On s'approche de la fin à grande vitesse. Merci à tout ceux qui lisent, et à tous ceux qui prennent le temps de laisser des commentaires. Merci Sylnora !

Bonne lecture.

La ruse de Sorrente

Voilà une heure que nous étions de retour à Kouklia, Camus et moi. Une heure que je patientais sagement dans cette même chambre où je m'étais réveillée le jour d'avant, tandis que dans la pièce voisine, les trois chevaliers d'or conversaient à voix basse. La victoire se jouait en ce moment, dans une pièce adjacente, entre trois chevaliers dont je n'entendais pas la conversation. Tout dépendait d'eux à présent, de Camus surtout… tout dépendait de Camus.

Il relatait à ses pairs son excursion au Paradis Blanc. Il n'y avait rien à relater. Camus avait fouillé l'endroit, interrogé les prêtres, il n'avait pas trouvé la moindre trace du bouclier de Dynamis. A dire la vérité, Camus n'y croyait pas vraiment. Il n'était pas stupide. Il savait parfaitement que si bouclier nous avions eu, il ne serait déjà plus au Paradis Blanc au moment de sa visite, sans quoi je ne l'aurais pas invité. Son enquête fut une pure formalité mon frère, sous le couvert sévère de sa mission diplomatique, découvrait curieux et ému l'endroit où sa petite sœur avait grandi sans lui. Une fois de plus, je dévoilais à des chevaliers d'Athéna un endroit interdit, mais une fois de plus, je me gardais bien de proférer le moindre mot sur deux autres de ses protecteurs. Tristan et Virgo restèrent dans l'ombre de ce lieu sacré.

La visite avait donné lieu à des moments assez hasardés puisque j'avais débarqué au Paradis Blanc sans prévenir, en compagnie de Camus alors que Sorrente et les prêtres m'attendaient. Cette visite était, tu le sais bien mon Lecteur Inconnu, le fruit d'une suite d'enchainements imprévus et de décisions prises sous l'impulsion du moment. Je n'avais pas eu le temps de m'entretenir au préalable avec la Lune de Bronze ni d'avertir les prêtres. Ce fut un magnifique moment d'improvisation totale.

Je nous avais fait arriver, comme avec Mû, au pied de la Déesse de la Lune, en hauteur des temples. Et comme pour le Bélier, je l'avais emmené au pied de cette même statue pour le présenter à ma mère divine.

- Ma mère, avais-je dis avec une émotion dans la voix qui n'était pas feinte. Je te présente Gabriel, le chevalier d'or du Verseau… mon frère.

Camus en était resté bouche-bée. Il était tombé à genoux devant ma mère divine et lui avait présenté ses hommages. Puis il s'était relevé, ému et visiblement mal à l'aise. C'est à ce moment-là que Sorrente nous avait rejoints. Une discrète œillade interrogative et je le présentais au Verseau.

- Voici Sorrente de la Lune de Bronze, le second protecteur du Paradis Blanc.

Camus s'inclina poliment.

- Le chevalier d'or du Verseau, expliquai-je à Sorrente, a accepté de venir dans notre sanctuaire en qualité d'ambassadeur de la Déesse Athéna. Comme tu le sais, Athéna nous accuse de lui avoir volé un artefact précieux.

Sorrente se contenta de hocher la tête en prenant un air mécontent, bien qu'il n'ait, à ce moment précis, pas la moindre idée de ce dont je parlais.

- Il s'avère que cet artefact n'est autre que le bouclier de l'armure Sacrée, continuais-je.

Cette fois-ci, Sorrente n'eut pas à feindre sa surprise. Lui aussi s'était attendu à ce que Saori nous accuse d'avoir volé le casque. Mais il continua néanmoins à garder bouche-close, attendant d'avoir le maximum d'informations avant de prendre la parole.

- Camus est donc venu ici en tant que médiateur afin que nous puissions lui prouver que ce bouclier n'est pas en notre possession et que nous ne sommes pas des voleurs. J'ai pris sur moi de le laisser fouiller le Paradis Blanc en toute impunité.

