racontent. »

Une nouvelle inspiration.

« Je panique un peu puis je m'aperçois qu'y en a aucun qui me regarde. Ils regardent tous la tombe, et ils se parlent à l'oreille sans la lâcher des yeux, comme s'ils parlaient de quelqu'un de bien vivant. Ils parlent tous en même temps et d'un coup, ça se met à ralentir. Ils parlent moins fort, moins vite. Mais je comprends toujours rien. »

Une mâchoire brusquement serrée.

« Puis ils se mettent à reparler, mais tellement fort. A crier, presque. Ils se hurlent des choses, il y en a même certains qui rient. Il y en a aussi beaucoup qui montrent la tombe du doigt. Puis petit à petit, tout le monde se met à rire. C'est presque… violent. Je recule d'un pas, je tombe à genoux et je me bouche les oreilles puis je commence à tirer sur mes cheveux comme un fou, pour que ça s'arrête. »

Des paupières fermées sur un regard tourmenté.

« Sauf que la seconde d'après, c'est plus sur mes cheveux que je tire, mais sur la pelouse, devant la tombe. J'arrache l'herbe et je me mets à creuser avec mes mains. Puis d'un coup, les gens, ceux qui continuent de rire, m'attrapent. Les bras, les jambes. La tête, par les cheveux ou par le cou. Ils me griffent le visage, les côtes, et ils me tirent loin de la pierre tombale. »

Un silence pesant. Des muscles contractés.

« Alors tout disparait, et je me réveille. »

Dehors, il faisait beau. Un temps comme il y en avait peu par ici. Le vent était calme, les oiseaux chantaient. Le soleil brillait.

« C'est grave, docteur ? »

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Ce jour-là, Anthéa fut incapable de se concentrer sur ses tâches quotidiennes et ni les soins méticuleux du Moly, ni l'effrayant spécimen de Snargalouf, ni même son superbe Tournechant n'était parvenu à la ramener sur terre. La matinée se terminait à peine mais déjà, elle ne cessait de multiplier les coups d'œil en direction de la vieille aiguille qui grattait le cadran de manière oppressante au-dessus de la porte de l'arrière-boutique. Onze heures sonnait à peine, et elle soupira en silence quand soudain…

« Tu peux arrêter là. Je fermerai moi-même la boutique aujourd'hui. »

Si cette soudaine faveur surprit sincèrement Anthéa, la perspective de quitter le magasin plus tôt suffit à la sortir de sa torpeur. Réfrénant la soudaine urgence qui se mit soudain à bouillonner en elle, elle se redressa avec une lenteur insupportable. Elle voulut ouvrir la bouche, montrer une hésitation polie malgré tout, mais sa gorge contractée refusa de laisser le moindre bruit traverser ses lèvres.

Réduite au silence par l'angoisse, elle vit avec un soulagement immense Jafar se tourner vers elle et s'empressa d'ouvrir la bouche à nouveau. Comme elle s'y attendait, le vieil homme n'attendit pas qu'elle se mette à parler pour balayer sa proposition fantôme d'un geste de la main. Elle hocha la tête et après une dernière tasse de thé gracieusement offerte par son patron et une brève salutation prononcée du bout des lèvres, elle quitta le magasin d'un pas trop raide pour être naturel.

Une fois dehors, elle s'autorisa enfin un long soupir silencieux qui détendit imperceptiblement son corps crispé et fit frémir ses narines. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, le gris perle de son regard se heurta aux dalles anthracite.

Cette angoisse despotique n'était plus une expérience nouvelle pour elle. En réalité, elle la sentait enfler au creux de son ventre depuis une très longue semaine. Elle engluait chacun de ses mouvements, chacune de ses habitudes, insidieusement depuis l'incident. Ce sentiment s'était transformé en une immense araignée qui tissait peu à peu sa toile sur son quotidien.

Les mains tremblantes, son pas quitta pour la première fois depuis bien longtemps le trajet rassurant qui la ramenait chez elle. A pas lents, très lents, elle s'approcha du croisement, abandonnant les ténèbres noires de l'Allée des Embrumes pour les fantômes blancs du Chemin de traverse. Sous la lumière froide qui nimbait l'artère démolie comme de la brume, elle se sentit brusquement mise à nue, comme accusée par les rayons blêmes. Ils pointaient vers elle comme tous les doigts d'une foule et comme seule protection, elle ne put que resserrer les pans de son manteau et creuser les épaules. Tétanisée, elle regardait les gens passer sans pouvoir bouger et lorsqu'enfin elle récupéra le contrôle de son corps, ce fut pour se précipiter dans la première boutique qu'elle croisa.

