Avec Toi

BONUS

Kanda jeta un coup d'œil au champ de bataille. L'armée de vampires gagnait du terrain. Evidemment. Ce n'étaient pas ces misérables insectes incapables d'accepter leur infériorité qu'étaient les humains qui allaient les repousser.

Leur défaite était d'autant plus inévitable qu'ils n'avaient pas prévu de se faire attaquer sur ce front-là. Ce qu'ils étaient naïfs…Il avait suffi d'envoyer quelques vampires vers le nord pour que les bataillons humains suivent. Il restait à peine un bataillon pour protéger la forteresse. Bande de mauviettes.

-Yuuuuu ! Tu m'as manq…

Kanda déplia lentement son bras, prêt à l'emploi.

-…UéééOUARG !

Alma se prit le poing en plein dans les yeux, et fut propulsé en arrière sous le choc. Il s'étala de tout son long dans la neige.

-Qu'est-ce que tu fais ici, misérable éclaireur ? jeta froidement le vampire.

-Quel manque de délicatesse, répliqua Alma en se frottant le front. Pas étonnant que t'ai toujours pas trouvé ton âme-sœur, mon vieux. T'es trop violent, et je préfère te le dire tout de suite, la violence conjugale est la porte ouverte vers le divorce et bien d'autres…

-Qu'est-ce que tu veux ?

- Hum, tu m'as dit de te prévenir quand tous les soldats auraient quitté la ville. C'est quasiment fait.

-Quasiment ? répéta Kanda.

-Et bien, disons que j'avais un petit creux, et que j'ai croqué les renforts. Mais j'ai respecté les limites de la politesse, rassures-toi. Il y a des humains qui s'amusent à essayer de les soigner. Des civiles. Je ne les ai pas touchés. Bien que j'ai senti une odeur toute particulière et franchement salivante. J'avais presque envie de partir en chasse, dit-il en se passant la langue sur les lèvres, découvrant des canines encore rouges de sang.

-Bien, j'y vais. Si je trouve le duc du coin…

-Le vicomte…

-Ouais, si je trouve le vicomte je le prends en otage, on gagne, on rentre. Point.

-Est-ce que je peux…

-Non.

-Mais tu ne sais pas ce que j'allais demander !

-Et je ne veux pas savoir. Reste ici et fais-toi petit.

Le vampire grogna de mécontentement, mais finit pas s'asseoir dans un coin et observer le champ de bataille d'un air fortement ennuyé.

Kanda descendit rapidement de la colline sur laquelle il s'était installé, et sans être dérangé par qui que ce soit, il franchit la muraille de la ville. Lorsqu'il atterrit sur les pavés, ce fut pour se retrouver face à une pile de corps vidés de leur sang, abandonnés négligemment dans le cul de sac. Kanda leva les yeux au ciel. Et Alma prétendait s'être retenu…

Il tourna l'angle et manqua s'écrouler quand l'odeur pénétra ses narines. Il s'appuya sur le mur et ferma les yeux. Tout proche. C'était tout proche. Et ce n'était pas du sang. C'était certainement la même sentie par Alma. Un parfum d'herbe se dégageait également, mais plus faible, presque inexistant à côté de cette envoutante odeur. Sans en avoir conscience, son cœur se mit à battre à tout rompre, et ses dents à mordre l'air dans l'espoir de se débarrasser de cette soudaine envie de se nourrir.

Il entendit alors quelque chose près de lui. Il souleva une paupière et aperçut un homme lui foncer dessus. Kanda l'évita habilement. Bien que blessé et apparemment agonisant, l'humain semblait décidé à l'emporter avec lui dans sa tombe. C'est alors que Kanda vit l'arme. C'était de l'argent. Mauvais plan. Alors que le guerrier lui fonçait une nouvelle fois dessus, le vampire se prépara à l'éviter…Puis se retrouva immobiliser. Une femme armée jusqu'aux dents l'avait saisi à la taille et empêchait le moindre de ses mouvements. L'épée pénétra violemment son torse, mais il saisit l'arme à mains nues, sa peau le brûlant férocement au contact de l'argent. D'un simple coup de pied, il arracha son dernier souffle à l'homme, et sans demander son reste se retourna et planta l'épée dans le corps de la femme, qui s'écroula à ses pieds.

