Disclaimer: Hidekaz Himaruya pour Hetalia et ses personnages, à l'exception de Reeves.

Rating: M

Notes de l'auteur: Une fois de plus, une éternité avant de terminer ce chapitre...mais je tiens à rassurer une fois de plus ceux qui s'en inquiétaient: peu importe le temps, je terminerai cette fic. J'ai les éléments essentiels, les points tournants de l'intrigue, la fin et peut-être même la séquelle en tê entre le boulot, la vie sociale, quotidienne, et beaucoup d'autres choses, il y a ces périodes horribles de pages blanches où on doute de soi, de ses capacités...où on a l'impression qu'on n'écrit rien que de la merde et que ça sert à rien de continuer...mais néanmoins, je continue, et je vous remercie pour toutes vos reviews qui m'ont donné la forces de continuer, ainsi que ma bêta-lectrice qui supporte mes crises de manque de confiance en moi XD (est-ce que c'est bien, dis? C'est bien ce passage c'est pas trop nul?) et mes périodes d'absence :) Merci encore!

A présent, fini de blablater.

Enjoy le désastre!


Chapitre V: Promesses et choix, décisions et trahisons.

Quand Arthur reprit conscience, il était à nouveau allongé dans la cale, son corps entier hurlant de souffrance silencieuse alors que les souvenirs de sa torture se rappelaient à lui. Il serra les dents pour ne pas crier tandis qu'il essayait lentement de se redresser, et contint sa douleur en imaginant quelques tortures douloureuses qu'il pourrait infliger à Espagne. Ou à France. Ça avait toujours eu le don de le calmer.

Quoi que France risquait d'avoir déjà eu plus que sa part…

Quelque chose le toucha timidement, et il releva la tête : en face de lui, Matthieu le regardait d'un air à la fois grave et innocent, comme seuls les enfants de cet âge en étaient capables : sans parler beaucoup. Canada savait exprimer parfaitement ses émotions à travers son visage. Et Arthur voyait clairement que le petit avait été mort d'inquiétude de voir à nouveau l'empire être torturé.

Arthur lui offrit alors le sourire de pirate le plus effrayant dont il était capable, et cela suffit pour rassurer la jeune colonie, qui se précipita pour serrer l'Anglais contre lui. Un peu surpris, Arthur lui rendit maladroitement son étreinte et lui tapota le dos, grimaçant légèrement alors ses côtes douloureuses subissaient d'être serrées par une Nation à la force étonnamment développée.

«I'm all right, lad, I'm all right…

- Non, tu l'es pas! Tu es resté assommé pendant …plein de temps ! Tu ne te réveillais pas quand on te parlait ! Et tu saignais, et cette fois Papa n'était pas là pour te soigner ! Tu disais des choses qui faisaient peur ! »

Angleterre se crispa à l'évocation de son rival, et un regard autour d'eux le renseigna : aussi longue qu'ait été sa propre torture, France n'avait toujours pas été ramené de…quoi qu'on lui faisait.

Essayant de distraire l'enfant de ce détail, il rebondit sur la dernière partie de la phrase avec un sourire féroce : «Que veux-tu dire, ''je dis des choses qui font peur''? Ha ! Mais je fais toujours peur, brat, c'est comme ça que j'inspire le respect!»

Matthieu se mordit les lèvres nerveusement, un tic qu'il semblait avoir hérité de Francis quand ils hésitaient à expliquer quelque chose : «C'est pas pareil…tu disais des choses qu'on comprenait pas, dans une langue étrange et c'était…ça faisait peur et mal, on arrivait pas à te toucher, c'était trop dur, pourquoi ça faisait ça ? »

L'anglais fronça les sourcils, intrigué, et, posant ses mains sur les épaules du plus jeune, le regarda dans les yeux : «Une langue qui faisait peur et mal ? Quelque chose qui vous empêchait de me toucher ? Matthieu, dis-moi ce qui s'est passé exactement, décris le moi précisément.»

C'était un ton de voix qui rappelait à Matthieu les moments où Francis était à la fois inquiet, sérieusement inquiet, mais décidé à savoir toute la vérité, qu'il serait inutile de cacher; aussi n'hésita-t-il pas longtemps avant de décrire ce qu'il avait vu, sa panique oubliée devant l'aura calme mais autoritaire du pirate.

«Ils t'ont ramené, et ils t'ont jeté par terre : l'un d'eux a dit que bientôt, ils te briseraient, et un autre a dit que ça avait déjà commencé : après, quand ils sont partis, Alfred et moi on s'est approché, et là tu… », il essaya de détourner le regard, mais était retenu fermement par l'Anglais, « tu t'es mis à parler dans une langue qu'on ne connaissait pas, ça ressemblait à ce que vous dites parfois avec tes frères, et aussi Pap…et en même temps ça n'y ressemblait pas, c'était complètement différent, ça me faisait peur, mal, c'était comme si les mots m'attaquaient et en même temps que c'était autre chose, je comprenais pas… »

Il prit sa tête entre ses mains, comme pour effacer ce souvenir.

«Et tout d'un coup…tu as ouvert les yeux, brusquement, mais c'est comme si tu nous voyais pas…et tu as parlé plus vite, et on a su que tu voulais faire du mal, et j'ai senti quelque chose…de bizarre, comme si j'avais oublié et que je m'étais rappelé , et j'ai eu envie de…de…je voulais frapper Alfred et toi et Papa je voulais vraiment, et je ne voulais pas, parce que je savais que c'était mal…qu'est-ce qui s'est passé, pourquoi ça a fait ça?»

