Bonsoir à tous! Celui-là, il est pas marrant, mais il est dédicacé à Kiko, Tama-abi, emeline, incitatus et Flore Jade. Je ne sais pas encore si je vais écrire une suite. Ca prend du temps. Moi, du temps, j'en ai trop peu, hélas.

Enjoy

OoO

"Vous êtes séropositif."

Dans le cabinet du Docteur Stanford, tout est calme. Même mon sang, désormais vicié, l'est aussi. J'étais venu passer une visite médicale obligatoire à Sainte Mangouste pour me faire entrer dans le corps des Officiers Supérieurs sur ordre de mon capitaine d'unité de la Brigade des Aurors.

La pendule derrière lui suit son mouvement, son balancier de cuivre se balance avec une régularité presque aussi paisible que l'air qui va et vient dans mes poumons sales.

"Hum hum."

Il me rappelle que je suis encore vivant. C'est vrai. Je braque mon regard sur ce petit docteur atteint de calvitie et de professionnalisme asceptisé. Ses yeux me fixent en tremblant un peu, signe qu'il attend que j'explose.

Je n'ai pas l'intention d'exploser maintenant. J'ai tout mon temps.

"Vous savez, au stade où en est la maladie, vous en avez pour encore quelques années. Peut-être cinq ans, dix, si vous vous astreignez à un régime de vie plus sain..."

La pendule se râcle la gorge derrière lui: il est dix heures du matin. Dans ma vie, désormais, les minutes et les heures devront s'inverser, et couler à l'envers. Ca risque d'être un peu délicat.

OoO

"Eh, Malefoy!"

Le blond se retourna. Sa femme était d'une vulgarité inacceptable, et ce depuis leur première nuit de noce. Il avait supporté cette nature rustre avec patience, du moment qu'elle ne se manifestait pas à l'extérieur du Manoir. Malefoy prenait soin de son image, et il aurait pu répudier son épouse, si cette dernière n'avait pas eu la présence d'esprit de restreindre ses sorties hors de la propriété.

Depuis deux ans, il méditait chaque jour un peu plus sur la valeur d'un Sang Pur. Parfois, il serrait les dents en arrivant à la conclusion suivante: sa femme était aussi Pure de Sang qu'elle était grossière et insipide de coeur, et il se reprenait en se disant qu'au moins, elle n'intervenait pas dans ses affaires.

"MALEFOY!"

Elle avait une voix rageuse et tonitruante, abjecte à l'oreille affûtée de son mari. Il fronça les sourcils. Elle marchait sur lui en faisant claquer ses talons aiguilles sur le dallage de marbre du Salon Privé. Elle avait l'air impétueux.

"T'as pas reglé le traiteur pour dimanche! Tu crois que je vais le faire, p'tet?"

C'était donc cela, la cause de cette agitation importune. Le blond leva les yeux au ciel. Merlin qu'il regrettait d'avoir eu l'honneur de convoler avec une des descendantes les plus directes de Serpentard (cela étant, elle était une petite petite petite petite petite petite nièce, au deuxième degré, ou quelque chose dans ce genre).

La pendule sonna dans une pièce atenante: un son glauque, pareil aux glas qui sonnaient dans les campagnes arides d'Espagne il y a longtemps.

"Il est dix heures du matin, coco! J'dois aller chez Millicent! J'veux qu'ça soit fait quand je rentrerai!"

Il serra les lèvres, et inspira un grand coup. Son épouse resta plantée d'une manière ridicule devant lui en attendant qu'il réponde. Il lui jeta un regard glaçial et sa voix se durcit:

"Ne t'avise pas de flâner du côté du Chemin de Traverse."

"Ouais, ouais, c'est ça."

Elle fit volte face et se rua hors de la pièce. Ses talons claquèrent sur le parquet du couloir jusqu'à ce qu'elle ferme la porte d'entrée. Malefoy appella un elfe de maison et lui demanda de la suivre discrètement. Si elle devait désobéir à l'ordre qu'il lui avait donné, l'elfe devrait l'avertir immédiatement. Il enfila son manteau, passa son écharpe autour du cou, et transplana jusque chez ce fameux traiteur.

OoO

Des fois, je me dis "Tu meurs dans dix secondes.". Je compte les secondes, et je suis encore vivant. Ronald m'a apporté la lettre de refus d'intégration dans la Brigade. Il avait l'air embarrassé. Je devrai m'y faire, à ça, à ce genre de regards. Pour le moment, je prends cela comme une curiosité: avant, j'étais l'orphelin. On m'adressait des sourires compatissants. On se tordait les lèvres avec une gêne ostensible, mais paternaliste.