A ces mots, la Lune de Bronze fronça les sourcils. Mais il se tourna malgré tout vers Camus pour le saluer à son tour.

- Sois le bienvenu chevalier. L'accusation dont nous avons été victime nous a gravement offensée, cependant si possibilité il y a de prouver à ta Déesse notre innocence d'une manière pacifique, je me fais une joie de l'accepter. Va à ta guise à travers ce lieu sacré.

Le ton était sec. Poli mais sec. Sorrente n'avait pas à se forcer pour jouer le rôle de l'offensé. D'un regard et quelques explications, il avait compris mon plan : laisser Camus fouiller, voir que nous n'avions pas le bouclier et lui laisser entendre que le casque était caché autre-part. Il nous accompagna au temple principal afin de rencontrer les prêtres.

Je sentais le malaise de Camus augmenter. Les rôles étaient à présent inversés. Là où moi, quelques heures auparavant, j'avais été tenue comme suspecte puisqu'appartenant à un sanctuaire déclaré comme criminel par sa Déesse, il était, lui à présent, présenté comme offenseur puisqu'appartenant à un sanctuaire dont cette même Déesse nous accusait sans preuves.

Je réitérais mon petit discours de présentation aux prêtres qui ne cachèrent pas leur indignation face à un Verseau de plus en plus gêné qui faisait son possible pour rester digne.

Les recherches débutèrent. Toutefois, Camus, comme je te l'ai déjà dit, ne croyait pas en sa mission. Lui aussi avait accepté sous l'impulsion du moment et commençait à se demander finalement pourquoi il était venu. Très rapidement, la perquisition se mua en visite guidée du Paradis Blanc. Voilà plus de huit heures que Camus était dans notre sanctuaire. Il avait inspecté tous les temples sans grande conviction, parfaitement conscient que même si le bouclier était caché ici, il n'avait aucun moyen de le trouver vu qu'il ne connaissait pas les lieux. De plus, mon Lecteur Inconnu, je te rappelle que les parties de l'armure Sacrée ne sont pas détectables par les « mortels ordinaires ».

Des temples, nous descendîmes aux arènes où nous nous arrêtâmes un instant pour discuter. Sorrente nous avait rejoints pour cette dernière étape. C'est à lui que Camus s'adressa.

- Gabrielle nous a informés que le Paradis Blanc possède également une partie de l'armure Sacrée.

Sorrente tiqua sur mon prénom. S'il le connaissait, il n'avait pas l'habitude de m'entendre être appelée ainsi. Il hocha néanmoins la tête en confirmation, guettant ma réaction. Je lui donnais discrètement mon assentiment.

- Le Paradis Blanc, déclara-t-il, à l'instar d'autres sanctuaires, s'est vu confié une partie de Dynamis par le Dieu des Dieux.

- Quelle partie ? interrogea Camus sans détour.

Sorrente feignit de prendre un instant pour évaluer la situation, cherchant à faire comprendre à Camus qu'il ne savait pas s'il pouvait lui faire confiance ou non. Finalement, il abdiqua.

- Le casque.

Immédiatement, le Verseau demanda à le voir. Sorrente secoua la tête en négation.

- Au vu de la situation actuelle, et avec un potentiel risque de conflit avec le sanctuaire d'Athéna, nous avons jugé prudent de déplacer le casque dans un endroit sûr hors du Paradis Blanc.

A ces mots, Camus fronça les sourcils. Il réfléchit un instant, cherchant visiblement comment formuler sa prochaine phrase sans paraître insultant. Pour ma part, exclue de cette conversation à laquelle aucun de mes frères ne voulait me convier, je me contentai d'écouter légèrement à l'écart et le cœur battant. Je savais ce que Camus s'apprêtait à demander. J'avais pensé manipuler mon frère pour qu'il nous trahisse, laisser entendre le nom de la grotte sans en avoir l'air, mais visiblement Sorrente avait trouvé un moyen bien plus simple pour lui souffler le nom de Pottenstein sans s'encombrer de toutes ces complications dont je suis une experte. Finalement, le Verseau se décida.

