Les questions sont toujours les mêmes au réveil. L'alarme n'a pas sonné ? Où sont mes clopes ? Mais où est ce que j'ai bien pu jeter mon jean ? Pourquoi je ne trouve pas mes clopes ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire de ma baguette ? Est-ce que je suis en retard ? Et mes clopes ? Qu'est-ce que j'ai fait hier soir ? Quel jour on est ? Oui, les questions sont toujours un peu les mêmes au réveil, et puis un matin, une nouvelle se faufile. Distille son venin. Mais à qui sont ces draps ? Et d'autres prennent alors tout leurs sens : Qu'est-ce que j'ai fait hier soir ?

Les paupières obstinément closes, la question, anodine, innocente, foutuement chiante, continuait de marteler les tempes de Rose Weasley. Elle n'avait qu'à rester là. Voilà. Éteinte. Yeux fermés. Ignorer. Attendre. L'amant se ferait bien la belle. Sans attendre qu'elle ne se fasse belle. Du moins, c'est ce qu'elle croit. Elle n'a pas l'habitude. Ni l'attitude. Assidue aux réveils douloureux et aux gueules de bois, restes de souvenirs sulfureux, d'accord. Mais les coups d'un soir, les cinq à sept, les hôtels lugubres, elle ne connaissait pas, ce monde lui était inconnu. Incongru. Oui, ça échappait à sa connaissance et en rentrant dans ce secret, c'est comme si elle s'échappait. L'idiot, qui lui servait d'ex aurait dit qu'elle se trouvait cette excuse verbeuse pour ne pas avouer que de ne pas savoir suffisait à l'écharper. Il aurait raison. Il a toujours raison, de toute façon. Cet abruti d'Hypérion. Piqure de scorpion.

L'Amant ne fait rien, l'idiot. Il reste à côté d'elle, il ne la touche même pas. Aucune éducation. Pas une caresse, tout en maladresse. Il doit se demander comment lui intimer de partir, sans devenir intime ou risquer son inimitié. Il doit vraiment être idiot, intimes, ils le sont, bien assez à son goût. D'un coup, elle a peur. Faites qu'il soit moldu, faites qu'il soit moldu, faites qu'il soit moldu, faites qu'il soit moldu. Un sorcier l'aurait forcément reconnu et la Gazette du Sorcier n'a pas besoin d'une autre de ses bévues. Merlin, sa mère serait rouge de honte. Et son père rouge, tout court. Rouge. Très rouge. Quand elle était petite avec Hugo, ils avaient un jeu un peu idiot, ils pariaient sur qui rendrait leur père le plus écrevisse. Avec une couverture de Sorcière Hebdo la montrant en sous-vêtements elle aurait enfin battu Hugo et sa petite amie Serpentard. Même Scorpius n'avait pas suffi. Et pourtant, à elle, Scorpius suffisait. L'Amant semble prendre vie. Sans un bruit.

Il rabat la couverture sur sa compagne d'un soir. Elle se rend compte qu'elle n'avait pas froid, qu'elle est habillée. Etrange. L'étranger semble avoir quitté la pièce. Il ne faut pas vendre le galion avant de l'avoir volé au gobelin, comme disait son père, elle joue encore l'endormie. Il est encore là. Elle le sait, elle sent. Elle ne comprend pas très bien comment. Petite, elle adorait cette sensation, cet avant-éveil. Brume merveilleuse où tout est encore neuf. Elle avait l'impression qu'elle pouvait distinguer les objets, les gens, leurs auras, leurs magies. Mais lui, c'était différent, elle avait l'impression de mieux le voir qu'avec n'importe quel Lumos Solem. Lui. L'Amant. Qu'est-ce qu'il pouvait bien être en train de faire ? Est-ce qu'il avait l'habitude de faire ce genre de choses ? Combien de filles ramenait-il par nuit ? Est-ce qu'il avait été à Poudlard ? Est-ce qu'il la croyait vraiment endormi ?

Et comme une réponse à sa question muette :

« Rose, tu vas jouer encore longtemps ? »

Acerbe. Cinglante. Vénéneuse. Telle était sa voix quand quelqu'un l'importunait. Depuis tout petit, quand il en avait marre, qu'il voulait couper court, faire fuir son auditoire, il utilisait sa voix de prince. De serpent. Elle se faisait plus doucereuse, acidulé, artificieusement tendre quand il demandait un service, qu'il avait besoin de vous, de vous sous son emprise, insupportable charmeur. De serpent. Et puis il y'avait l'autre, celle qui la faisait céder, celle où on sentait le sourire transparaitre, celle de l'enfant qui vient de faire une bêtise, hilare, insouciant, quand il lui disait mon amour, totalement détaché, attachant chacune des parties de leurs êtres, mon amour, comme si ça ne voulait rien dire, juste une farce, une blague. De serpent. Et la sienne, la leur, le leurre, la voix, amoureuse. De serpent. Celle des Je t'aime. Celle qu'elle voulait oublier. Elle fronça les sourcils, contracta les paupières, elle aurait pu tout aussi bien les rouvrir, au point où elle était, mais il fallait qu'elle se rappelle. Non. Celle-là, elle ne la connaissait pas. Rose, tu vas jouer encore longtemps ? Elle ne lui connaissait pas ce ton d'adulte las. Elle ne le connaissait que là. Scorpius.

