Titre – Dans les mensonges et les regrets

Disclaimer – Tout ce qui relève de l'univers de JKR lui appartient.

Rating – M

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Précédemment – Pour un résumé des chapitres de 1 à 11, je vous invite à vous rendre sur le blog que j'ai crée. ( mona-morgenstern [point] blogspot [point] fr ) Vous y trouverez aussi une liste des élèves de 7ème année ainsi que du personnel de Poudlard.

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Note – Bonjour à tous !

Je sais. Une nouvelle fois, trop de temps est passé depuis le dernier chapitre posté. C'est une honte.

Pourtant, je n'abandonne pas l'histoire. Je reçois pas mal de messages qui indiquent que vous pensez que cette fanfiction est abandonnée, entre chaque chapitre. Mais même si je ne poste pas de nouveaux chapitres pendant deux ans, cette histoire n'est pas abandonnée.

Je sais que tant de temps de pause est un mauvais signe pour la plupart des fanfictions : je suppose qu'il faut juste se dire que c'est mon rythme… Je sais aussi que cela n'est guère confortable à la lecture, et vous aurez tout à fait raison de passer à autre chose. Mais, pour ceux qui s'accrochent, je vous assure que la suite viendra, même s'il me faut dix ans de plus pour achever cette histoire.

J'aimerais écrire plus, j'aimerais avancer cette histoire plus vite, mais je répète à chaque fois le même schéma, et une ou deux années passent si vite… Sachez en tout cas que je suis très touchée par vos messages et par ceux qui mettent cette histoire dans leurs favoris. Les réponses aux reviews anonymes sont sur mon blog. Vous y trouverez aussi un résumé des chapitres précédents, pour vous rafraîchir la mémoire et éviter une relecture complète fastidieuse.

J'espère que ce chapitre vous plaira, bonne lecture, bonnes fêtes de fin d'année à tous et à dans deux ans ! (Je plaisante.) (Enfin, j'espère !)

Mona

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Dans les mensonges et les regrets

Partie IBrumeux

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Chapitre 12 : Réalités

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« Retenez cette présente lettre en tant que récépissé de votre demande.

Je me réserve le droit d'accepter ou de refuser seulement et exclusivement après une rencontre. Aucune collaboration ne saurait être effective dès lors qu'une rencontre physique n'aurait point eu lieu. Cette rencontre, gage de votre volonté et de vos motivations, me permettra de déterminer si votre personnalité se révélera apte à cadrer avec mon enseignement.

Si la concorde se produit, votre proposition sera alors acceptée en bonne et due forme, d'un accord oral en premier lieu, suivi d'un Serment Inviolable en second lieu.

Si aucune accointance n'est possible, nous nous quitterons avec le simple accord oral courtois de ne pas se recontacter et de ne pas mentionner nos noms par la suite – de façon réciproque. Pour tout soupçon de manquement à ces civilités, je m'arroge le droit d'appliquer un châtiment proportionnel à la transgression de ces instructions.

Il convient donc de s'accorder sur une date. Si j'ai bien compris votre situation, vous êtes présentement élève à l'école de Sorcellerie Poudlard, et ce, jusqu'à fin juin, date d'achèvement de votre scolarité. La rencontre peut donc s'effectuer à partir de juillet si vous le désirez.

Néanmoins, puisque vous m'avez fait part d'un certain empressement, une rencontre est également possible lors des vacances scolaires de Pâques si vous quittez le château lors de cette période. J'insiste tout de même sur le fait que l'enseignement demandé requiert une disponibilité importante, une énergie considérable ; et de ce fait, il m'apparaît judicieux de vous pointer les avantages évidents à débuter une telle étude une fois votre année scolaire achevée.

Faites-moi savoir par retour de hibou vos préférences. Notez l'absence de nomination de cette lettre : une préférence personnelle. Prudence est mère de sûreté.

Je vous prie d'agréer mes sincères salutations. »

Harry reposa la lettre, satisfait. De doux picotements sur ses bras vinrent signer le redressement de ses poils ; l'excitation provoquait un frisson délicieux en lui.

Non seulement l'homme acceptait une rencontre, mais également dans les délais les plus brefs. Une performance bien supérieure aux trois derniers sorciers qu'il avait contacté – les quelques noms qu'il avait péniblement extirpés de Snape s'étaient amenuisés comme peau de chagrin devant l'absence de réponse.

