Septembre 1989

Tony descendit de sa voiture de location avec chauffeur, le cœur battant à tout rompre. Il était sorti du coma deux semaines plus tôt cependant il n'avait quitté l'hôpital que l'avant-veille. Obadiah avait tenté de le dissuader de revenir au Royaume-Uni, mais il avait besoin de savoir. Personne n'avait pu lui dire comment allait Alexandre. William Jarvis refusait de prendre ses appels. L'hôpital où son ami avait été emmené après l'accident ne voulait pas lui répondre sous prétexte qu'il n'était pas de la famille. Il n'avait rien pu trouver dans les journaux, comme si l'accident n'avait jamais eu lieu. Obadiah avait fini par céder et Tony se trouvait à présent devant le manoir de la famille Jarvis.

Le majordome le fit entrer au salon, puis s'éclipsa pour aller chercher son patron. Lorsque William Jarvis entra dans la pièce, son visage était neutre mais son regard brûlait d'une fureur difficilement contenue.
- Que faites-vous chez moi ?
- Je suis venu prendre des nouvelles d'Alexandre.
- Vous ne trouvez pas que vous avez assez fait de dégâts ?
- De quoi parlez-vous ?
- De votre relation... ignoble... avec mon fils !
Tony eut un mouvement de recul instinctif. Ainsi, William savait pour Alexandre et lui.
- Monsieur, je...
- Partez ! Je ne veux pas de vous sous mon toit !
Devant la colère de l'autre homme, Tony n'eut pas d'autre choix que d'obtempérer. Alors qu'il sortait de la maison, il se retourna vers William une dernière fois. Il avait besoin de savoir :
- Dites-moi juste comment il va... je vous en prie...
- Mon fils est mort !
Quatre mots. Il avait suffi de quatre petits mots pour que la vie de Tony bascule dans l'horreur.