- Je suis navré de devoir poser cette question, assura-t-il en s'inclinant comme une excuse, mais je vous rappelle que je suis ici en qualité d'ambassadeur d'Athéna afin de démêler le vrai du faux.

Sorrente lui fit signe de continuer.

- Mais si le casque est dissimulé hors du Paradis Blanc, qui me prouve que le bouclier n'est pas également dissimulé au même endroit ?

Sorrente affecta un sourire amer.

- Il semblerait que pour les chevaliers d'Athéna, les Enfants Sacrés soient coupables jusqu'à preuve du contraire…

- Ne te méprends pas sur mes intentions, guerrier de la Lune de Bronze, reprit Camus avec douceur.

Il fit un signe dans ma direction.

- Je pense que tu sais qui je suis. Mon unique intention est de prouver votre innocence.

- Tu en es donc convaincu ?

- Je ne demande qu'à l'être.

Sorrente se fendit d'un petit sourire.

- Dans ce cas permets-moi de te rappeler une simple chose qu'Athéna semble avoir oublié : pour un sanctuaire, se voir confier la garde d'un des artefacts les plus précieux au monde tel qu'une partie de l'Armure Sacrée est à la fois un très grand honneur et un engagement absolu envers Zeus. Il s'agit d'une alliance sacrée et crois-moi aucun des sanctuaires gardiens ne serait assez avide – ni assez stupide – pour bafouer ainsi un pacte signé avec le Dieu des Dieux.

Il se tut un instant pour donner plus de poids à ses dires, laissant Camus méditer sur ses paroles.

- Par conséquent, ces mêmes sanctuaires ne peuvent dérober une autre partie de l'armure millénaire. Cela irait à l'encontre de leur engagement et entraînerait des terribles conséquences.

- Je comprends ce que tu me dis Lune de Bronze, finit par dire Camus après un instant de réflexion, mais dans ce cas, je demande à voir le casque afin d'avoir la preuve que vous en êtes les gardiens.

Je fixais Sorrente par-dessus l'épaule de Camus. Il me sourit discrètement.

- Afin de mettre un terme définitif à ces accusations, déclara-t-il, c'est à Athéna en personne que nous accepterons de le montrer…

…..

Mon Lecteur Inconnu, renversement de situation totale ! Comment n'y avais-je pas pensé ? C'était moi qui, cette fois, était restée bouche-bée. C'était bien joué de la part de Sorrente. Mettre en avant un pacte entre les sanctuaires gardiens et Zeus lui-même pour prouver notre innocence… Je ne savais pas s'il inventait ou s'il disait la vérité… mais c'était vraiment bien joué. Pour ma part, noyée dans l'action, j'avais invité Camus pour qu'il voie que nous ne possédions pas le bouclier… ce foutu bouclier ! Je ne savais plus comment m'en dépêtrer ni comment faire revenir l'attention de Camus sur le casque. La ruse de Sorrente était à la fois simple et efficace. D'une phrase, il avait détourné l'attention de Camus et nous avait donné les armes pour faire venir Saori à la grotte de Pottenstein… du génie à l'état pur !

….

J'attendais donc dans cette pièce adjacente que Camus finisse son récit. Sorrente avait été brillant, mais rien n'était joué pour autant. Le sanctuaire d'Athéna étant également gardien d'une des parties de Dynamis, Saori serait bien obligée de se ranger à l'argument de Sorrente et de convenir que si nous nous avérions être les gardiens du casque, nous ne pouvions être les voleurs du bouclier, sans quoi elle laissait la porte ouverte à la suspicion, même pour elle.

Saori comprendra qu'il s'agit d'un piège à la seconde même où Camus mentionnera mon nom mais elle viendra… je sais qu'elle viendra. Elle ne peut pas laisser passer cette opportunité. Mais pour qu'elle vienne… il faut que Camus lui parle. Et si Camus soupçonne un piège, il ne lui parlera pas.

