Notre vie

Partie 2 : Passé

Un jour. Les silences de sa mère ont envahi le manoir et l'ont rendu définitivement lugubre. Harry Potter est intervenu en sa faveur. Pas pour celle de son père. Il est libre, son père est à Azkaban il reçoit des lettres d'insultes et doit supporter les ragots de Rita Skeeter dès qu'il ouvre la Gazette du sorcier. Un an déjà, un an pour rattraper l'année qu'ils ont perdu de Poudlard. Il l'a supporté en silence, il l'a supporté en baissant la tête et en ravalant son amertume. Il veut partir. Loin. Il veut oublier. Et dans la salle où Slughorn lui demande ce qu'il veut faire 'malgré ses probables difficultés', il y un prospectus, une école en Grèce. Droit International. Ce n'est pas ce qu'il veut, mais il ne souhaite plus rien. C'est un début.

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Un jour. Lui, désœuvré, solitaire, traînant ses pensées noires et son mal-être dans les rues trop claires de la Plaka, observant avec ennui les environs factices et pour touristes. Elle, dans une rue un peu plus bas, une robe de coton blanc qui avait attiré son regard. Elle, un sourire tendre alors qu'elle se penchait un peu pour écouter ce que l'enfant qui tenait sa main voulait lui dire. Et puis elle avait disparu dans la foule des touristes, et il n'y avait rien, sauf l'impression qu'il la connaissait d'autre part, et le souvenir de cette robe blanche, lumineuse.

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Un autre jour. Lui, assis seul à une table, lisant ses cours distraitement, ruminant la dernière lettre de sa mère qui racontait leur quotidien, à Londres, leur déchéance qui persistait, le silence de son père à Azkaban. Il avait levé la tête, et elle était là, de nouveau, le même sourire tendre, sans façon. Elle ne le regardait pas, mais elle parlait avec des amis, de quelque chose qu'il ne pouvait pas entendre. Et puis, une seconde, ses yeux s'étaient détournés vers lui, l'avait fixé, avant de revenir vers le groupe qui l'entourait. Elle n'avait pas perdu son sourire.

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Des jours. Il avait découvert qu'elle suivait le cours de droit magique international avec lui, dans le grand amphithéâtre. Il s'était informé, discrètement, avait appris avec surprise qu'elle faisait partie d'une famille de sang pur – ce qui l'avait immédiatement rassuré au fond de lui-même – mais n'avait rien su de plus. Des jours, et son sourire le distrayait des nouvelles de sa mère, des racontars dont s'emparait Rite Skeeter dans la Gazette, du silence de ceux qui se prétendaient ses amis.

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Un jour. Il avait oublié les parchemins qu'avaient distribué le professeur, et elle s'était assise, par hasard, à côté de lui. Il avait hésité, rangé son reste de fierté au placard, et s'était tourné vers elle pour lui demander s'il pouvait suivre sur elle. Elle lui avait sourit comme elle souriait à tous les autres, changement agréable, parce que même ici on savait qui il était, ce qu'il avait fait. Ils n'avaient pas plus échangé pendant le cours, parce que le cours avançait rapidement et qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'en perdre une miette. Et à la fin, elle avait tendu la main – disant son nom, Héléna. Il la lui avait serré, étonné de se sentir aussi à l'aise en prononçant son prénom. Elle n'avait pas fait de commentaires, juste un hochement de tête, et à la prochaine. Il se traita d'idiot lorsqu'il pensa que cela sonnait comme une promesse.

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Des jours. Généralement, il préférait rester seul. Pas parce que la taille de son ego avait rétréci, pas parce qu'il n'avait plus besoin de se mettre en avant. Mais c'était douloureux, maintenant. Dire son nom, c'était dire sa déchéance, celle de sa famille, affronter l'opinion publique et sa désapprobation. Il devinait, quand on venait le voir, la question qui planait – c'est vrai ce que l'on dit de toi ? Et il savait la vérité : peut-être pas le pire, mais le reste... Et il ne savait plus, depuis trois ans, depuis que Severus avait tué Dumbledore à sa place, il ne savait plus rien. Le nom, la fierté des Malfoys qui faisait son quotidien avait brusquement disparu, et il était seul. Alors il était parti, pour trouver d'autres réponses, pour ne pas s'enfermer au Manoir, comme son père, et contempler leur gloire passée, pour ne pas se lamenter avec sa mère des choix qui les avaient conduit à cet état.

