Le Prince de l'Ombre


Note de l'auteur : Cette fiction commence avec le 1er chapitre en 1529, au niveau de l'épisode 1.09. Bien que je m'efforcerai de garder une certaine cohérence historique, je privilégierai les détails apparaissant dans la série (en particulier les décalages temporels). Je précise que cette fiction traitera principalement des événements se déroulant en Angleterre mais que pour introduire le contexte, je la commence volontairement en France.

Rating : T

Résumé : Le jeune duc de Bretagne a remporté plusieurs victoires face à l'Empereur, et fait libérer le Dauphin de France. Le nouveau pape, Paul III, décide de lui confier une tâche très délicate : secourir Catherine d'Aragon et sa fille, la princesse Mary. Parviendra-t-il à déjouer les manigances des Boleyn pour mener à bien sa mission ?

Disclaimer : Les Tudors et ses personnages ne m'appartiennent pas et sont la propriété de Michael Hirst et de la chaîne Showtime.

Hormis les copyrights ci-dessus, cette histoire m'appartient dans sa totalité en vertu de la législation sur la propriété intellectuelle et de celle sur les droits d'auteur.

Interdiction formelle de reproduire, d'utiliser et/ou de diffuser cette histoire sans l'autorisation expresse de son auteur.


Chapitre 1 : Le Traité de Paix

1529, Cambrai

Depuis sa nomination au titre d'Empereur du Saint-Empire Germanique, Charles avait cru que Dieu était de son côté. La plupart de ses batailles avaient tourné à son avantage et ses premières années de règne lui étaient apparues comme le début de la réalisation du rêve de ses ancêtres : un empire européen régi par les Habsbourg. Le seul véritable obstacle sur sa route reposait en la personne du roi de France.

Toutefois, François 1er s'était avéré être un piètre stratège, ce qui, malgré son courage et sa fougue, le rendait assez prévisible et par conséquent, facile à battre sur un champ de bataille. Sa victoire à Pavie en 1925 le lui avait même assuré, c'est pourquoi il s'était senti de plus en plus optimiste quant à sa conquête de l'Italie…

… jusqu'à la Bataille de Landriano, qui avait eu lieu quelques mois plus tôt.

La peste avait ravagé les troupes françaises et notamment l'un de ses chefs militaires les plus prestigieux : le Maréchal de Lautrec.

Après la perte de leur général, la bataille aurait dû être gagnée pour les forces impériales. C'est alors qu'à la grande surprise de Charles V et de ses conseillers militaires, le roi de France avait choisi de placer à la tête de ses troupes un jeune noble dont il ignorait jusqu'au nom.

La seule chose qu'il savait à son sujet, c'était qu'il devait être soit un stratège exceptionnel, soit un démon tout droit envoyé par Satan en personne puisqu'il avait retourné le cours de l'affrontement en sa faveur en l'espace de seulement quelques heures, menant à une victoire française des plus indiscutables.

Cette défaite l'avait non seulement blessé dans son orgueil mais elle lui avait aussi fait perdre une grande partie de ses territoires milanais, ainsi que sa crédibilité auprès des princes-électeurs qui venaient tout juste de voter en sa faveur.

Depuis, les Français l'avaient attaqué sans relâche, non seulement sur ses cibles italiennes mais aussi dans ses propres territoires de Bourgogne. Le commandant de l'armée l'attaquait à des endroits ne possédant en apparence qu'une importance stratégique mineure, avant de manœuvrer vers des zones plus sensibles… mais malgré cela, ses meilleurs conseillers s'étaient révélés incapables de prévoir ses mouvements.

Au bout de plusieurs mois, l'Empereur avait contacté le roi de France dans l'espoir d'obtenir une trêve mais ce dernier s'est montré étonnement intransigeant. Tant que son fils aîné ne lui serait pas rendu, sain et sauf, les troupes du royaume de France continueraient sans relâche à l'assaillir… et les batailles suivantes lui prouvèrent que le monarque ne plaisantait guère.

En effet, après s'être emparées de la Bourgogne et de la majorité du duché de Milan, les troupes françaises s'étaient attaquées à la Picardie et avaient même réussi à conquérir le Comté d'Artois. Encore quelques mois et ils se mettraient peut-être à marcher sur la Lorraine ou le Luxembourg !

