Yooooop !! Nieuh. Ça fait longtemps, je sais .. Mais bon, pour ma défense, ce chapitre est trèèèès long ! J'en ai pas fait exprès (même qu'Izu a râlé XD), mais c'est comme ça XD. Et puis il y a eu les vacances, tout ça... Bref. Il est là, on n'abandonne pas !!!

Trêve de bavardage. J'espère que ce chapitre vous plaira - j'ai personnellement pris beaucoup de plaisir à l'écrire :).

Bonne lecture, et un immense merci pour votre soutien !!!!!!!

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Chapitre 12

Altercations douteuses

POV Edward –

Deux semaines. Deux semaines déjà qu'Envy et moi habitions chez les Tiresome. Dire que je ne les avais pas senti passer aurait été mentir ; je me prenais la tête avec l'autre boulet de Prince à peu près six fois par jour, Rose manquait de tomber dans les pommes pas un contact trop insistant au moins un jour sur deux ; j'avais constamment faim mais n'osais pas aller réclamer quoique ce soit en cuisine (d'une part, je n'étais pas certain de son emplacement, d'autre part, les gens ici me fichaient franchement la trouille – à croire qu'on leur avait enseigné des préceptes à ne jamais manquer selon lesquels ils devaient toujours, et dans n'importe quelle condition, rester impassible à tout ce qui les entourait) ; et ces séances quotidiennes chez le psy commençaient sérieusement à me les briser. Oh, Shô Tucker n'était pas quelqu'un de méchant. Il était même probablement la personne la plus chaleureuse de ce château – maintenant que Rose nous évitait comme la peste. Mais je ne voyais toujours pas l'intérêt de venir lui confier mes sentiments alors qu'il était évident, désormais, que la Princesse n'avait aucunement l'intention d'épouser ni Envy, ni moi (même si j'ignorais encore ce que le Prince de Mesdeux avait bien pu lui faire pour qu'elle le distance lui aussi). Ce que je comprenais, soit dit en passant.

Les jours qui avaient suivit ma confrontation avec la jeune femme et ma victoire face à Envy furent teintés d'un sombre dépérissement de ma personne. Moi qui savourais la joie ultime de ne plus rien ressentir envers Envy, je me rendis compte peu à peu que j'étais bien loin de la vérité. A mesure que le temps passait, je compris que ce que j'avais cru être un total désintérêt vis-à-vis de lui était en fait un meilleur moyen pour mon inconscient de relancer, avec plus d'acharnement encore, ce brouillard de sentiments qui m'accablait à mesure que je fréquentais le jeune homme. Un peu comme lorsque l'on cherche à sauter le plus loin possible : on recule pour prendre de l'élan. Eh bien, mon esprit s'était débrouillé ainsi. Il s'était calmé pour mieux attaquer ensuite. Et le résultat était d'autant plus concluent que je n'arrivais plus à croiser Envy sans entendre mon cœur cogner dans ma poitrine et mes mains devenir moites d'embarra. J'avais la désagréable sensation d'être une pauvre gamine de douze ans qui vit son premier béguin amoureux. Et, franchement, j'avais ça en horreur.

- Et si nous parlions un peu d'Envy ?

Encore cette question. Tucker ne changeait décidemment jamais de registre.

- Quoi, Envy ? soupirai-je. Je vous ai déjà tout dit sur lui.

- Vous ne vous parlez plus beaucoup, ces temps-ci…

J'haussai les épaules. Je lui avais expliqué la veille qu'Envy et moi étions en froid en ce moment – même si, d'un point de vue logique, cette attitude adoptée l'un envers l'autre était dans l'ordre des choses. Envy et moi ne nous supportions pas, à la base. Quoi de plus naturel que de ne plus nous adresser la parole ?

- Il s'est passé quelque chose de particulier ?

- Je vais vous répondre la même chose qu'hier, M. Tucker : nous ne nous sommes jamais appréciés, Envy et moi, et nous avons d'un commun accord décidé d'éviter de trop nous fréquenter pour remettre les choses… au clair.

Je tiquai un instant sur ma propre hésitation. Remettre les choses au clair ? Si c'était si simple, mon cœur ne ressemblerait pas à un morceau de gruyère râpé en ce moment même. Parler d'Envy avec le psychologue était devenu assez habituel, j'arrivais donc à aborder le sujet assez facilement, et sans rythme cardiaque endiablée ou tremblements incontrôlés. Mais quand je quittais ce bureau chaleureux, quand je me retrouvais seul face à tout un bataillon d'interrogations sans réponse, mon seul refuge était la bibliothèque, les livres et vieux manuscrits défraichis ; je fuyais vers le savoir des hommes disparus pour éviter de songer que, moi, j'étais toujours ici, non loin d'un homme qui avait tendance à me troubler plus qu'il ne le devrait.

- Pourquoi vous détestez-vous ?

Je soupirai. Il ne me l'avait pas posé comme cela, l'autre fois, mais l'idée restait la même. J'en avais assez de me répéter.

- Parce qu'il est stupide, immature, qu'il me cherche des poux constamment et qu…

- Pourquoi pensez-vous qu'Envy est stupide et immature ?

- Parce qu'il l'est, c'est tout. Si vous assisteriez à tout ce qu'il me faire subir chaque jour, vous ne poseriez même pas la question.

- Que vous fait-il subir ?

J'allais répondre lorsque l'image d'un jeune prince m'embrassant fougueusement pour me donner tort s'imposa à mon esprit. Je refermai la bouche aussitôt, avant de reprendre plus calmement, les joues en feu :

- Des tas de choses. Des trucs idiots, futiles, même, mais qui à la longue deviennent vraiment, vraiment, vraiment pénibles.

- Ça ne me dit pas quoi, fit remarquer Tucker avec un sourire. Vous avez un exemple précis de ces agissements ?

Je m'arrêtai pour faire mine de réfléchir. L'image de nos « ébats » s'imposait à moi avec plus de force que jamais.

- Non, là… y'a rien qui me vient. Je… je sais pas… Il fait du bruit, il est vulgaire, il conteste tout ce que je peux dire ou faire, il me provoque, il…

- Comment vous provoque-t-il ?

Je laissai échapper un nouveau soupir.

- Il dit que je suis… hrum.

- Oui ?

- Que je suis… hum, euh, enfin…

- Que vous êtes ?

- P… p… pe… pet… pet…

- Petit ?

Je me figeai. Ce mot me glaçait véritablement le sang. Heureusement qu'il n'avait fait que confirmer ce que je cherchais à dire.

- Ouais. Ça. Il n'arrête pas avec ça.

Le vieil homme soupira avec tendresse. Je savais qu'il se fichait de moi. Qu'il me prenait pour un gamin susceptible et puérile qui se voilait la face et n'acceptait que ce qui l'arrangeait. Mais je m'en contrefichais. C'était non seulement lui qui m'obligeait à venir lui parler une heure par jour, et de surcroit j'étais le plus puissant Prince du pays ; mon caractère n'était donc qu'une futilité face à cette poignante réalité. Ceux qui étaient payés pour me cirer les pompes se gardaient bien d'exposer leur jugement vis-à-vis de moi ; ils m'acceptaient, quoi que je fasse, quoi que je dise – et Tucker, sous ses airs de fin psychologue prônant de fabuleux préceptes d'égalité entre les patients, en faisait partie. Moi-même, j'avais tendance à me reposer sur cette vérité ; puisque j'étais riche, on acceptait à peu près tout de moi, et je faisais de même. Je m'autorisais beaucoup de chose, je me pardonnais tout : je jouissais de mes privilèges jusqu'au plus profond de mon inconscient. Sauf avec Envy. Avec Envy, je regrettais. Je m'inquiétais. J'étais troublé et déstabilisé sans arrêt, à chaque heure du jour et de la nuit.

- Vous a-t-il fait quelque chose de plus… marquant ?

Derechef, les souvenirs honteux de mes altercations avec Envy s'imposèrent à moi aussi brusquement qu'une gifle. J'allais m'empresser de trouver autre chose à lui répondre lorsque l'évidence me sourit. Bien sûr. Comment n'avais-je pu y penser ? J'étais tellement surpris de ne pas y avoir songé plus tôt que je faillis partir dans un grand rire machiavélique qui aurait très certainement ôté toute crédibilité à ma déclaration prochaine. Je repris mon calme et baissai les yeux sur mes mains, cherchant à adopter l'attitude hésitante de celui qui hésite à se confier. Tucker remua brièvement ; ma comédie fonctionnait à merveille.

- Prince Edward ? insista-t-il en se penchant doucement dans ma direction. Y'a-t-il quelque chose dont vous voudriez parler ?

Je nouai nerveusement mes mains entre elles. Il me suffisait de penser à Envy pour que le feu me monte aux joues ; je n'avais donc aucune difficulté à lui jouer la scène du jeune homme troublé. Il s'écoula quelques minutes pendant que je faisais mine de chercher mes mots, jubilant intérieurement de ma victoire prochaine. J'avais gagné, évidemment. Envy ne pourrait rien faire contre ça.

Une main osseuse et bardée de veines bleutées se posa doucement sur la mienne. Elle était glacée et aussi rêche qu'une langue de chat. Je sursautai. Tucker retira sa main en souriant doucement, et soudain toute ma préparation psychologique s'effrita, pour ne devenir qu'une vague idée mise de côté. J'avais pris l'habitude de considérer le médecin comme quelqu'un de très gentil, malgré son apparence peu attrayante et son air désagréablement glacé. Mais cette main était comme une brûlure. Son contact était remonté jusque dans mes trippes et m'avait envahi d'une terreur sourde et incompréhensible. A cet instant, pendant ces une ou deux secondes, le psychologue me terrifiait. Il n'était plus l'homme usé par la vie mais pourtant agréable et attentif ; il était diabolique, vile, cruel et dégageait une onde malsaine qui me donna envie de hurler.

Tucker se recula calmement, ne déviant pas un instant du regard embrouillé, presque paniqué, que je lui lançais. Je n'arrivais pas à déterminer s'il avait conscience de la terreur qu'il venait de m'infliger, ou bien s'il agissait ainsi par habitude, coutumier aux réactions excessives de ses patients.

Au bout de quelques temps que je ne mesurais plus, il pencha la tête de côté et répéta posément :

- Prince Edward ? Que vouliez-vous dire ?

- A… à quel propos ? m'enquis-je, un peu calmé, mais loin d'être rassuré.

- Au sujet du Prince Envy. Je vous demandais s'il vous avait fait quelque chose de particulier qui pourrait justifier votre antipathie l'un envers l'autre.

De nouveau, une douleur sourde pulsa à l'arrière de ma tête. Mon idée première refit surface, et bien vite la brûlure étrange du contact avec Tucker se dissipa, pour ne devenir qu'un faible souvenir. L'image d'Envy se faisait bien trop puissante et s'empressait de masquer toute autre sensation. Envy me manipulait jusque dans mon esprit.

Sans plus tellement jouer la comédie néanmoins, je repris le fil de mes idées et finis par lâcher dans un murmure troublé :

- Il m'a embrassé.

Mon regard ayant entrepris une folle observation de la pointe de mes chaussures, j'entrevis tout de même le bref sursaut du psychologue, enfoncé dans son fauteuil.

- Vous parlez de l'autre fois, à la soirée ? demanda-t-il finalement, au bout d'un moment de silence.

Je secouai la tête.

- Non. Personne ne nous a vus. Il… il a fait ça plusieurs fois.

