Heeeey, ça faisait un bail ;) (je vous avais dit que je laissais pas tomber)

Deux choses : je tiens à remercier les personnes qui se sont inquiétées du devenir de cette fanfic, qui ont relu en attendant et congrats : l'attente est finie ! En plus j'ai pas publié tard, donc vous vous coucherez pas tard. #lechapitrefaitquandmême10k

Et à en engueuler d'autres : je ne suis pas à votre disposition, vos exigences d'enfants gâtés vous les gardez pour vos parents. Recevoir des mps d'une politesse limite pour ne pas inexistante, qui exigent la suite, qui demandent que je mette à jour VITE, c'est aussi la raison pour laquelle j'ai mis autant de temps à update. Je suis une personne, pas votre chose. (voilà.)

A bientôt pour le 10 ;)


Faut qu'on fasse un truc !

Neville leva les yeux vers Lavande, le papier rose pastel toujours entre ses doigts; elle insiste et s'énerve en silence, son regard allant de l'un à l'autre avec la véhémence impatiente de quelqu'un qui voudrait vraiment que vous compreniez là tout de suite ce qu'elle veut dire.

Il hausse les épaules, incertain, et lui offre un sourire d'excuse qu'il voudrait plus convaincant, articulant exagérément ok mais quoi ? ce à quoi Brown fronça les sourcils dans cet air d'incompréhension total qui convainquit Neville de s'en tenir à une correspondance strictement épistolaire par origamis volants interposés.

Le problème, songea-t-il, sa réponse inscrite à l'encre noire sous la question de Lavande, c'est que ses devoirs d'été avec Grand-mère Augusta n'incluaient pas de leçons sur l'art du pliage de papier. C'est moldu, a-t-il envie de la singer, ça ne te sert à rien, concrètement, aurait-elle ajouté avec cet air dédaigneux et ce mot qu'elle tentait de caser absolument partout, concrètement

Autant faire un avion, se décida-t-il en tentant d'obtenir un résultat soigné, qui s'envole mollement dans le demi-silence de la bibliothèque.

Ils s'étaient installés face aux fenêtres entrouvertes, le long du mur du fond qui donne sur le parc; après l'attaque de l'autre semaine, la plupart des élèves n'avaient pas terminé l'année et étaient rentrés chez eux, alors il n'y avait pas grand monde à flâner le long du lac à la recherche d'un peu de fraîcheur. Mai et ses tendances caniculaires et humides les agaçaient déjà, Brown en particulier, ses frisettes blondes à peine retenues par le bandeau qu'elle nouait dans ses cheveux – je vais tout raser, Neville; j'te jure que je vais le faire, lui avait-elle promis en agitant dangereusement sa baguette du bout des doigts, un soir où Finnigan leur avait dégotté une bouteille de Whisky Pur Feu.

C'est pour mieux gérer – tout ça, s'était-il expliqué, gauche, désignant tout et rien à la fois; Harry Potter avait disparu depuis pratiquement neuf jours et Dean était rentré chez lui le matin même, sa valise flottant derrière lui alors qu'il traversait le trou du portrait à contrecœur, suivant McGonagall jusqu'aux limites des barrière anti-transplanage de l'école.

Sur les « bons conseils » de Lavande, Neville avait décidé de se joindre à Seamus, lequel avait innocemment proposé qu'ils se rabattent dans le dortoir des Poufsouffles pour ne pas se retrouver face à la préfète Granger ou à un des deux Weasley, un peu remontés contre lui – contre tout le monde, en fait – et pas vraiment ravis de la disparition de leur meilleur ami. Si tu sais où il est, il faut que tu me le dises, Neville, se rappelait-il la voix doucereuse d'Hermione un jour où elle l'avait pris à part dans le couloir, juste avant le repas, lorsqu'il avait fini par regagner le château après son cours de Soins aux Créatures Magiques. Essaie de te rappeler, avait-elle insisté, dépassant l'aversion évidente qu'elle éprouvait pour lui, la baguette cachée dans sa manche soudain un peu plus apparente.

« Elle maîtrise pas l'amitié mais la menace, elle gère, avait sifflé Lavande lorsqu'il lui avait raconté sa courte entrevue avec la préfète ce soir-là; Hannah et Susan avaient échangé un regard interloqué, mais pas un mot – Neville s'était contenté d'un haussement d'épaule.

- C'est pas normal », s'était agacée Susan en fronçant les sourcils, ses lèvres déjà au bord du gobelet en plastique rouge que Dean lui avait fait passer, leur servant à tous une rasade généreuse de Whisky Pur Feu.

On en a besoin, s'était-il justifié, un brin désinvolte, les gouttes d'un alcool à peine plus jeune qu'eux arrosant ses doigts; on a surtout besoin de Potter, avait rétorqué Hannah, s'enflammant soudain.

On a besoin de Potter, avait-elle répété face à leur silence.

Ils avaient tous plongé le nez dans leurs verres, pas décidés à en reparler tout de suite – la messe sorcière en l'honneur de Dumbledore s'était tenue deux jours après l'attaque des Mangemorts, et même avec les rondes des professeurs et les Aurors discrètement déployés dans le château, on sentait encore l'aura terrifiante de Vous-Savez-Qui hanter les murs, trainer le long des vieilles pierres des couloirs et se cacher derrière les tapisseries; sans se concerter, les préfets de chaque maison s'étaient arrangés pour escorter les plus jeunes de salle de classe en salle de classe, et Neville doutait que quiconque ait été pris à transgresser le couvre-feu ces deux dernières semaines.

« Il faut qu'on remette l'AD en place, avait lancé Wayne Hopkins avec un sérieux étonnant pour son état d'ébriété avancé, et Justin, au moins aussi imbibé que lui, avait approuvé avec vigueur.

- Septembre, moi je tente rien avant…

- C'est plus sûr, c'est vrai, avait approuvé Hannah, qui, son petit doigt en l'air, semblait avoir bien du mal à dépasser la brûlure du whisky. C'est super fort, la vache…

- Rien que le meilleur, s'était targué Finnigan en agitant la bouteille sous ses yeux, la laissant y lire le label sorcier et le nom tout en courbes et volutes, l'étiquette mouvante terminant de donner le tournis à quiconque la fixait trop longtemps.

- Tu nous gâtes, avait pouffé Lavande, occupée jusque-là à renifler les effluves émanant de son verre, ses yeux suivant dangereusement la bouteille qui était revenue à l'envoyeur.

Seamus avait tiqué en entendant ça, occupé à resservir Wayne et Justin.

- Personne d'autre le fera », avait-il répondu, prenant sur lui pour sourire et ne pas sonner trop fataliste.

Lavande et lui n'étaient pas censés refaire surface à Gryffondor avant demain, dans la journée sûrement; Seamus s'était dit qu'il tenterait sa chance avec Granger, puisque Malfoy le furret s'était fait la malle après l'attaque, comme Rogue et une tripotée d'élèves pas tous de Serpentards, et pas tous enfants de Mangemorts, les laissant sans l'espoir de Harry, ni la protection quasi-divine de Dumbledore.

D'où, le whisky.

« Neville, lui avait chuchoté Lavande, leurs épaules se touchant, son souffle brûlant d'alcool contre la peau de sa joue et de son oreille, Neville – il faut qu'on trouve Ed. Il saura où Potter s'est barré, non ?

Il avait acquiescé, balayant déjà l'idée; la dernière fois qu'ils avaient été vus, c'était ensemble et s'enfonçant trop profondément dans les ténèbres du château pour y être suivis.

- Ils sont forcément quelque part, avait-elle insisté, s'échouant contre lui, à demi-endormie.

