Le temps d'un été.

Première partie : À travers ton regard.

Le mois de juin se terminait lentement, annonçant la fin du printemps et le début de l'été. Dans le square situé au centre de la ville, un jeune homme marchait au milieu du sentier bétonné, ses cheveux blonds dansant au rythme du vent. Au fond de sa poche gisait les restes de son téléphone portable qu'il avait jeté sur le sol, quelques minutes auparavant. La colère et la tristesse pétillaient au fond de ses yeux aux multiples nuances cobalt et ses dents mordillaient ses lèvres, trahissant sa nervosité.

Naruto Uzumaki venait de se faire larguer. Violemment, en plus. Gaara n'avait pas prit de gants. La liste de ses reproches était incroyablement longue. Entre les classiques « tu ne passes pas assez de temps avec moi » et les « tu n'es pas assez démonstratif », le blondinet avait eu sa dose. Il n'avait jamais vraiment aimé Gaara mais il ne pouvait ignorer la douleur cuisante occupée à grignoter le côté gauche de sa poitrine. Son ego venait d'en prendre un fameux coup.

Habituellement, Naruto occupait le rôle du bourreau : c'était lui qui laissait tomber les autres, jamais l'inverse. Blessé dans sa fierté, il ne voulait plus entendre parler de ce roux au regard magnétique. Plus jamais. Rancunier à l'extrême et terriblement orgueilleux, il ne pardonnait pas les blessures infligées par autrui. Personne n'avait besoin de lui, et il n'avait besoin de personne. Tout allait bien dans le meilleur des mondes.

La brise légère de l'été rafraîchit son visage teinté de pourpre. Il traversa l'étendue verte s'offrant à lui, ignorant superbement le panneau « interdiction de marcher sur la pelouse », et s'assit au bord du lac. D'un œil morne, il regardait les cygnes voguer sur l'eau calme. Majestueux, ils nageaient avec une élégance singulière, pliant de temps à autre leur long cou fin pour nettoyer leur plumage blanc. Ces oiseaux représentaient la pureté aux yeux de Naruto. Somptueux mais en rien vaniteux, ils s'exposaient fièrement pour le plus grand plaisir des photographes et des enfants.

Naruto poussa un soupir lourd de sens et jeta un caillou dans l'eau. La pierre produisit un « ploc » grossier avant de couler dans les abysses du lac. Pensif, il leva les yeux vers le ciel dépourvu de nuages. La colère commençait à s'enfuir, laissant place à une émotion tout aussi désagréable : la tristesse.

Il caressa l'herbe du bout des doigts, goûtant sa douceur et sa fraîcheur. Il aimait la nature et vomissait la ville. Le square était pour lui un véritable répit, un endroit peuplé de fleurs où il pouvait se ressourcer, là où seul le chant joyeux des oiseaux agrémentait ses pensées sombres. Il aimait s'y rendre la nuit, admirant la beauté mystérieuse de la lune, laissant son reflet argenté éblouir son regard trop souvent embrumé de chagrin.

Il ferma un instant les yeux, savourant les odeurs printanières qui flottaient dans l'air. Les larmes noyèrent ses iris et il balaya d'un revers de manche les gouttelettes salées qui glissaient sur ses joues. La solitude venait de refaire surface dans sa vie.

Naruto sursauta à peine lorsqu'il entendit l'herbe se froisser un peu dans son dos.

-Est-ce que ça va ? questionna une voix.

Le blond releva la tête et toisa son interlocuteur avec dédain, ne rendant pas le sourire qu'il lui adressait.

-Qu'est-ce que ça peut te faire ? rétorqua-t-il sèchement.

Le jeune homme ne cessa de sourire et s'installa à ses côtés. Décontenancé, Naruto le dévisagea avec interrogation. Il ne détourna pas le regard lorsque deux orbes noirs vinrent s'ancrer dans les siens.

-Je n'ai pas pour habitude de tourner le dos à ceux qui vont mal.

-Qui a dit que j'allais mal ? siffla Naruto.

-Tu me l'as clairement fait comprendre.

Le blond ricana nerveusement, irrité. Qui était donc ce petit curieux ? L'alizé ébouriffa sa chevelure ébène traversée par de légers reflets bleutés, découvrant ainsi un visage au teint de porcelaine. Une peau opaline rappelant le plumage des cygnes, contrastant avec ses yeux d'un noir envoûtant. L'innocence et la bonté se lisaient aisément sur les traits harmonieux de son visage. Il dégageait quelque chose d'apaisant, de rassurant. Naruto haussa les épaules et reporta son attention sur le lac où des canards piaillaient bruyamment à la recherche de nourriture.

-Et alors ? Ca t'arrive souvent de te mêler de la vie des autres ? Tu ne me connais même pas ! persifla Naruto.

-Raison de plus pour t'aider. Imagines-tu comment serait le monde si chacun prenait le temps d'observer l'autre et de le comprendre ?

-Non et je m'en contre fiche. Chacun sa merde.

-Belle philosophie.

-Je trouve aussi. Et si tu te cassais loin de moi maintenant ?

Le brun ne broncha pas, saisit par la dureté de ses mots. Naruto lui décocha un sourire narquois, espérant masquer son trouble. Au lieu de bondir sur ses pieds pour s'enfuir loin de cet énergumène, il lui tendit une main amicale et se présenta tout naturellement, niant sa grossièreté.

-Je m'appelle Sasuke.

Naruto avisa sa main quelques secondes et détourna les yeux, une mine agacée peinte sur son visage.

-Naruto, marmonna-t-il.

Satisfait, Sasuke se leva. Il frotta méticuleusement son pantalon et enleva les quelques brins d'herbe que le vent avait déposé sur son t-shirt. Naruto le regardait faire, perplexe. Ce jeune homme était décidément bien étrange. Pourtant, le sourire incandescent qu'il lui adressa le fit tressaillir.

-Enchanté de te connaître Naruto. Est-ce que tu viens souvent au parc ? demanda-t-il d'une voix enjouée.

-Fiche-moi la paix, barre-toi.

Les épaules de Sasuke se voûtèrent, comme si soudainement, un poids venait les alourdir. Il passa une main dans ses cheveux noirs, visiblement lassé du comportement de Naruto. Amusé, le blond se demandait combien de temps encore il pourrait titiller ses nerfs avant qu'ils ne le lâchent.

-Alors ? Tu as perdu ta langue, Sa-su-ke ?

Il ne répondit pas. Sa patience qu'il croyait inébranlable flanchait dangereusement. Sans répondre à cette provocation ridicule, Sasuke le salua courtoisement avant de tourner les talons. Naruto le regarda fuir jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière les cerisiers, un sourire flottant au coin des lèvres.

En soupirant, il captura un nouveau caillou et le lança sur le groupe de canards occupé à manger les morceaux de pain que leur lançaient les enfants. Les oiseaux exprimèrent leur mécontentement avant de s'envoler plus loin. Naruto se redressa et nia superbement les râles des parents de ces gamins intenables. Il se fit copieusement insulter de « garnement » et de « voyou » mais cela lui était égal, il commençait à s'y habituer.