Les maladies vénériennes ont encore un parfum de sali. Les gens n'aiment pas ce qui est sale. Ils baisseront les yeux pour ne pas attraper ma maladie par aucun contact que ce soit. Certains seront plus francs: ils ne chercheront pas à me rassurer: ils vont me dire qu'avec tous les déboires dans lesquels j'ai plongé depuis la fin de la Guerre, cette maladie me foutra un peu de plomb dans le crâne.

Aujourd'hui, j'ai un pied dans la tombe, je suis le condamné, le contaminé. Les regards n'ont plus la même nuance de malaise. Ils sont plus criants, quelque part: ils crient que je l'ai bien mérité, que je vais leur transmettre ma maladie si je les touche, qu'ils n'espèrent plus coucher avec moi comme par le passé.

Oui, tout ça, toutes ces conneries, c'est du passé.

Ginny est passée me voir: elle m'a montré les photos de ses enfants. Je me suis retenu de lui dire qu'ils allaient mourir de toute façon. Ses yeux étaient rivés sur ses enfants, ils ne me voyaient plus. Hermione a insisté pour rentrer plus tôt d'Oran. Elle a décalé le sommet avec la Société des Chamanes Maghrebins pour venir me traîner au cinéma avec elle. Bien entendu, la Premier Ministre et le Survivant ensemble au cinéma, j'ai encore eu droit à la première page. Les paparazzis ne quittent pas mon quartier. Ils attendent que j'ouvre les rideaux de mon appartement.

Ils peuvent toujours crever.

Ah, mais j'oublie que je vais mourir avant eux. Sauf s'ils se font assassiner par leurs femmes avant. Ou qu'ils tombent dans une bouche d'égoût non sécurisée. Ou qu'ils décident de se suicider.

Je ne vais pas me suicider. Je compte les minutes. Les chiffres passent sur mes lèvres, et s'envolent. Ils s'enfuient, et ne reviennent pas. D'autres décollent, et mes lèvres ne se ferment presque jamais. Je compte en silence. Ma voix ne résonne pas, mes yeux restent sereins, mes jours sont comptés, mes nuits sont oubliées, mes espoirs, je n'en ai plus.

Seamus est venu me parler d'un auteur moldu. Un bouquin à la main, l'air enjoué. Il me l'a lu, son livre. Moi, je fixai sa montre. L'aiguille vive des secondes tournait sans faute, la grande aiguille se mouvait dans une tranquilité nonchalante. La petite aiguille sautillait à tout petits pas autour du cadran. Seamus me lisait en mimant les voix des personnages. Il riait tout seul quand il trouvait un passage amusant, et il lui arrivait de buter sur un mot.

Les aiguilles ne rient pas, elles ne butent sur rien, elles sont impartiales.

Moi aussi je veux ma dose de soma, je veux mon Meilleur des Mondes.

Cette nuit, à trois heures du matin, j'ai décidé de me l'approprier, ce Meilleur des Mondes. Et dedans, il y aura du soma.

OoO

"T'as vu, Potty et sa pouffe étaient ensemble dans un cinéma moldu!"

Drago sursauta. Il jouait aux échecs avec son ami Blaise Zabini. Sa femme venait de faire irruption dans le Bureau, une pièce réservée au chef de famille, dans laquelle personne d'autre que lui n'était autorisée à entrer, sauf sur décision du pater familias.

La petite horloge héritée de son père sonna onze heures du soir. Un tintement de cloche léger et presque lyrique. Il fixa l'objet pendant un instant, prenant subitement conscience de la vitesse à laquelle la soirée avait défilé sur l'échiquier. Zabini suivit son regard ; son visage s'assombrit. Malefoy était toujours choqué par sa propre subjectivité du Temps qui passait. "Les heures", lui disait-il souvent avec un air emporté "prennent un malin plaisir à s'allonger quand je suis seul avec ma femme. Quand je suis avec toi, elles s'envolent à une vitesse atroce."

Malefoy suivit la grande aiguille tourner autour de son axe à un rythme normal. Le Temps objectif était un tel traître. Il posait sur les fronts les heures oubliées, tiraient les cernes sous la peau des chronophages, et continuait de les toiser avec la même régularité.

"Regarde!"

