Epilogue

Seize ans plus tard …

- Fais pas de hein bêtise ! Papa se lave les cheveux.

Le garçon éclata de rire sans raison aucune et se mit à battre des jambes dans l'eau de la baignoire, tout en mâchouillant son canard en plastique. Le sourire aux lèvres, Aiolia commença à se shampooiner sans quitter son enfant des yeux.

Le dernier né avait presque deux ans, et il tenait parfaitement assis dans l'eau – même debout sur ses jambes d'ailleurs – mais c'était aussi un véritable boute-en-train. Il suffisait qu'il tourne les yeux deux secondes, pour qu'une catastrophe se produise. Avec lui, le Lion était deux à trois fois plus vigilants qu'il ne l'avait été avec les trois aînés. Au fil des années, il avait appris que, bien que les enfants, dans leurs premières années, ris, pleurent et crient de la même façon ils avaient, pour la plupart, des caractères diamétralement opposés.

Kaoru par exemple. Son premier enfant, celui qu'il avait sans conteste le plus chouchouté, avait fêté son seizième anniversaire la semaine dernière et était un parfait mélange entre ses deux parents. Sa taille et sa carrure étaient typiquement japonaises et, tout comme Shun, il était d'un calme et d'une gentillesse à toute épreuve – parfois même à la limite de la placidité. Mais, ton comme son père Aiolia du Lion, il avait la peau foncée et les cheveux clairs des européens, et possédait, qu'on se le dise, un caractère bien dessiné. Il savait se montrer ouvert, tolérant et compréhensif, mais cela ne l'empêchait pas de faire montre d'une confiance en lui et d'un entêtement qui, parfois, frisait l'obsession.

Durant les quatre premières années, Shun et Aiolia avaient été pleinement satisfait de l'occupation que leur procurait Kaoru, et avaient vécu cette vie à trois avec beaucoup de passion et d'émerveillement : les premiers pas du bébé, ses premières paroles, son premier éclat de rire, son premier dessin … des moments qu'Aiolia n'oublierait jamais, il le savait.

Et puis un jour, Shun était venu le voir en lui disant qu'il voulait un deuxième enfant. Que cela aiderait peut-être Kaoru à s'épanouir s'il avait un petit frère ou une petite sœur. Tout d'abord, Aiolia avait été contre. Il ne se souvenait que trop bien du risque que Shun avait encouru durant la grossesse et plus encore durant l'accouchement mais, finalement, il avait cédé. Un nouveau petit bébé !

Son fils Alexandre avait alors vu le jour. Un bon « petit » grec comme son père l'était, cinquante-neuf centimètres à la naissance pour cinq kilos huit-cent à la pesée. Contre toute attente, Shun avait beaucoup mieux traversé l'épreuve de l'accouchement que lors de la naissance de Kaoru. Selon beaucoup, Alexandre n'était pas le fils d'Aiolia. C'était son clone. Exactement la même couleur de cheveux d'un brun roux cuivré chaud et épicé, les mêmes yeux bleus comme un ciel d'été sans nuage et surtout, un caractère têtu, bourru, obstiné et très impulsif dont il avait manifesté très jeune les premiers traits. Sans oublier une fâcheuse tendance à cogner lorsqu'il s'énervait. Mais le petit garçon avait tout de même hérité quelques petites choses de Shun. Un léger cercle vert clair tendre et lumineux qui encerclait sa pupille, ainsi que la forme parfaitement symétrique de sa bouche. Pour le reste, c'était son père le Lion tout craché.

Le caractère d'Alexandre ainsi que l'attention et l'énergie qu'il leur demandait avait conforté Aiolia et Shun dans leur décision : deux enfants étaient parfaits. Il était hors de question d'en avoir d'autres ! Le petit garçon ne semblait jamais vouloir cesser de mettre leurs nerfs à rude épreuve, et surtout ceux de son père, et c'était bien suffisant.

Cependant, six ans après la naissance de ce petit diable, ils avaient eu une surprise. Comme le leur avait alors appris Mû, cela s'appelait une grossesse non désirée. Ou encore, un accident stupide. Shun était tombé enceint sans l'avoir voulu, mais il était hors de question pour lui d'avorter. Aiolia avait retroussé ses manches, prêt pour un nouveau round. Et le petit Yuni était arrivé.