Il enfonça les écouteurs de son Ipod dans ses oreilles et un air de rock envahit son crâne. Il quitta le monde réel pour celui de son cœur, le seul univers où il se sentait libre. Mains dans les poches et tympans assourdis, il parcourut une nouvelle fois le sentier bétonné, s'enivrant du parfum des fleurs, frissonnant aux caresses du vent. Avec un regret soigneusement dissimulé, il quitta le parc pour la ville, respirant par petites bouffées l'air pollué par les voitures.

Il marchait d'un pas assuré, comme s'il regagnait une demeure chaleureuse au lieu d'un appartement miteux, comme s'il allait retrouver une famille aimante au lieu d'un père alcoolique et d'une mère dévergondée. Il marchait, la tête haute et le regard dur, rogue, prêt à affronter l'enfer qu'était son quotidien. Le stress comprimait sa poitrine et l'angoisse titillait son estomac. Il marchait vers son antre, sans ciller une seule fois, se demandant seulement combien de bouteilles son père avait pu avaler. Il marchait, chaque pas devenant plus lourd, chaque mètre demandant un courage insoupçonnable pour être franchi.

De l'autre côté du trottoir, il ne remarqua pas Sasuke Uchiha qui, toujours avec ce sourire rayonnant, le regardait avec une sincère compassion.

XxXx

Assise au fond d'un siège inconfortable et feuilletant une brochure sur le cancer du col de l'utérus, une jeune femme patientait dans le hall d'un hôpital. Ses pupilles sombres scrutaient de temps à autre les environs, à la recherche d'un visage familier, avant de converger une nouvelle fois vers les schémas détaillés du corps féminin. Nerveuse, elle ne cessait de remonter sur son nez ses élégantes lunettes noires.

Deux étages au-dessus d'elle, Sasuke Uchiha venait de subir une nouvelle série d'examens. Des quintes de toux de plus en plus fréquentes brûlaient sa gorge et enflammaient ses poumons, rendant sa respiration difficile. Il ne s'en inquiétait pas mais lorsque sa bouche recracha un sang tiède au goût cuivré, il avait jugé bon de rendre visite à son oncologue, le docteur Orochimaru.

Allongé sur un large fauteuil, un drap de papier sous les fesses, Sasuke attendait le verdict de son médecin. Le regard vide, il fixait le plafond beige au-dessus de lui, joignant les mains sur sa poitrine, comme s'il récitait une prière silencieuse. Il n'était âgé que de dix huit ans mais sa vie était déjà bien remplie. L'enfance de Sasuke défila entre ces murs d'hôpital, rythmée par les séances de chimiothérapies et les désagréments qu'elle engendrait.

Avec le temps, les effets secondaires se dissipèrent. Il vomit moins et son corps s'accoutuma mieux à cette torture chimique censée le guérir. Néanmoins, son crâne chauve attira les regards et la pitié des gens. Porter une perruque ne l'avait jamais tenté et d'ailleurs, il voulait être accepté entièrement, avec sa maladie. Il n'avait pas choisit son sort et n'avait jamais accueillit la leucémie avec gratitude. Mais il n'avait pas le choix et acceptait sa destinée. Cela faisait maintenant deux ans qu'il avait arrêté la chimiothérapie et se plaisait à coiffer ses cheveux souples et soyeux. La raison ? Il était en rémission. Du moins, jusqu'à aujourd'hui, avant que cette toux grasse ne réapparaisse, mettant fin à toutes ses espérances.

La porte grinça et Sasuke se redressa, le cœur battant. Un épais dossier dans les mains, le docteur Orochimaru le toisait d'un air grave. Il n'avait pas besoin de prononcer le moindre mot, ses iris voilés de tristesse parlaient pour lui. Sasuke baissa les yeux.

-Merci docteur, souffla-t-il simplement.

-Je suis désolé Sasuke mais ton cancer est revenu. Tu n'es plus en rémission. Il va falloir recommencer la chimiothérapie.

Sasuke le jaugea avec une pointe de tristesse. En bon médecin attentionné, Orochimaru lui expliqua les enjeux et lui donna une multitude de conseils que Sasuke n'écoutait pas. L'esprit ailleurs, il réalisait à peine cette cruelle nouvelle. Plongé dans un mutisme inébranlable, Sasuke boutonna sa chemise sous le regard peiné d'Orochimaru. L'oncologue lui tendit une ordonnance et Sasuke le remercia poliment avant de quitter la pièce, le cœur lourd.

Il traversa le long couloir blanchâtre, inspirant le parfum chimique des médicaments. L'odeur de la maladie imprégna ses vêtements, le prit à la gorge. Il accéléra le pas pour la fuir et attrapa de justesse l'ascenseur. Il fourra le bout de papier dans le fond de sa poche, réunit tout son courage et parvint à sourire enfin. Un sourire discret dont la lumière se ternissait lentement, un sourire qui, il le savait, ne parviendrait pas à tromper sa meilleure amie.

Les portes de métal s'ouvrirent sur le hall de l'hôpital. Le regard de Sasuke s'anima un peu lorsqu'il l'aperçut, en train de courir vers lui, ses longs cheveux roux voltigeant derrière son dos. Il s'approcha d'elle et, d'un signe de tête, lui intima de le suivre. La jeune femme obtempéra sans rechigner. Dehors, l'air était dense et annonçait la venue de l'orage. Il marchèrent un peu, silencieux. Sasuke s'arrêta et lui fit face.

-Karin... je fais une rechute, annonça-t-il d'une voix grave.

Un son de surprise s'échappa de ses lèvres colorées de rouge. Karin ne sut quoi répondre. Elle le serra dans ses bras, il respira son parfum sucré et ferma les yeux. Il sentit les larmes chaudes de la jeune femme s'égarer sur sa nuque et il l'étreignit plus fortement.

-Sasuke... pourquoi ? Sasuke... couina-t-elle.

Avec tendresse, il caressa ses cheveux roux.

-Ca va aller, assura-t-il, je suis encore là.

-Pour combien de temps ?

-Pense pas à ça.

Karin se décolla de son ami. Ses doigts moites effleurèrent la joue de Sasuke avec douceur, lui transmettant ainsi tout l'amour qu'elle lui portait. Sasuke attrapa la main de la rousse et l'enveloppa dans la sienne. Ils reprirent leur route dans un silence pesant. Les phalanges entremêlées à celles de Sasuke, Karin ne pouvait s'empêcher de le regarder. Il était si fort et en même temps si fragile, offrant à ceux qui l'entouraient tout le bonheur du monde. Elle se souvenait encore de sa rencontre avec Sasuke, à l'école primaire. Il l'avait aidée à descendre de l'arbre situé au centre de la cour de récréation.

