Quatrième tentation

La quatrième tentation n'en fut pas réellement une.

Après l'épisode de la maison de joie, mes relations avec Aziraphale devinrent encore plus tendues.

Nous étions à présent plongé dans le deuxième millénaire, mais pas de grand changement à l'horizon : nous étions toujours en plein Moyen-Âge. Les bâtiments sombres, épais et massifs avaient la cote. A l'extérieur des églises, les sculptures horrifiantes devaient rappeler aux pauvres mortels les dangers que l'Enfer promettait. Bienvenue à l'époque romane !

J'essayais de croiser l'ange le plus souvent possible. Mais il m'évitait soigneusement et jamais il ne tomba dans les pièges que je lui tendais. (1)

Je savais que, s'il voulait chuter, il le ferait. Ce n'était qu'une question de temps.

Cette époque charnière fut probablement la plus sombre, pour nous deux.

Nous nous acharnions, chacun de notre côté, à soit donner la rédemption, soit à faire chuter les humains. J'avais découvert une facette de l'ange que je ne soupçonnais pas. Et d'une certaine façon, cela me fascinait.

Alors qu'aux yeux du monde, il paraissait toujours l'ange descendu sur terre, qui œuvrait pour Son bien, je savais, profondément en moi, que mon Ennemi avait changé.

L'avais-je fait douter ? J'en étais à peu près sûr.

Aziraphale n'était pas aussi blanc qu'il le paraissait. J'avais fini par le comprendre, petit à petit. Il était curieux et, même s'il aimait la terre et les humains...il réfléchissait trop, pour un ange.

C'était cet élément-clé, la réflexion, qui avait fait chuter nombre de mes frères (2). Et mon Ennemi, tout comme moi dans mes jeunes années...se posait trop de questions.

Lentement mais sûrement, je le voyais trébucher. Aurait-ce été un crime de le pousser légèrement dans le dos ?

L'ancienne ardeur qui le caractérisait semblait s'être fanée. Il se battait encore, oui, mais il semblait de plus en plus dégoûté par ses alliés, aussi bien par ses lointains confrères angéliques – si stupidement bornés, si imbécilement dociles – que par les humains qui se prétendaient sous les ordres de Dieu.

Un ange, dans la hiérarchie de l'Église ? Aziraphale aurait pu y songer, si la vie des prêtres ne le dégoûtait pas tant.

« Ils ne font que répéter encore et encore les mêmes phrases sans les comprendre ! Ils croient sans croire. Ils boivent des paroles qu'ils ne saisissent même pas ! » me confiera-t-il, d'un ton partagé entre l'horreur, l'écœurement et la peine, quelques siècles plus tard, une fois que nous serions tous les deux plus ou moins "amis".

Quant à moi, je continuais de faire mon boulot. Assez mécaniquement, je dois l'avouer. Je m'occupais plus à contrecarrer les plans de l'ange qu'à m'investir dans mes propres inventions. Les humains me paraissaient bien pâles, presque sans intérêt, face à l'ange que je voyais tout doucement flancher, tout doucement se décourager. Et puis les humains étaient si doués pour se tenter seuls. Ils débordaient de tellement d'imagination, avaient-ils encore réellement besoin de nous ?

Coup sur coup, je détruisais les entreprises de l'ange, empiétais sur son terrain, raflais les âmes qu'il avait durement gagnées. Je travaillais plus à faire chuter la Principauté qu'à réellement grossir les rangs de nos fidèles.

Mais comme le résultat revenait plus au moins au même, au final, et que les Ducs ou Lucifer n'étaient pas très regardants quant aux méthodes que j'employais, je n'essuyais aucune remarque.

Personne n'avait connaissance de ma petite fascination pour l'ange. Elle aurait été malvenue. Déjà qu'on nous considérait trop proches de l'entente, au Jardin d'Éden...

Fraterniser avec l'Ennemi n'était pas bien vu, des deux côtés. Et faire passer ça pour de l'espionnage ne marcherait pas. Tout est blanc ou tout est noir, il n'y a pas d'entre-deux.

Seulement, la vie sur terre nous avait peu à peu contaminés...nous avait appris à mêler les couleurs.

