Winter's Delights

Auteur : kate_lear

Titre : Winter's Delights

Pairing : Sherlock/John (et Evander/le serveur, on the side)

Rating : M

Warnings : Aucun. Promis, j'ai réfléchi à fond et je n'ai rien trouvé qui mérite de vous prévenir. A part peut-être une overdose de fluff, de Noël, et plus d'OCs que vous ne pourriez l'imaginer.

Résumé : C'est Noël, et Sherlock emmène John chez lui pour rencontrer toute la famille Holmes.

Note de l'auteur : Merci beaucoup à innie_darling pour ses commentaires de beta très utiles et ses suggestions (en particulier en ce qui concerne le travail d'Evander !). Le titre est tiré du poème de Thomas Campion 'Now Winter Nights Enlarge'. Enfin, toute cette fic a plus ou moins été écrite à cause de la réplique de Mycroft à la fin de A Study in Pink (Une Etude en Rose). Je suis sûre que vous savez tous de quoi je parle !

Note de la traductrice : Heeello les gens ! So me revoilà avec une nouvelle traduction, sauf que cette fois il ne s'agit pas de Harry Potter - mais de Sherlock, la série de la BBC, qui est absolument fantastique et awesome et merveilleuse. Sherlock, OHMONDIEU Sherlock. (Du coup, si des lecteurs de HP s'égarent par ici, je les encourage à aller voir cette série aussi vite que possible, je peux même vous donner des liens en MP of course.) Et c'est une fic de Noël. En mai. WTF, on s'en fout, NOEL C'EST TOUTE L'ANNEE.

Sinon, cette fic est en trois parties, je pense publier la suite d'ici trois jours ; merci à mon beta-pokémon F. que j'adore (dont le petit frère est malade, alors merci vraiment à lui pour avoir bossé dans des conditions pareilles), of course, et bonne lecture à toutes et à tous !

P.S. : Thunderbirds est une série britannique de science-fiction plus ou moins pour enfants des années 60/70, censée se dérouler au 21ème siècle ; on y retrouve entre autres personnages Aloysius Parker, le chauffeur de Lady Penelope Creighton-Ward.

P.P.S. : le grand-père de Sherlock, Jove - j'ai gardé le nom en anglais, mais en français sa donnerait 'Jupiter' - vous comprendrez mieux pourquoi c'est approprié comme prénom, je pense =)

P.P.S. : Bletchley Park est un manoir dans le Buckinghamshire (près de Milton Keynes) qui a servi de quartier général aux services secrets anglais durant la Seconde Guerre Mondiale (étudiante en histoire BONSOIR) ; entre autres choses, les cryptologues alliés y déchiffraient les messages allemands qui utilisaient le code Enigma.

P.P.P.S. : Oh, et juste pour le fun, Wham! et 'Last Christmas' : sur YouTube, mettez ça après le . com : /watch?v=E8gmARGvPlI


Winter's Delights


La première idée que put se faire John de la nature exacte des dîners de Noël en famille chez les Holmes lui vint à l'esprit alors qu'ils sortaient de la gare du village, le soir de la veille de Noël. Au lieu de chercher un taxi comme il avait l'habitude de le faire, Sherlock s'arrêta brusquement et commença à parcourir du regard la foule de gens autour d'eux - le fait qu'ils bloquaient le passage des autres personnes voulant sortir dans la rue ne le perturbait absolument pas, de toute évidence.

« On attend quelqu'un ? »

« Oui. » Sherlock fronça les sourcils. « Parker a l'habitude d'être toujours parfaitement à l'heure, à tel point que sa propension à se rendre utile peut parfois devenir gênante, mais là je ne le vois pas. »

« Parker ? » Piétinant sur place pour essayer de se réchauffer, John eut un rire nerveux. « C'est une blague. Comme dans Thunderbirds ? »

« Comme quoi ? » demanda Sherlock, qui s'employait toujours, grâce à sa haute stature, à inspecter la foule.

John soupira. « Laisse tomber. Mon dieu, je n'arrive pas à croire que ta famille a un chauffeur. »

Cette fois, Sherlock se tourna vers lui, l'air définitivement perplexe. « John, de quoi est-ce que tu parles ? »


Quand Sherlock avait laconiquement invité John à passer les fêtes de Noël avec sa famille, John s'était empressé d'accepter son offre. Harry lui avait déjà annoncé qu'elle et Clara avaient décidé de passer Noël ensemble, juste toutes les deux, et John n'avait aucune idée de ce qu'il allait bien pouvoir faire. Il avait songé faire du bénévolat, distribuer des repas pendant la période des fêtes, mais un certain nombre de sans-abris se trouvaient être des anciens soldats qui n'avaient juste pas réussi à s'adapter à la vie civile. Regarder les visages mal rasés, les expressions vides des hommes qui vivaient dans les rues de Londres rappelait bien trop clairement à John ce qu'il aurait pu devenir si Stamford ne l'avait pas reconnu dans le parc ce fameux matin de janvier presque un an plus tôt ; et, aussi lâche que cela puisse paraître, il savait qu'il aurait du mal à faire face à ses alter-egos. Alors il avait accepté l'invitation de Sherlock, s'efforçant de ne pas avoir l'air trop reconnaissant.

A cause de la neige, leur train avait été retardé pendant leur voyage, ce qui n'avait pas manqué d'agacer Sherlock. Pour s'occuper, ce dernier avait décidé de s'asseoir en face de John et il n'avait cessé de lui envoyer des textos pendant le voyage - des remarques extravagantes sur les autres passagers, et plus d'une fois John avait dû se mordre la lèvre pour retenir un éclat de rire ; à chacune de ces occasions, les yeux de Sherlock avaient pétillé face au spectacle de John essayant de contenir son amusement.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin devant la maison des Holmes, la plupart des invités étaient déjà arrivés et on commençait à servir l'apéritif. Enfin, songea John, 'maison' est un bel euphémisme. Il s'agissait plutôt d'un manoir ou d'un château - un bâtiment imposant illuminé de partout et qui fourmillait d'activité.

John avait été soulagé de décourvrir que 'Parker' n'était pas le chauffeur de la famille, mais le nom de l'homme qui dirigeait la compagnie de taxis du village - un homme qui avait réalisé apparemment un magnifique chiffre d'affaires avec tous les différents Holmes qui étaient arrivés à la gare depuis le début de la journée. Cependant, le manoir avait bien une gouvernante, et après avoir échangé quelques mots avec elle, Sherlock entraîna John à travers ce qui lui parut être des couloirs de plusieurs kilomètres de long ('Mrs Waring vient de me dire que les plus jeunes ont été mis dans l'aile droite.' 'L'aile ? On a une aile entière réservée pour nous ?'). Ils finirent par s'arrêter devant une porte ornée d'une plaque de cuivre où il était écrit Chambre du Moyen-Orient, et John se demanda si la personne qui s'était occupée d'attribuer les chambres avait été prévenue de son passé militaire en Afghanistan.

« C'est une idée de tante Octavia », expliqua Sherlock en ouvrant la porte, avant de laisser tomber sa valise sur le lit. « Il s'agit de sa maison, et elle a pensé qu'il serait intéressant de décorer chaque chambre en fonction d'un thème différent. »

John lui prêtait à peine attention. Il avait l'impression d'avoir débarqué en plein milieu de l'un de ces contes de fées que Harry adorait quand elle était petite. Des lampes en métal cuivre artistiquement sculpté étaient fixées au mur, et toute la pièce était décorée d'étoffes brillantes, somptueuses. Des épais tapis persans étaient superposés sur le plancher, et un lit immense, couvert d'oreillers et de coussins aux teintes orange, turquoise et améthyste, dominait la pièce. Il était même si grand que même Sherlock aurait pu s'y allonger de tout son long, en largeur comme en longueur.

« Euh, Sherlock ? »

Ce dernier s'était aventuré dans la salle de bains attenante, et sa voix résonna étrangement quand il lui répondit. « Oui ? »

C'était un lit à baldaquin, et John passa sa main sur l'un des montants de bois sombre et poli en se laissant tomber sur le bord du matelas. « Il y a… euh… Il n'y a qu'un seul lit. »

Il ne reçut aucune réponse et, sans trop savoir pourquoi, il ouvrit le tiroir de la table de nuit sculptée - tiroir à l'intérieur duquel il dévouvrit assez de préservatifs et de lubrifiants de marques diverses pour ouvrir un sex-shop.

