Notes et avertissements : Cette histoire s'adresse à des lectrices matures et contient des éléments sexuels explicites (Wincest). Supernatural et ses personnages ne m'appartiennent pas. Je ne fais aucun bénéfice en publiant cette histoire.

Pour ce récit, j'ai tenté un univers alternatif dans le sens le plus pur du terme. Référez-vous à l'épisode 121, Salvation, et au moment où Sam voit le démon aux yeux jaunes pour la première fois, près du berceau de la petite Rosie. Il hésite un instant avant de tirer avec le Colt. Et si cette seconde d'hésitation n'avait jamais eu lieu?

Dans cette histoire, la chasse sera secondaire et accessoire. Pour celles qui préfèrent les fics du type «case stories» je ne suis pas sûre que vous y trouviez satisfaction.

Et maintenant…

La Fugue Intérieure

«Et on donne un fusil à un enfant

Et ça lui fait comme un gant»

Patrice Desbiens, Hurlesang

Prologue

Sam court derrière Monica. Il entend Dean maîtriser le mari au rez-de-chaussée. Les lumières clignotent, l'air empeste le souffre.

Maintenant, c'est maintenant que ça se termine, pense Sam férocement, s'appropriant ainsi les paroles de son père.

Le Colt est un poids rassurant dans sa main. En entrant dans la chambre du bébé, Sam pense à Jess, si belle le jour de leur rencontre, et au reflet du soleil dans ses cheveux. Sam pense à la mère qu'il n'a jamais connue, à ce que son absence a fait de leur père, a fait à Dean.

La fureur prend toute la place et se diffuse dans ses veines comme un courant brûlant.

Il pousse la porte et voit la silhouette debout près du berceau. Il vise au moment où deux yeux jaunes malveillants apparaissent dans l'obscurité.

Vise un point imaginaire entre ces yeux. Tire sans hésiter.

Derrière lui, Monica tombe lourdement par terre. Dans son berceau, Rosie pleure hystériquement. Les lumières de la chambre se rallument. Le corps du démon est secoué de spasmes : ses yeux ont une expression de surprise indescriptible alors qu'un courant électrique semble parcourir ses membres. Il se fige, pousse un rugissement qui n'a rien d'humain, et s'écroule par terre. L'odeur de souffre s'accentue, doublée d'une puanteur étouffante : celle du sang et de la chair corrompus.

Monica prend le bébé dans ses bras et sort de la chambre en appelant son mari. Sam, hébété, demeure debout près du corps du démon responsable de leur vie chaotique. Il vise le cœur et tire une nouvelle fois, sans obtenir autre chose qu'un léger soubresaut et une tache rouge sombre qui s'agrandit rapidement.

Une main se pose sur son épaule. Sam sursaute et se retourne. Dean est derrière lui. Il ne le regarde pas, semble lui aussi hypnotisé par la vision du cadavre couché sur le dos près du berceau.

-C'est fini, Sam.

Sam se met à trembler. C'est fini. Il le sait. La migraine lancinante qui lui alourdissait la tête est brusquement disparue. Il n'y a pas de fumée, pas de flammes, pas de femme qui brûle au plafond.

Dean lui enlève doucement le Colt des mains et le glisse derrière son jeans. «Allez, Sammy, il faut sortir cette monstruosité d'ici avant que le père n'appelle la police.»

-Nous les avons sauvés, murmure Sam.

-Je sais.

-Le démon est mort. Il a l'air si… ordinaire. Tu crois qu'il possédait un humain, comme celui de l'avion?

-Sam, plus tard. Trouve un drap pour qu'on puisse emporter le corps.

Mécaniquement, Sam se met au travail.

\\\

Dans la voiture, Dean tente de rejoindre John à plusieurs reprises. Le corps dissimulé dans le coffre empeste, malgré que les fenêtres soient grandes ouvertes. La nuit est froide. Sam laisse le vent emmêler ses cheveux et se retient de rire hystériquement.

Le démon est mort. De sa main. C'est fini.

«… peut pas passer la nuit à promener cette puanteur avec nous… Je nous vois mal le saler et le brûler sans p'pa. Il doit être revenu. Il devrait être revenu à cette heure… Le motel est à quelques minutes encore… Pas à croire que… Tu l'as vu, Sam? Tu as…»

Dean ne peut jamais se la fermer, surtout lorsqu'il est nerveux et tendu. Sam l'entend sans l'écouter. Il est si fatigué soudainement.