La situation était devenue telle que ses forces militaires avaient grandement diminué, de même que ses ressources financières s'étaient amenuisées jusqu'à être réduites à l'ombre de ce qu'elles étaient jadis alors qu'en face, les pillages orchestrés par les hommes de François avaient largement suffi à remplir ses caisses.

Voilà pourquoi il se trouvait aujourd'hui dans la ville de Cambrai, pour y mener des négociations de paix et notamment restituer le dauphin à son père. En plus des territoires qu'il allait sûrement devoir abandonner pour de bon, il était probable que l'Empereur doive également abandonner certaines de ses autres possessions, faute de pouvoir payer la totalité de la somme exorbitante que le roi de France exigeait de lui.

De son point de vue, le plus frustrant n'était peut-être pas l'humiliante série de défaites qu'il avait subies, ni même l'affront même que représentait cette « paix ». Non, c'était le fait qu'il ne sache toujours rien ou presque de ce chef militaire sans nom qui l'avait si souvent mis en échec.

C'est peut-être d'ailleurs parce qu'il était piqué par sa curiosité qu'il parcourut la pièce pour s'entretenir avec Philippe Chabot de Brion, l'Amiral de France.

Agé de trente-sept ans, l'homme aux cheveux bruns et tout de bleu vêtu, imposait par sa grande taille ainsi que par son regard vif. Malgré ses airs souvent hautains, en particulier lorsqu'il se trouvait en présence d'étrangers, l'amiral était un combattant expérimenté, et ses stratégies peut-être autant que son caractère honnête, lui avaient gagné les faveurs du roi de France.

- Amiral, c'est une agréable surprise que de vous voir ici.

- Le plaisir est partagé, majesté. J'espère que vous pardonnerez à mon roi les hâtifs préparatifs de ce sommet mais sa Sainteté s'est montrée assez insistante pour que les discussions aient lieu aussi tôt que possible, et en l'occurrence, plus d'une semaine avant la date choisie.

- Je comprends tout à fait. Répondit l'Empereur dans un français qui laissait clairement entendre son accent espagnol.

Il était vrai que le roi d'Espagne avait vu des fêtes plus somptueuses que celle-ci mais il était aussi conscient que son rival de l'empressement du pape à régler leur différend. Après tout, les événements qui se passaient actuellement en Angleterre paraissaient inquiéter le Saint Père, au point de le voir souhaiter plus que tout une Europe catholique unie, pouvant ainsi faire face à toute menace envers leur foi.

- Dites-moi, Excellence, cela va peut-être vous paraître futile mais… pourriez-vous m'éclairer sur l'identité de ce mystérieux chef militaire qui a pris la tête de l'armée lors de la Bataille de Landriano ?

Comme à l'accoutumée, l'Amiral ne laissa pas transparaître la moindre surprise face à la question posée, et se contenta de lui adresser un sourire avant de répondre sur un ton léger.

- Oh bien évidemment. Il s'agit du duc de Bretagne.

- De Bretagne ? Mais je croyais… La reine Claude n'est-elle pas censée en être la duchesse ? L'interrogea l'Empereur d'un air clairement confus.

- Je ne saurais vous en dire plus à ce sujet, majesté mais je peux vous assurer que c'était bien le duc de Bretagne qui a mené les troupes françaises au combat ces derniers mois.

- Et… est-il présent ce soir ?

- Je crains bien que non. Le duché de Bretagne étant indépendant du reste du Royaume, il devait paraître devant les Etats de Bretagne pour se voir confirmer officiellement son élection.

Charles avait été sur le point de lui poser d'autres questions concernant le mystérieux duc mais il n'en eut pas le temps car l'Amiral s'esquiva, prétextant devoir présenter ses hommages à certains des dignitaires italiens conviés pour l'occasion.

Passant une main sur son menton quelque peu proéminent, l'Empereur songea que les quelques révélations apportées par le Seigneur de Brion posaient davantage de questions qu'elles n'en résolvaient. Qui était donc ce mystérieux noble qui venait de s'accaparer l'un des duchés les plus convoités par les rois de France depuis des générations ? Quel lien partageait-il avec la reine ?

Le neveu de Catherine d'Aragon ignorait encore les réponses à ces questions mais une chose était certaine : il n'aurait de repos qu'après avoir découvert toute la vérité concernant cet étrange personnage.


Ce n'était pas inhabituel pour la reine de France de se trouver dans une église ou une chapelle pour prier. Sa dévotion pour Dieu était d'ailleurs comparable à celle de la reine d'Angleterre, Catherine d'Aragon, dont elle s'était étonnement rapprochée lors de leur brève rencontre, au Val d'Or, il y a de cela plusieurs années.