- Forcément », s'était-il entendu approuver plus par habitude que par réelle envie de lui répondre, tentant inlassablement de trouver de quoi satisfaire ses propres interrogations.

Il n'osait pas dire à Lavande l'aveu qu'Harry lui avait fait, je déteste le Survivant, ses mots sonnant lourd comme toutes ces condamnations qui n'en étaient pas et que le monde sorcier faisait pourtant peser lourd sur ses épaules.

Brown n'avait su que lui répondre par une moue ennuyée, tentant visiblement de naviguer les méandres bien embrumés de son esprit, faisant rouler sa baguette entre ses doigts, tanguant avec lenteur au son d'une musique qu'elle était bien la seule à entendre; je m'emmerde, criait son attitude de gamine insolente, soufflant quelques boucles blondes échappées de sa queue de cheval hors de son visage avec l'agacement de quelqu'un qui voudrait les couper, mais qui fera avec, captant le regard de Londubat au même moment, éclatant de rire et finissant par lui expliquer qu'un jour, elle rasera tout, sans jamais préciser quoi, au juste –

Je raserai le monde sorcier tout entier, s'était-elle convaincue un soir en brûlant son vieux journal intime à la fenêtre du dortoir.

Lavande ? se rappelait-elle la voix inquiète de Parvati, qui l'avait probablement regardée faire en silence depuis l'embrasure de la porte, attendant d'être assez brave pour finalement entrer et exiger d'elle des explications. Elle avait juste haussé les épaules, et s'était mise à trainer avec Potter et Londubat pas longtemps après, lâchant Ron, mettant le paquet en Divination pour mieux comprendre toute la merde qui pouvait bien se passer dans sa tête – et toutes ces choses bizarres qu'il fallait qu'elle arrête de raconter à du papier. Trelawney lui avait dit que le Don était en chacun d'eux, ses douze milles châles puants amoncelés sur ses épaules et à l'époque déjà bien entamés par les mites; leur entrevue avait laissé Lavande avec plus de questions que des réponses, son carnet rose de petite fille serré entre ses mains tremblantes, le charme des Dix Mille Pages l'empêchant d'être à cours de place pour raconter tout ce qu'elle voyait.

Déjà Vu, s'énervait-elle souvent, et la soirée qu'elle avait passée avec les Poufsouffles en était un.

L'avion un peu grossier qui lui parvint soudain en est un autre.

Le regard noir qu'elle envoya à Londubat ne faisait pas parti du déjà-vu, mais il aurait dû – la beuglante d'Augusta l'avait fichtrement calmé, même si sa mégère de grand-mère s'était arrangée pour qu'elle lui parvienne directement dans la Salle Commune, et pas avec le reste du courrier, dans la Grande Salle. Petit plus pour l'absence d'humiliation publique, même si ces grandes gueules de Granger et Weasley s'étaient chargés du reste…

Apparemment, la plupart des bons sorciers semblaient le croire responsable de la petite fugue d'Harry.

Armoire, renvoya-t-elle à Neville, le pliage prenant plus de temps que l'écriture de sa courte réponse.

Le seul responsable de ce merdier, si vous demandiez son avis à Lavande Brown, c'était ce petit con prétentieux de Pevensie.

Suivant du regard la petite grue rose qui faisait son chemin jusqu'à Neville, Lavande tenta de recoincer une de ses mèches dans son chignon, qui n'en finissait pas de dégringoler sur sa nuque déjà trop poisseuse de sueur – c'était comme si les saisons tentaient de rattraper leur coup après cet hiver ridiculement long qui lui avait aussi offert ce beau séjour d'une semaine à l'infirmerie.

Un petit bateau en parchemin froissé vint se nicher sur le haut de sa tête, s'entortillant dans ses cheveux au passage; jurant, Lavande l'en dénicha, le tirant un peu trop vivement hors de son chignon en même temps qu'une longue, longue mèche qui retomba entre ses deux yeux comme pour la narguer, lui arrachant un soupir agacé.

Elle est encore à l'école, disait le bateau. Lavande leva les yeux vers Neville, haussant un sourcil perplexe, pas certaine que ce soit le cas, son regard sans doute plein d'au moins autant de questions puisque Londubat hocha la tête de cet air qu'il croyait être incroyablement convaincant mais qui le faisait plutôt ressembler à McGo annonçant des mauvaises notes au dernier devoir de Métamorphose.

Ce soir, pouvait-on lire sur le papillon qu'elle avait renvoyé.

Lavande risqua un regard par la fenêtre, consciente que la distraction serait peut-être de trop si elle voulait vraiment avancer son devoir de Sortilèges; la liste de sorts à présenter à l'examen pratique ne s'était pas vraiment vue raccourcie par la mort de Dumbledore, de la même façon que McGonagall ne se montrerait pas indulgente. Au pire, je lui sors le Patronus. Flitwick apprécierait l'idée et l'exécution, sans aucun doute, mais difficile de cacher l'AD après ça.

La chaumière du demi-géant fume bleu, et ça lui rappelle la maison, les briquettes de tourbe que la bèche déterre toute seule au fond du jardin et qui s'entassent sous l'abri, le long de la maison; les innombrables ampoules sur ses mains quand son père la forçait à le faire « à la moldue », pour ne pas « croire que tout est solutionnable avec une baguette ».

Je vais prendre l'air, fit-elle signe à Neville en se levant, fourrant parchemins, plume et encrier dans son sac à la vite.

Et s'arrêtant face à son sac béant, et à ce qu'il y avait à l'intérieur, qu'elle ne s'était pas résolue à cacher sous son matelas comme Hannah et Susan l'avaient fait – pas quand Granger dort dans le même dortoir, s'était-elle défendue en gardant jalousement les reliques de Potter au fond de son sac, le petit sort d'Extension qu'elle y avait ajouté l'été dernier décidément bien pratique…

« Harry nous les a donnés avant – tu sais », lui avait expliqué Susan, n'osant pas croiser son regard, triturant nerveusement la manche de sa robe.

Lavande avait juste senti une bosse inconfortable dans son dos en allant se coucher, et s'était inexplicablement mise à fouiller sous le matelas, certaine qu'il y avait quelque chose d'important là-dessous; elle était montée avant tout le monde se coucher, et s'était littéralement jetée sur le lit le plus proche de la porte. Celui d'Abbott. Qui l'avait retrouvée enfoncée jusqu'aux coudes dans le matelas, tirant déjà la cape de sa cachette.

« Prends-les, lui avait spontanément lancé celle-ci, terminant de lui mettre la cape dans les mains et déposant précieusement la carte par-dessus. Ce truc-là est un peu spé, tu dois dire, avec ta baguette dessus… »

Lavande soupira en refermant son sac, la bandoulière déjà sur son épaule.

Cette dernière semaine promettait d'être très, très longue.


Un rêve étrange vit Susan s'éveiller avant l'aube.

Elle s'était vue, bien plus âgée mais pas tellement, chevauchant à la suite de ses frères, de sa sœur, eux aussi marqués par des années qu'ils n'avaient pas encore vues, malgré l'éternelle bataille qui semblait se jouer dans cette réalité-ci. Narnia les avait vu entrer en son sein par une porte dérobée, les émerveillant et les punissant de leur curiosité tout autant; s'ils n'avaient pas perdu un frère et de nombreuses décennies à guerroyer sans issue, peut-être auraient-ils vu davantage en ce pays qu'un monde différent abritant une guerre bien longue.

