Un saut dans la neige avait quelque chose de magnifique. La poudreuse volait dans tous les sens et le calme de l'environnement avalait les coups. Edward leva la jambe dans la mâchoire d'un malfaiteur et ce dernier retomba lourdement. Le blondinet brandit ses poings, les jambes fléchies. Avec les années, il s'était mit à anéantir ses ennemis avec beaucoup moins d'ardeur alchimique. Le nombre de fois où il avait détruit la moitié d'un village dans un combat... Là-dessus, il se retrouvait en accord avec Alphonse qui complétait son duo avec toujours autant d'efficacité. Edward n'avait jamais réussit à le battre quand bien même ce dernier avait un corps fait d'os et de chair. « Cette saloperie », comme le pensait Edward, avait tellement grandie qu'elle le dépassait non seulement de deux bonnes têtes mais qu'en plus Alphonse était taillé pour la guerre. Sa voix avait beau être douce, son poing n'était toujours pas bon à manger.

- D'où est-ce qu'ils sortent, bordel ?!

- J'ai bien une réponse, mais ça va pas vous plaire ! Répondit Breda.

Edward esquissa un sourire vorace. Sous le feu de l'action, ce genre de remarques, il les animait !

Ils s'étaient tous retrouvés à courir en direction du QG tendit qu'une escouade de Drachma fonçait sur les murs de la belle Olivia Armstrong. L'effet de surprise ne tarda pas avec un Colonel en l'état d'ébullition. Roy Mustang avait tant tiré sur ses gants pour les mettre que le tissu moulait jusqu'à ses ongles quand il claquait des doigts. Un millier de Drachmans s'étaient retrouvé encerclé par des flammes gigantesques et pour le moins étouffantes. Elles avalèrent toute neige sur leur passage en laissant une traînée noire et brûlante. La raison pour laquelle l'équipe s'était caché n'était pas tant fait du nombre de leurs ennemis, mais de la puissance de feu qu'ils avaient amenés avec eux. Des tanks révolutionnaires qu'un alchimiste de flamme n'aurait aucune peine à rendre obsolètes. Ce que le froid ne peut pas faire, le feu peu le défaire. Surtout dans un état de frustration à la limite de l'insupportable. Si Edward ne s'était pas tant formalisé sur le sujet et qu'il combattait avec son agilité habituelle, Mustang se montra drôlement efficace !

Les cinq-cent tanks que l'armée adverse avait emmenés avec elle finirent dans un ballet d'explosions et de serpents de flammes plus furieux les uns que les autres. Pendant ce temps, le reste de l'équipe zigzaguait entre la fumée à la recherche des combatifs et des couards. Les militaires de Briggs ne tardèrent pas à rappliquer avec une brusquerie nouvelle. Bien plus hargneux que l'équipe Mustang (sauf l'interpellé lui-même pour le coup), ils laissèrent leur imagination assouvir des miracles sur la face de leurs ennemis. Ça ne se fit pas en quelques minutes. Des heures passèrent. La tempête se fraya un petit bout de chemin jusqu'à eux à la tombée de la nuit et les empêcha de poursuivre cette cohue magistrale. Les Drachmans qui purent s'enfuir dans le tumulte n'hésitèrent pas pour ceux qui n'étaient pas encore morts. Car là était le vice de rester dans l'Armée. Ce que les deux frères constatèrent bien après que l'adrénaline soit redescendue.

Alors que les cadavres jonchaient la plaine enneigée, Havoc vint se saisir du bras d'Edward en hurlant par-dessus le vent violent :

- Il faut qu'on rentre ! Allez, venez !

Mais il ne bougea pas. Tétanisé, il fixa les morts. C'était bête mais... Il se rendait compte d'une chose tellement plus grande que lui, à cet instant. C'était loin de représenter le souvenir qu'il avait de ses aventures avec son frère. Certes, il y avait eu beaucoup de tristesse sur son chemin. Mais pas une comme celle-là où on ne laissait pas une once de choix à son adversaire. Lui, s'était contenté d'assommer ses victimes ou de les mettre hors d'état de nuire. Son frère apparut à ses côtés et ils se jetèrent un coup d'œil, à bout de souffle. Havoc se répéta en les tirant vers lui :

- La tempête approche ! Allez, on se magne !

- On ne va pas les laisser-là ! On ne pas les laisser-là ! Répétait Edward.

- Nous n'avons pas le choix ! C'est eux ou nous, Boss !

Ils finirent par le suivre. Ils croisèrent Breda et Hawkeye en route qui se joignirent aussitôt à ce petit groupe à la recherche du dernier des leurs. Le Colonel resta introuvable dans cette mélasse blanche de plus en plus épaisse. Brutalement, il apparut, le talkie-walkie collé à l'oreille, les épaules aussi hautes que cette dernière. Il beuglait sur la boite pour se faire entendre tout en poursuivant le chemin dangereux jusqu'à leur cabane en compagnie de l'équipe.