Le vampire observa un instant la scène. Puis il soupira. Bravo Alma et son travail bâclé. La blessure n'était pas particulièrement gênante, ça guérirait, comme toujours, mais sa tenue par contre…

Il continua son chemin, le sang gouttant le long du tissu, un doigt en-dessous de la narine. Il savait pertinemment qu'il n'arriverait pas à faire disparaitre cette odeur tant qu'il ne serait pas parti. Il pouvait aussi éliminer le gêneur, mais il n'était pas là pour ça et n'était pas d'humeur à chasser. Il avait déjà bu assez de sang dans la matinée sur le champ de bataille.

Puis, tout d'un coup, l'odeur devint insupportable. Il s'écroula par terre, haletant. Il ne pouvait plus se retenir, il fallait qu'il trouve l'humain, et vite. Jamais auparavant un parfum de mortel n'avait eu cet effet-là sur lui, jamais son cœur n'avait battu aussi fort. Il fallait qu'il fasse quelque chose, et vite. Il devenait progressivement incapable de réfléchir, c'était dangereux. Il tenta de se relever mais échoua, soudain agité de tremblements.

Pourquoi ? Pourquoi son corps régissait-il si fort à cette odeur ? Pourquoi son esprit était-il incapable de penser à autre chose ? Pourquoi…

-Monsieur, fit une voix, tout près.

Le vampire releva brusquement la tête, il distinguait mal à cause de l'odeur qui lui brouillait l'esprit, mais vite il remarqua que celui qui lui causait tant d'ennui se dressait devant lui. Un enfant. Un enfant qu'il lui semblait avoir déjà vu. Il avait des cheveux blancs et une longue cicatrice sur le visage…

Kanda eut alors l'impression de sortir d'un long, très long rêve. Il savait exactement qui était ce garçon. Mais il était trop tôt, beaucoup trop tôt. Alors pourquoi maintenant ?

-Qu'est-ce que tu fiches là, morveux ? Tu es sur le champ de bataille ! Ne me dis pas qu'on engage des pousses de soja comme toi dans votre camp !

Il avait essayé, malgré son état, de faire peur à l'enfant, qui ne bougea pas d'un pouce, visiblement pas apeuré le moins du monde.

-Je soigne les blessés. C'est pour aider Mana, murmura-t-il, tout en ouvrant un sac qu'il portait en bandoulière.

-Toi ?

Le vampire n'en crut pas ses oreilles. Le gamin, qui ne devait pas avoir plus de dix ans, aidait sur le champ de bataille ? Un gosse ? Mais quel parent digne de ce nom enverrait son enfant sur le champ de bataille ? Sauf, souffla une petite voix en lui, si le parent en question était persuadé que son gamin ne risquait rien, l'ennemi ayant été aperçu dans la direction opposée…

Merde.

-Je vais vous faire un bandage, dit le garçon. Sinon le sang va…

-Je suis un vampire, cracha-t-il avec hargne, tu ne le vois donc pas ?

Il espérait avoir parlé avec ténacité, mais il fut vite déçu en voyant le garçon relever fièrement la tête, un éclat de rébellion et de détermination dans les yeux. Absolument…irrésistible.

Kanda tenta de reculer, mais il ne pouvait se résoudre à s'éloigner de cette douce odeur qui pénétrait tout son être.

-Je ne suis pas aveugle. Je sais me servir de mes yeux, figurez-vous. Et je sais aussi faire des bandages, alors arrêtez un peu de crier.

Kanda venait de se prendre une pelle. Si le gamin, à cet âge, était une tête de mule, qu'est-ce que ça serait plus tard ! Avec un désir torride de passer à l'acte, il se dit qu'il serait ravi de s'occuper du cas du garçon si celui-ci venait à être trop rebelle…

Puis, lorsqu'il sentit son bras être soulevé par les deux mains de l'enfant, il s'arrêta de respirer, et l'observa minutieusement. Il était adorable. Rien qu'en le regardant, on avait envie de l'attraper et de lui caresser ses cheveux blancs soyeux, qui semblaient si doux. Sa peau était pâle, et on voyait à certains endroits, au niveau de sa gorge, les veines qui contenaient le sang le plus exquis du monde, il n'en doutait pas.