Voulant impressionner ses copines de l'époque, la rouquine s'empressa d'escalader les branches solides du saule pleureur mais elle apprit rapidement qu'il était plus facile de monter aux arbres que d'en descendre. Haut comme trois pommes, Sasuke parvint à la rassurer et grâce à lui, elle goûta au plaisir de frôler à nouveau la terre ferme. Depuis ce jour, ils ne se quittaient plus. Imaginer sa vie sans lui était inconcevable pour la jeune femme.

Prise d'une panique soudaine, Karin lâcha sa main. Sasuke l'avisa d'un air inquiet.

-Sasuke... préluda-t-elle.

-Arrête Karin. Tout va bien, assura-t-il.

-Non ! Tout ne va pas bien !

Sasuke sourit tendrement.

-Mais si, tout va bien. Regarde, je respire, je marche, je peux même courir.

-Sasuke...

-Ne t'inquiète pas. Je suis avec toi. Je resterai à tes côtés encore un bout de temps. Allez, viens maintenant, je te ramène à Suigetsu avant qu'il ne s'imagine des choses ridicules.

Les larmes déferlaient sans retenue sur les joues de Karin. Le vent en emporta quelques unes, Sasuke se chargea des résistantes. Il déposa un tendre baiser sur le front de son amie, serra ensuite les dents, s'efforçant de ne pas céder aux sanglots, et glissa une nouvelle fois sa main dans la sienne.

Sasuke leva les yeux vers le ciel et y trouva un peu de réconfort, s'interrogeant sur le moment où cette constellation d'étoiles l'accueillerait à ses côtés.

XxXx

Naruto se leva tôt ce matin là, contrairement à ses habitudes paresseuses. La pâle lueur du jour s'était infiltrée dans ses paupières aux alentours de huit heures, le tirant d'un sommeil agité. Il avait donc attrapé un bouquin et lu durant une heure avant de sauter du lit et d'ouvrir les rideaux sur une matinée ensoleillée. Il se traîna ensuite jusqu'à la douche en fredonnant un air de pop rock et rejoignit la cuisine, se servit un bol de céréales et s'installa devant la télévision. Ses orbes azur se moquaient des personnages de dessins animés défilant devant eux.

Le parquet couina un peu et Naruto n'eut pas besoin de se retourner pour deviner qu'il s'agissait de son père. Ce pas lourd et fatigué, il pourrait le reconnaître entre mille. Minato Namikaze se laissa tomber sur une chaise et sirota son café irlandais. La désagréable odeur alcoolisée émanant de son corps plissa le nez de Naruto et coupa sa faim. Père et fils échangèrent un regard à travers lequel une multitude de sentiments contradictoires cheminaient. L'envie de voir son paternel s'en sortir rivalisait dangereusement avec celle de le voir disparaître, tandis que la peur d'un rejet cinglant taraudait le désir de s'excuser auprès de son unique enfant.

Naruto poussa un soupir et déposa son bol sur la table basse du salon avant de se lever d'un bond, décidé à fuir cette pièce malsaine et cet homme qui l'insupportait un peu plus chaque jour. Il passa à côté de son géniteur. Ce dernier saisit son bras, Naruto grogna et se libéra de son emprise.

-Me touche pas, siffla Naruto.

-Je suis dés...

-Je ne veux pas le savoir, coupa-t-il. Je n'ai que faire de tes belles paroles et de tes promesses ridicules, ça marche peut-être avec maman mais pas avec moi.

-Tu es dur avec moi, Naruto. Je veux vraiment tisser des liens avec toi.

-Est-ce que tu y penses lorsque tu te défonces au whisky ? Tu n'es qu'un égoïste, les gens comme toi me révulsent, ils ne devraient pas exister. Tu ne tisseras jamais de lien avec moi, jamais je ne te pardonnerai.

-Je... je vais faire des efforts ! promit Minato d'une voix tremblante.

Les yeux de Naruto glissèrent vers le café noir à l'arôme alcoolisée et un sourire mesquin se courba sur ses lèvres pendant qu'il posait une bouteille d'eau minérale sur la table.

-Essaie d'abord de boire de l'eau ne serait-ce qu'une journée et après on en reparlera... papa.

Il prononça le dernier mot d'un ton ironique tout en formant des guillemets à l'aide de ses pouces et de ses majeurs. Naruto s'enfuit presqu'en courant, ignorant les cris de Minato qui résonnaient dans toute les pièces. Il pénétra dans sa chambre et attrapa un sac à dos pour y fourrer un bloc de feuilles vierges et un stylo. Ecouteurs pendouillant autour de son cou et Ipod au fond de la poche, il quitta l'appartement. Comme un réflexe, ses pieds prirent le chemin du square. À une heure si matinale, seuls les canards et les cygnes devaient s'y trouver.

Le soleil éclairait timidement la ville d'Osaka et Naruto lui présenta son visage, fermant les yeux pour mieux savourer cette chaleur particulière. Il emprunta le sentier goudronné, dépassa une vieille femme tenant son yorkshire en laisse et du bout des doigts, effleura les buissons bordant le chemin. Une fois de plus, il nia le panneau d'interdiction et marcha d'un pas assuré sur la pelouse, un sourire discret sur les lèvres. Il s'assit en tailleur sur l'herbe verdoyante, frissonna un peu au contact de sa fraîcheur matinale et d'un œil brillant, observa les cygnes encore endormis, admirant leur pureté singulière. Le cœur serein, il écoutait le silence parfois ébréché par la mélodie du vent.

Une vague d'inspiration titilla son imagination. Il s'empressa de sortir son bloc-notes du sac ainsi que le stylo offert par sa mère quelques années auparavant, lorsqu'il comptait encore un peu pour elle. Les doigts fébriles, le crâne martelé de sentiments qu'il ne pouvait exprimer, Naruto écrivait, laissant son stylo glisser sur le papier blanc. Si écrire signifiait hurler en silence, les mots ne parvenaient pas toujours à apaiser sa souffrance. À travers ses phrases rapidement griffonnées, il clamait son besoin d'exister, tentait d'exorciser ses plus grandes peurs et de faire taire ses idées noires. Puissants, les mots partaient à l'assaut de ses peines. À défaut de pouvoir se confier à une oreille attentive, il livrait son âme au papier, scellant ses lèvres et libérant sa main.

L'écriture représentait moult choses pour Naruto mais elle était avant tout un exutoire, une thérapie, un remède efficace contre le désespoir qui le guettait sournoisement. Dans le geste d'écrire, il s'imaginait ailleurs, il s'imaginait différent, ouvrant la porte à de nombreux mondes invisibles aux yeux des autres, laissant la parole aux multiples personnages qui l'habitaient.

Il se rêvait parfois bagarreur, parfois tendre. Il s'idéalisait en avocat prestigieux ou s'étonnait à couvrir d'honneurs les métiers ouvriers. Il se permettait d'être doux avec l'homme fictif partageant ses nuits, il s'autorisait à être ferme avec les personnes gangrénant sa vie. Il réalisait ses rêves par procuration, ses désirs chimériques et inavoués, ses personnages vivaient pour lui la vie qu'il n'aurait jamais. Chaque histoire promettait un voyage différent.

