Sitôt Lise sur le plancher des vaches, elle courut jusqu'au buisson le plus proche et vomit son petit déjeuner.

– La téléportation a duré plus longtemps que d'habitude, non ? demanda-t-elle en se redressant.

– C'est parfaitement faux, répondit Mewtwo, catégorique.

Le pokémon se fraya un chemin à travers la végétation de la forêt et laissa Lise en arrière. Elle consulta sa montre et constata que l'aiguille des minutes avait reculé. Elle avait déjà observé ce phénomène avec l'aiguille des secondes. En fait, plus une téléportation durait longtemps, plus les aiguilles reculaient. Jusque-là, seule celle des secondes avait bougé mais si celle des minutes l'avait également fait, ça pouvait signifier que la téléportation avait effectivement duré plus longtemps. Il était ensuite facile de supposer que ce délai était dû à la fatigue de Mewtwo et Lise ne l'en blâmait pas. C'était juste qu'une téléportation plus longue avait un effet dévastateur sur son estomac.

Des herbes bougèrent à toute vitesse autour de Lise et elle sursauta avant de se rendre compte qu'il s'agissait de Pichu. On ne voyait même pas ses oreilles dépasser de la végétation et Lise le prit dans ses bras pour lui éviter de se perdre.

Elle n'avait pas attendu l'hypothétique réponse de son ancien dresseur. Lise se sentait mal à cette idée mais c'était encore pire lorsqu'elle pensait à la séparation. Elle s'était attachée à Pichu. C'était peut-être bête mais elle s'en fichait. Elle avait décidé de le garder tant qu'il voudrait bien rester avec elle. Ensuite, eh bien il partirait et elle ne pourrait rien y faire.

Il était aussi temps d'aborder la séparation avec Mewtwo, pensa-t-elle.

A quelques mètres devant, Mewtwo s'arrêta. De là où elle était, Lise pouvait voir le gros pansement qu'elle lui avait fait sur le côté gauche du cou. Les trente-six heures de sommeil de Mewtwo après la bataille s'étaient avérées être une technique spéciale pour récupérer rapidement – mais qui exigeait de ne pas être trop blessé à la base, ce qui expliquait pourquoi il n'avait pas pu l'utiliser le soir où elle l'avait rencontré. La paille avait été rejetée par l'organisme de Mewtwo et la veine s'était régénérée à toute vitesse. Ce serait plus long pour les muscles et les tendons, apparemment car, même si la peau s'était refermée, il y avait un net creux dans le cou. Lise n'avait eu qu'à désinfecter et poser un pansement bien solide sur la plaie. Pour le reste, Mewtwo se débrouillerait.

– Il faut qu'on parle, annonça Lise.

La grande queue violette fouetta l'air mais Mewtwo ne s'en retourna pas moins. Il observait Lise de ses yeux froids mais elle n'y voyait là rien d'inamical. Si Mewtwo se montrait distant, c'était parce que la séparation lui coûtait également.

– Merci de m'avoir ramenée à Flocombe, poursuivit Lise.

– Je n'allais pas te laisser là-bas, marmonna Mewtwo.

– Tu aurais pu. En fait, non, tu aurais dû. Ç'aurait été plus simple.

Mewtwo baissa les yeux, détourna légèrement la tête. Il avait l'air abattu. Lise resta à bonne distance malgré son envie de faire un geste, n'importe lequel, vers lui. Elle ne devait pas. C'était déjà assez compliqué comme ça.

– On pourrait rester ensemble, proposa Mewtwo sans regarder Lise dans les yeux. Si tu ne veux plus voyager, on s'établira quelque part et on pourra faire tout ce qu'on veut.

– J'en ai assez de cette vie, répliqua Lise. Je veux vivre quelque part et finir mes études.

– Je peux te construire une maison ! gronda soudainement Mewtwo. Je peux tout faire, je suis l'être le plus puissant de ce monde, si ce n'est de cet univers ! Rien ne m'est impossible ! Reste avec moi et tu auras tout ce que tu veux !

– Non, trancha fermement Lise. Nous avions un accord et nous allons nous y tenir.