En se lançant à la recherche d'un maître en Legilimancie et en Occlumancie, Harry savait qu'il s'engageait au-devant de difficultés, mais il ne s'attendait pas à ce que les portes lui soient fermées au nez aussi promptement. Il avait hésité à solliciter Claudia McQueen sur ce sujet, lors de sa réponse à la dernière missive de celle-ci, mais il s'était abstenu. La méfiante prudence qui s'était accrue en lui au cours de sa vie lui susurrait de garder des munitions dans sa manche ; mieux valait que cette déstabilisante femme lui en doive une plutôt qu'il soit redevable.

Heureusement, Harry était têtu ; il avait enfin sa douce récompense. Il replia minutieusement la lettre. L'homme précisait bien qu'il n'avait pas encore accepté, mais Harry avait bon espoir de le convaincre.

Comment Potter ? Ce n'est pas comme si tu pouvais exercer un chantage avec cet homme de la même manière que tu l'as fait avec ton père et ses amis.

Harry ignora les railleries internes. Il avait espéré parvenir à trouver un maître en Legilimancie pour les vacances de Pâques mais le manque de réponse jusqu'à présent avait singulièrement érodé ses espoirs. Souvent consacrées aux révisions des examens, ces vacances étaient le dernier bastion entre les ASPICs et les élèves de septième année ; ce qui justifiait un taux de présence à Poudlard quasiment complet pour cette promotion spécifique durant cette semaine.

Néanmoins, les préoccupations de Harry divergeaient clairement de la majorité des élèves de dernière année. Les révisions pour les ASPICs lui paraissaient superflues comparées à la brûlante nécessité de progresser en Legilimancie et Occlumancie.

Il ne se leurrait pas, comme l'homme le mentionnait dans sa lettre ; ce ne serait pas une semaine qui jouerait considérablement dans son apprentissage de ces branches mystérieuses de la magie. Quand on savait que les mois passés à tenter de les assimiler n'avaient pas été des plus fructueux, une semaine paraissait bien maigre pour constater une réelle progression. À sa décharge, la haine qu'éprouvait Snape pour Harry avait été un désavantage certain pour lui, le faisant partir dans cette discipline d'un très mauvais pied.

Cependant, ce n'était pas ce qui importait dans la situation présente. Une simple confrontation avec un maître en Legilimancie serait instructive pour dissiper les pans de doutes qui demeuraient concernant son hypothèse d'illusion. Harry était prêt à écarter définitivement l'idée qu'il soit piégé dans une illusion de Voldemort, mais la perversité des illusions résidait dans le doute qu'elles généraient. S'il ne pouvait se fier entièrement à ce qu'il avait appris concernant les illusions, étant donné qu'il pourrait s'agir de fausses informations, la Legilimancie et l'Occlumancie paraissaient être la solution la plus propice et cohérente pour trancher la question.

Qui plus est, cet apprentissage permettait de faire une pierre deux coups : pour survivre, il devait reconnaître que la maîtrise de la Legilimancie et de l'Occlumancie étaient de meilleurs atouts que de bons résultats aux ASPICs. Il lui faudrait, certes, réviser, et oui, c'était probablement l'un des examens les plus déterminants dans la vie d'un sorcier, mais ce n'était pas comme si sa vie empruntait les chemins arpentés par la plupart.

Une note d'examen n'aide pas à se maintenir en vie ou gagner une guerre.

Mais, avant de partir dans la nature pendant une semaine, il lui fallait s'assurer qu'il puisse récupérer ses baguettes. Lorsque l'annonce fut tombée, Harry avait vivement espéré que sa baguette d'entraînement soit oubliée pour qu'on ne lui confisque que celle de vigne. Il avait sous-estimé Flitwick, son intelligence et sa mémoire, qui avait rappelé ce minuscule détail à Chourave.

Ainsi, voilà un mois qu'ils étaient privés de baguette magique. Un mois que se jouait cette parodie ridicule et exaspérante, où chaque début de cours était ponctué par une remise des baguettes, et chaque fin par une récupération minutieuse.

Un mois qu'ils étaient privés de tout travail pratique personnel, au plus grand agacement de Harry. Cette situation était d'une frustration ahurissante.

Seule consolation : il n'était pas le seul à souffrir ainsi, et certains élèves semblaient mal le vivre, que ce soit parce qu'ils ne pouvaient pas s'entraîner pour les cours… ou parce qu'ils étaient démunis. Voir les fiers Serpentard puristes soudainement réduits à un état de simili-moldus était un spectacle si exquis que ce délice compensait presque la privation aux yeux de Harry.

Presque.

Le handicap était bien trop important. Une fois n'est pas coutume, Harry avait tenté de voir le bon côté des choses et il était parvenu à se motiver pour s'essayer à la magie sans baguette. Cela n'avait pas été très concluant. Son grand moment de victoire fut lorsqu'il réussi à lever une plume d'un ou deux centimètres, en sueur. Il en avait retiré un mal de tête à fracasser un troll, et il doutait de parvenir à réitérer l'opération.