Claude se souviendrait toujours du jour où son fils François avait été présenté à la princesse Mary, qui l'avait d'ailleurs fait tomber par terre de manière assez ridicule lorsqu'il n'avait pas voulu qu'elle l'embrasse. L'épouse d'Henry VIII s'était confondue en excuses mais elle l'avait immédiatement pardonnée, s'excusant à son tour du manque de manières du dauphin.

Bien qu'elles auraient dû être aussi ennemies que ne l'étaient l'Empereur et le roi de France, les deux reines s'étaient rapprochées et il n'était pas rare pour elles d'échanger des lettres. Elles ne discutaient jamais d'affaires d'Etat, mais plutôt des accomplissements de leurs enfants respectifs et des nouveautés artistiques ou philosophiques aux cours de France et d'Angleterre.

C'est ainsi que la descendante des ducs de Bretagne ne put s'empêcher de se sentir attristée par la manière dont Henry traitait son épouse. Avec la montée en puissance de cette catin, cette Anne Boleyn, Claude redoutait de voir sa vieille amie chassée du trône, voire même exécutée si tel était le bon plaisir de ce roi si lunatique qui gouvernait l'Angleterre.

Se relevant du prie-Dieu où elle s'était agenouillée plusieurs minutes auparavant, elle lissa la magnifique robe émeraude qu'elle portait avant de se retourner en direction de la porte. C'est alors qu'elle l'aperçut, adossé au mur, à moitié baigné dans la lumière du soleil levant et à moitié englouti dans l'obscurité de la Cathédrale.

- Bonjour, majesté. Déclara-t-il d'une voix douce en s'inclinant respectueusement.

Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire face à cette politesse dont il n'avait nul besoin. S'avançant vers lui jusqu'à ce qu'ils ne soient plus distants que de quelques dizaines de centimètres, elle posa une main sur son menton pour lui faire redresser doucement la tête.

- Bonjour, Arthur.

Guère âgé de plus de quinze ou seize ans, le dénommé Arthur n'était encore qu'un adolescent. Ses cheveux bruns lui arrivaient jusqu'au milieu du cou mais contrairement à la mode française, il n'arborait ni barbe, ni moustache. Son visage était plaisant, avec des traits bien dessinés mais ce qui lui assurerait sûrement de captiver l'attention des dames qui feraient sa rencontre, c'était sans doute ses yeux.

Le jeune homme possédait un regard d'un bleu perçant, et visiblement plus sombre que ne l'aurait dû l'être celui d'un jouvenceau qui n'avait pas encore atteint l'âge adulte.

Il portait une tenue assez sobre, dans des tons saphir qui s'accordaient parfaitement avec la couleur de ses iris. Le plus étrange résidait pourtant non pas dans ses vêtements, ou même dans sa cape anthracite mais peut-être dans l'épée qu'il avait au côté. Celle-ci devait mesurer environ un mètre, et possédait une poignée en or et en argent, surmontée d'un pommeau ayant la forme d'une croix pattée semblable à celles que portaient jadis les templiers.

- Merci d'être venu jusqu'ici. Murmura-t-elle d'une voix douce.

- Je vous ai promis d'être toujours là pour vous, majesté et j'entends honorer ma parole.

Malgré ce ton sérieux et respectueux avec lequel il s'exprimait, elle pouvait lire l'affection et la tendresse qu'il lui portait dans ses yeux. Si son regard était souvent insondable pour ses interlocuteurs, Claude pouvait y lire ses véritables émotions comme dans un livre ouvert.

- Je n'ai jamais douté de toi et je te remercie, du fond du cœur, pour avoir permis la libération de François. Répondit-elle simplement en lui prenant délicatement la main.

- Le roi de France m'a plus que largement récompensé en m'accordant l'indépendance du duché ainsi que d'autres territoires et richesses…

- Arthur, le coupa-t-elle gentiment, il n'y a personne d'autre ici. Alors est-ce que juste pour cette fois…

Elle ne termina toutefois pas sa phrase car l'adolescent venait de mettre un genou à terre avant de porter la main de la reine à ses lèvres.

- A vous qui m'avez aimé et protégé durant toutes ces années, je serai toujours loyal et fidèle… mère.