Un hermaphrodite aux cheveux d'émeraude, et aux yeux d'un bleu limpide et transparent, qui était né prématuré à presque huit mois de grossesse et empoisonné par le liquide amniotique. L'accouchement avait été chaotique, et le petit avait passé les deux premiers mois de sa vie en couveuse, incapable d'émettre un son ou de faire un geste, pas même celui d'ouvrir les yeux. Aiolia avait eu très peur. Shun avait eu très peur. Cet enfant n'était pas voulu, mais ils l'avaient tout de suite aimé, et peut-être même avec plus de force que les deux premiers. Mais c'était un désir effrayant et effrayé. Lorsqu'enfin le petit Yuni parvint à soulever ses lourdes paupières et pousser son premier cri, le monde avait paru retrouvé ses couleurs. Pourtant, Aiolia et Shun étaient à présents habitués à entendre des enfants crier, rire et pleurer pour la première fois. Mais entendre la voix de Yuni avait été une bénédiction pour eux.

En grandissant, l'enfant avait gagné en fragilité de corps et d'esprit. Il pleurait souvent, s'effrayait pour un rien, était sujet aux infections virales et réclamait sans cesse la protection et la présence de ses parents. Et pourtant.

Saga, grand Pope du Sanctuaire, était le plus précoce des Chevaliers d'Ors d'Athéna. Il avait été capable d'utiliser, même très brièvement, son cosmos pour la première fois à huit ans. Yuni l'avait fait à l'âge de six ans, pas plus tard que le mois dernier. Il était très fragile physiquement, mais possédait une puissance spirituelle et psychique qui avait fait pâlir Shaka – et il en fallait beaucoup pour l'impressionner. Mais ni Shun ni Aiolia ne s'en étaient réellement inquiéter. Ils avaient confiance en Yuni. Malgré son jeune âge, ce petit hermaphrodite était bien trop sage et bien trop effrayé par sa propre force pour l'utiliser sciemment.

Et puis il y a presque deux ans, quatre ans après la naissance difficile de Yuni, Shun avait demandé une faveur à son amant : un autre bébé. Son argument pour le convaincre avait été :

- J'ai trente ans. Je veux donner la vie une dernière fois avant de ne plus pouvoir le faire.

Aiolia avait évidemment cédé. Voilà comment le petit dernier, Kolia, qui mâchouillait allégrement son canard en plastique en ce moment-même dans la baignoire avec lui, était né. C'était un petit garçon en parfaite santé, magnifique mélange entre oriental et occidental, qui passait son temps à rire, courir et manger. Un vrai petit bonheur de lutin, comme le disait souvent son père.

La porte de la salle de bain s'ouvrit, et Shun entra. Aiolia tourna sa tête toute recouverte de mousse vers lui et lui sourit.

- Tout se passe bien ?

- Ça baigne, répondit le Lion.

Au même moment, voyant Shun entrer, Kolia cria fort, éclata de rire, battit des bras et son canard s'envola violemment pour atterrir en plein dans l'œil de son père.

- Ah putain ! s'écria celui-ci sous les rires joyeux de son fils.

- Ton langage ! répliqua Shun sans pouvoir s'empêcher de rire.

- Nan mais il vient de me crever l'œil là !

Aiolia, la paupière droite à moitié fermée, se frotta convulsivement sans pouvoir s'en empêcher, se tartinant au passage amoureusement les yeux de shampooing.

- Et merde ! s'écria-t-il de nouveau.

- C'est quoi ces gros mots que j'entends ? lança la voix amusée de June.

Elle pénétra dans la salle de bain sans aucune gêne, démasquée et souriante, affublée d'un tablier jaune, un bol à la main. Shun se détourna et attrapa une serviette pour y envelopper son fils qui continuait de gazouiller joyeusement.

- Mais qu'est-ce tu fous là toi ?! l'accueillit Aiolia avec verve. Tu vois pas que je prends mon bain !

- Ah si, je vois ! répondit la jeune femme dans un grand sourire.

Avant qu'une nouvelle guerre atomique n'explose, Shun fit sortir son amie de la pièce et referma la porte. Puis il tendit une petite serviette à son compagnon pour que celui-ci puisse s'essuyer les yeux.