– Je n'ai pas parlé à ton père ! Je n'ai pas fini !

– Eh bien retournes-y, seul. Pour moi, c'est terminé.

Mewtwo avança vers Lise de quelques pas, rageusement, puis s'arrêta en voyant qu'elle ne bougeait pas.

– Je leur ai effacé la mémoire, cracha Mewtwo. A tous ! Ils ne se souviennent même pas de toi ! Pour eux, tu n'existes pas !

– C'est regrettable pour certains d'entre eux mais ça vaut mieux pour la majorité, répondit calmement Lise.

C'était là la plus stricte vérité, selon elle. Elle aurait préféré que le professeur Chen se souvienne d'elle car elle avait pour lui une sorte de tendresse. Elle regrettait aussi que son père ait oublié ce qu'elle lui avait dit. Elle aurait aimé que Sacha se souvienne d'elle, aussi. Mais c'était mieux comme ça. Elle était trop liée à Mewtwo pour qu'il puisse agir efficacement. S'il avait seulement effacé son souvenir des mémoires, les gens se seraient posés des questions sur elle. Qui était-elle ? Pourquoi se trouvait-elle au Bourg Palette à ce moment-là ? Et ainsi de suite.

– Je ne veux pas, poursuivit Mewtwo. Tu as toujours des dettes envers moi !

– Je ne crois pas, non. J'ai trouvé un moyen pour arrêter l'hémorragie et, sans mon idée, tu n'aurais pas réussi à créer un bouclier parfaitement imperméable à l'électricité. Tu me l'as dit hier et tu as bien insisté sur le fait que tu avais pêché cette idée dans mon esprit. Ça équivaut à deux vies, tu ne crois pas ?

Mewtwo se tassa et Lise vit nettement qu'il regrettait d'avoir trop parlé la veille.

– J'ai dit ça par flatterie, grogna Mewtwo. Je ne le pensais pas.

– Ce qui est dit est dit.

– Je peux te forcer à rester avec moi.

Lise resta calme. Elle sentait le poids de l'esprit de Mewtwo sur le sien et elle savait qu'elle ne pourrait rien faire s'il décidait effectivement de lui imposer sa volonté.

– Je ne serais plus moi-même, répliqua Lise. Tu supprimeras forcément une partie de moi pour que je reste avec toi et je ne serais plus la même. Si ça arrive, tu le regretteras.

Mewtwo ferma les yeux, le visage emprunt de douleur. Lise approcha enfin, doucement, à petits pas, et tendit la main vers sa joue.

– Ça ne veut pas dire qu'on ne se reverra jamais, souffla-t-elle.

Mewtwo prit sa main dans la sienne, se baissa un peu pour pouvoir la poser sur sa joue. C'était un geste tellement humain, tellement douloureux, que Lise sentit sa détermination vaciller. Mais elle n'eut pas l'occasion de philosopher plus longtemps sur la question. Mewtwo se téléporta soudainement juste devant elle et Lise se retrouva seule au milieu des bois, près de Flocombe, avec Pichu et son vieux sac à dos élimé pour seule compagnie. Ça ira mieux au fil du temps, se dit-elle. La douleur qui comprimait son cœur disparaîtrait, petit à petit, tout doucement, et un jour elle pourrait repenser à tout cela avec bonheur.

Jessie et James ne se souvenaient absolument pas de ce qui s'était passé trois jours plus tôt et Miaouss en était assez satisfait. Il leur avait dit que la tempête avait emporté leur montgolfière et qu'ils s'étaient cognés la tête. Comme ça arrivait souvent, ils avaient avalé le mensonge. Miaouss restait donc le seul témoin de ce qui s'était réellement passé.

En fait, le grand pokémon bipède qui était blessé au cou les avait retrouvé la veille. Jessie, James et Miaouss étaient alors en route pour Jadielle afin de faire leur rapport au boss, ce que le pokémon voulait éviter à tout prix. Il avait effacé la mémoire de Jessie et James mais Miaouss avait réussi à le persuader de l'épargner. Il avait argué du fait qu'il était son allié parce qu'ils étaient tous les deux des pokémons et qu'il n'avait aucun intérêt à le trahir, de toute évidence. Qu'y gagnerait-il à part une espérance de vie nettement dégradée ? Le pokémon avait accepté, non sans menacer Miaouss.