Elle pointa de son index une photo en première page d'une Hermione Granger prête à masquer la photo de sa main. Potter avait l'air piteux. Il remonta ses yeux lentement, vers sa femme. Elle s'attendait sûrement à ce qu'il réagisse avec mesquinerie, qu'il critique la conduite de ses deux ennemis d'enfance, qu'il se moque de la tête morne de Potter. Mais il se contenta de dévisager sa femme sans rien dire.

Au bout de quelques minutes, elle se sentit ridiculisée.

"T'es vraiment qu'un Veracrasse!" Beugla-t-elle en quittant la pièce en tempête.

Zabini avait la tête tournée vers le feu ronflant. Il avait sur les lèvres une paillette de sourire. Drago s'en aperçut et, déplaçant son fou vers le cavalier de son adversaire, il soupira:

"Je suis un héritier indigne. Aujourd'hui, je m'offusque plus de la conduite de mon épouse que je ne me raille de la conduite de Potter."

Zabini haussa les épaules. Il vit son cavalier piaffer de terreur face au fou si près de lui.

"Tu devrais peut-être arrêter de te comporter comme les convenances l'exigent, Drago. Je ne te reconnaîs plus depuis trois ans."

"J'ai fait le serment à mon père que je serai à la hauteur de la réputation de notre lignée, je l'ai fait sur son lit de mort."

Lucius et Narcissa étaient décédés à la suite d'un attentat. Leur engagement compromettant du côté des Mangemorts à la fin de la Guerre leur avait valu quelques inimitiés. Les coupables n'avaient pas été retrouvés.

Blaise déplaça son pion devant son cavalier. Il scruta l'échiquier un instant, et leva les yeux:

"Tu vas la supporter encore longtemps, cette garçe?"

"Aussi longtemps que ma patience me le permettra..." souffla Malefoy.

Sa reine pouvait enfin fondre sur celle de son adversaire. Il ne cilla pas. Blaise fut bouche-bée.

"Je l'avais pas venu venir, celle-là."

"Moi non plus." murmura Drago en perdant son regard gris dans les flammes. Blaise fut certain qu'il ne parlait pas d'une reine d'échiquier.

OoO

De la Félicité en pillules, dans de longues seringues, ou en poudre. Les moldus avaient la solution, en fin de compte. C'est un peu comme avoir un orgasme pendant des heures. La drogue apesantit le corps, et l'âme semble s'en échapper avec une grâce libertine. Je flotte dans mon appartement, ou au dessus du cosmos. Je vole, je vole loin de tout. J'oublie enfin! J'oublie! J'en ai les larmes aux yeux! Je file, libre, dans un morceau de néant, où rien ne dure, où rien n'est important, atemporel, puissant. Je balançe tout par mes fenêtres, je veux vivre!

J'ai l'impression de descendre dans un tourbillon lumineux, de courir vers une porte, je cours, je cours. Quelle sensation extraordinaire! Merlin, c'est le plus beau jour de ma vie! Je sais que mon corps tombe en ruine, mais mon esprit veut voler, voler plus haut! Icare, et ses ailes de cire, Icare qui a eu droit à la plus belle chute sur Terre, qui a caressé le soleil de sa main. Il l'a frôlé, il s'est brûlé. Je veux partir loin d'ici, et je sens mes jambes qui volent. Je laisse tout derrière moi! Les douleurs, les doutes, les poses tranquilles, les secondes et les années! Je suis libre!

Des couleurs fusent ici et là, des couleurs en flash, des lumières, des photographes, ils me prennent en photo! Je sais pourquoi. Je vole et je les emmerde tous. J'explose enfin.

OoO

"Monsieur?"

Malefoy était concentré sur la rédaction d'un projet de loi à faire voter par le Parlement. Granger serait obligée d'abolir ses décrets sur les taxes de Sang Pur. Il leva la tête et ses yeux indifférents se posèrent sur un elfe de maison, qui se tortillait sur place.

"Oui?"

"Il y a un de vos détectives qui voudrait s'entretenir avec vous..."

La voix de l'elfe était aigue, et désagréable. Malefoy fit un mouvement incertain de la main:

"Fais le attendre dans le Salon Privé, je te prie."

L'elfe s'inclina et disparut dans un "pop" de la pièce. Malefoy termina sa phrase, jeta un coup d'oeil à la petite horloge de son père: il était trois heures et quart: il pouvait encore terminer son projet avant dix-sept heures, s'il se pressait. Il se leva, et se dirigea vers le Salon Privé. Il y vit un homme essoufflé et haletant, qui tripotait nerveusement son chapeau. Dès qu'il le vit, ses yeux s'arrondirent d'horreur:

"Oh, je vous vois enfin! C'est terrible, Monsieur! Terrible! Votre épouse..."