- Pourquoi fait-il ça ? Pour vous provoquer ?

Le médecin était troublé, je le sentais. C'était parfait.

- Je ne sais pas, soufflai-je, jouant maintenant le pauvre adolescent perturbé. Peut-être que ça l'amuse… Mais il est très entreprenant, vous savez. Il est… bizarre.

Nouveau silence. Ma victoire était proche. Très proche.

- Et… qu'en pensez vous ?

Je pris une grande inspiration, comme pour me donner du courage. Puis, je plantai mes yeux dans les siens, septiques.

- Je pense qu'Envy est homosexuel.

Il ne pu retenir sa surprise. Lui qui était toujours tellement impeccable, impassible et irréprochable en tant que grand psychologue qui avait déjà tout vu et tout entendu ; je l'avais eu. Impossible de penser que l'un des deux grands héritiers d'Amestris était homo. Le scandale était beaucoup trop grand, l'impacte de cette information allait ébranler le pays. Qui sait même s'il n'allait pas compromettre la carrière du Prince. Tout dépendait de Tucker, désormais. Il avait l'information entre les mains, et il savait qu'il n'y avait que lui pour pouvoir l'ébruiter, puisque moi j'avais vraisemblablement trop honte de cet aveu. Il avait alors deux choix : le rapporter à la Reine, qui allait très certainement mettre fin à cette petite comédie pour choisir lequel d'entre Envy ou moi était le mieux placé pour épouser sa fille – et ainsi, il jouirait du privilège d'avoir été celui qui aurait « démasqué » le Prince Envy auprès des médias ; ou bien le garder pour lui, trahir sa grande amie Sa Majesté et regarder comment les choses allaient évoluer, pour le bien de son pays et de son patient.

J'avais gagné. Envy était fichu. Quoiqu'il arrive, sa parole n'avait plus aucune valeur et sa crédibilité face à Rose était réduite à néant. Il était vrai que le psychologue avait promis de respecter le pacte selon lequel aucune confession ne sortirait de cette pièce, mais le scoop était assez titanesque pour qu'il s'autorise à dévier un instant de ses principes.

Soudain, tandis que Tucker accusait mon annonce tant bien que mal, on frappa à la porte. Il sembla revenir à la réalité et autorisa l'importun à se montrer. C'était le majordome de la Reine, celui qui la suivait partout, où qu'elle aille, et que l'on ne voyait quasiment jamais. Il n'était pas bien grand, l'air un peu ailleurs, ses petits yeux noirs cachés derrière de grandes lunettes en demi-lune. Ses cheveux d'ébène, très fins, étaient tirés vers l'arrière en quelques épis rebelles, laissant entrevoir un début de calvitie juste au dessus de ses tempes.

- Que se passe-t-il, Kain ? demanda le médecin.

- Sa Majesté m'envoie pour vous rappeler de vous préparer pour la soirée de ce soir, chez le Père Cornello, Monsieur.

- Cela ne pouvait-il pas attendre la fin de mon rendez-vous ?

Le majordome s'empourpra devant le ton aux forts accents de reproche de Tucker.

- C'est que Madame souhaite s'entretenir avec vous avant notre départ, Monsieur. Et compte tenu du temps qu'il vous reste avant celui-ci, elle estime nécessaire de remettre votre entretient avec Monsieur Elric à plus tard.

Tucker sembla s'empêcher de pousser un long soupir de désolation, puis informa Kain Furry qu'il irait rejoindre la Reine dans quelques instants. La porte claqua de nouveau et le médecin dévia lentement vers moi. Il n'avait pas encore arrêté de décision, mais il désirait en savoir plus. Cela se lisait sur son visage.

- Pardonnez-moi, Prince. Je n'ai malheureusement pas le choix.

- Pas de souci, lançai-je en me levant. Passez une bonne soirée.

J'avais presque atteint la porte lorsqu'il ajouta :

- Vous êtes invité, vous savez.

Je me retournai brusquement vers lui.

- Pardon ?

- Vous ne le saviez pas ? Le Père Cornello reçoit deux grands héritiers du royaume de Xing, et comme il est au courant de votre séjour à Lior, il a demandé à ce que vous veniez vous aussi, en compagnie du Prince Envy.

- Mais je…

- La Reine vous expliquera sûrement mieux que moi, coupa-t-il, me faisant comprendre, implicitement, que je n'avais guère le choix.

Je serrai les dents puis baissai la tête, m'inclinant brièvement avant de sortir de la pièce. Ma vie n'avait vraiment aucun sens.

***

- Sérieux, ils me les brisent.

- Contente-toi de faire ce qu'on te dit.

- J'aime pas jouer les clébards, figure toi. Je ne m'appelle pas Edward Elric.

Je soupirai et fermai un instant les paupières pour résister à l'envie de lui en foutre une. L'ascenseur descendait doucement, dans un grondement sourd et discret.

- Là-dessus, je crois qu'on est tous d'accord.

Envy siffla brièvement et reporta son attention sur son allure en se tournant vers le miroir, situé sur ma droite. Il était vêtu du même smoking hors de prix que moi, mais avait volontairement délaissé l'étouffant nœud-papillon qui, à l'origine, nous encerclait la gorge. Je savais qu'il aurait préféré, de loin, pouvoir choisir lui-même ses vêtements – quitte à se faire désespérément remarqué face à un homme que l'on ne connaissait même pas – mais Madame la Reine Dante avait exigé de nous des tenues présentables, et il n'avait pas vraiment cherché à la contredire. Oui, Envy était une grande gueule, mais il possédait encore une certaine notion de survie.

Discrètement, j'admirai la manière dont il s'était attaché les cheveux. Il était assez… classe. Vraiment pas mal. Affreusement beau, en fait. Il n'y avait rien d'exceptionnel à sa coiffure, si ce n'est qu'il semblait plus sérieux. Ses interminables mèches noires étaient nouées par un ruban de cuir, au niveau de la base de sa nuque, et retombaient jusqu'à ses flancs dans un lissage impeccable. Devant son visage, il avait volontairement laissé retomber quelques mèches plus courtes, lui donnant l'air à la fois respectable et sauvage. Et puis, il était calme, pour une fois. Si ce n'est quelques grognements agacés comme à l'instant, il se contentait d'obéir sans protester, ne cherchait pas les problèmes et filait droit. Cela m'étonnait un peu, mais je pouvais au moins me tenir près de lui sans balancer entre pulsion meurtrière et vague de sentiments indescriptibles.

Nous n'échangeâmes pas un mot supplémentaire. Il m'évitait, j'en étais conscient, et je faisais de même. Si nous avions pris le même ascenseur, c'est que nous étions tous les deux en retard, et qu'il était hors de question que l'un de nous s'abaisse à prendre les escaliers.

Arrivés dans le hall, nous retrouvâmes Rose, Dante, Tucker, le majordome Kain Furry, et des chauffeurs/gardes du corps que je ne connaissais pas. La Princesse était habillée d'une superbe robe rouge en corset, tandis que sa mère arborait d'une robe de soie d'un bleu nuit étincelant. Elles étaient superbes, personne n'aurait pu le démentir.

Rose passa alternativement son regard sur Envy et moi, puis devint cramoisie et détourna les yeux. Tucker quant à lui dévisageait Envy, qui mimait toujours l'indifférence. Dante nous adressa un rictus sans joie qu'il fallait prendre comme un chaleureux sourire amical, et nous grimpâmes tous un à un dans l'immense limousine. J'étais un peu surpris de la partager avec la Reine, mais elle nous expliqua en chemin que la moitié de ses chauffeurs étaient en congé, et que dans tous les cas notre destination ne nécessitait pas d'entrée en grande pompe.

Envy ne disait toujours pas un mot. Il s'était volontairement glissé en dernier dans le véhicule pour jouir du plaisir d'être le plus loin possible de moi. Rose avait les lèvres pincées et regardait ailleurs constamment, sans remarquer les coups d'œil suspicieux de sa mère, qui elle-même ne s'apercevait pas de l'attitude étrange de son psychologue. Le seul qui était au milieu de tout cela, assis entre Rose et Envy, c'était Kain Furry, ce pauvre petit majordome qui ne semblait préoccupé que par le fil de couture agaçant qui pendait de sa manche.

Le trajet fut court. Lior n'était pas une grande ville, et son décore fait de quelques commerces de-ci de-là entourés de cet immense désert n'avait rien de très préoccupant. Néanmoins, plus l'on se rapprochait de la destination choisie, plus la ville semblait prendre vie. Un léger brouhaha s'intensifiait à chaque seconde, et je commençais à sentir grimper cette vague d'appréhension familière qui accompagnait toujours mon arrivée à une soirée mondaine. Sauf que cette fois, elle était probablement plus puissante encore. Comme un idiot, je me sentais affreusement seul et démuni. J'étais dans une ville que je ne connaissais pas, Alphonse n'était pas avec moi, Winry non plus, et les deux seules personnes m'accompagnant qui auraient un tant soit peu réussi à me rassurer ne m'adressaient quasiment plus la parole. Mais bon, si je me souvenais bien, deux héritiers de Xing étaient invités ; peut-être réussirai-je à me lié d'amitié avec eux. Et puis, c'était bon pour les affaires d'avoir des alliés xinois.

Le bâtiment était, comme tous ceux qui recevaient des personnalités aussi importante que la grande royauté du pays, immense et imposant. Il semblait s'étendre tout en longueur, entièrement constitué d'un marbre immaculé, les journalistes qui encerclaient le bâtiment s'entassant péniblement entre d'immenses piliers qui soutenaient un préau impressionnant où patientait un bon nombre de gardes du corps.

Kain descendit en premier et se posta près du véhicule, où il tendit la main pour soutenir la Reine Dante qui sortait à sa suite. Puis ce fut au tour de Rose, qui semblait sur le point de tomber dans les pommes en passant respectivement près d'Envy et moi. Comme d'habitude, ils avaient déroulé le tapis rouge et des adolescentes en furie poussaient contre les barrières de métal pour tenter de mieux apercevoir ces si puissants seigneurs. Avant qu'il ne sorte à son tour, j'attrapai le bras d'Envy et cédai à une interrogation désagréablement récurrente ces temps-ci :

- Pourquoi Rose t'évite ?

Envy se figea brusquement mais ne releva pas les yeux vers moi. Interloqué, je l'observai prendre une grande respiration avant de dégager vivement son bras.

- J'sais pas. Et je m'en fou.

Là-dessus, il se hissa hors du véhicule et se dévoila aux yeux des caméras et des journalistes, qui braillèrent dans leurs micros les mêmes psalmodies que de coutume. Je poussai un long soupir et le suivi quelques instants plus tard, m'enfonçant davantage dans cette multitude de sentiments indistincts qui m'effrayaient, pour une raison qui m'échappait encore.

Sur la route jusqu'au bâtiment, Envy n'esquissa pas un geste envers ses fans hystériques. Lui qui était réputé pour son incorrigible besoin de se faire remarquer, il se contentait aujourd'hui de marcher à allure modérée vers le domaine où patientaient quelques gardes du corps prudents. Troublé par cette attitude inhabituelle, je ne prêtai moi non plus aucune attention aux adolescentes qui hurlaient mon nom, et une journaliste siffla quelque chose du genre « Nos Princes adorés seraient-ils de mauvaise humeur ? Lior ne leur réussit visiblement pas ! Haha ! ». J'atteignis les doubles portes en un temps record comparé aux innombrables fois où je m'étais retrouvé prisonnier des bras puissants des jeunes femmes, et je finis par avancer, malgré moi, au niveau d'Envy. Je ne voulais pas particulièrement m'afficher avec lui – d'autant que notre dernière apparition commune dans les journaux n'était pas glorieuse – mais il me semblait ce soir être le seul près de qui je pouvais me réfugier, juste en cas de besoin.