J'étais soulagée pour le moment. Grâce à la ruse de Sorrente, Camus n'aurait pas à nous trahir. De plus, il ne pouvait imaginer sa petite sœur concocter un piège à sa Déesse… du moins je l'espérais fortement. Mais Camus n'était pas le seul à prendre cette décision, dans l'autre pièce, Milo et Mû discutaient avec lui et aucun des deux ne semblaient me faire confiance.

Après un certain temps passé à attendre, la porte de ma chambre se rouvrit. Debout face à la fenêtre, je tournais le dos à la porte. Une boule dans la gorge, j'attendais le verdict.

J'entendis le son de leur pas résonner dans la pièce à mesure qu'ils entraient. Je les comptais. Un, deux, trois… ça y est. Ils étaient là tous les trois. Lentement, je me tournai pour leur faire face, les mains jointes derrière mon dos, le corps droit, le visage digne. Ils restèrent impassibles, les visages fermés. Très bien, me dis-je en moi-même, la partie de poker n'est donc pas terminée. Milo s'avança le premier.

- Où est le casque ? me demanda-t-il sans préambule.

- En Bavière.

- Où exactement ?

Je secouai la tête en négation.

- Dites à Athéna que nous sommes prêts à lui montrer le casque de l'armure sacrée afin de lui prouver que nous en sommes les gardiens. Nous la guiderons nous-même jusqu'à la grotte qui abrite ce précieux artefact.

….

J'avais délibérément laissé échapper que le casque se trouvait dans une grotte du sud-ouest de l'Allemagne. Pour que le plan d'Athéna marche, il fallait que Saori cherche à nous prendre par surprise.

Mon Lecteur Inconnu, j'étais parfaitement consciente que de lui donner un rendez-vous ne servirait à rien. Si Saori acceptait cette entrevue, cela reviendrait à lui faire dire qu'elle acceptait notre innocence présumée. En clair, elle viendrait, verrait le casque, s'excuserait pour ses accusations et rentrerait tranquillement dans son sanctuaire. C'est là une situation dont ni elle, ni moi ne voulions.

Saori n'est pas stupide et il n'y a pas trente-six mille grottes en Bavière.

…..

Camus intervint à son tour.

- Sache que la Déesse ne viendra pas seule. Les chevaliers d'or seront là pour lui faire escorte.

Je me contentais d'acquiescer sereinement.

- Qu'il en soit ainsi.

Les trois chevaliers se regardèrent mutuellement.

- Il ne nous appartient pas de prendre cette décision, me dit Camus. Nous devons d'abord en référer au grand Pope.

J'acquiesçais à nouveau.

- Quand aurais-je votre réponse ?

Demain, me répondit Camus. Cette nuit, nous rentrons au Sanctuaire pour parler au grand Pope.

Je hochai la tête en assentiment.

- Je passerai la nuit ici.

…..

A peine ma tête avait-elle touché l'oreiller que j'avais sombré dans un profond sommeil sans même prendre le temps de me déshabiller. Le stress de ces dernières vingt-quatre heures avait eu raison de mon endurance. Je dormis sans rêver. Toutefois, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit à nouveau, je m'éveillais immédiatement, tous mes sens en alerte, prenant soin de ne pas bouger le moindre muscle qui pourrait trahir mon réveil. Inerte en apparence, j'écoutais la personne se déplacer avec soin. Qui que ce soit, elle n'avait pas allumé son cosmos. Couchée, comme à mon habitude en chien de fusil sur le côté gauche, je tournai le dos à la porte et ne pouvais donc pas voir le nouvel arrivant. Je me crispai en entendant les pas se rapprocher, puis je bondis subitement lorsque je sentis le matelas s'affaisser sous le poids d'un corps qui s'asseyait sur le rebord opposé de la couche.

D'un geste, j'avais sauté hors du lit et je faisais face à mon visiteur impromptu… qui me regardait avec un grand sourire sur les lèvres.