J'étais au beau milieu de l'aéroport d'Heathrow quand je vis mon ange pour la deuxième fois. Le hall était noir de monde, il faut dire que nous étions début juillet et que, pour beaucoup, cela signifiait début des grandes vacances. Mais quand je tombai sur ces grands yeux émeraude au cœur de la foule, je la reconnus aussitôt.

Flash-back : New York quatre ans plus tôt

C'était à mon tour de monter sur scène et j'étais mort de trac. Jouer du piano est ma plus grande passion mais je jouais pour ma famille, quelques fois pour mes amis et surtout pour moi. C'était le moyen que j'avais trouvé pour me détendre. Ma grande sœur Alice faisait du shopping, son jumeau Emmett du sport, moi, c'était la musique.

Comment l'espèce de petit lutin qui me servait de sœur avait réussi à me convaincre de participer au spectacle de fin d'année de notre université restait une énigme pour moi. En fait, pas vraiment. Quand elle sortait sa petite moue triste et me faisait ses yeux de golden retriever malheureux, je ne pouvais pas lui résister. Personne d'ailleurs. Et elle le savait.

Elle avait donc réussi là où mon professeur de musique au lycée avait échoué ces dernières années, me faire accepter de jouer devant toute l'école, mais aussi les parents, les amis…

C'est à ton tour, Edward… Edward ? Tu es tout pâle…ça va ?

oui Mrs Evans.

Non, ça n'allait pas, mais alors pas du tout.

Je montais alors sur la scène et allais saluer le public. Le magnifique piano à queue trônait au milieu du grand théâtre de notre fac. Je m'installais sur mon tabouret et je m'aperçus que le piano faisait face à la foule. Enfin, pas tout à fait mais il était disposé en diagonale et je voyais donc toute la partie Est de la salle.

Pourquoi n'était-il pas parallèle à la salle comme on voyait dans les grands concerts classiques ? Ou mieux encore dos au public ? Bon, cette dernière solution était peut-être un peu radicale mais… face au public ?

J'étais assis devant mon instrument mais je restais figé. J'étais incapable de déplacer mes mains pour les poser sur les touches blanches et noires. J'étais comme hypnotisé par les regards du public. La salle était plongée dans le noir mais les deux premiers rangs étaient éclairés par la lumière de la scène.

Un silence gênant s'installa, bientôt brisé par des murmures. Je sentais la panique monter en moi quand je posai mon regard sur les plus beaux yeux qu'il m'ait été donné de voir. Ils étaient verts émeraude. Je pensais que cela n'existait que dans les livres des yeux de cette couleur. Ils appartenaient à une fille, sans doute plus jeune que moi, dont les longs cheveux bruns bouclés encadraient le visage. Elle restait le regard fixé au mien et m'adressa, du moins c'était ce que je voulais croire, un sourire d'encouragement. Elle était magnifique.

Sans quitter son regard mes mains se portèrent sur le clavier et je commençai à jouer. Le premier morceau était un extrait des Lettres pour Elise de Beethoven, que ma mère adorait et que je jouais depuis si longtemps qu'il m'était instinctif. Comme tous les morceaux que je jouais ce soir, d'ailleurs.

Heureusement, puisque je restai les yeux fixés sur mon ange pendant les vingt minutes que durait mon medley de musique classique et de musique de film. Je pouvais lire sur son visage tous les sentiments, toutes les émotions qui me traversaient lorsque je jouais ces morceaux-là. De la tristesse pendant le Requiem de Mozart à la joie lorsque j'interprétais la version arrangée pour piano de la musique de Pirates des Caraïbes, écrite par Klaus Badelt.

Cet intense échange de regards ne s'interrompit que lors de mon dernier morceau, extrait du Clair de Lune de Debussy. Mon ange ferma les yeux et semblait transportée par cette musique qui faisait partie de mes préférées. Lorsqu'elle ouvrit ses yeux après le dernier accord, je vis qu'ils brillaient encore plus qu'avant. Je n'aurais pas cru cela possible.

La salle applaudissait à tout rompre et le public se mit debout. J'étais encore dans ma bulle et ne réalisais pas. Je me levai néanmoins et saluai. Je rejoignis ensuite les coulisses.

J'essayai toute la soirée de retrouver la jeune fille mais je ne la revis pas.

Fin du Flash-back

Elle était là, mais lorsque je sortis de mes souvenirs, elle avait disparu. Elle avait été comme happée par la foule. Peut-être n'était-ce qu'une hallucination ?