JUNKIE

Rating : T pour drogues et violence.

Ceci est un UA situé à Londres, de nos jours. Présence de OC mineurs. Aucun spoil.

Je devrais poster un chapitre par semaine en moyenne.

Sherlock étant dans la série un ex-junkie, j'avais envie d'imaginer sa vie à cette époque, et comment une rencontre avec John aurait pu être possible. Ayant déjà écrit sur le sujet de la drogue, j'ai fini par le faire.

Je rappelle que la consommation, la détention et le trafic de stupéfiants est illégal et dangereux, etc.

Bref, en espérant que ça vous plaise.


Chapitre 1


L'ombre de l'arbre tombait sur le trottoir, agité par le vent. Les branches remuaient doucement et les feuilles tremblaient, parfois furieusement, comme habitées par quelque entité supérieure. On aurait dit un ballet, une tempête, un monde qui menaçait de s'écrouler à chaque rafale de vent. D'une beauté terrible, folle, insupportable, atroce.

Sherlock ne le pensait pas vraiment, mais il aimait faire semblant d'y croire. Le monde était moins horrible après deux cachets de LSD – il n'avait plus d'ecstasy et préférait garder sa dernière dose d'héroïne pour plus tard. Les couleurs, les formes, les mouvements : tout prenait de l'ampleur, de la puissance.

Il s'arracha à la contemplation de l'ombre et se redressa difficilement. Il avait passé la nuit sur un banc, dormant à peine une heure ou deux avant de prendre le LSD, et commençait à avoir faim. Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'il avait mangé. C'était sans doute deux jours plus tôt, quand il s'était battu dans le squat avec cet enfoiré de dealer qui refusait de lui vendre sa dose.

Sherlock avait eu une côte fêlée, lui semblait-il, néanmoins il ne sentait pas la douleur. Il traversa la rue, titubant légèrement, et enfouit ses mains dans les poches de son manteau, un long trench sale qu'il avait racheté à un clochard pour trente livres. Le vêtement était chaud et le protégeait du vent, c'était tout ce dont il avait besoin. Il passa devant un tabac et y entra en se souvenant que son paquet de Dunhill était vide.

Le vendeur grimaça en le voyant, mais dès que Sherlock posa l'argent sur le comptoir, il lui offrit un sourire commercial.

-Cigarette. Dunhill, lâcha-t-il d'une voix rocailleuse.

-Bien, monsieur.

Il paya, déchira le film plastique et sortit.

Le vent l'obligea à se tourner vers la vitrine du tabac pour allumer sa clope, et le reflet qu'elle lui renvoya lui arracha un sourire cynique. Ses cheveux bruns étaient sales, son trench tâché et déchiré sur le bas et une ecchymose violacée barrait sa joue creuse. Ses pommettes ressortaient plus encore qu'à l'ordinaire tant il était maigre, décharné, et ses yeux gris qui avaient autrefois charmés les femmes comme les hommes étaient rougis, les pupilles dilatées et la dernière lueur de vie éteinte depuis longtemps.

Sherlock tira une bouffée de tabac et s'éloigna en levant les yeux au ciel – or en fusion, multiples nuages teintés de bleu turquoise, arabesques venteuses de motifs étranges. Le LSD faisait toujours effet, tout allait bien.


L'appartement était baigné de la lumière du coucher de soleil quand John se réveilla. La sonnerie stridente de son portable le fit grimacer et, en se redressant lentement sur son lit, il tendit la main vers la table de chevet et coupa l'alarme. Il travaillait de nuit cette semaine-là. Il se leva, prit une douche et enfila un jean et un pull avant d'allumer le poste de télévision.

John suivit distraitement le journal du soir en faisant réchauffer un reste de risotto au poulet qu'il mangea rapidement, assis dans la cuisine, les yeux rivés sur son assiette. Le mariage d'un ami de sa sœur était prévu pour le mois prochain, et il y avait invité un peu contre son gré. Harry avait longuement insisté, précisant que ça le changerait de son travail et que ce serait l'occasion de rencontrer quelqu'un. John avait accepté pour qu'elle lui fiche la paix.

Il n'avait pas besoin de sa sœur pour se trouver une copine, et après sa récente rupture avec Jeannette, il préférait se laisser le temps de profiter de son célibat. Il laissa la vaisselle sale dans l'évier, éteignit la télévision et enfila son blouson en sortant de l'appartement. Darren l'attendait devant l'immeuble, souriant comme à son habitude, au volant de la camionnette du centre.

-Salut, doc.

-Salut, Darren, répondit-il en montant à l'avant. La journée s'est bien passée ?

-Plutôt. On a eu une bagarre entre deux junkies, mais rien de grave. Sarah les a copieusement engueulé. Elle a pas l'air, comme ça, mais quand elle gueule, elle gueule.

-Ne jamais se fier aux apparences, Darren. Jamais.

