Epilogue : Héritage

La mer avait été bienveillante pendant mon voyage vers Constantinople. Quitter l'Italie m'était douloureux, mais le devoir m'appelait en d'autres endroits. Ce devoir ne concernait probablement pas que la branche Italienne de l'Ordre, mais un nombre bien plus vaste de vies, et je ne pouvais qu'espérer obtenir un nombre d'allié à la mesure du nombre de personnes concernées. En ce sens, le destin m'avait déjà pourvu d'un bon comité d'accueil sur les terres Turques.

Iskender avait demandé à me rencontrer dès qu'il avait su que je voyagerai vers le Moyen-Orient. Le voyage avait dû lui demander un certain temps de préparation, l'Egypte et la Turquie n'étant pas des pays particulièrement voisins, mais je me doutais de la raison de son empressement. Je me doutais également qu'il ne serait pas seul : en dehors de ses éventuels gardes du corps, il serait probablement accompagné par un jeune garçon d'une douzaine d'années.

Je me demandai ce que ce garçon savait exactement de sa mère. D'après ce que j'avais entendu, elle n'avait pas mal servi l'Ordre, bien au contraire, et je craignais que ce ne soit tout ce qu'Iskender ait choisit de lui apprendre. Or, Lucia avait belle et bien été folle à lier, au moins dans ces derniers instants. Cet enfant était peut-être plus sain qu'elle, mais si nous pouvions limiter la propagation de ce genre de trouble au sein de l'Ordre, tout irait pour le mieux. Hélas, avec ses parents issus de l'Ordre en addition des multiples tuteurs qu'il avait dû avoir puisque sa mère n'était pas en état de s'occuper de lui et lorsqu'Iskender était occupé, le jeune adolescent était bien plus un enfant de l'Ordre que n'importe quel autre assassin. Il faudrait donc le surveiller étroitement, à défaut de pouvoir l'écarter, et j'étais certain que son père adoptif y consacrait déjà tout son temps libre.

Sentir de nouveau la terre ferme sous mes pieds était un soulagement. Mais la sensation, aussi agréable soit-elle, ne méritait que je m'y attarde. Je traversais donc rapidement la ville byzantine pour rejoindre le point de rendez-vous. Comme prévu, un petit groupe composé de six cavaliers et un autre cheval s'attendait à ma venue. Le plus grand des cavaliers, sans grande surprise leur commandant, descendit de sa monture pour me saluer convenablement. Nous échangeâmes succinctement des politesses, oscillant entre Italien et Arabe, tous deux capables de parler avec plus ou moins d'expertise les deux langues. Je me joignis donc aux autres cavaliers après les avoir salué, en accordant davantage d'attention au benjamin de la troupe.

J'eus tout à loisir de le détailler durant notre cheminement à travers les plaines rocheuses. Son corps était fin sans qu'il soit chétif et il était d'une taille raisonnable pour son âge. Il avait le teint mat et le visage dur de ceux qui vivent au milieu des vents chauds et du sable. Ses cheveux étaient presque ras, d'un noir qui n'avait rien à envier à l'ébène. Je pus rapidement voir ses yeux, d'un gris-vert lumineux. En y repensant, il devait tenir ce vert intense de sa mère mais c'était bien là la seule caractéristique que je reconnaissais. Il avait visiblement bien plus hérité de son père, bien qu'il demeure à ce jour inconnu.

En dépit de son jeune âge, il montait déjà très bien. Sa posture était droite, ses mains fermes sur les rênes et il me semblait très alerte et conscient de son environnement. S'il révélait d'autres qualités en grandissant, il pourrait devenir une pierre angulaire de l'Ordre dans la partie Nord de l'Afrique. Sinon, il serait capable de faire un parfait éclaireur. En l'observant encore un petit moment de plus, je crus remarquer qu'il parlait. Il arrivait que de jeunes recrues récite le Credo pour s'en imprégner, donc je n'y fis pas spécialement attention et maintint toute mon attention sur les alentours, à l'affût d'une embuscade ou d'un traquenard.