- Empoté, lui dit-il lorsqu'il eut fini.

- Nan mais il m'a canardé, t'es témoin ?! se défendit Aiolia en pointant son fils du doigt.

Shun rit. Kolia, dans ses bras, tentait désespérément d'arracher la serviette qui l'entourait. Cet enfant avait une fâcheuse tendance à vouloir toujours se promener nu, et avait acquis un don certain pour se débarrasser de ses vêtements. Assit dans sa baignoire, de la mousse sur la tête, Aiolia se renfrogna. Son compagnon se pencha vers lui et ils s'embrassèrent chastement.

- Yuni ne veut pas prendre son petit déjeuner, dit Shun en frottant les cheveux de Kolia avec énergie malgré ses protestations, il n'a déjà pas terminé son assiette hier soir, ça m'embêterait qu'il ne mange pas non plus ce matin. Tu veux bien allez t'en occuper ? Moi j'ai tout essayé.

- Ouais, répondit le Lion en se grattant l'oreille, mais je ne te garantis pas de faire mieux que toi.

Une fois sec et habillé, Aiolia quitta la salle de bain et se dirigea vers la salle à manger. En parcourant le couloir et pénétrant ensuite dans la pièce, une bouffée étrange de nostalgie le submergea. Un bref instant, il revit l'espace tel qu'il était seize ans auparavant, une chambre et une cuisine à la fois où ils avaient à peine la place de tenir à deux. Mais avec les années, Aiolia avait fini par transformer ce petit nid d'amour en véritable maison de famille avec trois chambres, une salle d'eau, une cuisine, une salle à manger et même, un petit garage où les jouets d'extérieurs des enfant s'entassaient comme autant de merveilles usées par le temps et les usages répétés. Le Lion ne pouvait s'empêcher de tirer une certaine fierté de son ouvrage chaque fois qu'il contemplait la maison depuis l'extérieur.

Soudain, assit à la table, la tête penchée au-dessus d'un bol, une petite silhouette le tira de ses pensées. A la vue du petit Yuni qui le fixait avec ses yeux bleus larmoyants, le cœur d'Aiolia se gonfla d'amour. Il ressemblait tellement à Shun, avec ce petit nez retroussé et ses cheveux d'émeraude, que c'en était désarmant pour lui, qui déjà ne pouvait rien refusé à l'original. Un immense sourire aux lèvres, le Lion s'approcha de l'enfant.

- Bah alors ma puce, dit-il avec tendresse, on n'arrive pas à terminer ses céréales ?

L'enfant fit non de la tête, remuant les Golden Grahams dans son lait à l'aide sa petite cuillère. A voir cette petite moue triste et désolée, le cœur d'Aiolia fondit comme neige au soleil.

- C'est pas grave, dit-il alors avec toujours autant de douceur, on va ranger ça, et tu vas prendre un carré de chocolat à la place, ça te dit ?

Immédiatement, le visage pâle de Yuni s'illumina et ses yeux pétillèrent. Il sauta de sa chaise alors que son père retirait le bol de la table, et le suivit dans la cuisine. Par mesure de sécurité, et aussi parce que les quatre enfants étaient tous aussi gourmands que celui qui leur avait donné le jour, les tablettes de chocolat avaient été rangé dans un placard si haut que pas même Alexandre, du haut de ses douze ans, ne pouvait les attraper.

Aiolia ouvrit le placard et saisit une tablette de chocolat au lait Côte d'Or, Yuni accroché au pantalon. Il cassa un carré, s'accroupit près de lui, et le lui donna. L'enfant s'en saisit immédiatement de ses petites mains blanches avides, et le fourra dans sa bouche avec délectation.

- Et mange-le vite avant que ton père voit ça ! lui murmura Aiolia, un immense sourire aux lèvres.

Pour toute réponse, le petit corps de son enfant se colla contre son torse et sa tête minuscule se déposa sur son épaule. Tout en continuant de sucer son petit carré de chocolat, l'enfant resta là à câliner son père qui, patiemment, attendait, accroupit sur le carrelage de la cuisine.

