Bonjour tout le monde, voilà un nouveau chapitre, en m'excusant pour l'attente :)
Bonne lecture à vous !
Playlist :
Threnody - Goldmund
Mezzanine - Massive Attack
River - Alexandre Desplast (The Tree Of Life OST)
Tangiers - The Bourne Ultimatum OST
Heartlines (Acoustic) - Florence & The Machine
Rebellion (Lies) - Arcade Fire
No Trace - MS MR
Comes And Goes - Greg Laswell
Terrible Love - Birdy
Severus And Stone - Radical Face
Le communicateur collait à sa paume moite. Elle s'était complètement plaquée contre la stalagmite. Contre sa joue droite, elle pouvait sentir le contact suintant et glacé de la roche. Contre sa jambe pendait le piolet, qu'elle agrippait d'une main fébrile.
Quinn attendait. Sa respiration était saccadée et elle la maîtrisait avec peine, tout comme les frissons qui parfois menaçaient de la faire trébucher.
Elle s'était préparée à attendre longtemps... mais elle se demandait si elle en serait capable... Il était possible que les bêtes passent sans la remarquer, cependant d'autres pouvaient aussi arriver. La grotte se résumait à leurs allers-retours incessants, Quinn et le reste de Glee Club avaient pu l'expérimenter au cours des derniers jours.
Les bruits se poursuivaient à l'autre bout de la salle. Quinn essayait de les prendre comme ils venaient, mais à chaque tapotement, à chaque froissement elle se crispait un peu plus... Elle paniquait un peu plus... Elle le sentait à sa respiration qui se faisait de plus en plus sifflante.
Elle ferma les yeux, serrant les paupières de toutes ses forces. Voir cette obscurité insondable était insupportable... Peut-être que si elle se contentait d'une pénombre à laquelle elle était accoutumée...
Brusquement, elle repensa à Beth. Retenant un hoquet, elle se frotta les yeux pour se débarrasser de l'image de la petite bouille trop familière...
Mais c'était inutile.
...
...
Elle se balança d'un pied sur l'autre et observa le nuage de buée qui venait de se former devant sa bouche. Il voleta pendant quelques secondes, avant de se volatiliser au milieu de la neige qui tombait à gros flocons. Avec un soupir, elle réajusta son écharpe et enfouit les mains dans ses poches, essayant de se protéger du froid.
Jusqu'au 24 décembre au soir, elle avait regretté l'absence de neige... Eh bien à présent, pensa-t-elle, elle était servie...
Se retournant, elle contempla la rue qu'elle avait traversé d'une démarche traînante. Les lieux se couvraient d'un manteau blanc sur lequel le soleil gris se reflétait avec une clarté aveuglante. Quinn plissa les yeux et reporta son attention devant elle.
Les rues avaient été désertées, à la fois à cause du temps et des fêtes... Le bleu pâle du manteau de Quinn était presque doux au milieu du blanc agressif de la neige. Elle baissa les yeux et contempla pensivement ses bottes alors qu'elles s'enfonçaient dans le sol pelucheux, au rythme de sa démarche régulière.
La masse imposante et inesthétique du centre commercial se dessina à l'horizon. Au milieu du ciel gris et dissimulé à demi par la neige, il prenait la forme d'une grosse créature. Quinn avait déjà fait cet itinéraire maintes fois... Cela lui rappela ses joggings avec Liz. Lorsque toutes deux en avaient le courage, elles allaient jusqu'au centre commercial... S'arrêter un instant pour observer les vitrines étaient leur récompense.
Des cris lui parvinrent à travers la bulle dans laquelle elle s'était laissée entraînée. Elle aperçut des silhouettes qui couraient en tout sens, au bord d'un trottoir. Des boules de neige volaient. Quinn se déporta sur la droite, en évitant une de justesse. Tournant la tête à gauche, elle entrevit les contours d'un parc. Quelques formes hardies se mouvaient sur les jeux pour enfants. Quinn s'arrêta un instant.
Elle avait souvent joué dans ce parc. Ses parents l'y avaient emmenée... Puis, quand Liz avait été assez âgée, sa mère les avait laissées y aller simplement toutes les deux.
« Mais pas de bêtise hein ? » disait-elle avec son sourire inquiet un peu crispé.
Liz lui répondait alors par son rictus serein si caractéristique. Et Quinn s'efforçait de tenir en place bien sagement, en dépit de son impatience.
Elle se demanda comment est-ce que l'on pouvait oublier combien il était simple d'être un enfant... Elle voyait ces silhouettes dévaler le toboggan ou se disputer les balançoires... et elle avait le vague souvenir d'avoir fait pareil à un moment. Mais c'était le souvenir d'une autre Quinn à une autre époque... Si elle avait pu remonter le temps pour dire à cette enfant ce qu'il adviendrait d'elle, aurait-elle si ardemment souhaité grandir pour être « forte comme Papa, intelligente comme Maman et talentueuse comme Lizzie » ?
Si quiconque avait pu faire ça, Quinn était persuadée qu'il n'y aurait eu d'adultes nulle-part... Ç'aurait été un monde peuplé d'éternels enfants, cruels les uns envers les autres mais d'une façon tout à fait inconsciente... D'une façon tout à fait innocente...
Le parc était à une centaine de mètres de là. S'en approcher, c'était changer de quartier... Changer de quartier, c'était prendre le risque de croiser des gens qu'elle connaissait. Quinn hésita, se balançant d'un pied sur l'autre. Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas jeté de coup d'œil au parc... A la vérité, elle l'évitait à tout prix depuis que son père était parti de la maison... Mais il y avait de la neige et les lieux ne ressemblaient sans doute pas du tout à ce qu'ils étaient par beau temps... Elle n'aurait pas mal...
C'était juste un parc.
Ses pas la portèrent sans qu'elle put résister... sans même qu'elle chercha à résister. Elle jeta des coups d'œil aux maisons de part et d'autre d'elle alors qu'elle traversait l'allée menant au parc en silence. Elle s'arrêta derrière un arbuste que l'hiver avait transformé en un enchevêtrement de branches tortueuses et d'un œil intrigué, observa les enfants occupés à jouer.
Leurs piaillements ressemblaient à ceux d'oisillons surexcités... Ils couraient en tous sens, se pourchassant les uns les autres. Un bambin se mit à pleurer à chaudes larmes en réalisant qu'il était trop court sur pattes pour monter sur une balançoire. Un autre entreprit de grimper le toboggan en sens inverse alors-même que deux filles avaient décidé de le dévaler. Les parents se précipitèrent pour éviter la catastrophe. Quinn observa tout cela avec le sentiment d'être étrangère à la scène.
Et elle l'était.
Dans leurs manteaux rembourrés, leurs larges pantalons et leurs grosses bottes, les enfants ressemblaient à des gnomes. C'était d'autant plus vrai quand on les voyait courir. Cela arracha un sourire un peu incrédule à Quinn. Ce fut une des rares fois où elle pensa à Charlotte sans amertume ni douleur.
Au milieu de la marée de gnomes émergea soudain un regard familier. Les yeux noisettes scintillèrent. Ils étaient à peine visibles, au milieu du col qu'on avait remonté jusqu'au nez rosi par le froid, et du bonnet enfoncé sur le crâne, d'où dépassait quelques boucles blondes. Puis, le gnome se retourna et tituba péniblement derrière un autre gnome, handicapé par son pantalon.
Quinn chancela, le souffle coupé. Pendant un instant, l'univers entier parut se figer. Son cœur cessa de battre, le silence se fit autour d'elle et elle n'entendit plus rien, si ce n'est les tambourinements qui résonnaient douloureusement dans son crâne.
D'une main, elle agrippa le grillage du parc. De l'autre elle se frotta les paupières.
La neige continua de tomber autour d'elle. Les enfants de s'égayer dans le parc. Mais elle resta là, figée, tétanisée, et cherchant du regard une seule chose, une seule personne, se disant qu'elle hallucinait, que ce n'était rien, que dans la seconde tout reviendrait à la normal, avec elle et ce vide dans la poitrine, elle et cette nostalgie incompréhensible, elle et ces regrets et ces questions stériles.
Mais de nouveau, le gnome émergea du petit groupe avec lequel il s'amusait. Quinn reconnut les yeux de Puck. Elle reconnut les sourcils caractéristiques. Elle reconnut le nez arrondi qu'elle, et sa sœur avant elle, avaient arboré très tôt sur les vieilles photos de famille. Elle s'égratigna la main en enfonçant ses doigts dans les fils métalliques qui constituaient le grillage.
Au milieu de tout ce maelström d'émotions qui l'assommaient émergea une étincelle de raison. Elle se demanda ce qu'elle faisait là, dans ce parc, à Lima. Elle se dit que cela n'avait pas de connexion logique avec ce qu'elle croyait qu'il était advenu d'elle, car en effet, elle était censée avoir déménagée. Et elle pensa aussi que sielle se trouvait ici, c'était forcément accompagnée d'une autre personne.
Péniblement, elle releva les yeux de la silhouette rondelette qui gambadait et chercha du regard l'autre personne. Elle la trouva assise sur un banc, discutant tranquillement avec d'autres parents. Les mêmes cheveux bruns ondulés, la même aura que Rachel...
Quinn lâcha le grillage et recula en titubant. Ses yeux se collèrent de nouveau à elle, mais cette fois-ci, elle eut l'impression que la simple vue de cette forme emmitouflée dans toutes ses couches de vêtements la brûlait. Elle fit maladroitement volte-face et parcourut l'allée en sens inverse. Les nuages de buée qui se formaient devant ses lèvres étaient précipités et fugaces à présent. Elle avait à peine conscience du froid glacial qui parfois venait s'immiscer entre les plis mal arrangés de son écharpe. Elle repassa devant les gamins absorbés dans leur bataille de boules de neige. Elle les regarda d'un air égaré et trébucha sur le trottoir. Une boule siffla juste à côté de son oreille gauche mais elle ne la remarqua pas. Les enfants crièrent des excuses et rirent presque aussitôt après.
Elle avisa le paysage autour d'elle.
Tout était blafard. Tout était blanc.
...
...
Les bruits avaient cessé depuis quelques secondes. C'était peut-être le moment. C'était peut-être l'accalmie qu'elle attendait. Elle émergea de ses pensées et leva le communicateur devant elle. De ses doigts tremblants, elle l'alluma de nouveau. L'image sur l'écran vacilla, grésillante, et elle se trouva face à deux individus qu'elle ne connaissait pas. A leur droite, Kurt se rongeait les ongles. Leurs expressions s'animèrent en la voyant.
« Quinn... soupira Kurt.
- Je n'ai pas beaucoup de temps... murmura-t-elle d'un ton urgent. Dépêchez-vous, s'il-vous-plaît.
- Où êtes-vous ? demanda l'un des deux inconnus.
- Je ne sais pas.
- Vous devez savoir... juste un minimum. Essayez de trouver un coin d'où l'on pourra vous orienter. »
Quinn voulut discuter, mais elle se rendit compte qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Retenant son souffle, elle émergea de derrière sa stalagmite et se mit à avancer tout droit. Elle finirait bien par heurter une paroi à un quelconque moment...
Elle essaya de s'en convaincre.
« Ça va aller, Quinn... lui glissa Kurt. Les secours sont bientôt là. C'est promis. »
La jeune femme atteignit finalement un angle. Elle effleura la roche humide de la pointe de son piolet.
« J'y suis... dit-elle. Qu'est-ce que je fais ?
- Retournez-vous, murmura l'autre inconnu. Retournez-vous et indiquez-nous ce que vous voyez devant vous. »
Son champ de vision ne portait pas plus loin que quelques concrétions. Elle les décrivit d'une voix frémissante, incapable de détourner les yeux de l'obscurité pour regarder ses interlocuteurs.
« A votre gauche... est-ce que vous voyez une corde ? » demandèrent ceux-ci.
Quinn tourna son attention vers la paroi. Celle-ci disparaissait dans le noir et même s'il y avait eu une corde - celle que le Glee Club avait laissée dans la panique, elle s'en souvenait à présent - elle n'aurait pas pu la distinguer. Elle entendit les voix lui dirent de longer la paroi. Pendant quelques secondes, ses jambes refusèrent de lui obéir. Puis, elle se fit violence. Appuyant le bras qui tenait le communicateur contre le mur froid, tendant le piolet devant elle de l'autre main, elle se mit à progresser avec précaution. Des mèches de cheveux lui collaient au front et le sac l'entraînait parfois en arrière quand son équilibre lui faisait défaut.
Soudain, la corde apparut devant elle. Elle eut un mouvement de recul, surprise.
Le cœur battant la chamade, elle leva les yeux pour observer la façon dont la corde disparaissait dans les ténèbres. Sa chute avec Santana lui semblait remonter à une éternité... tout comme la façon dont Rachel était venue la sauver.
Elle repensa à l'étrange moment où la brunette avait fondu en larmes dans ses bras. Son estomac fit un saut périlleux et elle ne sut pas très bien si c'était de la peur ou autre chose.
« Bon, voilà notre point de repère... dit l'un des deux secouristes.
- Poursuivez jusqu'au prochain coin, ajouta l'autre. A partir de là, on devrait pouvoir vous aider à trouver un endroit sûr où vous cacher. »
Quinn baissa les yeux sur l'écran pour contempler leurs visages absorbés.
« Et... combien de temps est-ce que je vais devoir attendre ? »
Les autres échangèrent un regard.
« Les prévisions sont aléatoires, répondit l'un d'eux. Nous pensions à l'origine que vous seriez tous dehors à l'aube, mais vous avez eu vos problèmes successifs avec les bêtes et-...
- Combien de temps ? demanda Quinn avec sécheresse.
- Une heure au minimum... » soupirèrent-ils.
Une heure au minimum.
Une heure.
C'était tout ?
Ils erraient tous là depuis plusieurs jours... et elle n'était qu'à une heure (au minimum, se répéta-t-elle, au minimum) de la délivrance ? Le temps avait beau s'égrener avec plus de lenteur dans cet endroit anxiogène, cela n'avait pas d'importance... Il lui suffirait de compter les secondes pour ne pas perdre ses repères...
3600.
Elle n'aurait qu'à compter jusqu'à 3600...
Elle essaya de revenir à la réalité, effrayée de constater combien l'espoir lui était venu facilement.
Reportant son attention sur les secouristes, elle acquiesça péniblement. Sur le coin de l'écran, Kurt gigotait, agité. Elle voulut lui dire que tout allait bien se passer, que c'était bientôt fini, mais elle n'en eut pas la force. C'était peut-être faux. Tout cela n'aurait peut-être jamais de conclusion. Ou si il y en avait une, ce serait une conclusion morbide...
Elle se remit en route, longeant prudemment la paroi. Lorsqu'elle atteignit le coin, il lui sembla bien que les bruits reprenaient. Elle s'était déplacée d'une telle façon qu'à présent, ils semblaient provenir de devant elle. Droit devant... Droit devant et elle se trouverait face aux bêtes.
Elle se tourna vers l'écran, s'efforçant de maîtriser son angoisse. Les deux secouristes étaient de toute évidence absorbés dans l'observation d'un plan. Kurt leur jetait de temps en temps des coups d'œil paniqués.
« Très bien... Faites quelques pas... dit l'un des deux adultes.
- Quelques pas ? » répéta-t-elle dans un souffle.
Quelques pas, c'était se rapprocher des monstres. Elle les entendait bouger dans l'obscurité. Ils ne l'avaient pas encore attaquée mais ce n'était qu'une question de temps...
« Quelques pas, insista l'autre. Allez-y. Vite. »
Elle s'exécuta, telle une marionnette.
« Arrêtez-vous quand vous aurez trouvé une ouverture... »
Elle continua d'avancer. Soudain, son bras frotta contre des contours irréguliers. Tournant le regard, elle aperçut un semblant de couloir. Tout de suite, elle le trouva terriblement étroit. Elle pouvait sans mal se tenir debout dedans, mais pour y entrer, il lui faudrait au moins avancer en crabe... Elle n'aurait même pas la possibilité d'emmener le sac avec elle... Sa respiration s'accéléra et tous les souvenirs de l'effondrement d'un tunnel, de son évanouissement dans un autre, lui revinrent en mémoire.
Plic, ploc.
Plic, ploc.
Tournant le regard vers la source des bruits, elle chercha à sonder l'obscurité. Voir quelque-chose aurait été un soulagement et une horreur à la fois.
« Vous devez abandonner le sac... murmurèrent les voix. Prenez le nécessaire et mettez-le dans votre sacoche. Ensuite, engagez-vous par là. »
Quinn fixa leurs visages pixelisés avec désarroi. L'un des deux secouristes se pencha vers l'écran et dit d'un ton rassurant :
« Je sais que cela fait peur... Mais il vous suffit de passer ce couloir et vous serez à l'abri jusqu'à ce que l'on vous trouve.
- Je n'ai pas peur. » répliqua mécaniquement Quinn.
Elle se baissa pour déposer le communicateur et le piolet devant elle, puis, avec un sentiment d'urgence dans le creux du ventre, elle se débarrassa de son sac pour le déballer. Ses mains fouillèrent fébrilement les affaires. Elle eut l'impression de déclencher un véritable vacarme dans le silence pesant de la salle. Elle fit de son mieux pour se concentrer sur sa tâche. Il lui sembla cependant que les bruits se faisaient plus nombreux devant elle.
Il y avait deux boîtes d'allumettes... Elle les mit dans sa sacoche. Une barre de céréales... Elle l'attrapa maladroitement. Une gourde à moitié remplie... Elle se rendit soudain compte qu'elle avait très soif et l'attacha du mieux qu'elle put à sa ceinture. Il y avait trois piolets et son estomac se retourna lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ne pourrait jamais les emmener à sa suite. Agacée par son impuissance, elle décida cependant de les caler dans sa ceinture, avec sa gourde. Elle trouva aussi des ampoules et puisqu'elle avait encore de la place dans sa sacoche, elle en prit trois.
« Ne vous chargez pas trop, dit un des secouristes, préoccupé. Il faut encore que vous puissiez passer.
- Vous croyez ? demanda Quinn.
- Bien sûr... » répondit l'autre, ne remarquant pas le sarcasme dans son ton.
Elle vérifia qu'elle n'avait rien oublié d'important et laissa le sac là. Levant les yeux, elle vérifia qu'il n'y avait rien en vue. Elle ne distingua rien. Mais les bruits, eux, se poursuivaient.