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Une fête. On l'avait invité, parce que son nom voulait encore dire quelque chose, et que sa mère était venue le voir en Grèce. Mais il était seul, une coupe de champagne à la fin, lassé des futilités, toujours les mêmes d'un bout à l'autre de l'Europe, et sans doute du monde. Il n'avait pas envie de rester, de se perdre entre deux sourires, deux flatteries, deux remarques assassine. Et c'est alors qu'il l'avait vue. Elle était différente, dans une robe de soie grise, ses cheveux auburns relevés en un chignon complexe et élégant. Elle semblait soudain sophistiquée, l'une des mondaines qui peuplait le salon de sa mère, ses lèvres figées en un demi-sourire qui laissait tout comprendre et ne disait rien, navigant avec aisance d'un groupe à l'autre. Et elle l'avait vu, son sourire s'était élargi, avait retrouvé la simplicité qui lui plaisait. Elle était venue vers lui, avait plaisanté sur le besoin de conserver leurs relations et l'avait entraîné dans le jardin, où ils avaient pu parler loin de la fête.

Elle s'adressait à lui presque familièrement avec des mots que chez lui, on ne réservait qu'aux amis les plus intimes, amis qu'il avait perdu de vue maintenant. Il s'était surpris à lui rendre la pareille, assoiffé de cette conversation désintéressée. Il s'était surpris à être honnête, à afficher son dégoût pour ces soirées futiles – son père était prisonnier à Azkaban, et lui était là, et tout cela n'était qu'une aparté dans la grande pièce qu'ils voulaient tous jouer. Merlin, qu'il les haïssait ! Qu'il leur en voulait à tous de leur légèreté cruelle, et de cette obligation qui pesait sur lui à regagner leur rang, à jouer leur jeu !

Elle n'avait pas sourit. Elle n'avait pas utilisé de ces phrases philosophiques qui ne servaient qu'à clore une discussion. Elle n'avait même pas semblé embarrassée de son débordement. Non. Elle l'avait écouté. Et puis, doucement, elle lui avait demandé si l'Angleterre lui manquait. Il avait rit, amer, il avait rit pour ne pas pleurer, et il avait avoué – sa terre lui manquait comme un fou. Il avait gardé ses larmes enfermé dans son cœur, mais elle avait dû les entendre dans son rire et lui avait serré l'épaule, et murmuré qu'un jour, il rentrerait. Qu'un jour, il aurait laissé cette période de la vie derrière lui.

Et il y avait cru. Désespérément.

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Un jour. Le 25 mars, jour férié. Cette année-là, c'était un lundi. Il ne savait comment occuper ces trois jours : comment faire bonne figure dans ces fêtes où il n'y connaissait rien, dans cette culture auquel il était étranger, par choix et par nécessité ?

Elle l'a invité chez lui. Elle a transplané dans une île aride, où le ciel prêt à pleurer et où la verdure printanière ne masquait pas la terre sèche et les chemins de pierre. Il a découvert des falaises abruptes, parfois ocres, parfois blanches. Elle l'a mené le long d'un sentier de chèvre jusqu'à une grande demeure blanche au mur épais, sur un promontoire. En bas était niché un village moldu, aux murs blancs de chaux et au port encore traditionnel. En haut, il y avait des chèvres et du soleil, et cette maison qui respirait la magie. Il y avait un elfe de maison qui baragouinait quelques mots d'anglais avec un accent grec à couper au couteau, certain de faire plaisir à son invité, sans savoir que son sortilège de traduction était court-circuité et que Drago avait le plus grand mal à le comprendre.

Il y avait un monde fou, des grands-père et des grands-mère, des oncles et des tantes, une myriade de cousins, un frère et une sœur beaucoup plus jeunes, des nièces et des neveux... Tout cela réuni avec des amis plus ou moins proche dans un joyeux remue-ménage qui laissait la place, à l'heure des repas ou lors du passage dans le petit salon, à une tenue de Sang-Pur irréprochable. On l'a considéré avec un peu de mépris et beaucoup de méfiance, mais il était invité et il était poli. Héléna lui soufflait à l'avance les pièges à éviter et elle était de la famille. Assez pour qu'il soit, peut-être pour la première fois, assez à l'aise pour ne pas forcer son sourire pendant des heures.

