Auteur: Yami Flo

Personnages principaux: OC Gladstone Jenkins, autres OCs

Epoque: 1997-1998

Résumé: Gladstone Jenkins vit paisiblement à la campagne et aime à penser que la guerre qui se livre à couvert dans le monde magique ne le concerne pas. Enfin, jusqu'à un certain point...


La Bonne Chose à Faire

Les Jenkins étaient une vieille famille de sorciers. Ou du moins, ils aimaient le prétendre. En vérité, la famille n'avait de racines sorcières aussi profondes qu'elle aimait à le faire savoir. Le premier ancêtre sorcier qu'ils avaient dans la lignée mâle ne remontait qu'à la seconde moitié du 19ème siècle, et ce n'était rien de plus que le fils Né-Moldu d'un maréchal ferrant, comme aimait à le rappeler l'acerbe et bien-née tante Gardenia.

Sa seule chance, selon la vieille sorcière acariâtre qui avait veillé sur les enfants de son défunt neveu, avait été d'épouser une sorcière plus âgée que lui avec un peu d'argent et une petite renommée familiale, puis de s'employer à travailler toute sa vie comme un forcené pour accroître la fortune familiale. Ce qu'il avait fini par faire, à tout bien tout honneur, en montant un petit commerce d'apothicaire spécialisé dans les plantes. Ses fils puis ses petit-fils après lui avaient œuvré de même, épousant en même temps les idéaux de la pureté du sang pour mieux se fondre dans la masse. Evidemment, on ne pouvait pas prétendre qu'ils étaient de parfaits Sang-pur, puisqu'on pouvait tracer assez facilement leurs origines Moldues, mais la famille était suffisamment assimilée au monde Sorcier pour que cela ne dérange pas trop.

-Honnêtement, je n'aime pas l'hypocrisie, mes enfants, se plaisait à dire Gardenia Jenkins à ses petits-neveux. Sans vouloir dire du mal de feu votre père, Garrick n'avait pas deux sous de jugeote. La supériorité naturelle des sorciers ! Ah ! Il oublie un peu vite que son cousin a épousé une Moldue, et que mon pauvre frère avait épousé une « Sang de Bourbe ». Comme sorcier de sang pur, il est plutôt bancal.

Gardenia Jenkins reniflait souvent dédaigneusement en disant ces mots.

-Hypocrite, oui… Et je trouve que ce qui lui est arrivé n'était pas peu mérité, au final. Evidemment, je suis un peu triste pour vous, mes chers petits, mais que voulez-vous, quand les parents prennent de mauvaises décisions, ce sont souvent les enfants qui en souffrent. Je leur avais dit, pourtant, que Margarita Peabody n'était pas un bon choix d'épouse, que la famille était faible et dégénérée. Oui, mais voilà, elle avait de l'argent et le sang « pur ». Et on ne m'a pas écouté, bien sûr. Je ne suis après tout qu'une vieille chouette non-mariée et sarcastique. Ah ! La vieille chouette avait mille fois raison, pourtant, » souriait-elle méchamment. Son visage devenait plus doux en regardant ses petits-neveux. « Oui, c'est bien triste… Deux Cracmols pour fils… Mais cela ne veut pas dire que l'on ne vous aime pas, bien au contraire ! Vous devez être mes petits-neveux préférés, et ne laissez personne vous dissuader du contraire. C'est compris ?

Gaylord et Gladstone Jenkins avaient hoché la tête religieusement. Que pouvaient-ils faire d'autre, après tout ?

Du reste, tante Gardenia ne mentait pas, Gladstone songea plus tard. Son frère et lui avaient été aimé… au moins par elle. Leur propre mère ne leur avait pas accordé plus d'un regard après que les lettres de Poudlard ne soient pas venues pour eux. Le reste de la famille les méprisait ouvertement, même s'ils ne les avaient pas chassés. Pas tout de suite. Ca, ce n'était arrivé qu'à l'âge adulte, quand les oncles, tantes et cousins avaient trouvé mille excuses pour ne pas les prendre dans les affaires familiales. Cela n'aurait pas été trop grave s'ils avaient pu touché leur part, bien sûr, mais cela leur avait été refusé également. Même le testament de leur père s'était retourné contre eux, les déshéritant puisqu'ils n'étaient pas « sorciers ». Enfin, c'était l'interprétation qu'en avaient fait leurs oncles et cousins, et leur propre mère ne les avait pas détrompé, ni ne s'était battue pour faire valoir les droits de ses enfants.

Il n'y avait eu que Gardenia, sarcastique, pleine de vitriol et quelque peu alcoolique. Etant donner les circonstances, cela ne surprenait pas Gladstone outre mesure que son frère aîné ait choisi de quitter le Royaume-Uni pour tenter sa chance sous d'autres cieux. Aux dernières nouvelles, il travaillait quelque part en Indes, dans une ambassade du Ministère, en tant que gardien et concierge. Il était marié, mais Gladstone ignorait s'il était père ou nom. Gaylord n'était pas très communicatif.