« J'y vais... » murmura-t-elle.
Elle examina la largeur du couloir d'un œil nerveux. Elle ne pourrait jamais passer avec sa sacoche... Elle ne pourrait jamais passer avec tous ces piolets... Serrant les dents, elle réajusta les outils sur sa ceinture de façon à ce qu'ils pendissent de part et d'autre de sa taille. Quant à sa sacoche, elle l'enroula autour de son cou, resserrant les attaches au maximum. Elle entendit les ampoules s'entrechoquer contre sa mâchoire.
« Bien vu. » entendit-elle l'un des secouristes lui lancer.
Elle ne répondit pas et se contenta de ramasser le communicateur et le piolet. Levant les bras, elle prit une grande inspiration et s'engagea dans le couloir étroit, avançant à petits pas. Aussitôt, elle sentit son dos frotter contre la roche ; en même temps, la sacoche, pratiquement pleine à craquer, se trouva légèrement comprimée par l'autre paroi. Elle passait de justesse. Mais elle passait.
Elle pensa confusément qu'avec un casque, elle n'aurait rien pu faire. Si elle l'avait encore eu, elle aurait sans doute dû l'abandonner derrière elle, comme le sac.
« C'est bien, grésillèrent les voix. Vous vous en sortez très bien. Continuez. »
Les parois se resserraient tellement à certains endroits que la roche lui chatouillait le nez, le compressant même parfois. La sensation d'enfermement qui la tenait dans son étau était insupportable. Mais elle poursuivait malgré tout, pensant à ces 3600 secondes qu'elle aurait à compter une fois de l'autre côté.
Quelque-chose lui effleura soudain la cheville droite. Elle parvint tout juste à tourner la tête pour apercevoir la bête qui essayait de l'agripper et de la ramener en arrière. Avec les froissements de sa combinaison, et sa respiration sonore, et le sang qui battait dans son crâne enfiévré, elle ne l'avait pas entendue approcher. Son cœur eut un raté et elle agita aveuglément le piolet qu'elle tenait dans la main droite. C'était une mauvaise idée. Sa marge de manœuvre était trop réduite pour lui permettre de porter un coup signifiant. La bête en profita pour s'accrocher à son bras.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda la voix alarmée de Kurt.
Retenant un cri, Quinn essaya de se dégager. Un bruit de déchirure retentit et le piolet lui échappa des mains. Avec un cliquetis, il se retrouva coincé au milieu du couloir. Une autre bête arriva pour prêter main forte à la première. D'un geste convulsif, Quinn ramena le bras le long de son corps. Son poignet l'élançait.
« Quinn ? Quinn ! »
Elle ignora les voix des trois autres et accéléra... autant qu'elle le pouvait. Les créatures tendaient leurs bras maigrelets, essayant de se frayer un passage dans les lieux étroits. Quinn pouvait entendre leurs halètements bruyants qui se rapprochaient.
Soudain, un crissement résonna dans le couloir et baissant les yeux, elle vit que la pointe d'un de ses autres piolets était venu se loger dans un creux. Tirant vers la gauche, Quinn tenta de se débloquer. Mais le piolet ne fit que crisser de plus bel, la ralentissant. Les bêtes s'efforçaient toujours de s'introduire à sa suite, gigotant maladroitement.
De sa main droite, Quinn attrapa le piolet par le dessus pour le retirer de sa ceinture. Dans la faible lumière du communicateur, elle eut le temps de voir la griffure qui lui barrait tout l'avant-bras. Avec un léger clapotis, des gouttes de sang commencèrent à tomber au sol. Les halètements des créatures devinrent sifflements surexcités. Ignorant la nausée qui lui retournait l'estomac, Quinn tira de plus bel sur le piolet. Mais la pointe métallique ne voulait pas se déloger de là.
Quinn était coincée.
Réfléchis, réfléchis...
Les voix nasillardes du communicateur résonnaient à sa gauche. Levant les bras, elle transféra l'appareil dans son autre main. Tâtonnant sur son côté gauche, elle attrapa un des deux piolets qui y pendaient de sa main désormais libre.
Une des bêtes parvint à agripper sa cheville. Elle se débattit aussitôt. Mais les griffes s'enfoncèrent dans sa basket. L'autre créature s'approchait déjà.
C'était sans espoir...
Contrôlant tant bien que mal la panique qui l'étouffait, Quinn coinça le communicateur entre sa mâchoire et la sacoche, puis transféra le piolet qu'elle avait récupéré de sa main gauche à sa main droite. Cette fois-ci, elle se montra plus prudente. Elle donna un coup précis à la bête qui la tirait par la cheville. Cela suffit à peine à la faire saigner, mais au moins le monstre lâcha avec un couinement. Profitant de cette accalmie, Quinn frappa la roche devant elle, donnant de petits coups dans le creux. Sous la pointe métallique, la roche broncha à peine. Mais ce n'était pas le but... Elle voulait simplement sortir le piolet qui la gênait de sa position bloquée. Il lui suffisait de donner un coup suffisant pour le décoincer... C'était tout... La roche était glissante, c'était faisable...
« Qu'est-ce que vous faites ? Si quelque-chose vous retient, abandonnez-le ! Dépêchez-vous ! »
Les voix résonnaient contre son cou, envoyant des vibrations jusque dans ses cordes vocales.
Elle sentit la texture poisseuse du sang dans sa main. La griffure qui lui barrait l'avant-bras continuait de saigner et la roche sous elle se teintait de rouge rubis.
Les deux bêtes avaient été rejointes par une troisième. Comprenant que sa situation était vraiment hors de contrôle, Quinn pesa de tout son poids vers la gauche, espérant dégager le piolet bloqué. Mais l'outil s'obstinait, bien rivé au creux.
Soudain, un cliquetis résonna dans l'espace exigu et Quinn se sentit basculer sur le côté. Elle vit le sol venir à sa rencontre et se rattrapa tant bien que mal à la roche pour s'empêcher de se cogner, bloquant le communicateur d'une main. Elle se donna à peine le temps de reprendre son souffle et reprit sa progression, serrant le piolet dans sa main sanguinolente.
Une issue se dessina devant elle. Un sol plat, des murs éloignés... Elle tendit le bras et agrippa la lisière du couloir pour se hisser à l'extérieur avec plus de rapidité. Derrière elle, les respirations bruyantes des monstres se poursuivaient.
Elle tomba à genoux à l'entrée du tunnel, un instant étourdie. Le piolet lui échappa des mains et elle vit le sang dont la lame brillante se teintait. Elle déposa précautionneusement le communicateur devant elle. Puis, elle se retourna fébrilement.
Le cou tendu, les yeux exorbités, les bêtes se contorsionnaient comme elles pouvaient pour avancer. Mais le couloir était trop étroit et elles ne parvinrent qu'à atteindre les premières gouttes pourpres que Quinn avait laissées derrière elle. Le cœur au bord des lèvres, la jeune fille les regarda lécher le sang avec fièvre.
« Quinn ? Vous m'entendez ? »
Incapable de détourner les yeux du spectacle, elle tâtonna et lorsqu'elle eut enfin mis la main dessus, elle leva le communicateur devant elle. Elle se rendit compte que son souffle était erratique au moment elle essaya de parler.
« O...Oui ? »
Elle remarqua l'expression décontenancée de Kurt. Les deux secouristes lui souriaient, mais il y avait quelque-chose de crispé dans leurs traits.
« Vous vous êtes très bien débrouillée, dit l'un d'eux. Votre sang-froid a été remarquable.
- Merci... » répondit-elle d'un ton âpre.
Elle se dit qu'elle ne pourrait jamais compter jusqu'à 3600 avec les monstres à quelques mètres d'elle. Elle voulait juste que les secours viennent la chercher. La question plaintive resta coincée en travers de sa gorge sèche. Elle eut pendant un instant envie de boire une gorgée de sa gourde mais elle se dit qu'elle avait trop peu d'eau pour se permettre de la gaspiller.
« Ils ne passeront pas, ne vous inquiétez pas, ajouta un secouriste.
- Tu... Tu t'es faite mordre ? » demanda Kurt avec inquiétude.
Elle rétracta précipitamment sa main droite. Cela laissa une traînée de sang sur l'écran.
« Non... juste griffée... murmura-t-elle. Et... je n'ai rien pour me soigner... »
Elle ferma les yeux, puis les rouvrit presque aussitôt.
« J'ai dû mal m'y prendre avec le sac... La trousse de secours était au fond et-...
- Cela n'a pas d'importance, Quinn... l'interrompit un secouriste d'un ton rassurant. Tant que la griffure est légère, cela peut attendre... Couvrez-la simplement avec quelque-chose pour éviter tout risque d'infection. »
La blonde acquiesça faiblement.
« Je vais le faire... » souffla-t-elle.
Elle releva les yeux vers les trois bêtes. Comme des chiots affamés, elles léchaient toujours les quelques gouttes de sang qui maculaient la roche sombre.
« Quinn... »
Avec difficulté, elle reporta son attention sur ses interlocuteurs. Les secouristes souriaient toujours ; Kurt s'efforçait de faire de même mais cela ressemblait davantage à une grimace.
« Vous avez été très courageuse, dit l'un des secouristes. Vous avez fait ce qu'il fallait... Il ne vous reste plus qu'à attendre, je vous le promets. »
Quinn hocha machinalement la tête, la gorge serrée.
« Je crois que je vais éteindre le communicateur... dit-elle brusquement. Je ne veux pas que les grésillements me fassent repérer. »
Les deux autres échangèrent un regard. Kurt entrouvrit la bouche mais ne trouva pas quoi dire.
« Éteignez simplement le son, dit l'un des adultes. Il vous faut une source de lumière.
- Je me suis très bien débrouillée sans, murmura Quinn avec un faible sourire. Et je n'ai pas trouvé de piles dans le sac... Je ne sais pas combien de temps il reste au communicateur et je ne veux pas perdre toute chance de vous parler quand j'en aurai vraiment besoin...
- Quinn, dit Kurt. Reste avec nous. »
Quinn fixa son regard sur lui et lui adressa son haussement de sourcil fabrayique.
« On se voit bientôt, Kurt... » chuchota-t-elle.
Rampant à demi, elle s'éloigna des bêtes qui s'affairaient toujours dans le couloir, jusqu'à ne plus les avoir dans son champ de vision. Elles ne pourraient jamais passer de toute façon... Pour cela, il leur aurait fallu être capable de se dresser comme un être humain... de marcher sur leurs deux pattes arrière... Quinn frissonna et posa le piolet à côté d'elle, à distance raisonnable de sa main droite.
« Très bien, Quinn, finit par dire un des secouristes. Une seule chose : faites attention à vous. »
La jeune fille sourit faiblement.
«Je ferai mon possible, murmura-t-elle.
- Dès que vous sentez que vous ne pouvez plus supporter l'obscurité, allumez le communicateur. Il y aura toujours quelqu'un pour vous parler. Si vous pouvez, essayez de trouver une autre source de lumière. Les allumettes sont toujours mieux que rien, mais leur durée de vie est trop limitée et chaotique. Sinon, je vous le répète, allumez le communicateur si c'est vraiment trop pesant.
- Ne vous éloignez jamais de votre communicateur, ajouta l'autre secouriste. Nous ne voulons pas vous perdre une nouvelle fois. Et essayez de ne pas trop vous éloigner de cet endroit. Les secours doivent vous trouver facilement. »
Une heure.
Une heure minimum.
C'était une éternité.
Quinn hocha la tête.
« D'accord. A... A tout à l'heure. »
Elle vit les sourires encourageants des deux secouristes. Elle aperçut le regard inquiet de Kurt. Elle éteignit le communicateur, le posa sur ses genoux et se laissa aller contre la paroi derrière elle.
Elle prit une grande inspiration, essayant de s'habituer aux vagues bruits émis par les créatures, dans le couloir étroit. A sa gauche, il y avait un énième boyau. Si la présence des bêtes se faisait trop oppressante, elle n'aurait qu'à y entrer et se recroqueviller dans un coin. Elle savait qu'elle ne tiendrait pas plus de quelques minutes dans cet endroit... Il lui fallait s'éloigner des monstres... Se replonger dans le silence de mort qui avait caractérisé sa progression avant qu'elle trouvât Kurt. Mais quelques minutes malgré tout... Quelques minutes de répit...
Et 3600 secondes à compter. Au minimum.
Elle acheva d'arracher le pan de combinaison qui pendait de sa manche droite et l'enroula du mieux qu'elle put autour de la griffure, faisant abstraction de la fébrilité de ses mains. Elle tâtonna pour faire un nœud correct et ignora sa respiration, de plus en plus accélérée, de plus en plus hors de contrôle.
Elle repensa à Beth. Elle repensa à Rachel. Elle repensa à Liz. Elle repensa à tous ceux qu'elle aurait voulu avoir auprès d'elle en cet instant... Elle se sentit sur le point d'exploser en sanglots silencieux épuisés. Les bêtes continuaient de gratter dans le tunnel, alors elle se fit violence pour tout refouler... Le cœur gonflé d'un amas d'émotions qu'elle ne voulait pas identifier, elle se frotta précipitamment les yeux et releva la tête, aux aguets. Elle essaya de percer l'obscurité de son regard, mais bien sûr c'était inutile. Il n'y avait que le noir le plus total.
Elle replia machinalement les genoux. Recroquevillée sur elle-même, elle écouta ces grattements insupportables. Elle avait besoin de se rassurer, de se prouver que les monstres ne pouvaient pas passer. Ceux-ci finirent par s'épuiser. Ils ne poussaient plus que de vagues halètements frustrés... et pourtant, ils paraissaient si proches. Quinn les entendit s'éloigner presque sans un bruit, et cela ne la soulagea en rien.
Elle était seule. Complètement seule.
Elle tâtonna la roche humide et sa main se referma convulsivement sur le communicateur. Elle fut tentée de le rallumer mais les grésillements paraissaient assourdissants dans le mutisme des lieux... Elle ne pouvait pas faire une chose pareille.
Dans la panique, elle en avait même oublié de commencer son décompte. Ses pensées s'emmêlèrent un instant dans son crâne épuisé et les chiffres se mirent à défiler lentement, laborieusement...
1...
2...
3600 ? C'était une éternité. Elle avait le temps de mourir mille fois d'ici là.
Elle contint une inspiration erratique et ramena les mains contre sa poitrine. Sa blessure au bras la picotait doucement. Ce n'était rien... Cela n'aurait même pas le temps de s'infecter...
Elle cligna fébrilement des paupières.
Contre son dos tremblant, la roche était froide, inconfortable... Des courants d'air traversaient sa combinaison déchirée...
Un froissement retentit à sa gauche. Elle se figea aussitôt.
Elle imagina des yeux laiteux qui la fixaient dans l'obscurité et sa main droite se referma autour du piolet qui gisait tout près d'elle. La lame de l'outil produisit un léger tintement. Quinn devina aussitôt une ombre qui se mouvait dans l'obscurité. Elle eut tout juste le temps de sentir la main gluante qui l'agrippait.
Son cri se bloqua dans sa gorge. Les yeux écarquillés d'horreur, elle balança le bras. Son piolet ne rencontra que le vide. Elle entendit la créature respirer bruyamment tout près de son visage et elle voulut hurler. Hurler de toutes ses forces, à en cracher ses poumons.
Mais elle était seule dans l'obscurité...
Elle aurait préféré mourir quand elle avait lâché Santana... La chute aurait été douloureuse, mais cela aurait été rapide... Elle aurait préféré mourir... Elle préférait mourir.
Pourtant, elle lutta. Sa main gauche effleura une colonne vertébrale tortueuse et aussitôt, elle donna un coup de piolet au hasard. Un couinement retentit. Elle frappa encore, la mâchoire serrée. Un liquide poisseux se répandit sur ses jambes crispées et la créature s'affaissa contre elle.
Aussitôt, Quinn se releva d'un bond. Les deux piolets qui pendaient à sa ceinture teintèrent sinistrement. L'esprit embrumé, elle tapa du pied devant elle. Sa semelle s'enfonça dans quelque-chose qui céda d'un coup avec un craquement répugnant. La bête ne fit plus aucun bruit. Quinn recula précipitamment. Elle avait la nausée.
Le cœur battant, les jambes secouées de violents tremblements, elle attendit. Elle gardait le piolet tendu devant elle. Mais sa main frissonnait tellement qu'elle manqua le lâcher à plusieurs reprises.
Brièvement, elle se demanda pourquoi elle se fatiguait ainsi... Pourquoi elle s'acharnait d'une façon si absurde...
Car elle préférait mourir. Cette lutte ne la concernait pas. Elle était seule. Personne ne saurait ce qui lui était arrivé. Personne ne saurait dans quelles conditions elle était morte. Elle pouvait se laisser dériver...
Personne n'en saurait jamais rien.
Un silence lourd était retombé sur les lieux. Précautionneusement, elle ouvrit sa sacoche et en sortit une boîte d'allumettes. Coincé sous son bras, le piolet frotta légèrement contre le tissu épais de la combinaison alors que Quinn s'efforçait de gratter une allumette.
Elle se disloquait tant qu'elle en gaspilla cinq avant d'obtenir une flammèche. Elle se trouva aussitôt devant les murs suintants et un énième trou béant. Derrière elle, le tunnel par lequel elle était passée. Son cœur eut un raté lorsque son attention s'arrêta sur la bête au crâne explosé, à ses pieds. Puis, l'allumette s'éteignit avec un soupir, soufflée par un courant d'air imperceptible.
Quinn sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. Une sensation de malaise la fit soudain suffoquer. Elle chercha une autre allumette. La boîte faillit lui glisser entre les doigts. Elle hésita un instant : voulait-elle vraiment voir ?
Mais son instinct de survie prit le relais et une nouvelle flammèche illumina la caverne. Son orange chaleureux mais vacillant dansa devant les yeux fébriles de Quinn. Elle avait rêvé. Elle était seule, encore.
Le soupir qu'elle retenait mourut dans sa gorge. Elle n'avait plus de place pour le soulagement.
L'obscurité l'angoissait de nouveau. Elle avait assez d'allumettes pour tenir 3600 secondes... Elle en gratta une autre.
La flammèche se refléta aussitôt dans les yeux aveugles qui se braquaient sur elle.
Un hurlement explosa dans la tête de Quinn, tandis qu'à l'extérieur elle restait mortellement mutique.