L'hiver s'était fané avec eux, mais était retourné bien des mois plus tard alors qu'Edmund les quittait; dès lors, la contrée magique de l'armoire s'était mue en un cycle irrégulier alternant hiver et été. Si le froid gagnait en intensité et si l'hiver était rude, cela signifiait que la magie de la Sorcière Blanche était dominante; si, au contraire, il faisait davantage chaud et non pas neigeux, cela signifiait que les Pevensie étaient plus puissants qu'elle. Lucy aimait penser qu'Edmund influençait leurs printemps tièdes et leurs automnes trop chauds, comme si ses regrets, ses espoirs et sa rédemption alimentaient leur magie bien qu'il soit si loin d'eux. Susan n'y croyait pas, et Peter – Peter refusait d'entendre.

Narnia, au final, ressemblait à l'une de ces boules à neige qu'elle gardait dans sa chambre, à la maison. Parfois, elle se demandait ce que tout cela était devenu, leurs affaires, leurs chambres, leur famille; leur oncle, leur cousin affreux, leur mère surtout. Qu'avait-elle fini par penser de leur absence soudaine ? Avait-elle blâmé le Professeur, lui qui n'avait eu qu'un rôle mineur mais si important à jouer dans leur histoire ? Ou alors, la magie avait-elle fait son office et promis des jours plus heureux à leur mère ?

Elle se leva, sachant que le sommeil ne la gagnerait plus et qu'il n'y aurait pas de place en ce matin glacé pour des envies paresseuses. Elle aurait voulu que le printemps ne s'arrête jamais, et que l'été narnien dans lequel ils avaient vécus quelques semaines de pure innocence, à dorer sous un soleil pas plus meurtrier que l'herbe sous leurs pieds, ait duré toujours; car, malgré la bataille s'approchant et l'ombre menaçante de la Sorcière non loin, un court moment, ils avaient été ensembles. Peut-être que des mots simples sauraient mieux résumer la façon dont c'était, plus que des phrases et des poèmes; c'était tout bêtement fort, fraternel.

Susan était, comme elle, levée à une heure avancée de la nuit qui ne tarderait plus à voir le jour prendre sa place, poindre à l'horizon, révélant les longueurs gelée d'un océan qu'ils avaient connu bien plus vivant; Susan se souvenait encore des sirènes chantant à leur couronnement, des bonds miraculeux qu'elles faisaient hors de l'eau pour les saluer, chacune s'appliquant à faire des figures aussi complexes que magnifiques dans la lueur couchante d'un soleil qu'ils connaissent aujourd'hui par cœur.

« Susan, lui sourit gentiment sa cadette, enroulée dans une cape épaisse qui devait être celle de Peter.
- Lucy, répondit-elle en resserrant sa propre cape sur ses épaules.
La salle du trône, de bien des façons, étaient devenue leur monde tout entier. Aux premières lueurs de l'aube, durant ces jours où ils vécurent à seulement trois dans un château conçu partout pour quatre – quatre trônes, quartes couronnes, et tellement d'autres choses encore qu'ils s'efforçaient tous de ne plus voir – Lucy venait souvent s'installer dans le siège qui aurait du être celui d'Edmund. Elle avait tellement pleuré, beaucoup plus que lors de leur installation supposée provisoire chez le Professeur; ses petites jambes tenaient alors dedans, et recroquevillée elle y passait parfois plusieurs nuits de suite, toute endolorie par le marbre dur du siège, les couleurs argentées d'Edmund se mariant si mal avec les siennes, toujours lumineuses et rehaussées de fils d'or.

- Tu ne devrais pas dormir ici, la réprimanda-t-elle en s'approchant.
Susan l'embrassa sur le front.

Oh, bien que leur bataille contre la Sorcière Blanche sembla éternelle, aucun d'entre eux n'avait pris plus de cinq, peut-être six ans; comme Edmund qui s'était figé quelque part entre l'adolescence et l'âge adulte, Lucy demeurait dans un corps trop jeune pour son âge. Peter commençait à avoir de la barbe, et même si ni l'un, ni l'autre ne le lui disaient, Susan savait que les années passant, elle ressemblerait de plus en plus aux rares souvenirs qu'ils avaient de leur mère.

Lucy haussa ses petites épaules couvertes de boucles aux reflets dorés dans la lumière pas vraiment aveuglante du soleil d'hiver; nul ne saurait dire exactement ce qu'elle voyait, lorsque prise dans ses visions elle se laissait aller à marcher, voir et entendre au travers d'une silhouette constituée toute entière de pétales colorées flottant au vent. Ils étaient ses messagers, ses agents, et même si elle pensait pouvoir le leur cacher, Susan autant que Peter savait qu'elle s'en servait pour communiquer avec leur frère; l'une des raisons pour lesquelles ils ne l'en empêchaient pas était presque risible.

Ils y croyaient encore, même un peu.

- J'aimerais bien que l'été revienne, soupira Lucy, son souffle formant un de ces nuages qu'ils avaient tellement vus. J'en ai marre de l'hiver. Ça fait des mois et des mois -

- Je sais, souffla Susan en se dirigeant à pas lents jusqu'à la terrasse glissante et neigeuse qui faisait dos aux quatre trônes.

Cair Paravel était totalement ouvert, de nombreuses chambres d'invités et salons donnant sur la vaste étendue d'ordinaire bleue de la mer; si bien que, une fois leur éternel et rêvé printemps passé (car ils n'avaient guère d'été), des feuilles mortes, jaunies, orangées parfois, se frayaient un chemin jusque dans leur château avec une vélocité étonnante, les envahissant aussi sûrement que leurs sujets en quête de chaleur et de protection.

- Le printemps, puis l'été, reviendrons avec Edmund, lui assura Lucy en s'approchant à son tour, saisissant la main glacée de sa sœur.
- Il y a des mois qu'il a traversé l'armoire, rien ne nous dit qu'il reviendra, s'agaça Susan. Peut-être que c'est elle qui lui a demandé de partir, pour nous séparer davantage.
Amère, elle se laissa aller à s'asseoir sur l'un des bancs enneigés du balcon, détrempant sa cape et sa robe, l'eau traversant les couches épaisses de vêtements jusqu'à la peau de ses cuisses, de ses fesses; elle trembla, un peu, mais ne bougea pas.

- On devrait faire pareil, siffla-t-elle, son regard dérivant sur des eaux lointaines et aussi stériles que glacées. Traverser l'armoire et rentrer chez nous.
Il y avait longtemps qu'aucune sirène n'avait plus nagé dans leurs eaux.

- Cela ne sert plus à rien d'espérer que nous vivrons encore, et vieillirons un jour comme dans ces étranges rêves que nous partageons parfois; Edmund les fait peut-être aussi, mais cela ne semble jamais suffire à lui faire reprendre le droit chemin, poursuivit-elle avec l'agacement coutumier que provoquait chez elle les idioties de ce frère traître.

- J'en ai fait un autre ce matin, lui apprit alors Lucy, une amertume similaire semblant la gagner tandis qu'elle s'installait à côté de son aînée.
Elle repoussa les couches de neige, découvrant la surface plus beige que blanche du banc de pierre et laissa son visage boire les premiers rayons du soleil. Contrairement à elle ou Peter, Lucy semblait toujours espérer quelque chose de la part de leur frère, de la part de ce monde où Aslan n'était plus qu'un souvenir balayé par des vents trop froids pour croire encore à son retour.

- Nous chassions, oui, se rappela Susan. Quel genre de bête cela pouvait être, je ne saurais dire…
Lucy lui sourit, perdue dans ses pensées.