Pendant un instant, Arthur resta muet d'étonnement. Cette situation était très étrange et inquiétante : s'il ne se trompait pas et si Matthieu lui racontait la vérité, il avait très probablement perdu le contrôle de sa magie, et elle avait affecté les deux colonies.

Pourtant…il avait beau la pratiquer de moins en moins, Arthur était très doué avec sa sorcellerie, et même inconscient, était fier de garder un contrôle mental parfait sur ses pouvoirs.

Comment avait-il pu, même si c'était pour peu de temps (il ne sentait aucun résidu magique, cela faisait donc un moment que la «crise» était passée), perdre à ce point son contrôle pour affecter d'autres personnes…

Et quelque chose clochait, il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus…

Quelque chose d'important…

Quelque chose de vital, qui aurait peut-être tout changé s'il l'avait remarqué à cet instant…

Mais un fracas à l'extérieur, des rires gras et des exclamations moqueuses l'interrompirent dans ses réflexions et lui firent oublier l'indice qui aurait pu tout changer. Son esprit passa instinctivement en mode combattant, puis en mode protecteur, et il se plaça devant Matthieu (il nota du coin de l'œil Alfred, dans un coin, étrangement silencieux), prêt à attaquer, alors que la porte de la cale s'ouvrait.

Deux marins entrèrent, soutenant un Francis quasiment inconscient, vu l'absence totale de résistance qu'il opposait; l'un des marins, goguenard, dévoila ses dents sales dans un rictus moqueur:

«T'en fais pas, pirate, c'est pas pour toi qu'on revient, en tout cas pas tout d'suite ! On t'ramène c'te catin de Français, tu peux t'amuser avec si ça t'chante…

- S'il arrive encore à écarter les jambes avec tout c'qu'il a pris !

- Tu l'aurais entendu gueuler ! Pour sûr les Français y savent chialer quand on les cogne!»

En riant grassement, ils lâchèrent le Français qui s'écroula brusquement sur le sol. Matthieu tressaillit et voulut s'approcher, mais Arthur tendit fermement son bras en travers de sa poitrine, l'empêchant d'avancer. Et un regard de l'enfant au tuteur suffit à le convaincre d'obéir.

Le visage d'Angleterre, à vrai dire, ne semblait exprimer aucun sentiment. Les yeux fixés sur son rival inconscient à terre, aucune émotion, que ce soit de pitié ou de joie, ne transparaissait sur son visage impassible.

Visiblement, les marins s'attendaient à une réaction plus violente, voir à une rébellion ou un éclat de colère, car lorsque le blond se leva lentement, ils portèrent rapidement la main à leurs armes, les sourires moqueurs encore présents, espérant visiblement pouvoir se défouler à nouveau sur un prisonnier.

Mais celui-ci ne fit rien de ce qu'ils attendaient.

Calmement, Angleterre se redressa de toute sa taille, aussi droit et fier que lorsqu'il commandait sur son navire pirate. Son regard était aussi dur que l'acier, ses traits avaient une impassibilité effrayante, tels ceux d'un homme qui avait tout vu, tout souffert, et que plus rien n'effrayait, mais dont la rage était encore présente.

Il ne cria pas, ne rugit pas d'insultes.

Angleterre se contenta de fixer de ses yeux émeraude les marins –ses marins- d'un regard impassible.

Mais terrifiant.

Car ces hommes qui un instant avant étaient si fiers et si sûrs d'eux, au fur et à mesure qu'ils sentaient le regard sans âge les juger, les transpercer, ressentaient un sentiment malsain, car ils pouvaient sentir le mépris de ce regard, et surtout…

Plus ces yeux les fixaient, plus ils se sentaient honteux, misérables c'était comme si ils n'étaient que des enfants, et qu'ils venaient d'être surpris par leur mère –ou leur père- en train de commettre une bêtise. Et plus ce regard durait, plus ils sentaient remonter en eux d'autres souvenirs, des fois où ils avaient failli à leur devoir, à leurs amis, à leur famille, à leur pays, et ce regard les jugeait, et jamais ils ne s'étaient sentis aussi indignes et coupables, pas même devant un juge et des dizaines de témoins hostiles.

C'était comme de voir tous ceux sur qui on avait compté découvrir une de vos plus graves fautes, et supporter ce reproche silencieux.

L'un des marins porta les mains à son visage, tremblant, terrifié, les autres n'en menant pas plus large.

«Par pitié…arrêtez ! C'est de la sorcellerie!»

Le regard d'émeraude fait acier s'appesantit encore plus sur lui, et il gémit, car même s'ils étaient plusieurs face à un homme désarmé, il pouvait, comme ses compagnons, sentir quelque chose d'ancien, si ancien qu'il en était effrayant, émaner de ce même homme qu'ils avaient battu presque à mort quelques heures plus tôt.

Finalement, un ordre tomba d'une voix glaciale tandis qu'il pointait lentement le doigt vers la porte.

«Sortez.»

Ce fut un ordre que nul n'osa contester : mais alors que les marins se hâtaient vers la sortie, Angleterre fit un pas en avant, et tous se figèrent à nouveau.