***

Octobre 2009

Pendant que Tony racontait ce qui s'était passé vingt ans plus tôt, Alexandre s'était assis sur une chaise. Il avait l'air las d'une personne qui venait de comprendre qu'il avait été la victime d'une odieuse machination de la part de l'un de ses proches. Tony prit place en face de lui, partagé entre la joie de voir son ancien amant vivant et la colère pour toutes ses années perdues et la souffrance qu'il avait enduré lorsqu'il l'avait cru mort.
- Puisque tu étais vivant, pourquoi tu n'as pas essayé de me contacter ? Demanda-t-il d'un ton qu'il espérait neutre.
- Parce que je pensais que tu ne voulais plus me voir... Et aujourd'hui, je réalise que tout ça vient de mon père.
- Explique-toi !
Alexandre passa une main sur son visage, puis plongea son regard clair dans les yeux sombres de son ancien compagnon.
- Je suis resté deux jours inconscient après l'accident. À mon réveil, les médecins m'ont appris que j'avais les deux jambes brisées en plusieurs endroits, que j'avais déjà été opéré mais que j'allais devoir subir au moins trois autres interventions si je voulais pouvoir remarcher un jour. Lorsque j'ai demandé de tes nouvelles, ils n'ont rien voulu me dire. Mon père est arrivé peu après et il m'a dit... il m'a affirmé que tu n'avais été que légèrement blessé et que tu étais reparti aux USA dès le lendemain de l'accident. Il m'a dit que tu n'avais pris aucune nouvelle de moi... J'étais si mal... j'étais sous calmants à cause de la douleur et perturbé par ton absence... Mon père a réussi à me convaincre que tu ne voulais plus de moi... que je devais t'oublier... Je l'ai cru, Tony... J'ai passé plusieurs semaines dans une clinique privée, le temps des opérations, et ensuite, mon père m'a envoyé dans une maison de repos en Écosse. Je devais y être lorsque tu es allé le voir. Si j'avais su... durant toutes ses années, j'ai cru que tu m'avais abandonné au moment où j'avais le plus besoin de toi !
Tony avait le cœur serré par l'aveu d'Alexandre et par la détresse qu'il pouvait lire dans ses yeux à cet instant précis.
- J'ai essayé de t'oublier, Tony... Je t'ai haï pendant des mois... Et puis un jour, j'ai décidé que je ne pouvais pas gâcher ma vie à cause de toi. Je me suis battu pour retrouver l'usage total de mes jambes. Et j'ai réussi... enfin presque...
Il désigna la canne qu'il tenait à la main et que Tony n'avait pas remarquée jusque là.
- Malgré les efforts des médecins, les os de ma jambe droite ne se sont pas totalement ressoudés comme il le fallait. Mais je marche, et c'est l'essentiel, sourit Alexandre.
- Ton père savait pour nous.
- Oui. Je ne sais pas comment il l'a appris et je ne le saurais jamais.
Devant l'air interrogateur du brun, le blond expliqua :
- Il est mort en 1991.
- Je suis désolé, répondit Tony machinalement.
- Pas moi. Ce qu'il nous a fait est impardonnable... mais ça ne m'étonne pas de lui. Par contre, je suis surpris que tu ne sois pas au courant de sa mort... et surtout du scandale qui l'a précédée.
- J'ai été très occupé à cette époque-là. J'ai repris l'entreprise de mon père à ma majorité. Je ne me souviens pas d'un scandale qui aurait impliqué le tien.
- Il avait détourné des fonds de sa société, plusieurs millions de livres. Lorsqu'il s'est fait prendre, il a été condamné à quinze ans de prison et tous ses biens ont été saisis. Il était ruiné. Il ne l'a pas supporté et s'est pendu dans sa cellule deux jours après le verdict. Heureusement, j'étais majeur et ma mère avait ouvert pour moi à ma naissance des placements sûrs qui me permirent de démarrer une nouvelle vie. J'ai rencontré deux informaticiens brillants qui m'ont proposé de monter une société de fabrication de circuits intégrés. Les gens qui me secondaient à l'époque m'ont conseillé de changer de nom pour que le scandale dans lequel mon père avait été impliqué ne rejaillisse pas sur ma société. J'ai donc pris le nom de jeune fille de ma mère, Collins.
- C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais entendu parler de toi avant aujourd'hui... soupira Tony.
Alexandre approuva d'un hochement de tête. L'américain demanda :
- C'était toi, hier soir, au gala ?
- Oui. Lorsque j'ai appris que tu donnais cette réception, j'ai eu l'envie folle de te revoir. J'ai suivi ta carrière de loin, Tony. J'ai appris ce qui t'étais arrivé en Afghanistan... et tout le reste...
Le brun sourit à cette formulation. Les gens étaient toujours un peu mal à l'aise avec lui depuis qu'il avait avoué qu'il était Iron Man.
- Lorsque tu as lancé l'appel d'offres pour des applications pratiques concernant le réacteur ARK, j'ai convaincu mes associés que cette technologie pouvait être l'avenir de notre société. J'ai réussi à obtenir une invitation pour le gala d'hier soir, mais au moment de me décider à te parler, j'ai pris peur. J'étais persuadé que tu ne voudrais pas me voir... que tu m'aurais peut-être même oublié...
- Comment aurais-je pu oublier le seul homme que j'ai jamais aimé ? Souffla Tony, le cœur lourd.
Alexandre eut un sourire triste.
- J'ai tant espéré entendre ces mots de ta bouche à l'époque...
- Je sais. Mais j'étais persuadé que nous avions l'avenir devant nous. Si j'avais su...
Un silence pesant s'installa entre les deux hommes. Tony avait du mal à analyser les sentiments qui bataillaient dans son cœur à cet instant précis, mais il savait qu'il ne voulait pas laisser Alexandre s'éloigner, pas après toutes ces années où il l'avait cru disparu à jamais.
- Tu as quelque chose de prévu ce soir ? Demanda l'américain, espérant que la réponse serait négative.
- Non, sourit Alexandre.
- Alors, je t'invite à dîner. Chez moi... enfin, sauf si tu préfères aller au restaurant.
- Tu cuisines toujours ?
- Quand j'ai le temps, oui.
- Alors, ça sera avec plaisir. J'ai toujours adoré tes petits plats.
Tony sourit chaleureusement. Des sentiments qu'il pensait disparus renaissaient peu à peu en lui. Il se força à quitter des yeux Alexandre un moment et prit son portable.
- Happy, j'ai besoin de vous dans dix minutes en bas de l'immeuble.
- J'y serai, Monsieur Stark.
Lorsqu'il raccrocha, Alexandre souffla :
- Je sais par les médias qu'il n'y a pas de Madame Tony Stark, mais est-ce qu'il y a quelqu'un en particulier dans ta vie ?
- Non, personne. Après... J'ai repris ma vie comme avant, les aventures d'une nuit, jamais plus... Et toi ?
- Il y a eu quelques hommes de passage, mais personne n'a jamais compté dans ma vie comme toi.
Tony se leva et passa une main dans ses cheveux, les ébouriffant un peu plus. Il fit quelques pas vers la baie vitrée depuis laquelle la vue sur Londres était absolument époustouflante. Alexandre le rejoignit deux secondes plus tard et lui sourit :
- Je n'ai jamais pu t'oublier, Tony...
Le brun plongea son regard dans celui de son ami. Au bout d'un court instant, n'y tenant plus, il l'attrapa par le bras et l'attira à lui pour l'embrasser avec tendresse. Lorsqu'ils rompirent le baiser, Alexandre se blottit un peu plus dans les bras de l'autre homme en soufflant :
- Tes lèvres m'ont manqué... et ton corps aussi...
Tony eut un petit sourire.
- C'est réciproque...