Le conducteur hocha gravement la tête. Avec ses longs cheveux décolorés et ses percings aux oreilles, il ne faisait pas son âge – trente cinq ans exactement, comme John.

-Près pour une nouvelle nuit en enfer ?

Le médecin sourit.

-Ouais.

-Y'a quoi au programme ? s'enquit-il en négociant un virage.

-Je descends voir les gamins pour faire mon baratin habituel.

-N'empêche, doc, ça marche du tonnerre, votre truc. La moitié des junkies et des clodos qui viennent au centre veulent vous voir, vous.

John haussa les épaules.

-Je fais mon job, c'est tout.

Et c'était vrai. Seulement contrairement à la majorité des gens, l'idée de passer la journée dans un bureau derrière un écran d'ordinateur le répugnait. Il était devenu médecin pour aider les autres, et ce poste au centre avait été une opportunité qu'il n'avait pu refusé.


L'avenue principale était illuminée par la lumière crue des lampadaires. John fut salué par quelques clochards, dont la plupart passait régulièrement au centre pour une nuit ou deux au chaud ou pour la bouffe obtenue par la générosité des londoniens quand l'hiver revenait. Il leur adressa un sourire, appelant certains par leur nom, parlant vaguement du temps qu'il faisait et en profitant pour demander des nouvelles des autres habitués du centre.

-Est-ce que vous avez vu Carol et son fils, récemment ?

-Nan, répondit Mungo en tirant son chariot derrière-lui.

-Si vous les croisez, dites-leur que Sarah a récupéré des vêtements et une poussette.

-Comptez sur nous, doc.

John les salua rapidement et traversa la rue pour rejoindre le nouveau squat des junkies. C'était Greg Lestrade qui lui avait indiqué l'endroit, ajoutant, un peu gêné, que les flics comptaient les virer de là d'ici la fin du week-end. Le médecin avait donc deux jours pour les convaincre de changer de squat – il y avait un ancien hôtel à l'abandon à la sortie de la ville – et distribuer un maximum de cartes du centre – celles avec l'adresse, le numéro d'appel d'urgence et la promesse d'un repas et d'un lit de camp.

En persuader le plus grand nombre possible qu'arrêter de se droguer était la meilleure chose à faire était une tâche plus délicate, et John préférait faire ça au centre avec la psychologue.

Il reconnut le parfum décadent du désespoir en entrant dans l'immeuble, subtil mélange de crasse, de fumée, de sang séché et de sueur. La lumière semblait grisâtre à l'intérieure, aussi triste que l'air qu'ils respiraient. John, comme à chaque fois, ne ressentait aucun dégoût à voir les créatures décharnées aux yeux rouges avachies un peu partout dans la pièce. Deux femmes étaient allongées sur un canapé, une autre assise sur le bitume, aux côtés d'un jeune homme qui fixait le plafond, une expression de béatitude peinte sur son visage.

Un autre était étendu au pied d'une fenêtre, à deux pas d'une adolescente qui vomissait sur le sol. John se répéta mentalement son baratin, sortit une première carte de sa poche et s'avança vers le deux femmes sur le canapé. Il avait sa manière à lui de s'adresser aux camés. Il ne montrait ni pitié ni compassion, seulement sa gentillesse intrinsèque et beaucoup de patience, parfois un peu d'humour quand il était d'humeur à ça.

-Salut.

La plus jeune des femmes cligna des yeux.

-Qui t'es tu veux quoi ? baragouina-t-elle d'une voix rauque.

John lui sourit poliment.

-Je m'appelle John, je suis médecin dans un centre d'hébergement.

-Oh. Tu vas dire qu'il faut qu'on soit sage si on veut aller au paradis ?

Sa compagne eut un rire sec.

-Non, les filles, dit-il en tendant doucement la carte qu'elle ne prit pas. Je viens seulement vous prévenir que les flics vont bientôt venir ici.

Un murmure indigné monta dans la pièce et John ajouta d'une voix plus forte, s'adressant à tous les junkies :

-Il y a un hôtel abandonné à la sortie de la ville, je peux appeler mon collègue pour qu'il vous y dépose.

-Qu'est-ce qui nous dit que tu vas pas nous ramener chez les flics, hein ? lança une voix aiguë du fond de la pièce.

-Vous connaissez le centre sur Kenny Street ?

Les junkies échangèrent des regards, leurs yeux rouges supportant difficilement la lueur des ampoules nues qui pendaient au plafond. Quelques uns hochèrent la tête et John leur sourit, se voulant rassurant, presque fraternel.

-Je suis médecin là-bas, je suis de votre côté. L'un de vous est-il déjà venu ?

L'adolescente près de la fenêtre cessa de vomir et se leva, chancelante, essuyant ses lèvres de la manche de son sweat.

-Moi, croassa-t-elle. Me souviens de vous, doc. Vous pouvez lui faire confiance, les gars, c'est lui qui m'a recousu l'épaule.