«Que l'un de vous ramène de quoi soigner le Français. Immédiatement.»

Ce n'était pas une demande.

C'était un ordre.

De ceux qu'on ne discutait pas.

Sans oser une bravade de plus, les Anglais filèrent, refermant la porte à clé derrière eux.

Pendant un instant, le temps sembla figé dans la cale obscure, Arthur irradiant encore d'autorité et de rage contenue, ni Alfred ni Mathieu n'osant bouger, aussi écrasés par le charisme de l'Anglais que l'avaient été les marins plus tôt.

Un gémissement de douleur brisa la tension : Francis, étendu à terre, remua faiblement, causant à Arthur de se précipiter (plus vite qu'il ne l'aurait voulu dans sa fierté) vers son rival.

«Francis, est-ce que tu m'entends ? Reste avec moi, bloody Frenchie !», gronda-t-il en retournant doucement le Français sur le côté et grimaçant à la vue du sang et des blessures, dont certaines ne laissaient aucun doute sur leur origine…

C'est moi qui devrais lui faire ça, moi seul ! gronda une part de lui.

Tu es Angleterre, tu es ces hommes…tu devrais savourer cette nouvelle victoire, susurra une autre partie de lui, savourant de voir le Français autant à sa merci.

Pas dans ces circonstances ! s'obstina-t-il, repoussant doucement les cheveux du visage de Francis.

Pourquoi ? Parce que tu te trouves aussi à la place du prisonnier au lieu d'être celui qui contrôle tout ? Au diable ces soucis et profite de l'instant !

Ces dialogues mentaux auraient pu durer longtemps si Francis n'avait pas laissé échapper une faible plainte.

«Lâ…lâche-moi, ne me touche…pas…»

Voulant éviter que son rival ne retombe dans l'inconscience, Angleterre prit le visage de celui-ci entre ses mains et le tourna vers lui.

«Francis, tu m'entends ? Sale chien de Français, regarde-moi quand je te parle, reste éveillé quand le fucking pirate king te parle, compris ? Reste éveillé, par les tripes de Neptune!»

Il le secoua un peu rudement, mais la réaction qu'il obtint ne fut pas celle attendue.

Au lieu de se réveiller, les mains du Français se levèrent brusquement et agrippèrent ses poignets, le serrant à lui faire mal, cherchant à l'arracher de son visage surpris, Angleterre resserra quand même sa prise, espérant réveiller le Français en le forçant à agir visiblement c'était un réflexe, mais…

«Lâche-moi

La voix qui avait prononcé ces mots n'avait rien à voir avec l'habituelle voix du Français : c'était une voix aussi terrifiante que terrifiée, glaciale mais à la limite de la rupture mentale et surtout, en prononçant ces mots, Francis avait ouvert les yeux et ceux-ci brûlaient d'une lueur proche de la folie, proche de la panique, un regard qu'Arthur n'avait vu qu'une seule fois chez son rival (quand un certain bûcher avait été allumé et qu'une adolescente se trouvait dessus sans personne pour pouvoir la sauver), et il ne voulait pas repenser à cette fois :

«Lâche-moi…laisse-moi aller les tuer…», siffla rageusement le Français, «tuer mes ennemis, tous, tous, laisse -moi verser leur sang à ces chiens, à ces lâches, ne te mets pas sur mon chemin ou c'est toi que je tue….»

Un frisson dévala l'échine de l'Anglais. Il avait vu Francis dans des situations terribles: il l'avait vu dévoré par la peste, il l'avait vu écrasé, humilié, parfois par lui-même (et il en était fier), il l'avait vu à la limite de la folie, il l'avait vu rire et pleurer rageusement en voyant ses soldats se faire massacrer, il l'avait vu, un jour, un jour qu'il voulait oublier et qu'ils n'étaient que de toutes jeunes Nations, étendu et couvert de sang et d'autre chose et trop choqué et brisé pour pleurer (et à ce moment-là il avait été trop jeune et innocent pour comprendre ou aider)…

Il avait vu Francis à l'issue de la guerre de Cent Ans, après que la mort de Jeanne l'ait transformé en animal enragé et assoiffé de vengeance…

Mais jamais il n'avait vu Francis ainsi…c'était plus que de la rage, il savait qu'en cet instant, s'il relâchait le Français, celui-ci tiendrait sa promesse de commettre un massacre, mais il savait qu'il ne s'arrêterait pas aux hommes qui l'avaient humilié de la pire façon possible.

Il ignorait sincèrement si Francis épargnerait Matthieu en cet instant, s'il le relâchait.

Et quoi qu'on puisse en dire, Arthur ne voulait pas d'un massacre d'Anglais sous ses yeux : aussi agrippa-t-il encore plus le visage du Français et le força-t-il à le regarder dans les yeux, quoi qu'il n'avait aucune idée de si le pays au lys arrivait à le reconnaître ou non dans cet instant.

« Tu ne vas aller nulle part, bloody French, parce que ton ennemi, c'est moi », gronda-t-il avec une rage moqueuse dans sa voix destinée à provoquer son rival, « tu oublies qui je suis ? England, Angleterre, ton pire ennemi, celui que tu hais de toutes tes forces, tu as oublié ? Si tu dois tuer quelqu'un, ce sera moi, moi seul, celui qui doit te tuer, compris ? Regarde-moi, France, regarde ton seul et unique ENNEMI !