Elle donna un machinal coup de poing dans la face du monstre et l'allumette s'écrasa au sol avec un sifflement. Le noir se fit de nouveau. Le piolet qu'elle tenait toujours sous son bras tomba avec un claquement. On l'agrippa par les chevilles et elle se sentit glisser, impuissante : elle n'avait plus assez de force dans les jambes pour résister.
Ses dents s'entrechoquèrent alors qu'elle heurtait le sol. Quinn leva les bras, attrapa ce qu'elle trouvait et frappa de nouveau, avec une violence de plus en plus désespérée. Elle sentit ses mains s'enfoncer dans une cage thoracique, briser des membres, crever des yeux. Le dégoût se le disputait à l'horreur. Elle voulut se relever mais le corps d'une créature la ralentit. D'autres halètements retentirent devant elle, dans le couloir. Elle tâtonna à la recherche du piolet. Ses mains ne rencontrèrent que le communicateur et se refermèrent machinalement dessus.
Elle se releva en s'appuyant sur la paroi près d'elle. Les piolets tintèrent encore à ses côtés. Elle en dégaina un et le pointa droit devant. En dépit de la noirceur des lieux, elle devina les mouvements des formes. Des tapotements, des respirations sifflantes...
Elle envoya son pied en avant. Elle n'effleura qu'une forme, qui ricana et agita les bras pour l'attraper. Quinn retint un gémissement.
Elle entendit les bêtes renifler et machinalement, rétracta son bras droit. La griffure pulsait au rythme des battements précipités de son cœur, se rappelant à Quinn par sa douleur lancinante. La jeune femme eut soudain une conscience aiguë du sang encore frais qui maculait sa main, son poignet...
Sans espoir.
Abandonne.
Des dents claquèrent.
Elle donna un coup de piolet peu convaincu.
Combien y en avait-il ?
A qui manquerait-elle ?
A qui ?
Si quelqu'un devait mourir ici, c'était bien elle.
Hypocrite ! hurla une voix. Hypocrite ! Hypocrite. Sale hypocrite. Tu n'as même pas de bonne raison pour abandonner. Tu veux juste mourir. C'est tout. N'y cherche pas de logique. N'y cherche pas de but. N'y cherche pas de légitimité.
Non.
Menteuse, petite menteuse, jolie menteuse. Santana le sait mieux que toi : tu as lâché avant tout pour te perdre toi. Tu ne peux pas te mentir là-dessus.
Non.
Alors quoi ? Quel autre mensonge vas-tu trouver pour justifier tout ça ? Quel autre déguisement ? Quelle autre dérobade ?
Non.
Non quoi ?
Je ne veux pas mourir.
A la bonne heure.
Je ne veux pas mourir.
Je n'y crois pas une seconde.
JE NE VEUX PAS MOURIR.
Quelle autre alternative as-tu, ma pauvre Quinn ?
Sa respiration irrégulière rompit le silence. Elle sentit les bêtes qui se dressaient aussitôt, plus excitées encore.
Mais Quinn les devança et s'élança, oubliant un instant ses jambes en compote.
Le communicateur toujours serré dans la main gauche, elle asséna un violent coup de piolet à la première créature qui se jeta sur elle. Quinn sentit le souffle humide contre sa joue. Elle extirpa son piolet de la chair molle et faucha une deuxième créature, tandis que du pied, elle achevait la première.
Elle en entendait d'autres. Elle continua, se laissant possédée par cette rage revigorante, qui gardait le peur éloignée et qui lui faisait oublier combien la situation était désespérée. Son piolet se planta entre des côtes et y resta coincé. Quinn repoussa de justesse les mains qui l'agrippaient et se saisissant du dernier piolet qui pendait à sa ceinture, elle continua de frapper aveuglément.
Elle ne pouvait pas mourir. Pas là. Pas comme ça.
Pas maintenant.
Elle eut à peine conscience d'écraser une créature contre la roche. Le silence était retombé. Le contenu de sa sacoche, qu'elle n'avait pas eu le temps de refermer, s'était déversé autour d'elle au cours de l'affrontement. Elle s'accroupit et tâtonna. Sa main s'arrêta sur une boîte d'allumettes, la seule qui ne s'était pas ouverte.
En dehors de cela, elle n'avait qu'une barre de céréales et son briquet - ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle effleura la petite boîte de plastique, qu'elle avait complètement oubliée. Les grains de café et les pastilles de vitamine étaient allés se perdre au milieu du sang qui se déversait sur le sol suintant. Les ampoules avaient explosé au cours de son combat désespéré.
C'était tout.
Elle récupéra un piolet. Trois, c'était trop elle s'était montrée stupide.
L'allumette crépita contre ses doigts et elle la laissa tomber. Précautionneusement, Quinn enjamba les corps. Elle ne prit pas la peine de les compter alors qu'elle grattait une autre allumette.
Elle leva les yeux vers le couloir qui lui faisait face. Ses oreilles bourdonnaient trop pour qu'elle sût si elle était de nouveau seule.
Elle se força à marcher. Elle aurait voulu courir mais ses jambes étaient encore engourdies par la terreur des derniers instants. Dans sa main moite, le piolet dégoulinait avec des plic-ploc sonores. Elle avait coincé le communicateur entre sa ceinture et la bandoulière de sa sacoche.
Elle aurait pu l'allumer...
Quinn continua de mettre un pied devant l'autre.
Combien jusqu'à 3600 ?
Elle ne ferait que se mettre en sécurité. Dans un coin... Les secours la trouveraient malgré tout, n'est-ce pas ?
Elle s'arrêta après quelques minutes de marche somnambule et expira lentement. Elle avait gaspillé la moitié de sa boîte d'allumettes... Que lui arrivait-il ? Elle devait se montrer plus efficace.
Elle passa une main sur son front trempé de sueur.
Un autre froissement à sa droite, aux environs d'un croisement tortueux. Elle se dirigea vers le couloir du milieu, mi-trottinant, mi-boitillant, les muscles encore tétanisés. L'allumette qu'elle tenait entre ses doigts parut tenir à distance les deux bêtes qui s'esquissèrent à cet instant dans le couloir de droite.
Quinn ne se retourna pas. Sa main se resserra autour du manche de son piolet. Elle serra les dents, refusant de lâcher l'allumette encore crépitante. Elle entendit de légers tapotements derrière elle. Elle accéléra le pas.
L'allumette se mit à lui brûler malicieusement la peau. Elle essaya d'ignorer la douleur.
Alors ça y était, hein ? Elle était au cœur de la caverne, à l'endroit le plus infesté de monstres. Mais elle ne pouvait pas s'éloigner. 3600... Elle était si proche. Pourquoi cela devait-il lui arriver maintenant ?
Les secours me trouveront... Elle voulut s'en convaincre. Sa panique était telle qu'elle n'envisagea même pas d'allumer le communicateur pour tenir le chalet informé de sa position. C'était trop risqué. Elle ne pouvait pas ralentir.
Elle retint un hoquet et l'allumette s'écrasa à ses pieds avec un chuintement, l'enfermant de nouveau dans cette obscurité insupportable. Elle se mit à courir. Derrière elle, les tapotements accélèrent. Sa respiration se bloqua dans sa gorge et elle laissa sa main libre courir le long de la roche.
Le mur esquissa un léger virage à gauche. Elle le suivit tant bien que mal, se heurtant presque aussitôt à la paroi opposée. Le sang battait à ses tempes, rageusement, désespérément. Elle avait conscience de la température glaciale de cet endroit de la grotte, pourtant elle avait l'impression de se consumer de l'intérieur. Des clapotis résonnèrent devant elle et soudain l'espace sembla s'élargir : elle avait débouché dans une énième salle.
Elle ne se donna pas le temps d'hésiter et elle continua tout droit. Sa main gauche, tendue devant elle, rencontra les contours glissants d'une stalagmite et Quinn la contourna précipitamment. Les bêtes continuaient de la suivre. Il lui sembla bien qu'il y en avait même plus qu'avant. Elle ne pourrait pas poursuivre ainsi indéfiniment. Elle allait se faire tuer.
Elle prit le risque de baisser la main et chercha la fermeture de sa sacoche d'une main fébrile. Le zip retentit dans le mutisme des lieux, sinistre. Ses doigts glissèrent sur le plastique du briquet. Ils se refermèrent aussitôt dessus.
Oui. C'était cela.
Elle extirpa l'outil, déposa la boîte d'allumettes à moitié vide à la place et lutta un instant pour refermer la sacoche. Elle tenait toujours le piolet dégoulinant de sang rosâtre dans sa main droite.
Le zip explosa de nouveau. Elle fit volte-face et son pouce trouva péniblement la roulette.
Clic.
Elle se trouva nez-à-nez avec cinq paires d'yeux laiteuses, qui aussitôt reculèrent avec désarroi. La flamme trembla devant Quinn : trois des créatures étaient effroyablement grandes comparées à toutes celles auxquelles ils avaient dû faire face jusque-là.
Des adultes.
Elle eut l'impression que ses jambes se dérobaient sous elle, mais elle se fit violence pour ne pas s'effondrer.
Alors tout n'avait été qu'un mensonge. Ils avaient encore moins de chances que ce qu'il leur avait semblé. 3600... Le nombre lui semblait un mirage à présent.
Quinn lorgna les monstres d'un œil terrifié. Ceux-ci s'étaient dressés mais restaient aux aguets, alertés par la toute petite flamme dégagée par le briquet. Cela ne durerait pas longtemps. Cela ne servirait pas à grand-chose. Les adultes avançaient déjà imperceptiblement, comme pour évaluer la dangerosité de cette flammèche qui leur barrait la route.
Quinn jeta un coup d'œil par-dessus son épaule : le reste de la salle n'était qu'un trou noir. Même le plafond était trop élevé pour qu'elle pût en distinguer les contours. Une goutte de sueur se glissa dans le creux de son cou, lui arrachant un frisson.
Sans se donner le temps d'hésiter, elle relâcha son pouce et se remit à courir. Les bêtes poussèrent un hurlement derrière elle et elle accéléra du mieux qu'elle put. Cependant, elles étaient beaucoup plus rapides qu'elle. Tout à coup, des griffes s'enfoncèrent dans sa jambe gauche. Elle hurla, mit un genou à terre et puisant dans ce qu'il lui restait de lucidité, enclencha de nouveau le briquet.
La bête qui l'avait attaquée se rétracta avec un couinement. Quinn se redressa péniblement et lui fit face, agitant la flammèche sans conviction. Mais la créature et ses congénères ne bronchèrent pas et la jaugèrent de leur regard mort. Leurs narines frémissaient à peine.
La poitrine de Quinn se soulevait au rythme de sa respiration sifflante. Elle baissa les yeux sur sa jambe. Le tissu de sa combinaison se teintait petit-à-petit de tâches rouge sombre et un filet de sang dégoulinait déjà sur sa basket. La panique obscurcit un instant les pensées de Quinn, alors qu'elle entendait les monstres ricaner juste devant elle.
C'était fini.
Elle releva les yeux. Au même moment, un des adultes s'avança. Quinn brandit son piolet, le pointant dans sa direction. Mais ces créatures ne comprenaient pas la notion de mise en garde. Elles n'avaient rien d'humain.
Elles avaient juste faim.
Un deuxième adulte se rapprocha et Quinn recula. Un picotement brûlant lui traversa la jambe gauche et elle tituba. Cela parut donner de l'assurance aux prédateurs.
Quinn retint un gémissement.
Quelle fin horrible.
Mais au moins, personne n'en saurait jamais rien...
« OHE ! »
Les monstres détournèrent aussitôt la tête de Quinn. La jeune femme se figea.
« On sait que vous êtes là, bande de déglingués ! Laissez vos victimes tranquilles et venez si vous en avez dans le pantalon !
- Puck... ? » bredouilla Quinn.
Les bêtes reportèrent leur attention sur elle. Elle agita le briquet. Cela eut peu d'effet et les têtes s'orientèrent vers sa jambe, qui continuait de saigner.
Trois rais lumineux se matérialisèrent au loin, à l'entrée de la salle, jetant des ombres inquiétantes sur les concrétions. Quinn plissa les yeux mais ne distingua rien. La lumière jaunâtre était trop loin pour atteindre les bêtes.
« OHE ! » répéta-t-on avec une rage accrue.
Les monstres se retournèrent de nouveau. Leur hésitation était perceptible.
« VENEZ PAR ICI ! »
Un des adultes reporta son attention sur Quinn. Il était vrai que la jeune femme était plus proche... plus alléchante... plus fraîche. En dépit de la faible lumière du briquet, il suffisait à Quinn de baisser les yeux pour voir la blessure à travers les déchirures de sa combinaison.
« Quinn ? » bredouilla une voix.
Quinn releva la tête. C'était la voix de Sam. Les lampes étaient assez proches pour éclairer le sol à quelques mètres des créatures. Mais on ne distinguait même pas de vagues formes.
« C'est Quinn... entendit-elle murmurer.
- Toute seule ?! »
Blaine.
L'espèce de soulagement étouffant qui submergea Quinn la déstabilisa tant que son pouce dérapa sur la roulette du briquet. La flammèche s'éteignit avec un claquement. Elle ne vit plus que la silhouette des cinq bêtes qui l'encerclaient.
Les monstres se fendirent d'un hululement. Quinn eut à peine le temps de reculer qu'ils fondaient sur elle. Elle ne fit qu'entrapercevoir les trois créatures qui s'élançaient à l'assaut des garçons.
« QUINN ! » hurla Sam.
Elle tomba au sol avec un gémissement et dans un réflexe, balança le piolet devant elle. Les ombres des créatures galopant en direction des garçons interrompaient parfois les rayons des lampes, plongeant Quinn dans une obscurité totale alors qu'elle luttait... encore.
Le piolet ne rencontra rien et il glissa entre ses mains moites. Avec horreur, elle l'entendit rebondir au sol, à deux mètres de là. Une main s'abattit sur son bras gauche et elle se déroba avec un spasme de terreur. En même temps, le briquet, qu'elle gardait toujours enfermé dans son poing serré, lui échappa.
C'était un désastre.
Ses doigts aveugles se refermèrent autour de la main et la tordirent avec panique. Un os craqua et la bête fit un bruit à mi-chemin entre le ricanement et le gémissement.
« QUINN ! »
Des bruits de lutte résonnèrent dans le lointain. Quinn sentit en même temps des griffes affamées se refermer autour de sa jambe blessée. Elle agita aussitôt le pied avec désespoir, mais le poids de la créature l'entravait considérablement. Un adulte, sans doute.
Elle lutta tant qu'elle le pouvait. Ses doigts dérapèrent sur des narines et trouvèrent les globes oculaires. Elle se sentit sur le point de tomber dans les pommes alors qu'elle attrapait le visage de la créature à pleines mains au niveau des yeux, comme on l'aurait fait d'une boule de bowling. Parallèlement, la deuxième créature continuait de claquer des dents avec excitation, essayant d'immobiliser sa jambe. Quinn hurla à en cracher ses poumons. Les cris paniqués des garçons lui répondirent.
« QUINN !
- Il y en a d'autres ! » s'exclama soudain la voix éraillée de Blaine.
Comme pour confirmer ses paroles, une série de hululements sinistres résonna quelque-part en hauteur, à l'entrée de la salle. Le sang de Quinn se glaça dans ses veines. Elle acheva de réduire les yeux de la créature en compote avant de l'écraser au sol. La bête ne cessait de couiner de douleur, mais Quinn l'ignora et balança violemment le corps gigotant contre son congénère, qui s'en trouva un instant déstabilisé. Quinn en profita pour dégager sa jambe et alors qu'elle prenait appui sur ses mains pour se relever précipitamment, elle effleura la lame froide de son piolet.
« PUCK ! » cria-t-elle.
Elle ne reconnut pas sa voix tremblante.
Ses assaillants se redressaient déjà. Les rais des lampes des garçons éclairaient leurs silhouettes rachitiques par derrière. Quinn donna un coup de piolet à celle dont elle avait crevé les yeux. Déjà salement amochée, celle-ci s'effondra comme un pantin désarticulé et ne bougea plus.
« Il y en a trop ! hurla Sam. Va-t-en ! »
Quinn l'entendit à peine : la créature et elle se faisaient face. Contre toute attente, l'adulte s'était figé. Quinn le regarda, le cœur battant, alors qu'elle se penchait vers le cadavre de l'autre monstre et qu'elle le reniflait doucement.
Une pensée un peu absurde se fraya un chemin à travers le cerveau de Quinn : elle venait de tuer l'enfant. Les couinements plaintifs poussés par l'adulte parurent confirmer cette impression. La tête de la créature se tourna de nouveau lentement vers Quinn. La bouche s'entrouvrit et les narines furent secouées d'un frémissement menaçant. Il semblait y avoir un vague désarroi dans l'attitude de la créature, comme si elle avait du mal à réaliser la mort du petit.
Quinn et le monstre se dévisagèrent un instant. Les yeux blancs brillaient doucement dans la semi-obscurité.
Puis, d'un geste précis et net, Quinn planta le piolet dans le crâne du monstre. Celui-ci poussa un couinement aigu et se jeta sur la jeune femme. Mais Quinn tituba de côté pour l'éviter et lui écrasa son pied sur le dos. La bête s'effondra de tout son long, s'agitant de plus bel. Quinn piétina, encore et encore, jusqu'à ce que la colonne vertébrale craque. Le dégoût qui lui retournait l'estomac était tel qu'elle aurait pu vomir si elle n'avait pas eu mieux à faire.
« SAM ! BLAINE ! » appela-t-elle.
Quelque-chose scintilla à ses pieds. Le briquet. Elle le ramassa d'une main fébrile et se tourna vers les trois rais lumineux qui s'agitaient à l'autre bout de la salle.
« VA-T-EN ! » hurla Puck.
Des ricanements se répercutaient en échos tout autour d'elle. Elle baissa les yeux sur sa jambe : elle saignait toujours abondamment. Continuer toute seule équivaudrait à signer son arrêt de mort. Elle aperçut tout à coup une bête solitaire à sa droite, qui galopait à toute allure dans sa direction.
Quinn se précipita sur son piolet pour le dégager du crâne où il était toujours planté. Jetant un coup d'œil à la bête, elle put constater qu'elle était déjà beaucoup trop proche.