John se rapprocha d'elle. Il reconnaissait son visage, maintenant. Il l'avait soigné après une bagarre particulièrement violente dans un bar où un clochard ivre l'avait frappé avec une bouteille en verre.

-Ida. Tu as l'air en meilleure forme, dit-il en jetant un coup d'œil à la flaque de vomi.

Elle gloussa.

-Grâce à vous, doc. Suis partante pour cet hôtel, moi. Tu viens, Sherly ?

L'homme qui était étendu au pied de la fenêtre grogna.

-Va te faire foutre et m'appelle pas comme ça.

-T'es pas drôle. Vous me suivez, les gars ? ajouta-t-elle aux junkies.

John observa avec un mélange de satisfaction et de soulagement l'ensemble des junkies – tous sauf un – qui se levait et se traînait jusqu'à la sortie de l'immeuble. Les plus lucides entraînaient les plus défoncés, et la pièce se vida dans un grand chahut de balbutiements. Pas besoin de donner de cartes, cette fois, Ida était mille fois plus efficace.

-Je préviens Darren, lança-t-il à l'adolescente.

-Impec.

John appela le chauffeur, gardant un œil sur l'homme étendu au pied de la fenêtre qui, lui, n'avait pas bougé. Il dégageait quelque chose de particulier, un certain charisme.

-Darren ?

-Ouais, doc ?

-J'ai une dizaine de personnes à transférer à l'hôtel dont je t'ai parlé. Tu vois où se trouve le nouveau squat sur l'avenue ?

John lui donna quelques conseils avant de raccrocher et de se tourner vers l'homme. Il était allongé sur le dos, ses bras croisés sur son torse, les pans de son trench sale et déchiré sur le bas étalés sur le bitume. Il n'avait pas du voir le carrelage d'une salle de bains depuis un long moment et sentait la cigarette. Il avait une ecchymose violacée sur la joue, sans doute une séquelle d'une bagarre récente, et était d'une maigreur habituelle pour un junkie, soit quasi squelettique.

Il se redressa en voyant le médecin s'accroupir à sa hauteur et braqua ses yeux gris sur lui, le glaçant d'un regard froid et pénétrant.

-Je reste, dit-il d'une voix rocailleuse en anticipant sa question. Ces incapables de flics ne m'effraient guère. Au revoir, merci quand même.

John acquiesça, un peu surpris.

-Vraiment ?

-Oui, soupira-t-il avec dédain.

John soutint son regard.

-Héroïne, répliqua-t-il à sa question muette. LSD. Ecstasy. Morphine, quand j'en trouve, mais c'est de plus en rare ces derniers temps.

-Hé bien, c'est plutôt varié.

-Oui. Au revoir.

Sherlock ne bougea néanmoins pas, intrigué malgré lui par ce médecin qui soutenait son regard. C'était quoi, ça, une nouvelle méthode thérapeutique ?

-Je n'ai pas l'intention d'arrêter, ajouta-t-il en espérant le voir partir. Je suis très bien ainsi.

-…Vous voulez dire heureux ?

Sherlock arqua un sourcil.

-Tous ces gens qui mènent leurs petites vies bien rangées et monotones sans se poser de question, se lèvent le matin pour aller travailler, regardent les informations le soir sur la BBC, vont à la messe le dimanche, élèvent leurs enfants dans le respect des lois et de la morale et économisent pour partir en vacances à Brighton le sont-ils ? N'ont-ils pas des existences ennuyeuses, insupportables et dénuées du moindre intérêt ?

John ouvrit la bouche pour répondre mais fut coupé par le junkie.

-Si c'est ça, être heureux, je préfère encore crever ici.

Le médecin baissa la tête, incapable de soutenir plus longtemps ce regard perdu entre le désespoir et le cynisme. Sherlock se recoucha et ferma les yeux.

-Bien, dit-il enfin. C'est… une manière de voir les choses.

John posa une de ses cartes sur le bitume, tout près du junkie.

-Vous pouvez venir au centre à n'importe quelle heure, ne serait-ce que pour dormir dans un lit ou parler un peu-

-Au revoir, répéta-t-il.

-Et si les flics vous mettent en cellule, continua-t-il en se levant, vous n'avez qu'à donner ma carte à l'inspecteur Lestrade pour qu'il vous laisse sortir.

Sherlock ne répliqua pas et attendit que les pas du médecin s'éloignent suffisamment loin pour ouvrir les yeux. Il prit la carte, la retourna entre ses doigts fins et soupira en la glissant dans la poche de son trench, sortant dans un même mouvement le petit tube plastique. Il leva l'objet à hauteur de son visage et esquissa un sourire sans joie quand les cachets blancs s'entrechoquèrent.


Note :

LSD et Ecstasy : drogues hallucinogènes et psychédéliques généralement sous forme de cachets.

Dunhill : marque de cigarettes anglaise.

BBC : chaîne de télévision britannique très ancienne et très populaire.

Brighton : ville touristique au sud de l'Angleterre.