Malefoy croisa les bras. Il n'était pas d'humeur à être munificent:

"Qu'y a-t-il? Encore de nouvelles dettes de jeu?"

L'homme, long et rabougri, secoua négativement la tête, avala sa salive et balbutia:

"Elle... Elle est à Sainte Mangouste! Elle se déplaçait dans Londres grâce à une automobile qu'elle avait louée... Elle a déclaré qu'elle ne voulait pas qu'on vous en parle mais elle se dirigeait vers le Casino Dobinson..."

Drago esquissa un rictus amer et plein de désillusions. Cette femme, elle allait le briser lentement. Le type reprit avec précipitation:

"Elle a renversé quelqu'un! Et pas n'importe qui! Harry Potter! Elle a envoyé Harry Potter à Sainte Mangouste!"

Drago se passa une main sur le visage. Il se sentait las. Quelle foutue salope avait-il prise pour épouse? Il n'avait exigé d'elle que cette condition sine qua none: elle ne devait pas compromettre la Maison Malefoy en public. Voilà que Potter était impliqué, cela rendrait l'affaire plus scandaleuse encore. Il était sur un projet de loi. S'il était éclaboussé, il allait sans dire qu'il devrait laisser tomber ses ambitions politiques.

"Amenez-moi Potter ici. Il suivra des soins au Manoir. Personne ne doit savoir ce qui s'est passé."

L'homme hocha la tête.

"Vos désirs sont des ordres."

Le projet ne serait pas fini dans le temps imparti. Foutue conne. Foutu Potter. Foutu quotidien. Chienne de vie.

OoO

Ca fait combien de temps que j'ai les yeux ouverts sans pouvoir comprendre où je me trouve? Depuis combien de temps suis-je allongé? Quand est-ce que je pourrai retourner à mes pillules et mes seringues?

"Ne bougez pas, s'il vous plaît."

Un elfe de maison souriait, d'un côté du lit. Il passait son doigt sur une blessure refermée superficiellement. Il était fier de servir le célèbre Harry Potter. Pas de pitié dans son regard, pas de gêne. Il ne savait donc pas.

Je me sens lourd, j'ai le coeur pris dans un étau, un étau solide qui le comprime et le tourmente. Ma belle évasion, où s'est-elle enfuie? Je voudrais repartir. Je suis immobile, et je ne peux que cligner des yeux sur une pièce lumineuse. Pas de rideaux devant les fenêtres. Pas de paparazzis, pas d'amis à mon chevet. Mes pillules. Je veux mes pillules. Je veux. Je veux! JE VEUX! C'EST MON DROIT! JE SUIS CONDAMNE!

"Potter, arrête de gémir, c'est déjà difficile à supporter comme ça."

Je reconnaîs cette voix. Elle est autoritaire, rugueuse et teintée d'un peu de gravité. C'est celle d'un type qui souffre. La mienne, quand elle m'échappe, elle chante les mêmes notes. J'essaye de tourner la tête. Merlin que c'est douloureux, que mon corps est lourd! J'en pleurerais.

"Le soin est fini pour aujourd'hui, Monsieur."

L'elfe de maison me sourit. Il claque des doigts et disparaît. Je suis seul avec la voix silencieuse. Même en me forçant à ravaler mes larmes, la douleur est trop forte. Je ne saurai pas qui me galvanise avec une telle rigueur. J'ai envie de hurler tant je voudrais mes pillules et ma poudre, mes seringues et mon oubli.

Tic tac tic tac tic tac. Le temps passe près de moi. Il y a une montre. Je peux presque deviner le mouvement sempiternel des aiguilles. Tic tac tic tac tic tac. Dans dix secondes, je meurs. Un. Deux. Je veux mourir maintenant. Trois. Je voudrais tellement que ça soit possible. Quatre. Cinq. Six. Je me demande si pour une fois, je pourrai me reposer. Sept. Huit. Neuf. Donnez moi une baguette et je saurai quoi faire. J'en meurs d'envie. Dix.

OoO

"Alors?"

Basile garda un oeil scrupuleux sur l'échiquier. Malefoy déplaça distraitement son fou. Blaise réprima un sourire. Le visage de son ami était maculé de nuages sombres.