- L'été était là, commença-t-elle à lui décrire, car ses rêves à elle étaient toujours les plus réels, et un cerf blanc avait été vu aux alentours du gué de Beruna. Nos chevaux étaient les mêmes qu'aujourd'hui, si bien qu'ils nous y portèrent, vite, avant que le jour ne se couche. Pourtant, lorsque nous suivîmes sa trace jusqu'à un endroit bien plus profond et lointain de la forêt que nous ne l'imaginions, nous le perdîmes, et le soleil était bas à l'horizon, nous plongeant dans un début de nuit promettant d'être obscure.
Et Susan en voyait tous les détails, songeant à l'odeur des pins, des sapins et des sous-bois humides et herbeux de la forêt, à leurs montures au galop élégant et confortable, à un corps qui irait enfin avec son esprit déjà si vieux; elle voyait la barbe encore plus fournie de Peter, ses cheveux longs d'un blond doré luisant au soleil couchant.

- L'avons-nous eu ? Osa-t-elle alors demander.
- Oh, non, s'amusa Lucy, riant un peu à la question de sa sœur. A dire vrai, je pense que ce cerf que nous chassions n'était pas plus fait de chair et d'os que mes gens, et qu'il n'était pas réellement là.
- Qu'était-il, alors ?
- Peut-être tout simplement notre imagination. Un jour, nous avions bien rêvé d'explorations et d'océans inconnus; était-ce réaliste et est-ce arrivé ? Ma réponse ne te plairait pas.
- Non, je suis bien trop bizarre, rit Susan à son tour, brièvement.
- Pas seulement cela, fit mystérieusement Lucy. Si toi et Peter y croyiez davantage, peut-être verriez-vous ces rêves comme je les vois. Je ne sais pas, sembla-t-elle s'excuser ensuite.
Susan ne put lui offrir un pâle sourire.

Lucy n'avait jamais tenté de leur expliquer qu'une seule fois ce dont il pouvait s'agir, et si de temps à autre c'était les mêmes visions, rémanentes, qui leurs revenaient comme de vieux souvenirs qui vous hantent, jamais ni Peter, ni elle, n'avaient décidé d'y accorder plus de crédit que ça. S'attarder sur quelques rêves aussi sporadiques qu'hasardeux ne leur ferait gagner aucune bataille contre Jadis. Et peu importait qu'aux yeux de leur cadette, ces rêves furent des futurs possibles, ou bien des passés lointains. Une fois, ils n'avaient même pas été frères et sœurs du tout, juste amis. Peter y avait une épée, exactement la même (bien que Rhindon ait été perdue bien des années auparavant); le cordial de Lucy n'était plus un flacon mais une coupe, et il y avait aussi un château avec quatre quelque chose, mais aucun d'eux ne se rappelait quoi (peut-être qu'Edmund aurait su, mais il ne lui avait jamais répondu – il ne lui parlait jamais beaucoup, de toute manière).

- C'est sans importance, souffla finalement Susan après une longue et silencieuse contemplation de l'horizon. Nous devrions rentrer.

Lucy lui sourit encore.

- Mais rentrer où, Susan ? Le monde a peut-être continué sans nous – tu y as pensé ? Qui sait dans quel endroit horrible Edmund a atterri ?

- Le vingt-et-unième siècle ?

- Répugnant, grimaça-t-elle, sa petite bouille ronde lui donnant l'air d'une enfant retroussant le nez face à son plat d'épinards.

Puis, se reprenant :

- Quoiqu'il en soit, il a l'air de s'y plaire…

- Je ne sais plus, Lucy », lui avait-elle répondu en soupirant longuement, relevant ses robes, retournant errer en silence dans Cair Paravel.

Elle ne dormirait plus désormais. Le soleil était encore bas sur l'horizon, et ses lumières grises donnaient toujours des airs bien sinistres au château qui les abritait, eux et leur règne immortel; les landes de Narnia demeureraient brumeuses aujourd'hui encore, dans ce semblant d'hiver qui s'installerait encore un peu plus au retour de leur frère – à moins que celui-ci ne fasse un choix différent. Susan en doutait, désormais. N'était-il pas après tout celui qui les avait trahi pour une gorgée de chocolat chaud et quelques friandises ? Cela la dépassait qu'Aslan les ait crus capables de quelque chose, lorsque l'un d'entre eux s'était montré si aisément corruptible.

Susan soupira derechef, les épaisseurs fines de sa tenue épousant sa peau avec toute leur froideur humide; oh, ils avaient longuement discutés du cas de leur frère lors de nombreux conseils restreints, puis avec leur plus loyaux conseillers, et aucun d'eux n'avait réussi à obtenir plus de réponses quand à l'attitude de celui-ci. Susan avait du mal à croire qu'il s'agissait uniquement d'un caprice que leurs attitudes conjointes à son égard avaient engendré – Edmund était peut-être jaloux et égoïste, mais il n'était pas idiot; il aurait fallu davantage à la Sorcière que quelques bonbons pour le charmer, et mieux encore, le convaincre de rester.

Parfois, Susan regrettait que leur mère ne se soit pas rendue à Narnia avec eux; d'entre tous, elle était celle qui avait su le mieux éponger la sensation de rejet d'Ed, l'emmenant avec elle lors de ses missions à l'orphelinat en bas de la rue, lui offrant des moments privilégiés qui avaient toujours paru trop spéciaux à elle et Peter pour qu'ils ne soient pas, en retour, jaloux.

La maison lui paraissait si loin. Toutes les poupées de Lucy, tous ses livres entassés sur les petites étagères de la chambre qu'elles partageaient, le parfum de fleur de leur mère; si leurs rêves avaient cette étrange manie d'apparaître à des moments inopportuns, de se glisser dans leurs esprits alors qu'aucun d'eux ne s'y attendait, ils avaient aussi cette tendance affreuse à les pousser à la mélancolie. Oh, après ce genre de rêves, ni elle, ni Peter ne dormaient la nuit suivante – bien souvent, ils la passaient ensembles dans la salle attenante à leurs chambres, leurs visages rendus pâles par la lueur des bougies; elle lisait, lui observait les flammes de l'âtre d'un air troublé, tout simplement trop pensif pour qu'elle ose l'interrompre. Lucy, au contraire d'eux, en ressortait totalement immaculée, comme si rien ne pouvait la toucher. Quant à leur frère, il était bien impossible de savoir ce qu'il en pensait; Lucy parlait toujours de lui si prudemment, consciente que chacun de ses mots pouvaient devenir une arme, un grand poison que ni Susan, ni Peter ne s'empêcheraient de répandre si cela signifiait causer du mal à leur traître de frère.

Ce qu'ils ignoraient pourtant et que Lucy savait, c'était que ce genre de rêves, Edmund les avait comme eux – ou plutôt, comme elle, avec cette même étrange clarté qu'aucun d'eux ne savait expliquer et dont ils ne pouvaient partager la nature avec personne d'autre. Jadis s'en fichait bien, et Aslan n'était qu'un vieux rêve trop grand et trop poilu dont Lucy avait fait le deuil (s'il avait été capable de quelque chose, il aurait sauvé Narnia depuis longtemps – depuis avant nous).

« Luce ? »

Peter.

Ses cheveux étaient toujours du même blond cendré que ceux de grand-mère (enfin, c'était ce que Maman en disait à chaque fois qu'ils parlaient de la tignasse de son frère), loin du brun de Papa et des boucles chocolat de leur mère. Parfois, Lucy se demandait comment ils avaient tous les quatre put naître si différents; Peter à reprendre le rôle de leur père absent, Susan à suivre les traces de leur mère avec sa lecture et ses études, tandis qu'elle et Edmund cherchaient difficilement leur voie face à deux chemins déjà pris.