Le camion de John n'est pas stationné dans la cour du motel. Sam voit les mains de Dean serrer le volant. Il se sent redescendre lentement de l'état second dans lequel il était depuis qu'il a appuyé sur la gâchette du Colt.

-Ça ne veut rien dire, Dean. Tu connais p'pa. Il est paranoïaque. Reste dans la voiture pour surveiller le…

-Okay. Okay, vas-y. Va voir.

La chambre est vide. Sam prend un moment pour retrouver ses esprits. Puis, il retourne dans la voiture, les mains enfoncées dans ses poches.

Dean comprend immédiatement en voyant son expression. Il serre la mâchoire et secoue la tête.

-C'est pas normal, Sam. Il devrait déjà nous avoir donné des nouvelles.

-Je sais, dit Sam en claquant la portière. Je sais. Passe-moi le téléphone.

-Il ne répond pas!

-Il faut essayer encore.

Sam, le doigt tremblant, appuie sur le bouton de recomposition. Sa respiration se bloque dans sa poitrine lorsqu'on décroche à la deuxième sonnerie.

-P'pa?

-Je veux voir la couleur de vos entrailles, répond Meg d'une voix grinçante qui contient mal sa colère et... sa peur?

Meg a peur.

Sam met le cellulaire sur le haut-parleur. Dean l'observe. Ses yeux sont immenses et sombres.

-Qu'est-ce que tu as fait de notre père?

-Votre bâtard de père ne verra pas le soleil se lever, pas vrai, John?

Il y a un bruit indéfinissable, puis un grognement de douleur qui semble étouffé, comme si John était bâillonné.

Le visage de Dean devient blanc comme la lune. «Espèce de salope! Putain de garce de l'Enfer. Laisse-le partir.»

-Vous l'avez tué! Hurle Meg, qui semble perdre le semblant de contrôle qu'elle maintenait. Il est mort. Nous l'avons senti! Il devait mener les armées de l'Enfer sur terre et-

-Meg. Laisse partir notre père, coupe Sam d'une voix qu'il espère raisonnable.

-Pourquoi? Crache la démone en éclatant d'un rire hystérique.

John pousse un nouveau grognement de douleur. Sam et Dean échangent un regard impuissant. En désespoir de cause, Sam pense au pistolet.

-Meg, nous avons toujours le Colt. Le vrai. Nous sommes prêts à faire un échange.

-Vraiment? Oh, Sammy, mais je me fous du Colt. Il doit rester quoi, trois balles? Est-ce que ça compense pour la perte de notre Père? Je ne crois pas… Par contre…

Il y a le bruit d'un déchirement en arrière-plan, puis la voix éraillée de John : «Sam, Dean, ne vous inquiétez pas pour moi, je suis fier de…»

Le son suivant est épouvantable, humide et gluant, et Sam sait à ce moment précis que tout espoir est perdu, que John est en train de mourir et qu'ils n'y peuvent rien.

-Crie espèce de bâtard, gronde Meg, je veux que tes fils entendent ton agonie, je veux qu'ils sachent ce que ça fait de se faire ouvrir le ventre comme un-

Sam raccroche. Il réprime à grande peine un haut-le-cœur et lance le téléphone sur la banquette arrière, comme si l'appareil était responsable de ce qui venait d'arriver.

Dean a détourné la tête. Sam peut voir ses épaules trembler. Il cherche quelque chose à dire, mais sa propre peine le terrasse, et il ne peut que fermer les yeux et essayer d'oublier ce qu'il vient d'entendre.

Après quelques minutes, Dean redémarre l'Impala. La route est longue jusqu'à Lincoln. Ni Sam ni lui ne prononcent la moindre parole.

Ils s'arrêtent en chemin pour saler et brûler le corps du démon aux yeux jaunes dans un terrain vague abandonné. Tout semble faux, sans John à leur côté pour regarder celui qui a ruiné leur vie s'envoler en fumée dans le ciel sans étoiles.

Sam et Dean trouvent le corps de John à l'entrepôt, au milieu d'une flaque d'eau croupie teintée de sang. Dean le voit le premier et commence à courir, comme s'il y avait encore la possibilité que leur père soit encore en vie.

Sam le voit tomber à genoux près du corps. Le visage intact de John est figé dans un cri muet. Il a été éventré.

Sans un mot, Dean retire sa veste de cuir et la pose sur les blessures sanglantes de leur père. Puis il baisse la tête.

Sam s'approche lentement et s'agenouille à ses côtés. Il tend la main et ferme les yeux de John. Des larmes coulent sur ses joues.

C'est fini, pense-t-il.

