Ceci est le dernier chapitre ; idéalement, celui qui devait suivre les chapitres 54 à 58 racontant la fin des combats, et que je n'écrirais probablement jamais (le temps, la vie, et ce genre de choses ont tendance à avoir cet effet, et je ne tiens pas à laisser cette fanfiction trainer plus de temps encore... 8 ans après sa toute première publication). Ceci dit, je tenais malgré tout à le publier pour y mettre un point final... Et en profiter pour tous vous remercier, ceux qui sont depuis le début et même avant le début, ceux qui ont pris le train en cours de route et n'ont pas connu la (dégueulasse) première version ; du fond du coeur, merci :)


59, With Less than the Moon [Mad Night Ends]

Avant que ce jour ne meure je me tiendrais souriant sur les cendres de ce monde; je rirais songeant sanglant à tout ce que la petitesse de la nuit ne m'aura pas laissé te faire –

C'est une promesse âgée, faite à d'autres, qui n'a pourtant jamais perdu son sens bien que les mots la composant aient si souvent changé; Ichigo se demande si le concept même n'a pas dépassé l'idée, les mots, la phrase entière qu'il menace de s'écrier encore, encore une dernière fois, au monde, cet ultime caprice qu'il se traine depuis bien des années, inchangé, l'univers entier devenu le coupable anonyme d'absolument tout, et pourtant, de pas grand chose à la fois.

« Avant que ce jour ne meure, s'entend-t-il, ses lèvres s'ourlant dans un large sourire qu'il ne retient pas, ses incisives trop blanches sur le rosé de sa langue; avant que ce jour ne meure, je me tiendrais sur les cendres de ce monde. »

Il a presque envie de s'immoler à même le sable, de laisser l'envie de tuer le consumer tout entier dans cette lente agonie, et de dire merde à tout – à ces combats incessants, à la folie qui grignote les restes sains de son esprit brisé comme la pluie qui ne se satisfait jamais de vous toucher avec une seule goutte.

« Ce n'est pas la fin dont tu rêves, Ichigo.

- C'est celle que je provoque », rétorqua-t-il avec l'insolence d'une adolescence oubliée, le coup de tranche de Tensa Zangetsu suffisant pour soulever la dune qui leur faisait dos, un instant avant; son regard noir et or s'attarde un moment sur les particules de poussière blanche qui le composent encore, mais plus tout à fait, et Ichigp les observe s'émietter dans le grand silence qui suit l'attaque, la garde d'Aizen rigide contre ses mains qu'il voudrait moins tremblantes, moins poisseuses d'un sang qui n'est pas le sien mais qui maccule chacun de ses doigts comme une signature infâme, qui le dégoûte.

Je ne l'ai pas fait pour vous, a-t-il envie de leur grogner, à toutes ces voix infâmes qui le hantent, à son ultime question – vous souviendrez-vous de moi, cette fois ?

D'à quel point je me suis battu, de jusqu'où j'ai été ?

Vous rappellerez-vous de mon nom, dans un siècle encore, et des millénaires ensuite ?

« Et tu ne provoques, pauvre petit garçon, que ce qu'il me plaît – crois-tu que j'ai été assez bête pour ne pas assurer mes arrières, même un peu ? » Lui cracha Aizen avec son habituel air de dédain mêlé à un dégoût criard, et rien que le tremblement colérique de sa lèvre inférieur suffit à comprendre que son agacement grandit encore, ses doigts agrippés à sa propre épée avec une force qui l'étonne.

Il éclate d'un long rire sinistre, et les relents de son haleine l'atteignent et le hantent toujours, eux aussi, bien des années plus tard.

« Avant la fin de ce jour, singea-t-il, plus moqueur que jamais, et qui crois-tu effrayer avec ce discours d'enfant à peine plus cohérent que toi, ce combat ou cette vie – meurs, Ichigo, meurs ! »

Ce n'est pas quelque chose qui arrivera, pas avant que l'autre morceau de son âme, le Zanpakuto pendu à ses doigts, ne soit plongé jusqu'à la garde dans le corps de cet homme, détrempé du même sang qui coule dans leurs veines, et qui coulait aussi dans celles de sa mère.

Au loin, la tempête qu'est devenu Grimmjow gronde; et il y a les reiatsus de beaucoup d'autres encore qui lui font écho, répondant à l'appel qu'Ichigo n'a pas conscience de lancer – monstres, s'entend-t-il murmurer, effrayé et incertain à la fois, la toute petite voix d'un enfant face à un trop grand pouvoir.