Contrairement à ses trois frères, Yuni n'était pas avare de parole. Il parlait très peu, mais s'exprimait tout autrement. Il adorait les câlins, les bisous et les caresses et se contentait souvent d'un regard ou d'un sourire pour répondre. C'était un enfant très sage et très calme, très timide aussi. Pour Aiolia, c'était sa petite princesse.

Tout comme Kaoru, Yuni était un hermaphrodite. Même s'il était encore trop jeune pour réaliser exactement ce que cela signifiait pour lui, le Lion avait parfois l'impression que son enfant tenait plus de la petite fille calme, que du garçon turbulent. Parfois, lorsqu'il le regardait dormir, il revoyait son petit corps immobile et muet sous la couveuse de verre, et son cœur se serrait. Bien évidemment, il ne l'avait jamais dit ouvertement à Shun, mais se l'avouait à lui-même sans complexe : Yuni était sans conteste son préféré. Il était si fragile, et cette façon qu'il avait de réclamer la présence et la protection de son père le faisait littéralement fondre. Parfois, il avait l'impression de contempler Shun, innocent et délicat.

De ce fait, Aiolia n'était pas particulièrement pressé de voir Yuni grandir. Il voulait qu'il garde cette innocente fragilité, pour toujours. Mais bientôt, il le savait, son enfant lui poserait cette question embarrassante, que Kaoru lui avait un jour posé : pourquoi je ne suis pas comme les autres garçons ? Soudainement nostalgique, et peut-être même un peu effrayé, Aiolia serra le corps étroit de son enfant contre lui, et soupira.

L'adolescence de Kaoru avait été une bataille de tous les instants. Profondément perturbé par ce qu'il était, le jeune garçon avait longtemps fuit la proximité des autres, s'était longtemps caché des regards. Il avait peur, et honte à la fois de sa condition d'hermaphrodite. Pendant trois ans, il avait même catégoriquement refusé d'aller au Sanctuaire lorsque ses parents s'y rendaient pour retrouver Alexandre, installé là-bas depuis l'âge de huit ans pour y suivre son entrainement d'apprenti Chevalier du Scorpion. De plus, contrairement à son petit frère, Kaoru n'avait jamais voulu devenir Chevalier et avait donc suivit un entraînement secondaire, juste de quoi lui apprendre à se défendre en cas de nécessité, ce qui rendait d'autant plus rares les occasions pour lui de se rendre au Domaine Sacré.

Bien évidemment, la paix régnait désormais dans le monde depuis seize ans, depuis le jour où, sur cette même île, le dernier groupuscule des Amazones avait été détruit la nuit de la naissance de Kaoru par Ikki du Phénix, venu prêter main forte à June et ses compagnons. Personne n'en était certain, bien sûr, mais après cette bataille, plus aucune Femme Guerrière ne s'était manifesté, et Athéna et son Pope en avait naturellement conclu qu'elles avaient toutes été tué ou mises en déroute, et qu'elles avaient fini par abandonne. Il n'était donc pas utile à Kaoru de suivre un entraînement sérieux, aussi avait-il eu le droit de choisir lui-même sa destinée.

Et, tout comme Alexandre avait choisi de tenter sa chance pour l'armure d'or du Scorpion, l'année dernière, âgé de quinze ans, Kaoru avait choisi de se mettre au service de Mû du Bélier, et de devenir médecin. Bien malgré lui, Shun en avait été fier. Fier de constater que son enfant voulait se mettre à disposition pour les autres, soigner des blessés et vivre, malgré tout, parmi les Chevaliers. Bien évidemment, ni lui ni Aiolia ne se doutait de la vérité de cet acte, mais ne tarderait pas à le découvrir.

- Aiolia, tu vas être en retard.

La voix de Shun, bien qu'elle fut douce et teintée d'un léger amusement, fit sursauter le Lion qui, perdu dans ses pensées, n'avait pas entendu son compagnon approcher. Yuni se tourna vers son autre père, les lèvres et le menton barbouillés de chocolat, et lui sourit.

- Je vois, lança Shun en croisant les bras.

- Bah, tenta Aiolia dans un sourire, il n'a pas voulu terminer son bol.

- Mmh.

Echange de regard. Soudain, Yuni avala sa dernière bouchée et leva ses mains bariolées de chocolat devant le nez de son père avant de s'écrier :

- A fini !