« Bordel de dieu ! »

En une seconde, Sherlock s'était précipité à nouveau dans la chambre, une expression particulièrement inquiète sur le visage. « Qu'est-ce qui ne va pas ? »

« Il y a… Il y a… » balbutia John avant de se reprendre. « Il y a des préservatifs dans ce tiroir ! Et… d'autres trucs ! Des trucs aux fruits ! »

« Vraiment ? » Sherlock, toujours aussi insupportable, prit un air intrigué, les yeux étincelants de curiosité. « Quels goûts ? »

« Sherlock ! Ce n'est pas ça, l'important ! L'important, c'est qu'est-ce que ça fait là ? » Son embarras et la pointe d'excitation qu'il dut retenir rendirent la réponse de John plus brusque qu'il n'en avait eu l'intention, mais sérieusement : ne suffisait-il pas déjà que tous les propriétaires de restaurants de Londres aient pour but de faire des insinuations sur Sherlock et lui qui rendaient John aussi nerveux qu'envieux à chaque fois qu'ils sortaient manger ailleurs qu'à Baker Street, sans qu'en plus la tante de Sherlock ne s'y mette elle aussi ?

Le haussement d'épaules nonchalant de Sherlock fut révélateur. « Tante Octavia est notoirement connue pour être une femme libérée. Une des premières hippies. Elle a connu Germaine Greer à l'époque, tu sais. Si tu regardes au fond du tiroir, tu trouveras probablement une copie du Kama Sutra gay. »

John n'aurait pu dire s'il s'agisssait d'une des tentatives rares de Sherlock pour essayer de faire de l'humour, mais la suggestion qu'il venait de lui faire suffit à lui faire refermer précipitamment le tiroir ; le rouge lui était monté aux joues et son esprit traître lui présenta immédiatement une demi-douzaine d'images qui associaient Sherlock, du lubrifiant parfumé et des positions tirées du Kama Sutra.

« Ecoute, tu dois lui dire qu'elle… Que nous ne sommes pas… Pas comme ça. » Bien dommage, d'ailleurs. Il n'avait aucun mal à s'imaginer les cheveux noirs et la peau pâle de Sherlock contre les couleurs vives des coussins qui couvraient le lit.

« Oui, oui » fit Sherlock, interrompant du même coup le fil de ses pensées inavouables. « Je m'arrangerai avec Mrs Waring pour qu'elle nous donne une deuxième chambre plus tard, mais là nous sommes déjà en retard John. Si tu ne veux pas te changer, nous ferions mieux de descendre. »


Une fois arrivés au rez-de-chaussée, ils pénétrèrent dans une grande pièce qui, pour John tout du moins, avait l'air absolument bondée - une foule de gens était occupée à discuter, rire, et boire.

« Tu avais dit que ça serait juste ta famille ! » murmura-t-il, alarmé.

Sherlock lui jeta un coup d'œil surpris. « Il s'agit de ma famille. »

« Il y a au moins une centaine de personnes là-dedans ! Tu es en train de me dire qu'ils sont tous de ta famille ? »

« Ne sois pas si mélodramatique, John. Nous ne sommes que cinquante ou soixante, tout au plus. Tu veux quelque chose à boire ? » Alors qu'ils discutaient, Sherlock s'était frayé un chemin à travers la foule et ils étaient arrivés devant le cabinet à boissons le plus impressionnant que John ait jamais vu. « Un gin-tonic ? Du whisky ? »

« Un verre de whisky, merci. » John n'était pas sûr de pouvoir survivre à la soirée sans avoir au moins une bonne dose d'alcool dans le sang. Non seulement la pièce semblait remplie d'une foule incroyable de gens, mais il avait la très nette impression que chacune de ces personnes allait se révéler appartenir à une classe sociale avec laquelle John n'avait rien en commun, et dont il finissait toujours par détester les membres cinq minutes après le début d'une conversation.

Se rappelant soudain que même une telle foule était préférable à un Noël solitaire à Baker Street, John prit une bonne gorgée du Lagavulin que Sherlock venait de lui passer et prêta attention aux notes discrètes de musique classique que l'on pouvait entendre en arrière-plan.

« C'est un quatuor à cordes, là-bas dans le coin ? » demanda-t-il non sans nervosité.

« C'est une stéréo, John. J'imagine que c'est tante Octavia qui a choisi la musique, même si je suis sûr que tu constateras un changement significatif quand Evander réussira à s'approcher des enceintes. » Sherlock lui lança un coup d'œil curieux. « Tu vas bien ? »

« Ca va, ça va », marmonna John.

Sherlock eut l'air une seconde de vouloir ajouter quelque chose, mais avant de pouvoir ouvrir la bouche il jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule de John et son visage s'illumina.

« Grand-mère ! » s'écria-t-il avant de s'élancer à travers la pièce, entraînant John dans son sillage. Ce dernier put à peine entrevoir le visage d'une femme âgée avant que Sherlock ne s'interpose, embrassant la femme sur les deux joues avant de la prendre dans ses bras. Elle lui rendit son étreinte, le serrant avec une force impressionnante pour son âge ; et quand Sherlock recula, l'air ravi, John se retrouva face à face avec la matriarche de la foule de gens qui l'entourait.

La femme devait avoir plus de quatre-vingt ans, mais elle était impeccablement habillée (John ne manqua pas de remarquer les discrets C entrelacés qui ornaient les manches de son tailleur) et ses cheveux blancs étaient noués en un élégant chignon. Et il lui apparut de façon très claire de qui Sherlock avait hérité ses pomettes saillantes. Elle adressait également un grand sourire à John, comme si se retrouver face à un homme nerveux triturant la manche de son costume Mark and Spencer était le cadeau de Noël dont elle avait toujours rêvé.

« Grand-mère », dit Sherlock, « je te présente John. John, voici ma grand-mère, Evangeline. »

Sans savoir vraiment quoi faire, John tendit poliment sa main droite, mais il fut royalement ignoré et la vieille femme ne tarda pas à se pencher vers lui (il put distinguer une bouffée de L'Air du Temps) pour l'embrasser affectueusement sur la joue.

« C'est un plaisir », sourit-elle. « J'ai beaucoup entendu parler de vous, et je suis ravie de pouvoir enfin vous rencontrer. Sherlock, sois gentil et va me servir un verre pendant que je discute avec John. »

John ne pouvait se souvenir du nombre exact de fois où les demandes, et mêmes les supplications, qu'il avait faites à Sherlock pour que ce dernier prépare du thé avaient été ignorées à Baker Street, mais le brun se contenta de dire, « Comme d'habitude, je suppose ? » avant de s'éclipser en hâte vers le buffet où étaient rangées les boissons.

« Très bien, à nous. » Evangeline possédait des yeux verts étrangement hypnotisants, et John put les sentir le dévisager. « Vous vous connaissez depuis presque une année, c'est bien cela ? »

« Euh, oui », répondit John, et à sa grande surprise il réalisa qu'elle avait raison. Avec tout ce qui s'était passé depuis, il avait l'impression que cela faisait bien plus longtemps depuis qu'il avait pour la première fois remis les pieds dans son vieux laboratoire à St Bart.

« Je ne peux même pas trouver les mots pour vous dire à quel point je suis enchantée que Sherlock ait enfin emménagé avec quelqu'un. Cela va lui faire le plus grand bien, d'avoir quelqu'un d'autre dont s'occuper. C'est un garçon charmant, mais il a toujours été si… » Elle eut une hésitation.

Cinglé. Fou. Complètement et totalement dingue, songea John, mais il prit bien soin de ne rien en dire.

« … inconstant », finit-elle par dire. « Mais Bella m'a dit qu'il a l'air d'être devenu bien plus stable depuis qu'il vous a rencontré. »

John revint en pensée sur l'année passée, essayant de ne pas s'apesantir sur la boîte d'échantillons de peau humaine qu'il avait trouvée dans leur frigidaire le mois dernier, et frémit à l'idée que Sherlock ait pu un jour être encore plus fantasque que maintenant.