Le piolet se détacha finalement du cadavre avec un bruit de succion. Quinn se retourna vivement, juste à temps pour en asséner un coup au prédateur. Il y eut un craquement et le cou de la bête se brisa d'un coup. Le souffle court, Quinn regarda le monstre s'effondrer à ses pieds.
Ce n'était pas un adulte. C'était toujours mieux que rien.
Elle n'en éprouva aucun espoir, aucune satisfaction. Ils étaient tous faits comme des rats. 3600 secondes... C'était tout ce qu'il leur aurait fallu pourtant... Au minimum, répéta une voix lointaine.
D'autres tapotements résonnèrent. Ils semblaient de plus en plus nombreux à se diriger vers elle. Elle s'imagina déjà devoir faire face à un mur de bêtes pour rejoindre Puck et les autres.
Elle fit volte-face et se mit à courir en direction du trou béant qu'était le reste de la salle, enclenchant parfois le briquet pour se repérer. Elle savait que les cliquetis de la roulette la rendaient moins discrète mais elle était au niveau maximum de terreur... elle ne pouvait en supporter plus.
Elle tapota sa hanche pour vérifier que le communicateur était toujours là.
Les garçons poussaient parfois des cris derrière elle. L'horreur lui enserrait le cœur. Elle trébucha et rétablit péniblement son équilibre. Le briquet claqua une nouvelle fois dans sa main, illuminant une stalactite qu'elle évita de justesse.
C'est hors de question... se répétait-elle intérieurement. Je ne mourrai pas ici.
Son pied rencontra une bosse et elle fut projetée en avant. Elle roula au sol en retenant un gémissement et se redressa aussi vite qu'elle le pouvait, cherchant les rayons des lampes pour retrouver ses repères. Ils étaient toujours derrière elle. Elle bondit sur ses pieds et reprit sa course.
Clic.
Des concrétions
Clic.
Des bosses.
Clic.
Une paroi humide. Elle s'arrêta brusquement. Le cœur battant, elle détailla le mur. Il n'y avait pas d'ouverture visible. De nouveau, elle était prise au piège. Comme dans la grande salle, avec le reste du Glee Club, il y avait de cela à peine quelques heures...
Non. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas se terminer ainsi.
Elle relâcha la roulette du briquet et se mit à palper la paroi, le piolet toujours serré dans sa main droite. Elle longea la roche pendant plusieurs secondes angoissantes. Ses doigts ne rencontraient que la même humidité lourde... Les tapotements se faisaient de plus en plus proches dans son dos. Elle en dénombrait trop.
Et elle n'avait nulle-part où aller.
Une lointaine frustration commença à la gagner.
Elle donna des coups dans la roche tout en continuant de se déplacer vers la droite. Son cœur cognait douloureusement, essayant de se remplir de colère pour oublier la peur complète et vertigineuse qui lui alourdissait déjà les membres. Son pied gauche dérapa brutalement. Elle crut pendant un instant qu'il lui faisait défaut à cause de sa blessure, mais elle comprit que cela n'avait rien à voir lorsqu'elle ne trouva plus aucune roche sur laquelle marcher. Elle bascula avec un cri étouffé, se trouvant soudain précipitée elle ne savait où. Machinalement, elle se protégea la tête des mains. Son piolet tinta contre la roche, cependant elle ne le lâcha pas. Elle s'écrasa durement sur un sol sec et friable. Le silence était étouffant, l'air pesant. Les hurlements des garçons, les ricanements des bêtes... Le vacarme de la salle lui parut soudain lointain.
Sonnée, elle lutta plusieurs secondes avant de parvenir à enclencher son briquet. La flammèche se heurta aussitôt à des parois resserrées. Levant les yeux, Quinn entrevit à peine le trou par où elle était tombée. Mais il n'était situé qu'à trois mètres au-dessus elle. Elle devait s'éloigner. Faisant tout pour ne pas se laisser suffoquer par le sentiment puissant de perdition qui l'écrasait, elle rampa péniblement en direction du chemin qui se dessinait à sa gauche. Sa jambe frotta contre le sol inconfortable et elle retint un hoquet. Au même moment, son bras droit se rappela à son bond souvenir. Le palpant, elle sentit un liquide chaud : elle saignait de nouveau.
Une vraie cible ambulante.
Elle s'extirpa du tunnel miniature dans lequel elle s'était engagée avec un grognement. Enclenchant de nouveau le briquet, elle put constater qu'elle se trouvait dans une énième pièce. Cependant, cet endroit de la caverne esquissait une architecture différente : chaque pièce était plus exiguë et chaque paroi paraissait friable, se parant de bosses tortueuses, pointues, toujours sèches. Ce n'était plus la même roche suintante, ni les mêmes salles aux proportions gigantesques. Quinn pouvait même entendre les échos de sa propre respiration tout contre elle, amplifiée par la petitesse des lieux.
Elle aurait dû se sentir étouffée, mais ce n'était pas du tout le cas. Au contraire, comparé à tout ce qu'elle avait vécu, à toutes ces galeries sinistres dans lesquelles elle avait déambulé, cet endroit lui faisait presque l'effet d'un cocon, où elle pouvait se recroqueviller et attendre paisiblement.
Bien sûr, c'était faux.
Elle examina les alentours d'un rapide coup d'œil, éteignit le briquet et se fit violence pour continuer. Elle traversa ainsi plusieurs pièces et boyaux tout aussi secs et tout aussi étroits. Le silence était total, presque religieux. On sentait la vieillesse des lieux, le travail de la nature pour creuser ces multiples couloirs. Ni plic ploc, ni halètements sinistres. Quinn était seule. Tout à fait seule. Mais dans le bon sens du terme. Pour l'instant.
Le soulagement se fraya un chemin difficile au milieu de toute la terreur qui continuait de crisper Quinn. Malgré tout, elle le ressentit à la surface de son cœur, explosant en une myriade de petites bulles. Elle se sentait enfin respirer.
Pour la énième fois, elle s'épongea le front. Elle transpirait de partout, en dépit de la température toujours extrêmement basse de l'endroit.
Un hurlement retentit tout à coup non loin de là, aux environs de la salle où elle avait brièvement croisé les garçons. La terreur la prit de nouveau à la gorge. Elle accéléra, avançant tantôt à quatre pattes, tantôt presque pliée en deux. Le boyau qu'elle traversait s'élargit soudain, se faisant large couloir. La descente était abrupte. Elle redoubla l'allure, se laissant porter par la roche sèche inclinée sous ses pieds.
Elle n'avait plus relâché le briquet depuis plusieurs secondes. Lorsqu'elle s'en rendit compte, elle eut peur de l'épuiser trop rapidement et l'éteignit aussitôt, refoulant toute émotion.
Elle poursuivit la descente, se rattrapant à une paroi à chaque fois qu'elle se sentait basculée.
D'autres cris explosèrent dans le lointain, comme en réponse au tout premier hurlement. Ils étaient si étouffés que Quinn n'aurait pu dire s'il s'agissait de simples échos ou de plusieurs créatures. En tous les cas, elle n'en menait pas large.
L'espace parut brusquement s'élargir devant elle. Les parois se dérobèrent sous sa main frissonnante et sa respiration se répercuta plus largement au-dessus de sa tête. Elle avança précautionneusement, le souffle court. Des tapotements retentirent à quelques mètres de là. Elle se crispa aussitôt.
Les contours de la salle se matérialisèrent soudain sous ses yeux, illuminés par un rai lumineux qui se braqua sur elle en tremblotant.
Quinn battit des paupières. Son cœur eut un raté.
Rachel lui renvoya son regard hébété et se tint là, la bouche entrouverte, réduite au silence par le désarroi. Mais cela ne dura qu'une fraction de seconde ; le temps ne se suspendit que brièvement.
Quinn fit quelques pas incertains, puis se précipita sur Rachel et se jeta à son cou.
Elle entendit à peine le souffle de la brunette se bloquer dans sa gorge, distingua tout juste les battements affolés dans la poitrine qui se pressait contre la sienne. Elle ne remarqua pas le bord du casque qui s'enfonçait dans sa joue alors qu'elle serrait Rachel contre elle, ni la douleur qui se réveillait sournoisement dans son bras tandis qu'elle entourait la silhouette plus petite de ses mains secouées de tremblements.
« Oh merci... Merci... » bredouilla-t-elle.
Rachel lui rendit son étreinte, ses doigts se refermant convulsivement autour du tissu rugueux de sa combinaison. Elle laissa échapper un soupir où se mêlaient soulagement et nervosité.
« J'ai cru que je ne te reverrais pas... » murmura-t-elle en se laissant aller contre Quinn.
Quinn l'étreignit plus fort encore. Elle se fit violence pour ne pas pleurer. Le moment était mal choisi... Mais un sanglot lui échappa. La voix de Rachel retentit de nouveau contre son oreille, pleine de douceur, et tremblante d'émotion :
« Ça va aller... »
Quinn crispa les dents et enfouit le visage dans la combinaison de Rachel. Ses épaules se mirent à trembler. Ne pleure pas. Ne pleure pas. Elle se le répétait machinalement. Elle s'était plus ou moins bien retenue jusque-là. Elle pouvait continuer.
« Je suis là maintenant... Et toi aussi, Quinn... Ça va aller. »
Quinn s'efforça de secouer la tête pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas de raison de lui parler avec tant d'empathie. Mais toute la terreur qui l'habitait explosa et elle se sentit dériver petit-à-petit, loin de tout le sang-froid qu'elle s'était efforcée de maintenir.
« S'il-te-plaît... souffla-t-elle. Tais-toi... »
Sa voix se brisa. Les bras de la brunette se resserrèrent autour d'elle et elle s'effondra complètement.
« Ça va aller... Ça va aller... »
Elle sentit que Rachel l'accompagnait au sol avec douceur alors qu'elle éclatait en sanglots. Quinn aurait voulu se dérober, mais ses jambes ne lui répondaient plus. La roche était dure sous ses genoux. Elle en eut à peine conscience et continua de pleurer contre l'épaule de la brunette, s'abandonnant à ces émotions qui l'étranglaient et la faisaient suffoquer.
La main de Rachel courut dans sa chevelure ébouriffée, la caressant doucement. La brunette avait enroulé l'autre bras autour de sa taille, la pressant un peu plus contre elle. De toute façon, Quinn ne se serait pas éloignée. Elle n'aurait pas pu. Elle ne le voulait pas. Elle était trop soulagée de revoir Rachel. Si elle la lâchait, ne se volatiliserait-elle pas une nouvelle fois ? Si elle prenait le risque de reculer, ne la perdrait-elle pas encore ? Et ce n'était pas ce Quinn voulait. Plus jamais.
Ses pleurs redoublèrent. Elle était trop affaiblie pour s'en vouloir, même si elle se faisait l'effet d'une gamine de dix ans. Rachel continuait de chuchoter des paroles pleines de bienveillance contre son oreille. Quinn avait du mal à saisir ce qu'elle disait. Son cœur était gonflé de tout un tas de sentiments qu'elle ne parvenait pas à dissocier les uns des autres. Il y en avait trop à la fois. Trop de choses à ressentir, trop de choses à reconnaître. Elle était faible. Elle avait peur. Et elle ne pouvait plus le cacher à Rachel.
Alors elle pleura contre la jeune femme, oubliant complètement cette façade qu'elle lui offrait habituellement. L'effroi, l'anxiété, le soulagement s'entrechoquaient avec trop de violence en son for intérieur pour lui permettre de profiter vraiment du réconfort que lui apportait ce corps serré contre le sien. Elle s'y raccrochait simplement comme un naufragé à une bouée de sauvetage, agrippant le tissu entre ses doigts frissonnants, pressant le nez dans l'épaule de la brunette, comme pour s'assurer que celle-ci était bien vivante, bien entière... bien là, avec elle.
Elles restèrent ainsi pendant ce qui sembla une éternité. Les sanglots de Quinn se calmèrent progressivement, jusqu'à ce qu'il n'y eut plus que leurs respirations irrégulières qui s'entremêlent dans le silence de la grotte. Mais Quinn ne lâcha pas l'autre jeune femme et resta pressée contre elle, écoutant les tambourinements qui secouaient la poitrine de la brunette, comptant les inspirations et les expirations, profitant de la chaleur de Rachel, de ce sentiment de sécurité qu'elle lui procurait.
C'était étrange... C'était tout ce qu'elle s'était imaginé lorsqu'elle en avait eu l'audace.
Rachel ne dit plus rien. Elle continua de caresser les cheveux blonds d'une main précautionneuse. Les barrières qui existaient entre elle s'étaient toutes effondrées. Quinn ne ressentait ni honte, ni frustration. Elle était trop lessivée pour cela... Trop rassurée... Trop heureuse de revoir la brunette pour la garder à distance. Et la nervosité qui habitait Rachel à chaque fois que Quinn était à proximité s'était volatilisée.
Elles n'avaient plus le temps pour cela.
Quinn renifla faiblement et se redressa avec lenteur. Elle papillonna des yeux, un instant aveuglée par la lampe de Rachel. Puis, elle croisa le regard limpide et si bouillonnant de la brunette. Celle-ci la détailla en silence. Elles s'étreignaient toujours, avec une familiarité contre laquelle Quinn se serait habituellement braquée. Mais cela lui faisait du bien. Cela leur faisait du bien à toutes les deux, elle le vit au fond de ces yeux chocolats qui continuaient de la dévisager.
Rachel leva une main hésitante pour essuyer les quelques larmes qui coulaient encore sur les joues de Quinn. Quinn esquissa un sourire nerveux et elle ne put s'empêcher de frissonner au contact des doigts palpitants de vie contre sa peau égratignée. Son cœur battait la chamade. Elle était de nouveau suffisamment lucide. Le rouge lui monta aux joues et elle se fit violence pour soutenir le regard perçant de Rachel. Leurs nez se touchaient presque.
Rachel sourit à son tour. C'était un sourire fatigué, mais il illumina ses traits. Quelque-chose se réchauffa au fond de Quinn. Elles s'entre-regardèrent longuement, et Quinn eut pendant un instant l'impression d'entrevoir des sentiments semblables aux siens au fond des pupilles brûlantes. Mais cela n'était sans doute que le reflet de la propre tendresse qu'elle éprouvait à l'égard de la brunette.
Elle ne remarqua pas que Rachel était anormalement muette.
Elle ne remarqua pas que la brunette se raccrochait à elle de la même façon.
Quinn finit par soupirer. Tout son corps se relâcha. Les battements de son cœur ralentirent. De nouveau, une certaine vigilance la gagna. Le moment des retrouvailles était passé. Son regard s'arrêta sur le sang séché qui maculait le front de Rachel. L'inquiétude la picota.
« Tu es en un seul morceau ? » murmura-t-elle.
Rachel battit des paupières, comme tirée d'une rêverie. Elle hocha lentement la tête, l'air de ne pas trop y croire elle-même. Quinn la contempla un instant, sceptique, puis fit mine de se relever.
« Att-attends... balbutia Rachel. Je vais t'aider. »
Quinn n'eut pas la force de protester et accepta les doigts qu'elle lui tendait. Elle se redressa en chancelant. Elles restèrent un instant immobiles, se tenant par la main. Puis, le regard de Quinn tomba sur le pied de Rachel et elle eut le réflexe de la lâcher, ignorant le froid dans lequel elle se trouvait une nouvelle fois plongée.
« Où est passé ta chaussure ? » demanda-t-elle, inquiète.
Rachel ne put retenir un petit rire chevrotant.
« C'est une longue histoire... » chuchota-t-elle, et les tremblements de sa voix trahirent toute la terreur qui la compressait.
Quinn se baissa et délaça sa basket. Rachel mit plusieurs secondes à comprendre ce qu'elle faisait.
« Non... Ce n'est pas la peine de-...
- Dieu seul sait sur quoi tu pourrais marcher, dit Quinn en retirant la chaussure avec une grimace.
- Et toi alors ? » demanda Rachel avec aplomb.
Quinn lui jeta un regard de côté et esquissa un sourire qui se voulait serein.
« J'ai les pieds plus grands que toi, non ? dit-elle simplement. Si la taille te gêne vraiment, tu n'auras qu'à mettre quelque-chose pour rembourrer. »
Rachel croisa les bras sur sa poitrine.
« Et toi alors ? » répéta-t-elle.
Quinn ne répondit pas et lui tendit sa chaussure. Rachel la lorgna d'un œil agacé.
« Quinn, lâcha-t-elle avec sévérité.
- Rachel... S'il-te-plaît... »
La brunette secoua vivement la tête.
« Je vais très bien, merci beaucoup. Et si tu m'expliquais plutôt ce que c'est que ce sang sur ton bras et ta jambe ? Tu ne crois pas que de nous deux, c'est toi qui devrais le plus nous inquiéter ? »
Son ton décidé se brisa et trahit toute son angoisse.
« Je me suis juste... murmura Quinn, puis elle haussa les épaules : Ce n'est rien. »
Rachel la fixa avec désarroi, avant de se ressaisir.
« Il me reste un peu de désinfectant.
- Ne le gaspillons pas.
- Ce ne serait pas du gaspillage. »
Quinn fit mine de réfléchir, avant de chuchoter :
« D'accord, mais alors tu prends ma chaussure. »
Elles se jaugèrent du regard. Rachel faisait de son mieux pour lui tenir tête, mais Quinn pouvait bien percevoir toute l'anxiété qui la rongeait. Elle aurait voulu lui dire qu'il était inutile de s'inquiéter ainsi pour elle, mais cela l'aidait à se sentir mieux. Alors elle garda les lèvres closes.
« Très bien... » finit par marmonner Rachel.
Elle accepta la basket de Quinn à contre-cœur, la posa à ses pieds, et lorgna la blonde d'un œil peu amène.
« Maintenant, assieds-toi. » dit-elle.
Quinn s'exécuta tant bien que mal. Depuis quelques secondes, elle était prise de vertiges au moindre mouvement. Rachel le remarqua et se mordit la lèvre pour contenir son inquiétude.
« Tu as rencontré des monstres ? » demanda-t-elle.
Son regard était scrutateur, encore. Quinn n'eut pas la force d'y faire face et fixa sa jambe blessée. L'orange vif de la combinaison disparaissait sous les roses de sang frais qui constellaient son pantalon.
« Quinn !... Réponds-moi. »
La blonde releva les yeux vers Rachel. Celle-ci tremblait comme une feuille et peinait à ouvrir la fermeture de sa sacoche.