Les gens autour étaient nombreux, si ce n'est moins qu'aux impressionnantes soirées de Centrale. Comme d'habitude, ils arboraient tous d'impeccables tenues chics et distinguées, certaines femmes ayant troquée la superbe robe de soie contre une espèce de bout de coton minuscule qui laissait davantage entrevoir de chair que de tissus. Je préférais supposer qu'elles avaient chaud – après tout, nous étions à la frontière d'un désert.

La salle était illuminée par d'immenses lustres de cristal suspendus à un plafond de marbre dans un parfait alignement. Les murs étaient aussi blancs que l'extérieur de la bâtisse et détonnaient avec les épais rideaux bordeaux qui encadraient les imposantes baies vitrés longeant la pièce. Des peintures incompréhensibles aux tons chaleureux étaient accrochées de-ci-de-là, et des tables rondes étaient réparties régulièrement dans tout l'espace. Au fond, un escalier en colimaçon, qui semblait donner accès à une salle supérieure où s'agglutinaient la plus part des fumeurs, les paparazzis infiltrés, les personnalités haut placées qui n'en pouvaient plus de cet agglutinement étouffant.

Lorsque nous fûmes tous entrés et que les doubles portes claquèrent derrière nous, quelques applaudissements enthousiastes s'élevèrent près des escaliers pour finalement se répandre dans toute la pièce lorsqu'un vieil homme fit son apparition. Il était étonnamment grand, imposant même, et jouissait d'une bedaine volumineuse qui se balançait lourdement sous une toge sombre d'où pendait un long foulard blanc. Son crâne était entièrement rasé et les seuls poiles qui apparaissaient sur son visage ne provenaient que des épais sourcils blancs qui obscurcissaient son regard et rendait son sourire amical aussi faux que celui de Dante. A croire qu'ils s'étaient passé le mot. Il leva une épaisse main gauche parée d'une étincelante chevalière, et déclara solennellement :

- Merci, mes chers amis, d'avoir accepté de me rejoindre dans cet humble domaine pour célébrer la venues tant attendues des héritiers de Xing, qui ont consentit à venir passer cette soirée en notre compagnie.

Je tiquai un instant sur le terme « humble domaine » qui me paraissait outrageusement inapproprié, mais bien vite mon attention fut attirée par quelques mouvements, à droite. S'avançant vers celui que j'avais identifié comme étant le Père Cornello, deux jeunes hommes vêtus d'un hakama bleu sombre pour le premier, et noir pour le second, s'approchaient doucement, un sourire poli pendu au visage. Leurs cheveux corbeau à tous les deux étaient relativement longs – sans tout de même rivaliser avec ceux d'Envy – et étaient noués en une impeccable natte qui retombait entre leurs omoplates. Leur peau était foncée et leurs yeux, fins et plissés, étaient d'un noir profond et déstabilisant. Alors c'était donc eux, les fameux héritiers débarqués de Xing. Tout d'un coup, j'étais beaucoup moins sûr de réussir à me lier d'amitié avec eux.

- Je vous présente à tous Jin et Lî Wei, respectivement le cinquième et le huitième héritier du trône de l'Empereur de Xing. C'est un grand honneur pour moi de les avoir parmi nous aujourd'hui, et j'espère de tout cœur que notre modeste ville leur apportera joie et bonheur.

Le fondateur du létoïsme brandit une puissante patte dans leur direction et fut aussitôt accompagné des applaudissements joyeux de la foule. Les deux jeunes hommes, qui avoisinaient très certainement mon âge, s'inclinèrent poliment dans toutes les directions. Puis, sans m'y être vraiment préparé, le vieil homme dévia vers Envy et moi pour enchaîner du même ton suave et hypocrite :

- Et j'ajouterai enfin que je suis comblé de recevoir, pour la première fois, nos admirables Princes héritiers d'Amestris, qui ont gentiment accepté d'être parmi-nous ce soir. Venez, je vous en prie. Avancez-vous.

Poliment mais un peu pressé tout de même, le Père Cornello agita vivement sa main dans notre direction pour nous intimer de nous approcher. J'entendis vaguement Envy ronchonner dans mon dos puis m'exécutai, tentant de faire abstraction de tous les regards curieux braqués sur moi, de tous les flashs agaçants, et des quatre perles d'onyx inconnues qui nous dévisageaient simultanément, Envy et moi.

Je serrai brièvement la main de Cornello puis me tournai vers le dénommé Jin. Il était le plus grand des deux (c'était horripilant, mais il me dépassait d'une bonne tête), et très certainement le plus âgé. Son visage était fin et délicat tout en accusant le passage dans le cycle adulte, probablement accompagné d'entrainements difficiles qui auraient contribué à renforcer son caractère et ses convictions quant à son devoir de futur souverain. Il me sourit doucement, sans trop y croire. Je me contentai de le saluer d'une poignée de main et d'un signe de tête.

Puis je passai à l'autre. Lî était plus petit, me dépassant d'à peine un ou deux centimètres. Il avait un visage enfantin, plus rond et ne semblait pas tout à fait sortit de l'adolescence. Ses yeux pétillaient de malice – si je n'avais, à ce moment là, pas voulu croire en leur bonté, j'aurais plutôt qualifié ça d'une espèce d'affreuse joie malsaine – et, d'après les mouvements étranges qui agitaient ses joues, je constatai qu'il n'avait de cesse de se mordre la langue dans tous les sens, comme pour contenir une excitation grandissante. Il m'accorda un immense sourire lorsque je lui tendis la main, et au lieu de l'accepter humblement, il se jeta dans mes bras et enroula les siens autour de mes épaules. Mon hoquet de stupeur raisonna de concert avec ceux de l'assemblée, et Lî murmura sombrement à mon oreille, assez bas pour que moi seul puisse l'entendre :

- J'espère que nous deviendrons de bons amis, toi et moi. Tu me plais beaucoup, Edward.

Avec horreur, je sentis la pointe de sa langue venir glisser juste en dessous de mon oreille, puis il s'éloigna, tout sourire, en acceptant enfin de me serrer la main. Décontenancé, je sentis vaguement Envy remuer à ma gauche, puis détournai les yeux sans rien trouver à répondre.

- Eh… Eh bien ! Voilà un accueil des plus chaleureux ! lança Cornello, dans un léger rire nerveux.

Envy me poussa légèrement de côté pour se présenter à son tour face à Lî. Rien qu'à la façon dont ses muscles étaient crispés, il défiait le jeune xinois d'oser réagir de même manière qu'avec moi. Mais il ne se passa rien. Lî lui envoya un sourire cordial teinté d'un voile de cynisme que ni Envy ni moi ne pouvions manquer, et la poignée de main qui suivit fut simple et brève.

Quelques minutes plus tard – que je m'étais appliqué à passer loin de Lî – on nous proposa de nous mettre à table. Chacune d'entres elles étaient organisées de façon logique, des personnalités les plus prestigieuses, au centre, jusqu'aux petits journalistes restés dans l'ombre, sur les côtés. Le Père Cornello avait été installé près de la Reine Dante, de Tucker (on devenait prestigieux à partir du moment où l'on fréquentait du sang royal), et quelques autres adultes hauts-placés de Lior que je ne connaissais pas. Envy et moi étions assis juste à côté, à « la table des jeunes riches », comme on aurait pu l'appeler. Autour ; Rose, Jin et Lî. La jeune femme restait constamment tête baissée, semblant rêver de se noyer dans son verre d'eau, tandis que les deux étrangers nous fixaient, Envy et moi, de façon désagréablement insistante. Ils se moquaient, évidemment. Et j'avais dans l'idée que notre dernière apparition dans les médias y était pour quelque chose ; pour que ce jeune homme cherche à m'allumer aussi simplement, c'est qu'il avait conscience de mon étrange réputation depuis quelques temps. Mais je ne devais pas me laisser démonter. Et aussi énervé pouvais-je être, je valais bien mieux que ça. Et Envy aussi.

- Qu'est-ce que t'as à me fixer comme ça, face de citron ? grinça soudain Envy, sa voix heureusement audible que de notre table.

Rose sursauta violemment et je déviai les yeux vers lui. Il fixait Jin d'un air profondément agacé, les mains, sous la table, serrées en deux étaux menaçants.

- Rien de particulier, répondit l'autre.

Il lui envoya un sourire débordant de sous-entendus qui remua en moi une violente envie de le frapper. D'où se permettait-il de provoquer Envy ? Pour qui se prenait-il ?

- J'sais pas ce que vous cherchez, tous les deux, mais arrêtez de jouer aux cons, lançai-je alors sans vraiment y avoir réfléchis, au moment où Envy allait répliquer.

Ce dernier dévia les yeux vers moi, surpris. Je savais que mon audace ne lui était pas habituelle, et pourtant je me sentais davantage moi-même en réagissant de manière excessive que lorsque je jouais les modérateurs. Comme souvent ces derniers temps, je ne lui prêtai aucune attention et me concentrai plutôt sur la réponse de Lî, qui se mit soudain à sautiller sur sa chaise :

- Mais on ne cherche rien du tout, Edward ! Nous être là pour faire votre connaissance !

Il me sourit gaiment et seule l'arrivée d'un majordome m'empêcha de lui faire part de ce que je pensais de son hypocrisie écœurante, en quelques mots poétiques. Sa faute de langue était bien entendu volontaire, il ne cherchait qu'à mieux passer pour un pauvre petit étranger souhaitant en savoir plus sur deux des plus grandes vedettes d'Amestris, tout en se moquant implicitement de notre impuissance.

Le dîner s'étendait sur tout le long de la soirée. Nous pouvions commander nos plats à n'importe quelle heure, et n'importe quoi, tant qu'il figurait sur le menu. Rien n'était imposé, et chaque personne faisait ce qu'elle voulait. En somme, Envy, Rose, Jin, Lî et moi avions beau être tous réunis autour de cette table, d'autres discutaient encore près du bar ou se déhanchaient sur la piste de danse. Et il me semblait impossible de réussir à rester en leur compagnie toute une soirée durant.

Envy posa brutalement ses coudes sur la table, nous démontrant à tous, une fois encore, ô combien son apprentissage en matière de bonne manière était limité.

- La demi-portion a raison, lança-t-il (m'arrachant tout de même un sifflement rageur). A quoi vous jouez ?

Il y eu un silence étrange, que je ne compris pas tout de suite. Puis Jin, le plus calme et le plus silencieux des deux, se pencha vers nous de la même manière qu'Envy s'était avancé vers eux, néanmoins d'une façon bien plus délicate.

- Cela ne se dit pas devant une jeune fille.

Nouveau silence. Juste le temps que Rose percute, en fait. Elle finit par sursauter – encore – et son teint rougit de manière à s'accorder avec sa robe. Puis elle s'excusa vivement en balbutiant des morceaux de phrases incompréhensibles et s'éloigna à pas de géant, pour aller s'enfermer dans les toilettes. Si je ne lui avais pas fait ce que je lui avais fait, probablement aurais-je été lui parler. Mais aujourd'hui, venant de moi, un tel geste aurait très certainement été mal accueilli.

Lî partit dans un accès de rictus incontrôlés, et Jin esquissa un sourire sombre. C'était quoi ce délire ? Qui étaient ces types, bon Dieu ?