***

Une demi-heure plus tard, les deux hommes se retrouvèrent dans le duplex de Tony. Celui-ci avait troqué son costume contre un jean et un pull-over beige, plus confortables, et surtout moins fragiles. Il s'était mis à l'ouvrage sous le regard amusé de son ami. Assis sur l'un des hauts tabourets de la cuisine, Alexandre dégustait un verre de vin blanc après que son hôte ait refusé qu'il l'aide pour préparer le repas. Tony s'affairait, conscient du regard posé sur lui. Cuisiner lui permettait de réfléchir, d'assimiler toutes les informations qu'il avait apprises en quelques heures.
- Franchement, lorsque j'ai poussé la porte de tes bureaux tout à l'heure, je n'aurais jamais cru que ça se passerait ainsi.
- Tu pensais que j'allais te jeter dehors ? Demanda Tony sans se retourner.
- Oui, un peu... Tu restes encore longtemps à Londres ?
- Tant que rien ne m'appelle à L.A.
- J'imagine que ton alter-égo doit être pas mal sollicité.
- Au début oui... maintenant, ça s'est un peu essoufflé. Je crois que la plupart des gens ne m'ont pas cru lorsque j'ai avoué que j'étais Iron Man. Ils se sont dit qu'un type riche comme moi n'allait sûrement pas risquer sa peau pour sauver des inconnus...
- Je crois surtout qu'ils ont dû se dire qu'il était impossible que tu aies conçu cette armure tout seul. Pour les gens, tu es un play-boy, un milliardaire qui s'affiche chaque jour au bras d'une nouvelle starlette... ils n'ont pas conscience de ton génie.
- Arrête, tu vas me faire rougir ! Rit Tony.
- Je suis sérieux !
Le brun se retourna vers son ami et s'adossa au plan de travail, les bras croisés. Il vit le regard d'Alexandre se poser sur le dispositif ARK.
- J'ai eu l'occasion d'étudier les caractéristiques techniques que tu as fournies lors de l'appel d'offres. Cet engin est un vrai bijou technologique. Même si je n'avais pas su que tu l'avais conçu, je l'aurais deviné. Tu es le seul au monde que je connais qui soit capable d'un tel prodige.
- D'autres en auraient sûrement été capable... répondit Tony en haussant les épaules.
- Peut-être, mais pas dans de telles conditions. Admets-le, tu es un véritable génie !
L'américain sourit, mais ne répondit pas. Il était conscient de son potentiel et ne voyait pas l'intérêt d'en parler. Il reporta son attention sur sa sauce qui était presque prête.