Evangeline baissa la voix et continua. « Je sais que je ne suis pas censée avoir de favoris et je n'en ai pas, pas vraiment, je les aime tous autant qu'ils sont. Mais Sherlock me rappelle beaucoup un grand-oncle que j'avais. C'était un homme merveilleux : très observateur, tout à fait comme Sherlock, et très gentil. J'avais l'habitude d'aller lui rendre visite, à lui et à son ami, pendant l'été - ils vivaient au bord de la mer, dans le Sussex - et il me laissait l'aider à s'occuper de ses abeilles. Leur miel était le plus délicieux que j'aie jamais goûté. Quand Bella m'a demandé de choisir le deuxième prénom de son plus jeune fils, j'ai immédiatement songé à mon grand-oncle et je dois dire que Sherlock fait vraiment honneur à son nom. »

Essayant de suivre l'histoire familiale des Holmes, John prit une nouvelle gorgée de whisky et faillant s'étrangler avec quand Evangeline ajouta, sans prévenir : « Oh, et parce qu'ils sont tous les deux homos, bien sûr. N'est-ce pas ainsi que les jeunes appellent cela, de nos jours ? Mon cher, vous allez bien ? »

« Très bien », toussa John, les yeux embués et les sinus embrasés par son whisky. « Désolé de vous avoir interrompue. Vous disiez que votre grand-oncle était… était… »

« Oh oui, j'en suis presque sûre. Quand j'ai grandi, je me suis souvent posé des questions sur lui et son ami veuf qui vivait avec lui. Bien sûr, c'était bien après qu'ils soient morts ; à l'époque j'étais trop jeune pour vraiment songer à ce genre de choses. Et même si cela avait été le cas, je n'aurais jamais pensé leur poser la question. C'était le genre de choses qu'on ne faisait pas, à l'époque. Mais vous, les jeunes, vous êtes bien plus ouverts à propos de ce genre de sujets de nos jours. »

John avait souvent eu des doutes sur l'orientation sexuelle de Sherlock, étant donné son total manque d'intérêt envers les femmes et les rares fois où il l'avait surpris à dévisager un homme particulièrement attirant (quand John lui-même n'avait pas été trop distrait par l'homme en question pour remarquer ce que faisait Sherlock), mais il ne s'était jamais attendu à ce que ses fantasmes soient confirmés par la grand-mère de son ami.

« Je vois », fut tout ce qu'il trouva à répondre.

« Il y a quelques années, assez longtemps en vérité, il a même ramené un jeune homme à notre réunion familiale de Noël et oh, mon cher, il m'est impossible de vous dire à quel point ce fut épouvantable. Aucun d'entre nous ne l'appréciait ; il se comportait de façon tout bonnement horrible avec mon petit-fils. » Elle refocalisa son attention sur lui, les yeux pétillants alors qu'elle le dévisageait à nouveau. « Mais maintenant il est avec vous, et j'en suis heureuse. Peut-être même que vous parviendrez à le faire cesser cette désagréable petite habitude qu'il a prise. »

Sherlock avait un certain nombre d'habitudes qui pouvaient être qualifiées de 'désagréables', et John s'efforça de ne rien trahir de ses pensées alors qu'il tentait avec tact un, « Je ne suis pas sûr de ce que vous voulez - »

« Eh bien, la cocaïne, bien sûr ! Ne prétendez pas que vous ne ignorez ce dont je veux parler, je peux voir que vous êtes au courant, bien que la loyauté dont vous faîtes preuve envers lui soit charmante. Vous savez, même lorsqu'il était enfant Sherlock s'ennuyait terriblement - les jours de pluie, je devais lui donner toutes les énigmes et les puzzles que mon grand-oncle m'a transmis - mais cette fâcheuse habitude qu'il a prise ne lui fait pas le moindre bien. »

John en resta bouche bée. Il n'était pas certain d'avoir déjà eu une conversation avec une personne âgée sur le sujet des drogues dures, sans même parler de rencontrer quelqu'un lui annonçant aussi calmement qu'elle savait qu'un de ses petits-fils en prenait. Evangeline eut un petit rire lorsqu'elle constata à quel point il était mal à l'aise et lui tapota le bras. « Vous, les jeunes d'aujourd'hui, vous pensez toujours que vous êtes les premiers à découvrir le monde. Mais vous savez, les années 1920 n'ont pas été baptisées les 'Années folles' pour rien, mon cher. »

Désespérément à la recherche d'un sujet sûr à aborder dans ce qui semblait être devenue l'équivalent d'un champ de mines comme conversation, John enchaîna sur quelque chose qui avait attiré son attention. « Vous avez dit que 'Sherlock' était son deuxième prénom. »

« Eh bien, oui. Vous l'ignoriez ? »

« Non, il ne m'en a jamais parlé. »

« Et voilà, Grand-mère. » Sherlock choisit cet instant précis pour réapparaître, avec à la main un verre de jus de tomate agrémenté de céleri.

« Merci, mon chéri », le remercia sa grand-mère en prenant le verre. « Mais John me dit que tu ne lui as même pas donné ton nom complet ! Ne me dis pas que tu en as encore honte, après toutes ces années ? »

Sherlock fronça les sourcils, l'air vexé, et John eut brusquement l'impression de distinguer clairement ce à quoi il avait dû ressembler quand il était enfant. « C'est ridicule. »

« Tu te comportes comme un idiot, mon chéri. C'est un prénom charmant, il n'y a rien de mal à le porter. Mais je vois tes parents là-bas ; ta mère a demandé à Octavia si tu étais arrivé, tout à l'heure. Tu lui as dit que tu étais là ? »

Les sourcils toujours froncés, Sherlock s'empressa néanmoins de suivre ses indications et il disparut à nouveau dans la foule ; John eut à peine le temps de demander, « Alors, qu'est-ce que c'est, le - » avant qu'Evangeline ne lui prenne le bras et ne l'entraîne vers la foule.

« Je vois mon frère là-bas. Il veut vous rencontrer, bien sûr ; il était très intéressé quand il a appris que vous étiez dans l'armée. »

Avant que John n'ait pu répondre, il se retrouva face à un homme gigantesque, qui faisait bien plus de deux mètres de haut et sans doute la même largeur - complètement chauve de surcroît, mais qui arborait une barbe blanche luxuriante.

« Jove », dit Evangeline, « voici John, l'ami de Sherlock. John, je vous présente mon frère, Jove… »

« Ravi de vous rencontrer, monsieur. » John n'avait pas eu l'intention de l'appeler 'monsieur', mais quelque chose dans sa stature imposante l'y avait poussé. Et son nom était tout à fait approprié - John n'avait jamais rencontré personne qui ait l'air plus apte pour occuper la fonction d'un dieu assis sur un nuage, un éclair à la main, symbole de justice et de droiture. Bientôt Jove saisit la main qu'il lui tendait, et John dut se donner tellement de mal pour ne pas tressaillir (c'était comme si tout chez cet homme était un dixième plus grand que chez un individu de taille normale) qu'il faillit manquer Evangeline qui ajoutait, « … le grand-père de Sherlock. »

« Excusez-moi ? » Il était sûr d'avoir mal compris.

« Le grand-père de Sherlock », répéta Evangeline en lui souriant avec chaleur.

« Oh, désolé. Je suis désolé, je suis un peu perdu - tout à l'heure j'ai cru que vous étiez la grand-mère de Sherlock. »

« Oh, c'est le cas. »

« Mais Jove est votre… » John s'interrompit, tellement gêné qu'il ne savait que faire à part souhaiter qu'un gouffre s'ouvre sous ses pieds pour l'engloutir - lui évitant ainsi de se sentir aussi embarrassé. Il aurait dû savoir que les Holmes ne pouvaient de toute évidence pas être une famille normale, mais … Christ, comment diable était-il censé répondre à -

La voix profonde de Jove interrompit avec calme l'horreur naissante de John. « Les enfants l'appellent leur grand-mère, mais il s'agit d'un titre honorifique, bien sûr. Ma chère épouse a quitté ce monde en donnant naissance à notre plus jeune enfant, et ma sœur m'a aidé à élever les enfants - et plus tard, mes petits-enfants. »

« Oh, je vois. » Evangeline adressa à John un sourire amusé, et ce dernier se dit en lui-même qu'il devait cesser d'imaginer le pire au sujet de cette famille. « Bien. Très bien. »

Avant qu'il ne puisse décider s'il devait s'excuser ou bien choisir d'ignorer totalement l'incident, Evangeline fut entraînée un peu plus loin par un autre des petits-fils Holmes et Jove se tourna vers John. « Vous étiez dans l'armée, m'a-t-on dit ? »

« Oui, c'est vrai. J'ai été en poste pendant quelque temps en Afghanistan. »

« Hmm. C'est là où vous avez été blessé donc, je suppose. » L'homme indiqua d'un geste de sa large main l'épaule gauche de John, et ce dernier hocha la tête.