Trop absorbé qu'il était par sa contemplation, il ne sentit pas le désinfectant sur sa blessure, ni même les bandages collés contre sa peau. L'humain était terriblement concentré sur sa tâche, essayant tant bien que mal d'être doux. Du sang couvrait les manches de son manteau, mais il ne semblait pas gêner outre-mesure. Le vampire, alors qu'il regardait les gouttes de son sang couler sa peau, sentit la température de son corps monter, pour la première fois de sa vie.

Le garçon se redressa alors, soulagé d'en avoir terminé et de ne pas avoir commis d'erreur. Il évita le regard de Kanda, qui le remarqua aussitôt et sentit un grognement s'échapper du fin fond de son esprit.

-Normalement il ne devrait pas y avoir de marque, dit-il. Il faut juste attendre que ça cicatrise. Je suppose que ça a le même effet sur les humains et les vampires.

Le garçon fit alors un pas en arrière, mais le vampire lui attrapa le poignet. Hors de question qu'il le laisse s'en aller seul sans l'avoir marqué à vie. Il devrait attendre, bien sûr, mais au moins il serait sûr que personne d'autre ne le toucherait. C'était une protection contre tout autre vampire. Il était bien trop appétissant pour rester sauf bien longtemps. Même Alma avait failli le dévorer.

-Où vas-tu ? demanda-t-il gentiment.

Le garçon fronça les sourcils.

-Vous n'êtes pas le seul blessé du coin, vous savez.

Le vampire sentit ses lèvres s'étirer dans un sourire sadique et sournois. La chaleur qui l'enveloppait monta encore d'un cran lorsque l'enfant sembla réaliser dans quoi il s'était fourré. La peur commençait à percer dans ses yeux, et il sentait à travers son étreinte, son bras trembler imperceptiblement. Bien qu'il soit terrifié, le garçon refusait apparemment de l'accepter, et surtout de le montrer. Il était fier. Et cela le rendait d'autant plus attirant…

-Reste un peu avec moi, petit.

-Mais…

Avant que le garçon ne puisse émettre la moindre protestation, le vampire l'attira dans ses bras, étouffant contre lui toute forme de résistance.

-Qu'est-ce que je vais faire de toi ?

La question était pour lui pleine de sens : il devait marquer son âme-sœur afin de la préserver de tout autre, mais comment ? Il ne pouvait pas lui prendre sa virginité : cela reviendrait à lui donner la jeunesse éternelle, or lorsqu'il avait rêvé de lui à sa naissance, il avait vu dans ses bras un beau jeune homme, presque adulte, pas un enfant.

Ce dernier sembla interpréter la question autrement.

-Vous allez tuer une personne qui vous est venue en aide ?

Le sourire du vampire s'élargit encore. Il était si innocent qu'il n'imaginait pas pire que la mort comme danger…

-J'aurais guéri de toute façon. Je suis immortel, et ce n'est certainement pas une blessure comme celle-là qui va m'achever. Ce que tu as fait va juste permettre au processus de guérison d'accélérer.

-Vous auriez pu le dire plus tôt, marmonna-t-il.

-Tu m'aurais abandonné dans mon état ?

Sentant avec perspicacité qu'on le narguait, l'enfant tenta de se libérer, agitant vainement ses jambes dans tous les sens. Mais c'était inutile, l'adulte était bien trop fort pour lui. Au bord des larmes, et se retenant avec tout ce qui lui restait de résolution, il marmonna :

-Vous me faites mal.

Kanda desserra aussitôt son emprise, son ardeur soudain refroidie par le mal être de son prisonnier.

-Regardes-moi, ordonna-t-il en collant son front contre celui du plus jeune, qui n'avait d'autre choix que d'obéir.

-Regardes-moi bien, petit, souffla-t-il.

Lentement, les paupières du plus jeune devinrent lourdes, se baissèrent, et ses yeux se vidèrent des dernières traces de volonté qui l'avaient habité. Il avait été emporté par son charme.

-Bon garçon, dit-il. Maintenant donnes-moi ton nom.

Les lèvres du garçon se soulevèrent doucement, articulant lentement et avec soin :

-Allen. Allen Walker.