« Tu en as rêvé aussi, lui dit-elle simplement en lui offrant un sourire qu'elle aurait voulu moins sibyllin.

Il n'avait fait que hocher la tête, ses cheveux blonds de nouveau suffisamment longs pour tomber devant ses yeux. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il ne lui parlât que peu, se rendant dans la direction générale du balcon où Susan s'était rendue avant lui et qu'elle avait quitté comme Lucy quelques minutes auparavant; à bien des égards, ses aînés la considéraient encore comme l'enfant qu'elle avait été jadis, frêle et un peu trop naïve.

Plus souvent que pas, Lucy aurait aimé qu'ils comprennent que sa voie à elle n'était ni la leur, ni celle de leurs parents; que comme elle, ni Susan, ni Peter n'avaient à suivre un chemin bien particulier déjà tracé et longuement arpenté par d'autres avant eux. Elle aimait à penser que c'était là la raison pour laquelle son frère et sa sœur ne comprenaient pas sa satisfaction d'être à Narnia, ou la joie et la gaieté apparente qu'elle affichait de façon régulière (sauf peut-être en des heures plus sombres où la situation ne s'y prêtait guère), ou même son émerveillement encore intact pour chaque petite chose qu'elle avait l'opportunité d'apercevoir. Ed avait fait bien du chemin depuis le menteur qui disait n'être jamais entré ce soir-là dans l'armoire, et ses jeux méchants avaient un long moment viré au cauchemar avant que leur guerre d'usure ne finisse par prendre place dans ce pays étrange où ils avaient atterri tous les quatre.

Narnia, avait-elle soupiré de nombreuses fois dans le désert des couloirs de Cair Paravel, se demandant où ce monde cherchait à les mener. Edmund avait trouvé sa place auprès de la Sorcière, si bien que la prophétie en devenait trop tronquée pour être possible; le tour que lui et Jadis leur avaient joué à la Table de Pierre bien des années auparavant n'arrangeait pas les choses. La repentance d'Ed n'avait été qu'un prétexte pour sacrifier Aslan – la bataille qui avait suivi s'était terminée par leur retraite dans les bois, et Jadis riant au milieu de ses statues de pierre. Elle ne lui avait jamais pardonné d'avoir tué leur unique chance de gagner, comme Susan et Peter ne lui pardonneraient jamais de se sentir à sa place aux côtés de la Sorcière (et comme, ne put-elle s'empêcher de penser, ils ne lui pardonneraient jamais d'avoir pris un chemin différent du leur). Pour autant, cela ne se mettait que rarement entre elle et Edmund lorsqu'ils se rencontraient dans les bois, échangeant quatre mots entre deux batailles et trois troncs trop fins pour cacher entièrement leurs visages inchangés.

Puis, un jour où personne ne songeait plus à rentrer depuis longtemps, la présence d'Edmund avait disparu de la forêt où il se retranchait si souvent; par un espion bien installé, ils avaient appris qu'Ed était reparti dans leur monde à la recherche de quelqu'un capable d'apporter la victoire à sa reine.

Une personne capable de tromper la mort, leur avait-on dit.

Le conseil en avait longuement discuté, et l'épilogue de leurs débats n'avait pas été plus éclairée que les raisons qui avaient poussé Edmund à les trahir; aucune conclusion effrayante, pas un avenir plus sombre qu'un autre n'avait été tu, ce jour où leur frère avait trouvé le moyen de revenir sur leurs pas à tous, retraversant l'armoire vers un inconnu qui n'était peut-être même plus leur monde – pourtant, tous trois le savaient réfléchi, infiniment calculateur, et par-dessus tout, logique. S'il n'avait pas cru intimement à la réussite de ce projet, il n'aurait rien tenté; la mission pas plus que la traversée.

La semaine précédente marquait le sixième mois de sa prétendue disparition.

Inlassablement, ils avaient tourné l'affaire en tout sens à la recherche de réponses; Susan plus posée que Peter, dont la colère grondait parfois plus fort que les orages de leurs rares automnes. Puis, à chaque nouvelle interrogation soulevée par l'absence d'Edmund s'ajoutait une autre concernant sa mission dont les détails leur demeuraient toujours si obscurs; le peu de prisonniers qu'ils avaient fait durant ces derniers mois n'en savait pas plus qu'eux, le plus souvent encore moins, et si leur recherche frénétique d'indice n'avait pourtant rien donné, cela n'empêchait ni Susan, ni Peter, de s'interroger.

« Pourquoi la Sorcière voudrait-elle d'une telle personne ?

- Existe-t-elle seulement ? Renchérit Susan, son ton plein de toutes les incertitudes qu'elle n'osait pas nommer.
Lucy les avait regardés, haussant les épaules avec cet air un peu timoré qu'elle prenait lorsque ses aînés l'interrogeaient; se sentant coupable d'une petite bêtise, elle finissait toujours par leur en avouer l'étendue exacte avant qu'ils ne la découvrent par eux-mêmes – ça, c'était dans leur Londres d'il y avait bien des années, et non dans le Narnia d'aujourd'hui où les mimiques de Lucy disaient autant sa timidité que sa propre incertitude.

- Il a été établi par le passé que la magie de la Sorcière ne peut nous éliminer – Narnia ne l'autorise tout simplement pas, leur avait-elle rappelé comme une évidence. S'il se trouve qu'il existe une personne capable de « tromper la mort », pourquoi se rendre dans l'autre monde afin d'aller l'y chercher, alors que notre fratrie en est l'exemple le plus parfait et le plus proche ?
Peter avait soupiré, d'agacement toujours - la fatale et improbable idée qu'ils ne vieillissent jamais assez lui paraîtrait toujours trop étrangère pour qu'il la croit vraie (ou tout simplement possible; il préférait croire que leurs années ici étaient ralenties, de la même manière que le temps de Lucy dans l'armoire n'avait jamais impacté la demeure du professeur Kirke).

- La magie doit vivre ailleurs qu'à Narnia, pour que pareil miracle existe; c'est d'ailleurs qu'il est bien réel, si notre frère s'y jette ainsi sans craindre de disparaître. »

Leur débat houleux s'était alors clôturé là, sur le départ hargneux de Peter dont les humeurs ombrageuses achevaient toujours chacune des discussions concernant leur autre frère, comme s'il trouvait plus judicieux d'ignorer son existence jusqu'à ce qu'Edmund, ses loups et sa reine disparaissent finalement pour de vrai. Pourtant, l'ombre de leur frère planait autant que la leur sur ce monde, laissant son empreinte comme l'épée de Peter l'avait fait dans la chair de ses ennemis; les innombrables statues de pierre qui peuplaient leurs terres n'en étaient qu'un exemple de plus, ces immortelles gargouilles aux visages tordus dans des grimaces de peur étaient partout, laissées là par Jadis qui ne s'en souciait guère, et par leur armée qui n'osait plus s'en approcher, comme si la pétrification était devenue contagieuse.

(Lucy s'était d'ailleurs souvent demandée si ce n'était pas cela, tromper la mort : résister à la pulsion morbide qu'avait cette baguette de transformer les gens en statues).

Ses réflexions se turent; voilà que l'on venait à sa rencontre, cherchant, peut-être, sa compagnie (et, comme cela devenait de plus en plus souvent le cas, ses lumières; Peter et Susan la dépréciaient peut-être un peu avec tous ses rêves, mais jamais assez pour qu'elle n'y croit plus. Pourtant, Lucy était toujours la première à se trouver trop, trop voyante alors que le monde entier se fermait aux autres).