Il avait haussé le ton jusqu'à rugir sur les derniers mots, au fur et à mesure que lui-même se sentait pris à son propre jeu, qu'il sentait la haine que leurs pays éprouvaient réciproquement l'un pour l'autre enfler, se déchaîner, jusqu'à lui envie de serrer ce cou délicat entre ses mains, serrer, serrer, jusqu'à voir ces yeux azur injectés de sang, sortir de leur orbite, peu importait à quel point les mains du Français serraient ses poignets à lui couper la circulation du sang et le griffaient jusqu'à le faire saigner; la haine du Français qu'il avait cherché à canaliser, rediriger sur lui s'était comme déversée en lui, et l'un comme l'autre ne souhaitaient rien de plus en cet instant que tuer lentement et douloureusement son rival jusqu'à le faire supplier, et le voir inerte en cet instant.

Et dans ces instants de rage silencieuse, leurs yeux se livraient à une autre guerre tout aussi haineuse et féroce, s'affrontant dans ce qu'Angleterre aurait appelé un magnifique ''eye fuck'', leurs bouches tordues de rage bestiale, mais se limitant pourtant, contenue (par quoi ? La pudeur ? Quand ils n'avaient honte de rien en temps normal ?), même s'il aurait suffit d'un rien pour que l'équilibre entre leurs forces ne se brise…

Qu'est-ce qui provoqua la cassure ? Un changement dans le regard d'Angleterre, dans son attitude, dans leur attitude à tous les deux ? Ou tout simplement le hasard ? Toujours était-il que France relâcha brusquement les poignets d'Angleterre, seulement pour pouvoir agripper le visage de son rival et l'attirer à lui, leurs bouches se heurtant rageusement et se ravageant l'une l'autre sans aucune pitié dans un baiser furieux.

Aucune douceur, aucune tendresse seulement l'instinct de dominer, rageur et primitif, alors que leurs langues et leurs dents s'affrontaient dans un combat qui promettait toujours plus, encore, qui les entraînait toujours vers ce péché qu'ils commettaient sans aucune hésitation et refaisaient toujours…

Mais quand ils durent se séparer pour reprendre leur souffle, haletants, Arthur sentit que cette fois-ci, leur bataille ne s'achèverait pas en une partie de jambes en l'air furieuse…parce qu'il connaissait son rival, oh oui il le connaissait après tout ce temps même s'il continuait encore à le surprendre, et il savait qu'en cet instant, la façon dont Francis s'agrippait à lui et le fixait, les yeux écarquillés et les pupilles dilatées, n'était pas juste du désir refoulé…c'était quelque chose de plus désespéré, au point qu'Angleterre se força à stopper en dépit de son désir grandissant, et à regarder son rival dans les yeux.

«Francis …»

Celui-ci ferma les yeux et respira profondément, posant la tête contre l'épaule de l'Anglais, la respiration encore haletante, comme forcée; sa prise était toujours aussi serrée, mais cette fois le besoin de se rapprocher n'avait rien de sexuel.

« Je…je ne peux pas », murmura le plus vieux, ses mains s'agrippant malgré tout aux épaules de son cadet, «Pas maintenant… je t'en supplie, pas maintenant… »

Entendre de tels mots de son fier rival convainquit Arthur de la gravité de la situation. C'en était presque effrayant, car pour que Francis en vienne à supplier son ennemi, il devait avoir été brisé au-delà de ce qu'il craignait…

Angleterre était beaucoup de choses. Vicieux, sournois, profiteur, cynique, sans pitié envers ses ennemis. Lâche, avait-on dit parfois, lâche et sans scrupules.

Mais profiter de son plus cher ennemi dans un tel état ? C'était ce qu'il attendait, c'était ce qu'il ferait dans n'importe quelle autre guerre ou situation…mais pas là. En cet instant, ce serait…mauvais. Pas à cause d'une stupide sensibilité mal placée, Francis n'aurait aucune pitié dans la situation opposée.

Cependant dans toutes leurs guerres, tous leurs conflits, il y avait toujours eu une logique, si on pouvait l'appeler ainsi, une sorte de règle implicite : le combat était toujours décidé, accepté par les deux, et surtout il avait un but, qui amenait toujours une nouvelle forme de respect dans leur relation.

C'était des affrontements sans merci, certes, mais acceptés d'une certaine façon.

Là…c'était juste tellement faux. Il n'avait rien fait, rien cherché, et pourtant Francis était déjà presque complètement brisé, et il n'avait eu aucune part, même pas une petite participation financière ou politique ou sentimentale ou quoi que ce soit d'autre. Comment savourer cela… ?

Ce n'était pas comme ça que ça devait se passer. Appelez ça sentimentalisme ou ritualisme, mais Angleterre n'aimait pas obtenir une telle victoire sur son rival sans y avoir mis les formes d'une certaine façon.

Et peu importait que sa dignité en prenne un coup, songea-t-il avec une sorte d'entêtement, il avait connu ça bien souvent à travers les siècles et s'en était toujours remis.

Aussi, en se justifiant mentalement qu'un tel geste lui servirait dans leurs disputes plus tard, comme arme verbale vicieuse (et pour cette seule raison, se répéta-t-il), il laissa prudemment sa main glisser sur la joue du Français, puis l'enlaça et l'attira contre lui, le berçant doucement alors qu'il sentait les barrières de celui-ci céder et le plus vieux s'abandonner.