Quelques instants après, on nous apportait le plat de résistance, que nous avions hasardement commandé tous les quatre au même moment. Les deux xinois avaient choisi le même plat – des nouilles sautées qu'ils avalaient avec calme et une grâce hors du commun pour le plus vieux, et un empressement presque enfantin pour l'autre ; tandis qu'Envy et moi découpions nos morceaux de viandes avec une rage plus ou moins contenue.

L'espace d'un instant, je me revis en face de mon rival, le jour de notre rencontre. Nous nous détestions cordialement sans nous être réellement parlé, et à cette époque toute la hargne que nous déployions à découper notre morceau de bœuf était généreusement envoyée à l'autre. Aujourd'hui, j'avais la sensation – étrange, faut dire – de faire équipe avec Envy. Notre antipathie primaire pour les deux étrangers nous liait d'une manière surprenante, et en cet instant, tout le ressentiment que nous pouvions entretenir habituellement l'un envers l'autre était effacé. Ou plutôt, inapproprié. Il n'avait pas lieu d'être en de telles circonstances, et d'un commun accord nous l'avions mis de côté pour nous concentrer sur ces deux idiots arrogants.

- Alors, reprit Envy, c'est quoi votre problème ?

- Un problème ? s'étonna Jin. Où vois-tu le problème, Envy ?

- Je ne t'autorise pas à m'appeler par mon prénom, espèce de…

- Comment souhaites-tu que je t'appelle, alors ?

Lî ricana derechef et Jin esquissa un sourire mauvais.

- Grand Prince Envy ? Monsieur Bradley ? Prince Kakumhei ? C'est le nom de ta mère, ça, non ?

Les frissons de rage d'Envy furent si puissants qu'ils allèrent jusqu'à dévaler mon propre dos. J'étais à la fois furieux de l'audace de ces enfoirés, et inquiet de l'ampleur de la réaction de mon homologue. Ce dernier, blanc comme un linge, se figea instantanément. Lî, interloqué, interrompit ses sautillements dans l'instant pour dévisager le jeune Prince, une lueur craintive dans le regard. Jin quant à lui ne cilla pas et assuma ses paroles aussi sûrement qu'il semblait savoir exactement quel effet elles allaient avoir sur Envy. Ce denier, les couverts toujours en main, semblait déployer un self-control hors du commun pour ne pas se jeter sur le jeune héritier. A la place, il grinça sombrement :

- Ne parle pas de ma mère. Jamais.

- Pourquoi ça, dis moi ? enchaîna Jin – je le dévisageai aussitôt, scié par son culot.

- Parce que si tu continues je me ferai une joie de t'arracher les yeux avec les dents.

Jin éclata de rire, très vite suivit par Lî, qui semblait croire que son confrère avait l'avantage. A vrai dire, je n'étais même plus certain que les menaces d'Envy valaient encore quelque chose face à eux. Ces types étaient déconcertants.

- Il parait qu'elle t'a abandonné pour un autre homme, et c'est pour ça que tu es revenu vivre ici. J'ai raison, Envy ? reprit Jin, imperturbable.

Heureusement, je fus plus rapide. Alors qu'Envy avait d'ores et déjà entrepris de se lever de table, un couteau en main, bien décidé à restructurer le faciès de ce gosse arrogant, je bondis de ma chaise et l'immobilisai en agrippant son bras. Il se retourna vers moi, une haine brûlante au fond des yeux, mais je ne me laissai pas démonter pour autant – j'avais connu bien pire, venant de lui.

- Et si tu m'accompagnais boire un verre ? lançai-je, glacial.

Déjà, on commençait à nous remarquer. Des voix s'élevaient peu à peu autour de nous et des visages nous jetaient quelques coups d'œil inquisiteurs. Je ne déviai pas des prunelles de mon homologue, qui semblait très peu enclin à me suivre.

- C'est pas le moment, Edw…

- Si. Ça l'est.

Se faisant, j'intensifiai ma poigne autour de son bras et commençai à le tirer en arrière, l'éloignant, ainsi, des deux xinois hilares. Envy poussa un long soupir frustré, balança le couteau sur la table puis se laissa entraîner sans un regard supplémentaire pour les objets de sa colère.

Il nous suffit de traverser la salle, d'accorder quelques mots courtois à des connaissances sans intérêt, pour que la foule détourne son attention en songeant que tout était revenu dans l'ordre. Dans mon dos, Envy ne se calmait pas. Et même s'il restait silencieux, ma main, toujours autour de son bras, était électrifiée de violentes décharges de haine.

Nous nous installâmes derrière le bar et je commandai deux whiskys. Ce n'était pas franchement une bonne idée de nous afficher tous les deux avec de l'alcool à la main, mais il me semblait qu'Envy ne pourrait décolérer qu'avec cela.

- Je vais les buter, lâcha-t-il lorsque le barman apportait notre commande.

Il jeta un œil à son verre puis se l'enfila d'un coup, en deux ou trois gorgées qui le firent grimacer. A la fois surpris et habitué, je me contentai d'hocher la tête d'un air compréhensif. Il enchaîna :

- Nan mais pour qui ils se prennent, ces enfoirés !

- J'sais pas. Mais bon… suffit de les ignorer.

- Les ignorer ? Ils parlent de ma mère, ces espèces de gros…

- Et bien prend sur toi, pour une fois, coupai-je avec fermeté. Tout ce qu'ils attendent c'est justement que tu t'énerves contre eux pour nous enfoncer davantage aux yeux des médias et de nos parents. Si tu rentres dans leur jeu, ils auront gagné.

J'avais l'air bien, moi, avec mes belles paroles, mais si Envy n'avait pas réagi aussi rapidement je n'aurais très certainement pas tardé à l'imiter. Mais enfin, ça, cet impulsif de service n'avait pas besoin de le savoir.

Envy pinça les lèvres, forcé d'admettre que j'avais raison. D'un signe de tête en direction du barman, il exigea un deuxième verre, qu'il s'enfila tout aussi rapidement avant de me répondre.

- OK. Donc si je suis ton raisonnement de premier-de-la-classe, je suis sensé leur faire de grands sourires de faux-cul même s'ils commencent à me provoquer ?

- L'idée est là…

- Tu te fous de ma gueule ? cracha-t-il brusquement. Comment tu veux que je reste impassible quand ils parlent de ma mère ou quand l'autre taré t'allume ?!

Il avait dit ça très vite, sans prendre la peine de réfléchir. Lui-même arbora une mine horrifiée suite à ses propres paroles, et il détourna vivement le regard pour fuir le mien, bloqué en mode « je ne m'y attendais pas ». Alors qu'un lourd silence nous enveloppait peu à peu, s'amplifiant d'embarra de seconde en seconde, un poids s'écrasa soudain sur mon dos et une voix familière tonitrua à mon oreille :

- Prince Edward ! Ça fait un bail !

Je me retournai vivement, sautant sur cette occasion divine pour me détourner du sujet épineux que je risquais d'engager avec Envy, et rencontrai deux petits yeux gris-verts derrières de fines lunettes d'acier. M'éloignant un peu, je reconnu avec étonnement Maes Hughes, l'un des principaux agents de ma famille. En règle générale, il était chargé de rester discret, d'observer et/ou de surveiller en silence tout ce qui touchait à l'aristocratie d'Amestris. Probablement suivait-il mes traces aujourd'hui.

- Regarde un peu Elycia, comme elle a grandi !

L'instant suivant, il brandissait une photo de sa gamine de cinq ans, qui souriait gaiment, entourée de jouets et de peluches en surnombre.

- Je… Oui, c'est très bien, Mr. Hughes… Mais que faites-vous là ?

- Oh, je suis en mission ultrasecrète ! beugla-t-il d'une voix forte, fière de lui, m'arrachant une grimace d'incrédulité. Mais, et vous ? Pourquoi êtes-vous si isolé ?

Il jeta un coup d'œil à Envy, qui ne réagissait même plus, le regard plongé dans le fond de son verre vide. Le soupçonnant fortement de se ressasser ce qui lui avait échappé quelques minutes plus tôt, je ne cherchai pas à le déranger et répondis à l'adresse de cet imbécile d'agent « secret » :

- Nous… nous venions simplement nous hydrater (je tentai un rire forcé qui sonna tellement faux que je me tu aussitôt).

Hughes jeta un coup d'œil aux deux xinois un peu plus loin, l'air surpris.

- 'Sont pas sympas, les deux là-bas ?

Je lui envoyai un sourire significatif, qu'il interpréta exactement comme il fallait. De nouveau, j'eu droit à une amicale tape dans le dos, et il m'informa devoir s'éclipser pour reprendre son travail, non sans m'avoir conseillé au passage de modérer mes ardeurs vis-à-vis des deux étrangers, ne serait-ce que pour le prestige de ma famille. J'acquiesçai docilement et le suivis des yeux lorsqu'il s'éloigna, bien plus classe vu de l'extérieur, avec son smoking impeccable, que lorsqu'il se mettait à parler.

Aussi brève que fut cette interruption, elle me permit au moins de me remettre les idées en place quant à mon malaise face à Envy. Songeant que dans tous les cas nous n'étions pas près de retourner à table – j'avais, personnellement, totalement perdu l'appétit (chose plutôt rare, faut dire) – et que, tout de même, à la base, nous ne nous parlions plus, je décidai d'un commun accord avec moi-même qu'il me fallait m'isoler un moment pour repenser à tout ça et chercher une explication logique et rationnelle. La première idée qui s'imposa à moi et que je suivis sans protester fut les toilettes. Comme pour Rose, quoi de mieux qu'une cabine sombre et puante pour s'affairer à se libérer de ses tourments ? J'informai vaguement à Envy de ma destination puis traversai la foule le plus discrètement possible, faisant mine de ne pas entendre les tentatives des lèches-bottes alentours pour me parler.

Les W.C. pour hommes étaient spacieux. Rien de très étonnant, me direz-vous, ils étaient à la hauteur du domaine. Les murs étaient tapissés d'un carrelage noir aux jointures d'un blanc éclatant sur toute une moitié, et celle du dessus était recouverte d'un papier peint ivoire aux reliefs délicats. Sur la partie gauche, cinq ou six lavabos dont le métal étincelait de manière presque irréelle ; en face, deux urinoirs ; à droite, une colonie de petites cabines actuellement vides, puisque toutes entrouvertes. Rassuré de me retrouver seul, je m'avançai vers les lavabos et m'y appuyai lourdement, regrettant de ne pas avoir touché à mon verre de whisky qui aurait certainement mieux fait passé ce que je constatais. D'un œil morne, je me dévisageai dans l'imposant miroir aveuglé de petites ampoules inutiles.

J'étais épuisé. Physiquement et mentalement, je n'en pouvais plus. Et je m'en rendais davantage compte en mesurant l'ampleur de ma fatigue à travers mon reflet. Mes yeux semblaient constamment fermés de moitié et étaient agrémentés de délicieux cernes qui pendaient sous mes paupières. Ma peau était tirée et terne. Je n'avais rien du beau prince blondinet que l'on vantait dans les journaux. J'étais seulement un pauvre type perturbé qui n'en pouvait plus de passer ses nuits à quelques mètres d'un homme déstabilisant jusque dans sa manière de respirer lorsqu'il dort. Je n'en pouvais plus de toute ces questions sans réponse, de tous ces mensonges à moi-même, de tout ce que je savais mais que je refusais d'admettre. J'étais fatigué de ce manque lancinant, de ce vide en moi qui ne cessait d'amplifier à mesure que je ne faisais rien pour le combler. Je voulais me reposer, décompresser, comprendre. Mais c'était comme tenter de se diriger dans une pièce sans lumière. Je n'avais aucun repère, aucun indice. Ou alors je ne les voyais simplement pas.