- C'est bien ma puce, lui répondit Aiolia dans un sourire conquis, un tantinet trop tard, mais c'est bien quand même.

Yuni souriait jusqu'aux oreilles. Il se laissa manipuler lorsque son père le prit dans ses bras pour l'approcher de l'évier et nettoyer ses petits doigts sales, puis accepta un bisou sur la joue sans protester mais couina de mécontentement lorsqu'Aiolia le redéposa au sol. Toujours debout les bras croisés, appuyé contre la porte, Shun souriait en les observant.

- Allez ma puce va t'habiller, ordonna doucement le Lion en poussant l'enfant vers le salon.

Yuni détala alors comme un petit lapin et disparu dans le couloir, ravi. Aiolia se tourna vers Shun et lui sourit.

- A chaque fois tu te fais avoir, lui dit son amant en entrant dans la pièce.

- Nan mais il n'arrivait pas à finir son bol ! se défendit le Lion avec véhémence. J'allais pas le laisser commencer la journée avec rien dans le ventre quand même.

- Bien sûr … et il ne t'est jamais venu à l'esprit que, s'il ne finissait jamais son bol, c'est justement parce qu'il sait que s'il ne le finit pas, il aura du chocolat ?

- J'lui en donne pas à chaque fois non plus !

Court silence.

- Enfin pas toujours, termina le Lion, un peu gêné.

Shun rigola. Il attrapa les bols et les tasses et les mit dans l'évier avant de faire couler l'eau. Aiolia jeta un coup d'œil à l'horloge dans le salon. S'il ne se dépêchait pas, il allait être en retard. Ses vingt élèves, futurs gardes et soldat du Sanctuaire, l'attendaient déjà certainement sur le terrain d'entraînement. Chaque matin, c'était toujours plus dur pour Aiolia de quitter son foyer. Pour Shun, c'était différent. Il avait quatorze élèves, tous concurrent à l'obtention de l'armure d'argent de Céphée, et suivait donc un but bien précis, alors qu'Aiolia se contentait de former une vingtaine de jeunes hommes durant deux ans avant de les envoyer au Sanctuaire pour qu'ils y prennent leur poste. Il n'avait pas encore trouvé d'apprenti Chevalier d'Or du Lion.

Il soupira discrètement et glissa un regard sur Shun. Celui-ci lui tournait le dos, occupé à laver rapidement les bols abandonnés là, sales et pour certains encore remplis de lait. Seize années. Déjà seize ans qu'ils vivaient ensembles et avaient fondé une famille. Et en seize ans, Shun n'avait pratiquement pas changé. Certes, il avait à présent trente-deux ans, et ces quatre grossesses avaient élargi un peu ses hanches, tout en les féminisant encore davantage – le résultat de fréquentes injections d'œstrogène. Mais comme n'importe quel japonais qui n'avait pas encore atteint la cinquantaine, le temps ne semblait pas avoir d'emprise sur lui. Ses joues étaient toujours roses, son regard brillait comme lorsqu'il avait quinze ans, et ses cheveux étaient toujours aussi doux. Son corps n'avait rien perdu de sa douceur et de sa souplesse et Aiolia aimait toujours autant le prendre dans ses bras, le serrer fort et lui faire l'amour. Une passion et un désir qui ne s'étaient pas éteints avec les années, mais s'étaient au contraire ravivée. Le Lion prenait toujours autant de plaisir à parcourir encore et encore ce corps qu'il connaissait pourtant par cœur.

Quant à lui, le passage des années avait laissé quelques traces, même minimes. Son corps rudes et ses muscles puissants s'étaient encore élargis, son visage était un peu plus buriné que par le passé, et sa peau avait encore gagné en couleur. Tout cela était le résultat de toutes ces journées passées dehors à entrainer toujours plus de recrue, mais malgré tout, Aiolia tirait une certaine fierté de ces petites transformations physiques, qui n'avaient fait que le rendre d'apparence encore plus dangereuse, et sauvage. Il aimait, lorsqu'il se rendait au Sanctuaire avec Shun, voir les regards étonnés et impressionnés des jeunes élèves qui pullulaient à présent dans le Domaine Sacré. Pour tous là-bas, Aiolia du Lion était un mystère, un puissant Chevalier d'Or à la carrure plus qu'impressionnante, à qui tous avaient envie de ressembler, dont tous voulaient suivre l'exemple. Ce qui avait le don d'exaspérer un peu le Pope, bien sûr.