« Oui. Je suppose que Sherlock vous a dit - »

« Je n'ai jamais servi dans l'armée moi-même », fit Jove, l'air entendu, « même si j'ai travaillé dans le parc pendant un certain temps, pendant la guerre. »

« Oh. » John chercha de toutes ses forces une remarque polie à faire. Peut-être que Jove avait été objecteur de conscience, et avait dû servir en temps que civil à la place. « Bien. Je vois. Ca a l'air… charmant. Vous avez dû profiter… de la nature, je suppose ? »

Jove éclata d'un rire profond, comme si John venait de faire une blague immensément intelligente, et plusieurs têtes se tournèrent dans leur direction. John remarqua que plusieurs personnes leur adressaient des sourires amusés - de toute évidence, la voix du grand-père et sa portée impressionnante étaient bien connues dans la famille - lorsque Jove lui répondit, « Oui, oui, par St George, on peut dire ça. »

Les yeux du vieil homme pétillèrent - il ressembla soudain à un Père Noël bienveillant - et il jeta un bref coup d'œil vers quelque chose qui se trouvait au-dessus de l'épaule de John avant de répondre avec gravité, « J'ai travaillé avec des oies qui pondaient des œufs d'or, mais ne caquetaient jamais. »

John était complètement perdu. « Je suis désolé, j'ai peur de ne pas - »

« Ah, regardez, voilà Sherlock. Bonsoir, mon garçon, comment vas-tu ? »

Comme un génie sorti de sa lampe, Sherlock avait à nouveau surgi derrière John et tendu la main par-dessus son épaule pour serrer la main de son grand-père. « Bonsoir, Grand-père. Puis-je t'emprunter John pendant un instant ? Maman et Papa veulent le rencontrer. »

« Absolument. Allez-y, tous les deux. John, c'était un plaisir de vous rencontrer. »

« Pareillement », dit John - par-dessus son épaule néanmoins, étant donné que Sherlock avait déjà passé un bras dans le sien et l'entraînait dans une autre direction.

« Un homme très gentil, ton grand-père », dit John. « Apparemment il a travaillé dans un parc pendant la guerre. Avec des oies, d'après ce qu'il m'a dit. »

« Avec des quoi… ? » John put voir les sourcils de Sherlock se froncer avant que son expression ne s'éclaircisse à nouveau. Le brun cessa d'avancer et se tourna vers lui. Le coin de ses lèvres tressaillit, et John comprit que ses propres efforts infructueux de déduction ne lui inspiraient ni mépris ni ennui, mais plutôt de l'amusement ; avant de commencer son explication, Sherlock saisit adroitement deux coupes de champagne sur le plateau d'un serveur qui passait à côté d'eux et posa sur une table le verre vide de John.

« Pas un parc », fit-il avec sérieux, même si ses yeux pétillaient d'amusement. « Il a dû dire 'le Parc'. Bletchley Park. Tu sais ce qu'ils faisaient à Bletchley Park pendant la guerre, n'est-ce pas John ? »

« Nom de dieu ! »

« Je prends ça pour un oui. Crois-moi, les secrets du gouvernement qu'il connait feraient se dresser les cheveux sur ta nuque. » Sherlock jeta un coup d'œil à ses cheveux, toujours coupés presque aussi courts que lorsqu'il était rentré d'Afghanistan, et ajouta, « Au sens figuré du terme. Mycroft et lui s'entendent très bien, tu t'en doutes. Maintenant, viens ; si nous ne rejoignons pas mes parents, Mycroft va finir par leur parler de politique toute la soirée. » Sherlock reprit son chemin, et John se hâta de le suivre.

« Mais ton grand-père a dit qu'il travaillait avec - »

« 'Les oies qui pondaient des œufs d'or mais ne caquetaient jamais', je sais. C'était comme ça que Churchill appelait ses cryptologues. John, ta connaissance de l'histoire anglaise est déplorable ; je n'arrive pas à croire que tu aies osé critiquer ce que je connais du système solaire. »

« C'était complètement différent ! Tu ne savais même pas que la Terre tourne autour du Soleil ! Mais, écoute », fit John, mal à l'aise, « je ne suis pas sûr, mais je pense que ta grand-mère se fait des idées à notre - Oh. Bonsoir. »

Sherlock s'était brusquement arrêté face à un couple d'une cinquantaine d'années, et dit, « Maman, Papa, voici John. John, mes parents - Arabella et Gideon. »

« Enchanté, Mrs Holmes. »

John serra la main d'une femme souriante, à la silhouette harmonieuse, qui lui adressa un grand sourire et lui dit, « Mon dieu, appelez-moi Bella, je vous en prie, ou Arabella si vous préférez. Je suppose que c'est un peu prématuré de vous demander de m'appeler 'belle-maman'. »

« Euh - » Alors qu'il cherchait quoi répondre, John remarqua que Sherlock tressaillit à côté de lui ; il remarqua aussi un homme de haute taille, à l'air solennel, qu'il reconnut immédiatement comme étant le père de Sherlock et de Mycroft. L'homme en question se pencha vers lui pour lui serrer la main.

« C'est un plaisir d'enfin vous rencontrer, John. »

Alors qu'il lui serrait la main, John ne put s'empêcher de songer qu'il avait devant lui Sherlock dans trente ans. Les deux hommes possédaient les mêmes curieux yeux clairs, la structure de leurs visages était identique, et ils partageaient même la même silhouette haute, gracieuse, presque trop mince - excepté que Sherlock avait de toute évidence hérité des boucles noirs de sa mère et non des cheveux de son père, ornés d'argent à chaque tempe.

Les deux parents le regardaient avec une affection cordiale que John n'avait pas vue depuis que ses propres parents étaient morts, paix à leurs âmes, avant que Bella ne prenne la parole. « Alors, comment allez-vous, John ? Sherlock m'a dit que vous êtes docteur ; c'est merveilleux que vous ayez réussi à vous libérer pendant cette période de fêtes pour vous joindre à nous. »

« Euh, oui, je suis docteur. Et je ne fais que de l'intérim pour le moment, quelques jours par-ci par-là, vous savez comment ça se passe. »

Elle hocha la tête, compatissante. « Oui, le marché du travail met vraiment du temps à se remettre, après la crise économique. »

« Oui, en effet », répéta John. Il n'avait pas vraiment envie de dire à cette femme charmante que la raison pour laquelle il n'arrivait pas à trouver un emploi fixe, c'était parce que son insupportable de fils avait pris l'habitude de l'appeler tout le temps et d'insister jusqu'à ce que John abandonne ce qu'il était en train de faire pour le rejoindre sur une affaire - et que lui-même obéissait à chaque fois. Il - il refusait de ne pas être là pour défendre Sherlock si jamais ce dernier se faisait attaquer par un criminel ou par un membre de Scotland Yard poussé trop loin dans ses retranchements.

« Heureusement », continua-t-elle, « mon mari et moi avont évité le pire de cette crise. Nous sommes tous les deux indépendants - Gideon est compositeur, vous savez. La musique qu'il écrit est magnifique ; Sherlock a hérité de lui son côté artistique. J'ai bien peur que ce ne soit pas vraiment le cas de notre pauvre Mycroft. »

Sherlock, engagé dans une conversation animée avec son père, les interrompit, « 'Pas vraiment' ? Ne me dis pas que tu as oublié l'été atroce où il a décidé qu'il allait apprendre à jouer du piccolo. »

John ne put retenir un éclat de rire à l'idée de Mycroft Holmes, sérieux, toujours impeccable, en train de massacrer un instrument de musique qui pouvait être au mieux suraigu et au pire carrément stridant, et Sherlock lui adressa un sourire.