Ainsi s'acheva cette journée. L'action fut concise car c'était aussi de cette manière que tout se produisait. Rien n'était vraiment facile à voir. Les gestes devenaient précipités et sur un champ de bataille, aussi petit soit-il, il n'y avait aucune place pour la parole.


Quelques heures plus tard...


Ils étaient tous assis dans le petit salon. Trempés, gelés, ankylosés. Silencieux. Seul Mustang ne cessait de converser avec la radio, faisant un rapport abrupt à Olivia de l'autre côté. Ils parlaient depuis plus d'une heure et quand la voix de la Général transparaissait, des bruits de fond atroces s'élevaient.

- Vous en avez attrapez combien ? Demanda Mustang.

- Une bonne quinzaine. Quoi qu'ils aient prévu pour la suite, nous allons leur faire cracher le morceau.

- Je n'en doute pas. Tenez-nous au courant pour la suite.

- Vous avez effectué un nettoyage efficace. Méfiez-vous d'avoir des éléments dans votre dos qui n'ont pas peur de se battre ! Cependant, après une telle défense, je doute fort qu'ils ne reviennent avec des troupes flambant neuves pour se reprendre une volée.

- Notre effet de surprise est passé.

- Certes, mais nous venons de réduire leur chance de recommencer. Je vous tiens au courant.

Mustang jeta un coup d'œil à Edward et Alphonse avant de répondre :

- Merci.

Lorsqu'il reposa le casque, sa poigne fut trop coriace et il frappa contre le bureau. Ce que cachait Mustang à cet instant était une fébrilité constante. Son visage semblait calme et lessivé mais l'adrénaline emportait encore tout ses gestes. Il se sentait à l'affût du moindre bruit ou mouvement qui ne serait pas l'un des leurs. Il replongeait avec ce réflexe qui remontait de loin. Il y avait ceux qui montaient sur des vélos en se souvenant comment pédaler sans tomber. Et puis il avait les ressortissants de la guerre qui se souvenait comment tuer sans mourir.

- Qui ne sait pas se battre ? Demanda Alphonse.

Roy releva les yeux sur lui ainsi que sur son frère. L'équipe restait silencieuse et humble. Il se leva et clama :

- Allez vous reposer. Tous. C'est un ordre.

Breda se leva le premier et prit immédiatement place dans la salle de bain. Jean s'étira avant de tendre la main en direction de Riza. La jeune femme s'en saisit en faisant claquer leurs paumes l'une contre l'autre et il la hissa du canapé avant de l'entraîner dans leur chambre. Alphonse et Edward restèrent assis, mais le plus jeune fixait le Colonel dans l'attente de sa réponse. Celle-ci ne tarda pas à venir :

- C'est la première fois que vous êtes dans une situation telle que celle-ci, n'est-ce pas ? Une situation où celui qui vous fait face ne donne ni son nom, son âge ou encore son histoire personnelle ? On a pas le temps de s'apitoyer sur les autres et connaître leurs motifs. Ils nous veulent morts. Alors on se défend. Dans une guerre, ça signifie tuer.

Il avait parlé avec tant de fermeté que cela parut être un reproche. Roy s'en rendit compte et soupira fébrilement :

- J'ignorais que ça allait se passer ainsi et j'aurais souhaité que vous n'ayez pas à le vivre. Cette nuit risque d'être longue mais j'ose espérer vous renvoyer chez vous dès que cette tempête décidera d'en finir.

- Nous renvoyer ?

Edward s'essuya la joue avant de poser son crâne sur le dossier du canapé. Lui qui défendait la vie à son summum bec et ongle n'était plus lors que l'ombre de lui-même. L'impact d'une telle... Conséquence lui faisait mal. Tuer. Il ne voulait pas tuer. Il ne pouvait pas. Mais partir et ignorer tout ça ? Il ne savait plus ce qu'il devait penser. Il n'était pas stupide pour ignorer le fait que rien n'aurait pu se passer autrement. Mais le coup était juste très très dur à encaisser.

- L'armée..., souffla-t-il. Non, tu ne vas pas me renvoyer. Je terminerais ça. Mais après... Après, je me casse.

Il tourna la tête vers Alphonse :

- Mais toi...

Alphonse le regarda sans aucune véritable émotion sur le visage. En cet instant, il ressemblait étrangement à ce qu'il avait été autrefois. Une armure. Il se contenta de durcir son regard quelques secondes et Edward acquiesça en soufflant du nez :

- … Ouais. On reste.