Soudain, répondant à une pulsion qu'il n'avait pas envie de refouler, Aiolia attrapa les hanches de Shun et colla son corps chaud et toujours autant désirable au sien. Shun gloussa de surprise, puis fit mine de se dérober.

- Qu'est-ce qui te prend ? demanda-t-il amusé.

- Mmh j'sais pas, marmonna Aiolia en embrassant la peau tendre de son cou, j'dois être en chaleur, j'ai envie de te …

- Non ! le coupa Shun avec autorité.

- Oh ça va ! A deux et six ans, ils ne comprennent pas quand je dis ça !

- Oui mais non quand même.

Court silence. Aiolia refusait obstinément de bouger malgré Shun qui se contorsionnait pour tenter de lui échapper, et restait bien souder contre lui.

- Arrêtes de gigoter comme ça, ça m'excite ! le prévint le Lion dans un sourire.

- T'es exaspérant, répliqua Shun en soupirant.

- Ça me donne encore plus envie de t'en faire un cinquième quand tu te retiens de m'insulter.

Nouveau silence, encore plus court que le premier.

- Va te faire foutre, murmura Shun d'une voix suave.

- Oh c'est vilain ça ! répliqua Aiolia avant de fondre de nouveau sur son cou.

Shun rit de nouveau en sentant les lèvres, la langue et les dents de son amant jouer avec sa peau. Mais plus il faisait ça, et plus Aiolia se sentait frustré. Depuis combien de temps n'avait pas laissé libre cours à ses pulsions sans craindre de voir un gamin surgir dans leur chambre ou dans n'importe quelle autre pièce où ils tentaient d'avoir un peu d'intimité ?

Et comme de par hasard, la porte de la maison s'ouvrit, et une voix appela :

- Papas ? Vous êtes là ?

Aiolia soupira et grommela de mécontentement. Il en aurait insulté et maudit tous les enfants de la Terre entière. Mais Shun, lui, se retourna brusquement et braqua sur lui un regard indécis, les sourcils froncés.

- C'était Kaoru non ? demanda-t-il, étonné.

Ouvrant la bouche, Aiolia ne répondit finalement rien, parce que, bien mal aisé fut-il de l'admettre, il n'avait pas reconnu la voix de son fils.

- Il y a quelqu'un ? réitéra ladite voix.

- Ah oui, acquiesça alors Aiolia, c'est lui. Qu'est-ce qu'il fou là ?

Un peu inquiet, Shun s'extirpa adroitement des bras du Lion et surgit dans le salon. Aiolia le suivit de près. Kaoru se tenait effectivement au milieu de la pièce, vêtu seulement de la toge blanche réglementaire du Sanctuaire, et des sandales en cuir. Encore une fois, Aiolia fut éblouit par la beauté étrange, presque divine, de son enfant. Tout semblait parfait chez lui, jusqu'à l'alliance plutôt insolite de sa peau mate et de ses lumineux cheveux dorés. Ses yeux d'émeraude n'en ressortaient que davantage. C'était comme si il avait été béni par les dieux eux-mêmes.

Mais ce qui étonna le Lion, fut la présence aux côtés de son fils de Likian, le fils de Milo. Avec les années, celui-ci avait fini par ressembler exactement à celui, venu du futur, qu'ils avaient connu. Avec une légère différence toutefois, une étrange sérénité dans ses yeux rouge. Dans deux mois, le jeune homme allait devoir concourir et affronter ses camarades d'entraînement pour l'obtention de l'armure d'or du Sagittaire, et son apprentissage auprès d'Aioros avait fait de lui un homme musclé, très fort, qui possédait un cosmos déjà extrêmement développé et puissant. Et pourtant, aujourd'hui, Likian, qui adorait se mettre en avant et parler le premier, tentait de se faire tout petit derrière Kaoru.

- Tiens salut ! s'extasia Aiolia avec un grand sourire. Qu'est-ce que vous faites là ?