Ce fut l'occasion de continuer à lire – Considérations Métaphysiques de la Magie approchait de la fin, le Répertoire de sorcellerie et maléfices était bien entamé, mais en l'absence de pratique, il l'avait laissé un peu de côté au profit de Prendre l'ascendant sur vos ennemis, truffé de magie noire qu'il ne comptait pas de sitôt expérimenter, mais qui fut instructif.

L'ouvrage des Considérations n'était pas aisément assimilable, et Harry sentait qu'une relecture potentielle de certains passages ne serait pas du luxe. Il lui manquait probablement un déclic pour mettre en perspective et mieux appréhender cette théorie. Néanmoins, ce qu'il avait saisi était fascinant et lui laissait entrevoir à quel point la magie dépassait ses préconceptions, qu'elle était 'plus' qu'agiter bêtement une baguette magique avec la formule correspondante.

Restait tout de même le fait qu'il préférait grandement la pratique aux théories nébuleuses et qu'il avait l'impression d'être confiné dans une bulle d'attente moelleuse, où l'on diffusait de la musique calmante pour éviter l'agitation et contrôler insidieusement l'activité des individus. Sa frustration n'en était que plus grande et il tournait comme un lion en cage.

Honnêtement, à quoi s'attendaient-ils tous, en provoquant ce simulacre de bataille ? Pensaient-ils vraiment pouvoir créer un tel désordre sans que les professeurs ou Dumbledore n'interviennent ? Et alors, qu'avaient-ils imaginé de la réaction du directeur ? Comme il avait pu en parler à Lily au mois de janvier, Dumbledore avait les mains liées et ne pouvait pas se permettre d'expulser ainsi des élèves dans la nature, en pleine véritable guerre. Les points n'étaient plus depuis longtemps un réel moyen de contrôle ou de dissuasion pour les dernières promotions.

De fait, pour éviter que de tels affrontements se reproduisent, Harry comprenait bien rationnellement qu'il n'y avait pas d'autre possibilité que de confisquer les principales armes du délit. De la même manière qu'on retirait des mains d'enfants qui 'jouaient à la guerre' des objets dangereux pour eux, ne mesurant pas les dégâts potentiels.

Cet acte avait laissé Harry songeur. Vu de l'extérieur, en observateur, parfois, les techniques des différents camps n'étaient pas si opposées et trouvaient des concordances troublantes.

Aussi, il fallait s'y attendre, McQueen n'avait pas manqué de lui envoyer des nouvelles, en lui demandant une liste des élèves ayant participé à la fameuse bataille inter-élèves de Poudlard. Harry s'était contenté de lui énoncer les racontars, les on-dit, ses suspicions, et l'impossibilité d'avoir une idée certaine de l'identité de chacun étant donné qu'ils avaient manifestement usé de masques.

Il ne s'était pas foulé et lui avait demandé en retour un nouveau stock de potions énergisantes. Oui, il développait une addiction et se sentait mal dès qu'il n'en prenait pas, mais à l'heure actuelle, ce détail le laissait de marbre. Son état était fonctionnel, cela suffisait.

Pourtant, le temps commençait à se faire long sans sa baguette, et sa contrariété prendrait des proportions plus grande encore s'il ne pouvait partir de Poudlard sans elle et devoir ainsi refuser la proposition du maître en Legilimancie.

Naturellement, Harry vint s'enquérir de la possibilité d'une remise des baguettes pour les vacances à Benjy. Ce dernier lui assura que de nombreux élèves faisaient pression pour récupérer leurs baguettes et les professeurs y étaient aussi sensibles afin qu'ils puissent s'exercer à la pratique en vue des examens. A priori, les vacances prochaines seraient l'occasion pour qu'on les leur remette.

Rasséréné quant à ce point, Harry retourna à ses affaires et sortit un parchemin pour répondre à son contact. Il trempa sa plume dans l'encrier, s'appliqua pour une réponse formelle, neutre et concise. Là-dessus, parchemins et plumes furent fourrés dans son sac et Harry emprunta le chemin de la volière.

Un mois sans baguette, mais presque deux mois qu'il savait.

Harry ferma les yeux ; tangua un court instant.

Le printemps avait éclos, mars touchait à sa fin et depuis cette nuit, à l'aube du mois de février, il avait l'impression d'être passé dans une essoreuse virulente.

La Réalisation ne s'était pas faite sans mal. Le désespoir qui avait suivi…

Détresse. Anéantissement. Ruines.

