Prologue (1349 mots)

Je dois entièrement l'idée de cette fic à un voyage à Londres, mon amie juste-moi-363 (blog sur Skyrock) et les mangas qu'elle m'a fait découvrir pendant ces deux semaines en sa compagnie. Je la remercie, ainsi que le hasard qui a bien voulu rassembler une dingue de Japon et une dingue tout court dans le même bus.

La nuit était déjà tombée sur la région de Kanto. Le ciel sans nuages était d'un beau bleu profond la lune presque pleine éclairait de sa lueur spectrale le paysage qui s'étalait sous elle. Les forêts d'un vert obscur ondulaient sous le vent les collines apparaissaient d'un turquoise surnaturel, et scintillaient des petites perles de la pluie qui était tombée plus tôt dans la journée. La rivière vif-argent coulait paisiblement en produisant un son cristallin et rafraîchissant. Les myriades d'étoiles qui brillaient dessinaient des formes qu'un jour des hommes avaient observées et nommées, ultime témoignage d'une civilisation éteinte depuis longtemps.

Un petit garçon les regarde, ces étoiles, assis sur l'herbe d'une colline. Il est loin de se douter que ce ne sont que des boules de gaz, qui tournent si vite sur elles-mêmes qu'elles en brillent de mille feux, et qu'elles sont distantes de plus de kilomètres qu'il ne saurait jamais en compter. Pour lui, ce sont des êtres vivants, de petites fées aux ailes chatoyantes, qui rient d'un rire semblable à un millier de grelots et parfois pleurent des larmes de pluie, de petites fées aux yeux curieux et amicaux et au corps plus fin qu'une branche gelée.

Une main douce mais ferme se pose sur l'épaule de l'enfant, qui se tourne et regarde la personne derrière lui. La femme d'une trentaine d'années le regarde et fait un petit signe. Sans dire un mot, l'enfant se lève et suit sa mère, sa petite main dans la sienne. La petite paire descend rapidement la colline, puis s'enfonce dans la forêt. Ils avancent longtemps, toujours sans dire un mot. Le vent siffle dans les feuilles, produisant un son lugubre, qui accompagne la mère et son enfant comme un soupir mélancolique.

Le petit garçon lève de temps en temps les yeux vers sa mère, espérant une explication une réponse à sa question muette. Mais la femme l'ignore et garde les yeux fixés sur le chemin de terre, à peine visible dans l'obscurité de la forêt. Elle ne peut pas lui répondre, ou ne le veut pas.

Ou peut-être refuse-t-elle de montrer l'inquiétude et l'incertitude dans son regard.

Ils continuent de marcher, avant de parvenir dans une petite clairière, au centre de la forêt. La jeune femme lâche la main de son enfant, qui s'avance lentement au milieu de l'espace dégagé. Apercevant un tronc d'arbre couché, il grimpe dessus avec agilité et s'assoit en tailleur, sans quitter sa mère des yeux. Elle reste debout, lui tournant le dos, faisant face à la lisière des arbres.

Il est clair qu'ils vont devoir attendre. Mais attendre quoi ? Ou qui ? Et combien de temps ? Autant de questions sans réponses, que le petit garçon chasse bientôt de sa tête. Peu à peu, son imagination débordante d'enfant se met à lui souffler une autre histoire. Sa mère est une fée, une fée aux ailes bleues et roses ses mains magiques transforment n'importe quel aliment en délicieux chef-d'œuvre coloré. Elle vit dans une cuisine aux mille couleurs, entourée de placards qui renferment des trésors épicés, et l'air sent bon la cannelle, le chocolat et l'orange.

Soudain, un craquement retentit dans le silence de la nuit, faisant se retourner le petit garçon. Mais il n'a pas peur il sait que la nuit n'est pas seulement peuplée de mal. Il regarde attentivement le bosquet sombre, d'où émerge lentement une haute silhouette. Un homme se détache de l'obscurité et s'avance dans la clairière. Il est inconnu au petit garçon, mais apparemment pas de sa mère elle se met à courir dans sa direction et, quelques secondes plus tard, elle le serre dans ses bras. L'enfant n'a pas bougé, la tête légèrement inclinée sur le côté, et se demande qui est le nouveau venu. Il n'a jamais entendu parler d'un homme-fée, pourtant.

Il décide bientôt que cet homme est son père et se lève pour aller le saluer. Il fait quelques pas en avant le regard de l'homme est immédiatement attiré par le mouvement et il lève la tête. Son regard croise celui de l'enfant, qui remarque que ses yeux sont d'un étrange brun vif, presque rouge. Puis l'homme ferme les siens et secoue lentement la tête, alors qu'une larme roule le long de sa joue. Le petit garçon s'immobilise, indécis. Pourquoi pleure-t-il ? S'il tient sa mère dans ses bras, c'est qu'il est heureux de les voir !