« Ma Dame ? »

Ses agents ne la nommaient jamais, et son frère et sa sœur jamais ainsi, de même que les habitants du château avaient appris à ne l'interpeller que par quelques rares « Reine Lucy » dont elle se défendait tout le temps; elle se sentait encore si petite, parfois, que le poids d'un tel nom lui faisait mal. En quoi le méritait-elle, ce titre, elle qui n'était qu'une enfant capable d'ordonner aux arbres d'espionner à son compte ?

« Oh, c'est toi, se reprit-elle en croisant le regard gris de celui qui était passé du statut d'invité à celui d'ami de Narnia.

- Moi, répondit-il, toujours souriant.
Ses longs cheveux noirs étaient aujourd'hui lâchés, signe que c'était un bon jour; si leur hôte n'était pas aussi taciturne que Peter en ses mauvais jours, il avait aussi ses humeurs et il ne faisait pas bon le déranger quand ses cheveux étaient arrangés autrement que maintenant – les fines boucles brunes s'arrangeaient harmonieusement autour de son visage, glissaient le long de ses joues rendues rugueuses par son début de barbe qu'il cultivait comme le souvenir de toute une vie.

C'était un homme étrange, apparu à Narnia plus d'une année auparavant, et qui s'était pris d'affection pour leur cause; il disait venir du même monde qu'eux, mais son époque avait du voir défiler la leur bien des années auparavant, confirmant les soupçons de Susan quant à cette histoire de temps déjà passé. Sans jamais l'évoquer clairement entre eux, chacun des Pevensie avait compris ce que cela voulait dire – tout ce que ça voulait dire : leur mère, leur père, leur horripilant cousin, la maison, plus rien n'était là pour se rappeler d'eux.

Seul eux quatre demeuraient, éternels témoins d'un autre temps.

- Toujours aucune nouvelle de ton frère ? S'enquit-il, soucieux.
Lucy lui fit signe que non, songeant toujours mais sans jamais rien en dire que l'inquiétude d'un presque inconnu paraissait plus sincère que celle de sa propre famille à l'égard d'Edmund; bien que leur invité soit tenu à l'écart de tout élément d'importance – comme l'était le reste du royaume, hormis le conseil restreint – il lui était impossible d'ignorer un fait que tout Narnia avait pu constater (souvent par l'intermédiaire des oiseaux de Susan qui courraient partout en scandant les nouvelles, qu'elles soient du palais, du front ou des forêts – même les îles n'ignoraient rien de ce qui se tramait sur le continent malgré leur éloignement) : Edmund avait disparu.

Disparu, peut-être n'était-ce pas le mot le plus approprié, mais que dire d'autre ?

Enlevé ?

Tué ?

Le dernier point semblait, étonnamment, le plus improbable de tous; peut-être parce que leur frère était trop débrouillard, ou plus prosaïquement parce qu'il s'agissait de leur frère et qu'ils connaissaient chacun toutes les misères de la guerre (la mémoire de leurs parents se faisait si ténue dans leurs mémoires à tous que parfois, et de plus en plus souvent, Susan cherchait leurs noms comme on oublierait celui d'un animal de compagnie mort il y a longtemps). Puis, il y avait aussi la réalité bien morbide soulevée par les membres de leur conseil restreint, seuls informés des derniers rebondissements dans cette affaire : si la Sorcière n'en avait rien su, de ce « départ » ne leur aurait-elle pas spontanément reproché la disparition de son plus fidèle soldat ?

Mort, Edmund ? Si Peter n'avait eu qu'une seule vérité à dire sur leur frère, ce serait celle-ci : qu'il était comme une mauvaise herbe, et qu'à moins de l'éliminer jusqu'à ses plus profondes racines, il serait impossible de le faire complètement disparaître.

- Aucune pour le moment, déclara finalement Lucy, tentant de cacher autant sa déception que son inquiétude.

Et puis, songea-t-elle alors comme pour se rassurer, il y avait cette histoire de mission. Trompe la mort, cela sonnait comme le surnom discutable du méchant d'un livre pour enfant. Ou d'un cheval (Susan avait marmonné quelque chose de similaire à plusieurs reprise, incapable de remettre exactement d'où provenait cette sensation de déjà-vu qu'ils avaient ressentie tous les trois; même Peter, pourtant leur aîné, n'avait aucune idée d'où cela pouvait bien provenir).

- Aucune, répéta-t-elle, soudain perdue dans ses pensées.

Oh, elle aimait son frère, malgré toutes les choses horribles qu'il lui avait faites, malgré toutes celles qu'il n'avait pas eu l'occasion de faire et qu'il complotait en secret avec sa reine; qu'il soit bon ou mauvais, ami ou ennemi, il était aussi son frère.

- Il reviendra vers vous, tenta de la rassurer ce presque inconnu plus concerné que Peter et Susan. Quoiqu'il en dise, on ne peut pas ignorer sa famille pour toujours – et renier ce pourquoi on existe. Mon frère –

Il s'interrompit, son visage soudain dur et son sourire rassurant figé dans une expression aussi douloureuse qu'endeuillée; puis, infiniment plus bas et plus doucement, il reprit :

- Mon petit frère s'est cru capable de beaucoup pour compenser mon absence – il n'en a fini que plus perdu, lui chuchota-t-il, sa voix rendue rauque par toute l'émotion qui en irradiait. Le tien m'y fait penser, ajouta-t-il en riant, d'un coup bien amer.
- Edmund n'est pas mauvais, ressassa Lucy, encore, et si Susan avait été là elle lui aurait répété, encore, de laisser tomber celui qui avait peut-être causé leur perte à tous.
- Non, l'approuva-t-on. Mais si ce n'était qu'une question d'être bon ou mauvais, ni ton frère, ni le mien n'auraient agi comme ils l'ont fait. Avec du recul, je ne pense pas que nous soyons en mesure de comprendre; peut-être avaient-ils besoin d'autre chose, quelque chose que nous ne pouvions pas leur apporter ?
Lucy acquiesça difficilement, la douloureuse et pourtant si familière sensation de suffoquer étreignant sa gorge comme une vieille ennemie dès qu'elle évoquait Edmund; oh, il était aisé de laisser tomber, de se dire que s'il agissait ainsi ce n'était pas par amour, mais bien par haine, et que pris dans les griffes de la Sorcière Blanche il n'était plus en mesure d'être sauvé.

- J'aurai voulu faire tellement plus, lui souffla-t-elle dans un murmure plus étranglé qu'elle ne l'aurait voulu.
Il lui sourit, et dans ses yeux il lui sembla lire tous les je sais du monde.

- Merci, Sirius.
- De rien, Lady L. Une idée de l'endroit où se cache ton autre frère ? Le blond ?
Lucy lui indiqua le chemin du doigt, riant de nouveau, rassurée par les paroles sages de cet homme venu d'ailleurs et dont l'histoire se rapprochait finalement beaucoup de la leur; après tout, n'était-il pas apparu peu après que Susan ait sonné sa corne lors d'une embuscade à l'issue désespérée ? Sirius avait surgi d'à travers la cascade en amont du gué de Beruna, la surprise de sa présence provoquant un joyeux chaos à l'issue duquel Susan avait pu s'échapper du champ de bataille avec ses hommes; sa capacité à se transformer en gros chien noir leur avait quelques fois permis d'éviter le pire, bien qu'il n'ait pas tenu à leur en expliquer l'origine, tout aussi étonné qu'eux de s'être trouvé là (et, en toute logique, méfiant). D'un commun accord, les Pevensie avaient décidé de lui accorder le bénéfice du doute, et la possibilité de garder chacun de ses secrets en l'état, si tel était son désir.

De lui, ils ne savaient finalement que trois choses : sa seconde apparence, un nom qui ne leur disait rien, et la certitude que la corne de Susan ne se trompait jamais.