Dans un coin de son esprit, Kanda sentit un malaise. Walker ? Non, ce n'était qu'une coïncidence…

-Quel âge as-tu ?

-Six ans.

Kanda soupira de mécontentement. Il allait falloir attendre longtemps.

-Hum…Tu es bien plus jeune que je le pensais. Bien, Allen…

Encore une fois, il sentit son corps s'emballer et prendre le dessus.

-Tu as des cheveux blancs, et une cicatrice qui se termine en pentacle sur le visage. Je ne pensais pas te trouver aussi tôt. Alors…voyons, dix ans me semblent convenir. Oui, ce sera parfait. D'ici là…

Kanda mordit son bras, recueillant son sang dans sa bouche, puis il embrassa le garçon, déversant le liquide dans la sienne. Il prit un certain plaisir à toucher le garçon, profitant de l'occasion pour explorer la bouche de son promis. Inconsciemment, Allen avala une partie du sang, mais pas tout.

-Avale, lui dit-il.

L'humain s'exécuta. Le vampire le releva ensuite, le positionna contre le mur, et commença à déboutonner sa chemise. Il observa un instant la peau si pale, puis quelques doigts dessus. Il constata avec satisfaction que sa peau était encore plus douce que dans ses fantasmes. Puis, avec une jubilation et un désir non refoulé, il planta ses crocs dans la chaire. Le sang était absolument succulent, aucun de ceux que Kanda avait gouté auparavant ne l'égalaient.

Allen se dégagea alors de l'emprise de son charme, et se raidit en sentant la douleur vive dans son cou. Sa respiration devint haletante, et toute force quitta son corps. Il était à présent maintenu debout par son geôlier. Il se débattit sauvagement, suppliant le vampire d'arrêter, ne retenant plus ses larmes tant la douleur était lancinante.

Kanda, une fois qu'il eut absorbé assez du sang du garçon, lécha rigoureusement la plaie, se refusant catégoriquement à laisser la moindre goutte de ce sang divin être gâchée. Désormais, il serait le seul à pouvoir sentir son odeur, du moins à grande distance.

Il écarta d'un doigt la larme qui longeait sa cicatrice, et se pencha à nouveau sur l'enfant.

-Je n'épargne jamais mes ennemis. Pas même les enfants, dit-il, mais pour toi, Allen Walker, je vais faire une exception. A partir d'aujourd'hui, tu es mon compagnon de cœur. Je te donne dix ans avant de revenir te chercher. D'ici là, la guerre devrait être terminée. Profites en bien. Parce que dans dix ans, murmura-t-il, tu seras à moi, et rien qu'à moi. Je ne te cèderai à personne, c'est bien compris ?

Puis il attrapa le menton d'Allen, le redressa afin que le garçon le regarde dans les yeux. Des yeux magnifiques, pures, et pour l'heure terrifiés, ce qui ne plut pas particulièrement au vampire.

-Retiens bien mon nom, Allen. Je suis Yu Kanda. Répète-le. Fais ce que je te dis.

-Yu Kanda, murmura Allen.

-Bien.

Il le prit et le souleva dans ses bras avec satisfaction.

-Maintenant, tu peux oublier jusqu'à notre prochaine rencontre.

Les yeux du garçon se fermèrent aussitôt. Kanda remonta alors son odeur à travers toute la ville. Lorsqu'il arriva devant l'immeuble qui servait de QG aux volontaires, il déposa délicatement le corps de son fiancé sur les marches. Et, pour la dernière fois avant dix ans, il l'embrassa langoureusement, profitant de l'inconscience de l'enfant.

Lorsqu'il revint sur la colline où l'attendait Alma, il ordonna le retrait immédiat des troupes.

-Et où allons-nous ? demanda Alma.

-Nous rentrons.

-Pardon ? Et le vicomte ?

-Considère cet endroit comme un patrimoine. Interdiction d'y pénétrer sans mon autorisation personnelle.

Kanda jeta un dernier regard à la ville, et passa une langue sur ses lèvres. Alma suivit son regard.

-Est-ce que ça a un rapport avec cette succulente odeur que j'ai sentie disparaître il y quelques dizaines de minutes ?

Alma considéra le sourire triomphant de Kanda comme un oui. Et il comprit.

C'était le début d'une nouvelle vie.