« Plus ou moins... éluda Quinn.
- Je suis déjà au summum de l'inquiétude, répliqua Rachel. Tu n'as pas besoin de me faire des cachotteries.
- Je ne veux pas que tu t'en fasses pour rien.
- Je ne m'en ferais pas pour rien. » rétorqua Rachel.
Elles se dévisagèrent.
« Je ne m'en ferais pas pour rien... répéta Rachel dans un murmure. Je suis si soulagée de te revoir, Quinn... Tu ne peux pas savoir à quel point. »
Quinn laissa échapper un énième soupir tendu.
« Moi aussi... » avoua-t-elle dans un murmure.
Elles échangèrent un sourire hésitant. A ce moment précis, Rachel parut se souvenir de la nature de leur relation elle baissa précipitamment le regard. Une nouvelle fissure s'ajouta au cœur déjà craquelé de Quinn. Elle regarda la brunette retrousser la jambe de son pantalon sans mot dire.
La blessure avait légèrement gonflé, mais n'avait rien d'effrayant. Quinn se sentit malgré tout nauséeuse. Elle n'avait pas mangé depuis si longtemps...
« Ça a l'air superficiel... murmura Rachel.
- C'est une évidence... »
Quinn serra les dents, regrettant aussitôt sa réponse sèche. Mais le sourire qui se forma sur le visage poussiéreux de Rachel bloqua l'excuse qu'elle s'apprêtait à formuler.
« Ne t'inquiète pas, Quinn, ça va aller...
- Je ne m'en fais pas.
- Si... »
Quinn se força à hausser les sourcils d'un air peu convaincu. Rachel la détailla un instant, avant de reporter son attention sur la blessure.
« Ça va un peu piquer, d'accord ?
- Oui. »
Quinn grimaça alors que des picotements désagréables lui parcouraient la jambe. Rachel contempla la bouteille de désinfectant d'un œil angoissé.
« Il m'en reste juste assez pour ton bras.
- Je t'avais dit de ne pas le gaspiller.
- Ce n'est pas du gaspillage, répliqua Rachel avec frustration. Tu voudrais que je te laisse t'infecter ou quoi ? »
Quinn ne répondit pas. Rachel soupira et détourna le regard.
« Excuse-moi... marmonna-t-elle.
- Pourquoi ?
- Voilà que je m'emporte à nouveau.
- ''A nouveau'' ? »
Elles échangèrent un regard. Quinn comprit.
« Est-ce que l'on pourrait oublier cette discussion dans la salle du bain une bonne fois pour toutes ? siffla-t-elle. Je ne t'en veux pas, d'accord ? Et tout ce que tu as dit est parfaitement légitime. »
Rachel hocha la tête, incertaine, et défit précautionneusement le morceau de combinaison que Quinn avait enroulé autour de la griffure. Le contact des doigts de la brunette contre sa peau brûlante chatouillait la blonde. Elle fit de son mieux pour ne pas le montrer, mais dut détourner la tête lorsque le regard attentif de Rachel se posa sur ses traits crispés.
« Ça fait mal ?
- Non.
- Tu en es sûre ? Ou tu dis ça pour ne pas m'inquiéter ?
- J'en suis sûre... » murmura Quinn en fronçant le nez.
Rachel esquissa un sourire. Quinn la fixa avec désarroi.
« Quoi ? murmura-t-elle.
- Rien. »
La blonde haussa les sourcils, perplexe. Rachel désinfecta la plaie sans mot dire.
« Merci... » souffla Quinn, lui jetant un regard indécis.
Rachel hocha machinalement la tête.
« Et maintenant, il faudrait quelque-chose pour recouvrir la blessure... »
Quinn avait déjà arraché un large pan de son pantalon.
« Quinn... gronda Rachel. Tu ne peux pas-...
- Elle est déjà en lambeaux, soupira la blonde. Qu'est-ce que ça changera ?
- Laisse-moi au moins faire ces nœuds... » dit Rachel en lui arrachant le morceau de combinaison des mains.
Quinn eut du mal à cacher sa surprise mais elle se laissa faire. Rachel s'y prenait avec une précaution excessive, comme si la blonde pouvait se briser en mille morceaux au moindre geste brusque. Cela arracha un sourire à Quinn, qu'intercepta aussitôt le regard averti de la brunette.
« Quoi ? demanda-t-elle.
- Rien. » répondit Quinn.
Rachel pinça les lèvres, frustrée. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit de demander d'explications là où quelques secondes plus tôt elle n'en avait pas donné.
Lorsqu'elle eut fini de panser Quinn, elle se laissa retomber en arrière avec un gémissement. L'état d'épuisement avancé dans lequel elle se trouvait se fit soudain évident. En dépit de cela, ses traits tirés brûlaient toujours de la même animation. Le cœur de Quinn se tortilla malicieusement dans sa poitrine. Elle aurait voulu encore étreindre Rachel... Sentir sa main dans la sienne... Pour être sûre que la brunette ne s'envolerait pas. Pour être sûre qu'elle ne la quitterait pas.
« Tu ne me laisseras pas cette fois-ci, hein ? »
La voix incertaine de Rachel ramena Quinn à la réalité avec brutalité.
« Pardon ? »
Rachel fronça le nez, hésitante. Elle s'épongea le front d'une main tremblante.
« Pourquoi t'es-tu volatilisée dans la galerie ? Pourquoi as-tu fait cela ? »
Quinn battit des paupières, un peu désemparée. Elle se souvenait parfaitement de ce moment où elles s'étaient séparées, cependant cela lui semblait terriblement loin.
« J'étais... J'étais morte d'inquiétude... reprit Rachel. Et furieuse... contre toi. »
Quinn croisa les bras.
« Nous n'aurions pas eu le temps de nous hisser toutes les deux dans le tunnel.
- P-Peut-être... Mais c'était idiot.
- Je l'ai fait pour te protéger, Rachel.
- Mais pourquoi ? »
La question avait été posée avec un désespoir bouillonnant. Quinn essaya de ne pas flancher face au regard brûlant de reproches de Rachel.
« Tu t'es retrouvée seule... et tout ça pour quoi ? murmura la brunette. Ma vie ne vaut pas plus que la tienne. »
Si. Bien sûr que si.
Quinn resta mutique, car elle savait que si elle formulait sa pensée à voix haute, cela ne ferait qu'aggraver la colère de Rachel.
« Je ne me suis pas retrouvée seule, finit-elle par dire à la place. J'étais avec Santana et Brittany... J'avais prévu de les rejoindre quand on s'est séparées, tu te souviens ? »
Rachel se figea. Elle referma la bouche, la rouvrit. Machinalement, elle avait commencé à se triturer les mains.
« Et... elles vont bien ? »
Quinn se força à sourire et repensa bien malgré elle à l'affaiblissement de Brittany. L'angoisse lui retourna l'estomac : où étaient les deux jeunes femmes à présent ?
« Oui... Elles vont bien. »
Rachel hocha la tête, cherchant visiblement à agencer les nombreuses pensées qui se heurtaient dans le fond de son crâne.
« Et... pourquoi ne sont-elles plus avec toi ? »
Quinn détourna le regard. Comment lui raconter tout ce qui s'était passé sans la paniquer ? Comment tourner cela pour que cela ne fût pas une source d'effroi ? Car il lui suffisait d'y repenser pour qu'un courant d'air glacial la gèle jusqu'à la moelle.
« Pourquoi est-ce que tu es toute seule, toi ? » demanda-t-elle à son tour.
Rachel perçut sa tentative pour esquiver mais ne s'en formalisa pas et ses épaules s'affaissèrent alors qu'elle répondait :
« J'étais avec Noah et Sam... puis on a été séparés. Et après j'ai retrouvé Finn... mais... une nouvelle fois... »
Elle prit une inspiration étranglée.
« Je ne sais pas où il est... souffla-t-elle. On a été attaqués par des monstres. Il y en avait tellement... et ils étaient plus grands. »
Quinn la contempla à la dérobée.
« Des adultes ? » finit-elle par murmurer.
Elle croisa le regard vacillant de Rachel.
« Tu en as vu, toi aussi ?
- Oui...
- C'est eux qui t'ont fait ces griffures ?
- Plus ou moins... »
Rachel frissonna.
« Comment est-ce qu'on va faire, Quinn ?
- Je ne sais pas... Mais si ça peut te rassurer, j'ai... »
Elle s'interrompit. Elle avait croisé les garçons, mais l'instant d'après, des bêtes les avaient submergés. Souhaitait-elle vraiment en parler à Rachel ? Cependant, le regard de la brunette la brûlait. Elle déglutit et murmura :
«... J'ai croisé Puck et Sam... Ils étaient avec Blaine. Par contre, je ne pourrais pas te dire où ils sont maintenant... »
Elle attendit, craignant que Rachel n'en demande plus. Cependant, la jeune femme se contenta d'acquiescer avec inquiétude. Saisie d'une impulsion, Quinn avança une main... puis la rétracta prestement. Rachel ne manqua pas son geste quelque-chose vacilla au fond de son regard. Quinn serra les dents et fit comme si de rien n'était. Mais les tambourinements vulnérables dans sa poitrine trahissaient son humeur. Elle ne pouvait se mentir à elle-même : elle voulait rassurer Rachel. Elle voulait que la jeune femme se sente en sûreté.
« J'ai... J'ai aussi parlé à Kurt... » laissa-t-elle échapper.
Rachel se figea et la contempla avec désarroi.
« Quoi ? »
Quinn acquiesça fébrilement et sortit le communicateur de sa ceinture.
« Comment est-ce que tu... ? » bredouilla Rachel.
Quinn se força à sourire.
« Il a dit que les secours ne seraient plus très longs... Une heure environ.
- Une heure ?... Et quand est-ce que tu lui as parlé ? »
Quinn ne sut quoi répondre. Elle contempla l'écran mort du communicateur d'un œil soudain désabusé.
« Je ne sais plus... »
Elle se mordit l'intérieur de la joue.
« Est-ce qu'on ne pourrait pas essayer de les recontacter ? » demanda Rachel.
Elle n'attendit pas et s'approcha de Quinn avec précipitation. Celle-ci acquiesça maladroitement. Aveuglée par la lampe de Rachel, elle ne put s'empêcher de plisser les yeux. La brunette s'en rendit compte et marmonnant des excuses, détacha le casque et le déposa par-terre.
« Tu ne devrais pas-... commença Quinn.
- Je le remettrai après. » la rassura Rachel avec un sourire hésitant.
Elle vint se placer à côté de Quinn, le regard toujours rivé sur le communicateur. Il y avait une lueur fiévreuse au fond de ses iris. Quinn n'était pas bien sûre que l'appareil marche toujours, mais elle ne lui fit pas part de ses doutes et l'enclencha. L'écran s'alluma aussitôt, mais elles ne virent rien d'autre qu'un fond gris. Quinn entendit l'expiration précipitée de Rachel près de son oreille, trahissant l'angoisse de plus en plus importante de la brunette. Elle essaya de faire quelques réglages sans trembler...
Cela ne changea rien.
Elle laissa échapper un soupir tendu. Elle ne savait pas si elle se sentait simplement résignée, ou plus inquiète encore.
L'épaule de Rachel se pressa contre la sienne alors que la jeune femme murmurait d'une voix tremblante :
« Bon. Tout va bien. Nous n'avons aucune raison de paniquer... absolument aucune. »
Quinn lui jeta un regard de côté et après une hésitation, attrapa la main que l'autre plaquait au sol pour ne pas vaciller. Aussitôt, Rachel referma les doigts autour des siens, les serrant avec force.
« C'est sûrement parce que nous nous sommes trop enfoncées dans la grotte... » dit Quinn après un moment de flottement.
Rachel eut à peine la force d'acquiescer. Elle se laissa aller contre Quinn et enroula un bras autour du sien.
« Je vais faire une crise cardiaque... marmonna-t-elle.
- Ça va aller, Rachel.
- Est-ce que tu y crois seulement ? »
Silence. Rachel ravala un gémissement. Ses cheveux défaits effleuraient le visage de Quinn, qui fronça le nez pour ne pas éternuer. Elles retombèrent dans le silence, contemplant le communicateur grésillant d'un œil morne. Puis, d'un geste sec, Quinn l'éteignit et le posa par-terre.
« De toute façon, tout ce que nous avons à faire, c'est attendre... dit-elle.
- Mais combien de temps ? Et qui nous dit que rien ne nous arrivera d'ici là ? »
L'inquiétude viscérale de Rachel était contagieuse. Quinn essaya de ne pas frémir et murmura d'un ton vaguement encourageant :
« Si la caméra de ton casque fonctionne toujours, ils savent que nous nous sommes un peu éloignées... Ils nous trouveront.
- Qui ? Les monstres ou les secours ?
- Rachel. »
Le ton irrité de Quinn réduisit la brunette au silence.
« N'en rajoute pas à ta panique... Ça ne sert à rien.
- Je n'arrive pas à m'en empêcher...
- Je sais. Mais essaye au moins. »
Rachel se blottit un peu plus contre Quinn, qui se demanda si l'autre pouvait entendre combien son cœur battait fort au fond de sa poitrine. Elle balaya les alentours du regard, essayant de reprendre ses esprits. Ce n'était pas le moment. Pas dans un endroit comme celui-là. Pas dans de telles circonstances.
« Alors... finit par dire Rachel. On attend... et c'est tout ?
- ...Oui. »
Le souffle de Rachel chatouilla la joue de la blonde alors qu'elle tournait légèrement la tête pour détailler Quinn. Celle-ci ne put s'empêcher de frissonner. Elle devina le regard incandescent de Rachel sur elle, mais elle n'eut pas la force d'y faire face, et continua de détailler la roche devant elle.
« Quinn ? finit par murmurer Rachel.
- ...Oui ?
- Tu as l'air plutôt... calme. Et je suis une loque.
- Ne dis pas des ch-...
- C'est vrai pourtant... Comment est-ce que tu fais pour ne pas te laisser gagner par la peur ? »
Le cœur de Quinn eut un raté. Rachel dut sentir sa crispation car elle resserra sa prise autour de son bras.
« J'ai... » chuchota Quinn.
Sa voix se brisa. Elle inspira péniblement.
Il ne servait plus à rien de mentir.
« Je suis terrifiée... » souffla-t-elle.
Elle se rendit compte qu'elle tremblait de la tête aux pieds. Ça y était. Rachel la voyait telle qu'elle était : vulnérable, effrayée, incertaine. Elle jeta un regard de côté à la brunette et ne manqua pas l'ombre de sourire rassurant que celle-ci esquissait.
« D'accord. »
La brunette entrelaça leurs doigts.
« D'accord ? » bredouilla Quinn.
Elle avait chaud. Elle se demanda si Rachel le voyait. Mais la jeune femme se contenta de la fixer avec une douceur qui fit faire un salto-arrière à son estomac. Quinn se rendit compte que Rachel l'avait rarement regardée de cette façon.
Qu'était-ce censé signifier ?
« D'accord... répéta Rachel. Ça me rassure un peu à vrai dire... Au moins, je ne suis pas la seule dans ce cas. »
Quinn voulut secouer la tête, mais Rachel était toujours blottie contre elle, entravant ses mouvements.
« Ça ne devrait pas te rassurer... A quoi est-ce que je sers si je ne suis pas capable de garder mon calme ?
- C'est normal d'avoir peur...
- Mais à quoi est-ce que je sers ?
- Ta simple présence me fait du bien, Quinn.
- Il t'en faut peu alors... » murmura-t-elle d'un ton désabusé.
Elles se turent. Quinn tendit l'oreille, à la recherche de bruits suspects. Mais il n'y avait qu'un silence presque paisible qui les enveloppait. La respiration de Rachel se bloqua contre son oreille, et elle la devina qui hésitait à dire quelque-chose.
« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Quinn.
- R-Rien... »
Son ton était indécis. Quinn n'insista pas. Mais Rachel reprit presque aussitôt la parole :
« Tu n'as pas à... Tu n'as pas à garder tout le temps le contrôle de toi. »
La respiration de Quinn mourut dans sa gorge. Elle essaya de garder un air relativement normal mais elle sut que Rachel avait compris.
« Tu es humaine, Quinn. Tu as le droit d'avoir peur et de... Tu es comme n'importe-qui d'autre. »
Quinn ne put retenir un faible sourire.
« Pourquoi te sens-tu obligée de me dire ça ? »
Concentrant son attention sur Rachel, elle put voir que la brunette contemplait leurs mains entrelacées d'un air pensif.
« Parce que... »
Elle referma la bouche, fronça les sourcils.
« Parce que je sais que tu ne veux pas laisser voir ce que tu ressens vraiment. Tu as toujours été comme ça.
- Ah bon ? murmura la blonde d'un ton sarcastique.
- Quinn... » soupira Rachel.
Sa voix trahissait un vague doute. Mais cela ne l'empêcha pas de poursuivre avec aplomb :
« Si tu as peur, ce n'est pas grave. Au contraire... Si tu ressens des choses qui te pèsent, tu n'as pas à les cacher. Tu n'as aucune raison de faire cela. Je sais que tu penses que parce que tu es celle que tu es, tu n'as pas le droit de trahir tes faiblesses... mais c'est faux. »
Quinn eut du mal à ne pas se crisper. Faire preuve d'une honnêteté totale, c'était s'écarteler de l'intérieur. Et elle n'était pas encore prête à tout dire à Rachel. Alors elle resta mutique et n'admit rien de ce que la brunette venait de dire.
« J'ai raison, n'est-ce pas, Quinn ? » demanda cependant Rachel après un moment de flottement.
Elle ne se satisfaisait pas du silence de la blonde elle en voulait plus. Lorsque Quinn le comprit, elle ne sut très bien quoi faire. Bien sûr, Rachel avait toujours demandé des réponses, quelque-chose qui se rapprocherait ne serait-ce qu'un peu de toutes les vérités que Quinn Fabray taisait. Mais sa propre peur, sa propre hésitation, ou alors la sécheresse et la dureté de Quinn l'avaient toujours empêchée de trop insister. Elle n'avait jamais osé demander explicitement, car leur relation ne se prêtait pas à cela. Or, à présent, tout changeait pour le mieux, non ? Alors pourquoi continuer de craindre les réactions de Quinn ? Une légère incertitude persistait dans la voix de la brunette, mais elle avait pris de l'assurance. Et elle avait raison. Quinn en avait fini avec les dehors distants et impavides... Elles n'en étaient plus là, et elle n'avait plus la force de mentir.