Restait à trouver un mensonge concernant l'échec de leur mission. Jessie et James n'en n'avaient même aucun souvenir et ils étaient plutôt étonnés de se retrouver dans le Kanto alors que leurs derniers souvenirs les situaient à Unys. Miaouss avait insisté sur la capture de Pikachu. S'ils étaient dans le Kanto, c'était parce que le morveux et ses amis y étaient retournés, point final. Quelques coups de griffes plus tard, l'explication était acceptée et ils n'en reparlèrent plus.

Que dire au boss ? Le mieux serait de se taire, de toute évidence. Miaouss était prêt à faire l'idiot et l'amnésie de Jessie et James confirmeraient l'hypothèse la plus probable : la cible leur avait effacé la mémoire. C'était la plus stricte vérité, Miaouss excepté, et le boss ne pourrait que s'en prendre à ce pokémon.

– C'est bizarre, marmonna James, j'ai l'impression d'avoir vécu quelque chose de très exaltant mais je suis incapable de m'en souvenir.

– Moi j'ai l'impression que ma tête est passé dans un broyeur, grogna Jessie. Trouvons une pharmacie et dévalisons-la de toute son aspirine, par pitié...

Miaouss soupira, un sourire aux lèvres. Jessie étoufferait toujours ce que les autres avaient à dire, c'était dans son caractère et cela servait les intérêts du groupe dans ce cas. Un vif mouvement dans le ciel attira son attention et Miaouss releva soudainement la tête vers l'azur. Etait-ce... ? Non, c'était trop petit et trop rose pour être le grand pokémon. Rassuré, il recommença à tirer la nacelle de leur montgolfière en piteux état. Ils ne s'envoleraient peut-être pas vers d'autres cieux aujourd'hui mais ça ne le dérangeait pas particulièrement.

Ondine et Pierre les accompagnaient à Jadielle car c'était sur leur route et là que Sacha, Iris et Rachid reprenaient l'avion pour Unys. Ça faisait plaisir à Sacha d'avoir ses plus vieux amis avec lui mais ça l'attristait aussi de devoir s'en séparer si vite. Il n'avait pas de souvenir précis de sa fête d'anniversaire mais il savait qu'il avait passé de bons moments entouré de ses amis. Il n'avait pas non plus de photos.

– Dîtes, vous vous souvenez de la fête ? demanda Sacha.

Un silence gêné lui répondit.

– Je sais que je me suis tordue la cheville mais je ne me rappelle plus comment, marmonna Iris.

– Moi je me souviens d'une très jolie fille, continua Pierre, mais j'avais envie de l'éviter à chaque fois que j'étais trop proche d'elle.

– Il y avait plein de jolies filles, compléta Rachid.

– Par contre, au niveau garçon, ça laissait à désirer, railla Ondine.

– Alors vous ne vous souvenez pas ? insista Sacha.

– Non, reprit Ondine. Je sais que c'était génial et que j'étais très heureuse de te revoir mais à part ça, c'est le néant total.

– Pareil pour moi, ajouta Pierre.

Rachid et Iris hochèrent la tête de concert.

– Pika pika !

Les cinq jeunes gens baissèrent la tête vers Pikachu en même temps et le pokémon pointait du doigt une des poches de Sacha. Celui-ci fouilla un peu et découvrit un morceau de feuille plié en deux.

– C'est une adresse, annonça Sacha. Une certaine Elisabeth, à Unys.

– Tu connais une Elisabeth, toi ? railla Iris.

– Bah non, pourtant.

– T'as dû lui taper dans l'œil pour qu'elle te laisse ses coordonnées, le taquina Ondine.

Sacha rougit violemment, chose qui était plutôt rare, et ses amis enfoncèrent le clou jusqu'à leur arrivée à Jadielle. Pierre partit en direction d'Argenta, Ondine d'Azuria et Sacha, Rachid, Iris et Pikachu reprirent l'avion afin de poursuivre leur voyage pokémon à Unys.

Fin