La porte cliqueta, et alors que je m'attendais à entrevoir la silhouette d'un inconnu venu se soulager, c'est le corps frêle de Lî Wei qui fit son apparition. Il souriait sombrement, et cette simple vision suffit à me faire bondir de côté, méfiant.

- Tu m'as suivi ? demandai-je sèchement.

- Tu n'aurais pas trouvé de meilleur endroit, Edward, murmura-t-il calmement, avançant doucement vers moi.

- Endroit pour quoi ?

Il me répondit par un immense sourire de psychopathe, puis fonça sur moi. Je cru avoir réussi à l'éviter l'espace d'un instant, mais il avait volontairement brandi son bras droit sur le côté, de manière à pouvoir me retenir quoi qu'il arrive. D'un geste brusque, je me retrouvai projeté contre le meuble de bois qui soutenait les lavabos, et une main glacée et dérangeante s'infiltra rapidement sous mon t-shirt.

- Lâ… lâche-moi, sale taré !

Je tentai de me dégager, mais l'emprise de son poids maintenait mon immobilité. D'un geste que je jurerai habitué, il saisit mes poignets et les plaça dans mon dos, et son visage fondit vers ma nuque dans des ricanements hystériques.

- Je vais te violer, Edward. Tu vas être à moi, à moi, rien qu'à moi !

M'arrachant un frisson d'horreur, il éclata de rire et me mordit l'oreille avant de lentement faire glisser la pointe de sa langue le long de ma chair agitée. Ecœuré, je continuai de me débattre, mon rythme cardiaque s'affolant d'inquiétude à mesure que je prenais conscience de sa puissance.

Il me tenait. Je ne savais pas vraiment comment il comptait s'y prendre, mais j'étais persuadé, au fond de moi, que si je ne trouvais pas quelque chose très vite, il allait m'avoir. Je réussis l'espace d'un instant à libérer ma main, mais la sienne eut fait très rapidement de la saisir, enroulant de force ses doigts entre les miens, comme pour mimer mon consentement. J'hurlai des paroles incohérentes lorsque sa main de libre vint se placer directement sur mon entrejambe, le pressant presque douloureusement.

- Aimes-tu ça, Edo ? murmura-t-il d'une voix suave.

Son haleine brulante vint griffer ma peau et je grimaçai d'un mélange de dégoût et de fureur, frustré par mon incompréhensible impossibilité de bouger et par l'emprise déroutante qu'il exerçait sur moi.

Tandis que la panique commençait sérieusement à tambouriner partout dans mon corps, je tentai de reprendre le contrôle en fermant les yeux et respirant profondément. Il fallait que je fasse abstraction de cette enfoiré contre moi, de ses mains baladeuses, de son souffle, se sa bouche, de son odeur, de son rire insupportable. Il fallait que j'oublie tout ça et que je réfléchisse à une solution qui ne consistait pas à prévenir toute l'assemblée désespérément insouciante qui s'amusait dans la pièce voisine. L'idée merveilleuse aurait été que quelqu'un, n'importe qui excepté Jin Wei, entre dans les toilettes. Lî se serait évidemment reculé et j'en aurais profité pour m'éloigner. Mais j'étais certain que le xinois ne se serait pas risqué à m'intercepter ici dans le but de me violer s'il y avait eu le moindre risque que quelqu'un n'entre. Jin devait être dans le coup, évidemment. Restait donc Envy. Le seul qui pourrait encore se méfier de quelque chose en ne me voyant pas revenir, mais que j'avais abandonné près d'un bar où il semblait décidé à rester… J'étais perdu.

Ayant tout d'un coup constaté qu'il me fallait me débrouiller seul, je dégageai la tête de Lî de ma nuque en un brusque coup de mâchoire, et tentai le fameux coup de genou bien placé. J'échouai lamentablement, bien entendu. La douleur envoyée dans son crâne suffit seulement à le rendre plus nerveux encore, et il m'asséna un violent coup de poing dans l'abdomen pour m'intimer d'arrêter de me débattre. Le souffle coupé, je rassemblai toute ma force mentale pour rester sur mes jambes, tandis que Lî entreprenait de défaire ma ceinture d'une main experte.

- Ne te défend pas, Edward, tu vas aimer ça, j'en suis sûr, lança-t-il en éclatant bruyamment de rire.

Je lui envoyai quelques mots poétiques à la face qu'il ignora totalement, sa main tentant de s'insinuer sous mon boxer. Je commençai alors à me mouvoir dans tous les sens, l'air complètement ridicule mais réussissant au moins à éloigner ses doigts répugnants. Sa main fendit l'air pour tenter de me calmer, et alors que je m'apprêtais à accuser le coup tant bien que mal, une autre main, d'une blancheur aveuglante, saisit celle de mon tortionnaire. La seconde suivante, Lî se décollait de moi, projeté en arrière, et je reconnu immédiatement la silhouette frêle mais entraînée d'Envy, dont les cheveux dansaient furieusement dans sa queue de cheval.

- Espèce d'enfoiré ! hurla-t-il en agrippant d'une main le cou du xinois et le poussant contre le mur.

Lî paru surpris un instant, mais lorsqu'il reconnu le jeune prince, son rire hystérique reprit de plus belle, malgré l'étau serré autour de sa nuque.

- Le beau prince vient sauver la demoiselle en détresse, comme c'est mignon !

Il riait tellement que des larmes incontrôlées glissaient sur ses joues. Bordel, mais que fallait-il faire pour qu'il se sente ne serait-ce qu'un peu menacé ?! Envy, dont les deux verres de whiskys – ou plus, qui sait – glissaient dans les veines avec application, avait la mâchoire serrée de colère, les yeux si criants de haine qu'il semblait capable d'étrangler Lî ici et maintenant s'il décidait de le faire. Peu adepte de ce genre de dérapage, je m'élançai vers lui.

- C'est bon, Envy, lâche-le.

- Ta gueule, putain ! cracha-t-il. T'as vu ce qu'il faisait !

- Mieux que toi, oui ! répliquai-je. C'est pas une raison pour le tuer, lâche-le immédiatement !

Lî continuait de rire, le visage ayant néanmoins viré au bleu foncé. D'un geste brusque, je tentai d'éloigner Envy en appuyant sur ses bras, mais au lieu de m'écouter il intensifia sa poigne. Lî tressauta, enroulant lui aussi ses doigts autour du poignet d'Envy pour tenter de l'éloigner. Il ne riait plus, c'était déjà ça.

- Lâche-le, bordel ! hurlai-je.

Il ne m'écoutait toujours pas. Il ne me voyait même plus. Dans ses yeux, je revoyais la scène à laquelle il avait assisté, débordant de rage. Mais même si je rêvais de faire payer à cet enfoiré, je ne pouvais permettre qu'Envy ruine sa vie aussi facilement. Ainsi, je lui envoyai un poing puissant dans l'abdomen qui le fit enfin reculer en hoquetant.

- T'es… t'es dingue ?! souffla-t-il en toussant.

- C'était le seul moyen de…

Je m'arrêtai pour deux raisons. La première, une ombre venait de se glisser derrière Envy, sourire mauvais accroché aux lèvres. La seconde, je constatai à mes dépends que Lî se remettait très vite de l'attaque de mon allié, puisqu'il repartit à la charge en m'immobilisant d'une puissante clé-de-bras qui me courba en avant. Je n'eu pas le temps de prévenir Envy qu'il était déjà retenu par Jin d'une main placée sous sa nuque et d'un bras tiré vers l'arrière. Il y eu des rires vainqueurs – de Lî, évidemment – et des hurlements enragés incontrôlés – ceux d'Envy.

Le visage du taré qui me retenait vint de nouveau se glisser près de mon oreille. Son souffle ne s'était pas encore régulé tout à fait, et il était parcouru de quelques toux indomptables. Néanmoins, sa force restait la même, et j'étais tout à fait incapable de bouger.

- Bon, bon, après cette petite accroche, reprenons où nous en étions…

- Ne le touche pas ! s'écria Envy, qui tentait vainement de se débattre.

- Le Prince Bradley serait-il jaloux ? lança Jin dans un rictus machiavélique. Mais si tu veux, on participe.

Lî ricana près de mon oreille et je vis avec horreur les mains de Jin commencer à se balader de manière plus que suggestive le long du corps d'Envy. Ce dernier grogna des insultes inutiles et tentait toujours de se libérer, tandis que je demeurais impuissant, stupidement immobilisé face à un spectacle qui remuait en moi une douleur indéfinissable.

Soudain, la main de Lî vint agripper ma queue de cheval et il tira ma tête vers l'arrière, de sorte à ce que sa joue touche la mienne. Je sentis de nouveau la pointe de sa langue venir titiller le bord de mes lèvres, et il murmura doucement d'une voix sombre :

- Que dirait ta mère, Edward ? A te voir comme ça, stupidement pris au piège par deux garçons de ton âge… elle se dirait que tu es pitoyable, c'est sûr. Oh oui, de là où elle est, elle a honte de toi, et elle est bien contente de se faire bouffer par les vers plutôt que de devoir assumer ta…

Je n'entendis pas la suite. Je n'avais pourtant pas bougé, je ne m'étais pas bouché les oreilles et Lî était toujours apte à continuer de parler. C'est mon cerveau qui eut un blocage, de lui-même, qui m'empêcha d'être attentif au reste de ses immondes paroles.

Comme en début de journée, une douleur sourde pulsa à l'arrière de ma tête, si violement cette fois que mon regard se voila d'un nuage d'étoiles étourdissant. Il y avait une voix, lointaine, familière, accompagnée d'une souffrance que je ne connaissais que trop bien. Il y avait une tombe aussi, celle de ma mère, une rose blanche en son centre. C'était ses fleurs préférées. A côté de moi, la voix parlait, sans arrêt, pour combler mon silence. Je ne l'identifiai pas, mais c'était une voix que j'aimais. Que j'aimais profondément. Il y eu une main appuyée sur mon épaule, légère pression qui engourdit mon corps de chaleur. Cette sensation-là aussi, je la connaissais, sans pourtant la reconnaitre ; « Je te protègerai, Ed. Même si elle n'est plus là, tu n'es pas seul. Moi, je serai toujours à tes côtés. » La douleur devint insupportable, et ma vision définitivement trouble. J'hurlai. Les mouvements devant moi s'arrêtèrent brusquement, et le rire insupportable de Lî également. Alors je relevai la tête, les yeux inondés de larmes, la respiration saccadée. Non. Il ne le toucherait pas. Personne ne touchera à Envy.

Mon pied partit. Je ne sais trop comment, mais il s'éleva vivement jusqu'au bord du lavabo, et poussa de toutes ses forces. Mon corps fut projeté vers l'arrière, celui de Lî, dans mon dos, entraîné dans ma chute. Il percuta le mur dans un gémissement de douleur et desserra son étreinte juste assez longtemps pour me permettre de m'échapper. Je me retournai vers lui et sans plus attendre empoignai ses épaules, avant de lui enfoncer mon genou dans l'abdomen. Il hoqueta et s'agenouilla, souffle coupé. En proie à une véritable rage, je l'achevai d'un vigoureux coup de pied dans la mâchoire qui l'assomma totalement, une fois que sa tête eut rencontré le sol.