Par le biais de ses personnages inventés, il laissait libre court à ses humeurs et à ses émotions, calmant ses frustrations et dépêtrant sa colère. Il leur faisait accomplir tout ce qu'il était incapable de réaliser. Il aimait à travers eux, ayant pour uniques amis ces personnages imaginaires. Des amis de papier, des amis sincères auprès desquels il mettait son âme à nu. Bien plus qu'une passion, dépassant largement le statut de simple loisir, l'écriture lui était aussi vitale que l'oxygène. Il ne passait pas un jour sans qu'il n'empoigne son stylo à bille, noircissant sans relâche feuille après feuille, bercé par la douceur de la pointe roulant sur le papier, caressant l'espoir de devenir un jour écrivain.

Plongé dans un monde peuplé de mots, il oubliait sa géhenne routinière. Cela faisait maintenant dix minutes qu'il gribouillait des poèmes hasardeux. Trois pages pleines de sentiments, écrin de papier conservant ses pensées les plus secrètes. Il marqua une pause, relut ses phrases, ratura son dernier écrit avant de donner naissance à d'autres rimes.

-Naruto ?

Le concerné regarda par-dessus son épaule et soupira, blasé. Sasuke Uchiha s'approchait lentement, toujours avec ce sourire agaçant scotché sur ses lèvres fines. Naruto l'ignora et continua son activité, priant pour qu'il s'en aille. Hélas, c'était mal connaître le ténébreux. Ce dernier prit place à ses côtés.

-Comme on se retrouve, l'apostropha Sasuke.

Naruto leva les yeux au ciel et n'essaya pas de masquer son irritation.

-J'ai toujours eu beaucoup de chance dans la vie, railla-t-il.

Sasuke feignit ne pas comprendre son sarcasme. Il promena son regard sur le square, caressant du bout des doigts les pétales du coquelicot planté entre ses jambes écartées. La brise de l'été souffla légèrement, tordant sans scrupules la tige frêle de la fleur rouge. Sasuke prit conscience de sa fragilité mais reconnut sa force lorsque, déterminée, la tige verte se redressa, invaincue par la puissance du vent. Naruto lui jeta un regard en coin.

-Qu'est-ce que tu fiches ici à une heure pareille ? demanda le blond.

Sasuke ramena ses jambes vers son torse et les entoura de ses bras.

-J'ai passé la nuit chez ma meilleure amie, Karin, raconta-t-il. Je rentrais chez moi en passant par le square lorsque je t'ai aperçu. Je suis venu te dire bonjour, quoi de plus normal ?

-C'est trop aimable, maugréa Naruto.

Les yeux d'ébène de Sasuke se posèrent sur le bloc-notes gisant sur les jambes croisées de Naruto.

-Qu'est-ce que tu fais ? questionna-t-il.

-De quoi j'me mêle ? cracha froidement Naruto.

-Allez, dis-moi ce que tu fais, insista Sasuke en inclinant la tête sur le côté.

Naruto le détailla une poignée de secondes avant de soupirer, résigné.

-Rien. Je griffonne juste des mots sans intérêt, répondit-il.

-Je peux lire ?

-Et puis quoi encore ? Pourquoi est-ce que je te montrerais mes textes, hein ?

-Parce que je ne te juge pas.

Cette simple phrase percuta son cœur. Naruto releva la tête pour se noyer dans la profondeur de ses yeux noirs. Sans le savoir, Sasuke venait de prononcer les mots qu'il attendait depuis toujours. Il songea à quel point le pouvoir des mots était puissant, à quel point ces assemblements de lettres pouvaient changer le cours des choses, à quel point leur impact pouvait être fort tout en restant doux pour les tympans.

Sasuke offrait à Naruto un cadeau merveilleux : l'estime. Depuis son enfance, Naruto ne connaissait des gens que le mépris et l'ignorance, à commencer par ses propres parents. Fuyant sa situation familiale chaotique, il tentait de combler son manque affectif entre les bras des hommes mais finissait toujours par les rejeter avant de subir à nouveau les tourments de l'abandon.

Il était tellement plus aisé de tourner le dos aux autres plutôt que de leur faire confiance. Sasuke avait trouvé les mots justes, sa voix tremblait de sincérité et dans son regard brillait un espoir inébranlable. Sa beauté fragile et impénétrable retournait le cœur de Naruto qui voyait en lui son opposé attitré. En un seul regard, ils parvenaient à se comprendre.

Entre eux se formait un trait d'union invisible.

Gêné, Naruto sentit le pourpre colorer ses joues. D'un coup d'œil timide, il invita Sasuke à parcourir ses pensées. Ravi, ce dernier se rapprocha de Naruto. Le parfum délicat du jeune homme titilla les narines du blond, faisant accélérer les battements de son cœur attendri. Il s'en suivit un long silence durant lequel Sasuke lisait avec une euphorie grossièrement contenue les lignes de Naruto.

-Des mots sans intérêt ? chuchota soudainement Sasuke, tu rigoles ?

Naruto fronça légèrement les sourcils, perplexe. Sasuke leva les yeux vers lui.

-Ton texte est magnifique !

Naruto se gratta la joue.

-Je ne crois pas, soupira-t-il. Mon texte est maladroit.

-Pour toi peut-être, c'est ton avis d'auteur, il n'est donc pas objectif. Moi, au contraire, je trouve qu'il transmet plein de choses. Ces mots... c'est ton cœur qui parle, Naruto.

Naruto ne parvint pas à masquer son trouble. Leurs yeux dialoguèrent quelques secondes avant que Naruto ne s'enfonce ses écouteurs dans les oreilles, fuyant le sentiment dérangeant occupé à chatouiller son estomac. Il recommença à écrire sous le regard de Sasuke. Etant de nature tenace, ce dernier attrapa l'un des deux écouteurs et l'inséra dans son oreille sans prêter attention aux plaintes de Naruto. La voix rocailleuse de Liam Gallagher rendit l'instant plus magique encore.

-Tu comptes écrire un livre ? souffla Sasuke.

-Hum... ce n'est qu'un projet parmi les autres.

Naruto ne put retenir un rictus amer.

-Je crois qu'il ne restera qu'un rêve irréalisable.

-Un rêve irréalisable ? Tu commets une grave erreur si tu ne fais rien pour le rendre vrai.

Naruto haussa un sourcil et, sans lever le nez de sa feuille, rétorqua d'un ton froid :

-Tu te montres bien prétentieux pour un étranger.

Sasuke ne se laissa pas démonter.

-Comme tu le dis si bien, nous nous connaissons à peine.

-À peine ? Cela ne fait que la seconde fois que nous nous voyons, l'asséna Naruto.

Sasuke sourit.

-Peut-être, répondit-il, mais je n'ai pas besoin d'être proche de toi pour te dire que tu as un talent indéniable, pas vrai ? Tu serais un grand auteur.