Tout de blanc vêtu, le roi de France observait les plans que l'on venait tout juste de lui apporter. Passant une main sur sa courte barbe, le monarque imaginait déjà ce à quoi ressemblerait le château de Chambord une fois terminé. Ce n'était pas tant qu'il désirait y vivre. Non, il était même en train de reconstruire le château de Vincennes où il avait élu domicile. Chambord était davantage un symbole, aussi bien de son prestige en tant que roi que de l'importance qu'il vouait à l'art italien qu'il avait découvert avec son ami Léonard de Vinci.

- Son Excellence, le Cardinal Farnèse.

Le roi décida finalement de lever la tête et c'est avec un aimable sourire, si caractéristique du monarque français, qu'il accueillit le prince de l'Eglise avec politesse. Après tout, le Cardinal Alexandre Farnèse était très populaire et très puissant parmi les siens. D'ailleurs, lorsqu'on interrogeait les prélats sur l'élection du prochain pape, son nom était sur toutes les lèvres.

- Bienvenue, Excellence. Asseyez-vous, je vous prie.

- Merci, majesté. J'espère ne pas vous avoir indisposé par cette visite impromptue.

- Absolument pas. Sa Sainteté m'avait prévu qu'un envoyé ferait son apparition après la signature du Traité de Cambrai. Toutefois, je ne m'attendais pas à ce que son émissaire soit un homme de votre importance, M. le Cardinal.

Ce que le souverain sous-entendait, c'était que Farnèse ne quittait que rarement l'Italie même s'il avait été un diplomate des plus émérites dans sa jeunesse. Cette exception ne pouvait signifier que deux choses : le pape souhaitait lui transmettre un message d'une importance telle qu'il ne pouvait courir le risque de l'écrire dans une lettre, ou bien Farnèse lui-même désirait s'entretenir avec lui et avait donc profité de l'occasion pour venir à sa rencontre.

- Dites-moi, que puis-je faire pour vous, Excellence ?

- Officiellement, je suis ici pour vous féliciter au nom de notre très saint père, pour vos victoires face à l'Empereur ainsi que pour la paix à laquelle vous avez consenti aussi rapidement.

-Et officieusement ?

Bien qu'il portât la robe rouge sang des cardinaux, Farnèse dégageait un air de bienveillance paternelle qui devait être autant à l'origine de sa popularité que l'or qu'il distribuait allègrement aux pauvres. Néanmoins, François de Valois avait appris depuis longtemps à distinguer le véritable visage de ses interlocuteurs d'un simple regard.

Et si l'homme qui était assis devant lui se montrait effectivement agréable et conciliant, le monarque distinguait aussi en lui une certaine force, une force dont la mesure ne serait sans doute exprimée pleinement que dès lors qu'il serait élu pape.

- Je pense que vous vous doutez de la raison de ma présence ici.

- L'Angleterre ?

Le cardinal se contenta d'acquiescer de la tête avant de prendre la parole à son tour.

- Le roi d'Angleterre semble déterminé à se séparer de son épouse, au profit de sa maîtresse, Anne Boleyn.

- C'est aussi l'impression que j'ai eue lorsque le Duc de Suffolk m'a rendu visite. Il désirait s'enquérir de la position des cardinaux Campeggio et Wolsey concernant l'annulation que le roi souhaite obtenir.

- Pensez-vous qu'il puisse arriver malheur aux cardinaux ?

- Je pense que le cardinal Campeggio pourra sans doute repartir sain et sauf quoi qu'il arrive mais… je crains que le cardinal Wolsey ne soit pas aussi chanceux. Mes espions m'ont appris que le cardinal se trouvait actuellement dans une position très délicate, dont ses ennemis pourraient largement tirer avantage pour le faire tomber.

- Et la reine ? Est-elle en danger ?

Le roi de France ne répondit pas immédiatement, tournant son regard vers la fenêtre, et plus précisément sur le soleil couchant, qui enflammait le ciel d'une teinte orangée. Tapotant par trois fois sur la table avec son index, il finit par s'exclamer, en fixant son regard sur celui de son interlocuteur :

- S'il y a bien une chose que je sais sur mon cousin d'outre-Manche, c'est qu'il manque cruellement de patience. Il voue un culte au changement, comme en témoignent ses nombreuses fantaisies et son caractère des plus capricieux… mais il n'est pas non plus idiot. La reine Catherine est extrêmement populaire en Angleterre et en tant que mère de la seule héritière au trône, la princesse Mary, ainsi que fille de rois aussi prestigieux que Fernand d'Aragon et Isabelle de Castille, il est normal qu'Henry la craigne.