"Alors il délire, il parle de "pillules", de "seringues", de "poudre". Il hurle souvent, il a l'air de souffrir et pourtant je m'assure en personne du bon déroulement des soins magiques. Il ne devrait pas avoir mal."

Zabini déplaça son pion sur le fou de son adversaire. Il allait gagner, ce soir.

"Je parlais de ta femme, Drago." Ajouta-t-il, fasciné par la façon dont le pion avait massacré le fou.

"Oh." fit Malefoy. Il se rendit compte de la manoeuvre de Basile et haussa un sourcil. La petite horloge sonna dix heures. Personne n'y fit attention.

"Elle m'a fait savoir qu'elle faisait préparer les papiers du divorce."

Basile toussa discrètement pour dissimuler son rire. La reine de Malefoy était retournée dans tous les sens entre ses doigts fébriles.

"Finalement, c'est toi qui t'es fait larguer... Mec, c'est pas cool."

Le blond ne répondit pas. Il était plongé dans ses pensées. Basile se mura lui aussi dans un profond silence. Il n'avait vu qu'une fois cet air écorché chez son ami. Il savait qu'il était entier, imprévisible, mais jamais d'ordinaire l'aristocrate ne se laissait aller à une mélancolie manifeste, ni à une méditation exacerbée par un air distant. Homme du monde, Drago n'avait jamais les yeux rivés sur une pensée invisible. Il le posait toujours sur une montre ou une horloge pour se plaindre du peu de temps dont il disposait.

La seule fois où il s'était laissé aller avec une telle évidence était au chevet de son père à l'agonie. Trois jours durant, la mort avait hanté le corps du père et les yeux du fils.

"T'as plus besoin de garder Potter, maintenant que ta femme s'apprête à reprendre son nom de jeune fille..." Roucoula Zabini en dévorant des yeux une tour sur une case écartée.

"Je ne le laisserai pas partir tant qu'elle sera encore mon épouse." Trancha soudain la voix de Drago. Il était de nouveau présent, et il allait encore gagner ce soir.

OoO

Je peux enfin parler. Mais je ne parle plus depuis longtemps. A quoi bon parler à tous les visages masqués par la pitié? Ils sont tous pareils, à deux ou trois nuances près. Je suis donc muet. J'écoute doucement les heures grinçer. De temps à autres, un elfe vient me prodiguer des soins. Il me parle du temps qu'il fait dehors, de la politique absurde de la Premier Ministre et de quelques nouvelles du Monde, dont je me fiche éperduêment. Mon monde tourne autour d'un cadran, et j'espère mourir toutes les dix secondes, sans pouvoir parvenir à mes fins.

Tic tac tic tac tic tac tic tac tic tac tic tac. Monotone et serein, le temps s'impose à moi. Il me parle des secondes perdues, celles que je ne pourrai plus jamais utiliser pour m'envoler au dessus des cieux. J'en pleure.

Mes pillules. Mes seringues. Ma poudre. Mon foutu virus. Je veux mon soma. Chaque être humain a besoin d'une substance addictive dans sa vie: certains ont besoin d'adrénaline, d'autres de nicotine, d'autres encore de caféine ou de téine, certains veulent de la taurine, d'autres sont dopés à la théobromine... Amphétamines, Alcaloïdes, Cannabinoïdes, hormones, tout est bon pour oublier un instant.

Je ne veux pas oublier qu'un instant, mais tellement plus longtemps qu'un instant. Je veux oublier pour toujours. Pas possible.

Tic tac tic tac tic tac tic tac tic tac tic tac. Ca n'a pas de sens. Où est-ce que je vais, comme ça? Je veux pleurer. Mais je ne suis pas chez moi, je ne peux pas. Pas possible.

J'ai une idée.

OoO

Drago eut à peine le temps d'être frappé de terreur.

"POTTER! POTTER!" Il secoua le corps inerte du Survivant en haletant, le corps étendu par terre auprès de son lit, des morceaux de verre plantés dans les veines. Le sang suintait depuis déjà quelques minutes. Malefoy paniqua, il sentait son souffle se raccourcir, tandis que les lèvres de son ennemi d'enfance étaient scellées.

"POTTER! REVEILLE-TOI! SUNNY!"

Un elfe de maison apparut, un sourire aux lèvres. Il fut frappé d'horreur devant la scène ensanglantée, d'une violence latente. Drago cria:

"APPELLE UN MEDICOMAGE!"