Contrairement à lui, Shun avait gardé le silence, une expression grave sur le visage. Il avait un mauvais pressentiment. Kaoru prit une grande inspiration, et dit :

- J'ai quelque chose … on, a quelque chose à vous dire.

Puis il fit une pause. Souriant toujours, Aiolia laissa échapper un pouffement amusé.

- Quoi ? demanda-t-il tout sourire.

Likian semblait vouloir disparaître derrière Kaoru, et gardait les yeux obstinément rivés au sol. Shun se mordit la lèvre inférieure, de plus en plus nerveux. Il commençait à redouter le pire. Et il ne fut pas déçu.

- Je suis enceint.

La nouvelle tomba sur le foyer comme une météorite. Le cœur de Shun fit un bond dans sa poitrine et ses yeux se fermèrent, comme s'il voulait se dérober à la scène et partir loin, très loin.

Le visage d'Aiolia se métamorphosa littéralement. Une rage pure l'inonda et remodela ses traits. Lorsqu'il osa lever les yeux, Likian se liquéfia littéralement sur place et se tassa sur lui-même, comme pour disparaitre dans un trou de souris.

Le petit Kolia choisit ce moment pour surgir dans le salon en criant et riant, sans trop de raison, et parada en courant dans tous les sens, totalement nu.

...

Vingt-quatre ans plus tard …

Extrait de « Généalogie du Sanctuaire, XXIe siècle » par le Chevalier d'Or Mû du Bélier, rattaché à l'étude des « Hermaphrodites au Sanctuaire », dossier remis à la Déesse Athéna et conservé ensuite dans les Archives du Palais du Pope :

« […] suite à cela, et grâce aux recherches effectuées par Ikki du Phénix, ainsi qu'à l'étude des chiffres et des informations remises par les différents hôpitaux de divers pays occidentaux, européens et orientaux, je peux affirmer de source sûre, qu'en quarante années, le nombre d'hermaphrodite sur Terre est passé de moins de cent mille à plus de cinq cent mille. En me projetant sur les quarante prochaines années, si la courbe ne fléchit pas, les hermaphrodites seront plus d'un million.

Leur croissance est extraordinaire selon moi, et s'explique par le fait que, dans une famille composé d'un homme et d'une femme dis « normaux », un hermaphrodite peut naitre. Dans une famille composée d'un homme dit « normal » et d'un homme hermaphrodite, un enfant hermaphrodite a tout autant de chance qu'un enfant dit « normal » de voir le jour. Et enfin, dans une famille composée de deux hermaphrodites, seuls des hermaphrodites naitront de leur union.

Ainsi, je peux reprendre aujourd'hui sans peur le terme utilisé par Ikki du Phénix il y a quarante ans de cela.

Nous sommes à l'aube d'une troisième humanité.

Nous dominera-t-elle dans plus de cent ans ? Deviendra-t-elle ensuite la seule et unique humanité ?

La multiplication des hermaphrodites touche également le Sanctuaire. Non pas que, selon moi, ce soit une mauvaise chose. Simplement, la plupart d'entre eux possèdent des pouvoirs tellement incroyables qu'ils peuvent, à mon humble avis, égaler celui des dieux. Est-ce une bonne chose cependant ?

Pour plus de clarté, et parce que cela est plus éloquent que des mots et de grands discours, je me suis permis de dresser un arbre généalogique assez succincte des hermaphrodites du Sanctuaire, en commençant par le premier né :

_ Kaoru, né d'Aiolia Chevalier d'Or du Lion, et de Shun Chevalier Divin d'Andromède. Hermaphrodite en parfaite condition physique, encore vivant à ce jour. Age, quarante ans. Marié à Likian, Chevalier d'Or du Sagittaire. Ont eu ensembles neuf enfants, dont deux paires de jumeaux. Parmi eux se trouvent cinq hermaphrodites dont deux occupent des postes de commandement importants au Sanctuaire, et deux autres sont apprentis Chevaliers.

_ Yuni, né d'Aiolia Chevalier d'Or du Lion, et de Shun Chevalier Divin d'Andromède. Hermaphrodite atteint d'un souffle au cœur et d'une malformation cardiaque, mort en couche à l'âge de vingt-huit ans. Marié à Myakon, Chevalier d'Or des Gémeaux, fils cadet du Pope Saga et de Marine, Chevalier d'Argent de l'Aigle. Ont eu trois enfants, dont deux hermaphrodites qui sont aujourd'hui apprentis Chevaliers.