Gladstone, lui… eh bien, Gladstone était resté en Angleterre, dans la vieille ferme de la tante Gardenia. Ce n'était pas un mauvais endroit, vraiment. Certes, cela ne payait pas de mine. Le toit aurait eu besoin d'être refait, l'herbe folle envahissait les champs en friche dont il ne pouvait ni ne voulait s'occuper et les murs étaient franchement décrépis.

Cela dit, il avait un toit à lui, et une petite vie confortable entre son petit troupeau de chèvres, son poulailler, ses clapiers à lapin et son jardin potager. Il vendait ses œufs et ses lapins surnuméraires, et tuait parfois une ou deux de ses chèvres pour leurs bézoars, qu'il revendait aux apothicaires de l'Allée de Traverse. Cela ne rapportait pas beaucoup, mais cela permettait de faire bouillir la marmite et d'acheter ce qui lui manquait.

Ce n'était pas une vie facile ou glorieuse, mais Gladstone n'était pas amer. Enfin, pas trop.

Un vieux Cracmol de cinquante ou soixante ans vivant seul dans son coin, qui ne demandait rien à personne et surtout pas à sa famille, ça ne dérangeait pas. Ca passait inaperçu.

Heureusement, car les Mangemorts n'aimaient guère les Cracmols. Pour eux, ils étaient à peine une marche au-dessus des Moldus et des Sang de Bourbe. Ironique, puisqu'après tout, la plupart des Cracmols étaient issues de vieilles familles sorcières et partageaient donc l'idéologie du « toujours pur » pratiquée par les adeptes de Voldemort.

Gladstone préférait ne pas trop y pensait et se contentait de bêcher son jardin et de ramasser ses œufs sans se mêler de politique. La première crise était passée sans l'atteindre, et il avait bon espoir que la seconde en ferait de même. Chaque jour, il lisait la Gazette du Sorcier et se disait que rien de ce qui ne passait ne pouvait le toucher.

Pas la Commission d'Enregistrement des Nés-Moldus, en tout cas. Il était Cracmol, mais fils et petit-fils de sorciers. Pas le Ministère non plus : il ne faisait rien d'illégal en vivant sa vie en reclus. Les loups-garous ou les Détraqueurs dans les campagnes… c'était plus préoccupant, mais quelles étaient ses chances d'en croiser un au tournant d'un chemin ? Non, en toute logique, la guerre qui semblait se dérouler entre les sorciers anglais ne le concernait pas ou peu.

Sur ce point, cela dit, il fut vite détrompé.

Cela commença officiellement par une visite de son cousin Godfrey, venu « s'enquérir de sa santé ». Etant donné qu'il n'avait pas revu Godfrey depuis les funérailles de la mère de Gladstone, quinze ans plus tôt, le prétexte était plus que fallacieux. Il était accompagné d'un ami ou deux, des « collègues de travail » à l'air patibulaire. Collègues qui s'empressèrent d'inspecter les alentours d'une façon qu'ils estimaient sans doute furtive, mais que Gladstone trouva grotesque. Le vieux Cracmol ne commenta toutefois pas, sentant que la moindre question serait malvenue. Il servit du thé et du fromage de chèvre à chacun, et échangea quelques banalités avec son cousin, comme s'ils ne s'étaient pas perdus de vue, volontairement, pendant plus d'une décade. L'ambiance était… singulière. Gladstone s'acharnait à ne pas voir le dragon dans la pièce.

Godfrey, cependant, avait d'autres idées.

-Dis moi, Stony… Tu n'aurais pas vu quelqu'un de louche dans les environs, n'est-ce pas ?

Le vieux Cracmol fronça les sourcils.

-Louche ? Dans quel genre exactement ?

Godfrey eut un geste impatient.

-Oh, je ne sais pas… de nouvelles têtes dans les environs ? Des sorciers à l'air dépenaillé, peut-être ? Vois-tu, nous poursuivons quelques… individus recherchés par le Ministère.

-Recherchés ?... Je ne savais pas que tu étais devenu Auror, Godfrey. Quelle prestigieuse position, » Gladstone répondit tranquillement.

L'autre sorcier rougit.

-Je… Je ne suis pas exactement Auror. Je travaille pour un groupe indépendant, pour une nouvelle commission au Ministère. Nous recherchons des… éléments de la société en fuite, » expliqua-t-il sur un ton doucereux.

-Des traîtres à leur sang, » ajouta l'un de ses deux comparses. « Ils y en a des flopées entières qui essayent de disparaitre dans la nature ! Des prétendus sorciers et sorcières avec leurs marmailles qui courent et se cachent comme des rats ! Heureusement, les Rafleurs veillent pour sécuriser nos rues et… !