Rien n'est aussi facile ni aussi tranché. Eux, le savent. Peut-être est-ce justement pour ça qu'ils le cachent aux autres démons et anges ? Peut-être est-ce pour cela qu'ils préfèrent les maintenir dans l'ignorance et les garder loin de la terre ? Ce que les autres voyaient comme un châtiment, je le voyais comme une bénédiction.

Il savait pertinemment comme l'Enfer pouvait être d'un ennui mortel.

Au moins sur terre avais-je mes...distractions.

Je continuais à avoir des contacts avec En-Bas, bien entendu, mais je me contentais des rapports habituels, ne cherchait pas à nouer de véritables liens avec eux.

Mes confrères démons semblaient bien éloignés de moi, après si longtemps passé sur terre. Ils ne comprenaient rien à la vie humaine. Leur monde se limitait à : du feu et faire mal. Peu diversifié, vous en conviendrez. Et puis, à la surface, Aziraphale était ce qui se rapprochait le plus de ma condition. Celui qui me ressemblait le plus, celui qui pouvait me comprendre quand je parlais d'une anecdote remontant à il y avait des siècles sans vouloir aussitôt m'enfermer à l'asile (3).

Avait-il oublié notre discussion suite qui avait suivi l'erreur que nous avions commise, dans le Jardin ?

« En fait, tu sais, je me demande si cette histoire de pomme n'était pas le mieux à faire. Un démon peut s'attirer de gros ennuis, s'il fait une bonne action. Ce serait marrant, hein, si on s'était trompés tous les deux ? Marrant si j'avais fait la bonne action et toi, la mauvaise ? »

Dès le départ, en réalité, nous avions été trop...proches ? Trop complices ? Je ne sais pas quel terme convient exactement à notre relation. Mais assurément, notre ton amical n'avait pas été bien vu. Taper la causette avec un ange, sans chercher à lui faire du mal, ça fait tâche pour un démon.

Je ne sais pas réellement ce qui nous a poussé à ne plus nous parler. Nous ne entendions pas si mal en Éden. Peut-être Aziraphale m'en avait-il voulu de sa chute. Mais il était tout aussi responsable que moi. Sauf que son erreur avait été son humanité.

Il n'aurait jamais dû prendre Adam et Ève en pitié.

Mais c'est le passé. Du fait de sa nature d'ange, Aziraphale ne devait pas être rancunier. Théoriquement, du moins. En vérité, je le soupçonnais d'avoir un très sale caractère, quand il ne se refrénait pas.

Ce serait amusant d'amener la Principauté à jurer comme un charretier. Hm...idée à creuser.

Enfin, je divague – encore –, pardonnez-moi. Où en étais-je ? Ah oui, notre ancienne connivence réduite à l'état de cendres une fois que nous perdîmes nos ailes. Hm. Moment douloureux.

Enfin...malgré notre récente mésentente – il semblerait qu'être uniques représentants de chaque côté nous avait un peu plus éloigné l'un de l'autre –, nous partagions beaucoup de traits communs.

Ne serait-ce que parce que nous étions tous deux de "stock" angélique.

Comme je l'ai dit un peu plus haut, Aziraphale avait perdu sa fougue, en ce début de deuxième millénaire et moi, j'étais tout prêt à l'accueillir dans mes bras, une fois qu'il serait tombé.

Je venais, une fois de plus, de lui voler une brebis juste sauvée. Dans ces temps obscurs, sauver les âmes devenait particulièrement ardu. La propagande architecturale de l'Église ne fonctionnait pas aussi bien que prévu.

Il faut dire que, franchement, niveau accueillant...l'époque romane avait beaucoup de progrès à faire.

Bref, à cette époque-là, mon côté gagnait. Et ça mettait l'angelot en rogne. Je n'arrêtais pas de lui tirer dans les pattes et il en était excédé. Lors de nos rares rencontres infortunes, je me faisais fusiller littéralement du regard. Ne croyez pas qu'un ange est forcément gentil. Aziraphale, quand il est de mauvais poil, ne l'est assurément pas.

Je n'avais pas envie de le laisser gagner. Ç'aurait été trop facile. Alors, je le narguais, chipait sous son nez de probables futurs Saints. A votre avis, pourquoi vous n'avez jamais eu de Sainte Fionna ou Sainte Cassandre ? Je les ramassais avant lui, évidemment.