Touché par ces paroles mais trop fier pour l'avouer ou le remercier, Naruto se contenta d'ancrer son regard cobalt dans le sien, plus sombre mais paradoxalement plus lumineux.

-Quand devenons-nous auteur ? questionna-t-il, quand les mots nous viennent à l'esprit ? Quand nous arrivons à les coucher sur le papier ? Quand nous avons la chance de publier un livre ou trouver des lecteurs courageux pour suivre nos histoires ? Quand cessons-nous d'être auteur ? Quand nos lecteurs que l'on croyait fidèles nous oublient pour un autre ? Quand l'inspiration s'envole loin de nous ? Quand notre roman n'a plus aucun succès ? Je ne me prétend pas auteur, Sasuke. Je veux juste... laisse tomber.

Naruto en avait trop dit et ses dents mordillaient sa langue traître, comme pour la punir de cette salve d'aveux. L'audace s'emparant de lui, Sasuke posa une main sur l'épaule du blondinet.

-Je pense que l'on est auteur lorsqu'on a l'inspiration et le désir de partager quelque chose et je pense qu'on le reste tant que l'amour des mots brûle en nous.

Un kaléidoscope de sentiments déferla en Naruto tandis qu'il fondait sous le sourire de Sasuke. Il ne le connaissait pas mais ce jeune homme au regard envoûtant lisait en lui avec une aisance effrayante. Naruto fut partagé entre le désir de prendre ses jambes à son cou et celui de ne plus jamais quitter Sasuke. Il ne pensait pas à demain, il savait juste qu'en cet instant précis, sa nature méfiante s'estompait et permettait à son cœur de s'ouvrir un peu.

-Au fait... j'adore Oasis, confia Sasuke.

Pour la première fois depuis longtemps, Naruto sourit sincèrement. Un sourire rayonnant de joie, un sourire attendrissant la dureté habituelle de son visage, un sourire qui fit bondir le cœur de Sasuke.

-« Wonderwall » est leur plus belle musique, chuchota le blond.

-Je trouve aussi. Puis-je te regarder écrire ?

-Aussi longtemps que tu le voudras, Sasuke.

-Je resterais là jusqu'à ce que ta main n'en puisse plus.

-Ca risque de durer longtemps.

-Ca tombe bien, je suis patient. Ecris, s'il te plaît.

En poussant un petit rire, Naruto s'exécuta, remplaçant son personnage mélancolique par un héros au cœur ouvert et à l'esprit combattif. Bercés par l'air doucereux de « Wonderwall », les deux garçons se comprenaient silencieusement. Naruto venait d'ouvrir la porte de son monde à Sasuke et celui-ci y entrait sans hésitation.

Les cygnes les fixaient d'un œil paisible. Là, assis au beau milieu du square, les fesses trempées par la rosée du matin, ils saisissaient tout le sens de la célèbre devise « Carpe diem ». Le soleil brillait avec intensité et le monde commençait à affluer mais pourtant, ils ne voyaient personne, entendant seulement la voix de Liam Gallagher chanter leur histoire.

Because maybe
You're gonna be the one that saves me ?
And after all
You're my wonderwall.

XxXx

Debout face à la penderie, Sasuke avisait d'un œil las les nombreux pantalons suspendus aux cintres. Il y avait ce jeans noir que Karin lui avait acheté deux années auparavant, qu'il aimait bien mais qui n'allait avec aucun de ses t-shirts. Il posa une main indécise sur ce pantalon en toile blanc qui était à la fois chic et discret mais le temps n'était pas assez clément pour lui laisser une chance de le porter. Ensuite, il examina le jeans bleu foncé et se rappela comment il détestait la manière dont il lui collait aux fesses. Il hésita à enfiler le jeans bleu délavé offert par son frère aîné, Itachi, mais se souvint qu'il était un peu trop grand pour lui et qu'il traînait par terre. Sasuke pensa à enfiler un short mais le vent soufflait trop fort en cet après-midi de début juillet et il ne souhaitait pas grelotter toute la journée.

Blasé, Sasuke se retourna et croisa le regard amusé de Suigetsu, le petit ami de Karin. Allongé sur le ventre, en appui sur les coudes, le garçon aux cheveux étrangement bleus le dévisageait avec intérêt.

-Je ne sais pas quoi mettre, Suiget, râla Sasuke.

-On s'en fout, mets un pull et un jeans, l'essentiel c'est que tu y ailles habillé non ? répliqua-t-il d'une voix absente.

-Non. C'est notre premier rendez-vous et je veux être... présentable.

-Dis plutôt que tu veux lui plaire, se moqua Suigetsu.

Sasuke lui tira la langue avant de faire à nouveau face à son problème actuel. Il se demandait comment il était possible de posséder autant de vêtements sans savoir quoi porter. Habituellement, il ne se souciait pas de ce genre de chose qu'il considérait futile. Il attrapait le premier pantalon qui lui tombait sous la main, trouvait un haut adapté et n'en parlait plus. Aujourd'hui, c'était différent. Naruto l'avait invité au cinéma et Sasuke voulait l'impressionner au niveau vestimentaire, cherchant quelque chose à la fois simple et élégant. Hélas, cette tâche s'avérait bien plus rude qu'on pourrait le croire.

-T'as mis quoi comme sous-vêtement ? le taquina Suigetsu, parce que c'est ce vêtement là qui fait toute la différence.

Les yeux sombres de Sasuke roulèrent tandis qu'un soupir franchit ses lèvres.

-T'as vraiment l'esprit mal tourné, on va juste au cinéma, répondit Sasuke en s'approchant de son ami.

-T'es un mec donc tu devrais savoir que nous n'invitons jamais quelqu'un sans idée derrière la tête. Moi, lorsque j'invite Karin au restau, j'espère toujours une compensation en échange.

Sasuke haussa un sourcil.

-Et tu l'obtiens, ta compensation ?

Pris au dépourvu, Suigetsu détourna les yeux et chercha ses mots. Il bafouilla une phrase incompréhensible, soupira, avant de se ranger du côté de la sincérité :

-Pas toujours, marmonna-t-il, dépité.

Sasuke ne put réprimer un rire moqueur et Suigetsu le frappa avec un coussin. Le claquement familier des talons hauts de Karin résonna dans le couloir. Les yeux pétillant de malice, Suigetsu posa un index sur sa bouche, faisant comprendre à Sasuke qu'il devait garder secret leur petite conversation. Sasuke lui répondit par un clin d'œil et ils gloussèrent au moment où la rousse poussa la porte de la chambre.

Karin les toisa d'un air méfiant.

-Pourquoi est-ce que vous riez vous deux ? demanda-t-elle d'un ton inquisiteur.

Suigetsu essuya la larme salée qui perlait au coin de son œil.

-Pour rien ma chérie, roucoula-t-il.

Insensible à son numéro de charme, la jeune femme haussa un sourcil avant de se tourner vers Sasuke. Ce dernier refermait la porte de sa penderie, ayant finalement déniché une chemise et un pantalon plus ou moins à son goût.