Je déviai enfin vers Jin. Il tenait toujours Envy fermement, mais à la manière dont son regard passait alternativement de Lî à moi, il semblait bien moins assuré que précédemment. Et il avait raison.

- Lâche-le, ordonnai-je.

Il déglutit, sa pomme d'Adam montant difficilement dans sa gorge. Mais il ne m'obéit pas, et décida plutôt de jouer les indifférents.

- Tu as eu Lî par surprise, mais ne joue pas à ça avec moi, Edward.

- Si tu ne veux pas jouer, lâche-le.

- C'est toi qui seras accusé, tu le sais ! cracha-t-il, un brin paniqué tout de même. Personne ne pensera que les deux petits xinois venus visiter le pays vous ont cherché des noises !

- Je me contrefous de tout ça. Laisse-le, et je ne te toucherai pas. Tu as trois secondes.

- Je suis surentrainé, ne crie pas victoire trop vite.

- Trois.

- Tu es ridicule. Toi et Envy, vous êtes ridicules. Amestris tombera si vous entrez au pouvoir.

- Deux.

J'avançai d'un pas menaçant. Ses paroles, pourtant envoyées violement, étaient semblables à une douce caresse comparées à celle qui grignotait encore l'arrière de mon crâne.

- On ne faisait que plaisanter, bordel ! s'écria-t-il, tirant si fort sur le bras d'Envy désormais qu'il en siffla de douleur. Vous êtes trop cons !

- Un.

Cette fois j'accélérai le pas mais il bondit en arrière, relâchant le jeune Prince. Je m'arrêtai, secoué d'un petit rire dédaigneux.

- Tu es pitoyable.

Il commença à reculer vers la porte, cherchant la poignée à tâtons. Ses petits yeux, autrefois si sûrs d'eux, ne ressemblaient plus qu'à un vulgaire regard de lapin furieux d'avoir été capturé, mais effrayé à l'idée qu'on le violente.

- Ça n'est pas fini. On se reverra, je vous l'assu…

Il n'eut pas le loisir de finir sa phrase qu'Envy avait fondu sur lui, en enfonçant un poing rageur dans sa poitrine. Sa tête vint heurter la porte dans un bruit sourd et mon espèce d'allié marmonna des paroles que je ne compris pas, avant de l'envoyer au paradis des rêves d'un crochet vigoureux dans le menton. Jin glissa contre la porte et s'écrasa au sol lourdement, un mince filet de sang s'échappant de sa lèvre fendue.

Il y eu un lourd silence pendant lequel je dévisageai Envy. Enfin, il mima l'agacement :

- Quoi ? C'est toi qui lui avais promis que tu ne lui ferais rien. Moi ça me démangeait.

Je ricanai un peu nerveusement et quelques instants plus tard on tentait d'entrer dans la pièce. Envy poussa Jin du pied pour laisser à la porte la possibilité de s'ouvrir, et quelques hommes et femmes inconnues pénétrèrent dans les toilettes en ravalant un sursaut de stupeur. J'imaginais déjà le titre, en première page du journal national : « Les deux héritiers ont encore frappé ! ». Jeu de mot stupide mais accrocheur. Oh oui, je le voyais gros comme une maison.

Le Père Cornello débarqua à son tour et considéra d'un œil ahuri les corps inconscients gisants à nos pieds, le nez ensanglanté pour l'un, la lèvre pour l'autre.

- Mais… mais qu'est-ce qui s'est passé, ici ? beugla-t-il.

La Reine Dante débarqua à son tour. Les gens se reculèrent vivement sur son passage, et certains la dévisageaient avec une insistance proche de la démence, impatients d'assister à sa « royale réaction ». Elle resta de marbre, son regard déviant sans cesse entre les deux xinois, Envy et moi. Le brun, qui semblait, depuis quelques instants, chercher le meilleur moyen pour tourner tout ça, commença d'une voix à la fois calme et révoltée :

- Ils ont essayés de nous…

- Nous les avons assommé, coupai-je aussitôt.

Envy me lança un regard de profonde incrédulité, mais je ne le relevai pas et soutins plutôt ceux de Dante et du Père Cornello.

- Pourquoi ça, bon sang ? s'étouffa ce dernier.

- Ils l'ont mérité.

- Expliquez-nous !

- Ce serait inutile. Excusez-nous maintenant, Envy et moi allons rentrer.

- Co… comment ?

- Nous ne voulons pas gâcher la soirée, et notre présence risque de faire désordre, surtout si ces deux là se réveillent, expliquai-je poliment en commençant déjà à m'avancer vers la sortie.

J'adressai un regard insistant à Envy qui esquissa un geste pour me faire comprendre qu'il me suivait, non sans s'agacer de mon silence incompréhensible. Avant de passer la porte, je me tournai une dernière fois vers la Reine et le puissant létoïste, puis me signai poliment. D'une main discrète, je tirai sur le pantalon d'Envy pour lui intimer de faire de même, et avec un peu de retard, il s'inclina à son tour.

- Merci pour votre invitation, mon Père. Pardonnez-nous de ne pouvoir rester.

Il me salua d'un bref signe de tête et je fis volte-face, Envy sur mes talons. En chemin, Tucker m'adressa un regard indéchiffrable que je préférai éviter, et nous rejoignîmes la limousine d'un pas rapide, plus que conscients de la tripotée de ragot qui risquait de nous pleuvoir dessus dès demain.

***

Sur la route, nous n'échangeâmes aucune parole. Notre silence était à la fois pesant et léger, et je ne savais pas vraiment comment l'interpréter ; aussi, je continuais de me taire. Je savais qu'il était énervé contre moi. Bon, il devait y avoir quelques restes de l'attitude des frères xinois, le tout favorisé par l'absorption des deux (trois ?) whiskys, mais le principal de son éternelle mauvaise humeur m'était destinée. Cela dit, ce n'était pas bien différent de ces derniers jours ; je considérai donc cette attitude comme tout bonnement normale, maintenant que nous n'avions plus l'utilité de faire équipe contre qui que ce soit.

Le trajet fut rapide – le chauffeur, qui avait ordre de faire vite au cas où la Reine décidait de rentrer subitement elle aussi, avait volontairement évité les grandes rues passantes pour contourner le centre-ville et arriver quasiment directement au château (je me demandai un instant pourquoi il ne prenait pas cette route à chaque fois, mais ne m'y attardai pas). Envy et moi nous avançâmes alors côte à côte derrière le chauffeur qui nous ouvrit la porte du domaine avant de nous expliquer qu'il était obligé de nous enfermer, malgré les innombrables possibilités de sortir par derrière si l'envie nous prenait. Je le remerciai – Envy, cloitré dans un silence à un congeler l'astre solaire (à croire qu'il se mettait à la mode Tiresome) – et il disparu.

Instinctivement, nous prîmes la décision de rejoindre notre chambre. Si j'avais été chez moi, je me serais attardé près de la cuisine, j'aurais bavardé avec Jean Havoc, mon majordome, peut-être aurais-je fais un détour par la bibliothèque pour trouver de quoi m'occuper l'esprit avant de dormir, et enfin je serais monté me coucher. Seulement, le domaine de la Reine Dante était encore plus effrayant la nuit que le jour, et je n'avais absolument aucune envie de m'y balader, ou de risquer de rencontrer ses éventuels occupants. C'est pourquoi je me contentai de suivre Envy jusqu'à la porte métallisée de l'ascenseur, qui s'ouvrit devant nous à peine l'avait-il appelé.

Les battements se refermèrent dans mon dos, et je me posai juste à la droite d'Envy, la tête évasivement levée vers le plafonnier extra-plat qui diffusait une lumière tamisée plutôt agréable. Enfin, Envy – qui était resté plongé dans ses pensées sans même se souvenir qu'il était préférable d'appuyer sur le bouton pour démarrer l'ascenseur – se décida à rompre le silence.

- Pourquoi tu ne m'as pas laissé leur expliquer ?

Il y avait du reproche dans sa voix. Evidemment.

Je me penchai vers l'avant et pressai le bouton numéro deux, avant de reprendre ma place initiale.

- Parce que cela n'aurait fait qu'aggraver la situation.

- Quelle situation ? siffla-t-il. Ils n'avaient tiré encore aucune conclusion ! Maintenant on a l'air de deux cons qui ont décidé de cogner des pauvres xinois sans défense !

- Tu ne connais pas encore bien les journalistes d'Amestris, Envy. Ici, plus on se justifie, plus on a tort. Crois-moi, il vaut mieux les laisser s'inventer des films plutôt que de tenter de remettre la faute sur Jin et Lî.

D'un geste rageur, il brandit le poing vers l'avant et l'enfonça sur l'épais bouton rouge qui immobilisa brutalement l'appareil. Chancelant, je me rattrapai de justesse aux barres de fer qui faisaient le tour de l'habitacle, tandis qu'Envy lançait d'une voix outrée :

- Mais j'en ai ma claque des ragots sur mon compte ! J'ai pas envie d'être de ces petits riches qui laissent traîner plein de rumeurs pour se la jouer grande star !

- C'est pourtant ce que tu fais, répliquai-je, un peu plus froidement.

Il se figea de surprise et braqua plus directement son regard sur moi.

- Pardon ?

- Laisse moi te rappeler la première soirée à laquelle nous avons participé tous les deux, le bal. Tu t'amusais à embrasser toutes les filles que tu voyais, dans ton manteau de fourrure ridicule. Comment peux-tu prétendre ne pas vouloir qu'on parle de toi quand tu agis de cette manière ?

Il y eut un moment de silence, pendant lequel je ré-appuyai sur l'imposant bouton. L'ascenseur gronda puis se remit lentement en marche.

- Je… c'était seulement de la provoque. Et puis, je revenais d'Amérique. Ça choque personne, en Amérique, ce genre de fringue.

- Ne joue pas les innocents, par pitié, soupirai-je.

- Mais ça c'était avant ! maugréa-t-il en détournant vivement le regard.

Intrigué par l'espèce de courant de honte qui semblait le submerger, je le dévisageai à mon tour.

- Avant quoi ?

Il ne répondit pas tout de suite, les yeux fuyant les miens avec une application que je ne lui connaissais pas. Je penchai la tête de côté, plutôt incrédule, profitant presque inconsciemment de ce petit moment de silence pour l'observer. Ses cheveux étaient moins bien coiffés que la dernière fois où nous nous étions retrouvés dans cet ascenseur, sa veste était ouverte et un bouton de sa chemise avait sauté, de la fois où Jin avait posé les mains sur lui. A cette pensée, une boule de douleur vint se loger au fond de ma gorge et de mon ventre, inondant mes sens d'une désagréable sensation d'agacement. Je détournai aussitôt les yeux, effrayé par mes propres émotions. Au même moment, Envy pressai derechef le bouton d'arrêt et soufflait dans un murmure quasi-inaudible :

- Avant que tout dérape. Entre toi et moi.

Le silence qui nous enveloppait désormais avait quelque chose d'un cocon. Nous n'étions plus portés par le ronronnement de l'appareil qui s'élevait vers notre destination, bloqués dans un petit habitacle au centre d'une colonne de pierre. Il suffisait que l'un de nous réactive le système pour tout remettre dans l'ordre, mais nous ne bougions pas. Parce qu'il fallait qu'on en parle. Ne serait-ce qu'un peu.