« Je ne suis pas persuadé que ce soit une bonne idée, tenta derechef Neville, se laissant trainer par la manche par Brown, persuadée, elle, que l'idée était on ne peut plus bonne.

- Moi si, s'impatienta Lavande en trépignant face à une énième salle de classe. Alohomora, lança-t-elle, un Lumos déjà au bord des lèvres pour y voir plus clair.

Le bref éclat de lumière qui traversa la salle de classe suffit à la convaincre qu'elle n'était pas ici, non plus – vide, soupira-t-elle, un bref Collaporta plus tard refermant magiquement la porte. Reportant son attention sur la Carte du Maraudeur, Lavande entreprit de passer à la salle suivante, ignorant les pleurnicheries de Londubat qui trainait des pieds derrière elle, à demi caché sous la Cape d'Invisibilité.

- Moi, non, insista-t-il.

- De quoi tu te plains ? Marmonna-t-elle en se retournant vers l'endroit général d'où sa voix provenait, agacée. T'as la cape, j'te signale.

- La cape, ricana-t-il en se redressant de tout son haut, ne cache pas tout !

- T'as qu'à les couper », lui siffla-t-elle en continuant vers l'autre bout du couloir, ses boucles blondes ramassées dans une queue de cheval voltigeant par-dessus ses épaules, s'agitant de droite à gauche au rythme de ses pas; comme Neville, elle avait laissé ses robes au placard, trop heureuse de pouvoir finalement les enlever après une semaine entière d'agonie dans les chaleurs de la Grande Salle qui tentait maladroitement de les rafraîchir en conjurant des images de pluies. Ce qui a eu tendance à lui donner pas mal envie de pipi, mais Lavande n'était pas certaine qu'Ombrage soit capable de comprendre l'importance cruciale de cet élément en plein examen théorique de Métamorphose.

Qu'elle avait géré, comme les Sortilèges et la Divination – elle voyait déjà son père regarder ses notes d'un œil critique, ses félicitations laconiques malgré les notes relativement correctes que Lavande ramenait chaque été. Les devoirs n'étant pas notés comme les BUSEs ou les ASPICs; de toute façon, sa mère n'y prêtait qu'une attention moindre, ses encouragements vagues depuis que sa fille n'avait pas poursuivi les Potions ou la Botanique, leur préférant la Divination ou l'Astronomie.

Pas ma faute si j'ai un don, avait-elle répliqué face à ses parents le jour des résultats, l'insolence même. La gifle qui avait suivi avait été accompagnée, elle aussi, d'un petit ce n'est pas de ma faute si tu n'as aucun don, Lavande.

Pourtant c'est là, avait-elle reniflé en montant les marches jusqu'à sa chambre, prenant soin de taper des pieds et de claquer sa porte, des larmes de rage perlant à ses yeux et sa joue pulsant douloureusement contre le sort de fraîcheur qu'elle avait jeté à un bout de mouchoir mal rangé, c'est réel, avait-elle murmuré encore et encore plusieurs minutes durant, la certitude que son don n'était pas un mensonge solidement ancrée en elle.

« Lavande ? »

Aucun autre nom sur la carte que les leurs, trainant tardivement dans les couloirs à la recherche de quelque chose qui n'était certainement plus là – mais il fallait qu'elle le voie par elle-même, et Neville aussi, même s'il se dégonflait à chaque nouvelle porte que Lavande forçait avec une facilité assez étonnante.

« Tu crois que j'ai attendu mes quinze ans pour faire le mur ? » S'était-elle moquée à leur première effraction, lui offrant un clin d'œil enjôleur.

Neville avait soupiré, se demandant à quel point on pouvait être Serpentard sans pour autant y être réparti.

« Hm ?

- Si on la trouve, commença-t-il avec la prudence pesante des gens qui ne se sentant pas à l'aise en l'absence d'un plan très – trop – bien défini, qu'est-ce qu'on en fait ? C'est pas comme si –

- T'as jamais écouté Pevensie se la raconter, pas vrai ? Le coupa-t-elle avec un dédain amusé. Bon ok, moi non plus – ou pas beaucoup, se justifia-t-elle en rougissant un peu, visiblement gênée par l'aveu. Mais il est sorti de ce truc, se reprit Lavande, sourcils froncés face à la carte dans ses mains, et je pense que s'il en est venu, il est sûrement reparti par-là, aussi. »

Neville hocha la tête, convaincu par le regard franc de Brown, sa conviction à l'idée qu'il n'y ait pas que ça, la disparition d'un ami dont le Lord Noir n'avait pas revendiqué la réussite.

Si Harry est mort, entendait-il encore la voix de Granger grincer dans le couloir, les braises ardentes qui lui servaient d'yeux braqués sur son dos et y perçant des trous, Voldemort l'aurait clamé haut et fort.

Pas son genre, le silence, avait renchérit Ronald.

« Après tout, Dumbledore l'a laissé se pavaner pendant des mois sans rien dire – c'est que ça devait être provisoire, se convainquit Lavande, sa baguette orientée vers l'autre bout du couloir.

Tu y as réfléchi longtemps, n'osa-t-il pas lui dire.

Ses doigts quittèrent l'invisibilité rassurante de la cape et vinrent presser l'épaule de Lavande, qui s'arrêta de marcher un instant. Neville l'entendit distinctement inspirer, puis expirer avec lenteur, son souffle tremblant et le Lumos leur renvoyant au visage toute la blancheur immaculée des pierres pâles du sol.

- On les retrouvera, lui murmura-t-il.

- Ouais », renifla Lavande en dégageant doucement son épaule de la prise de ses doigts.

Difficile de croire qu'après des années dans la même Maison, ils n'étaient devenus proches que maintenant – et c'était un regret qu'elle portait dans son cœur, sans être certaine qu'il en soit de même pour Neville ou Potter ou ce bourge de Pevensie. Peut-être que ce n'est que moi, se laissait-elle souvent aller à douter, parce que Neville avait la loyauté des Poufsouffle et que Harry était, Harry. Pevensie n'était qu'un archétype dans cette équation et ne devrait pas être pris en compte, jamais.

Il leur faut quatre portes supplémentaires pour boucler l'étage et conclure, triomphale, qu'il leur restait environ quatre heures pour terminer le dernier couloir qu'elle avait sélectionné pour leur petite aventure nocturne.

« Est-ce que c'est un rendez-vous ? »

Ça avait eu le mérite de la stopper nette, rien qu'un instant; plus haute que lui dans les escaliers, les quelques marches qui les séparaient lui donnaient des airs de grande dame, et ça rappela à Neville les vieilles photos de sa grand-mère, installées mouvantes sur la cheminée, et surtout celle où une jeune Augusta se retournait à l'appel de son nom depuis les portes du hall menant à la Grande Salle, souriante, l'élégance même dans sa longue robe noire brodée de perles.

Mais ce n'est que Brown, son visage à demi mangé par les ombres, en chaussettes dans les couloirs du château pour ne pas faire trop de bruit; Lavande, en mission Harry Potter, qui haussa les épaules et se retourna sans lui répondre, se rattrapant vivement à la rambarde de pierre pour ne pas tomber –

« Foutus escaliers ! Jura-t-elle du plus silencieusement qu'elle put, frottant son genou qui avait heurté violemment le plat d'une des marches. Neville ?

- Ça va, lui répondit-il, sa main dépassant seule de la Cape et s'agitant pour la saluer.