Nous arrivâmes finalement sans encombres dans une petite base des Assassins, dans laquelle Iskender et ses hommes devaient avoir trouvé refuge depuis quelques jours. Notre escorte se dispersa une fois entrée dans l'enceinte, et le responsable des lieux nous accueillit avec beaucoup de respect. Il plaça mes quartiers à proximité de ceux de l'autre Maître Assassin, probablement parce qu'il était au courant de la raison de sa venue. Je déposai mes effets rapidement et rejoignis la cour. Les novices s'entraînaient ensemble, changeant régulièrement de partenaire de lutte, sous le soleil chaud de l'après-midi. Un assassin plus expérimenté passait régulièrement dans les rangs pour prodiguer des conseils et corriger de mauvais gestes et postures. Comme dans toute les branches de l'Ordre, les apprentis étaient très disciplinés, attentifs, solidaires. Ces capacités n'étaient pas seulement indispensable en luttant, où il était tout de même aisé de blesser un camarade, mais aussi dans toutes les autres disciplines propres aux Assassins. Le Moyen-Orient avait toujours été un berceau de grands Maîtres Assassins, et à voir ses jeunes hommes s'exercer avec tant d'ardeur, je commençais à comprendre pourquoi. Non pas que nous avions de quoi nous plaindre de la qualité des Assassins Européen, mais d'aussi illustres figures que celle du Maître Altaïr Ibn-La'Ahad n'avait pas encore émergé.

Sans vraiment m'en rendre compte, je me mis à chercher un visage parmi ceux des lutteurs. Ne trouvant pas l'objet de ma recherche, je finis par m'orienter vers le bruit de sifflement qui provenait de l'arrière du bâtiment et que j'avais remarqué depuis un bon moment maintenant. Il se déroulait là un tout autre tutorat. Si physiquement, il n'avait hérité que du vert des yeux de Lucia, il paraissait toutefois avoir hérité de son affinité pour les arcs. Concentré, il fronçait les sourcils et maintenait en joue du mieux qu'il pouvait. Son arme était adapté à son âge, mais il ne devait pas le manier depuis bien longtemps, puisque je le voyais tendre la corde avec beaucoup de difficulté. Il tira enfin sa première flèche, qui atteignit la cible plus près du bord que du centre. J'entendis Iskender le féliciter, puis vit le jeune homme lancer un regard absent à un objet posé à terre de l'autre côté de la cible. D'un geste vif, il arma une seconde fois et se prépara à décocher une autre flèche. L'égyptien vint à ma rencontre après avoir été témoin que la seconde flèche s'était bien fichée dans la cible.

« -Il s'entraîne dur, n'est ce pas ?

-Il pourrait ne pas avoir besoin de s'entraîner autant pour être un bon archer et pourtant il y met un point d'honneur.

-Qu'y a-t-il à côté de la cible ?

-Le dernier arc dont Lucia s'est servi. Il le garde précieusement et refuse de s'en servir jusqu'à ce qu'il estime avoir une compétence suffisante à l'arc. »

Il y avait beaucoup de douceur dans la voie rauque d'Iskender lorsqu'il évoquait la femme qu'il avait autrefois pris sous son aile. Je n'avais pas été là durant les événements, mais les rumeurs disent que le Maître Assassin s'était très rapidement épris de l'Italienne et qu'une alchimie paisible mais très fructueuse s'était ensuite développée une fois installés en Egypte. L'homme m'apparaissait vivre très bien, presque trop d'ailleurs, le fait que celle que son cœur avait choisie lui ait été retiré et que cet enfant ne soit pas issu de sa propre chair. Cependant, je pouvais lire sur le visage de l'homme Arabe toute la fierté que lui inspirait cet enfant qu'il regardait grandir avec tant d'attention.

« -Lucia vous a tous les deux fortement marqué, n'est ce pas ? Demanda Ezio, rhétoriquement.

-C'est un bien bel euphémisme que tu énonces là, l'ami, répondit Iskender avec un rire dans la voix. Il se réveillait souvent de ses siestes en la voyant tirer à l'arc et la regardait pendant des dizaines de minutes.

-J'ignorai qu'elle était si adroite à l'arc.

-Son talent était manifeste. Ses détracteurs ont même été jusqu'à clamer qu'elle était habitée par un Djinn, un esprit du désert. Les mêmes disent à présent que son fils est lui-même un Djinn, car personne ici n'a des yeux aussi clairs. Mais elle a su gagner le respect de ses pairs. Les hommes qui l'accompagnait lors de son dernier voyage étaient d'anciens élèves. »

Cela expliquait au moins pourquoi ils nous étaient apparus si défaits. Les liens de maître à élèves sont des liens très forts, plus encore dans une structure isolée du monde, cachée de l'œil public. A la lumière de tout ce que j'avais appris aujourd'hui, je commençais à remettre en question les idées que je m'étais faites sur Lucia. Nous restâmes encore quelques temps à regarder le jeune homme tirer à l'arc. Après une autre flèche non loin du bord de la cible, Iskender attira son attention en claquant ses mains d'un coup sec. Le garçon semblait habitué à la manœuvre, puisqu'il commença immédiatement à ranger son matériel de tir.