« Elle sait ce qu'elle fait, Quinn. Arrête de considérer que tu dois lui montrer ta véritable nature. Elle n'est pas aveugle. Et elle est loin d'être naïve. »
Les paroles de Kurt résonnèrent dans un coin de son crâne.
Son silence prolongé parut impatienter Rachel. Leurs doigts étaient toujours entrelacés, mais on devinait une certaine tension dans sa posture. Quinn se força à faire face à toute la sévérité que dégageait ses traits. Elles se contemplèrent pendant de longues secondes, l'une essayant de contrôler sa frustration pour former des phrases cohérentes, l'autre faisant de son mieux pour ne pas flancher face au bouillonnement qui était opposé à sa fausse placidité.
« Tu n'es pas quelqu'un de mauvais. » finit par dire Rachel.
Quinn eut tout juste la force de hausser un sourcil incrédule.
« Je n'ai pas dit que je l'étais, répondit-elle mécaniquement.
- Mais tu le penses. Et je le sais. Et tu sais que je sais. Et je sais que tu sais que je le sais. »
La blonde pinça les lèvres pour s'empêcher de rire. Le sujet dans lequel elles s'engageaient était loin d'être son favori, mais le tourbillon passionné dans lequel venait de se laisser emporter Rachel avait quelque-chose d'hilarant et d'attendrissant. Puis, la fatigue reprit le dessus, son vague sourire s'évanouit et elle détourna les yeux, incapable de répondre.
Rachel recouvrit leurs doigts entrelacés d'une main chaude, douce. Quinn frissonna.
« Si j'en parle maintenant, reprit la brunette, articulant chaque syllabe avec ferveur, c'est pour que ce soit clair une bonne fois pour toutes. Pour que tu ne puisses plus utiliser cela comme excuse pour la distance que tu mets entre nous deux. Et pour que tu me crois, enfin.
- Je-...
- Je sais ce que tu as fait, la coupa aussitôt Rachel. Je n'ai jamais dit que c'était inévitable. Je n'ai jamais dit que... que le comportement que tu as pu avoir à mon égard était justifié... Je n'ai jamais prétendu aucune de ces choses. Mais je sais ce que tu vaux, Quinn. Je sais qu'aujourd'hui, tu as compris tes erreurs. Je sais que tu t'en veux. Je sais que tu n'es plus du tout l'adolescente qui a pu me tourmenter... Je sais aussi qu'en dépit de tout, tu as toujours eu un bon fond... même si tu as tout fait pour l'enterrer sous tes airs glaciaux... Et ce n'est pas de la naïveté que de voir le meilleur chez toi... Ce n'est pas ça du tout. Je ne suis pas aveuglée, si c'est ce que tu crois. Celle à être dans ce cas, ce serait plutôt toi. »
Quinn entrouvrit la bouche, stupéfaite.
« Quoi ?
- Oui, exactement ! » dit Rachel.
Sous son air décidé, une certaine incertitude perça - avait-elle peur de contrarier Quinn ? De toute évidence, elle avait cependant décidé d'aller jusqu'au bout...
« Pourquoi est-ce que tu dis tout ça ? poursuivit Rachel avec sévérité. Pourquoi est-ce que tu t'emploies tant à te rabaisser... à chaque fois ?
- Mais je n'ai rien dit... souffla Quinn, perplexe.
- Oh mais tu l'as déjà dit auparavant ! insista Rachel en fronçant les sourcils. Et tu le diras sans doute quand on sera sorties de là. Quand rien ne nous empêchera plus de devenir amies, tu diras que tu n'es pas bien pour moi et d'autres choses complètement fausses. Or, il est hors de question que je me laisse berner par de tels stratagèmes. Parce que je suis la mieux placée pour savoir ce que je veux, et ce qui est bon ou non pour moi... Or, tu es quelqu'un de bien, Quinn. Tu es... Tu es même plus que ça. »
Son regard vacilla. Elle battit des paupières avec désarroi, avant de se ressaisir presque aussitôt.
« Tu ne vaux pas moins que moi. Ta vie n'a pas moins de valeur...
- Je n'ai-...
- Mais tu le penses ! gronda Rachel. Tu n'as pas besoin de le dire pour que je le sache.
- Tu te trompes. »
Quinn avait parlé d'un ton neutre, presque distant. Mais cela ne fonctionna pas sur Rachel. Celle-ci semblait ne plus vouloir se laisser berner par la façade pleine de fausseté que Quinn avait à lui offrir.
« Tu mérites de vivre, Quinn... dit-elle. Tu mérites de vivre autant que moi... autant que n'importe-qui d'autre. »
C'était vrai... sans doute. Quinn avait lutté contre toutes ces bêtes, refusant de se laisser mourir, en dépit de tout ce pessimisme qui avait empoisonné ses pensées suffoquées. Mais... si la situation en venait à devoir choisir entre sa propre vie et celle de Rachel, Quinn savait qu'elle n'hésiterait pas. Pas une seconde.
Cependant, elle fit une dernière tentative pour mentir :
« Bien sûr... Je n'ai jamais dit le contraire. »
Elle crut que les yeux de Rachel allaient lui sortir des orbites. Il y avait un tel mélange de frustration et de désarmement dans le regard de la brunette que Quinn se demanda comment elle faisait encore pour se contrôler.
« Qu'est-ce que tu peux être têtue, lâcha Rachel.
- Pourtant je ne t'ai pas contredite...
- Je sais que tu mens.
- Tu te trompes.
- Alors pourquoi est-ce que tu as lâché ? » s'exclama Rachel.
Quinn eut un mouvement de recul et presque aussitôt, Rachel la ramena vers elle, lui écrasant presque la main.
« Pourquoi est-ce que tu as lâché ? répéta-t-elle dans un murmure. Quand Santana et toi pendiez dans le vide ? »
Quinn fit de son mieux pour ne pas se crisper, pour ne pas se trahir.
« Nous étions trop lourdes, je ne voulais pas que... »
Sa voix mourut dans sa gorge. Rachel la fixait avec une telle colère... Elle ne comprenait pas.
« Se sacrifier aussi facilement... murmura la brunette. A plusieurs reprises... Tu dois arrêter de faire ça, Quinn. J'ai été séparée plein de fois du Glee Club et à chaque fois que l'on m'a dit de fuir, j'ai fui sans hésiter, même si je laissais quelqu'un derrière moi... Je n'ai pas hésité, tu m'entends ? »
Elle détourna le regard.
« Tu te sens coupable ? demanda Quinn, la gorge serrée.
- Non... Si... Je ne sais pas.
- N'importe-qui aurait fait pareil à ta place... »
Elle voulut insuffler de la tendresse à son ton. Mais il n'y avait qu'une forte émotion qui la trahissait, faisant trembler sa voix et vaciller son regard doré.
« De toute façon, reprit laborieusement Rachel, ce n'est pas le propos.
- Alors quoi ?
- S'il est aussi normal de sauver sa peau quand on le peut, pourquoi fais-tu toujours le contraire ? »
Un silence de plomb accueillit la question énervée de Rachel. Quinn aurait voulu détourner les yeux mais il y avait quelque-chose d'hypnotique dans la manière directe et franche que l'autre avait de la dévisager. Rachel semblait vouloir sonder la moindre pensée de Quinn, pour avoir confirmation qu'elle détenait la vérité, que la blonde se sacrifiait en effet bien trop facilement, et pour les mauvaises raisons...
Mais la blonde resta malgré tout imperméable... elle le vit à la confusion qu'elle continuait d'inspirer à Rachel.
Quinn esquissa un mouvement pour se dégager et l'autre ne la retint pas.
« On devrait se tenir prêtes... au cas-où... » éluda-t-elle.
Le regard de Rachel flamboya. Elle lui en voulait de contourner le sujet ainsi. Le cœur de Quinn se serra. Cependant, l'une comme l'autre garda le silence. Quinn se releva en contenant une grimace et ramassa sa basket, qui traînait toujours près d'elles. Elle se retourna et la tendit à Rachel.
La brunette croisa les bras et pendant quelques secondes, la jaugea du regard. Puis avec un soupir, elle détourna les yeux en murmurant :
« Garde-la...
- Tu vas te blesser si tu marches comme ça dans la grotte.
- Toi aussi si tu me donnes ta chaussure.
- Ça a moins d'importance.
- Pourquoi ?
- Écoute... Rachel... »
Quinn eut du mal à contrôler les tremblements de sa voix. Était-ce de l'angoisse ou un début d'agacement ? Ses pensées s'emmêlaient tellement qu'elle n'aurait su le dire. Elle avait encore du mal à croire qu'après tout ce qu'elle avait vécu, elle avait réussi à recroiser le chemin de Rachel. Elle se demandait encore si ce n'était pas une hallucination...
Ce n'était pas possible, n'est-ce pas ? Cela ne pouvait être aussi facile. Puis, elle se rappela qu'elles étaient loin d'être sorties de là. Si, bien sûr que cela pouvait être aussi facile... Rien n'empêchait des complications ensuite.
Elle ravala tout son pessimisme et lança d'une voix sèche :
« Tu as promis que tu mettrais la chaussure si je te laissais t'occuper de mes blessures. Tu ne vas quand même pas rompre une promesse, n'est-ce pas ? »
Elles se regardèrent en chiens de faïence.
« Et pourquoi pas ? demanda Rachel d'un air exagérément méfiant. Tu romps bien celles que tu me fais, non ? »
Quinn soupira, essayant d'ignorer le léger pincement au cœur que suscitaient les paroles de la brunette. Sans la fatigue des dernières heures, Rachel n'aurait sûrement jamais dit cela : elle donnait toujours l'impression de marcher sur des œufs quand elle était confrontée à Quinn, même quand il n'y avait aucune raison apparente de se montrer si prudente. Mais quelle importance... Qu'elle l'eût dit ou non, elle le pensait.
« Je ne te laisserai plus... souffla Quinn en baissant le regard. Je te le jure. »
Un moment de flottement suivit sa réponse. Du coin de l'œil, elle vit Rachel se lever à son tour et accepter la chaussure qu'elle lui tendait toujours.
« Tu ne devrais pas jurer dans un endroit pareil... » dit-elle.
Le ton était légèrement réprobateur, mais tout l'effet fut perdu lorsque sa voix se brisa vers la fin de la phrase. Quinn ne put malgré tout retenir un sourire, qui s'évanouit dès qu'elle vit que Rachel n'esquissait pas un seul mouvement pour mettre la basket et qu'elle se contentait de la détailler.
« Qu'est-ce que tu attends... ? demanda-t-elle avec désarroi.
- Euh... Rien... »
Encore cette lueur étrange au fond du regard de la brunette... Quinn la regarda s'asseoir, incrédule, avant de se ressaisir et d'arracher un nouveau morceau de sa combinaison, qu'elle enroula plusieurs fois autour de son pied libre, en guise d'amortisseur de fortune. Elle sentait encore le relief irrégulier de la roche sous son talon, mais c'était mieux que rien...
« J'attends toujours une réponse à ma question... » dit Rachel après un moment.
Quinn fit de son mieux pour ignorer son regard accusateur.
« Tu n'en auras pas...
- Pourquoi ?
- Pourquoi t'intéresses-tu soudain à mes prétendues tendances suicidaires ? » s'agaça Quinn.
Le mot les heurta toutes les deux. Quinn n'eut pas besoin de lever les yeux pour deviner l'expression choquée de Rachel.
« Q-Quinn... Je n'ai jamais dit que tu... Je voulais simplement te montrer que tu mettais ta vie beaucoup trop facilement en danger... C'est... C'est tout.
- Et même si c'était le cas ? murmura Quinn. Quelle importance cela aurait-il ? »
Rachel parut étouffer de violentes protestations et ne dit rien.
« Mes décisions étaient peut-être précipitées... et extrêmes, poursuivit Quinn. Mais je suis toujours en vie et toi aussi... Si c'était à refaire, je le referais. Peu importe à quel point tu peux me penser folle.
- Je ne te pense pas folle.
- Alors quoi ? » répliqua Quinn avec acidité.
Elle croisa le regard désarmé de Rachel.
« Je suis terrifiée, et je ne veux pas mourir ici... souffla Quinn. Mais si je dois me sacrifier pour te sauver ou... ou sauver quelqu'un d'autre... quelle importance cela a-t-il ? Ne vaut-il mieux pas que tu vives et que je meure, plutôt que de nous perdre toutes les deux ? »
Rachel secoua vivement la tête.
« Tu n'as pas le droit de dire une chose pareille...
- Pourtant je le fais.
- Pourquoi ?
- C'est ainsi.
- Mais pourquoi ?
- Parce que ma vie a moins d'importance, d'accord ? » explosa Quinn.
La stupeur de Rachel lui fit mal au cœur. Elle se fit violence pour soutenir son regard. Elle aurait souhaité se débarrasser de ce mauvais goût qu'elle avait sur la langue...
Machinalement, elle serra les poings.
« Mais... bredouilla Rachel. Qu'est-ce que tu racontes ?
- Personne ne sera dévasté s'il m'arrive quelque-chose, gronda Quinn, et le mauvais goût lui envahit la bouche.
- Ce que tu dis n'a pas de sens...
- Pourtant, c'est le cas, non ? Il y a bien longtemps que je ne m'entends plus avec les membres de ma famille... Et ici, au Glee Club, chacun a une personne qui lui est plus chère que les autres. Mais moi ? Je suis juste... »
Elle s'interrompit, cherchant une expression pour qualifier sa situation de la façon la moins brutale possible.
« … un électron libre... Et... Et peut-être que dans cette situation, cela vaut mieux.
- Qu'est-ce que tu racontes ? répéta Rachel dans un murmure.
- Je sais que... tu ne peux pas comprendre. Et ce n'est pas mon intention d'être morbide comme ça. Mais... je suis simplement réaliste, d'accord ?
- Quinn... murmura Rachel. Tout le monde tient énormément à toi... Tu ne devrais pas parler comme ça... Tu ne devrais pas dire de telles choses... »
Elle se leva avec lenteur et vacilla tant elle était stupéfaite par les propos de Quinn.
Quinn elle-même assimilait péniblement ce qu'elle venait de dire. Alors c'était ça... C'était ce à quoi se résumait son existence... Quelque-chose qui n'avait pas de signification... Et c'était ce à quoi se résumait son estime d'elle-même : un trou noir. Elle ne valait rien.
Comment pouvait-elle se détester à ce point ? Et comment avait-elle fait pour survivre jusque-là avec aussi peu de considération pour sa propre personne ?
Elle pouvait vivre pour elle-même.
Alors pourquoi disait-elle cela ? Pourquoi sous-entendait-elle qu'elle avait si peu d'importance ?
Depuis le début, c'était ainsi. Elle était arrivée au chalet en s'attendant à un accueil exécrable... Elle s'était demandée de nombreuses fois si elle avait bien fait de venir... Elle n'avait cessé de repousser Mercedes, puis Santana, puis Puck, puis Brittany, puis Sam... Tout le monde... Et dans cette caverne, elle avait à plusieurs reprises eu des gestes qui avaient pris des allures de sacrifices...
Pourtant, Quinn n'était pas suicidaire. Elle ne l'avait jamais été. Elle s'était toujours auto-détruite, mais jusqu'à un certain point. Alors pourquoi ? Pourquoi en était-elle là aujourd'hui ?
Cette mort insignifiante qui allait l'engloutir serait-elle donc l'aboutissement de tout cela ? Quinn ne croyait pas au destin, mais peut-être cette grotte l'avait-elle toujours attendue pour lui offrir la mort qu'elle méritait...
Elle voulait vivre, n'est-ce pas ? Comme tout le monde...
Alors pourquoi réfléchissait-elle de cette manière ?
« Oh mon Dieu... » entendit-elle Rachel souffler devant elle.
Quinn se reconcentra péniblement sur la brunette, essayant de ne pas flancher sous le feu de son regard abasourdi.
« Alors c'est pour ça que tu restes à Lima... murmura Rachel. Ça n'a rien à voir avec Finn... ni avec qui que ce soit d'autre... Tu fais juste ça pour te punir... Parce que tu crois que tu ne vaux pas mieux que cela... »
Quinn comprit que Rachel entrapercevait soudain combien elle se haïssait. Quelque-chose comme de la honte lui retourna l'estomac. Incapable de faire face plus longtemps à la brunette, elle baissa les yeux.
« Je savais... bredouilla Rachel. Enfin... j'ai toujours su que tu avais parfois du mal à croire en toi... Même si tu paraissais toujours si sûre de toi... Si supérieure au monde qui t'entourait... Je l'ai toujours su, Quinn. Mais... »
Sa voix se bloqua dans son gorge. Tout le désarroi, toute l'incrédulité perceptibles dans son ton, Quinn aurait voulu les ignorer. Elle aurait voulu se boucher les oreilles. Où était sa façade distante ? Où était ce masque qui la protégeait du regard des autres ?
Soudain, elle se rappelait pourquoi elle en avait besoin. Elle ne ressentit plus de proximité naturelle entre elles, elle n'eut plus du tout envie de s'ouvrir à Rachel... Elle souhaitait juste se cacher, s'éloigner le plus possible de cette vérité sur laquelle l'autre avait mis la main.
Mais c'était trop tard.
Le regard brun la traversait comme une lance brûlante.
Et elle n'avait nulle-part où aller.
Sa bouche était pâteuse. Elle ne trouva pas les mots pour répliquer à Rachel.
« Tu es... brillante, Quinn... bafouilla encore la brunette. Dans tous les sens du terme. Pourquoi... ? Tu aurais pu aller où tu voulais... Tu peux encore faire ce que bon te semble. Tu vaux tellement mieux que ce que tu penses. »
Quinn déglutit péniblement. Elle se mordit la langue pour ne pas pleurer. Rachel s'avança vers elle mais elle se déroba aussitôt, ignorant la douleur qui s'alluma brièvement dans les yeux de l'autre.
Elle avait pourtant décidé de ne plus mentir...
Elle avait pourtant fini par accepter l'idée de s'ouvrir à Rachel...
Mais tout cela faisait trop mal.