-Sasuke, on va être en retard à l'hôpital, dit-elle, tu n'as pas le temps de te changer.

Un silence pesant suivit ces paroles et le regard noisette de Karin jongla entre Sasuke et Suigetsu, qui baissa les yeux, coupable. L'atmosphère enjouée régnant dans la chambre quelques minutes auparavant s'évapora subitement, laissant place à une tension palpable. Nerveux, Suigetsu torturait les oreilles du lapin en peluche gisant au pied du lit de Sasuke tandis que celui-ci cherchait les mots adéquats pour avouer à Karin ce qu'il comptait faire de sa journée. La jeune femme sentait peser sur elle un poids lourd de non-dits. Perplexe, elle fronça les sourcils et croisa les bras.

-Quoi ? reprit-elle, qu'est-ce que vous me cachez ?

-Je ne vais pas à l'hôpital Karin, lâcha Sasuke, j'ai rendez-vous avec un ami.

Les yeux de Karin s'écarquillèrent d'au moins cinq millimètres tandis que la surprise tendait les traits de son visage. Elle se tourna vers Suigetsu, en quête de soutien. Mais son petit-ami ne lui fit don d'aucun réconfort, se contentant seulement d'étudier le sol. N'y croyant pas, Karin s'approcha de Sasuke et planta son regard sévère dans le sien.

-Tu te fiches de moi là ? Tu as une séance de chimiothérapie dans une demi-heure et tu vas me faire le plaisir d'y aller !

-Non, Karin. Je n'irai pas.

Un cri outré s'échappa de sa bouche et, mains sur les hanches, elle le toisa de toute sa grandeur.

-Tu ne vas pas à tes séances, Sasuke ? gronda-t-elle, tes parents sont au courant de ta rechute au moins ?

-Karin, soupira-t-il, je suis condamné. Je ne veux pas passer les derniers mois qu'il me reste à supporter la chimio, je ne veux plus suivre le traitement, c'est terminé.

-Tu n'as pas le droit de dire ça ! Sasuke !

Elle avait littéralement hurlé. Le ton désespéré de sa voix perça les murs de la demeure et fit écho dans le couloir. Inquiet, Suigetsu bondit sur ses pieds et attrapa sa main pour la calmer mais elle le repoussa d'un geste rageur. Ses doigts agrippèrent les épaules de Sasuke et son regard voilé de larmes le supplia.

-Sasuke... tu n'as pas le droit d'abandonner ! Je te l'interdis !

Le concerné l'affrontait d'un air déterminé, sûr de lui.

-Mes parents sont en vacances et mon frère roucoule avec Sakura, ils sont enfin heureux, dit Sasuke. Ne dis rien à ma famille Karin, je te le demande en tant qu'ami. Puis-je te faire confiance ?

Le visage de Karin se décomposa. À l'intérieur de sa poitrine, elle sentit son cœur se disloquer.

-Je... tu oses me demander ça ? Et toi comment peux-tu le couvrir ? cria-t-elle à l'égard de Suigetsu.

Suigetsu l'attrapa par les épaules et l'attira à lui. Les larmes affluèrent sur ses joues, les peignant de noir. Elle enfouit son visage au creux de l'épaule de Suigetsu, bafouillant de temps à autre des mots incompréhensibles tandis qu'il la berçait de douces paroles tout en caressant ses longs cheveux roux. Sasuke assistait à ce malheureux spectacle, impuissant. Son cœur se serra et il frotta tendrement le dos de Karin, espérant la réconforter.

-S'il te plaît Karin, chuchota-t-il, fait ça pour moi. Je veux vivre pleinement, comme un garçon normal, est-ce que tu comprends ça ? S'ils apprennent ma rechute, mes parents me cloueront dans un lit d'hôpital et ça, je ne le veux pas.

Elle hoqueta et opina d'un hochement de tête. Suigetsu l'étreignit plus fortement pour tenter de calmer les tremblements de son corps frêle. Il échangea un bref regard avec Sasuke et, d'un geste du menton, lui indiqua la porte.

-Vas-y Sasuke, dit-il. Je m'occupe d'elle. Ne pense plus à ça et essaie de profiter de ta journée aux côtés de Naruto.

Sasuke les constata encore quelques instants avant d'envoyer valser ses vêtements sur le lit et de tourner les talons. Il ne se changerait pas, tant pis, il se rendrait à son rendez-vous vêtu d'un simple pantalon et d'un pull. La joie qui l'avait asticoté toute la matinée venait de s'évanouir subitement. La tristesse le traversa comme une vague et il massa son estomac douloureux en quittant la maison.

D'un pas traînant, il prit la direction du square, là où Naruto avait prévu de le retrouver. L'alizé repoussa en arrière ses cheveux soigneusement coiffés, les ébouriffant docilement. Il enfouit ses mains dans les poches de sa veste et, songeur, contempla le ciel. De minces rayons de soleil tentaient de se frayer un passage entre les nuages obstruant le ciel. L'odeur des fleurs remplit ses poumons mais ne parvint pas à égayer son humeur. Il se força à penser à Naruto et sans qu'il ne s'en rende compte, les battements de son cœur s'affolèrent.

Il fut surpris d'apercevoir Naruto assit sur un banc. Il était en avance d'un quart d'heure. Amusé par cette extrême ponctualité, Sasuke esquissa un discret sourire. Il pressa le pas. Au fur et à mesure qu'il avançait, raccourcissant ainsi la distance le séparant de Naruto, il sentait l'angoisse marteler un peu plus son estomac. De multiples questions défilaient dans sa tête. Pendant qu'il se rapprochait encore, il s'attarda sur le comportement de Naruto et remarqua la manière dont il tordait ses doigts. Etait-il nerveux, lui aussi ? Ses yeux bleus fixaient le sol, jetant de temps à autre un coup d'œil à la montre entourant son poignet. Sasuke combla les derniers mètres.

-Salut Naruto, l'aborda-t-il.

Le blond sursauta, surpris. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas entendu Sasuke approcher. Le brun ricana et Naruto se leva, confus.

-Salut Sasuke.

-Tu es en avance, lâcha Sasuke pour empêcher le silence de s'installer entre eux.

-Toi aussi.

-C'est vrai.

Naruto se détendit et réussit à sourire.

-On y va ? proposa-t-il en commençant à marcher.

Sasuke lui emboîta le pas. Les deux garçons sillonnèrent à travers le parc, mutiques, avant de se rendre en ville. Petit à petit, au gré de leurs pas, l'atmosphère se détendit, les langues se délièrent, les regards se croisèrent, les mains se frôlèrent timidement. Habituellement réservé, Sasuke raconta sa vie à Naruto, lui parlant de sa rencontre avec Karin et de l'amitié qui le liait à Suigetsu. Il enchaîna sur sa famille, insistant sur sa relation fusionnelle avec son frère, détaillant avec joie les repas familiaux où chacun s'amusait, heureux de se retrouver. Naruto l'écoutait d'une oreille attentive, sans l'interrompre, son visage composant parfois une mimique, sa bouche s'étirant souvent en un sourire discret, retrouvant à travers les paroles de Sasuke le bonheur d'avoir une vraie famille.