« Eh bien, oui, je suppose que tu as raison. » Bella eut la grâce d'avoir l'air un peu embarrassée ; elle se pencha en avant, et confia à John, « Il était encore jeune à l'époque. Il ne l'aurait jamais dit, bien sûr, mais je pense qu'il était plutôt jaloux - Sherlock et Gideon jouaient souvent des morceaux ensemble. Ses tentatives ne durèrent que quelques semaines avant qu'il… » Elle fit une pause, cherchant de toute évidence un moyen délicat de finir sa phrase, et finit par choisir : « … avant qu'il n'abandonne, au grand soulagement de toute la famille. Mais tout de même, Sherlock, ce n'est pas une excuse pour sortir ton violon chaque fois qu'il vient te voir. C'est puéril, vraiment. On ne peut pas être bon en tout. »

Sherlock eut un sourire sardonique, avant de se tourner vers son père pour lui annoncer, « Papa, John joue de la clarinette. »

Alors que John se demandait s'il n'avait pas imaginé complètement la touche de fierté qu'il avait cru entendre dans la voix de Sherlock, le visage de Gideon s'illumina ; l'air clairement intéressé, il demanda, « Oh, vraiment ? C'est fantastique. »

« J'en jouais », le corrigea John à la hâte. Gideon avait l'air dangereusement enthousiaste - l'air d'un homme qui prévoyait déjà de longues soirées en famille à jouer tout le répertoire des compositions de Grieg - et John insista. « Je jouais de la clarinette, quand j'étais à l'école, mais j'ai bien peur d'avoir oublié tout ce que je savais à l'époque. »

Remarquant de toute évidence son inquiétude, Gideon passa un bras autour de la taille de Bella et changea habilement de sujet. « Au fait, John, ne laissez pas ma femme vous convaincre que Sherlock tire toutes ses qualités artistiques de moi. Elle peint, vous savez. Elle a exposé à la Royal Academy l'hiver dernier. »

« Oh, eh bien », rougit Bella alors que son époux souriait - l'affection qu'il ressentait pour sa femme illuminait son visage sérieux. « C'était une petite exposition, rien de bien extraordinaire. Je signe de mon nom de jeune fille, Cheverill. »

« Vous êtes Bella Cheverill ? » John était stupéfait. « Mon sœur adore ce que vous faîtes ! Je crois qu'elle a une litographie de l'un de vos tableaux dans son appartement. »

« Oh John, vous êtes trop gentil. »

Ses yeux noisette étincelèrent et elle lui serra affectueusement le bras ; John se tourna vers Sherlock. « Sherlock, pourquoi est-ce que tu ne m'as pas dit que… oh. »

Le brun avait de nouveau disparu, et Bella lui adressa un sourire. « Et le voilà reparti. Quand il est d'humeur énergique, il ne reste jamais en place. Just comme mon mari. » Gideon lança à son épouse un regard d'adoration non déguisée avant que quelqu'un ne lui tape sur le bras et ne détourne son attention. Il laissa son bras autour de la taille de sa femme, et elle s'appuya avec contentement contre lui alors qu'elle reprenait la parole.

« Ils se ressemblent vraiment beaucoup, vous savez. Même dans leurs manières. »

« Je m'en rends compte. » Regarder Gideon debout, la tête légèrement penchée sur le côté, les yeux fixés sur son interlocuteur et le visage incroyablement immobile et sérieux - c'était comme de regarder Sherlock écouter un client qui avait réussi à lui amener un cas inhabituel.

« Nous sommes tellements contents que vous soyez ensemble », lui murmura Bella. « Je m'inquiète tellement à son sujet. Il a été seul pendant si longtemps, vous savez. Quand j'ai entendu qu'il avait rencontré quelqu'un, j'étais très curieuse, mais après cette horrible histoire avec Sebastian, je n'ai pas cessé de m'inquiéter avant que Mycroft ne me dise qu'il vous avez rencontré et qu'il vous appréciait. »

Il y avait tellement d'informations stupéfiantes dans cette déclaration que John n'était pas sûr de savoir ce qu'il devait relever en premier. La nouvelle que Sebastian était en effet un ancien petit ami de Sherlock n'était pas si surprenante - John s'en était déjà douté quand il avait vu la familiarité forcée de Sebastian avec Sherlock à la banque - mais savoir que Mycroft avait déclaré l'apprécier (et non qu'il ne faisait que le tolérer en tant que tampon entre lui et son frère) suffisait à laisser John bouche bée. Une chose dont il était certain, c'était que corriger la mère de Sherlock sur la nature de ses relations avec son fils était désormais complètement impensable. Ils formaient un couple si charmant, tellement amoureux l'un de l'autre et à l'évidence si fiers de leurs deux fils extraordinaires, que John n'avait pas envie de rectifier leurs fausses impressions.

« Merci », marmonna-t-il, espérant que son incohérence serait prise pour de la timidité. « Je suis… Je suis vraiment heureux de l'avoir rencontré. »

Et voilà. Au moins, il était honnête, même s'il ne s'agissait pas de l'entière vérité. Il était heureux d'avoir rencontré Sherlock Holmes - parce que qui savait ce qu'il serait advenu de lui sinon.

« Mycroft ! »

« Bonsoir, Maman. »

Bella s'empressa de prendre son fils aîné dans ses bras. En les voyant l'un à côté de l'autre, il était facile de se rendre compte que si Sherlock ressemblait à son père, Mycroft avait définitivement hérité des gènes de sa mère - les mêmes yeux et la même tendance à prendre un peu de poids, ce qui expliquait les courbes généreuses de Bella et les moqueries incessantes que Sherlock faisait à Mycroft sur son régime.

« Mel ne cesse de poser des questions sur John, Maman. Cela te dérangerait-il si… ? »

« Non, bien sûr que non ! Vous êtes très populaire John. J'espère bien que vous ne vous sentez pas trop perdu ; je me souviens du premier Noël où Gideon m'a amenée ici - c'était une expérience pour le moins intimidante. C'est une grande famille, mais » - elle lui adressa de nouveau un sourire - « ils sont tous très gentils. »

'Perdu' ne traduisait même pas un dixième de ce qu'il ressentait, songea John alors que Mycroft l'entraînait déjà. Cette succession de noms étranges et de visages souriants, de personnes qui avaient toutes l'air enchanté de le rencontrer, commençait à le fatiguer. Quand Mycroft prit un instant pour le dévisager, un sourcil haussé, et lui demanda, « Alors John, vous tenez le choc ? », John ne réussit qu'à hocher la tête.

Mycroft lui adressa un léger sourire - il avait très certainement deviné les pensées qui se bousculaient dans sa tête - et continua. « Il va falloir nous hâter, je le crains. Le dîner sera servi très bientôt, et Evander n'a cessé de me harceler pour que je vous le présente avant que nous passions à table. »

Un brusque cri attira leur fit tourner la tête vers un coin de la pièce ; ils purent constater tous les deux que trois jeunes hommes avaient pris possession d'un sofa et adressaient à Mycroft des signes enthousiastes de la main. Ce dernier leva un doigt, leur indiquant de patienter une minute, et entraîna John de l'autre côté de la pièce.

« D'autres cousins, c'est ça ? » lui demanda John.

Mycroft hocha la tête. « Oui, les triplés. Bédivère, Galahad et Lancelot. Ils ont fondé leur propre entreprise, dans le domaine des logiciels informatiques. Je ne vous ennuierai pas avec des détails techniques, bien sûr, mais il vous suffit de savoir qu'ils ont gagné leur premier milliard à l'âge de vingt-deux ans. »

« C'est une blague », fit John d'une voix mal assurée. « C'est forcément une blague. »

Le masque impassible que Mycroft conservait en permanence disparut l'espace d'un instant et il prit un air sincèrement surpris. « Qu'est-ce qui vous parait si improbable, John ? »

« Tout. Absolument tout ce que vous venez de me dire », insista-t-il, la voix toujours faible.

« Certainement pas », répondit Mycroft avec sérieux. « Lancelot a eu de la chance - s'il avait été une fille, il se serait appelé Morgana. »

Avant que John n'ait eu le temps de trouver quoi répondre, son compagnon annonçait déjà, « Mel, voici John. John, ma cousine, Melliflua. »

John se retrouva presque immédiatement poussé dans les bras d'une fille qui, il le remarqua lorsqu'elle recula, avait l'air presque aussi peu à sa place que lui dans cette salle de réception, avec ses dreadlocks et son piercing à l'arcade et son manque total de vêtements de designer. Cependant, à l'instar de chacune des personnes qu'il avait rencontré dans la soirée, elle avait un large sourire en le dévisageant.

« John ! Appelle-moi Mel, Mycroft a juste décidé de m'énerver, c'est pour ça qu'il t'a donné mon prénom en entier. Il sait très bien que je déteste ça. »

Mycroft se contenta de hausser un sourcil avant de s'éclipser en direction de ses trois jeunes cousins concepteurs de logiciels, et Mel invita John à s'asseoir à côté d'elle, sur un pouf qu'elle avait soudainement réussi à faire apparaître d'on ne sait où. Enfin, d'un endroit poussiéreux apparemment, si l'on se fiait à l'odeur.