Roy les jaugea tour à tour, bras croisés :

- Nous en reparlerons demain. Allez vous reposer.

Il insista du regard et Edward fronça les sourcils. Alphonse se leva :

- Tu viens, Ed ?

- Je te rejoins.

- D'accord. À toute...

Il n'insista pas en observant la joute visuelle entre son frère et le brun. Il les laissa là, l'un assis et l'autre debout. Un long silence flotta entre eux avant que Roy ne répète avec moins de tact :

- Va te reposer.

- Je me repose, là… répondit Edward d'une voix déteinte.

- Dans ta chambre.

- Ici ou là-bas, quelle différence ?

Roy se mordit la langue, les yeux dans le vague avant de faire demi-tour et de s'engouffrer dans la petite cuisine. Les mains contre le lavabo, il tapait frénétiquement du doigt contre la matière. Edward se leva d'un bond du canapé pour le suivre. Il apparut à ses côtés et d'un air indigné, il dit alors :

- On ne sait pas se battre ?! C'est vous... Vous tous qui ne savez pas vous battre !

- De quoi parles-tu, bon sang ?

- Bordel, mais ça ne fait mal à personne de tuer des gens dans cette baraque ?! C'est ça que vous appelez tous « se battre » ? C'est une boucherie pure et simple !

- Oui... Les aléas d'un militaire en fonction, FullMetal. Une chose que nous t'avons longuement épargné et si j'avais pu, crois-moi, je l'aurais fait encore aujourd'hui.

- Tu comptais m'envoyer là tout seul, à la base !

- J'ignorais que ça allait se passer ainsi...

- Tu t'en fous alors ?!

Roy se tourna vers Edward et le regarda enfin. Il inspira posément mais semblait avoir un mal fou à contrôler sa colère. Il secoua doucement la tête, les lèvres pincées et les doigts accrochés à la vasque :

- Non.

- Non, il ne s'en foutait pas. Il n'oubliait pas qu'il était un criminel de guerre. Il portait chaque jour un masque de plus pour dissiper son chagrin et sa colère. Il passait sa vie à monter les échelons dans l'espoir idéaliste de rendre au peuple ce qui lui appartenait. Grumman faisait autant d'efforts possibles maintenant qu'il avait reprit les fonctions de Généralissime, mais le plus triste restait sans aucun doute la bêtise humaine. Une chose comme celle qui venait de se produire. Il souffla, tremblant en reportant son attention sur la fenêtre en face de lui.

Edward secoua la tête sans comprendre :

- Non ? Non et c'est tout ?

Le fil distendu relâcha encore une fois et Roy lui bondit dessus. Edward se retrouva plaqué contre le mur :

- Wowowow !

Roy l'embrassa à pleine bouche, s'accrochant à la tignasse décousue du jeune homme. C'était un geste à la fois désespéré et dénué de force, mais qui imposait une tétanie générale. Lorsque ils se séparèrent pour reprendre leur souffle, ce fut concis. Roy retourna à l'assaut de ses lèvres sans lui laisser d'avantage le temps de respirer. Surpris, Edward le repoussa :

- Mais qu'est-ce que...

Roy se pinçait le nez, les yeux clos, un coude contre le lavabo. Il souffla une énième fois avant de dire :

- Va te reposer.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien dont je n'ai envie de parler.

Comment expliquer cet état d'âme unique en son genre ? Cette envie folle de s'accrocher à quelque chose et en même temps d'envoyer tout balancer ? L'état d'âme d'un soldat. Celle de chercher une chaleur réparatrice et l'instant d'après ne pas parvenir à la supporter de peur de ne pas en être digne.

Edward s'empara doucement de son poignet. Roy rouvrit les yeux. Il devait avoir l'air d'un tigre prêt à bondir sur sa proie. Ladite proie, ignorante, soupesa ce regard à la fois loin et agressif :

- Toi, tu devrais te reposer.

- … Edward, si tu ne sors pas de mon champ de vision dans deux secondes, je vais te pousser.

Il prévenait. C'était la moindre des choses. Edward était loin d'être le genre de personne à en tenir rigueur, mais il le relâcha. Il ne souhaitait lui faire aucun mal à ce moment et ne se doutait pas qu'il était exactement en train de faire l'inverse. Ce qu'il ignorait encore plus était certainement cette fébrilité et cette adrénaline qui ne se dissipait toujours pas. Depuis combien de temps Mustang ne l'avait pas ressentit ? Il s'en était passé des années avant qu'il ne tue de nouveau. Mais dès que ça se produisait, il se sentait... Comme ça.

Edward ne bougea pas assez vite. Diantre, il allait le faire ! Mais les nerfs de Roy lâchèrent !