L'elfe disparut pris dans un émoi affreux. Drago baissa la tête, presque pour la reposer contre sa poitrine. Sa femme l'avait quitté, elle s'était faufilée discrètement entre les médias pour gagner l'Italie. Sûrement un "cadeau" qu'elle lui faisait en restant effaçée. Il gardait Potter auprès de lui sans vraiment désirer le renvoyer. Il était théoriquement hors de danger. Ses belessures avaient cicatrisés, il avait même recouvré l'usage de la parole, selon les dires des elfes de maison.

Alors pourquoi à chaque fois qu'il venait lui rendre visite - en faisant bien attention de ne pas être remarqué du convalescent -, Potter lui avait-il paru de plus en plus blême? Il avait l'impression d'être le témoin de la décrépitude lente d'un corps. Et curieusement, il pensait souvent aux circonstances de la mort de son père en contemplant ce corps immobile et pâle. Narcissa était morte sur le coup. Elle n'avait pas souffert.

Mais Lucius, pendant trois jours, avait poussé des hurlements insupportables. Son fils se bouchait les oreilles, pour ne plus entendre, mais même les traits de son père trahissaient une agonie des plus atroces.

Potter était muet, même s'il avait crié, lui aussi. Il n'était plus blessé, et pourtant, il était de plus en plus faible. Tenter de se suicider... Que lui était-il passé par la tête? Est-ce qu'il savait à quel point il avait effrayé Drago?

Potter était léger. Il avait perdu du poids. Il avait les joues creuses. Son coeur battait lentement, très lentement. Il semblait perdu au fond de son ventre. Babam. Babam... Babam. Babam...

OoO

"Il est séropositif."

"Vous croyez que cela pourrait expliquer sa tentative de suicide?"

"Ah ça. J'en ai vu, des types comme lui qui voulaient choisir leur mort. Ca ne m'étonnerait pas."

"Il lui reste combien de temps?"

"Avec un accident grave et une tentative de suicide?... Pas grand chose, vous savez."

Il y a des voix autour de moi. Il y a de la lumière. J'ai encore échoué.

"Qu'est-ce que je dois faire?"

Cette voix! Je la connaîs! Je la connaîs! Elle est plus inquiète que la dernière fois. Où sont mes pillules? Mes seringues? Ma poudre?

"Le plus important pour lui, c'est d'oublier."

Celle-là, elle est ronflante et pleine de pédanterie. Elle m'intéresse pas, elle n'a pas les allures d'un ange. Je tourne ma tête. Mes yeux me font mal. Mes poignets aussi. Ils sont zebrés de cicatrices hideuses. Ils sont attachés par des lanières en cuir. Prisonnier du Temps, de la maladie et du Monde. Je sombre. Je me sens couler avec mon corps.

J'aperçois une tête blonde. Des yeux gris. Ils se penchent sur moi. Ils ont l'air de savoir que je ne leur parlerai pas. On dirait ceux de Malefoy.

OoO

"Il l'a contracté comment, ce virus?"

"D'après toi, Zabini?"

La partie d'échec de la semaine était terminée. Une fois encore, Drago avait prouvé sa supériorité intellectuelle en élaborant une stratégie foudroyante. en cinq coups, le roi de Blaise était Mat. Ils discutaient sous le tic tac impassible de la petite horloge du bureau.

"J'ai entendu dire qu'il traînait dans des quartiers moldus mal famés. Je ne pensais pas qu'il y allait en dehors du cadre de son travail."

"D'après ce que son médicomage m'a dit, il a déprimé après la Guerre. Il a dû se laisser couler un peu..."

Drago avala sa salive. Une petite erreur dans la vie vous coûtait parfois plus que vous ne vous autoriseriez à imaginer. Il ressentait pour Potter une telle pitié que Zabini le remarqua:

"Tu te souviens quand même de celui que tu haïssais plus que tout au Monde à l'école, n'est-ce pas, Drago?"

Malefoy esquissa un sourire fatigué:

"Comment peux-tu dire ça après ce que j'ai vu de lui? Il est fragile comme un nouveau-né, et déjà aussi condamné qu'un vieillard."

"Qu'est-ce que tu vas faire? Tu vas le pouponner?"

Malefoy remarqua que l'horloge de son père s'était arrêtée. Zabini poussa un long soupir et se leva pour se retirer.

OoO

Je sens qu'il est là, même si je ne le vois pas. Malefoy me surveille, il prend soin de moi.

OoO