Dans sa hâte, elle trébucha sur le pas de la porte et se heurta violemment à quelqu'un. Sa pauvre victime en laissa tomber la montagne de livres qu'elle tenait entre ses bras et s'écroula sur le sol dans un concert de jurons et de glapissements douloureux.

« Désolée… » Balbutia-t-elle en reculant de quelques pas tandis que devant elle, une masse de boucles blondes tentait péniblement de s'extirper d'un océan de reliures épaisses et poussiéreuses.

- Bon sang, vous ne pouviez pas faire attention ? On n'a pas idée de se précipiter ainsi sans regarder devant soi… » Les grommellements devenaient de plus en plus clairs à mesure que le jeune libraire parvenait à se dépêtrer de ce fatras de livres et, partagée entre la honte et l'anxiété, Anthéa préféra s'éclipser un peu plus loin dans la boutique avant qu'il n'ait le temps de relever la tête vers elle.

Furtive comme une ombre, elle se glissa dans un rayon sombre et saturé de poussières mais alors qu'elle s'affaissait de soulagement contre l'une des étagères, un livre se mit à frémir dans son dos et la fit sursauter si violemment qu'elle dut plaquer une main sur sa bouche pour ravaler un cri de surprise. Instinctivement, elle se pencha vers l'entrée de la librairie, comme pour s'assurer qu'elle n'avait pas attiré l'attention du gérant une fois de plus, mais fut soulagée de constater qu'il continuait de ramasser ses livres en bougonnant et ne lui prêtait aucune attention.

Toujours fébrile, elle se força à prendre une profonde inspiration et mit de longues secondes à calmer les tremblements de ses mains. Une fois apaisée par de longs mantras intérieurs, elle s'aventura enfin à travers les rayonnages qui débordaient d'ouvrages magiques, étudiant d'un œil distrait les titres d'or, d'argent ou de bronze qui s'étalaient sur les reliures de toutes les couleurs. Elle feuilleta ainsi quelques livres de potions et herbiers célèbres une longue demi-heure, prenant soin d'éviter soigneusement le libraire comme dans une véritable partie de cache-cache, et s'apprêtait à partir lorsque son regard accrocha un énorme volume à la couverture noire, ouvert sur une page couverte d'une écriture serrée, et posé à l'entrée de la boutique sur une gros pupitre de bois. Dans le tumulte qu'elle avait elle-même créé en bousculant le libraire lorsqu'elle était entrée, elle n'avait pas remarqué la présence de ce livre pourtant particulièrement imposant, trop pressée de disparaitre, mais maintenant qu'elle le voyait, sa taille impressionnante et sa disposition si ostentatoire l'intriguaient.

Abandonnant le jeu du chat et de la souris avec le libraire et malgré les petits regards fâchés qu'il lançait dans sa direction depuis qu'il l'avait repérée, elle s'approcha et se pencha sur les premières lignes.

« …ainsi, le 27 juillet 1997, la bataille s'engage au-dessus de Little Whinging. L'assaut soudain, mené par Voldemort lui-même, suffit à désorganiser en quelques secondes la défense édifiée autour de l'Elu par l'Ordre du Phoenix, dont sept de ses membres les plus émérites tels que la métamorphomage Nymphadora Tonks, Alastor Maugrey ou encore, Kingsley Shacklebot… »

Un frisson glacé se saisit d'elle lorsqu'elle lut ces noms et ses sourcils se froncèrent de concentration alors qu'elle tentait de comprendre pourquoi, dans ce contexte, ils semblaient lui rappeler quelque chose de plus que des noms célèbres lus à la volée sur la plupart des premières pages de La Gazette à l'occasion d'innombrables récompenses publiques. Soucieuse, elle continua, quelques paragraphes plus bas.