Harry se rappelait comme d'une blessure purulente la sensation d'avoir sa vie condamnée. Le tranchant de cette découverte avait scalpé tout espoir en une gerbe sanglante ; tandis qu'il avait ensuite lentement agonisé, goutte par goutte, sa vie s'échappant, rejoignant un océan pulsant de vitalité temporelle ne lui appartenant pas, le dépossédant de sa propre essence. C'était comme si on venait de lui annoncer une maladie incurable, qui le vouait à une moitié de vie. Une survie.

La voix grinçante en avait ri à cœur joie, trouvant cette amère ironie absolument irrésistible. Le Survivant, Potter, bloqué dans un état de survie, tu comprends ? Hahaha !

Bloqué était le mot adéquat. Entravé dans les lignes du temps. Plus de passé ; pas d'avenir. À jamais étranger, aberration perdue. S'écoulant dans un flot incontrôlable, noyé.

Il n'avait jamais voulu ça ! Comment avancer dans ces conditions ? Comment vivre ? Ron et Hermione lui manquaient tant ! Lui qui, auparavant, aurait probablement rêvé d'avoir l'occasion de rencontrer ses parents, de discuter avec eux… La déconvenue était magistrale. Les circonstances rendaient ce mirage bien aigre.

Maintenant, il aurait donné n'importe quoi pour retrouver ses amis. Des personnes qui l'aimaient véritablement, pour lui, pour Harry – et pas ce mensonge simulé de Stephen ! – avec qui il avait vécu les moments les plus heureux comme les plus douloureux.

S'il les retrouvait un jour, ils auraient à présent vingt ans d'écarts, de souvenirs, d'expériences différentes. Un fossé. Si jamais il pouvait même apparaître devant eux en tant que Harry !

Pourrait-il un jour se sentir en phase avec cette époque ? La considérer sienne ? Être définitivement Stephen Curson ? Le gouffre paraissait infranchissable. Il était coincé sur une île, perdue au milieu des courants, loin des berges continentales des années 1978 et 1998.

Isolé.

Le choc avait été tel qu'il avait cru qu'il ne s'en remettrait jamais. Le désarroi fut suffocant, et l'accablement qui avait suivi le laissa tourmenté par une effroyable viduité.

En un instant, tout avait perdu sens, dilapidé, torpillé. Durant ces mois dans le passé, il avait pris son mal en patience, admettant qu'il lui faudrait du temps pour dénicher une solution viable. Il n'était plus celui qui avait débarqué inopinément, avec la certitude empressée qu'il repartirait le plus rapidement possible de cette méprise.

La conviction que sa situation ne resterait que passagère était restée inébranlable. Quand bien même il avait revisité ses perspectives, qu'à cela ne tienne ! Même s'il lui fallait un an, deux ans, voire quatre ans ! - l'espoir de trouver une solution, de rétablir la situation avait toujours été présente.

Espoir maintenant anéanti.

Pourtant, il s'était relevé. Quelque chose s'était brisé ; quelque chose que l'on ne pouvait ni effacer, ni réparer. Mais il n'avait jamais été quelqu'un à se laisser définitivement abattre. Sa résilience fut finement ciselée dès son enfance, il avait appris à serrer les dents. Remercie les Dursley, Potter, ricana-t-il. À onze ans, il n'était pas non plus resté prostré, se lamentant comme une fillette quand Voldemort comptait revenir en s'emparant de la pierre philosophale. Il avait agi. C'est par l'action, une nouvelle fois, qu'il avait senti un souffle vital l'animer, lors de l'illusion du cours de Morel. Il était peut-être coincé, mais il n'était pas mort.

Alors que sa mélancolie l'enveloppait d'un voile languide, le laissant flotter dans sa convalescence, son esprit avait été brutalement ramené au moment présent, rassemblant promptement les morceaux éparpillés dans l'hémorragie et les jetant sur la scène, dans l'action, sous l'urgence. L'illusion de Morel avait été la décharge suffisante pour faire repartir son cœur à l'arrêt.

Et puis, la suite s'était faite automatiquement ; car au même titre que notre apprentissage du vélo ou d'un instrument reste ancré à jamais, l'habileté de Harry quant aux situations d'actions dangereuses semblait spontanée, mécanisée inconsciemment.

La lutte pour sa survie était une énergie en lui bien trop forte pour être éteinte ; la volonté de vivre brûlait encore au fond de ses tripes. Aussitôt ressorti de cette illusion, il ne pouvait plus dès lors se draper dans sa mélancolie dépressive, bien trop écornée par la vitalité exsudant de sa conscience.