« John », reprit-elle, le visage rayonnant. « C'est vraiment génial de te rencontrer enfin, j'ai entendu tellement de choses à ton sujet ! »

« Euh, vraiment ? Eh bien, c'est… gentil… »

« Je t'ai même fabriqué un cadeau de Noël. »

« Oh », dit John, embarrassé. « C'est vraiment très gentil de ta part, mais j'ai bien peur de ne pas avoir - »

Elle fit un geste de la main, lui signifiant qu'il n'avait pas besoin de s'excuser. « Oh, ne t'en fais pas, je ne m'attendais pas à ce que tu m'offres quelque chose. J'ai entendu dire que tu portais souvent des pulls, et j'ai peur de ne pas avoir eu assez de temps pour t'en faire un, mais je t'ai fait… Eh bien. Ouvre le paquet, tu verras toi-même ce que c'est. »

Replaçant une dreadlock derrière son oreille, elle tendit à John un paquet relativement mou et se redressa avec excitation, triturant nerveusement un de ses bracelets (blanc, où il était inscrit : Stop au Changement Climatique) alors qu'il en déchirait le papier. Lorsque ce qui devait être environ trois mètres de laine aux couleurs criardes lui atterrirent sur les genoux, John dut faire un sérieux effort pour ne pas éclater de rire. Il s'agissait en fait d'une écharpe, tricotée avec des couleurs si violentes que les regarder donnait presque la nausée, et ornée d'un arc-en-ciel éclatant à chaque bout. C'était le genre de choses qu'avaient dû porter les membres de Wham! dans leur vidéo 'Last Christmas', et John prit en lui-même la ferme résolution qu'on ne le verrait avec cette écharpe qu'à ses propres funérailles.

Au lieu d'éclater de rire, il se mordit la lèvre et se força à sourire, avant de dire, sincère, « Merci ; c'est très gentil à toi d'avoir pris la peine de faire ça. »

« Oh, mais ça ne m'a pas dérangée du tout ! Je trouve ça merveilleux que Sherlock et toi, vous soyez ensemble, même si je dois dire » - elle prit une expression attristée, tout en triturant la bague en argent qu'elle portait au pouce - « que je me suis fait beaucoup de souci quand j'ai entendu dire que tu étais soldat. Je suis sûre que tu es quelqu'un de merveilleux, John, mais j'aurais vraiment préféré que tu sois… je ne sais pas… danseur, ou sculpteur, ou n'importe quoi d'autre en fait - tout sauf militaire. »

« Eh bien, en fait j'étais dans l'armée en tant que - »

« Et même avec les législations modernes, tu ne trouves pas l'attitude de l'armée envers les homosexuels atrocement rétrogade ? »

Les yeux bleus de Mel étaient fixés sur lui, brillants de sympathie envers le nouveau petit-ami de son cousin adoré et compatissants de toute évidence vu tout ce qu'il avait certainement dû endurer, et John n'avait absolument pas la moindre idée de ce qu'il allait bien pouvoir lui répondre. Il chercha un sujet de conversation moins dangereux.

« Tu sais, dans l'armée, j'étais docteur en fait ; et maintenant que je suis revenu à Londres, je fais de l'intérim dans des cabinets médicaux. Mais et toi, quest-ce que tu - »

« Oh John ! » Pendant un instant, elle donna l'impression de vouloir à nouveau le prendre dans ses bras. « C'est merveilleux - tu es un guérisseur ! Comme ma sœur Minerva, là-bas. »

Pendant une seconde, John dut faire un effort conscient pour ne pas formuler à haute voix la pensée cynique qui venait de se former dans son esprit - à savoir que ce qu'il avait fait en Afghanistan ne ressemblait pas vraiment à ce qu'elle devait s'imaginer ; des opérations chirurgicales sans matériel, en plein champ de bataille, et il avait vu ses amis mourir dans ses bras, il n'avait pas pu les sauver peu importe ce qu'il avait essayé, il n'avait rien pu faire - non, ce n'était pas être un guérisseur. Mais il se força à tourner la tête dans la direction qu'elle indiquait de la main et remarqua une femme aux cheveux sombres et courts qui écoutait avec attention le débat animé qu'entretenaient trois autres membres de sa famille.

« Vraiment ? » John se sentit terriblement soulagé de savoir qu'il pourrait au moins avoir une conversation sensée avec une confrère, si jamais le besoin s'en faisait ressentir. Discuter de quelque chose d'autre que sa relation non-existante avec Sherlock (du genre, un débat profond sur les symptômes des parasites tropicaux les plus dangereux) lui paraissait soudainement infiniment préférable. « Quelle est sa spécialité ? »

« C'est terriblement excitant. Elle vient juste de faire une découverte stupéfiante sur un des gènes cruciaux d'une forme très rare mais mortelle de cancer. Elle est très intelligente », conclut Mel non sans une certaine fierté.

« Euh, oui, en effet », marmonna John. Soudainement la vie d'un médecin généraliste londonien, même s'il avait commencé en tant que chirurgien dans l'armée, lui apparut bien terne et banale.

Mel lui prit la main (celle avec laquelle il ne tenait pas son verre) et la serra entre les siennes.

« Je suis sûre que nous allons être amis », fit-elle avec ardeur. « Surtout vu que tu as l'air bien plus gentil que cet horrible Sebastian. »

« Oui, à propos de ça. » John s'empressa de saisir sa chance. « Qu'est-ce qui s'est passé ? Sherlock… ne m'en a pas encore parlé. »

« Oh, c'était un type affreux. Tu devrais demander à Sherlock de te raconter. Personnellement, je ne sais absolument pas pourquoi il est sorti avec lui. »

« Mais que - »

« John. » Mycroft avait refait son apparition, et venait de jeter un coup d'œil significatif à sa montre. « J'ai bien peur d'avoir à vous priver des attentions de Mel et de sa conception plutôt étrange de l'élégance vestimentaire. »

Mel sourit gaiement en entendant ses réflexions, et John essaya de contenir son soulagement ; il ne voulait pas montrer à la jeune fille que Mycroft n'était pas le seul à être perturbé par l'écharpe qu'elle lui avait faite. Il se leva et prit le cadeau dans ses bras ; l'écharpe donnait l'impression de faire dans les trois ou quatre mètres.

« Si je ne vous présente pas à Evander avant le dîner », continua Mycroft, « je vais en entendre parler pendant des années. »

Mel eut une brusque quinte de toux, et quand elle se ressaisit elle dit à John, les yeux pétillants d'amusement, « Demande à Evander de t'en parler ; il sera ravi de tout te dire, et il raconte cette histoire bien mieux que moi. Allez, vas-y ! »

Elle adressa à John un petit signe de la main, et alors qu'ils s'éloignaient d'elle Mycroft se tourna vers lui, aussi calme et courtois qu'à son habitude.

« Je m'excuse d'avoir mis plus de temps que prévu. J'ai dû parler à oncle Nicolaï et tante Lucretia. » Il indiqua d'un geste discret un couple qui se tenait à l'écart : l'homme était grand et avait l'air autoritaire ; la femme, blonde, ressemblait à une actrice d'un film de Hitchcock. Ils discutaient avec Sherlock qui, John ne manqua pas de le remarquer, avait l'air en fait un peu mal à l'aise. « La branche russe de la famille. Nous ne les voyons pas beaucoup ; je les ai toujours soupçonnés d'avoir des liens avec le KGB. Ils sont un peu étranges, pour vous dire la vérité. »

Une remarque qui voulait dire beaucoup venant de Mycroft Holmes, fameux pour les tea parties qu'il organisait dans des parkings désaffectés un peu partout à travers Londres, et John ne put retenir un petit rire.

« Excusez-moi ? » demanda-t-il, avant de réussir à passer sous silence le reste de sa phrase (« Vous pensez qu'ils sont étranges ? »)

Mais Mycroft comprit clairement ce qu'il impliquait. Haussant élégamment un sourcil, il dit simplement, « Croyez-moi, John, je sais de quoi je parle. »

Quand il se détourna, John sourit. Sous son air extérieur d'homme poli et son humour pince-sans-rire, il commençait à croire que Mycroft l'aimait bien, en fin de compte.

Mycroft s'arrêta brusquement.