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Un jour. Les premiers répits après les giboulés de mars. Le printemps qui arrive avec la chaleur et le soleil qui frappe déjà sa peau trop pâle de jeune anglais. La nature qui se bouscule, les jours déjà riants. Héléna l'emmène a Delphes, aussi joyeuse que le retour du beau temps, aussi vivante que la terre encore humide que n'attaque pas encore le soleil. Elle a une robe claire, et ses cheveux auburn reflètent le soleil, en deviennent presque roux. Elle est belle, elle sourit et n'arrête guère de parler. Il l'écoute – ces moments sont assez rares pour qu'il n'en sache pas la valeur. Elle est infatigable, l'emmène à l'Institut de Recherche des Prophéties où elle salue une tante, aux ruines sorcières, puis grimpe le Parnasse en se moquant gentiment de ses protestations. Elle semble savoir où elle va, et s'arrête soudain. Il y a une fontaine, il y a une vue splendide. Elle se tait, et lui aussi.

«Un mois encore, et tout sera sec, murmure-t-elle soudain. Le printemps ne dure jamais ici...»

Et par Circé, il ne sait pas pourquoi il l'attire à elle et l'embrasse, il sait encore moins pourquoi elle ne proteste pas et reste dans ses bras après. C'est le printemps, la terre est encore humide, Héléna est belle dans sa robe blanche et tâchée par la marche, et Blaise et Pansy lui ont envoyé des lettres pour s'enquérir de sa santé. À Londres sa mère s'est réconciliée avec Androméda et travaille à reconstruire son cercle de connaissance. Son père va sortir de prison, un jour.

La vie continue, et il en fait encore partie.

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Des jours. Le soleil se fait plus vif, les fleurs se fanent déjà pour devenir fruit. Les examens s'approchent et il redouble de travail. Héléna est toujours là, maintenant, dans un coin de ses pensées ou à côté de lui, peu importe. Ils ne parlent pas de ce baiser. Les yeux de la jeune fille brillent, pourtant, quand elle le regarde, et il se demande souvent pourquoi – il n'est plus grand chose d'admirable depuis qu'elle le connaît. Mais elle a le sourire des femmes qui savent, ce sourire de Joconde, un peu moqueur, un peu tendre, un peu mystérieux. Il ne lui pose pas de question, il parle de son retour à Londres pour l'été, de ses retrouvailles avec sa mère, avec ses amis, avec sa terre. Il échafaude des projets sans elle. Elle l'écoute, et semble heureuse pour lui.

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Des jours. Il est rentré, des notes plus qu'acceptable aux examens – et pas d'Hermione Granger qu'il aurait dû dépasser. Il a dit au revoir à Héléna, lui a promis d'écrire souvent. Il a retrouvé sa chambre d'enfant, et sur un coup de tête, décide de tout ranger. Seul. Il vide ses armoires, ouvre ses archives. Aére ses souvenirs, les bons, les mauvais, ceux qui brillent encore de ses ambitions enfantines. Il ne dirigera pas le monde. Il ne sera pas son père. Il ne sera pas l'égérie de la société sorcière. Mais il ne sera pas non plus la victime qu'il dépeignent encore. Il ne se laissera pas décliner avec la chute du Seigneur des Ténèbres. Il ne suivra pas les fanatiques dans leur décrépitudes et dans leurs rêves déchus. Il se relèvera. Il se relève déjà.

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Un jour. Il s'est rendu sur la tombe de son parrain presque en cachette. Il a déposé des fleurs sur sa tombe en se sentant terriblement stupide. Rogue n'aurait jamais apprécié des fleurs sur sa tombe. Mais que peut-il lui offrir d'autre ?

Il aurait aimé lui parler de la Grèce, de sa chaleur et des études qu'il y mène, et d'Héléna. Il aurait aimé lui demander pardon pour les deux dernières années où il était vivant. Il aimerait lui dire tant de choses, mais le souvenir de sa voix s'estompe déjà un peu, et son visage est déjà immortalisé avec de rares photographies. Bientôt deux ans. Deux ans que son parrain est mort, deux ans que la vie continue.

Deux ans, et trois encore avant de revoir son père sortir de prison.