Mieux encore, il avait eu une matière sur laquelle s'agripper, un élément concret sur lequel se hisser, pour ne pas faire disparaître ce nouvel élan. Il avait vu les limites d'une illusion. L'excitation l'envahissait à cette image, le confortant dans l'idée d'éliminer une bonne fois pour toute « l'hypothèse-illusion » le concernant.

Il était alors devenu évident qu'une confrontation avec un Maître en Legilimancie s'imposait ; à la fois pour dissiper les ultimes doutes qui l'habitaient, mais aussi pour les avantages essentiels que cela lui conféreraient.

Harry devait dès à présent regarder plus loin que le bout de son nez. Son avenir était auparavant brumeux ; y compris lorsqu'il était 'chez lui'. Ron et Hermione avaient soupesé leur avenir, ils l'avaient imaginé, l'avaient réfléchi. Harry, quant à lui, s'était essentiellement demandé s'il serait encore vivant et si Voldemort n'aurait pas réussi sa tâche d'ici là.

Bien évidemment, il avait pu rêver d'une vie banale, ponctuée d'un mariage et d'enfants ; de doux rêves d'une vie calme – ce que chacun devrait vouloir, non ? Mais l'image n'avait jamais été précise, l'ombre de la mort planant à ses côtés, obscurcissant toute tentative de détailler ce rêve nébuleux.

Maintenant, en revanche, la donne était un peu différente. Il voulait rejoindre son 'temps', son 'époque' ; et vingt années l'en séparaient. Durant ces prochaines années, son secret concernant son identité et son voyage dans le temps devait être préservé. Dans cette optique, l'Occlumancie n'était pas un gadget pratique, mais un apprentissage essentiel, incontournable. Se balader dans le passé, durant vingt ans, la tête ouverte à tout-venant, pleine de souvenirs du 'futur', ne pouvait être considéré - au mieux - que comme un acte totalement irresponsable.

xXx

Une fois que le rendez-vous avec le Maître en Legilimancie fut fixé, il ne resta alors plus qu'une semaine d'attente pour Harry. Une semaine où il tentât de réduire sa consommation de potions énergisantes, de continuer ses essais frustrants de magie sans baguette, et de lecture absconse des Considérations.

Il aurait bien aimé poser des questions à Snape à ce propos, mais ce n'est pas comme s'il s'agissait de quelqu'un d'ouvert et chaleureux qui invitait à la discussion. Maintenant qu'ils étaient privés de baguette, ils n'avaient plus rien à faire ensemble, et Snape avait été clair que pour lui, cela signait la fin de leurs rencontres pour s'entraîner.

« S'entraîner avec quoi, exactement, Curson ? » avait été le sarcasme du Serpentard. « S'envoyer des fleurs, peut-être ? » Harry avait levé les yeux au ciel, sans insister. Il n'allait tout de même pas courir après Snape.

De manière inattendue, la future rencontre avec le Maître en Legilimancie provoquait en lui une tension incessante. Cette anxiété ne le quittait pas et, couplée à son ébauche de sevrage de potions, Harry se sentait en permanence sur le fil du rasoir. Après son apathie bovine, voilà qu'il avait une envie constante de bouger, d'agiter les bras et les jambes, d'évacuer ces sensations désagréables, par une régurgitation de tout ce qui l'habitait.

Son état ne passa pas inaperçu aux yeux des Poufsouffle.

« Es-tu sûr que ça va, Stephen ? Je ne sais pas combien de fois j'ai pu te poser cette question, mais on dirait que tu es maintenant en surdose de caféine, » lui indiqua Benjy.

Harry grogna en se frottant les bras, en faisant tressauter frénétiquement sa jambe droite. Le regard vert pâle de Joyce ajouta à son inconfort. Il était toujours troublé par sa discussion avec elle. Cette dernière n'avait pas abordé une nouvelle fois le sujet, mais il flottait tout de même dans l'air, entre eux, tel un souvenir fugace dont les filaments argentés s'étiraient, tournoyaient, comme les algues des fonds marins.

Un filtre qu'il ne parvenait pas à retirer maintenant. C'était comme si elle avait mis les pieds dans le plat, explosant malencontreusement la vitre qu'il gardait opaque pour ne pas voir ce qui se passait derrière, avec les cartons qu'il entassait, évoquant les piques sexuées qu'on avait pu lui faire, les vieilles remarques de Nadège sur son absence de désir, son expérience malencontreuse avec Estelle, les anciennes discussions de dortoir entre Ron, Seamus et Dean sur les filles…

Il préférait balayer les débris de la vitre plutôt que contempler cet espace et ces cartons. Peut-être que l'absence de la vitre ne l'empêcherait pas d'ignorer ça.