« -Ishane ! Rejoins-nous dans notre chambre quand tu auras terminé. »

Ishane. Sagesse. Lucia n'avait rien voulu laisser au hasard pour cet enfant. Mais il arrivait parfois de bien drôles de choses à ceux que l'on choisit pour défier le destin. Heureusement, Iskender serait là pour veiller sur lui.

J'emboîtai le pas au Maitre Eyptien et nous arrivâmes dans la chambre sombre et fraîche dans laquelle il logeait. Il s'assit sur le lit avec un léger soupir, puis commença son explication un peu péniblement, après un combat avec les mots :

« -Je suis désolée de te retenir pour une raison aussi futile, mais j'espérais que tu puisses nous raconter comment s'est passé son enterrement. Je n'ai jamais pu me résoudre à lui expliquer ou à lui faire lire la lettre que tu m'avais envoyé à l'époque. Je ne suis pas plus courageux à présent, mais je pense qu'il est assez mature pour savoir et comprendre.

-Que sait-il de la folie de sa mère ?

-Il sait tout. Mais il semble penser qu'elle n'était pas folle, plutôt qu'elle était le bras armé du Credo... »

Je vis sa bouche former très rapidement un mot, mais le son de sa voix s'éteignit très rapidement, comme s'il avait soudainement changé d'avis. Se pourrait-il que la santé mentale du garçon ait déjà commencé à décliner ?Avant que je ne puisse le lui demander, quelques pas discrets se firent entendre. Le garçon resta dans l'encadrement de la porte quelques instants puis Iskender lui fit signe de venir et de s'asseoir par terre. Ils s'installèrent côte à côte et me fixèrent avec étonnement lorsqu'il ne me virent pas bouger. L'homme dû comprendre que la situation me dépassait un peu et me demanda de venir m'asseoir sur le lit pour que je puisse leur conter confortablement. J'étais tout de même un peu mal à l'aise, même si je comprenais les motifs de mon camarade. Je pris un peu de temps pour rassembler mes esprits et les quelques souvenirs que je possédais de l'événement qui s'était produit il y a maintenant sept ans.


Le soleil était haut et brillant aujourd'hui. Les oiseaux gazouillaient gaiement, le ciel était clair et bleu, le temps magnifique. Comme si le fait que nous portions quelqu'un en terre ne changeait rien à l'ordre du monde. C'était certes vrai, mais que l'univers tout entier semble ignorer que nos allions procéder à un enterrement me restait en travers de la gorge. Et nous n'étions que cinq, sur un pauvre coin de terre où personne n'oserait venir nous chercher, et que probablement plus personne après nous ne foulerait avant longtemps. J'avais bien essayé de contacter d'autres Assassins, qui furent ses camarades pour le temps qu'elle passa en Italie en temps que membre de l'Ordre, pour savoir si elle avait de la famille ou même s'ils voulaient venir assister eux-même. J'ai toujours systématiquement obtenu la même réponse :

« -Elle n'en a jamais parlé. Et vous savez, Mentor, elle n'avait pas toute sa tête. »

Les tons restaient généralement neutres, mais j'entendais dans ces mots de la crainte, une pitié un peu méprisante, un volonté de l'aliéner. Elle n'avait porté ses lames contre un autre membre de l'Ordre qu'à une unique reprise, et tous les rapports suivants avait été formels, elle avait œuvré dans le respect du Credo, en son sens et pour la sécurité des vies qu'on lui avait confié lorsque c'était le cas. Si elle n'avait jamais pu atteindre le rang d'Assassin, elle était néanmoins resté un membre honorable de la Guilde, loin de mériter le traitement qu'on lui offrait aujourd'hui.

Un bruit de rame se fit entendre et je sus que notre dernier invité était arrivé. Leonardo da Vinci fit quelques pas peu assurés dans la barque et conserva une démarche un peu maladroite une fois sur terre. Le peintre, autrement si joyeux, avait une mine bien triste. Nous nous saluâmes dans un silence morne et inhabituel, puis remontâmes doucement vers le plateau qui serait la dernière demeure de la jeune femme. La tranchée était à présent finie et la bière, dont nous n'avions pas encore fermé le couvercle, demeurait posée sur l'herbe. Pour tout dire, je ne m'attendais pas à ce qu'il continue de me parler de Lucia, même longtemps après qu'elle soit partie pour l'Egypte. Alors il m'avait paru naturel de lui demander s'il souhaitait assister. Mais à voir la pâleur qu'avait pris son visage en apercevant celui de la femme, je me demandais si c'était réellement une bonne idée. Il retira son béret et le porta près de son cœur, dans un signe de respect.