« Un sort de Sectumsempra percute George Weasley de plein fouet, lancé par Severus Snape, mais Remus Lupin… »

Cette fois, ce fut une véritable réminiscence qui lui noua l'estomac à l'évocation de Severus Snape. Ce nom semblait ancré dans sa mémoire, mais là encore, elle ignorait pourquoi. Sa lecture reprit, plus fébrile que jamais.

« …découvre plus tard que la baguette utilisée par Tom Jedusor n'est pas la sienne, mais celle de… »

Perdue dans un tourbillon d'émotions, consciente bien malgré elle qu'elle se rapprochait d'une information primordiale, elle avait totalement occulté la présence du libraire qui, exaspéré par sa présence, s'était rapproché d'elle d'un pas décidé pour refermer d'un geste sec l'énorme livre dans un vacarme assourdissant qui la sortit du récit comme un coup de poing dans l'estomac. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, elle tourna son regard halluciné vers le visage rouge d'indignation du jeune homme sans le voir vraiment.

« Ici, c'est une librairie, pas une bibliothèque. Si vous souhaitez lire cet ouvrage, il va falloir l'acheter. » Il toisa son allure et ajouta avec un sourire méprisant. « Celui-ci fait douze Gallions. »

Durement ramenée à la réalité, Anthéa cligna des yeux et déglutit avec difficulté. Elle n'essaya même pas de fouiller ses poches, c'était une somme qu'elle n'avait pas. Ses yeux désespérés se posèrent sur la grande couverture noire sur laquelle s'étalait un titre en lettres d'argent « Récit d'une guerre de sept ans » tandis que son cerveau réfléchissait à toute allure. Il fallait qu'elle sache. Elle avait été si près du but, bon sang !

« Je… J'aimerais savoir si… Est-ce que vous avez un livre sur… sur Harry Potter… ? » Sa voix s'était étranglée sans qu'elle ne puisse l'en empêcher la boule dans sa gorge continuait de grossir.

Le bleu blessant du regard du libraire se fit un peu plus incisif et il perdit immédiatement son rictus. Pourtant, quelque chose lui disait que sa réaction aurait été bien pire si elle s'était aventurée à prononcer le nom de de ce Severus Snape.

« Qui êtes-vous ? » Demanda-t-il brusquement en plissant les yeux comme si ce simple geste aurait pu lui permettre de lui faire un trou dans la tête et y trouver une réponse.

L'appréhension d'Anthéa se transforma alors en quelque chose de plus profond, comme un instinct primitif qui lui broya la gorge, et elle recula comme pour se soustraire à cette soudaine inquisition. Tremblante à nouveau, elle balbutia une suite de mots incompréhensibles et décida finalement de faire demi-tour, luttant pour ne pas se mettre à courir loin de cette ambiance si pesante, mais alors qu'elle n'était plus qu'à quelques pas de sa liberté, son attention fut captivée par les piles de journaux qui s'entassaient près de la porte comme un deuxième mur. Prenant son courage à demain, elle se tourna à nouveau vers le libraire. Celui-ci n'avait pas bougé et la clouait d'un regard des plus belliqueux.

« Vous vendez ces journaux ? » Sa voix était si faible qu'elle douta un instant qu'il l'ait entendue.

- Je ne suis pas certain de vouloir vous vendre quelque chose. » Il croisa les bras pour se donner l'air encore plus hostile.

- S'il-vous-plait… » C'était presque un gémissement et elle se mit à prier pour que sa supplique si misérable égratigne ne serait-ce qu'un peu l'acharnement cruel de son interlocuteur.

Sans doute pris au dépourvu, le libraire cilla bêtement mais se reprit vite en reniflant d'un air dédaigneux.

« Encore faudrait-il que vous ayez de quoi me les payer. »

Voyant là une chance inespérée de satisfaire sa curiosité frénétique, elle fouilla aussitôt ses poches pour en extirper une petite bourse de cuir usée qu'elle éventra de quelques pièces qui roulèrent piteusement dans le creux de sa main. Les éclats de bronze, plus nombreux que les éclats d'argent, capturaient la lumière rougeâtre de la boutique comme un prisme, mais aucune trace d'or. Elle plongea alors sa main dans la poche arrière de son jean et en extirpa avec un infini soulagement son seul Gallion.

« Un Gallion, sept Mornilles et neuf Noises.