« Après la phase 'je-suis-dépressif-pendez-moi', un détour du côté de 'regardez-comme-je-suis-badass-en-Défense', voilà la période 'je-suis-un-ours-camé-tout-va-bien', » plaisanta Adam.

Harry leva les yeux au ciel et poussa un nouveau grognement.

Cela fit apparaître les fossettes d'Adam, plissant ses grains de beauté. « Ton nouveau mode de communication n'est pas plus développé que les précédents, Stephen. »

« Remarque, il n'est pas le seul à être dans un état curieux. Beaucoup d'élèves sont frustrés de ne pas avoir de baguette magique, comme s'ils étaient en manque, » dit Alice. Elle fronça les sourcils. « Vous croyez qu'on peut physiquement ressentir un manque si on est privé de notre baguette ? »

Si Adam plongea la tête entre ses bras pour étouffer son fou rire, Benjy, toujours aussi sérieux, secoua la tête. « C'est essentiellement psychologique. On fait de la magie en cours, nous n'en sommes pas privés. Mais oui, beaucoup sont tendus… »

« Ça t'inquiète ? » releva justement la jeune fille au visage lunaire.

Le Préfet soupira. « Je crains qu'ils n'y en aient qui en viennent aux mains, par défaut. Il faut bien qu'ils évacuent leur tension. »

Le rire d'Adam monta en crescendo, et Joyce cacha son sourire derrière sa main. « Ils pourraient aussi se masturber comme tout le monde, » ne put s'empêcher de glisser Adam.

Harry, perdu dans ses pensées, sentit ses muscles se contracter un peu plus à ces mots. Sa jambe droite interrompit son battement frénétique durant un court laps de temps – suffisant pour que l'ombre d'un sourire se dessine sur le visage de Joyce, mêlé d'un éclat dans les yeux.

Mais quelle bonne idée que voilà ! fut l'exclamation sarcastique en lui. Tu ne t'es plus touché depuis deux mois, Potter, et tu t'étonnes d'être tendu ?

Harry faillit répliquer un nouveau grognement.

Le rêve qu'il avait fait à propos de Lily l'avait suffisamment perturbé pour qu'il choisisse de ne pas provoquer le diable. À présent que Joyce avait cassé son joli système de déni, la peur de ce qu'il se produirait l'en empêchait. Il n'avait qu'à nettoyer les débris, trouver un nouveau système plus efficace – un trou noir, c'était pas mal ça, un trou noir bien béant…

Aurais-tu plus peur de tes désirs que de Voldemort ? siffla la voix. C'était un fait. Pourtant, il reconnaissait volontiers que son attitude était un peu ridicule. Peut-être que tu n'as qu'à essayer, zozota un petit Harry avec une dent de lait manquante, des souffles d'air aspirés dans le trou.

Nouvelle obsession des trous ? nargua la voix perverse. Mais… sont-ils pour autant féminins ?

Ça suffit. Harry se leva subitement. L'air de confusion désemparée chez Benjy aurait pu être comique, mais il ne s'y attarda pas.

« Que se passe-t-il d'un coup ? » demanda Alice.

« Un truc à vérifier, » marmonna Harry avant de s'éclipser, esquivant les regards de connivence de Joyce et Adam.

Généralement, dans ces conditions, depuis le début de son adolescence, Harry s'enfermait dans la salle de bain, préférant la douche plutôt que l'intimité bien trop maigre de son lit de dortoir. Mais il ne pouvait simplement pas dire qu'il allait prendre une douche, subitement, donc il sortit de la salle commune en direction de la Salle sur Demande.

Pour l'occasion, elle se grima en une somptueuse salle de bain qui n'était pas sans évoquer celle des préfets. Il fit couler l'eau dans la gigantesque baignoire, se déshabilla nerveusement. L'eau chaude lui permit de détendre au moins ses muscles crispés. Il ferma les yeux, essayant de se calmer. Il s'agissait juste de prendre du plaisir - rien d'insurmontable. Imaginer les contours du corps d'une femme.

Fine, peau laiteuse, voire diaphane… Non, pas elle. Il se fustigea en poussant un grognement, et plongea la tête sous l'eau. Un instant, juste un moment suspendu dans l'amnios soyeux et réconfortant – le voluptueux flottement et l'indistinction libératrice entre lui et l'eau, le bourdonnement sourd des bulles et de la pression exercée sur ses tympans, les palpitations du cœur et la propulsion du sang dans son corps s'assemblaient dans un délicieux cocon serein.

Certes, il avait besoin d'un exutoire, mais au-delà de ça, il avait décidé impulsivement que ce serait le moment où il ferait face. Garder la tête sous l'eau ne l'aiderait pas. Il devait savoir.