Mais je ne savais pas quoi dire. J'étais tétanisé, incapable de savoir comment réagir, et lui-même semblait perdu au milieu d'un flot de sentiments confus et indiscernables. Il enchaîna néanmoins :

- Je… je ne sais pas ce qui se passe avec toi. Tu… tu me tapes sur le système constamment, tu me cherches, on se bat, on s'insulte, je jure à longueur de temps qu'un jour je vais te faire la peau, et… et pourtant…

Sa phrase mourut dans sa gorge et il ferma les yeux avant de prendre une grande respiration, suivit d'un petit rire incontrôlé. Je restai perplexe, à le fixer comme un imbécile. Je ne savais plus quoi penser. Il semblait avoir parlé pour moi, mit des mots maladroits sur des sentiments qui m'habitaient, tout aussi gauchement. Son trouble était le mien, son embarra glissait sur moi comme s'il caressait un être familier.

Envy se passa une main sur le front, puis lâcha d'un ton étrangement triste :

- Bref. Laisse tomber, ça n'a pas d'importance. C'est ridicule.

Il commença à avancer sa main vers le bouton mais j'arrêtai son geste en quelques mots incontrôlés :

- Qu'est-ce qui est ridicule ? Si tu es capable de donner une explication à tout ce cirque, je t'écoute, Envy. Tu n'es pas le seul à vouloir des réponses.

Il abaissa son bras puis releva les yeux vers moi. J'y lisais un trouble hors norme, mon trouble, mon incompréhension, mes questions perpétuelles. Je m'y reconnaissais, dans ses yeux, et j'étais absolument persuadé qu'il le sentait également. Mais lui comme moi étions incapables de nous l'expliquer. Parce que nous étions Envy Kakumhei, Edward Elric ; parce que nous étions les deux plus grands héritiers du pays ; parce que nous avions des responsabilités ; parce que nous n'avions pas le droit à l'erreur. Et parce qu'il y avait quelque chose, entre nous, qui manquait. Un truc, je ne savais quoi, un lien qui ne s'était pas formé, un calcul insoluble, une pièce perdue du puzzle. Et aussi délirant que cela puisse paraître, j'étais certain que c'était ça, cette barrière invisible, qui nous empêchait de parler.

Un sourire tendre étira un coin de ses lèvres, et de nouveau il détourna le regard.

- J'en sais rien, Ed. J'en sais rien.

Alors l'ascenseur reprit sa route dans un vrombissement agacé, et je me sentis soulever du sol, calmement. Au dessus de la porte, la petite aiguille de métal se rapprochait lentement du numéro deux. Je savais qu'une fois hors du petit habitacle, tout reprendrait son cours normal. Nous irions nous coucher dans un silence presque religieux, sans un mot supplémentaire, pour nous emmitoufler dans notre trouble, à ressasser des questions qui n'auraient probablement jamais de réponse. Et puis le lendemain, cette conversation n'aurait plus que la consistance légère d'un rêve, et nous reprendrions nos activités normales ; nos engueulades, nos prises de tête, nos provocations perpétuelles. Je ne voulais pas tout ça. J'en avais assez de ces malaises. Mais… j'étais incapable de bouger. Comme toujours depuis des années, j'attendais, sans agir. Je laissais passer les choses devant moi sans les retenir, je ne cherchais rien qui ne venait à moi naturellement. J'étais lâche.

Mais Envy ne l'était pas, lui. Il ne l'avait jamais été. Et ses mots me le confirmèrent.

- Moi aussi, j'ai couché avec Rose.

S'il avait décidé d'envoyer ma tête s'encastrer directement dans le mur, l'effet aurait été le même. C'est comme si l'on venait d'attacher une enclume à mon cœur ; il vint brutalement cogner contre mon estomac, bloquant ma respiration, accusant de brusques tremblements et un léger vertige.

- Quoi ? lâchai-je, seul mot qui hurlait dans ma tête à n'en plus finir suite à cette déclaration.

- C'est pour ça qu'elle ne m'a pas adressé un regard. En fait, je l'ai plus violé qu'autre chose. Mais ça revient au même.

Cette fois, ce fut ma main qui s'écrasa sur le bouton rouge. Oh non, il n'était pas temps de sortir d'ici. Tout ça n'était pas fini.

L'ascenseur s'ébranla un peu plus vivement que d'habitude, puis commença à glisser vers le bas, avant de s'immobiliser tout à fait. Envy dégagea ma main avec brusquerie et tenta de relancer la machine, sans succès. Elle demeurait obstinément immobile, probablement vexée que l'on se soit moqué d'elle pendant presque deux étages.

- T'as vu ce que t'as fait ?! s'écria-t-il. On est bloqué, maintenant !

- Pourquoi t'as couché avec elle ? demandai-je froidement, à des millions d'années lumières de m'inquiéter pour quelque chose d'aussi futile qu'un ascenseur en panne.

Il poussa un bref soupir. Voilà qu'il redevenait lui-même. Le Envy arrogant et continuellement consterné par tout ce que je pouvais dire ou faire. Il croisa les bras et s'appuya contre le mur, avant de planter un regard narquois dans le mien, furieux.

- Quoi, ça te plait pas, peut-être ?

- Effectivement.

Je ne savais pas vraiment pourquoi je l'admettais aussi facilement. Mais bon, si je devais en venir à lui casser les dents, autant qu'il sache pourquoi.

- Et pourquoi ça, dis-moi ? Tu te l'es tapé avant moi, que je sache !

Je sentis très nettement la vague de reproche non-contenu qu'il m'envoya, mais j'étais trop en colère pour y prêté attention. Il avait tort, j'avais raison. Sur tous les plans, à tous les points de vue, et quoi qu'il dise.

- Et j'ai eu la décence de t'en informer le jour même ! répliquai-je. Qu… Quand est-ce que ça s'est produit ?!

Il pinça les lèvres.

- La même nuit que toi. Juste après.

Cette fois, les vertiges me submergèrent avec un entrain tout particulier. Je glissai une main sur mon front et fermai les paupières pour tenter de reprendre contenance et ne pas me mettre à hurler tout ce qui me passait par la tête. Non seulement il n'aurait rien compris, et je l'aurais très certainement regretté plus tard.

Alors je détournai la tête et posai mes yeux sur un point invisible, situé quelque part entre le mur et moi. Je n'arrivais pas à y croire. Je pensais vraiment avoir gagné, là-dessus. Mon avantage par rapport à lui était considérable, et même si j'avais bêtement cru pouvoir me purger de mes sentiments pour lui en agissant de la sorte, j'avais au moins la certitude d'avoir obtenu une longueur d'avance non négligeable. Mais tout était inutile, désormais. Il avait eu Rose, il m'avait eu moi. Et tout ça pour… euh…

- Pourquoi ? m'enquis-je alors, songeant qu'il était plus simple de directement m'adresser à lui.

Je ne le regardais pas, mais j'entrevis tout de même son geste d'hésitation, petite mimique nerveuse qui consistait à passer une main sur ses lèvres dès qu'il hésitait entre mentir ou avouer. Il y eu un long silence que je ne pris pas la peine de briser, songeant que s'il me fallait répéter la question, je risquais de m'y prendre en tentant de lui arracher les yeux.

- C'est à cause de toi, finit-il par répondre.

Je déviai vers lui mais il se contenta de garder les yeux baissés vers ses mains, plongé dans une folle observation de ses ongles.

- Comment ça ?

- Tu te l'es tapé alors moi aussi. C'est pourtant simple.

- Ça n'explique rien.

- J'étais jaloux, voilà ! cracha-t-il dans un grondement mauvais, les joues en feu.

Je me figeai, en proie à un nouvel accès de douleur. Pourquoi avais-je si mal, bon sang ? Pourquoi cette déclaration remuait en moi une détestable envie de pleurer ?

Je fus secoué d'un petit rire sans joie. Je ne me reconnaissais pas, et je ne reconnaissais pas Envy non plus. Cette historie avait l'aspect d'une sombre blague, un tour foireux que l'on aurait organisé sur mon compte pour connaître mes limites. Sauf qu'elles étaient déjà franchies depuis longtemps ; le supportable avait laissé place à l'insupportable, et bonheur à la douleur. Je ne savais plus très bien quand avais-je commencé à changer ainsi, à ne plus apprécier les mêmes choses, à sans cesse dépendre d'Envy en souffrant qu'il ne dépende pas de moi. Je ne savais plus, mais peu importe. Envy aimait Rose. Je ne l'aurais pas deviné, certainement pas, mais je n'aurais pas non plus imaginé une seconde qu'il soit capable de la violer pour se l'approprier à son tour. Je n'étais qu'un imbécile, en définitive.

- Je ne pensais pas que tu l'aimais à ce point, soufflai-je enfin, d'une voix morne.

Envy hoqueta de stupeur.

- Hein ? De… de qui tu parles ?

- De Rose, crétin. On parle de qui, d'après toi ?

Cette fois, ce fut Envy qui se mit à rire. Il rit si fort, même, que je cédai à la tentation de me tourner vers lui pour le dévisager, incrédule.

- Tu… tu penses que je suis amoureux de cette conne ? demanda-t-il, l'air de me prendre pour un cinglé. Avant que je n'aie eu l'occasion de répondre – j'étais, d'ailleurs, beaucoup moins sûr de moi, tout d'un coup – il repartit dans un fou-rire largement guidé par les nerfs, et dût même se retenir aux barres de fer pour ne pas tomber à genoux sous le poids de l'hilarité. Commençant à m'impatienter, j'admis qu'être coincé ici n'était pas la plus belle affaire de ma vie. Là tout de suite, j'aurais voulu fuir ; fuir mon erreur, quelle qu'elle soit, et fuir Envy, que je n'avais plus la force de décrypter.

Finalement, tandis que j'avais entrepris de chercher un moyen de réactiver l'appareil en m'approchant des différents boutons, il se redressa soudainement et agrippa mon bras, avant de me plaquer contre le mur. La voix encore entrecoupée de quelques ricanements endiablés, il posa son poing juste à côté de ma tête, et reprit :

- N… Non, tu fais fausse route, Edo. C'est pas de toi dont j'étais jaloux, mais d'elle.

Je me figeai. Un torrent de frissons dévala mon échine. J'avais dû mal comprendre, évidemment. Ou alors c'est lui qui était trop bête pour mettre des mots dans le bon ordre. Bien sûr.

- Pardon ?

Cette fois, il ne riait plus. Il braqua son regard au mien, plus sérieux que jamais. La main qui était encore agrippée à la rambarde métallisée dans mon dos se tendit compulsivement. Il respirait avec calme, évaluant la situation avec précision, ne me quittant pas des yeux comme s'il craignait que je me volatilise. Et je ne bougeais pas. Je n'étais même plus certain de respirer. Cette proximité dont je n'avais pas profité depuis longtemps déclenchait en moi une vague sensationnelle et un peu effrayante d'envie, d'un besoin irrémédiable de me rapprocher de lui, d'être plus près, encore plus près.

Et Envy accéda à ma requête d'un mouvement vers l'avant, qui rapprocha nos corps si bien qu'ils venaient à se frôler, en une légère caresse de vêtements qui me paralysait. Alors il poussa un long soupir et ferma les paupières, tandis que je ne pouvais détacher mes yeux de lui, hypnotisé par son fabuleux visage.

- Je déteste quand quelqu'un d'autre te touche.