_ Elbireth, né de Camus Chevalier d'Or du Verseau et de Cénival entraîneuse agréée des Femmes Chevaliers. Hermaphrodite en parfaite condition physique encore vivant à ce jour. Age, trente-trois ans. En couple avec Alexandre, Chevalier d'Or du Scorpion, et fils d'Aiolia du Lion et de Shun d'Andromède. Ont eu deux enfants hermaphrodites en bonne santé, aujourd'hui apprentis […] »

...

Athéna décida d'arrêter ici sa lecture et reposa délicatement le dossier sur le pupitre de son bureau. Elle connaissait par cœur toute l'étude réalisée par Mû du Bélier, aujourd'hui retraité vivant à Jamir en compagnie de son amant Milo. Elle savait qu'après ce troisième nom viendraient ceux des enfants de Kaoru et de Likian qui avaient déjà enfanté – trois sur les cinq hermaphrodites de cette grande famille avaient plus d'un enfant. Mais elle ne se lassait pas de le lire, et le relire.

La naissance de tous ces hermaphrodites au sein même de son Domaine Sacré était pour elle synonyme de victoire. Bien évidemment, Zeus en avait été fort contrarié, et lui avait interdit l'accès à l'Olympe, lui promettant que la prochaine Guerre Sainte serait la plus terrible de toute. Mais Athéna n'avait pas peur. Ses Chevaliers avaient plus de deux cent ans pour se préparer, et elle avait confiance en eux.

Car Mû du Bélier avait raison, lorsqu'il disait que ces hermaphrodites devenus Chevaliers possédaient un cosmos qui surpassait de loin ceux de leurs parents. Et qui leur permettait, déjà, d'être l'égal des dieux.

Soudain, la Déesse fronça les sourcils et rouvrit le dossier. Elle l'avait déjà parcouru des dizaines et des dizaines de fois, et pourtant une évidence venait seulement de lui sauter aux yeux. Afin de s'en assurer, elle relu les trois noms cités tout en haut de la liste. Kaoru, Yuni, et Alexandre. Elle sourit. Puis un rire joyeux fusa d'entre ses lèvres.

Tous les hermaphrodites vivants aujourd'hui au Sanctuaire étaient des descendants d'Aiolia du Lion, et de Shun d'Andromède, hormis Elbireth, qui s'était mariée à Alexandre. Athéna se laissa tomber au fond de son haut fauteuil et sourit en regardant le soleil d'été frapper à sa fenêtre. Puis elle repensa aux deux hommes qui vivaient toujours sur l'île d'Andromède, heureux de profiter à deux du temps qui s'écoulaient, insouciants du rôle qu'ils avaient joué dans passé, et l'avenir du Sanctuaire.

FIN


Coucou ! Je suis vraiment désolé, je ne pensais pas faire un épilogue aussi long 0o

Mais j'ai eu envie de m'épencher un peu plus sur la vie familiale de Shun et Aiolia, sans trop m'y attarder non plus =) et puis tout à coup je me suis dis : tiens, et je donnais plus de profondeur à l'avenir des herma sur Terre ? Alors ni une ni deux, j'ai inventé ça en quatrième vitesse XD

Bon. Et bien, j'espère que cette loooonnngue fic vous aura plu ^^ et ça me fait tout drôle de la terminer maintenant 0o un petit pincement au coeur quoi ...

Par contre, je ne sais pas encore si j'écrirais une fic à nouveau, je n'ai absolument pas d'idée pour la suite, mais auquel cas, je repasse et je vous recontacte ! Et maintenant que j'ai du temps pour lire, je vais rendre la pareil à tous mes lecteurs qui sont aussi auteurs, et vos assaillir de reviews XD

Merci à tous ! Et un gros merci surtout à Akarisnape, Selene Magnus, Shiryudm, Hemere, Estelle Uzumaki, Sunny, Coraz, Daisy, Emma77, Misaoshi, Guest, Choupinette, et beaucoup d'autres !

merci à tous 3