« Evander, j'ai finalement réussi à retrouver John, étant donné que tu n'avais pas l'air décidé à le rechercher toi-même. John, voici notre cousin, Evander. »

Quand Mycroft fit un pas de côté et John se retrouva enfin face à face avec le fameux Evander, il dut résister à l'envie de triturer les manches de sa veste. Evander faisait la même taille que lui, mais la façon dont il se tenait donnait l'impression d'une élégance naturelle ; il semblait avoir accordé à sa tenue - un costume noir-charbon, et même John pouvait voir qu'il s'agissait d'un costume de grande marque - une attention extrême qui s'étendait jusqu'aux moindres détails. Evander lui offrit une ferme poignée de main et un sourire que John fit de son mieux pour retourner (il serra les dents et s'efforça d'ignorer la petite voix dans sa tête qui s'évertuait à lui faire remarquer que, si l'on prenait en considération sa taille et sa carrure, Evander ressemblait plus ou moins à Moriarty - surtout dans ce costume).

Ne sois pas ridicule, se dit-il ; il s'efforçait de toute ses forces d'empêcher les cheveux sur sa nuque de se hérisser. Tu ne peux pas avoir cette réaction à chaque fois que tu croises un homme de taille moyenne dans un costume bien coupé.

Mais le sourire d'Evander, ouvert et dénué de toute malveillance, l'aida à faire disparaître ses sombres pensées. Et la conversation qu'ils entamèrent l'y aida plus encore quand il devint apparent qu'Evander n'avait jamais eu l'intention, de toute sa vie, de faire intentionnellement du mal à un autre être humain - à l'exception du styliste qui avait habillé le mannequin sur la page de couverture du numéro d'août dernier de GQ.

« Je veux dire, sérieusement », dit-il, sa voix rauque s'enflammant soudain. « Jaune moutarde ? Avec la couleur de sa peau ? Mon dieu, c'était tellement immonde que son habilleur aurait dû être renvoyé sur-le-champ. » Le regard de ses yeux bleus se fit soudain plus perçant et se focalisa sur John, qui résista à l'envie de frissonner. « Maintenant, vous, j'en suis sûr, vous pourriez porter une couleur aussi unique, même si le bleu ou le vert vous irait mieux. Certainement pas cette banale chemise beige que vous portez en tout cas. »

« Mm, merci. » John essaya de ne pas avoir l'air offensé ; après avoir vécu un an avec Sherlock, cela ne lui demanda pas beaucoup d'efforts.

« Oh non, je ne voulais pas dire ça comme ça. » Evander posa une main sur l'avant-bras de John, apaisant. « Je voulais juste dire… eh bien, regardez-vous. Vous ne vous mettez pas en valeur. Tournez-vous, je vous prie. » Il leva un doigt impérieux, lui fit signe de se tourner et, avant que John n'ait eu le temps de réfléchir, il avait déjà obéi. Alors qu'il venait d'arriver à la moitié de son tour (et il se demandait si c'était un des gènes Holmes qui faisait qu'on se sentait toujours obligé d'obéir aux ordres de chacun des membres de cette famille), Evander releva le bas de la veste de John et murmura un appréciateur « Oh, oui ».

« Hey ! » John fit volte-face.

« Oh, John », fit Evander, qui apparemment n'avait aucune honte. Et aucune notion de ce qu'était l'espace vital, non plus - John pouvait sentir son eau de cologne alors qu'il s'avançait d'un pas pour ajuster le revers de sa veste, avant de continuer. « Vous devez me laisser vous emmener faire du shopping. C'est un crime de cacher votre corps sous ce que vous portez en ce moment. »

« Ecoutez », commença John, mal à l'aise ; il pouvait déjà s'imaginer en train de se faire peloter dans une quantité innombrable de salles d'essayage, ou forcé d'endosser des tenues minimalistes. « C'est vraiment très gentil à vous de proposer, mais je ne pense pas vraiment que - »

« Croyez-moi », lui sourit Evander, rayonnant d'assurance, avant de recoiffer une mèche de ses cheveux blonds qui lui tombait devant les yeux. Ses cheveux avaient été ébouriffés avec soin, comme pour donner l'impression qu'il sortait juste du lit ; John songea à part lui qu'Evander avait dû mettre au moins quinze minutes devant son miroir pour atteindre un tel résultat. « Rien de trop extrême, il suffit juste de retravailler ce que vous êtes. Pensez à une élégance naturelle, pensez… James Bond. »

« Eh bien… »

« Et je promets de bien me comporter. Parole de scout. » Evander leva trois doigts en un salut désinvolte et ajouta, « En plus, Sherlock me casserait les deux bras si je ne me tenais pas bien. Enfin, si vous ne vous en occupez pas vous-même, bien sûr ; j'ai entendu dire que vous étiez un ancien soldat. »

Le sourire d'Evander était devenu un peu lascif, et John se lança désespérément à la recherche d'un nouveau sujet de conversation. « En parlant de Sherlock, je parlais justement avec Mel - »

« C'est ce que je vois, oui. » Evander jeta un coup d'œil à l'écharpe drapée sur l'épaule de John - son expression révélait clairement ce qu'il en pensait, mais il ne fit aucun commentaire (faisant preuve de ce que John soupçonnait être un tact inhabituel pour lui).

John sourit. « Oui, Mycroft a eu la même réaction. Enfin bon, on a commencé à parler de Sebastian mais j'ai dû partir avant que nous ayons pu finir, et elle… eh bien, elle a dit que je ferais mieux d'en discuter avec vous. »

Evander haussa ses sourcils élégants. « Sherlock ne vous a rien dit ? »

« Pas de façon très précise, non. Je me demandais si vous n'accepteriez pas… » John ne put finir sa phrase. Il était conscient que ce qu'il faisait était sournois, mais il se dit qu'en amour et pendant les réunions de famille, comme à la guerre. Et Evander avait déjà levé les yeux au ciel et recommencé à parler.

« Oh, ça ne me dérange absolument pas de vous en parler. Malgré tout le mystère que Sherlock fait à ce sujet, tout le monde dans la famille est déjà au courant et je n'arrête pas de lui dire qu'il ne devrait pas en avoir honte. Honnêtement, c'était ce qu'on pourrait qualifier de véritable débâcle. Là - » Evander s'interrompit lorsqu'un jeune et brun serveur passait près d'eux, un plateau de boissons à la main.

Se saisissant adroitement de la coupe vide de John, il le remplaça par un verre rempli de glaçons et orné d'une tranche de citron. Alors que John en prenait une gorgée méfiante (du sucre, du citron, et une bonne dose d'alcool apparemment), Evander en profita pour dévisager le serveur, l'œil appréciateur. Une approche subtile, mais directe - et qui fut bienvenue, si l'on en croyait le sourire nonchalant que lui retourna le serveur. John sourit intérieurement en se disant que finalement, le clan Holmes ne risquait pas de beaucoup voir Evander après le dîner.

Une fois le serveur parti, Evander se retourna vers lui ; John pouvait distinguer dans ses yeux une étincelle qui lui sembla familière, même s'il avait l'habitude de la retrouver plutôt chez Sherlock lorsque ce dernier venait de recevoir un texto de Lestrade - et non lorsqu'il venait de reluquer ouvertement un autre homme et que ses avances avaient été bien reçues.

« Caïpirinha », fit Evander en prenant une gorgée de son propre verre, avant d'indiquer de la tête celui de John. « Le nouveau mojito, et c'est absolument délicieux. »

« Bien sûr », lui accorda John. Il se demanda si, par pure politesse, il ne devait pas faire un effort pour faire comme s'il était le genre de personnes qui prenaient souvent des mojitos auparavant, mais ne referaient plus jamais cette erreur après avoir découvert cette nouvelle boisson. « Alors, Sebastian… »

Evander se pencha vers lui et John l'imita, bien conscient que leurs positions donneraient aux éventuels observateurs extérieurs qu'ils étaient bel et bien en train de conspirer.

« A l'époque, Sherlock était à l'université. Je pense qu'ils se sont rencontrés à la fin de sa première année, mais Sherlock ne l'a ramené ici que pour le Noël de sa deuxième année. Mon dieu, il était horrible. Aucun d'entre nous n'a compris ce que Sherlock pouvait bien lui trouver. Pour être honnête », et le jeune homme eut l'air un peu gêné, « je suppose que nous, ses cousins, nous avions tendance à nous moquer de Sherlock parce qu'il ne nous avait jamais présenté personne. Juste pour rire, vous comprenez. Vous voyez, il n'avait jamais eu de copine ou de copain avant, il n'avait quasiment jamais montré aucun signe d'intérêt envers qui que ce soit, alors il se peut qu'il n'ait ramené quelqu'un juste pour nous montrer qu'il pouvait sortir avec quelqu'un s'il voulait. »

Evander fit une pause, reprit son souffle, avant de continuer, « Mais Sebastian était épouvantable ; il était tellement condescendant. Il appelait les déductions de Sherlock ses 'petits tours' ; mon dieu, on aurait cru l'entendre parler d'un caniche ou quelque chose du genre. Il donnait l'impression de faire à Sherlock une énorme faveur en sortant avec lui, et il passait son temps à se moquer de ses excentricités. Je veux dire, il était affreusement méprisant ; qui n'est pas un peu étrange, de toute façon ? »

Dans cette pièce ? Personne, voulut répondre John, mais il se retint et hocha la tête alors qu'Evander agitait la main d'un geste impérieux, comme pour chasser toute cette histoire.