Il fit surface ; reprenant sa respiration, déterminé.

Les sensations avec un homme devaient être différentes. Plus dures, plus féroces sans doute. Les images se forgeaient, mais elles étaient instables, et s'envolaient aussitôt, comme s'il tentait de toucher un gaz volatile, qui se dispersait. Il laissa faire ces entrelacs fumeux, voguant nonchalamment au gré des estampes.

Ainsi, un peu plus tard, alors qu'il se séchait, Harry était pour le moins perplexe : l'illumination n'avait pas eu lieu, et ses propres fantasmes demeuraient sagement dans les ombres. Il se sentait plus décontracté, mais le soulagement physique n'avait pas chassé la subite frustration mentale. De plus, il sentait intimement qu'il n'était pas tout à fait normal de ne pas parvenir à élaborer de fantasmes ou de scénarios particuliers à l'âge fringuant où les hormones étaient bien connues pour être en ébullition.

Il agissait de manière mécanique. Or les garçons, dans leurs discussions de dortoirs, paraissaient obnubilés par le désir de tester une situation ou une position précise, de rêver d'une fille ou d'une tenue, d'aventures rocambolesques ou de liaisons passionnées, de postures ou de scènes…

Harry avait tout simplement l'impression qu'il n'avait jamais réellement appris à désirer quelque chose d'aussi détaillé – comme s'il n'avait pas le droit – se satisfaisant amplement du minimal ou d'approximations. Il éprouvait rarement l'envie de manger un plat spécifique ; il reconnaissait seulement la faim. Comme s'il volait subrepticement un morceau de pain en pleine nuit, dans la cuisine de Pétunia, alors qu'il avait été privé de tous mets préparés durant la journée.

Il fronça les sourcils. Le problème serait-il dans ce cas bien plus large que celui de la simple sexualité ? Ou n'était-ce là qu'une problématique qui en recouvrait habilement une autre ?

Harry passa le reste de la journée à essayer de se concentrer sur autre chose – Considérations, magie sans baguette… Impossible. C'est pourquoi, alors que la nuit s'était installée, il se surprit à s'asseoir en face de Joyce dans la Salle Commune.

La joue appuyée contre sa main, les yeux fermés, la jeune fille semblait profondément assoupie ; mais son buste toujours maintenu, stable, encore en éveil, indiquait qu'elle était plus probablement en train de somnoler. Il toussota et elle papillonna des paupières.

« Stephen ? » demanda-t-elle d'une voix pâteuse. Aussitôt, cette réalisation sembla l'animer et elle s'ébroua.

« Je ne te dérange pas ? Tu pourrais aller te coucher si tu veux – tu n'es pas obligée de t'endormir tous les soirs sur ton boulot, tu sais... » Il tordit son cou pour lire à la volée les inscriptions sur les parchemins et livres étalés, plutôt respectueux du fait de la voir se cramponner à cette matière soporifique qu'était l'Histoire de la magie.

Joyce secoua la tête. « Je dois continuer à travailler, j'ai encore une montagne de choses à faire en Histoire, et je suis loin pour mes révisions. » Elle l'observa, la tête penchée sur le côté, des points d'interrogation dans les yeux, visiblement en attente. Harry pouvait bien le concevoir : il l'avait évitée durant des semaines.

Il ouvrit la bouche, pour aborder ce qui le tiraillait, mais il la referma, indécis. Comment dire ? Il resta bloqué ainsi durant un moment, Joyce patientant tranquillement, le temps qu'il arrive à formuler ce qu'il voulait dire.

« Comment as-tu su, pour toi ? »

Joyce prit une inspiration et resta à l'étudier un moment. Mal à l'aise, Harry gigota sur sa chaise. Elle s'humecta les lèvres, visiblement elle aussi craintive et indécise.

« Je suis simplement tombée sous le charme d'une fille. Une Gryffondor. Un… béguin, rien de bien sérieux et ça n'a pas abouti à quoi que ce soit. »

La jeune fille tripotait ses longs cheveux blonds, les yeux plantés sur la table, évitant son regard.