Il fut coupé par un brusque coup de coude de la part de Godfrey Jenkins, qui se racla la gorge.

-Eh bien, Stony ? Rien de suspect dans le coin ? Tu sais, non renseignons généreusement nos informateurs. Le Ministère ne rechigne pas à la dépense quand il s'agit d'assurer la sécurité de la population, et toute aide est la bienvenue…

Gladstone prit le temps de finir son thé et fit mine de réfléchir. Intérieurement, son cœur battait la chamade. Par la barbe de Merlin, mais dans quoi est-ce que son cousin s'était embarqué ? Et dans quoi cherchait-il à l'embarquer en retour ?

-Il ne me semble pas avoir remarqué quoi que ce soit de suspect dans les environs, » finit-il par répondre. « Evidemment, je peux me renseigner, mais personnellement, je n'ai pas l'impression qu'il y ait des… fuyards dans le coin.

-Tu en es absolument sûr, Stony ? » Demanda Godfrey, l'œil vif. Glastone fronça les sourcils et le foudroya du regard.

-Mettrais-tu ma parole en doute, Godfrey Jeremiah Frederick Jenkins ? Insinuerais-tu que je puisse mentir ? Au seul cousin qui a pris la peine de me visiter en quinze ans ? A quelqu'un qui pourrait me donner les moyens d'améliorer ma triste existence et de quitter ce trou ? » Ajouta-t-il en bougeant les bras, invitant les invités inopportuns à bien regarder autour d'eux et à contempler l'intérieur confortable mais vieux.

Godfrey fit une grimace.

-Non. Bien sûr que non, Stony. Je m'excuse de t'avoir offensé, » dit-il, les yeux peu francs. « Ceci dit… si jamais tu voyais quelque chose… ?

-Je prendrais aussitôt contact avec toi, » le vieux Cracmol dit en hochant la tête. « J'espère que vous les aurez tous, Godfrey. Vraiment.

Le sorcier eut un petit sourire narquois.

-Oh, on y travaille, mon vieux. On y travaille.

Il fallut les raccompagner à la porte. Etre poli. Débiter des formules d'usage que personne ne prenait au sérieux ici. Faire milles promesses d'appeler si jamais un « élément subversif » se manifestait dans les environs. Promettre également d'échanger des nouvelles et de ne plus perdre le contact (ça, c'était complètement faux). Il lui fallut presque une heure pour se débarrasser du groupe de Rafleurs. Et dès qu'il arriva à le faire, la première chose que fit Gladstone fut de se servir un grand verre de whisky. Puis un deuxième.

Pendant un temps, il resta assis ou plutôt, affalé dans son fauteuil, à réfléchir. Puis il alla laver la vaisselle. Alla ramasser les œufs de ses poules. Désherba un peu le potager. Pris le temps de se faire à manger. Fit à nouveau la vaisselle. Enferma ses chèvres dans la vieille étable. Compta et recompta ses poules. Fit la liste des choses qu'il devrait aller acheter au village le lendemain. Puis fit mine d'aller se coucher et éteignit toutes les lampes, plongeant la maisonnette dans l'obscurité.

L'aube n'était pas si éloignée quand Gladstone, furtivement, jeta un coup d'œil au dehors pour s'assurer qu'il n'y avait personne avant de s'aventurer à l'extérieur, un panier sous le bras. Cane à la main et marchant d'un bon pas, il prit la direction du village, passant, comme à son habitude, par un sentier longeant les bois tout proche. Rien d'inhabituel, vraiment, puisqu'il s'agissait d'un trajet auquel il s'adonnait régulièrement. Un observateur potentiel aurait cessé sa surveillance à présent, étant donné que le petit vieux, malgré la visite d'hier, ne dérogeait pas à ses habitudes.

L'observateur aurait eu tort.

Car au lieu de continuer à suivre la route, Gladstone coupa à travers le bois, s'aventurant dans les terrains plus boisés. Il marcha un bon moment. Il finit par s'arrêter tendit l'oreille, essayant d'entendre des voix.

Il avait menti, en disant qu'il n'avait rien vu d'anormal ces derniers temps.

C'est que, quatre ou cinq sorciers à l'air effrayé, encore en robes, avec un gamin qui traine la patte derrière eux et qui marchent sous la lune dans ses champs, ça ne pouvait pas vraiment lui échapper. Pas quand il était à l'affut avec un vieux fusil emprunté à un voisin Moldu pour tirer le renard qui venait régulièrement visitait son potager.