Vaguement, ça lui rappelle Nietsche, la philo du lycée; la fameuse maxime qu'il était jusqu'ici heureux d'ignorer et de laisser croupir dans le silence de tous ces souvenirs qu'il n'aime pas déterrer.

La phrase qui dit, vous savez, Prenez garde vous qui, combattant des monstres…

Il est aisé d'en devenir un, approuva-t-il avec une ferveur quasi divine, contrant avec aisance, envoyant un Cero à la suite; ce n'est jamais qu'une version tordue d'un credo qu'il connaît bien, à force – la fin justifie les moyens.

« Ça peut prendre trois jours comme des années, siffla-t-il à son oncle, la raillerie à son comble et la moquerie divine, abandonnez ! »

C'est au tour de cet autre de sourire, mesquin, calculateur; il sait tout de toi, et même plus.

Ce n'est pourtant pas encore assez.

Peut-être que s'entretuer, ici, n'est pas la fin de partie qu'il se voyait offrir aux mondes – Aizen n'est pas juste un homme, comme lui n'est plus juste Ichigo. Ils sont chacun devenus des symboles dont la portée les dépasse, et que l'un tue l'autre –

Avant que ce jour ne meure

Les mots demeurent avec leur immuable sérénité, la sentence déjà dite et la certitude d'une issue qui ne sera de toute façon pas plaisante cimentée dans cette seule phrase, même si jamais Hueco Mundo n'a vu son « jour » s'achever.

Ce n'est pas juste le jour que j'achève, insiste-t-il dans les méandres assombris de son esprit, plus si certain de ce qu'il combat, au juste; ses dernières bribes de rectitude sont à peine assez pour le tenir cohérent, mais Ichigo s'en fiche bien – que je crève, un jour, demain ou jamais,

« Tu n'iras pas plus loin, engeance –

Il éclate d'un rire sinistre, et chacun d'eux a le même sang qui perle au bord des lèvres.

- Pas besoin d'aller plus loin », murmura-t-il sombrement, ses yeux mordorés glissant sur les rares blessures de l'autre, ignorant les siennes, leur profondeur, la douleur et la peur qui grignotent à leur tour des petits morceaux de son esprit.

Il lui fera la peau, et plus encore.

je rirais songeant sanglant à tout ce que la petitesse de la nuit ne m'aura pas laissé te faire

C'est une promesse qui n'a pris que quelques heures, et pourtant bien des années à la fois.

. : : .

Il n'y a pas d'onde de choc, pas d'éclair retentissant; le soleil ne se lève pas soudain pour les baigner d'une lumière gratifiante, pure; la victoire n'existe pas dans l'immédiateté de sa mort, mais démarre fébrile, un peu timide, lorsqu'Aizen ne se relève pas tout de suite, et qu'aucun geste, aucune bravade n'accompagne sa lenteur caractérisée, n'éteint le faux espoir d'une victoire totale.

D'une victoire finale.

Son cœur semble battre jusque dans ses tympans, perçant et arythmique, ce battement qui ne l'a pas quitté, ne l'a jamais lâché et l'a porté jusqu'ici avec la force du désespoir; ce même cœur, s'entête-t-il à penser, qui me condamne à vivre.

Ichigo exhale, et son souffle se fige informe dans l'air lorsqu'il aperçoit son œuvre qui git désarticulée contre la mollesse de la dune.

Ses lèvres sont du bleu violacé d'un enfant qui a froid, son visage figé dans la dernière expression qu'il se laissera aller à avoir, ses lèvres tordues sur la gauche dans un rictus de mauvais perdant; même dans la mort, Aizen n'est pas quelqu'un qui perd, et ses derniers mots d'amour pour ce monde sont perdu dans ses sables.

Pourtant, et malgré toute la colère qui l'anime et le tient en vie, debout insolent invaincu, l'homme qui n'aura pas su le tuer pendant toutes ces quarante-trois années de captivité ne se relève pas.