Quinn savait combien elle était brisée. Elle s'y était habituée. Puck, Brittany, Sam, Santana, Mike... Ils n'avaient fait qu'entrevoir ce qu'il restait d'elle. Jamais elle ne leur avait laissés voir combien elle luttait avec elle-même. Cependant, c'était comme si Rachel la voyait telle qu'elle était vraiment. Il y avait quelque-chose de plus dans la compréhension que la brunette avait d'elle. Or, Quinn ne voulait pas cela. Elle avait honte. Elle avait peur. Sa propre vulnérabilité était quelque-chose qu'elle avait toujours eu en horreur. Elle s'était détestée à chaque fois qu'elle s'était effondrée. Elle continuait de se détester pour cela.
Elle se haïssait même tout court...
N'aurait-elle jamais le paix ?
Tout cela ne pouvait-il pas prendre fin un jour ?
« Quinn... » murmura Rachel.
Tant de pitié dans son regard... Tant de compassion. Quinn se demanda soudain si c'était ce qu'elle souhaitait vraiment. Machinalement, elle se braqua... Son visage se ferma.
« Quoi ? » demanda-t-elle, amère.
Rachel flancha et eut un mouvement de recul. Elles se fixèrent. L'air s'était figé autour d'elles.
« Je ne savais pas que.. » murmura la brunette en détournant les yeux.
Quinn serra les poings. Ses ongles s'enfoncèrent douloureusement dans les paumes de ses mains.
« Je n'aurais jamais cru que c'était si... » poursuivit Rachel.
Elle laissa échapper un soupir plein de tension et jeta un regard de côté à la blonde.
« Je suis si désolée...
- Pour quoi ? rétorqua aussitôt Quinn, essayant de contrôler ce mélange de fureur aveugle et de douleur brute qui tourbillonnait dans son crâne échauffé.
- Moi... Le Glee Club... on aurait dû faire plus attention... Bien sûr, on a essayé... A plusieurs reprises... Mais pas assez... On t'a complètement laissée...
- Je n'avais pas besoin de votre aide, siffla Quinn, merci beaucoup. Il fallait déjà prendre soin de Santana, de Brittany, de Kurt... J'allais très bien. Il n'y avait rien à faire. »
Devrait-elle faire face à tout cela si elle devenait amie avec Rachel ?
Devrait-elle lui parler de sa solitude, de son isolement ?
N'y avait-il pas une limite à toute cette franchise insupportable ?
Une voix ricana dans le fond de son esprit.
Attends, attends... Tu ne lui as même pas encore dit ce que tu ressentais pour elle ! Ça, ça va être glorieux, crois-moi !
« Pardonne-moi, Quinn... Pardonne-nous.
- Il n'y a rien à pardonner. Je l'ai cherché. Je me suis isolée de mon propre chef. Tout cela, je l'ai voulu... Ce n'est de la faute de personne, sinon de la mienne... »
Elle hésita, puis se fit violence pour ajouter d'un ton relativement neutre :
« Tout va bien, Rachel. »
L'autre la fixa comme si elle venait de dire une chose particulièrement choquante.
« Non, tout ne va pas bien... murmura-t-elle. Au contraire.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? siffla Quinn.
-... Peut-être que ta mise en retrait était quelque-chose que tu souhaitais... Mais... ton manque de confiance en toi, ce n'est pas quelque-chose que tu as choisi, si ? »
Les dents de Quinn s'entrechoquèrent alors qu'elle serrait la mâchoire de toutes ses forces.
« Tu ne sais pas comment je me sens... gronda-t-elle avec lenteur. Je n'ai pas besoin de ta pitié.
- Pourtant tu restes à Lima alors que tu peux faire tellement plus, répliqua Rachel avec un regain d'énergie. Et tu viens d'admettre que tu estimais ta vie moins importante que la mienne !
- Ce qui est un fait.
- Bien sûr que non !
- Si... »
Une certaine rage passa à son tour dans le regard bouillonnant de Rachel. Les traits de Quinn s'adoucirent bien malgré elle et elle trouva la force de lâcher dans un murmure qui avait tout du sanglot :
« C'est la vérité, Rachel. Je ne suis indispensable à personne... et c'est mon œuvre. Il n'y a pas à me plaindre.
- Ne dis pas une chose pareille... s'il-te-plaît. »
Le ton de Rachel s'était fait suppliant. Elle fit un pas en direction de Quinn. Cette fois-ci, la blonde n'eut pas la force de la garder à distance.
« Pourtant, personne n'a besoin de moi.
- Moi j'ai besoin de toi ! »
Elles se figèrent. Quinn releva les yeux pour contempler Rachel : il y avait la même surprise dans leur regard à toutes les deux. Sans vraiment s'en rendre compte, Quinn posa une main sur sa poitrine : son cœur battait à tout rompre. Un long moment passa, sans qu'aucune des deux ne parlât.
Puis, Rachel parut enfin trouver la force d'ouvrir de nouveau la bouche :
« J'ai... C'est vrai. J'ai besoin de toi, Quinn. Même si... »
Elle prit une inspiration précipitée. Elle-même semblait avoir du mal à justifier ces paroles qu'elle venait de prononcer avec colère.
« Même si notre relation n'est pas des plus cordiales... murmura-t-elle. Même si nous avons encore un long chemin à faire avant de pouvoir devenir amies... Je sais que j'ai besoin de toi, Quinn... Je ne peux pas supporter la simple idée de survivre grâce à ton sacrifice. Je ne veux même pas m'imaginer cela... Ça m'est impossible. »
Elle battit des paupières avec hébétement.
« Et... je ne comprends pas comment tu peux te mépriser à ce point. Je ne comprends pas du tout parce que tu es... Tu es merveilleuse, Quinn... Tu as eu des hauts et des bas, mais la personne que tu es devenue aujourd'hui... mérite tellement plus que ce que tu sembles prête à lui accorder. »
Quinn la dévisagea en silence. Les tambourinements irréguliers de son cœur lui obscurcissaient le cerveau, faisant bourdonner ses oreilles. Ses joues la brûlaient et elle dut faire un pas en arrière pour s'empêcher de faire quelque-chose d'inconsidéré : Rachel était trop proche d'elle.
« Tu ne me connais pas... s'entendit-elle répliquer d'une voix atone. Comment pourrais-tu savoir ce que je mérite ou non ?
- Je le sais, Quinn... murmura la brunette en esquissant un sourire encourageant. Crois-moi, s'il-te-plaît. »
Rachel offrit une main hésitante à Quinn. La blonde baissa les yeux sur les doigts frissonnants qui se tendaient vers elle.
Qu'attendait-elle ?
Que voulait-elle ?
« Si tu savais à quel point elle t'admire... Si tu savais à quel point elle rêve de toi comme amie... »
Kurt avait raison : Rachel l'estimait énormément... et cela allait bien au-delà du désir ancien mais persistant de devenir amie avec la cheerleader Quinn Fabray. Rachel estimait Quinn telle qu'elle était à présent, et plus qu'elle ne l'aurait dû sans doute. Et Quinn aurait aimé la croire. Elle aurait voulu croire en tout ce qu'elle disait... Mais si elle se répugnait à ce point, c'était pour une bonne raison. Rachel ne savait pas tout, c'était pour cela qu'elle était capable d'employer ces mots pour parler de la blonde...
« Je ne veux pas être ton amie. » lâcha Quinn.
La main de Rachel se rétracta aussitôt, son timide sourire s'évanouit. Quelque-chose se brisa dans son regard. Quinn s'humecta les lèvres. Embraye. Allez. Fais preuve de courage. Rachel méritait de savoir ce qu'elle ressentait... Quinn n'avait pas le droit d'accepter son aide sans lui dire ce qu'il se passait vraiment.
Mais elle ne pouvait pas avouer ici, n'est-ce pas ? Et garder comme souvenir de cette déclaration l'atmosphère étouffante des lieux, la menace pesante des créatures... Brittany avait parlé de la terrasse du chalet, et d'un coucher de soleil. Puck l'avait encouragée depuis le début pour qu'elle le dise, mais sûrement pas dans un endroit aussi sinistre. Santana s'était moquée d'elle, avait pointé sa lâcheté du doigt, à raison, et pourtant rien ne pressait.
Mais qu'est-ce qui lui disait qu'elles pourraient encore se parler dans une minute ? Dans une heure ? Il n'y avait même rien qui leur garantissait de sortir un jour de la grotte, loin de là... Et à cette simple pensée, Quinn était tétanisée. L'envie d'avouer, de se confesser, gonfla dans son cœur, incontrôlable. L'effroi, l'épuisement, la nervosité, le désespoir lui donnaient l'impression de tomber en morceaux. Quant à la haine qu'elle avait pour elle-même, la peur d'assumer enfin, la honte à l'idée d'oser aimer quelqu'un qu'elle avait tant maltraitée... Tout cela n'avait plus de poids dans cet environnement hostile. Ce n'étaient que des détails insignifiants, anecdotiques. Même le visage plein de jugements, de dédain et de déception de Liz ne lui apparaissait plus qu'à travers un brouillard épais.
Et les yeux chocolats étaient de nouveau emplis de cette vulnérabilité et de cette peur que Quinn suscitait toujours en Rachel...
Non, non, non, non...
Quinn ne pouvait pas encore lui donné l'impression de la rejeter.
Rachel avait le pouvoir de la réduire en miettes, mais l'inverse était vrai. Pire encore, Quinn avait déjà réduit Rachel en miettes. A de nombreuses reprises.
Plus jamais.
Elle n'avait plus d'excuse dans cette grotte.
Elle se briserait avant de briser Rachel.
« C'est toi. » murmura-t-elle d'une voix tremblante.
L'incrédulité se substitua à la désillusion au fond des pupilles dilatées. Quinn se racla la gorge. Elle chercha quelque-chose à quoi se raccrocher, mais les murs de roche étaient trop loin d'elle, et elle ne pouvait pas se raccrocher à Rachel. Sûrement pas. Elle ramena les mains contre sa poitrine frémissante, essayant de se calmer en écoutant les battements saccadés qui résonnaient à ses oreilles.
« Qu'est-ce que... tu viens de dire ? » demanda Rachel d'une voix sourde.
Quinn entrouvrit la bouche, puis la referma. Son timbre la trahirait. Il était hors de question de s'effondrer maintenant. Elle serra les dents, jeta un regard autour d'elle, avant de reporter son attention sur Rachel.
Elle avait conscience de sa faiblesse. La brunette la voyait telle qu'elle était, sans artifices, sans erreur, et cette pensée la paralysait.
« Finn... Tous les garçons... Ils n'ont pas d'importance... chuchota-t-elle. C'est toi... Ça a toujours été toi. »
Elle repoussa la honte qui s'insinuait dans ses veines. Elle s'était détestée pendant si longtemps pour ce qu'elle ressentait... Cependant, elle ne pouvait se permettre de se confesser sur le ton de l'excuse. Même en étant Quinn Fabray, elle n'en avait pas le droit.
Elle se fit violence pour soutenir le regard plein de stupeur de Rachel.
« Q-Quoi ? Quinn... » bredouilla celle-ci.
Elle cligna fébrilement des paupières. On aurait dit un lapin pris dans les phares d'une voiture. Le rayon de la lampe de son casque, posé dans un coin, jetait des ombres qui accentuaient la surprise visible sur son expression décomposée.
Quinn ravala péniblement sa salive. Elle avait la gorge sèche. L'étroitesse de cette partie-ci de la grotte lui parut soudain insupportable et elle se mit à grelotter, gagnée par un froid mordant. Ou peut-être cela n'avait-il rien à voir avec tout ça...
« C'est... »
Les mots restèrent bloqués en travers de sa gorge. Elle ferma les paupières une fraction de seconde, faisant de son mieux pour reprendre ses esprits. Mais tout s'emmêlait, se heurtait...
Pourtant ce n'était pas si compliqué.
Elle connaissait ces paroles par cœur.
« C'est toi dont je suis amoureuse... » parvint-elle à articuler.
Sa voix se cassa net et elle fit de son mieux pour ne pas s'effriter sous les yeux de la brunette. Mais en dépit de tous ses efforts, elle baissa le regard au moment de prononcer cette phrase, et se mit à détailler les pieds de Rachel sans vraiment les voir. Son attention s'arrêta sur la basket de gauche, trop grande.
Elle ne pouvait plus faire demi-tour. Cette fois-ci, Rachel avait clairement entendu. Cette fois-ci, il n'y avait pas de mensonge ou de pirouette possible. Mais le silence de la jeune femme l'étouffait, et Quinn avait du mal à respirer. Elle se força à lever les yeux et se heurta aussitôt à l'incompréhension de la brunette. Plaquée sur son visage stupéfait, débordant de son regard vacillant, elle donna la nausée à Quinn.
Le soulagement qu'elle ressentait n'était d'ailleurs rien comparé à l'effroi et à la douleur qui se mêlaient dans son esprit déboussolé. Cela faisait d'autant plus mal que c'était ainsi que les choses étaient supposées se passer... Quinn devait le dire à Rachel... et Rachel devait réagir de cette manière. Où était son abattement bien pratique quand elle en avait besoin ? Elle ne parvenait pas à encaisser sans rien ressentir.
« Q...Quoi ? » murmura la brunette d'une voix désincarnée.
Elle recula machinalement. Le cœur de Quinn se serra davantage encore.
« Tu voulais savoir qui c'était, n'est-ce pas ? souffla-t-elle. Alors voilà... C'est toi... Je suis amoureuse de toi. »
Elle ne pouvait pas le répéter. C'était trop difficile.
« Non non non non non... bredouilla Rachel. Tu dois faire erreur, je ne peux pas-...
- Je sais que ça n'a pas de sens, dit Quinn, laissant exploser tout son désespoir. Pendant longtemps, ça n'en a eu aucun pour moi... Mais tu dois me croire, d'accord ?... Je ne mentirais pas là-dessus... tu le sais bien, non ? »
Rachel secoua la tête avec fébrilité.
« Non, tu ne mentirais pas là-dessus... Mais alors pourquoi dire quelque-chose comme ça ?
- Parce que c'est vrai... bafouilla Quinn.
- Mais cela n'est pas possible... »
La voix de Rachel mourut dans sa gorge. Elle resserra nerveusement sa queue de cheval, ce qui était inutile, étant donné que ses cheveux partaient déjà dans tous les sens, gonflés comme ils l'étaient par l'humidité.
« J'ai sans doute mal entendu... marmonna-t-elle comme pour elle-même. Jamais tu n'aurais pu dire ça... »
Son regard se perdit un instant dans le vague. Elle se frotta les yeux d'une main incertaine.
« C'est sans doute une hallucination... Oui... Je dois être en train de rêver.
- Rachel ! » lança Quinn d'une voix suppliante.
La brunette reporta aussitôt son attention sur elle. Quinn se sentit flancher face à l'insistance avec laquelle l'autre se mit à la fixer, sans doute pour déceler le mensonge dans ce qu'on lui disait.
« Ce n'est pas possible... souffla Rachel. Toi, en train de me dire quelque-chose comme ça ? Jamais tu ne pourrais ressentir ce genre de choses... Jamais. »
Quinn ignora la douleur qui faisait sournoisement battre son cœur. Elle fit de son mieux pour oublier et la frustration, et le désespoir, et le regret, et la peur... Elle y était. C'était en train d'arriver.
Et elle tenait encore debout, n'est-ce pas ? En dépit de l'incrédulité de Rachel... En dépit de sa perplexité totale et tranchante... La colère pouvait venir ensuite. Ce n'était pas fini. Et Quinn ne pouvait plus faire marche arrière... Pourtant, elle ne s'était pas encore disloquée. Elle aurait la force de résister à tout ce que Rachel pourrait bien lui dire.
En tout cas, elle voulut s'en convaincre.
« Je sais que j'ai fait des choses horribles... murmura-t-elle. Je sais que mon comportement rend tout cela difficile à croire... Et si tu savais à quel point je me déteste de n'en avoir jamais rien montré jusqu'à maintenant... Mais c'est vrai.
- Non, ce n'est pas possible... Pas toi. »
Quinn esquissa un sourire amer pour cacher toute cette vulnérabilité qui rampait sous sa peau et qui l'étouffait imperceptiblement.
« Si... chuchota-t-elle.
- Non. Quinn... »
Le ton se voulait ferme, mais les trémolos qui agitaient la voix de la brunette trahirent toute son incertitude. Elles s'entre-regardèrent, et pendant une fraction de seconde, Quinn eut l'intuition que chacune pouvait entrapercevoir les failles de l'autre. Mais elle était trop fébrile pour bien savoir ce qui était visible et ce qui ne l'était pas.
« Je voulais juste être ton amie... bégaya Rachel, groggy, et avec de grands gestes de la main, elle ajouta : Je n'ai jamais demandé... tout... tout ça. »
Quinn absorba ces paroles, s'abandonnant à la souffrance qu'elles contenaient implicitement.
« Je sais... » chuchota-t-elle.
Elle essaya de ne rien montrer de la culpabilité qui la rongeait.
« Mais... tu es là à dire toutes ces choses positives sur moi... et c'est bien la preuve que tu n'en sais pas assez sur moi... Je me suis dit... qu'il fallait que tu saches tout. Pour que tu puisses me juger de façon objective... de façon juste...
- De façon juste... » répéta Rachel, et Quinn crut rêver l'ironie inhabituelle qu'elle perçut dans son timbre.
La brunette continua de détailler Quinn, puis elle demanda :
« Alors c'est pour ça que tu me le dis ? Pour que je me rende compte que tu n'es pas celle que je pensais et que je me mette à te détester autant que tu te déteste ?
- N-non... Pas forcément.
- Alors pourquoi, Quinn ?
- Ça... Ça faisait un moment que je voulais te le le dire.
- Un moment ?
- Q-Quelques jours. »
Le regard de Rachel flamboya dangereusement. Quinn se sentit soudain toute petite face à elle, comme submergée par toutes ces années de lâcheté qu'elle avait emmagasinées sans que personne n'en sache rien.
«... Donc au départ, tu avais prévu de partir de ton côté sans m'en parler ? »
Quinn avait tellement honte qu'elle eut tout juste le courage d'acquiescer.
« Bon sang... Quinn. Comment peux-tu être aussi bornée ?
- J-Je sais. Excuse-moi. »
Rachel la dévisagea encore durant quelques secondes, avant de soupirer. Elle paraissait hésiter entre la perplexité et l'inquiétude. Quinn elle-même ne savait pas ce qu'elle était censée ressentir.