\\\

Ils ont amené le corps chez Bobby Signer, malgré les différents qui ont éloigné John de son ami chasseur au cours des dernières années.

La maison de Bobby et le cimetière de voitures ont toujours été un havre de tranquillité pour Sam et Dean. Leurs meilleurs souvenirs d'enfance s'y sont déroulés. Sam se souvient des courses effrénées entre les carcasses d'automobiles, de Dean, maigre, le visage couvert de taches de rousseur, le traitant de p'tite tête et le défiant d'arriver à le rattraper.

Contrairement à John, Bobby les laissait être des enfants.

Après avoir salé et brûlé le corps de leur père, les frères Winchester demeurent chez Bobby. Dean passe son temps dans la cour, à travailler sur la carcasse d'une voiture rouillée. Sam se perd dans les livres innombrables de la collection du chasseur. Ils ne parlent pas beaucoup. Dean s'endort tous les soirs sur le divan du salon, une bouteille de Jack Daniels à ses côtés. Sam rêve du démon aux yeux jaunes, de son père obsédé par la vengeance, de Dean qui vient le chercher à Stanford, plein d'incertitudes derrière sa façade nonchalante et moqueuse.

Il s'éveille en pleurant à tous les matins.

Une semaine après la mort de John, Sam va rejoindre Dean qui travaille sur le moteur du vieux Dodge Charger. Ils ont besoin de parler, de penser à la suite des choses. La mort du démon aux yeux jaunes, puis de leur père, les a brusquement éloignés l'un de l'autre alors qu'ils commençaient seulement à réparer leur relation brisée lors du départ de Sam pour Stanford.

Dean est penché sur le capot ouvert de la voiture. Son vieux t-shirt est mouillé de sueur et colle à sa peau. Ses jeans tachés d'huile moulent ses jambes arquées, et Sam se mord les lèvres.

Depuis qu'ils ont recommencé à chasser ensemble, Sam combat des désirs sombres qu'il pensait enfouis pour toujours. Maintenant qu'il se sent fragile et incertain, plein de tristesse et de confusion, il supporte difficilement d'être physiquement séparé de Dean.

-Ça va?

Dean se relève et essuie son front. Il accepte sans mot dire la bière que Sam lui tend.

-Qu'est-ce que tu veux? Demande-t-il après avoir pris une longue gorgée.

-Rien. Juste… discuter.

Le visage de Dean se durcit.

-Je… J'ai trouvé quelques contacts en déverrouillant le cellulaire de papa. T'as envie d'aller vérifier qui ils sont?

Dean hausse les épaules. «Pour quoi faire?»

-Je ne sais pas. Il faut bien… continuer, non? Tu n'as pas envie de retrouver Meg? Il reste une balle dans le Colt.

Dean fronce les sourcils. «Oh. J'ai bien l'intention de la retrouver» dit-il presque rêveusement.

Sam s'approche un peu et s'appuie contre la portière de la voiture. Il constate à quel point son frère est tendu.

-Dean… il faut en parler.

-Non.

-Papa est mort. Il-

-Je sais ce qui s'est passé, Sam, j'y étais, coupe Dean presque doucement.

-Alors comment tu te sens?

-Non. Pas de conneries de psycho pop avec moi, Sammy. Tu as besoin de parler de p'pa, c'est okay. Tu le fais avec Bobby. En fait, tu ne peux jamais la fermer, hein? Papa était comme si, Je me souviens de blabla… Ça n'arrête jamais. Ça m'étonne que Bobby ne nous ait pas encore mis à la porte. Mais bon… Pas avec moi, Sam. Je ne suis pas comme toi. Je ne ressens pas la nécessité d'étaler mes sentiments partout sur les murs.

Sam décide de laisser passer l'insulte. Après tout, Dean ne connaît qu'une seule façon de gérer ses émotions –c'est-à-dire ne pas les gérer du tout.

-Bon, tu ne veux parler. Bien. Dis-moi ce que tu veux qu'on fasse.

Dean paraît désarçonné par le calme de Sam. Il termine sa bière en quelques gorgées et baisse la tête.

-Tu devrais retourner à Stanford, marmonne-t-il finalement.

-Quoi?

-C'est ce que tu voulais, Sam. C'est fini. Le démon aux yeux jaunes est mort. Ça ne… ça ne ramènera pas Jess, je sais, mais tu as encore une chance.

-Une chance de quoi?

-D'avoir une vie normale.

Sam demeure interdit.

-Et toi?

-Moi? Je suis un chasseur, Sam. C'est ce que je sais faire.

-Je ne sais pas ce que je veux, Dean. Je n'ai pas envie de retourner au collège.