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Des jours. Les lettres d'Héléna se sont accumulées sur son bureau. Elle ne lui raconte pas grand chose d'important. Elle l'entretient de ce qui se passe chez elle, des dernières pitreries des plus jeunes, de la maladie de sa grand-tante. Des riens, sans queue ni tête, des riens qui font une vie. Il lui a dit la même chose, lui a parlé de ses amis, de sa mère dont les joues sont moins creuses et les cernes moins marqués, de celui-qui-a-survécu qui n'échappe jamais aux journalistes pour le meilleur et le pire.

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Un jour. Il lui a proposé de venir chez lui. Sa mère veut organiser de nouveau des réceptions. Il craint les silences qui suivent les invitations, les absents et le silence lourd de ceux qui sont là. Il ne tiendra pas si sa mère échoue. Il ne tiendra pas s'il ne voit pas qu'ils regagnent un peu de crédit chez les autres sorciers.

Héléna arrive, avec quelques bagages et son sourire. Il retrouve sa robe grise, il retrouve le chignon sophistiqué, il retrouve la dame du monde des soirées grecques. La soirée n'est pas une franche réussite. Elle n'est pas un échec non plus. Il présente Héléna et papillonne entre les groupes, presque soulagée de la voir attirer l'attention, de voir converger les regards vers cette petite nouvelle étrangère et pourtant capable de se fondre dans ce beau monde. Sa mère aussi le voit et sur son visage, Drago y lit un espoir inavouable : peut-être que c'est cette enfant qui a les clefs pour rentrer de nouveau dans la cour des grands.

Et Drago s'avoue aussi qu'il espère la même chose.

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Des jours. Héléna lui manque. Il veut souvent se tourner vers elle, mais elle n'est pas là. Il n'arrive pas à parler de la Grèce, de ce qu'il y a vu. Il sait qu'elle pourrait le dire, mais lui n'a pas les mots. Ni ceux pour dire que le soleil est comme une lame d'acier, clair et sauvage, ni ceux pour dire les collines sèches emplies de résineux et d'arbustes rasés par le vent. Il faut des signes, il faut abandonner le sujet pour ne pas s'embourber.

Il a envie de la voir. L'été se traîne de jours en jours. Il songe que peut-être qu'il est amoureux d'elle.

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Un jour. Le revoilà sous le ciel gris d'Angleterre. Héléna ne lui a pas écrit depuis plusieurs jours : elle doit préparer sa propre rentrée en Grèce. Il se sent seul. Il se sent minuscule, écrasé par les regards méprisants qu'on lui adresse de nouveau.

Et soudain, un appel. Il se retourne, elle est là, elle sourit. Il reste muet de surprise, elle rit de lui. Il a oublié que les accords d'échanges sont dans les deux sens, et elle se moque de lui, puis avoue, plus sérieuse, qu'elle n'a eu la confirmation et l'accord de sa famille que depuis quelques jours, qu'elle a occupé à faire ses valises et ses adieux. Il se sent léger.

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Des jours. Il retrouve la mondaine des soirées grecques, plus rarement la jeune femme au sourire lumineux qui oubliait la poussière sur sa robe. Au fond de lui, il est rassuré. Cette Héléna est à sa hauteur, elle appartient au monde qu'il doit conquérir de nouveau. Il ose songer à l'embrasser de nouveau, à un futur avec elle à son bras. Elle cultive son apparence de femme du monde, et bientôt est suffisamment à l'aise pour naviguer à son aise dans la société sorcière. Elle n'a plus besoin de lui mais elle reste toujours là, dans la familiarité aisée qui les a rapproché depuis le début.

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Un jour. Ils ont bu un peu trop de Whikey Pur Feu pour fêter un anniversaire et ils décident de partir en avance. Elle rit sans pouvoir s'arrêter, ses cheveux s'échappant du chignon dans un joyeux désordre, ses joues trop rouges. Il doit être débraillé et dans un état aussi cocasse que le sien. Peu importe, ils sont seuls pour le moment. Il la raccompagne jusqu'à la chambre qu'elle occupe, généreusement offerte par l'école, et ils restent figés sur le pas de la porte. Ses lèvres sont humides, agitées par des sourires fugaces, les restes de ses fou-rires. Il se sent léger, il se sent fou, et se penche vers elle pour goûter ses lèvres. Elles ont un goût d'alcool, elles sont chaudes. Héléna a arrêté de respirer une seconde. C'est elle qui murmure que « je t'aime » attendu quelques secondes plus tard. Ses yeux brillent. Il se promet d'être celui qui la demandera en mariage, si tout va bien.

Et tout ira bien.