« It's be okay, France, everythin' 'll be fine… » murmura-t-il doucement

Les mains de l'autre se resserrèrent sur ses vêtements, et il commença à murmurer frénétiquement quelque chose…dans une langue qui fit écarquiller les yeux à Arthur quand il la reconnut, parce que cette langue, aucun des deux ne l'avait parlé pendant si longtemps….

Pourquoi maintenant …?

Il aurait voulu poser la question à cet imbécile de Français frivole et trop sentimental, mais celui-ci était trop perdu dans son état de choc pour l'entendre, et Arthur ne se sentait pas l'envie ni la force de le pousser à répondre (les blessures dans son dos restaient douloureuses en dépit de ses efforts pour les ignorer).

Finalement, la respiration du Français redevint plus calme et bientôt, le pays à la rose pouvait dire que celui au lys s'était endormi….

Une légère rougeur s'empara de ses joues.

« Damnit, I'm not his bloody nurse , for God's sake!»marmonna-t-il en relâchant le Français qui glissa à terre, mais évitant qu'il ne se cogne la tête en le retenant doucement.

Machinalement, il posa la main sur le front du plus vieux pour vérifier qu'il allait bien. S'il devait gérer une fièvre ou des blessures graves en plus de tout le reste… Il y en avait des blessures, cependant, et certains firent serrer les dents à Arthur, et le décidèrent à interdire les enfants de s'approcher de Francis pour le moment.

C'était trop écœurant pour de si jeunes garçons…

Secouant la tête pour ne pas penser à ce qui avait pu se passer, il essaya de se redresser, et serra brusquement les dents, mais de douleur cette fois-ci : bouger ravivait les profondes coupures dans son dos et dans le reste de son corps.

Il inspira profondément pour se calmer : il devait s'occuper d'une autre chose et se devait d'être maître de lui-même pour cela.

Finalement, il se redressa, mais resta où il était, c'est-à-dire accroupi près de Francis et tournant le dos aux enfants.

«Alfred.» appela-t-il sèchement. Ce n'était pas juste un appel, ni tout à fait un ordre, mais l'interpellé reconnut le ton employé : un mélange du père dont l'enfant est fautif et du capitaine exigeant une discipline sans failles, un ton qui était rarement employé avec lui, mais qui le terrifiait à chaque fois. Pas parce qu'Arthur le battait, jamais il ne l'avait fait, mais ce ton signifiait plusieurs choses qui lui faisaient mal. Il n'avait pas besoin de dire lesquelles Alfred savait, quand Arthur utilisait ce ton, ce que le royaume lui reprochait exactement.

Tu as mal agi et cela me déçoit beaucoup.

Tu m'as désobéi délibérément.

A cause de toi, je suis en colère.

Je ne peux pas te traiter comme mon enfant, mais comme quelqu'un qui m'a désobéi.

Et ce n'est pas juste toi, mais tout le monde qui a du payer pour ta faute.

Et s'il y avait une chose qui rendait Alfred triste, c'était de décevoir son tuteur.

Tête baissée, il s'avança de quelques pas puis stoppa, n'osant pas s'approcher plus.

Il ne savait pas si le fait qu'Arthur lui tournait toujours le dos rendait les choses plus difficiles.

«Je suis déçu, Alfred.»

La tête du jeune garçon s'enfonça un peu plus dans ses épaules.

«Est-ce que tu peux me dire pourquoi ?»

L'enfant se mordit la lèvre, essayant de ne pas pleurer même si les mots et l'attitude froide et la honte qu'il éprouvait lui brûlait la gorge :

«Je.. .c'est à cause de moi si Papa et toi vous avez..vous avez été…»

Il essaya d'étouffer le sanglot qui lui remontait dans la gorge, tandis qu'Arthur gardait le silence. Finalment, le pays reprit la parole, sur le même ton dur et ferme :

«Tu te trompes, Alfred. Ce qui nous est arrivé n'est pas de ta faute : ça a été mon choix et celui de ce maudit Français de prendre à votre place la punition. Mais ton comportement a mis en danger tout le monde, y compris ton frère. Est-ce que tu comprends la différence ? La bouline, les coups, les violences, tout ça nous serait arrivé tôt ou tard, nous y étions préparés mais au moins, vous ne risquiez rien, toi et Matthieu. Et tout d'un coup, tu as piqué une colère sans raisons, tu as refusé de te calmer, tu as attaqué cet homme et tu t'es enfui, toujours sans nous écouter…tu es conscient que tu aurais pu être tué, ou que Matthieu aurait pu l'être?»

Lui-même ou Francis auraient pu l'être, aurait pu ajouter Arthur, mais là n'était pas la question.

«Je suis déçu parce que tu as paniqué, que tu as refusé de nous écouter, que tu t'es enfui sans songer à ce qui aurait pu arriver aux autres. Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu agisses ainsi, Alfred ? Même si nous ne pouvons pas faire grand-chose, Francis et moi-même feront tout pour vous protéger…n'as-tu pas confiance en nous ?

- S-si », balbutia Alfred, au bord des larmes, « mais j-je sais pas…je p-pouvais pas rester là, j'avais p-peur et je devais fuir, parce si-sinon… »

Alfred ne le vit pas, mais Arthur fronça les sourcils : quelque chose dans la voix d'Alfred lui disait que ce n'était pas juste un caprice…ça avait été l'instinct, il le sentait, il avait appris à reconnaître l'instinct qui s'exprimait chez une Nation…

Mais pourquoi ici, maintenant… ?