- Que voulez-vous dire ?

- Voilà plus de deux siècles, la très pieuse et très populaire Isabelle de France était reine d'Angleterre et c'est à la tête d'une armée et avec le soutien de la noblesse qu'elle a fait destituer son époux, Edward II afin de placer son fils sur le trône. Mon royal cousin doit sans doute également s'en souvenir… et peut-être redoute-t-il de voir l'histoire se répéter.

Farnèse acquiesça simplement de la tête, se souvenant d'avoir étudié en détails cette partie de l'histoire anglaise par le passé, alors qu'il recherchait justement des précédents au cas de Catherine dans le but de la défendre. Hélas, même s'il trouvait la réponse dans la Bible, Henry n'accepterait sûrement pas de l'entendre.

- La reine devrait être sauve pour le moment. Le Pape a rappelé le cardinal Campeggio à Rome, avec la stricte consigne de refuser de prendre toute décision concernant l'annulation de mariage désirée par le roi. Cela devrait nous faire gagner un peu de temps. Déclara finalement le cardinal.

François acquiesça simplement d'un air distrait. Bien qu'il n'ait jamais particulièrement apprécié Catherine d'Aragon, qui était autant la tante de l'Empereur qu'une fervente adversaire de la France, il devait admettre que la situation actuelle lui convenait, puisqu'elle focalisait l'attention du souverain anglais à l'intérieur de son pays plutôt que vers l'extérieur. De plus, il n'était pas sans savoir que Claude, sa propre épouse, éprouvait une certaine affection pour l'Espagnole. C'est pourquoi, tant que cela ne nuisait pas à ses projets, il essaierait de ne pas précipiter la chute de la reine.

- Est-ce là tout ce dont vous souhaitiez vous entretenir avec moi, votre éminence ? Finit par demander le Français.

- Pas tout à fait, majesté… Si vous le permettez, j'aurais aussi voulu vous parler du duc de Bretagne.

Si le monarque conserva une expression calme et sereine, on pouvait toutefois discerner dans ses yeux une étrange lueur, peut-être de curiosité ou bien de fierté. Il enjoignit le cardinal à poursuivre d'un geste de la main.

- Le jeune Arthur s'est distingué sur bien des champs de bataille, face aux armées de l'Empereur mais… ce que les prêtres et autres serviteurs de l'Eglise ont pu observer, c'était la manière dont il prenait soin d'épargner, voire même de protéger les populations envahies.

- Que voulez-vous dire ? L'interrogea François, clairement étonné.

- Vous l'ignorez peut-être mais par bien des gens, il est surnommé le « Pendragon », en référence au légendaire roi de l'île de Bretagne. Savez-vous pourquoi ?

- Pour ses victoires militaires, je présume ? Le légendaire roi Arthur est réputé pour avoir été un formidable guerrier.

- C'est partiellement vrai… mais c'est aussi parce qu'il a assigné ses propres troupes à la reconstruction des bâtiments détruits et aussi parce qu'il a accepté de recruter des volontaires parmi les populations étrangères lorsque celles-ci voulaient défendre leurs terres et leurs familles face aux troupes impériales. Arthur Pendragon était aussi grand par ses talents guerriers que par son caractère généreux et juste.

Voilà une méthode bien inhabituelle mais au vu de son efficacité, François aurait été mal placé pour la critiquer. Sa décision de placer Arthur à la tête de son armée en Italie s'était avérée non seulement judicieuse mais aussi extrêmement fructueuse. Non seulement l'adolescent lui avait évité la défaite à Landriano mais il était également parvenu à renverser le cours de la guerre en sa faveur. En conséquence, le France était désormais plus vaste et plus riche qu'elle ne l'avait été depuis des décennies, voire même des siècles, et le Dauphin lui avait été rendu, en bonne santé.

Tout allait bien dans le meilleur des mondes possibles, de son point de vue.

- Que pense sa Sainteté du jeune duc ?

- Oh, le pape tient Arthur en grande estime, et il approuve votre choix de lui avoir concédé l'indépendance de la Bretagne mais il trouve que cela pourrait ne pas être suffisant.

- Que voulez-vous dire par là ? Demanda François, en haussant un sourcil en signe de curiosité.