« Je suis désolée, Quinn... bredouilla Rachel en secouant machinalement la tête. Mais... »
Elle prit une longue inspiration, puis détournant les yeux, murmura :
« … je ne te crois pas. »
A l'instant où la brunette prononça ces paroles, Quinn sut qu'elle mentait. Son cœur eut un raté.
« C'est impossible. Tu dois te tromper. Ou... Ou je dois mal entendre ! Ou peut-être que j'ai fini par mourir au fond de cette grotte de malheur, et que tout ça n'est que le produit de mon imagination... ce qui ne serait pas très logique vu que je suis censée être morte... En tous les cas, ça n'a pas de sens, tu as raison. Je ne vois pas pourquoi toi, Quinn Fabray, tu déclarerais ta... »
Elle déglutit, comme si elle ne réalisait qu'en cet instant ce que les paroles de Quinn impliquaient.
«... ta flamme à quelqu'un comme moi... Je ne vois pas ce qui pourrait justifier cela... Je ne comprends pas du tout. Pourquoi tu ressentirais ce genre de choses à mon égard... Pourquoi... Pourquoi, oui ? Je n'y crois pas... Non non non non... »
Elle répéta plusieurs fois « Non non non non » mais plus les secondes passaient, plus elle semblait convaincue.
Quinn se demanda vaguement ce qu'il advenait de leur supposée amitié à présent. Bien sûr, elle était morte et enterrée. Il était inenvisageable qu'elles parviennent à se parler normalement après les aveux de Quinn. Il suffisait à la blonde de voir Rachel, habituellement si bavarde et si truculente, lutter en cet instant pour former ne serait-ce qu'une phrase cohérente.
Car oui, elle avait cloué le bec à Rachel Berry. Et si ce n'était pas mauvais signe, elle ne savait pas ce que c'était.
« Est-ce que tu m'en veux ? » demanda Quinn après un moment, vigilante.
Rachel fit un effort pour la regarder en face. Elle avait du mal à garder sa concentration, comme si elle repensait à tout un tas de choses à la fois. Se repassait-elle toutes ces discussions, ces petits moments avec Quinn, bons ou mauvais, pour y chercher les indices des sentiments de la blonde ? Les trouvait-elle ?
« T'en vouloir pour quoi ?
- De te l'avoir dit... dit Quinn, et elle essaya de ravaler son amertume alors qu'elle poursuivait : Je comprendrais que cela te fasse une belle jambe. J'aurais... J'aurais peut-être plutôt dû me taire. »
Rachel la fixa avec un désarroi plus grand encore.
« Tu penses que je pourrais t'en vouloir d'avoir été honnête avec moi ? Alors que c'est tout ce que j'ai toujours réclamé de toi ?
- Peut-être que ce n'était pas ce genre d'honnêteté que tu avais en tête...
- Non... C'est vrai... » marmonna Rachel d'un air piteux.
Elle semblait très fragile tout à coup. Quinn voulut la prendre dans ses bras. Mais à cette proximité qu'elles avaient partagée quelques minutes plus tôt, tout à fait naturellement en dépit de leur relation nébuleuse, se substituait cette distance que l'une et l'autre maintenaient automatiquement... Quinn eut la désagréable impression d'être de retour à la case-départ, au début de leur séjour au chalet, quand elles ne savaient pas comment se parler, ni comment se regarder... Cette période de non-dits, d'hésitation, qui y avait succédé, aussi courte avait-elle été... Cette période où elles n'auraient su dire si elles étaient détestée de l'autre, où elles avaient établi une paix précaire, où elles s'étaient tenues par la main et blotties l'une contre l'autre sans vraiment savoir pourquoi ni comment... Cette période n'avait duré que quelques jours, jusqu'à ce moment précis, cependant peut-être aurait-il été mieux de garder les choses ainsi...
Mais Quinn n'avait jamais prévu tout cela, n'est-ce pas ? Elle n'avait jamais prévu de se rapprocher de Rachel d'une quelconque manière... Puis, même quand elle avait enfin compris que lui dire ce qu'elle ressentait était nécessaire, elle avait envisagé le fait d'avouer son amour comme une fin, et non pas comme un nouveau départ pour une relation plus franche et saine avec Rachel...
Rien ne devait ressortir de tout cela. Rachel et elle ne devaient jamais se revoir, et au fond, la situation serait la même que quand elles étaient arrivées au chalet, excepté que Rachel saurait, et que Quinn pourrait faire mine d'aller de l'avant...
Alors elle ne pouvait pas regretter d'avoir détruit cet équilibre artificiel et dangereux... Tout cela n'avait jamais eu de sens de toute manière. Tout comme mes propres sentiments, pensa-t-elle avec écoeurement. Tout comme mes propres agissements...
Rien de ce qu'elle faisait n'avait de sens. La réaction de Rachel était parfaitement logique... Il était tout à fait logique que la brunette n'admît pas qu'elle la croyait. Quinn aurait sans doute même dû s'estimer heureuse de ne pas avoir droit à quelque-chose de plus brutal... C'était plus que ce qu'elle méritait.
« Même si tu ne veux pas le croire... reprit-elle après un long moment de silence tendu. Même si tu ne comprends pas pourquoi... C'est la seule vérité pour moi. Je t'ai mentie bien des fois... pendant si longtemps... Et j'ai toujours été si terrifiée que quelqu'un le découvre, que... que tu le découvres... J'ai même bien cru devenir folle à certaines périodes... mais c'est quelque-chose que je ne peux plus nier. Je n'en ai pas le droit. Je ne peux pas continuer à te briser encore et encore en faisant mine d'être au mieux indifférente à ton égard, alors que c'est tout le contraire. Je ne peux plus faire semblant de ne rien ressentir... C'est... C'est fini. »
Elle soutint le regard toujours stupéfait de Rachel presque avec confiance. Son cœur affolé trahissait sa nervosité, mais en surface, elle se sentait moins éparpillée. C'était moins pire que ce quoi à elle s'était attendue. Elle était moins faible que ce qu'elle avait pensé.
Prenant son courage à deux mains, elle murmura :
« Il y a tant de fausseté en moi, je crois que tout le monde l'a compris. Mais ça... c'est vrai. C'est réel... Je t'aime, Rachel. »
Sa respiration se bloqua un instant, et il en fut de même pour Rachel, dont la lueur vacillante au fond des yeux trahit l'impact que ces quelques mots avaient sur elle. Bien malgré elle, un sourire un peu hésitant se forma sur les lèvres de Quinn : elle se sentait plus légère. Pour la première fois, ces mots avaient une connotation positive... Ils n'étaient plus une épée de Damoclès qui pouvait la décapiter à tout moment... Pendant une fraction de seconde, elle n'eut plus peur. Elle se demanda même pourquoi elle avait hésité pendant si longtemps... Pourquoi elle avait voulu tout enfouir sous des mensonges qui lui avaient fait plus de mal que de bien.
Puis, elle se rendit compte que Rachel ne voulait toujours pas admettre qu'elle y croyait, et elle se sentit de nouveau vulnérable, fragile... friable. La réalité la heurta, brutale et cruelle. Elle était toujours habitée par la peur. Elle n'était pas soudainement devenue une jeune femme sereine, sûre.
« Je ne te crois pas... » répéta Rachel.
Elle paraissait légèrement frustrée à présent. Elle semblait vouloir nier, nier de toutes ses forces... Mais elle croyait Quinn. La blonde se rendit même compte que Rachel la croyait depuis la seconde où elle lui avait dit que c'était elle.
« Je ne peux pas te croire... » insista Rachel.
Il y avait du désespoir dans sa voix.
« Je ne mens pas... dit Quinn, suppliante. Je n'ai aucune raison de mentir... »
Rachel secoua vivement la tête.
« Non... Non... Non... »
C'était compréhensible. A sa place, Quinn aurait également tout fait pour rejeter l'idée que son bourreau du lycée puisse avoir des sentiments à son égard. Après tout, c'était totalement absurde, malsain et dérangeant.
Elle ricana intérieurement, tout en continuant de contempler Rachel à la dérobée d'un œil mi-désespéré, mi-accablé. Celle-ci croisa les bras, ramena une mèche de cheveux derrière son oreille et fit quelques pas vers la droite, avant de revenir à sa place initiale, et de s'arrêter, l'air profondément perdu. Son agitation était palpable. Quinn la voyait dans la moue qu'elle esquissait, les regards fugaces qu'elle lui jetait, les frissonnements de ses mains égratignées, sa démarche un peu hésitante, ses jambes flageolantes...
Rachel savait. Et maintenant quoi ?
Quinn l'avait dit pour mettre fin à tous les mensonges... Elle l'avait aussi dit parce qu'elle y pensait depuis si longtemps... Et enfin, qu'est-ce qui leur assurait d'être encore vivantes dans l'heure qui suivait ? C'était l'urgence de la situation, mêlée au désir de se racheter et à celui d'avoir la franchise de se dévoiler... C'était tout cela à la fois, et bien plus encore.
Mais... et maintenant ?
Quinn ne savait pas ce qu'elle voulait. Elle le savait d'autant moins que Rachel ne paraissait pas disposée à admettre qu'elle la croyait... En d'autres mots, Quinn se trouvait enfin face à ce trou noir qu'elle avait tant redoutée... Se trouverait-elle aspirée, comme elle l'avait toujours cru ?
La voix tremblante de Rachel la tira brusquement de ses pensées enfiévrées.
« Prouve-le. »
Quinn écarquilla les yeux. Elle s'attendait à tout sauf à ça...
« Quoi ? » bredouilla-t-elle machinalement.
Une certaine inquiétude brilla au fond des iris chaudes.
« Je n'ai... Je n'ai aucune raison de croire que tu... tu m'aimes... »
A ces mots, Rachel baissa le regard.
« Oui. C'est vrai... dit Quinn, résignée.
- Alors prouve-le-moi. »
Il y avait de l'urgence dans ces paroles répétées. Une boule se forma dans la gorge de Quinn. Elles se jaugèrent du regard. La question restait en suspension entre elles, implicite.
Mais comment ?
Après tout ce qui s'était passé, après tout ce qui avait été dit et surtout après tout ce qui avait été tu, comment Quinn pouvait-elle faire comprendre à Rachel que ce qu'elle disait était vrai ? Si, même dans une situation où elle croyait à ce qui venait de lui être dit, la brunette était trop choquée pour ne pas faire semblant de ne pas comprendre... y avait-il encore quelque-chose à faire ?
Un profond désespoir envahit Quinn. Le souffle lui manqua. D'un geste mécanique, elle s'épongea le front. La sueur lui collait au corps, l'emprisonnant dans quelque-chose de froid, de glacial, comme la solitude qui l'oppressait en cet instant, cette solitude dans laquelle elle pataugeait depuis toujours.
Elle était seule avec ses sentiments, seule avec ses pensées, seule avec ses insécurités... D'autant plus seule qu'elle avait tout fait pour que les autres n'en voient rien, pour qu'ils continuent de la croire inébranlable, en dépit de tout... D'autant plus seule qu'au lieu de faire comprendre à Rachel qu'elle l'aimait, elle l'avait tourmentée, puis ignorée.
Pouvait-on revenir de cela ?
Avait-on le droit de se racheter après une erreur aussi monumentale ?
Quinn ne s'estimait pas pardonnable. Mais était-ce trop demander que d'être ouvertement crue par celle qu'elle aimait ? Etait-ce présomptueux de vouloir de Rachel qu'elle avouât qu'elle y croyait quand la blonde lui disait « Je t'aime » ?
Car Rachel ne voulait pas être franche. Elle souhaitait nier... Elle souhaitait jouer les incrédules... Elle ne voulait pas admettre l'étendue des sentiments que Quinn avait à son égard... elle n'en était sans doute même pas capable. Comment aurait-elle pu ? Quinn était distante... Quinn était lunatique... Quinn était imprévisible... Il était donc impossible que cette Quinn-là puisse l'aimer, n'est-ce pas ? Cela ne collait pas... et il ne valait mieux pas.
Plus Quinn essayait de se mettre à la place de Rachel, plus le poids de toute sa lâcheté se faisait lourd sur ses épaules tremblantes.
Il n'y avait pas de retour possible... Elle avait raté son heure.
Elle ressentit la même frustration, la même impression de ne pouvoir rien faire que dans la cuisine du chalet des Jones... De ce fameux soir, Rachel avait tout oublié. Et même si en cet instant elle croyait Quinn, Rachel ne la comprendrait jamais.
Quinn avait envie de pleurer.
Je ne peux pas te le prouver.
Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. De nouveau, cette fragilité dans le regard de Rachel... Quinn voulait juste la prendre dans ses bras... Elle voulait juste-...
Avant de comprendre ce qu'elle faisait, elle s'avança. Rachel eut un mouvement de recul machinal, mais resta plantée là, à la contempler de ses yeux déboussolés. Elles ne furent plus qu'à un mètre l'une de l'autre. Quinn hésita une demi-seconde avant de parcourir la distance qui les séparait encore. Ses mains pleines de nervosité se posèrent sur le visage de la brunette. Il était brûlant.
Elles se contemplèrent, durant une seconde insignifiante, une toute petite seconde qui pourtant leur parut s'étirer en une éternité. Le souffle de Rachel était erratique contre les joues empourprées de Quinn. Elle-même en oublia de respirer.
Elle eut une hésitation. Elles étaient sobres. Elle n'avait pas d'excuse.
« Prouve-le. »
Elle rapprocha son visage, et ses mains frémirent sur les joues bouillonnantes de Rachel. Juste avant que ses paupières ne se ferment, elle entrevit sur les traits de la brunette quelque-chose qui la perturba. Etait-ce de l'impatience ?... du désir ? C'était comme si Rachel n'avait attendu que cela... Quinn se faisait des idées. Pourtant, l'inspiration sifflante que Rachel prit avant que leurs lèvres ne se rencontrent parut le confirmer.
La grotte disparut, et son ambiance suffocante avec. Il n'y eut plus la roche sèche, ni l'ombre des créatures... Il n'y eut plus qu'elles. Le sang s'enflamma brutalement dans les tempes de Quinn, l'étourdissant. Rachel irradiait cette même chaleur que la première fois. Quinn se pressa contre elle, se penchant davantage encore pour rapprocher leurs deux visages. Elle eut l'impression que la brunette s'abandonnait contre elle.
Elle rêvait... n'est-ce pas ?
La bouche de Rachel s'entrouvrit. Le cœur de Quinn eut un raté et elle fit de même sans vraiment pouvoir s'en empêcher. Peut-être aurait-elle dû tout arrêter là... Elle sentit les mains de la brunette, glacées en comparaison de la bouche qui se pressait contre la sienne, se refermer autour de ses poignets avec une délicatesse qui la fit frissonner, comme pour la repousser, comme pour mettre fin à ce baiser inattendu. Mais elles n'en firent rien et restèrent là, semblant plutôt vouloir l'empêcher de reculer... de se dérober. Quinn avait du mal à y croire.
Ce baiser avait le goût de la sueur et de la fatigue, de la peur et du désespoir, mais il irradiait en même temps quelque-chose de particulier, de marquant, que Quinn ne put identifier, tant elle était désemparée. Elle ne percevait que cette chaleur, dont elle voulait s'abreuver, encore et encore... C'était fiévreux, incendiaire, tout autant que l'autre soir... Quinn sentait ces doigts qui l'enserraient, et cette poitrine qui se pressait contre la sienne en se soulevant par saccades, et cette bouche qui semblait avoir tout autant envie d'elle qu'elle-même avait envie de Rachel...
Mais elle se faisait des idées... Elle se le répéta péniblement, car sa volonté était en train de lui glisser entre les doigts...
Elles se séparèrent d'un même mouvement. Le rai jaunâtre de la lampe du casque ne se trouva plus obscurci par leurs visages pressés l'un contre l'autre et elles virent de nouveau les ombres qu'il jetait sur leurs traits respectifs. Quinn garda les mains sur les joues de Rachel la brunette ne lâcha pas ses poignets. Ni l'une ni l'autre ne recula.
Elles se dévisagèrent en silence, aussi surprises l'une que l'autre, leurs nez se touchant presque. Les yeux de Rachel scintillaient doucement dans la semi-obscurité qui les enveloppait, nimbés d'une familiarité qui remua quelque-chose en Quinn.
La brunette expira péniblement. Elle avait retenu son souffle pendant tout son temps.
« D'a-d'accord... bafouilla-t-elle. Je... je te crois. »
Ses mains retombèrent le long de son flanc et le cœur battant, Quinn la relâcha. Toute la vulnérabilité qu'elle éprouvait vint s'écraser sur elle comme une vague, violente et brutale. Rachel savait... Elle avait embrassé Rachel...
Oh mon Dieu.
Une horreur insaisissable se répandit dans ses veines. Pendant un instant, elle envisagea tous les moyens possibles pour revenir en arrière. Elle ne pouvait pas... Elle n'arriverait jamais à assumer. Mais les battements irréguliers dans sa poitrine, l'espèce de chaleur qui l'engourdissait, le souvenir encore hypnotique des lèvres de Rachel contre les siennes... tout cela la réduisait au silence et à l'immobilité.
En face d'elle, Rachel s'humecta les lèvres et continua de la détailler avec intensité. Son regard était indubitablement différent. Cela terrifia Quinn.
Un froissement retentit brusquement à leur droite, au niveau du tunnel par lequel Rachel était venu. Après une hésitation, Quinn se précipita sur son piolet, qu'elle avait laissé dans un coin, et le pointa en direction du couloir.
Des pas lourds résonnèrent dans le silence pesant. Elles échangèrent un regard inquiet. Ce n'étaient pas les bruits que produisaient habituellement les créatures. C'était quelqu'un du Glee Club. Les deux jeunes femmes étaient séparées par une distance respectable et rien n'aurait pu indiquer ce qu'elles venaient de faire, mais elles eurent toutes deux le réflexe de s'éloigner l'une de l'autre. Quinn eut à peine le temps de réaliser ce qui était en train de se passer que la large silhouette de Finn se matérialisa devant ses yeux nerveux.
Le garçon était couvert d'égratignures et il ployait sous le poids d'un sac. Il avait le souffle court.
Le soulagement qui submergea la blonde à sa vue se volatilisa brutalement lorsqu'elle croisa son regard brumeux.
Car elle comprit aussitôt qu'il avait tout entendu.