- Je veux bien vous laisser un lot. »

Un lot, sept journaux. C'était cher. Bien trop cher pour sept torchons aussi vieux, mais elle se contenta d'acquiescer. Le libraire récupéra d'abord l'argent et s'éloigna vers les canards aux pages roussies par le temps et la poussière. Il attrapa la vieille ficelle élimée qui reliait le premier lot de la pile la plus basse mais Anthéa l'interrompit, s'attirant un nouveau regard assassin.

« Non, je… Je voudrais la quatrième semaine du mois de Juillet 1997.

- Vous pensez que je n'ai que ça à faire ? »

En d'autres circonstances, Anthéa aurait aimé souligner le fait qu'elle était sa seule cliente et que sa demande entrait dans le cadre de ses attributions mais elle se sentait trop intimidée et effrayée pour cela.

« Peut-être que vous pourriez me laisser fouiller un peu.

- Hors de question. » Grommela le libraire en s'armant de sa baguette. « Pour que vous mettiez la pagaille dans ma boutique, merci bien. »

Anthéa se demanda s'il était possible que la pagaille soit plus grande qu'elle ne l'était déjà mais encore une fois, elle préféra garder le silence. A la place, elle attendit patiemment qu'il ait terminé sa tâche et récupéra avec une intense satisfaction son paquet de journaux. Sa nouvelle acquisition précieusement serrée contre sa poitrine, elle salua le libraire du bout des lèvres et sans attendre de réponse qui ne serait sans doute jamais venue, fonça aussitôt à l'extérieur, puis rejoignit l'Allée des Embrumes d'où elle transplana, avide de réponses.

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Lorsqu'il entra à nouveau au 12th Square Grimmaud, Remus se demanda un instant s'il existait endroit plus sinistre dans tout le Royaume-Uni. La lumière ne filtrait plus à travers les fenêtres condamnées, même par les interstices, comme si elle avait elle-même renoncé à l'idée de pénétrer les ténèbres si denses de la maison. Pourtant, malgré la pénombre perpétuelle, le rideau de poussières qui saturait l'atmosphère était si épais qu'il obstruait efficacement les sens pourtant surdéveloppés du visiteur, de sa vue à son odorat de toute évidence, le terrifiant manoir, même à l'abandon, ne tolérait pas qu'on puisse percer ses mystères aussi facilement, il tenait à ses secrets.

Les spectres eux-mêmes ne hantaient plus les murs de la maison et alors qu'elle lui paraissait déjà effrayante à l'époque où des bruits, tous plus étranges les uns que les autres, envahissaient certaines pièces sans raison, le silence de mort qui régnait désormais sur les lieux depuis la fin de la guerre était encore pire pour Remus. Néanmoins, malgré l'effroi que lui inspirait ce décor, il se força à avancer, les sens à l'affût.

Il était revenu pour trouver ce qui devait être la dernière âme du manoir, son dernier résident. A vrai dire, il ne savait pas vraiment si l'elfe hargneux était encore en vie mais l'instinct animal qui sommeillait en lui indiquait que quelque chose vivait encore dans les parages. Il n'avait plus qu'à espérer que c'était bien celui qu'il recherchait.

D'abord, il inspecta le rez-de-chaussée en commençant par la vieille cuisine au plancher grinçant. D'un coup de baguette, il alluma deux pauvres bougies qui semblaient avoir poussé directement de l'épaisse couche de poussières qui recouvrait le plan de travail et à laquelle quelques toiles d'araignée les reliaient encore, mais la lumière restait si faible qu'il dut invoquer un Lumos pour continuer d'avancer à travers les débris qui jonchaient le sol. Sa lugubre visite se poursuivit entre les velours usés et verdâtres d'un salon, au milieu d'éclats de vitre éparpillés sur le sol, puis dans un petit office délabré où il n'y avait plus aucune provision mais où le linge déchiré et brûlé pendait aux meubles. La lueur blanche de son sort se faufila ensuite dans un autre salon, traversa les couloirs où tous les tableaux sans exception avaient été désertés par leurs modèles, et termina sa ronde dans un vieux fumoir où Remus avait un jour entraperçu le profil sévère d'Orion Black, une longue pipe sorcière à la main.