«Sinon quoi, Alfred ? Est-ce ce que quelque chose arrive sur tes terres ?

- N-non. C'est-c'est pas pareil, je sentais p-personne qui m'appelait, et puis j-j'ai su que je pouvais pas rester l-là, et je sais pas pourquoi… pardon Daddy, je voulais pas, j-je-je te jure ! », acheva l'enfant en se mettant à pleurer.

Du coin de l'œil, Angleterre vit l'autre colonie rester silencieuse, mais il devina que mentalement, il devait être aussi à la limite de se briser que son frère.

Il laissa Alfred pleurer un instant, serrant les dents pour se retenir de le prendre dans ses bras et lui assurer que tout irait bien, que ce n'était pas grave, qu'il lui pardonnait, que ça irait...

Il inspira silencieusement, et finit par se retourner :

« Venez là tous les deux. », ordonna-t-il mais sur un ton néanmoins plus doux que quelques instants auparavant.

Les deux garçons s'empressèrent aussitôt, prêts à se serrer contre lui, mais il les stoppa en leur posant à chacun une main sur l'épaule :

« Je ne vais pas vous mentir. Ça ne va pas être facile. Je ne sais pas quand ça va se terminer. Je vous l'ai dit, nous ferons tout pour vous protéger mais…parfois les promesses ne sont pas faciles à tenir. Je veux seulement une chose : que vous nous fassiez confiance, à tous les deux. Francis n'est qu'un ivrogne libertin et sans plus de cervelle qu'un mat de cabestan, mais vous pouvez compter sur lui comme sur moi. Et je vous promets, et cette promesse je la tiendrai, je vous jure sur tous les esprits de l'océan et sur le Grand Patron, que je ne vous laisserai jamais tomber, vous m'entendez ? Je vous sortirai de là quel qu'en soit le prix. Est-ce que vous me faites confiance, les enfants ? »

Les jumeaux le regardèrent de ce regard profond et innocent que les enfants pouvaient avoir, et il se répéta mentalement une autre promesse : quoi qu'on puisse lui faire, il l'endurerait si ça pouvait les protéger. Et son instinct lui disait que cette promesse là serait vite mise à l'épreuve.

Finalement, les garçons n'eurent même pas à se regarder qu'ils acquiescèrent en même temps.

Intérieurement, Arthur soupira de soulagement –perdre la confiance de son petit Amérique et celle de Canada lui aurait brisé le cœur- et nota mentalement de faire faire la même promesse à Francis dès qu'il se réveillerait, quitte à la lui faire entrer à coups de poings dans la cervelle.


Le lieutenant Allary relut distraitement le rapport de la soute aux vivres en revenant vers la cabine du capitaine, un peu préoccupé cependant : les vivres de la Queen's Loyauty seraient juste suffisantes pour arriver à Nassau, où les pirates seraient jugés, et la moindre erreur de navigation pouvait se montrer conséquente…

Il soupira doucement : ce n'était pas son premier voyage en mer, loin de là (il servait depuis ses seize ans dans la Navy), ni certainement son dernier, mais il devait admettre que pour une fois, il se languissait d'arriver.

Principalement à cause des pirates : d'un côté, il était extrêmement satisfait que la campagne se soit extrêmement bien passée, mettant fin aux actes criminels de nombreux équipages de ces bandits, et il était certain que cela n'apporterait que du positif à la navigation anglaise, marchande comme militaire; les gens n'auraient plus autant à craindre les vaisseaux au pavillon noir.

Capturer Kirkland et Bonnefoy, particulièrement, avait été un succès au-delà de toute espérance: ces deux-là étaient sans doute les plus influents capitaines de la piraterie, et avec leur chute, ce n'était qu'une question de temps avant que le reste de la piraterie des Caraïbes et des Antilles ne suive.

D'un autre côté…il avait hâte que cette mission se termine. Particulièrement à cause de Kirkland lui-même. Il se souvenait des ordres reçus à Londres, il avait entendu de nombreuses rumeurs, informations, ordres, et tous concourraient vers le même point : Arthur Kirkland était d'une importance primordiale pour l'Angleterre. Il n'était pas sûr de savoir pourquoi, et préférait l'ignorer après certaines rumeurs qu'il avait entendu, mais il était certain de ce fait.

Aussi, l'acharnement du capitaine Reeves contre le pirate l'inquiétait légèrement : que le Français soit maltraité était une chose, bien qu'il n'approuvât absolument pas…ce qui s'était passé avec l'équipage. Il grimaça à ce souvenir, et préféra l'oublier. La France était leur ennemie après tout, et c'était un corsaire par-dessus tout.

En revanche, il lui semblait une mauvaise idée de maltraiter Kirkland : une infection pouvait se révéler fatale sur un navire, et le pirate devait être gardé en vie, de cela il en était certain.

Quand il avait exprimé sa désapprobation sur l'humiliation et la torture du pirate, le capitaine Reeves avait sèchement répliqué en rappelant qu'un pirate, aussi important soit-il, bravait les lois d'Angleterre et devait être puni en conséquences. Kirkland avait besoin d'apprendre sa leçon avait d'être jugé et rapatrié.