- Arthur est désormais un prince puissant… mais sans attaches particulières avec votre royaume, à l'exception de son Comté d'Etampes. Notre très saint père a suggéré que votre majesté récompense la loyauté et l'efficacité du jeune duc par un autre duché, celui-là rattaché à la France.

François fit signe à l'un des serviteurs de leur servir du vin. Le souverain devait reconnaître que face aux suggestions que venait de lui faire le cardinal, un bon verre de Bordeaux ne serait sans doute guère de trop. Regardant le liquide carmin s'écouler dans les coupes en argent, il ne tarda néanmoins pas à reprendre la parole d'un ton léger :

- Et lequel de mes duchés devrais-je lui confier, d'après sa Sainteté ?

- Et bien, peut-être le duché d'Anjou ?

Heureusement que le roi de France avait préféré s'abstenir de boire car il aurait sans doute eu grand mal à ne pas s'étrangler en entendant pareille proposition. Cela faisait plusieurs siècles que le duché d'Anjou appartenait à la couronne de France, et son importance était grande puisque les anciens ducs avaient autrefois fait partie des douze Pairs de France.

- Je vois… donc vous souhaiteriez non seulement que je lui donne l'un des plus importants duchés du royaume mais que je fasse également de lui, un pair de France ?

- Vous ne pouviez nier qu'il ait tout à fait le droit d'hériter de ce duché, n'est-ce pas ? Rétorqua Alexandre avec ce sourire que François commençait de plus en plus à détester.

Se levant de la table, le Français observa les travaux en cours depuis la fenêtre. Evidemment, il connaissait mieux que quiconque la véritable identité d'Arthur mais il aurait pensé que cette information, qu'il avait pris tant de temps et d'énergie à dissimuler, n'était pas encore parvenue aux oreilles du pape, et de ses conseillers. Visiblement, il s'était trompé.

- Arthur n'a pas été reconnu officiellement par le pape, l'auriez-vous oublié, Excellence ?

Le roi de France n'avait pu s'empêcher de déclarer cette tirade d'un ton à la fois amer et foncièrement sarcastique.

- Léon X s'y était effectivement opposé mais pour sa défense, il était davantage un politicien qu'un homme de foi. Je ne peux pas vous promettre que le pape Clément accepterait mais… son successeur le pourrait sans doute, sans aucune difficulté.

Fixant désormais le cardinal de ses yeux noisette, François comprenait très certainement les insinuations de Farnèse. Ce dernier était l'un des favoris pour devenir pape après Clément VII et il semblait cultiver un intérêt tout particulier pour le jeune duc de Bretagne. Néanmoins, le monarque n'était pas prêt à abandonner la partie aussi facilement.

- J'ai déjà trois fils, votre éminence. Qu'est-ce qui vous fait croire que j'en ai besoin d'un quatrième ?

Le cardinal se leva à son tour et se dirigea vers l'une des autres tables présentes dans la pièce. Celle qu'il choisit comportait un échiquier en marbre, dont le prince de l'Eglise saisit le roi blanc avant de se tourner à nouveau vers son interlocuteur, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

- En effet, vous avez trois fils… mais aucun ne possède le génie militaire ni le charisme d'Arthur, n'est-ce pas ?

- Certes… mais aucun d'entre eux ne me hait autant que lui non plus. Répondit finalement François dans un soupir.

Reposant le roi sur l'échiquier, le cardinal Farnèse s'approcha du monarque d'un pas délibérément lent et posa une main sur son épaule avant de lui répondre sur un ton à la fois calme et posé.

- Prenez le temps de vous réconcilier avec lui, de cultiver ses bonnes grâces… Dieu merci, Clément ne rejoindra pas le Seigneur d'ici demain.

- Je m'y efforcerai mais d'ici là, j'ai aussi certaines autres obligations à remplir, comme vous le savez sans doute.

- Oui… vous devez donner l'illusion à Henry que vous approuvez son union avec Anne Boleyn, ce qui partiellement exact puisque c'est une alliée affirmée de votre pays… mais gardez en mémoire de refuser tout arrangement concernant leur possible… progéniture.

S'inclinant légèrement en guise d'au revoir, le souverain observa le cardinal tandis qu'il quittait la pièce. Oui, il ferait sans doute un pape plus compétent que ses récents prédécesseurs mais jouerait-il bien en sa faveur lorsque viendrait l'heure ? Ou bien se tournerait-il du côté de l'Empereur ?