Gladstone n'avait rien dit, rien fait. Il les avait regardés passer, bien caché, prendre la direction du bois. Le lendemain, le surlendemain, les jours suivants, il était passé du côté du bois, voir s'ils étaient toujours là. Ils l'étaient, dans une espèce de camp de fortune. Deux couples dont un avec un pitchoun, plus un vieux gars qui devait être à peine plus jeune de Gladstone. Minces, émaciés, inquiets. Sans doute prêts à repartir dès qu'ils auraient repris quelques forces. Aucun d'eux ne s'était aventuré au village pour acheter à manger. Et s'ils avaient des réserves… qui pouvait savoir combien de temps elles dureraient ?

Amusant, la vie.

Quand Godfrey était passé le voir, il débattait intérieurement de les aider ou pas, sans parvenir à prendre une décision. Quelque part, c'était la visite des Rafleurs qui avait orienté et définitivement fixé son choix.

Ah, maintenant il les entendait. Droit devant lui. En regardant bien, il pouvait voir la toile de tente kaki entre les feuilles.

Il s'aventura jusqu'au bord du camp de fortune et toussota pour attirer l'attention du petit groupe de sorciers en fuite, qui visiblement ne l'avait pas entendu arriver. Mauvais ça. Ils n'étaient guère habitués à la nature, et ça se voyait.

Quatre baguettes furent immédiatement braquées sur lui – l'une des dames n'en avait pas, ou avait délibérément choisi d'agripper l'enfant pour le placer derrière elle plutôt que de se battre. Gladstone ne cilla pas. Tranquillement, il sortit de son panier une boite d'œuf, et quelques scones qu'il avait gardé pour l'occasion. Une bouteille d'eau, aussi. Et quelques pommes.

Tranquillement, sans se soucier des baguettes toujours pointées sur lui ou des questions qu'on lui posait, il les déposa au sol. Se relevant, il regarda le doyen du groupe bien dans les yeux.

-Je peux pas venir ici souvent. Ca fait trop de route. Mais ça me gène pas de préparer des paniers repas. Y en aura d'autres pour vous à la ferme de temps en temps. C'est la première à l'orée du bois, celle avec le toit en ardoise bleues et les volets peints en violet. J'peux pas garantir qu'il y aura grand-chose, parce que j'ai pas beaucoup de moyens et que je dois manger aussi, mais j'essayerai de vous laisser quelque chose aussi souvent que possible. J'les laisserais près de l'enclos des poules, c'est là où j'accroche toujours les sceaux de grain. Pas impossible que je les cache dedans pour que ça se voit pas. Vous trouverez facilement. Tâchez juste de pas vous faire prendre en venant les récupérer, ou on sera tous dans les ennuis, » dit-il sévèrement.

Après quoi, il inclina courtoisement la tête pour les dames et tourna les talons, repartant d'un bon pas et laissant derrière lui un petit groupe de sorciers complètement abasourdis. Du coin de l'œil, il pouvait déjà voir le marmot tendre la main vers le panier, l'eau à la bouche.

Eh. Son petit cadeau avait l'air de plaire.

La tante Gardenia avait toujours dit à Gladstone qu'il fallait savoir agir en fonction de sa conscience. Que quelques fois, la bonne chose à faire n'était pas forcément ce que tous les autres préconisaient.

Le gouvernement fantoche en place menait la chasse aux Nés-Moldus. Un bon citoyen aurait sans doute aidé à les faire prendre. Sa propre famille participait apparemment à cet effort. En aidant les Rafleurs, Gladstone pourrait sans doute gagner quelque crédit à leur yeux, se rapprocher d'eux, retrouver un peu du faste de son enfance, avant que son inhabilité à pratiquer la magie ne soit mise à jour. Eh. Si ses proches parents n'avaient pas été de tels salopards, peut-être qu'il l'aurait fait. Mais comme il n'avait pas d'affection particulière pour la plupart d'entre eux, la question ne se posait même pas.

Il n'allait définitivement pas jouer dans leur camp.

Gladstone n'était toutefois pas connu pour faire des vagues. Et puis, un vieux bonhomme comme lui, sans magie… qu'est-ce qu'il était supposé faire contre des hommes armés de baguettes, hein ?

Non, les faits d'armes, il laissait ça à d'autres. Mais rien ne l'empêchait d'aider d'une autre façon. Les pauvres bougres qui se cachait des Rafleurs devaient avoir faim, par exemple.

Alors, s'il laissait trainé un panier d'œuf… ou quelques fromages de chèvre avec un peu de pain qu'il avait été acheté au village voisin… ou une portion ou deux de civet de lapin, avec quelques cuisses de poulet pour faire bon poids… ou une bouteille de lait de chèvre et quelques légumes de son potager… le tout au bord de sa propriété, attaché à la barrière, la nuit, pour que quelqu'un le trouve et le prenne…

Eh, ce n'était pas comme s'il faisait quelque chose de mal, n'est-ce pas ?