C'était une juste raison, mais Allary espérait arriver bientôt à Nassau pour être libéré au plus vite de ce ses pensées, il était arrivé aux quartiers de son commandant : toquant pour la politesse, il entra néanmoins sans attendre :

« Captain ? Le rapport de la cambuse… »

Ah, le capitaine Reeves était absent…peut-être à relever leur position grâce au sextant sur le pont, plus que probable vu la carte étalée sur le bureau…

Quoi qu'il en soit, il n'avait pas à rester dans la cabine en l'absence du commandant, aussi Allary décida-t-il de laisser le rapport et de revenir le noter dans le livre de bord plus tard.

Alors qu'il posait le rapport, un roulement du navire le fit trébucher et il renversa un compas. Pestant contre sa maladresse, il le ramassa, le reposa, et jeta machinalement un coup d'œil à la carte.

Avant de se figer, le sourcil levé.

Et de regarder plus en détail.

Car il connaissait bien la navigation après toutes ces années à l'école Navale, et il savait reconnaître une route maritime.

Et celle tracée sur la carte, la direction qu'ils prenaient actuellement…n'était définitivement pas celle de Nassau.

Il fronça un peu plus les sourcils, de plus en plus intrigué : qu'un navigateur expérimenté comme le capitaine Reeves fasse une erreur aussi grossière en plus d'être dangereuse (pour la gestion des vivres, les maladies, la tension dans l'équipage…) était trop incroyable pour être intentionnelle.

Mais pourquoi le capitaine aurait-il brusquement changé de route sans en parler à qui que ce soit dans les officiers ? Quelle décision avait causé ce virement de cap ?

Jetant un coup d'œil par-dessus son épaule ,et constatant que personne ne venait, le lieutenant commença à retourner les papiers du bureau, s'obligeant au calme, espérant trouver une autre carte, peut-être celle-ci était-elle plus ancienne et l'autre était dans les parages, peut-être…

Quelques papiers et carnets attirèrent son attention et il les prit : non pas en raison de leur rapport à la navigation, mais presque tous avaient le même titres ou parlaient du même sujet…

Il commença à lire l'un d'entre eux, d'abord en diagonale, distraitement; mais au fur et à mesure qu'il lisait, son visage se figea, ses yeux s'écarquillèrent, et il relut frénétiquement les différents documents alors qu'une expression d'horreur absolue apparaissait sur son visage.

«Non…non, c'est impossible, c'est de la folie, la plus pure folie… ! »

Il relut encore et encore les notes, espérant une mauvaise plaisanterie, une invention du capitaine pour se distraire, mais il ne put se voiler la face bien longtemps au fur et à mesure qu'il découvrait ce qui se cachait dans ces documents –quelque chose de terrible à en croire son visage.

Si ce qu'il lisait était vrai…Kirkland !, se rappela-t-il brusquement, Kirkland devait savoir tout cela, devait…

Soudain, un coup de feu retentit dans la cabine, et Allary sursauta, se figeant juste après.

Avant de lentement baisser les yeux sur le trou déjà sanglant qui ornait son ventre et tachait ses vêtements au même rythme que le froid glacial et la douleur se répandant dans son corps.

Un bruit de pas lents se fit entendre derrière lui :

«Quel dommage, lieutenant…et quelle ironie, vous étiez l'un des rares à n'être au courant de rien, et désormais vous êtes l'un des mieux renseignés…ou plutôt, étiez … »

S'agrippant tant bien que mal au bureau pour ne pas tomber, Allary parvint à se retourner pour voir Reeves lui-même s'avancer lentement dans la pièce, un pistolet encore fumant dans la main :

« Ca..captain...pou…pourquoi… » articula-t-il difficilement tout en tentant de contenir la plaie avec ses mains; à cela, Reeves répondit par un étrange regard, levant les yeux vers le ciel comme si la question était d'une telle simplicité que répondre nécessitait réflexion :

« Pourquoi ? Ma foi, mon cher Allary, vous vous trouvez dans ma cabine sans autorisation, vous fouillez dans des documents classés confidentiels…je ne peux qu'en déduire que vous êtes un espion, et par conséquent que vous menaciez la sécurité du navire. Aussi étais-je obligée de me défendre contre vous.

- Je ne suis pas…un es…

- Bien sûr que non », coupa Reeves sur un ton apaisant, presque rassurant alors qu'il se rapprochait du lieutenant qui s'était laissé glisser sur le sol, grimaçant de douleur, et qu'il s'accroupissait à côté de lui «...mais c'est la version que l'équipage apprendra quand à votre mort. »

Le lieutenant serra les dents : il ne servait à rien de lutter, il se savait condamner, mais il voulait savoir…

«Pourquoi ? »

Un sourire malicieux se dessina sur les lèvres de Reeves.

«Voyons, je ne peux décemment raconter que je vous ai abattu par-derrière comme un chien, ce ne serait pas très glorieux pour v…

- Vous savez ce que je veux dire ! Ces..ces documents…j'ai tout lu, je sais ce qui se prépare…ce que vous préparez… vous ne pouvez pas…ignorer …ce qui risque de se passer…»

Le sourire s'effaça vite, mais pas par inquiétude ou surprise : à la place de la moquerie presque espiègle mais cruelle, on lisait désormais une détermination sombre et absolue sur le visage du capitaine anglais.