Le monde semble s'effondrer sous ses pieds et l'entraîne à sa suite, spiralant à toute vitesse jusqu'au sol - ses genoux s'enfoncent dans toute la profondeur des sables qu'ils ont charriés, et son sang s'imprime en petites tâches boueuses et noires sur l'immaculé du sol meuble où il se laisse aller, les bords de sa réalité de plus en plus vagues, évasés. Il sent son père, et ose, en se cachant de toute cette foutue insécurité enfantine, crasse et dévorante – Ichigo ose se moquer, l'insolence devenue une brûlure familière sur sa langue, ses yeux dorés perdus sur le château morcelé et ses miettes qui redevenaient sable –

« Tu crois qu'ils vont se souvenir de mon nom, maintenant ? »

Lho éclata de rire, gorge déployée vers le ciel; le sable n'a pas fini de tourbillonner, tout autour d'eux, et la brume cotonneuse qui endort ses sens lui donne des airs de neige, les même flocons qui ont terminé d'emporter Rim, et le Soukyoku avec elle.

J'aurais tellement aimé en voir la fin, entend-t-il encore, les mots résonnant toujours, le petit visage de cet autre comme lui, mais pas totalement, figé à jamais.

Le grondement qui secoue son père s'arrête finalement, et sa réponse sonne comme un rugissement.

« Oh oui, Hijo, répondit-il avec délectation. Oui, ils vont se souvenir de ton foutu nom. »

Le battement à ses tempes ralentit soudain, et l'infinie drogue qu'était son reiatsu cessa d'affluer dans ses veines, de courir sur sa peau; la douleur du manque se fit soudain brûlante, vrillant son corps comme jamais, cherchant avec un désespoir inhumain le feu liquide qui l'animait encore un instant auparavant, et le tuait pourtant.

Ses yeux étaient mi-clos et la douleur vibrait dans ses veines, explosive. Le ciel était noir d'encre et on y voyait seulement un morceau de lune qui semblait se jouer des êtres vivant et mourant sous sa lumière.

Ce battement incessant se stoppa enfin, et seule demeura cette terrible et magnifique certitude.

C'est fini.

Un sourire amer fendit ses lèvres.

« T'as la tronche d'un mort », le taquina Hiyori en lui donnant un coup de pied dans la jambe, levant une gerbe ensablée qui leur piqua les yeux à tous.

J'en suis un, s'arracha-t-il la gorge à lui répondre.

Et il ne sait pas d'où ça vient, cette idée absurde qu'il a besoin d'air; il ne respire plus depuis longtemps le même air que les Hommes, mortels chanceux dont il envie l'ignorance.

Mais il a besoin d'air; et de se convaincre qu'il n'est pas mort en vain (mais t'es pas mort, sale conpas comme ça, tenteras-tu avec un sourire triste, pas amer, pas déçu, la mélancolie facile d'une victoire que tu n'imaginais pas enserrant déjà ton cœur et ne cessant de t'étouffer un peu plus à chaque seconde.

C'est pas une réussite, tenteras-tu encore, et encore; c'est un putain d'échec.

Tu pleureras souvent, et te demanderas longtemps comment le monde n'a pas pu t'accorder cette dernière envie, toi qui n'a jamais rien su lui demander mais toujours tout lui accorder avec toute la fougue naïve de ton adolescence.)

Il y a quelque chose qui enserre sa gorge, la noue; respire, se supplie-t-il, les gargouillis de son propre sang noyant sa gorge.

Respire,

Ses ongles crissent sur la surface dure du monde, et il n'arrive qu'à demi à en déchirer la fabrique, à regarder avec envie le passage qu'il a à peine entrouvert sur ce ciel si divinement violacé de couché du soleil; Karakura, crache son esprit embrumé par le manque, et il a envie de se satisfaire de la vue à l'envers qu'il a conjuré au milieu de cette terre peuplée de monstres.

« Emmène-moi », exige-t-il, ses yeux à demi clos; quelqu'un le pousse au travers du Garganta, et il sait que cette fois, il n'y aura pas Urahara pour arrêter sa chute, que cette fois, il n'a pas juste sauvé Rukia.

Il y va seul, là où l'on meurt dans son monde, fiévreux d'une bataille encore jeune mais déjà trop vieille qu'il n'est pas certain d'avoir gagnée, pas comme il aurait voulu – respire, se force-t-il encore, inspirant longuement , laissant son corps se coucher par lui-même là où ses pas l'ont mené, la présence vague d'un autre avec lui le poussant à chuchoter :

« Je vais juste – m'arrêter, juste une seconde », souffle-t-il, à personne en particulier, appréciant la fraicheur de la stèle tout contre sa joue, ses yeux à demi-clos errant encore.

Ichigo.