Maintenant ou jamais.

Il traversa donc la distance qui les séparait d'un pas à la fois tranquille et déterminé. Lorsqu'il fut à quelques mètres seulement du jeune homme, celui-ci leva la tête et croisa son regard. Raito jubila intérieurement en voyant ses grands yeux noirs s'écarquiller encore plus et une expression de profonde surprise se peindre peu à peu sur son beau visage pâle.

Parfaitement maître de lui, Raito continua d'avancer d'une démarche calme, et s'arrêta enfin devant Ryuuzaki. La gêne et les doutes qui quelques secondes auparavant occupaient son esprit avaient disparu : il était de nouveau le meilleur, de nouveau supérieur dans ce mondes d'idiots. L'assurance dont il avait toujours fait preuve dans n'importe quelle situation, et qui l'avait abandonné depuis sa rencontre avec Ryuuzaki, reprenait maintenant le dessus et le faisait sentir tout à fait à son aise. Car s'il y avait une chose que Yagami Raito savait faire, c'était bien de dissimuler ses pensées et de maîtriser ses émotions.

Il passa une main dans ses cheveux d'un geste relaxé et regarda attentivement le jeune homme.

– Comme on se retrouve…

Il marqua une légère pause, faisant semblant de rassembler ses souvenirs. Puis il cligna des yeux, comme si la mémoire lui était revenue tout à coup.

– …Ryuuzaki.

Il sourit de façon provocante et soutint son regard.

Ryuuzaki ne cilla pas ; la surprise avait laissé place à une moue blasée. Il rapprocha la part de gâteau de son visage et enfonça les dents dans la crème chantilly, savourant avec un plaisir évident ce dernier précieux trésor. Raito l'observait en silence.

Le jeune homme aux cheveux noirs finit tranquillement de déguster sa sucrerie, puis se passa la langue sur les lèvres pour effacer les dernières traces de crème, lentement.

Les yeux de Raito suivirent ce mouvement, troublés.

Qu'est-ce qu'il fout ?

Bien malgré lui, un seul mot lui venait à l'esprit pour définir la façon dont cette langue passait et repassait sur ces lèvres fines.

Sensuellement.

Il sursauta imperceptiblement. Ça y est, il recommençait à délirer !

Je dois avant tout rester calme.

Il reprit son expression hautaine et dit d'un ton nonchalant:

– Je passais par là et je t'ai aperçu au loin. Ça m'a rappelé que tu as toujours mon manteau, et que je ne peux pas rentrer chez moi sans.

Mentir était une de ses spécialités. Mais en réalité, ce n'était pas vraiment un mensonge… C'était juste une (petite) part de la vérité.

Le jeune homme le regarda.

– C'est pourtant toi qui a insisté pour que je le garde, Raito-kun.

Merde !

– Hmm oui, peut-être.

Il décida de jouer sa dernière carte.

– En tout cas tu as eu l'air très… Surpris de me voir.

Bingo ! Il vit le visage de Ryuuzaki s'empourprer légèrement, mais celui-ci baissa aussitôt la tête pour cacher la rougeur sous la masse ébouriffée de ses cheveux noirs.

Raito ne put masquer un petit sourire triomphant. Son charme obtenait toujours l'effet voulu.

– Je suis désolé.

Raito tourna la tête, perplexe.

C'était bien Ryuuzaki qui venait juste de s'excuser ? …Pourquoi ?

Le jeune homme fit glisser ses doigts entre ses fins cheveux noirs.

– Je me comporte toujours comme un parfait imbécile.

Il se tut un instant et ajouta, dans un murmure à peine audible :

– Je ne mérite rien.

Raito resta un instant muet de stupeur.

Il sentit un mélange de gêne, pitié et incompréhension monter doucement en lui.

Et il n'eut soudain qu'une envie, prendre le jeune homme dans ses bras, le serrer contre lui. Effacer cette expression résignée de son beau visage, lui faire comprendre qu'il n'était pas seul.

Il n'en fit rien, se contentant de l'observer se tortiller une mèche de cheveux autour du doigt sans rien dire.

Après un instant de silence, Ryuuzaki cessa de faire joujou avec ses cheveux et leva la tête, croisant le regard de Raito. Ses yeux étaient déterminés, et malgré le rouge de ses joues, le ton de sa voix était sans failles :

– Est-ce que je pourrais t'offrir quelques chose, Raito-kun ?

Ce dernier, après un moment d'hésitation, acquiesça et le suivit à l'intérieur de l'immeuble. Ils montèrent dans un ascenseur en métal ; les portes se refermèrent sur eux sans un bruit. Ryuuzaki appuya sur un bouton et l'abitâcle se secoua, puis il sembla décoller et fut propulsé vers le dernier étage à une vitesse vertigineuse.

Appuyés tous les deux contre une paroi, les deux jeunes hommes s'observaient. Ou plutôt, Raito observait le jeune homme aux cheveux noirs qui, lui, se laissait observer. Ryuuzaki faisait tournoyer les clés autour de son doigt, le regard rivé sur le sol. Raito se tenait en face de lui : il sentait que son assurance l'abandonnait une fois de plus, au fur et à mesure que l'ascenseur approchait de son but. Il ne s'était pas préparé à ça, mais ne changea pas d'expression du visage pour autant.

Une fois qu'il eurent atteint le 10ème étage, ils sortirent de l'ascenseur, Raito derrière Ryuuzaki, et se dirigèrent vers un couloir à droite. Ryuuzaki enfila la clé dans la serrure et ouvrit la porte, puis s'écarta pour faire passer Raito en premier.

Celui-ci fit quelques pas dans l'appartement spacieux et s'arrêta pour détailler la pièce dans laquelle il se trouvait.

Le plafond était plutôt haut ; les murs et la plupart des meubles étaient d'une couleur blanche immaculée ; de grandes vitres entourées de longs rideaux semblables à des voiles donnaient sur la ville : depuis cette hauteur, Tokyo ne semblait qu'une masse grouillante de couleurs et d'agitation. La vue était magnifique et Raito, saisi, contempla pendant un bon moment la ville à ses pieds.