« Bien, tu as fini de prétendre que tu dormais, c'est déjà ça, je suppose ? Me regarde pas comme ça, on dirait que tu ne sais pas qui je suis. Que tu ne sais plus qui tu es. Ce n'est que moi. Et oui, on a fait que dormir. Et non, tu ne peux pas partir. »

Tu ne dois plus partir, je n'en peux plus de souffrir. Il a un grand sourire. Jovial. Taquin. Enfantin. Elle a dû oublier à quel point il adorait le matin, lui-même ne s'en souvenait presque plus. Il n'y avait plus vraiment de matin. Elle ne le lâche plus du regard. Un peu comme hier soir. Apparition fantasmagorique. Toute frêle dans son manteau ocre. Un petit moineau. Il aurait voulu, s'allonger près d'elle, enfouir sa tête dans ses boucles rousses, la serrer, lui dire à quel point elle lui a manqué. Mais il n'en fera rien. Il a compris que ça ne servirait à rien. Et puis elle ne lui a pas tant manqué que ça, à vrai dire elle ne l'a jamais laissé. Elle était toujours là. À danser dans les verres, à se glisser dans ses bouteilles, à lui susurrer ses dangereux chants la nuit, à lui faire du mal. À le marquer, non il ne pouvait pas la rater. Rose Weasley est partout, même dans son lit. Il se rappelle tellement bien, à seize ans, ce cri victorieux de fou furieux, « Je vais mettre Rose Weasley dans mon lit !». Dix ans plus tard, qu'est-ce qu'il en reste ? Eux deux. Il n'avait pas franchement prévu d'en tomber amoureux, s'il avait su qu'il l'était déjà il ne se serait pas aventurer dans ce pari périlleux. Et puis il ne l'aime pas tant que ça, hein. Il l'aime juste un peu. Pour combler un creux. Mais de qui il se moque. Aucune crédibilité. Débilité congénitale, dirait son père. Elle n'a pas l'air de vouloir se lever. Ah oui, il lui a dit de ne pas s'en aller. Mais elle a jamais été foutu de l'écouter, saleté Weasley.

Bon, c'est vrai qu'il ne lui a pas toujours tout raconté. C'est ce qu'elle lui a dit hier soir. En passant, en pleurant. Qu'est-ce qu'il a pu se détester de la voir pleurer. Elle n'avait jamais pleuré, avant. Elle n'avait jamais pleuré quand il l'attirait comme un aimant. Amants. Quand ils l'étaient encore. Et puis il y a eu hier soir. Elle ne doit plus s'en souvenir, elle était ivre. Lui aussi, bourré de ses cris, saoul de ses yeux, alcoolisé de ses larmes, fou d'elle. Rose ne savait que hurler. Depuis… toujours. Elle criait plus qu'elle ne parlait. Mais c'était joyeux, doux, un peu fou, tellement Weasley. Là, elle était juste triste. Vidée. Ecorchée. Elle avait martelé son torse de coups, comme si elle avait voulu s'échapper. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il la retenait, qu'il la serrait. Pour la première fois, elle avait geint, c'était, oui, c'était une plainte « Dix ans, dix ans, dix ans à t'aimer et je ne sais rien de toi. Ta cicatrice à la hanche, ta première fois, ton premier ami, ton premier amour, ta première réelle décision, le nom de jeune fille de ta mère, si t'as déjà aimé quelqu'un d'autre que toi-même, je sais pas moi, un animal, si tu m'as aimé moi, pourquoi tu as toujours ces putains d'ecchymoses sur ton bras ? Dix ans, dix ans, et je ne sais même pas pourquoi tu as des ecchymoses sur ton bras droit. Et tu dis que je suis parti ? Mais, c'est toi qui n'es jamais venu, Scorpius. Comment tu veux que je t'aime encore ? Je ne sais même pas qui tu es. » Tellement fragile, sa rose.

Alors, il allait revenir. Pardon, venir. Et elle va revenir. C'est aussi simple que ça. Il a envie de rire, mais il ne sait pas s'il a raison d'y croire ou non, elle peut tout aussi bien fuir. Après tout, elle avait presque avoué ne jamais l'avoir aimer. Blessure narcissique. Laissons resurgir le passé, si c'est le seul moyen de la garder.

« La pensine est dans l'armoire. Elle est ancienne, je te prierais d'y faire attention, tu as une fâcheuse tendance à briser ce qui m'appartient, ces derniers temps. Depuis dix ans. Il y a tout ce que tu m'as demandé. Dans la pensine, je veux dire, pas dans nos dix ans. J'ai des choses plus importante à faire que te regarder déchiqueter mon passé. Trouve ce que tu peux trouver. Après tout, me percer c'est tout ce qui t'intéresse, depuis toujours, alors autant le faire à jour. Bonne journée, Rose Weasley. Je t'enferme pour plus de sécurité. »

Il a claqué la porte.

Elle n'a rien compris.

Et les mots tournent dans sa tête, pensine, ancienne, attention, dix ans, passé, trouver, percer, Rose, briser, briser, briser, briser. En ce qu'il s'agit de l'enfermer, cela fait bien longtemps, de toute façon. La pensine. Elle a un peu peur, elle, elle était à Serdaigle. Mais elle ne peut plus fuir, le fuir, elle n'a plus d'excuses. La pensine, oui, c'est l'unique solution.

Rose, tu vas jouer encore longtemps ?

Maintenant, on va jouer selon tes règles Scorpius.