Maintenant que toute l'assemblée était rassemblée, nous allions pouvoir commencer. Je fis signe aux trois hommes qui l'avaient accompagnée qu'il pouvait sceller le couvercle. Le visage pâle et enfin serein de Lucia, ses cheveux châtains que l'on avait fait tressé pour l'occasion, ses robes tâchées de sang à la couleur éternellement vive virent une dernière fois la lumière avant que l'on ne referme sa dernière demeure. Le silence, interrompu seulement par le faible bruit de la rivière non loin, rendit encore plus pesant le bruit des marteaux.

Une fois la tâche accomplie, ils se tournèrent vers moi dans l'espoir d'obtenir de l'aide. A mon grand étonnement, ce fut Niccoló qui leur apporta son aide. L'homme était resté silencieux au sujet de Lucia depuis hier, bien qu'elle l'ait menacé dès son arrivée en étant vêtue de robes d'Assassin. Sans aucune raison à mes yeux, il avait choisi de m'aider avec cet enterrement et il aidait maintenant à descendre le cercueil dans la fosse. Leonardo ne pleurait pas, mais je sentais qu'il était en deuil. Je pense que je ne serais jamais en mesure de comprendre ce qui l'avait poussé à s'attacher à l'Assassin aussi vite, mais je pense qu'il était aussi peiné de sa disparition que les hommes qui recouvraient à présent le bois par la terre qu'ils avaient précédemment délogé.

Je serais bien resté aux côtés du peintre pour lui apporter un peu de confort, mais nos camarades Egyptiens n'avait pas eu le temps de pleurer celle auprès de laquelle ils avaient combattus les templiers. Je fis le tour de la fosse, posa une main réconfortante sur l'épaule de l'un d'eux et lui prit la pelle des mains. Ils se relayèrent ensuite pour que chacun puisse faire ses derniers adieux. Une fois la tombe anonyme achevée, nous restâmes tous les six interdits devant cet endroit où probablement plus personne ne reviendrait. Les trois Assassins Arabe s'esquivèrent rapidement, sachant qu'ils devraient repartir au plus vite auprès des leurs, sans pour autant oublier celle qu'ils allaient laisser ici. Nous restâmes encore un peu, Niccoló et moi impassible, pendant que Leonardo essuyait à la va-vite la seule larme que j'eus l'occasion de voir aujourd'hui. Elle avait peut-être été la seule, mais elle avait été là, et elle suffit à apaiser un peu mon cœur.


Un silence pesant s'installa dans la salle, jusqu'à ce que le jeune adolescent commence à s'agiter et à parler seul en Arabe. Les yeux humides d'Iskender rejoignirent les miens sur la troisième personne de la pièce, qui semblait ne pas se rendre compte qu'elle parlait de plus en plus fort. Soudainement, il se leva et sortit à toute vitesse en criant qu'il « ne remercierait jamais cet homme ». Devant mon regard interloqué, son père laissa échapper un soupir, et je me demandais s'il n'allait pas m'avouer ce qu'il s'était retenu de dire tout à l'heure.

« -Il entend souvent la voix de sa mère et il me dit qu'il la voit, quelque fois.

-Depuis longtemps ?

-C'est comme si elle n'était jamais partie, pour lui. Lorsqu'il était en âge d'être enrôle dans l'Ordre, il commençait déjà le Credo en Arabe, mais aussi en Italien, sans qu'il n'ait eu besoin de qui que ce soit pour le lui apprendre.

-Tu ne pars pas à sa recherche ?

-Non, elle le calmera, affirma le grand homme. Merci, Ezio, d'avoir été là pour elle.

-Ce n'est rien, Nicolló et moi étions là pour la même raison, elle était une Assassin Italienne. Nous nous devions d'être présent.

-Et ce Leo... »


« Desmond ? Desmond ? Tout va bien ?

-Rebecca ? S'enquit l'homme. Pourquoi est ce que vous avez coupé l'Animus ? Où est Shaun ? Demanda-t-il en constatant l'absence de son camarade.

-Il y a un intrus qui vient par ici, il est parti à sa rencontre. Aller viens, on ne peut pas le laisser te trouver ! »

Je ne compris pas tout de suite ce qui se passait. Rebecca me traîna par le bras vers la sortie arrière du bâtiment en toute hâte. Une fois dehors, Rebecca s'arrêta soudainement et écouta attentivement son oreillette. Son visage se détendit un cours moment avant de se renfrogner. Lassé de ne rien comprendre à ce qui se passait, je pris l'oreillette et la portait à mon oreille.