Convaincu qu'il n'y avait personne en bas, il emprunta, comme la première fois, les escaliers qui menaient vers l'étage où se trouvait l'arbre généalogique, et qui semblait encore plus macabre si c'était possible, que le rez-de-chaussée. Bien malgré lui, son pas ralentit car si les confortables salons de l'entrée leur avaient toujours été interdits, à lui et Sirius, lorsqu'il était jeune, le labyrinthe de couloirs du premier étage, là où se trouvait les chambres, la bibliothèque et les bureaux, renfermait pour sa part un bon millier de souvenirs. La gorge serrée, il avançait lentement, comme s'il craignait de rencontrer au détour d'une pièce un vestige un peu trop vivace de son passé. Il repoussait les portes du bout des doigts et pour certaines, comme celle qui menait à la chambre de Sirius, ou à celle de Regulus, il ne put se résoudre à les franchir et se contenta de les fouiller du regard depuis l'encadrement, la main tendue devant lui.

Il arrivait à la fin de cet interminable couloir et s'apprêtait à abandonner lorsqu'un bruit, un infime craquement que le silence absolu du manoir amplifia de manière terrible, suspendit son pas. Abandonnant le battant qu'il était sur le point de repousser sans grande conviction, il dépassa les trois dernières portes jusqu'à atteindre la plus éloignée. Contrairement à toutes les autres, elle était entrouverte et Remus, sans vraiment savoir pourquoi, sentit son cœur s'emballer lorsqu'un deuxième craquement retentit de l'autre côté. Les muscles raides, il affirma sa prise sur sa baguette, fit disparaitre son Lumos, et s'insinua dans la pièce à pas de loup.

Il mit quelques secondes à percer la noirceur de la chambre mais lorsqu'il discerna enfin une petite silhouette recroquevillée contre le mur, dos à lui, ce ne fut pas le soulagement qui l'envahit, bien au contraire. Le terrible pressentiment qui s'était installé en lui enfla brusquement et lui tordit les entrailles. Pourtant, il s'agissait bien de l'elfe. Il en était sûr. Vêtu de haillons encore plus maigres et sales que ceux dans lesquels il l'avait toujours connu, on distinguait son dos aux os saillants sous sa peau devenue violacée. C'était lui provoquait ce craquement en se balançant faiblement d'avant en arrière. De là où il se trouvait, Remus ne voyait pas son visage mais étrangement, il ne produisait aucun son, pas même celui d'une respiration.

De plus en plus troublé, Remus s'arrêta à quelques mètres et décida de l'appeler doucement.

« Kreattur… ? C'est bien toi ? »

Le petit corps amorphe se raidit brusquement, mais toujours aucun bruit. Il ne chercha même pas à se retourner.

« Kreattur. » Insista Remus en recommençant à avancer tandis que la ride sur son front se creusait davantage.

Finalement, étonné par l'absence total de réaction de la petite silhouette toujours ratatinée sur le sol, le loup-garou se pencha en avant, posa une main sur l'épaule d'une maigreur terrifiante, et malgré une faible résistance, força l'elfe à se retourner. Il le regretta presque aussitôt tandis qu'un haut-le-cœur le saisissait brusquement et que l'horreur de la situation le repoussait en arrière comme une gifle en plein visage.

Devant lui, il ne restait plus du visage de Kreattur qu'un regard aveugle, recouvert d'un voile blanchâtre qui tranchait sinistrement avec l'abominable spectacle de sa bouche cousue grossièrement par une épaisse ficèle qui perçait la chair infectée comme un ver, enfouie sous d'innombrables croûtes de sang sec. Ses lèvres n'étaient plus que charpie d'où suintait une salive brune et purulente et chacun de ses os paraissait sur le point de déchirer sa peau tendue sur ces pointes comme une vieille toile de papier usé.

Le souffle coupé par tant d'atrocités, Remus eut toutes les peines du monde à reprendre le contrôle sur son corps tétanisé. Il tenta de déglutir mais n'y parvint pas, et s'accroupit devant la pauvre bête mutilée qui se colla un peu plus au mur en sentant cette présence qu'elle ne reconnaissait pas s'approcher autant.

« Que t'ont-ils fait… » Murmura Remus d'une voix blanche.

A suivre…