N'est-ce pas ?

Sa mère semble entendre ou sentir qu'il pleure, elle aussi, et arrête de le serrer dans ses bras. Là d'où il est, l'enfant ne peut pas voir l'inquiétude inonder peu à peu ses doux yeux bruns, ni voir ses lèvres former des mots accusateurs sur un ton infiniment triste. Mais il sent bien que quelque chose ne va pas. Son père se détache de l'étreinte de sa mère et se fond de nouveau dans l'ombre, des larmes roulant toujours sur ses joues. Au même moment, des hommes en noir sortent des buissons. Le petit garçon regarde rapidement autour de lui, effrayé : ils sont partout dans la clairière, à quelques mètres d'eux, d'étranges bâtons de métal dans les mains.

Il sait ce que c'est. Il les a déjà vues en action. Mais sa mère est encore là, il ne peut pas partir ! Le cercle des hommes se resserre autour d'eux, le calme de la nuit s'est évanoui des voix autoritaires aboient des ordres d'une voix sèche, et les armes de métal se lèvent soudain dans une série de cliquetis glacés. Sa mère fait volte-face, les yeux brillants de larmes, et lui hurle : « Cours ! Va-t'en, vite ! Ne t'arrête pas ! »

L'enfant hésite, recule et s'immobilise de nouveau, partagé entre sa peur et l'envie, le besoin de rester près de sa mère, mais elle insiste : « Allez, vite ! Cache-toi ! »

Alors il se décide. Il fait demi-tour et se sauve, rapide comme l'éclair, esquivant les mains tendues et se faufilant entre les jambes des hommes en noir, déclenchant sur son passage une cascade de mots qu'il ne connaît pas, des mots brutaux, qui font mal et qui blessent. Le petit garçon se dirige à toute vitesse vers un grand arbre, et commence à grimper comme un singe. Ses mains trouvent toutes seules les creux et les bosses où elles se nichent il appuie sur ses bras, ses jambes, le regard toujours posé sur l'écorce sous ses doigts, caché par les frondaisons. Il grimpe toujours plus haut,vers la lune, vers les fées de la nuit, les petites étoiles qui l'appellent–

Un claquement sec et sonore retentit, figeant le petit garçon sur place. Il ne bouge plus, figé dans une flaque de lumière lunaire. L'écho de deux autres détonations, des voix, des cris, des bruits de cavalcade. Puis le silence revient. Lourd, oppressant. L'enfant a cinq ans à peine, mais il sait que quelque chose s'est passé. Quelque chose de grave. Il redescend rapidement, manquant de tomber plusieurs fois, sa peur grandissant à chaque pas qu'il fait vers le bas.

Le petit garçon arrive enfin au sol avec un bruit sourd. Il reste accroupi au sol, ses grands yeux ouverts comme ceux d'un animal nocturne. Mais il ne voit personne. Il se relève lentement, très lentement, et parcourt la clairière déserte des yeux. Son regard tombe soudain sur une forme allongée sur le sol. Même de loin, il reconnaît sa mère.

Oubliant toute prudence, il se précipite à côté de la jeune femme et s'agenouille, pose une main sur son épaule. Étendue sur le dos, les yeux mi-clos, elle ne bouge pas. L'innocence de l'enfant reprend le dessus un instant : elle dort ? Sur le sol ? En voilà une drôle d'idée. Il essaye de la réveiller, l'appelle à l'oreille. Puis ses pensées vaguement remplies d'espoir se brisent comme un miroir en regardant de plus près.

Les prunelles brunes de sa mère, à demi cachées derrière ses paupières, sont ouvertes et fixent aveuglément le ciel qu'elles ne verront plus. Un voile bleuâtre les ternit, effaçant le moindre éclat de l'étincelle qu'elles contenaient avant. Et elle n'a aucune réaction quand son petit garçon la secoue pour la sortir de son sommeil anormalement profond.

Un peu de noir coule sur le côté de sa tête. Un peu de noir rouge.

Cette nuit-là, les mille couleurs de la maison des fées se sont affadies et fondues dans le noir. La douce lumière qui éclairait sa vie s'est éteinte, et seules restent les ténèbres, teintées d'un sinistre grenat les mille senteurs délicieuses de la cuisine se sont évanouies, remplacées par cette odeur poisseuse et métallique qu'il ne devait jamais oublier. La fée a essayé de s'envoler, mais ses ailes bleues et roses se sont froissées, et elle est retombée sur le carrelage éclaboussé de sang. Et, quelque part, un loup s'est mis à hurler, hurler de douleur et de haine, hurler à la face laiteuse de la lune une promesse de vengeance.