Ils pénétrèrent dans le cinéma et le film débuta, Naruto ne pouvant s'empêcher de faire des commentaires sur les acteurs, dérangeant le couple de personnes âgées assis à côté d'eux. Ses doigts effleurèrent la main de Sasuke posée sur l'accoudoir mais lorsque ce dernier tenta de capter son regard, Naruto fit mine de ne pas le remarquer. Sasuke abandonna, essayant vainement de se concentrer sur le film pour contenir l'émotion qui le gagnait.

Naruto dû faire preuve d'une force surhumaine pour se retenir de l'embrasser. À l'entracte, Sasuke voulut une glace. Naruto la lui paya. Chacun fixait l'écran et regardait sans vraiment les voir les acteurs qui dévoilaient leur talent. Aucun des deux ne comprit le film, ils ne retinrent même pas l'histoire. Simplement parce que chacun passa l'entièreté de la séance à songer à l'autre. Le film prit fin sur l'air d'une musique classique, le générique défila sur l'écran noir, mettant fin au baiser romantique des deux acteurs principaux.

Une fois à l'extérieur, ils furent éblouis par la lumière. Naruto se tourna vers Sasuke et lui décocha un sourire.

-J'ai adoré ce film, assura-t-il d'un ton joyeux.

-Moi aussi. C'était vraiment une très belle histoire.

Ils mentaient aussi bien l'un que l'autre.

-Que faisons-nous maintenant ? demanda Sasuke.

-Une promenade dans le square ? proposa Naruto.

-C'est d'accord mais il va falloir se dépêcher.

Sasuke leva les yeux vers le ciel.

-J'ai comme l'impression qu'il va pleuvoir, dit-il.

Naruto allait répondre mais une voix tristement familière glaça son cœur d'horreur.

-Naruto ?

Le concerné fit des yeux ronds avant de se retourner à la volée. Une ombre passa sur son visage lorsqu'il reconnut ces cheveux roux et ce regard turquoise.

-Gaara ? s'étouffa-t-il, qu'est-ce que tu fous là ?

-C'est un lieu public je te signale.

Gaara s'approcha de son éternelle démarche lente. Un malaise clairement perceptible plana entre les ex amants. Sasuke fronça les sourcils, ne comprenant rien à la situation, et frustré par l'impolitesse de Gaara qui ne l'avait même pas salué. Le rouquin se mordillait les lèvres, anxieux. Naruto le fusillait de son regard azur, nullement impressionné par la froideur émanant de son ex petit ami. Les yeux accusateurs de Gaara se détachèrent de ceux de Naruto pour se poser sur Sasuke.

-C'est qui celui-là ? demanda-t-il froidement.

Un désagréable frisson parcourut le corps de Sasuke. Il lui adressa un regard glacial pour unique réponse, ce qui fit sourire Gaara. Naruto détailla Sasuke pendant une fraction de seconde et, d'une voix ferme, ordonna à Gaara de le suivre. Le rouquin scruta le cobalt de ses yeux, en quête d'une quelconque explication mais n'y trouva qu'un mépris insupportable. En haussant les épaules, il dépassa Sasuke pour s'en éloigner, Naruto sur les talons.

À quelques mètres de Sasuke, ils pouvaient parler librement.

-Qu'est-ce que tu veux, Gaara ?

-Pourquoi ne réponds-tu pas à mes appels ?

Naruto laissa échapper un rictus amer.

-Si mes souvenirs sont bons, tu m'as largué. Nous n'avons donc plus rien à avoir ensemble. Cesse de m'appeler.

Naruto allait partir mais Gaara l'attrapa par le bras. Le blond resta indifférent face à la peine brillant dans les yeux de celui qui autrefois partageait ses nuits.

-Pardonne-moi Naruto, chuchota-t-il, j'ai fait une grave erreur. Je voudrais que tu me laisses une seconde chance. Tu me manques.

Naruto le toisa d'un air supérieur avant de reprendre possession de son bras. Heureux de le voir se rabaisser, il lui rendit la monnaie de sa pièce, le désir de le blesser autant qu'il l'avait été se montrant plus fort que tout.

-À part le sexe, tu ne m'as jamais rien apporté de satisfaisant, cracha Naruto.

Vexé, Gaara serra les poings avec l'envie d'en envoyer un dans le visage de ce parfait abruti.

-Comment oses-tu ?

-Je ne veux plus te voir Gaara. Tu n'es rien pour moi.

Naruto tourna les talons mais la voix de Gaara résonna encore dans son dos, titillant ses nerfs fragiles.

-Alors c'est lui ton nouveau jouet ? asséna Gaara en pointant Sasuke du doigt, tu comptes le dépouiller de son innocence pour ensuite l'abandonner comme un salaud ?

Furieux, Naruto fit volte face et revint sur ses pas.

-Il n'a rien à voir avec toi et tout les autres. Ne te compare pas à lui, Gaara, tu ne lui arrives même pas à la cheville.

Le cœur de Gaara se scinda en deux, blessé par les mots de Naruto. Certes, leur relation ne dura que trois mois mais il s'était rapidement attaché à ce blondinet au regard électrique. Il le regrettait amèrement, désormais. Il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable. N'ignorant rien de la réputation volage de Naruto, il aurait dû rester sur ses gardes mais l'affection qu'il lui portait brisa toutes les barrières qu'il avait soigneusement érigées. Une boule noua sa gorge. Il ne supporta plus le combat visuel imposé par Naruto et détourna le regard. Naruto soupira et retourna auprès de Sasuke, laissant Gaara derrière lui.

Machinalement, Naruto attrapa la main de Sasuke et s'éloigna d'un pas pressé. Les orbes turquoises de Gaara les suivirent jusqu'à ce qu'ils disparaissent à l'angle de la rue.

-Oh... serais-tu amoureux Naruto ? chuchota-t-il pour lui-même.

À nouveau plongés dans le silence, ils gagnèrent le square. Naruto faisait face à ses idées noires pendant que Sasuke fixait leurs mains encore scellées. Le murmure de l'orage ramena le blond à la réalité et Sasuke leva les yeux vers le ciel. D'épais nuages noirs flottaient au-dessus de leurs têtes, menaçant à tout moment de lâcher sur eux une pluie glacée. À contre cœur, Naruto lâcha la main de Sasuke. Ils ralentirent leur cadence, écoutant d'une oreille distraite les échos de la nature. Le chant discret des oiseaux, le bruit apaisant de l'eau, le sifflement du vent qui faisait danser les feuilles des cerisiers.

Pensif, Naruto étudiait ses pieds. Sasuke le détaillait avec insistance, désirant en savoir plus sur ce rouquin malpoli mais n'osant le lui demander. Le square était pratiquement désert en cette fin de journée maussade. L'air était dense, respirer devenait difficile. Comme s'il lisait dans les pensées de Sasuke, Naruto lui fournit une explication.