Je déglutis douloureusement. Mon pouls était irrégulier mais se complaisait dans un rythme endiablé qui raisonnait contre mes tempes et cognait dans ma poitrine. Je n'étais plus conscient de rien, si ce n'est de ces doigts qui venaient caresser ma joue, et de ces lèvres qui lentement s'approchaient des miennes.

Ce fut un baiser timide, rien à voir avec ceux que nous avions échangé jusque là. Une simple pression – délicieuse – de nos bouches l'une contre l'autre, un simple échange de chaleur. Nous nous goûtions chastement, devinant l'arôme de l'autre. Je demeurai immobile, paupières clauses, et tentai d'imprimer cette sensation magnifique à tout jamais dans mon esprit, même alors qu'Envy s'était reculé pour observer ma réaction.

Je rouvris les yeux longtemps après lui, conscient d'avoir l'air d'un parfait abruti, mais ne pouvant contrôler la déferlante d'émotion qui parcourait mon corps tout entier. Il m'envoya un sourire à la fois moqueur et tendre auquel je ne pus que répondre timidement.

Alors il y eu quelques grésillements, juste au dessus de nos têtes. Le plafonnier clignota un moment puis s'éteignit tout à fait, nous plongeant dans un noir total plutôt inattendu. Manquait plus que ça. Envy, toujours près de moi, ricana légèrement – un rire mi-amusé, mi-désespéré – et enfin le silence reprit place. Aucun de nous n'était prompt à se dégager de l'autre, sans pour autant tenter l'inverse.

J'ignore combien de temps nous restâmes dans cette situation, mon cœur tambourinant dans tout mon corps, mes yeux cherchant à voir l'invisible. Sa main, restée près de ma joue, s'était immobilisée un long moment, et ce n'est que lorsque son pouce reprit ses allées et venues le long de ma peau que je compris qu'il allait, une fois de plus, se charger de faire le premier pas.

- Ed… On ne joue plus, maintenant.

Je ne répondis rien, à la fois curieux de savoir où il voulait en venir, et outré qu'il ait pu croire un seul instant que j'étais en train de jouer.

- Tu… tu n'as qu'un mot à dire, reprit-il, et je te laisserai tranquille. Je… je ne sais pas ce qui m'arrive, et je ne sais même pas si je ne vais pas le regretter demain, mais le fait est que… j'en ai envie. Et si tu n'es pas de cet avis, alors dit moi simplement « non » et je ne te toucherai plus jamais. C'est promis.

Alors il se tut, attendant le verdict comme un condamné attendrait d'être puni suite à un long discours d'adieux. Je n'étais plus maître de moi-même. Ses paroles m'avaient conduit si rapidement à un stade avancé de la débilité que mes quelques neurones intelligents semblèrent avoir organisé un suicide collectif pour laisser place à mon instinct. Et celui-là voulait Envy. Il le voulait plus que jamais.

Je souris faiblement et avançai ma main, cherchant à l'aveuglette les traits parfaits de son visage. Ils finirent par se cogner doucement contre sa mâchoire, et j'y glissai mes doigts avec précaution, de peur d'abimer sa peau si incroyablement douce. Je le sentis frissonner, et lorsque mon pouce effleura tendrement ses lèvres encore humides, j'y décelai son souffle chaud et saccadé. Mon sourire s'élargit ; il était vraiment impatient.

Timidement, je me décollai du mur et lui apportai comme réponse un nouveau baiser, un peu plus prononcé peut-être, mais tout aussi léger. Contre mes lèvres, Envy sourit, puis sa main vint se loger dans mes cheveux et sa langue titilla doucement mes lèvres. Il ne me goûtait plus ; il savourait. Je glissai une main près de sa hanche et la seconde contre son torse puis l'attirai à moi, me languissant déjà d'une passion que j'avais tant de fois provoquée.

Je ne savais plus vraiment comment réagir à tout ce qui m'arrivait. Je ne savais plus quoi penser d'Envy, de notre relation, de nos gestes l'un envers l'autre, de ce besoin intarissable de le savoir près de moi, pour moi, murmurant mon nom et seulement mon nom. Mais tout cela importait peu. Je n'arrivais plus à réfléchir et me laissais guider par ses mains qui lentement découvraient mon corps, exploraient ma silhouette avec tendresse en m'arrachant quelques soupirs que je ne cherchais pas à retenir. L'une d'elles glissa dans mon dos, remonta jusqu'à mes omoplates avant de caresser mes flancs et lentement frôler mes fesses. Je rougissais d'impatience, vaguement conscient de notre incommensurable bêtise et de toutes les complications qu'elle allait engendrer. Son visage s'égara dans ma nuque, ses lèvres humides embrassant ma peau avec fougue. Ses mains ne se contentaient plus de frôler, elles voulaient toucher, savourer, se fondre dans ma peau. J'entendis les boutons de ma chemise qui sautaient et, par reflexe, je m'empressai de faire de même avec celle d'Envy. Il poussa un soupir d'impatience lorsque nos peaux dénudées se pressèrent l'une contre l'autre, et je fis glisser ce qui restait du tissu des épaules d'Envy dans des gestes vifs.

Je ne me contrôlais plus. Cet instant était trop parfait, trop merveilleux pour que je n'ai l'idée de retenir mes gestes. J'avais la sensation de renaitre, de guérir de mes blessures sous ses doigts, comme si les baisers d'Envy avaient le pouvoir d'apaiser mes troubles, de mettre fin à toute douleur. Cette obscurité me laissait deviner son visage, ses traits, gardait la surprise de ses gestes, développait mes sens jusqu'à pouvoir graver l'odeur de sa peau au plus profond de mon âme.

Il y eut un bruit de métal que l'on remue, juste en bas de mes reins. Puis je sentis que la pression de mon pantalon contre mes hanches se faisait de moins en moins présente, à mesure qu'Envy dégrafait tous les boutons. Malgré une excitation lancinante – et manifestement présente en vue de la douleur sourde au fond de mon boxer – je ne pus retenir un sursaut de stupeur lorsque les doigts délicats et probablement entraînés d'Envy commencèrent à caresser mon entre-jambes. Mes bras, qui jusque là encerclaient évasivement les épaules du Prince, se tendirent brusquement, et Envy ne sembla pas pouvoir retenir un petit rire amusé alors qu'il était occupé à embrasser ma nuque.

- Que se passe-t-il ?

La chaleur qui me monta aux joues dans l'instant fut telle que je pris la peine de remercier Dieu d'avoir fait griller cette ampoule. Je tentai de mimer une respiration régulière avant de répondre d'une voix mal assurée :

- Je… je me disais… si quelqu'un rentre, on… on est…

- Chut.

Le souffle velouté d'Envy dans mon oreille m'arracha de si violents frissons que je ce n'est qu'un accès de dignité mal placée qui m'empêcha de pousser un long soupir d'impatience. Doucement, il embrassa ma nuque puis remonta jusqu'à mon cou, pour aboutir sur ma mâchoire, comme s'il me picorait dans de petits baisers ; il glissa jusqu'à mes lèvres, s'attarda d'abord sur chacune de ses extrémités pour enfin venir doucement mordre l'une d'entre elles avant de reprendre son chemin. En parallèle, l'une de ses mains caressait mon torse tandis que l'autre titillait le bas de mon dos. Alors il embrassa ma joue, ma tempe, couvrit mon front de douces caresses humides et enfin revint vers mon oreille, qu'il lécha doucement avant de me répondre.

- Ils ne reviendront pas d'ici un moment, et quoi qu'il arrive personne n'aura l'idée de prendre l'ascenseur à cette heure-ci.

- Co… comment le sais-tu ? bégayai-je en tentant toujours de respirer convenablement malgré un désir croissant de me jeter sur le corps contre moi.

- Je le sais parce que la Reine habite au rez-de-chaussée et que Tucker déteste cet ascenseur. Et comme Rose est une fille pleine de bonté et qu'ils logent au même étage, elle l'accompagnera sûrement prendre les escaliers avant de retourner dans sa chambre.

Je déglutis avec peine, forcé d'admettre qu'il avait raison. Une partie de moi, celle qui avait envie d'Envy comme jamais, criait au soulagement ; l'autre accroissait en peur, plus ou moins consciente de ce qui allait se produire dans peu de temps.

Envy était un homme à femme. Il en avait eu des tas, connaissait les moindres recoins de l'anatomie humaine, savait quelle partie du corps caresser pour me faire réagir. Je ne pouvais nier son incontesté talent, ni même prétendre qu'il ne me faisait guère d'effet. Les mains d'Envy avaient sur moi le pouvoir fabuleux et un peu effrayant de m'arracher toute sorte de sursauts et de soupirs dont j'aurais rougi en temps normal. Mais l'idée restait dérangeante. Car après tout, qu'est-ce que j'étais, pour lui ? Un amusement de plus ? Une conquête supplémentaire à sa liste ? Un simple test, pour voir ce que ça donnait avec un mec ? Ses mains, ses lèvres, son odeur, sa voix me rendaient fou, m'intimaient implicitement de simplement m'abandonner à ses bras, de savourer le plaisir que l'on m'offrait sans réfléchir. Mais ma raison, mon cœur, celui qui saignait depuis des mois pour une raison qui m'échappait mais que je sentais poindre de plus en plus, m'obligèrent à éloigner un instant ce corps incroyable de moi d'un geste ferme.

- Ed ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Envy semblait perdu, un peu dépassé. C'était moi qui lui avais donné l'autorisation de me toucher, et voilà que je le repoussais. Mais je devais savoir. Je n'avais pas le choix.

- Envy… je suis quoi, pour toi ?

Même si je ne pouvais voir son visage, je relevai tout de même les yeux dans sa direction. Entouré par les ténèbres, je pus deviner un Envy immobile, hésitant, ne sachant quoi répondre de peur de me blesser, ou de simplement tout gâcher. Je ne m'attendais à rien de particulier, je n'avais pas même besoin que sa réponse me plaise. Probablement succomberais-je à ses bras quoiqu'il me dise. Mais il fallait que je sache.

Il y eu un mouvement, et son corps se rapprocha du mien, calmement. Sa main tâtonna mes épaules un instant puis glissa jusqu'à ma nuque, avant de s'enfouir délicatement dans mes cheveux précédemment décoiffés. Il pressa son front contre le mien et poussa un long soupir.

- C'est idiot à dire, mais je crois que tu es la personne qui compte le plus pour moi, désormais.

Sa voix était tendre, peu être un peu résignée, mais je n'y décelai aucune trace de mensonge.

Dans ma gorge, tout était bloqué. J'étais à peine capable de respirer. Envy me rapprocha de lui et posa doucement ses lèvres contre le miennes. Je ne savais comment interpréter la vague de bonheur qui me submergea à ces mots, mais elle m'apporta au moins la certitude d'une chose. Si j'avais jusque là dénigré ma dépendance vis-à-vis d'Envy, ce besoin inacceptable d'être près de lui sans comprendre pourquoi, j'étais aujourd'hui capable de l'assumer entièrement, quoiqu'il arrive. Envy pouvait faire de moi ce qu'il voulait ; il pouvait m'humilier, se moquer, me provoquer, jouer avec mes nerfs autant qu'il le désirait, car j'étais désormais certain que ses paroles venaient de combler une partie de l'énorme vide qui rongeait mon âme.

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Tadaaaaaaam ! Il était long, hein ? X'D Désolée, si ça vous a embêté... En tout cas, dîtes vous que vous aurez la suite de cette dernière scène dans le prochain chapitre, huhu !! Ne nous abandonnez pas ! :)

Merci encore !! A bientôt !!

By Yumi.