Les deux hommes mangèrent en parlant de tout et de rien, se racontant leurs vies respectives durant les vingt dernières années. Alors qu'ils venaient de finir le dessert, une voix électronique s'éleva dans l'appartement, faisant sursauter Alexandre.
- Monsieur, j'ai terminé le diagnostic de l'armure. J'ai transféré le rapport sur votre portable.
- Merci, Jarvis.
Tony sourit en voyant le regard ahuri et l'air interrogateur de son invité, puis lança :
- Envoie-moi également les plans détaillés de l'ARK et de l'armure.
- C'est fait, Monsieur. Avez-vous encore besoin de mes services ?
- Non. Merci, Jarvis.
Alexandre le fixait, ébahi :
- C'était quoi, ça ?
- Jarvis. Une IA que j'ai conçue pour gérer ma maison à L.A. Et qui s'occupe également de mes résidences secondaires comme celle-ci. Et de beaucoup d'autres choses...
- Tu as donné mon nom à une IA ?
Tony hocha la tête.
- C'était une sorte d'hommage... Une façon de t'avoir à mes côtés...
- C'est... étrange... souffla Alexandre.
L'américain changea totalement de sujet :
- Tu veux voir les plans de l'ARK ? Je me disais qu'en tant que futur partenaire commercial, ça pourrait t'intéresser.
- Tu comptes signer avec ma compagnie ?
- Si tu le souhaites toujours, ça me paraît une très bonne idée.
- J'en serais ravi.
Tony débarrassa rapidement la table, puis invita son ami à l'accompagner dans son bureau. Là, il lui montra les plans détaillés de son invention. Quand il eut fini, il vit qu'Alexandre le fixait d'un air embarrassé :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je... Je peux voir le prototype ?
Tony sourit. Il se leva pour venir s'asseoir à côté de son ami et ôta son pull, dévoilant l'ARK qui brillait sur son torse. Alexandre fixait le dispositif, fasciné. Il avança la main, puis s'arrêta, hésitant.
- Tu peux le toucher, ça ne risque rien.
Le blond obéit, les doigts un peu tremblants.
- C'est un véritable miracle...
- Juste un peu de technologie, sourit Tony.
La main d'Alexandre quitta l'ARK et alla se poser sur son cœur.
- Il bat vite... souffla-t-il.
- Si je réponds que c'est à cause de ta présence, est-ce que j'aurais l'air d'une midinette ? S'amusa le brun.
Ils rirent. Sans s'en apercevoir, ils retrouvaient peu à peu leur complicité d'antan. Leur hilarité céda bientôt la place à un silence troublant. L'air vibrait d'une tension sexuelle à peine contenue. La même lueur de désir avait empli leurs regards. Alexandre laissa sa main glisser plus bas, sur le ventre de Tony, tandis que leurs lèvres se retrouvaient pour un baiser passionné. Lorsqu'ils se séparèrent, le brun se leva et tendit la main à son compagnon en souriant :
- Je crois que je ne t'ai pas encore fait visiter ma chambre…

***

Tony se sentait bien. Cela faisait des années qu'il n'avait pas connu un tel sentiment de plénitude. Il était étendu sur le dos, une main sous la tête, l'autre caressant tendrement l'épaule blanche parsemée de tâches de rousseur de son amant. Alexandre était à moitié couché sur son lui, la tête sur son torse, juste à côté de l'ARK. Ils reprenaient doucement leurs souffles et leurs rythmes cardiaques retrouvaient peu à peu un niveau normal. Au bout d'un moment de silence, Alexandre souffla en riant :
- Y'a pas moyen de le rendre moins lumineux ? Tu fais comment pour arriver à dormir avec cette veilleuse sur la poitrine ?
- En général, je ne dors pas à poil…
- Sauf quand tu as une jolie fille dans ton lit, je suppose.
Tony eut un petit rire :
- Figure-toi qu'il n'y a eu personne depuis mon retour d'Afghanistan.
Alexandre se redressa sur un coude pour plonger son regard clair dans les yeux sombres de son amant :
- Vraiment ? Tu as tenu tout ce temps sans t'envoyer en l'air ?
- Dis tout de suite que je suis un obsédé sexuel ! grogna Tony, prenant un air faussement vexé.
- Je me souviens surtout de ton appétit insatiable… sourit son compagnon. Mais peut-être que tu t'es encroûté avec l'âge…
L'américain renversa son amant sur le dos, bien décidé à lui prouver qu'il avait encore toute sa vigueur d'adolescent.

Lorsqu'ils furent à nouveau rassasiés l'un de l'autre, ils se réinstallèrent confortablement dans la même position que précédemment.
- Tony ?
- Oui ?
- Jure-moi que tout ceci n'est pas un rêve et que je ne vais pas me réveiller tout seul dans mon lit demain matin.
- Je te le jure. Ou sinon, ça veut dire que je fais le même merveilleux rêve que toi.
Tony sentit Alexandre soupirer profondément contre lui. Tous deux savaient qu'ils seraient bientôt rattrapés par la réalité, par leurs obligations. Mais pour le moment, la seule chose qui comptait c'était le corps chaud contre lequel ils sombraient peu à peu dans le sommeil.

Fin