« Nous avons tous, Mycroft y compris, essayé d'expliquer - avec tact, bien sûr, vous vous en doutez - à Sherlock qu'il pouvait trouver quelqu'un de mieux… Mais, bon, vous savez comment il se comporte quand on essaie de lui donner un conseil ; il ne fait que s'obstiner. Et en particulier quand c'est son frère qui essaie de l'aider. »

« Je sais », murmura John avec ressentiment, et Evander lui adressa un sourire entendu.

« Je m'en doute bien. Enfin bref, il a refusé de nous écouter, jusqu'à ce que Mycroft décide qu'il en avait eu assez et prenne les choses en main. »

« Laissez-moi deviner », l'interrompit John, incapable de se retenir. « Mycroft a eu un rendez-vous secret avec Sebastian, il lui a offert de l'argent en échange d'informations sur ce que faisait Sherlock, et Sebastian a accepté. »

« Oui. » Evander eut l'air surpris. « Exactement. Comment avez-vous deviné ? »

John haussa les épaules. « Une intuition, c'est tout. Continuez. Qu'est-ce qui s'est passé, après ? »

« Mycroft avait enregistré leur rendez-vous, et aussi la fois où Sebastian était venu le voir pour lui donner son premier rapport. Il a continué ce petit cinéma jusqu'à verser un premier paiement sur le compte de Sebastian, et puis il a envoyé à Sherlock une copie des enregistrements et du relevé du compte en banque de Sebastian. »

Ouch. John tressaillit et Evander, remarquant sa réaction, continua : « Oui, ce n'était pas vraiment une méthode très délicate, mais Sherlock refusait de l'écouter. Je suis sûr que vous pouvez imaginer le drame qui en a résulté. Sherlock et Sebastian ont rompu le jour-même - j'ai entendu dire après que Sébastian a essayé de faire croire à tout le monde qu'il était celui qui s'était fatigué de Sherlock, comme si qui que ce soit pouvait y croire - et Sherlock a refusé de reparler à Mycroft pendant un bon moment ; tante Bella en a été terriblement contrariée. Sherlock a mis plusieurs années avant de commencer à le pardonner d'avoir eu raison au sujet de Sebastian, et ils ont l'air de mieux s'entendre maintenant. »

« Si vous le dîtes », fit John, dubitatif, repensant à la tension qui régnait à Baker Street à chaque fois que Mycroft leur rendait visite.

« Personnellement, je ne suis pas sûr que Sherlock ait vraiment tenu à Sebastian ; cela ne me surprendrait pas d'apprendre qu'il est juste sorti avec lui pour prouver que nous avions tort de nous moquer de lui, et qu'il a surtout été vexé de découvrir que Mycroft avait eu raison tout du long ; à mon avis, il n'a pas vraiment eu le cœur brisé et - oh, eh bien, quand on parle du loup. Salut Sherlock, c'est génial de te voir. John et moi ne faisions que discuter. »

Sherlock venait de faire son apparition, à droite de John. Il adressa un bref sourire à son cousin, mais John pouvait voir dans sa posture qu'il était manifestement tendu et il sut que quelque chose l'inquiétait. Il ne put qu'espérer que Lestrade ne venait pas de lui envoyer un texto requérant leur retour immédiat à Londres ; contrairement à ce à quoi il s'était attendu au départ, il passait finalement une agréable soirée - la famille Holmes s'était révélée être dotée des bonnes manières dont Sherlock était habituellement dépourvu.

« Salut Ev », dit Sherlock avec une bonne humeur un peu forcée. « J'espère que tu n'as rien dit qui puisse m'inquiéter. J'ai bien peur de devoir parler avec John, cela dit. »

« Bien sûr que non », sourit son cousin. « Je parlais juste à John de Sebastian, ton affreux petit-ami de l'époque. »

Le sourire du brun s'évanouit brusquement alors qu'il répondait sèchement, « Ne commence pas. »

Bon nombre d'officiers de police s'étaient empressés de filer plus vite que l'éclair après que Sherlock leur eut parlé de cette façon, mais Evander resta imperturbable et John ne put s'empêcher d'être impressionné. Peut-être qu'après une bonne vingtaine d'années passées dans l'entourage de Sherlock avait suffi à rendre le jeune homme immunisé aux sautes d'humeur de son cousin.

« Sherlock, je n'arrive pas à croire que tu ne lui en aies pas parlé avant - »

« Arrête, Ev. »

« Mais tu n'as pas à en avoir honte », persista Evander, les sourcils froncés, et il lança un regard noir à Sherlock avant d'enchaîner. « Dieu sait que j'ai eu plusieurs relations que, maintenant que j'ai pris du recul, je peux qualifier de terriblement épouvantables - »

« Ferme-la. John, il faut que je te parle. »

Sans plus d'explications sa main se referma sur le poignet de John et Sherlock l'entraîna plus loin. John jeta un regard en arrière, essayant de lui transmettre ses excuses (« Ravi de vous avoir rencontré et désolé pour la grossièreté de votre cousin »). Evander se contenta de lui faire un clin d'œil - de toute évidence, la rebuffade de Sherlock ne l'avait pas le moins du monde perturbé - et disparut bien vite dans la direction qu'avait prise le serveur aux cheveux bruns.

Sherlock ne relâcha pas son étreinte alors qu'il forçait John à le suivre dans un coin de la pièce ; ce dernier, avec le plus de tact possible, commença : « Ecoute, je crois que ta famille se fait des fausses idées sur - »

« Tais-toi », répliqua acerbement Sherlock, avant de se reprendre. « S'il te plait. Tais-toi. Pas ici. »

« Très bien. » Entendre Sherlock lui dire 's'il te plait' suffit à lui faire perdre ses mots. Il chercha quelque chose à dire ; les doigts de son partenaire sur son poignet étaient glacés, et ses gestes étaient secs, nerveux. « Tu sais, Evander veut m'emmener faire du shopping. »

Lui jetant un furtif coup d'œil, John fut soulagé de voir Sherlock esquisser un sourire furtif et se détendre un peu. « Tu devrais le laisser faire. Il est employé par des créateurs comme organisateur de défilés, et Lagerfeld refuse de travailler sans lui. »

« Tu sais, je n'avais jamais réalisé que tu avais une si grande famille. Ou qu'ils pouvaient être tous si accueillants. »

Sherlock lui lança un bref regard, l'air à la fois content et un peu surpris, mais lui répondit sur le ton sérieux qui lui été habituel. « Eh bien, il semblerait que cette admiration soit mutuelle ; tout le monde ne cesse de s'arrêter pour prendre le temps de me dire à quel point ils t'apprécient. Et bien sûr qu'ils sont accueillants, je n'ai pas été élevé par des loups. Ou peut-être t'attendais-tu à ce que j'ai des parents tirés d'un roman victorien typique, qui auraient eu l'habitude de nous enfermer moi et Mycroft à la cave à la moindre incartade ? »

« Mais tu ne m'en as jamais parlé. D'aucun d'eux ! »

Sherlock haussa les épaules. « C'est plutôt difficile à expliquer, quand tu ne les as pas rencontrés. »

« Mais tu aurais pu au moins les mentionner. Je veux dire, ils sont tous incroyablement riches et ils ont tous réussi dans leur domaine, et certains d'entre eux ont apparemment assez d'argent et de pouvoir pour diriger toute l'Europe. Ou, peut-être… Mon dieu, si ça se trouve, c'est exactement ce qu'ils font et c'est juste que personne n'a encore remarqué… »

Malgré sa tension toujours présente, Sherlock donnait l'impression de retenir un éclat de rire. « Est-ce que tu réalises que tu parles à haute voix ? » lui demanda-t-il, traînant toujours John à travers la foule. Ils finirent enfin par sortir du grand salon bondé, et se retrouvèrent dans une pièce vide.


TO BE CONTINUED