-Le jour où nous nous sommes rencontrés, Gaara venait de me quitter. C'est en partie pour ça que je me suis montré grossier avec toi Sasuke, je m'en excuse.

Sasuke sourit gentiment.

-Ce n'est pas grave, répondit-il, mais j'avais raison ce jour là : tu allais mal.

Naruto ricana et, d'un hochement de tête, confirma ses propos.

-Tu l'aimais ? questionna Sasuke.

-Absolument pas.

-Oh...

Le blond lui jeta un regard en coin et, bien que Sasuke essayait de le réprimer, un mince sourire se courba sur ses lèvres. Naruto et Gaara entretinrent une relation chaotique. Au début de leur histoire, tout se passa bien, ils appréciaient passer du temps ensemble, savourant simplement le plaisir de l'instant. Au fil des jours, au gré des mois, leur idylle prit un autre tournant. Gaara se montra de plus en plus exigeant et n'eut de cesse de multiplier ses déclarations amoureuses, clamant son besoin de stabilité. Naruto ne voyait pas le futur avec Gaara. Pour lui, leurs corps se rencontraient, s'unissaient, mais leurs cœurs demeuraient des étrangers.

Enchaînant les disputes, ils en vinrent à ne communiquer qu'avec le corps. Fragile et amoureux, Gaara craqua le premier et envoya Naruto sur les roses. Ce dernier ne souffrit pas de cette rupture brutale mais sa fierté fut atteinte. Gaara appartenait au passé et Naruto ne voulait plus en entendre parler. Désormais, il envisageait le futur avec une autre personne.

Une goutte puis des centaines s'abattirent sur eux. Naruto attrapa la main de Sasuke et l'entraîna dans une course folle. Sous le grondement menaçant de l'orage, les deux garçons traversèrent le parc sous l'ondée glacée. Ils arrivèrent dans le centre-ville embouteillé et s'abritèrent sous l'auvent d'une supérette. Dos courbé, mains sur les genoux, Naruto reprenait son souffle tandis que Sasuke l'observait d'un œil brillant. Les essuie-glaces des voitures luttaient contre la pluie, les piétons couraient dans tous les sens, telle une colonie de fourmis.

L'auvent n'étant pas large, Naruto et Sasuke étaient très proches l'un de l'autre. Epaules collées l'une contre l'autre, ils regardaient la pluie tomber, écoutant la mélodie que composait les gouttes en s'écrasant sur le plastique au-dessus de leurs têtes.

-« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville », récita Naruto.

-Paul Verlaine, compléta Sasuke.

Un large sourire illumina le visage de Naruto pendant qu'il acquiesçait d'un signe de tête.

-Tu vois que tu sais aider les autres quand tu veux, échappa Sasuke.

Le sourire de Naruto s'effaça et une lueur de tristesse brilla dans ses yeux. En soupirant, il balaya d'un regard morne le centre-ville peuplé de voitures.

-Je ne peux rien faire pour les autres, je ne suis pas comme toi, répondit-il.

-Tu te trompes, on peut toujours faire quelque chose pour les autres, le tout est de le vouloir vraiment.

Naruto haussa un sourcil et l'interrogea du regard.

-Ce que tu as fait il y a quelques minutes est merveilleux.

-Qu'est-ce que j'ai fait ?

-Tu as souris.

Un sentiment mêlant joie et surprise traversa son corps de toute part. Confus, Naruto se gratta frénétiquement l'arrière du crâne.

-Et alors ? demanda-t-il d'une voix hésitante.

-Tu m'as apporté quelque chose. Ta chaleur, ta beauté véritable, celle que tu caches derrière tes airs de gros dur, la douceur que tu dissimules soigneusement et... la blancheur de tes dents.

Naruto sourit une nouvelle fois.

-Pour ça, il faut remercier mon dentiste et son super détartrage annuel.

Sasuke pouffa. Leurs yeux se cherchèrent, se rencontrèrent. Ceux de Sasuke fuirent les orbes de Naruto avant de plonger une nouvelle fois dans le bleu limpide. Leurs mains se frôlèrent, leurs cœurs s'emballèrent. L'émotion qui les avait envahit au cinéma venait de refaire surface, déferlant dans leurs corps, retournant leurs cœurs. Après moult tentatives, Naruto capta enfin le regard de Sasuke.

L'hésitation se lut sur son visage mais le sourire que lui présentait Sasuke apaisa toutes ses inquiétudes. Sans réfléchir davantage, il se pencha vers Sasuke et l'embrassa avec une infinie tendresse. Sa bouche se détacha de celle de Sasuke et ils échangèrent un bref regard. Le brun plaqua une main sur la nuque de Naruto et captura ses lèvres. Le baiser fut plus intense, moins chaste. Les mains de Naruto entourèrent la taille de Sasuke, frissonnant au contact de son corps. Les doigts égarés dans la chevelure ambrée de Naruto, Sasuke essayait de calmer les battements affolés de son cœur. Goûter à ses lèvres engendrait en lui une flopée de sensations inconnues.

Transportés ailleurs, entendant seulement la pluie heurter le plastique de l'auvent, ils n'avaient conscience que de la chaleur de l'autre. La main de Sasuke glissa sur la joue de Naruto. Leurs langues se rencontrèrent, timides, avant de danser ensemble. Le cœur à deux doigts d'imploser et les jambes en coton, ils découvraient pour la première fois le véritable sens du mot « aimer ».

Un mot que Naruto écrivait bien souvent sans vraiment le comprendre, un sentiment que Sasuke se croyait condamné à ne jamais connaître. Et pourtant, ils étaient là, sous l'averse de juillet, partageant un moment unique. L'amour venait de les frapper de plein fouet, les emprisonnant dans un monde bercé de promesses et d'illusions. Naruto imaginait un futur lumineux et rempli d'amour, Sasuke espérait seulement que la leucémie se montrerait compréhensive et lui laisserait le temps de tout offrir à Naruto.

Un futur inexistant pour Sasuke, un avenir flamboyant pour Naruto. Telle était leur unique différence. Le destin leur jouerait peut-être un mauvais tour mais le présent débordait de promesses et c'était l'essentiel.


Bonjour tout le monde ^^

Cet OS se compose de deux parties: la première, que vous venez de lire, s'intitule "À travers ton regard", la seconde se nommera "Sur le chemin de ton rêve". Mon style est un peu différent de d'habitude dans cet OS, il est plus doux, moins brutal. Je me suis moins concentrée sur la psychologie des personnages et plus sur la relation Naruto/Sasuke. Leur relation va un peu vite je trouve mais c'est un OS en deux parties donc je n'avais pas tellement le choix. Vous remarquerez à quel point Sasuke peut être OOC dans cet OS, tout comme Naruto l'est au début, les rôles sont un peu inversés je trouve. J'espère que cette première partie vous plaira et que vous aurez envie de lire la suivante :)

Merci d'avoir lu et gros bisous.