« Je sais ce qui va se passer, et j'en suis parfaitement conscient. Tout était parfaitement planifié depuis le début, et ce n'était pas votre stupide curiosité qui allait tout gâcher, comprenez-vous ?

- C'est de la folie ! » articula le lieutenant, la terreur lui faisant oublier un instant sa blessure, «tout ce projet n'est que folie pure, comprenez-vous ? Si vous continuez…si vous réussissez…les conséquences seront…terribles ! Vous risquez de…

- Pour obtenir une victoire il faut être prêt à des sacrifices, dit froidement le capitaine.

- Ce ne sont pas juste des sacrifices ! Et ce que vous allez provoquer…vous appelez ça une victoire ? Ce sera le chaos… !

- Allary », dit le capitaine d'un ton plus doux qui contrastait avec sa froideur précédente, les yeux brillants,« vous ne comprenez pas…ce qui se joue va bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer…le monde entier sera changé quand nous réussirons. Ne vous rendez-vous pas compte ? Je suis un visionnaire…mieux, un bienfaiteur de l'humanité ! Ce que je cherche à accomplir, nul n'avait osé l'entreprendre avant moi, et après cela, quand toute la race humaine aura évolué vers un nouveau monde…pensez à la grandeur de notre pays, lieutenant….pensez à la gloire que nous lui offrirons… »

Au fur et à mesure qu'il parlait, Reeves laissait transparaître sa passion à travers son ton et ses gestes, allant jusqu'à la dévotion alors qu'il évoquait l'Angleterre; c'était le fanatisme d'un homme absolument déterminé qui transparaissait à travers son regard et Allary comprit qu'il serait prêt à tout…absolument à tout pour atteindre son but.

S'il devait torturer un enfant pour l'atteindre, il le ferait sans hésitation.

«Vous êtes fou…

-Non je ne suis pas fou, mais VOUS, Lieutenant, avez failli faire tout échouer ! Et je refuse d'échouer après tous ces efforts, vous m'entendez ? Si mon enfant s'était trouvé à votre place, je l'aurais abattu exactement comme vous, et je l'aurais fait fièrement, sachant que son sacrifice mènerait à un plus grand bien pour notre pays ! »

Il ne servait de rien de discuter avec cet homme dont la raison chancelait déjà, mais Allary refusait de mourir sans un dernier effort pour stopper…l'horreur qui se préparait; il était loyal à l'Angleterre, de tout son cœur, et pour lui, le plan de Reeves, son but, ses ''sacrifices ''…devaient être évités à tout prix s'il voulait préserver son pays.

Se redressant d'un brusque coup de rein en bousculant Reeves, le lieutenant essaya de courir à la porte, mais s'effondra sur le sol, affaibli par la perte de sang; refusant d'être vaincu, il se traîna, rampa, ignorant la flaque de sang qu'il répandait alors qu'il cherchait à atteindre la porte de la cabine.

S'il parvenait à prévenir un membre de l'équipage, un officier, ou même, qui sait, Arthur Kirkland lui-même (dans son esprit déjà embrumé, il ne réalisait plus qu'il n'avait aucune chance d'atteindre la cale des prisonniers à temps), peut-être, peut-être…

«Tout l'équipage est au courant, Allary », dit sèchement le capitaine.

S'étant remis debout, il se plaça à côté du mourant, le toisant de haut avec une satisfaction morbide de voir cet ancien officier ramper sur le sol comme un vulgaire insecte écrasé par la botte du destin.

«Tous, à l'exception de vous-même, savent plus ou moins ce qui va arriver. Vous n'étiez pas prévu au voyage, vous vous rappelez ? Mon ancien lieutenant était tombé malade et on vous avait dépêché, vous incluant dans mon équipage soigneusement sélectionné. Je pensais pouvoir vous convertir à notre cause, mais » il haussa les épaules avec un petit rire, « je savais dès le début que vous aviez choisi la vôtre…quelle pitié, vous auriez pu prendre part à notre triomphe…

- J'aurais…préféré…mourir que…vous suivre dans cette folie …

- Oui, je m'en doutais. Et vous allez mourir, mon ami, seul, dans la honte, comme un chien, et celui que vous voulez aider ne saura jamais quelle loyauté vous lui portiez, prêt à braver la mort pour l'avertir…mais pensez-vous qu'il s'en serait réellement soucié ? Lui qui voit mourir sans sourciller des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, et qui n'en dort pas plus mal la nuit ? Pensez-vous qu'il aurait pleuré votre mort, vous, petit officier d'obscure naissance ? »

Allary ne répondit pas, n'en ayant plus la force, se traînant malgré toute douleur, malgré le doute insinué par Reeves, vers la porte, tendant la main pour essayer de l'ouvrir.

« Kir…Kland ….captain..Kirkland…le ..le Fl…»

La main resta tendue quelques secondes encore, avant de retomber sur le sol avec le reste du corps d'Allary, mort.


Dans la cale, Arthur porta brusquement la main à son cœur, haletant.

«Qu'est-ce qui t'arrive ? », murmura Francis, s'étant enfin réveillé et calmé.

L'Anglais cligna plusieurs fois des yeux, ceux-ci étant soudainement humides sans qu'il sache pourquoi :

«C'est…comme si la dernière lumière s'était éteinte dans une cave remplie de démons. »