Avec un soupir d'impatience, Dean botte une pierre qui roule longtemps sur la terre battue. «Alors qu'est-ce que tu veux faire, Sam? Poursuivre Meg pour venger la mort de papa? Gâcher ta vie pour t'apercevoir, à la fin, que ça ne t'a rien apporté? Tu as raison, je suis le parfait petit soldat de mon père. Il est trop tard pour moi. Tu as toujours été différent. Ne tombe pas dans le même piège.»

-Mais Dean… Toi, tu vas essayer de retrouver Meg. Quelle est la différence? Pourquoi est-ce que toi, tu as le droit de te venger?

Dean relève la tête. Ses yeux ne sont pas colériques mais plein de douceur et de mélancolie. Pendant une seconde, Sam est certain qu'il va éclater en sanglots. Mais pas Dean. Dean ravale bravement et sourit.

-Je ne l'ai pas en moi. Ce qui animait papa… ce que tu pourrais devenir, je ne l'ai pas en moi. Nous avons tué le démon, mais qu'est-ce que ça change au fond? Est-ce que tu te sens plus heureux?

-Je ne…

-Je vais tuer Meg parce que je suis un chasseur et qu'elle est un monstre. Pas par vengeance, ni par obsession. J'aimerais mieux ne jamais avoir trouvé le démon et que p'pa soit toujours en vie.

-Dean. Je veux rester avec toi.

-Non, tu ne veux pas, Sam! Tu crois que c'est ce que tu veux mais c'est faux. Papa vient de mourir. Nous chassons continuellement depuis la mort de Jess. Si tu t'arrêtes un peu et que tu réfléchis, tu vas réaliser que j'ai raison.

-Et toi… Qu'est-ce que tu veux, Dean? Il y a bien quelque chose que tu dois désirer.

Dean paraît songeur, un instant, puis il hausse les épaules. «Je veux qu'aucune autre famille ne subisse ce que nous avons subit.»

-C'est tellement digne, raille Sam qui se sent rougir de colère. Tu es un saint, Dean Winchester.

-Sammy-

-C'est Sam. Et si tu crois que tu vas te débarrasser de moi aussi facilement…

Sam se détourne avant d'empirer les choses. Du temps, il faut laisser du temps à Dean. Lorsque son frère aura les pensées plus claires, il réalisera que ce qu'il dit n'a aucun sens.

Cette nuit-là, Sam rêve de Dean qui le tient dans ses bras, comme après l'incendie et la mort de Jess, comme après le poltergeist dans leur maison de Lawrence. Son frère est chaud, son corps est ferme et solide contre lui.

Sam s'éveille en sursaut, couvert de sueur et si excité qu'il sent son érection battre contre son ventre. S'il n'arrive pas à faire reculer ces pensées incestueuses dans un racoin sombre de son esprit, Dean n'aura pas besoin de le forcer à retourner à l'école. Sam s'enfuira comme le lâche qu'il est. Il l'a déjà fait.

-Tu vas aller à Stanford alors?

-Ouais.

-Tu sais que p'pa ne comprendra pas.

-Ouais.

-Alors… Tu as envie de devenir Monsieur Tout le Monde?

-Peut-être.

Et si je reste plus longtemps avec toi, je ne pourrai plus me retenir. Si j'entends une autre fille gémir dans tes bras, je vais devenir fou, Dean.

Sam se rendort en songeant aux silences et aux non-dits qui sont aussi importants dans sa relation avec Dean, que tous les mots qu'ils échangent.

\\\

En fin de compte, Sam n'a pas besoin de continuer à se questionner sur ses sentiments, ni sur la façon dont Dean essaie de gérer la mort de John.

Le lendemain matin, son frère est parti. L'absence de l'Impala dans la cour est aussi désolante que le vide dans le cœur de Sam. Il trouve un bout de papier sur la table de la cuisine, noirci de l'écriture étonnamment fine de Dean.

Sammy,

Je sais à quel point tu peux être entêté, et je sais que tu t'inquiètes pour moi. Je vais bien. J'ai besoin de reprendre la route. Tu as besoin de retourner à Stanford. Tu peux encore échapper à cette vie bordélique que nous menons.

N'essaie pas de me retrouver. Je suis l'aîné, donc le plus rusé et le plus intelligent. Ah. Ah. Sérieusement, je ne veux pas qu'on redevienne des étrangers l'un pour l'autre. Appelle-moi quand tu seras installé en Californie. J'espère que tu comprendras ma décision.

Dean

À SUIVRE…