- T'es con, rigola Brown en se relevant. Vite, avant que ces connards décident de nous ramener à la Tour… »

Il leur fallut une petite demi-heure pour rejoindre le début du bon couloir, Lavande profitant du détour pour vérifier quelques salles selon « la loi du hasard », « son intuition féminine » ou tout simplement parce que :

« Cette porte a une sale gueule, Neville.

- Ce qui a une sale gueule, avait-il répliqué en regardant tout le vide de cette énième salle par-dessus l'amas de cheveux blonds devant lui, c'est qu'on a encore croisé personne. Tout le monde fait la fête ? Même Granger ? S'était-il à demi inquiété.

- C'est bien pour ça que t'as la Cape et pas moi, gros malin. J'ai de la chance, toi. Toi, décida-t-elle une seconde de réflexion plus tard, un sourire satisfait pendant sur ses lèvres, t'as la trouille.

- Je suis prudent, se défendit-il sans en prendre offense. Et comment ça t'as de la chance ? C'est pas toi qui a fini congelée à l'infirmerie, y a pas six mois ?

- Si, ricana-t-elle en refermant la porte, qui rappela étrangement à Neville les grands X rouges qu'il avaient peints au Ministère un an auparavant.

Le lever du soleil jetait des ombres roses et oranges sur les murs, déjà.

- Mais j'ai de la chance, répéta-t-elle. Un peu trop…

Neville ne se laissa pas avoir par le leurre évident de sa phrase, se doutant que la question ne serait pas aussi facile à poser à un autre moment – et que celui-ci menaçait de passer.

- De la chance ?

Lavande acquiesça, marchant désormais à côté de lui.

- J'ai le Don, lui avoua-t-elle, riant nerveusement, sa gêne palpable. Je – je ressens des choses, quand je touche des objets ou quand je… Tu connais les déjà-vus ?

- Oui…

- J'en ai tout le temps. Ou souvent. Je sais pas si ça compte comme de la Divination, mais Sybille – Trelawney, clarifia-t-elle, n'est pas motivée pour parler d'autre chose que de philosophie quand je vais la voir. Donc je ne sais pas…

- Et tes parents, ils en disent quoi ?

Elle ne lui répondit pas tout de suite, visiblement pas à l'aise avec la question.

- Peut-être que Dumbledore aurait su, s'aventura-t-il à penser tout haut.

- Dumbledore est mort, Neville, l'interrompit Lavande sans s'énerver, la remarque un simple constant douloureux malgré tout.

- Je sais bien, s'excusa-t-il en ramassant toute la longueur de la cape sur ses épaules.

Lavande lui lança un coup d'œil des plus suffisants.

- J'étouffe, se justifia Neville, le haut de son corps alternant entre visible et invisible à chaque mouvement de la cape.

- Comme tu veux, lui souffla-t-elle d'une voix doucereuse, un sourire mauvais sur le visage. Encore six et on est bons, ajouta-t-elle, ses yeux scrutant la Carte du Maraudeur. Passage cuisine après ?

- Putain, oui, approuva-t-il avec toute la force d'une faim soudaine et l'envie grandissante d'une part fraîche de cheesecake au citron, un coulis de framboise tout aussi glacé pour l'accompagner –

- Deal. »

Ce fut lorsque Lavande posa sa paume sur l'avant, avant-dernière porte que Neville laissa tomber l'idée d'un dessert d'été à cinq heures du matin, ses sourcils blonds froncés dans une expression de parfaite incompréhension tandis qu'elle ouvrait la porte sans l'aide d'aucun sort, la poussant vers l'intérieur, ses doigts pâles contre le bois sombre ressemblant aux bras d'une étoile.

« Purée », siffla Brown en lui faisant signe d'entrer à suite, vite, refermant la porte derrière eux avec la précipitation enfantine de quelqu'un qui aurait trouvé ses cadeaux de Noël avant l'heure.

Sauf que, malgré tout le dévouement qu'elle y avait mis, ce n'était pas l'armoire qui les attendait dans la salle de classe de la chance; plutôt, ce qu'il devinait être un large miroir à demi recouvert d'un linge jauni et crasseux, cerné de moulures dorées et de gravures étranges dont Neville ne comprenait pas le sens.

« Riséd elrue ocnot –

- Je ne montre pas ton visage mais de ton cœur le désir, lut Lavande à voix haute, interrompant son déchiffrage. C'est le Miroir du Risèd, Neville, chuchota-t-elle, comme face à l'incarnation d'une légende.

- Le quoi ?

- Un miroir magique, commença-t-elle en imitant le ton très professoral de Granger quand elle se décidait à leur réciter un paragraphe entier d'Histoire de la Magie, qui te montre ton plus noir, secret désir. Il paraît que pas mal de personnes sont devenues folles en cherchant à savoir si ce qu'il montre est juste possible, et si oui comment. L'Homme dans toute sa splendeur, résuma-t-elle, un peu fataliste.

- Donc on ne va pas enlever le drap qui le recouvre, devina Neville.

- On ne va pas, confirma Lavande en faisant pourtant le tour de la chose, plus grande qu'eux et pas loin de toucher le plafond et toutes ses toiles d'araignées.

- Comment tu sais tout ça ? S'autorisa-t-il à lui demander, la regardant toucher du doigt les moulures.

Brown haussa les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance.

- Trelawney, répondit-elle, le nom n'expliquant rien mais tout à la fois. On y va ? »

Ils refermèrent précautionneusement la porte, n'y ajoutant aucun sort qui puisse éveiller l'attention, un rapide sort de ménage remettant toute la poussière qu'il avait dérangée à sa place, effaçant les traces de doigts que Lavande avait pu laisser sur le fameux miroir.

« Cuisines ? Lui proposa Neville alors qu'ils s'apprêtaient à monter les derniers escaliers jusqu'à la tour.

- … Peut-être une autre fois – désolée, s'excusa-t-elle en se mettant à remonter les marches en silence, pensive.

- Tu veux que je te ramène quelque chose ? Lui proposa-t-il malgré tout, lui rendant la cape qu'elle jeta négligemment par-dessus son épaule.

Ils s'étaient mis d'accord sur le fait que son sac, quoique peu protégé et facile d'accès, restait le seul endroit où Granger ne chercherait pas les affaires de Potter. Et puis, avait ajouté Lavande face aux doutes silencieux de Neville, le charme est discret, il est dans une des poches du fond… Je ferais gaffe, l'avait-elle rassuré, soupirant face à son manque de confiance en elle.

- T'en auras pas besoin ?

- Non, si tu ne veux rien de spécial, je vais aller rejoindre les Poufsouffles. Ils comptaient faire la fête jusqu'aux aurores, précisa-t-il en risquant un coup d'œil aux fenêtres. Et puis, si je n'apparais pas au moins un peu, ça risque de faire jaser…

Il risqua un coup d'œil incertain dans sa direction, sûr que Lavande avait pourtant déjà entendu toutes les rumeurs les concernant.

- Bonne soirée, alors, lui dit-elle, de nouveau arrêtée dans les marches. On se voit demain ?

- Oui, le rassura Neville, se dirigeant déjà vers les bons escaliers. Bonne nuit », lança-t-il derrière lui, descendant déjà les marches.

Lavande lui sourit, se remettant à monter.

Le miroir, ne lui avait-elle pas dit, mais se rappelant distinctement la voix de crécelles de Sybille lorsqu'elle lui avait expliqué ce dont il s'agissait, gravures anciennes et moldues à l'appui, servait aussi à détecter les sorciers. Pour nous brûler.

Elle passa la cape sur ses épaules, observant le portrait endormi de la Grosse Dame dans la pénombre du couloir.

Il n'y a que nous qui puissions voir un avenir dans du verre, Miss Brown.