Mais les vengeances d'Aziraphale – qui techniquement, ne se venge pas mais ne fait que défendre la Voie du Seigneur...mouais bof hein – étaient presque aussi mesquines que les miennes. Retrouver devant ma porte un chœur d'église au réveil est très fourbe. Et absolument inutile. Mais de temps en temps, l'envoyé d'En-Haut agit aussi comme un gamin. (4)

Notre petite guéguerre continua comme ça un petit temps. Nous ne nous lassions pas. Aziraphale refusait de m'écouter dès que je parlais de ressemblance ou de collaboration. Pourtant, un jour, il craqua, après un événement dont j'ai oublié l'exacte teneur, je l'avoue.

Alors eut lieu l'Accord. On devait être en 1020, dans ces eaux-là.

Ah, attendez, je viens de me rappeler ! C'était dû à une histoire de tremblement de terre à Rome et de Vendredi saint. La poisse, comme on dirait maintenant. A l'époque, on accusa les Juifs, je pense. Il était pas fort tolérant Benoît VIII.
Quand on pense que c'était un Duc de notre côté qui avait eu un petit souci technique. Très opportun et bien calculé, certes. Mais juste un souci technique. Promis. Parole de démon.

Aherm, donc, l'Accord. Qui a une grande lettre juste pour faire joli et parce qu'il date d'il y a un bout de temps. L'Accord, tellement simple en soi mais radicalement efficace. Tu t'en tiens à tes affaires, je m'en tiens aux miennes. Tu ne joues pas sur mon terrain, je ne joue pas sur le tien. Nos patrons respectifs sont contents, chaque côté est gagnant !

Un premier pacte avec l'ennemi. Même si ça avait l'air innocent, rien ne l'était. J'avais savamment calculé mon coup. Lui faire une proposition alléchante qui ne présenterait en apparence que des avantages et aussi inoffensive et mignonne qu'un bébé phoque – il ne pouvait qu'accepter. (Aziraphale a toujours aimé les phoques. J'ignore pourquoi.)

L'Accord fut ma quatrième tentation, qu'Aziraphale n'a jamais perçue comme telle. Mon premier pas sur la Grande Voie qui me mènerait à sa chute mais également le premier pas vers ce qu'on pourrait nommer plus tard...l'amitié.

Ça, par contre, c'était pas vraiment prévu.


(1) Et puis il passait la plupart de son temps enfermé dans des bibliothèques ou des églises...lieux que je ne porte pas réellement dans mon cœur, il faut l'avouer.

(2) Bien que, malheureusement, les Ducs les plus importants semblent être aussi idiots que des asticots. On envoyait les plus intelligents au plus bas de l'échelle...Quand je vous qu'en Enfer, on fait tout à l'envers...

(3) Quoiqu'il est possible qu'il ait eu cette volonté à un moment ou un autre...je ne suis pas quelqu'un qu'il supporte très longtemps.

(4) Faut pas croire, le fusil à eau, c'est lui qui l'a inventé...pour contrer les chaleurs estivales, paraît...pour me tremper, ouais !


Atmosphère : Rotten World – Coma Divine / If I Die Tomorrow – Mötley Crüe, 7 février 2011

(silence) – 1er mars 2011

(silence) – 27 juillet 2011

ANNONCE AUX FANS DE GOOD OMENS !

J'ai découvert, il y a peu, la disparition d'une fic que j'adorais : Les démons, les anges et les canards. Je n'ai qu'un lien mort et de vagues souvenirs de la fic. Si jamais vous connaissiez l'auteur ou que vous avez une copie de cette fic...dîtes-le moiii.

Oh, pour la citation du Jardin d'Eden...je n'ai pas le bouquin sous la main (l'ayant prêté) et donc j'ai traduit à partir de la version anglaise que j'ai trouvé sur Internet, ce qui explique qu'elle diverge de celle que vous trouverez dans la VF.

Cette quatrième tentation est...probablement nulle, je l'avoue, mais je manque cruellement d'inspiration (page blanche, quand tu nous tiens) et je n'avais plus beaucoup d'idées. J'ai fini d'écrire cet OS à 1h30 du matin, aussi...Mon humour débile semble s'être fait la malle, pff.

Bref, désolé pour cet écrit de qualité plus que médiocre^^' J'essaierais de me rattraper par la suite.

Sorn