« -Shaun, qu'est ce qui se passe, bon sang ?!

-C'est une gamine, elle a seize ans tout au plus. Mais, il y a quelque chose d'étrange, elle récite le Credo sans s'arrêter, dans différentes langues.

-C'est une blague ?

-Desmond... Je commence à voir des silhouettes, autour de moi. Beaucoup de silhouettes... décrit le britannique, entre émerveillement et crainte. »

Est ce qu'il était en train de faire une crise de Bleeding Effect ? Si tel était le cas, il valait mieux ne pas le laisser seul. J'exposais rapidement la situation de Rebecca, lui rendit son oreillette et partit rejoindre Shaun aussi rapidement que mes jambes me le permettait. Une fois arrivé sur place, je pus constater qu'il n'avait pas menti. Il était seul avec une adolescente, visiblement fasciné par quelque chose. La jeune femme avait les yeux rivés sur lui avec une intensité inqualifiable. Rien d'autre au monde ne semblait exister pour elle sinon Shaun. Mais son visage, au-delà de la concentration, affichait aussi une agressivité crispée. Puis elle remarqua ma présence et se décala pour pouvoir me regarder sans être gênée. Elle fronça les sourcils encore un cours instant, puis son visage passa de sérieux à neutre, puis de neutre à souriant. Un peu perturbé par son attitude, je faillis manquer ce qu'elle déclara ensuite dans un Anglais parfaitement accentué :

« -Alors c'est vous, Ezio Auditore ?

-Pas vraiment... ? »

Sa voix me donnait des frissons. Elle était pleine d'innocence mais je croyais sentir quelque chose de beaucoup plus surnaturel. Et mon impression se révéla plutôt justifiée, puisque comme Shaun l'avait décrit, elle commença à réciter le Crédo très rapidement, et à chaque langue différente prononcée se manifesta une silhouette. Aucune n'était réellement très nette, mais je pouvais affirmer qu'il y avait différentes ethnies représentées, venant des quatre coins du monde. Par contre, je ne fus pas surpris de voir une femme européenne s'extraire de la foule de silhouette pour rejoindre le flanc de la jeune femme. L'illusion se mit à parler, sans émettre le moindre son, mais l'adolescente lui répondit tout de même puis se tourna vers moi.

« -Je m'appelle Sarah. Elle, c'est Lucia. Je l'ai vu un jour où j'étais en Italie. Elle tournait en rond dans Rome, alors je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a dit qu'elle cherchait Ezio Auditore, pour le remercier. Lorsque je suis partie, elle m'a suivie. Alors j'ai fait des recherches. Et je suis arrivée jusqu'ici. »

A cet instant, je vis une illusion sortir de moi. Elle fit quelques pas vers l'adolescente et s'arrêta. Sarah sourit et l'illusion à ses côtés s'avança. Lorsque les deux spectres ne furent qu'à un bras de distance l'un de l'autre, un murmure s'éleva.

« -Grazie mille, mentore. »

Toutes les illusions se dissipèrent alors, y compris celles qui affectait Shaun. Il ne réalisa pas tout de suite ce qui s'était passé, mais il semblait ne pas souffrir de séquelles. Il posa un regard abasourdi sur l'adolescente, puis sur moi. Elle lui sourit, je fis ce que je peux pour le rassurer tacitement. Un silence s'installa ensuite entre nous trois, mais la benjamine s'empêcha de le briser :

« -Bien, j'imagine que je peux y aller maintenant. Au revoir.

-Attends, si tu connais le Credo dans tant de langue, c'est forcément que tu fais partie de l'Ordre ! S'exclama Shaun.

-Non, c'est parce qu'ils me l'ont appris.

-Ils ?

-Laisse-moi faire, Shaun, calma Desmond. Sarah, est ce que tu as au moins quelque part où aller ?

-Ça va me prendre un peu de temps, mais je peux retourner à l'orphelinat, en France.

-La nuit ne va pas tarder à tomber, reste avec nous. »

Shaun se demandait sérieusement ce qui était en train de se passer, et je sentais qu'il n'approuvait pas ma décision. Rebecca aurait probablement la même réaction. Mais apparemment, elle était capable de voir ses ancêtres, d'apprendre d'eux, sans avoir recours à l'Animus. Ce genre de talent, aussi instable pouvait-il me sembler pour ce que j'avais pu vivre à travers les mémoires d'Ezio, ne pouvait pas tomber entre les mains ennemies.