« Je n'aurais jamais osé… osé dire quoi que ce soit. Mais je me suis bien rendue compte au fur et à mesure que les garçons ne me faisaient aucun effet – alors que j'étais un peu plus… troublée à l'idée d'embrasser une fille. Ou d'entrevoir un… hum, un décolleté. »

Les joues de Joyce se colorèrent. « Et puis, un été, je suis allée dans le monde moldu. Cela a l'avantage d'être bien plus vaste, donc bien plus anonyme et déconnecté de sa vie. Plus… impersonnel. J'ai rencontré une fille, c'était juste une petite aventure d'été, pour 'tester'. Je me cherchais encore un peu, mais disons que cela a ôté les quelques résidus de doutes qui perduraient. J'avais la confirmation que mes goûts allaient vraiment vers les filles. »

Harry se mordilla la lèvre inférieure, pensif. « Hm. »

Joyce hésita. « Donc… tu as des doutes ? »

Harry contempla assidûment le sol. « Peut-être. Je n'en sais rien ! Je n'ai jamais rien éprouvé pour… pour un, eh bien, un garçon – il prononça le mot à voix basse – alors que j'ai eu un peu un intérêt pour deux filles. »

Elle hocha la tête.

« Je ne peux rien dire en ce qui te concerne, mais au début de mon adolescence, il m'est arrivé d'avoir un peu un béguin pour un garçon. Au final, je crois que c'était juste parce que des amies commençaient à parler de garçon, et qu'il fallait que je me prouve à moi-même que j'étais… normale. Tu vois ? Mon intérêt était plus un intérêt de romance vague et d'admiration pour quelques qualités mais c'était dépourvu de connotation… sexuelle. »

C'était un peu ce que craignait Harry. Les arguments qu'il s'évertuait de lancer en l'air retombaient lentement, comme des plumes, et leur course semblait ne pouvoir se finir qu'en s'écrasant au sol. Honnêtement, il avait trouvé Cho jolie, il avait bien aimé le fait qu'elle soit une bonne Attrappeuse ; pour Ginny… C'était peut-être pire, puisqu'il aimait un peu son côté… garçon manqué. Elle ne pleurait pas, c'était une forte tête – il fallait remercier son éducation avec six frères plus âgés qu'elle.

Harry gémit et se prit la tête entre les mains. Le dire fut difficile, mais il sentait qu'il avait besoin de Joyce – seul, il ne parviendrait pas à s'en démêler : « Le problème, c'est que j'ai l'impression de n'avoir aucun désir… sexuel pour qui que ce soit. Filles comme garçons. »

« Peut-être simplement parce que tu n'as pas trouvé quelqu'un qui t'intéressait réellement, » fit Joyce d'une voix douce, rassurante. « Cela va peut-être te paraître niais, et ça change de l'image des adolescents garçons bourrés d'hormones, mais il te faut peut-être tomber amoureux pour ressentir ensuite du désir. Ou peut-être que ce n'était pas encore le moment. Je veux dire... »

Elle referma ses livres et entassa ses parchemins en une pile plus ordonnée, alors qu'elle réfléchissait. « Si je comprends bien, tu es quand même préoccupé par pas mal de choses – les ennuis personnels n'aident pas forcément à favoriser une vie sexuelle épanouie. Et peut-être aussi que tu réprimes tout ça… de peur de ce que tu pourrais découvrir. »

« Je ne sais pas quoi faire, » murmura Harry. « J'ai effectivement bien d'autres choses auxquelles penser, mais ça commence un peu à me… perturber. J'ai l'impression de ne pas être normal, et... »

Il ferma les yeux. Pendant tout ce temps, il avait été à part. Enfant, il avait été un monstre, un poids, caché dans le placard sous l'escalier – le garçon étrange qu'il ne fallait pas approcher de peur des représailles de Dudley. Et puis, il avait été le Survivant – encore une fois, une place différente. Le Fourchelangue. Celui-qui-racontait-des-bobards. L'Élu. Il avait l'impression d'être toujours celui qui déviait des choses communes.

L'idée même qu'il ne puisse pas vivre une vie normale dans sa sphère personnelle l'angoissait. Il inspira un coup. Peut-être que c'était seulement passager. Peut-être simplement qu'il n'avait pas trouvé la bonne fille – quoi que puisse vouloir dire 'la bonne'.

« Si tu veux… » fit Joyce, « il y a quelque chose qui pourra peut-être t'intéresser. Il y a une section un peu cachée à la bibliothèque qui parle de sexualité. La plupart sont des livres pour hétéros, et surtout pour les jeunes filles, avec sorts et potions de contraceptions, des informations sur les menstruations et autres problèmes auxquelles les adolescentes commencent à être confrontées. Même si la société sorcière – comme moldue – n'est guère favorable aux personnes ayant des préférences sexuelles différentes, un livre récent, qui a le mérite d'exister, parle un peu d'homosexualité. Pour les filles comme pour les garçons. Cela pourra peut-être t'intéresser de le consulter. » Elle toussota, gênée. « Il y a des… images. Intéressantes. »

Harry leva les sourcils. Elle lui indiqua où se trouvait cette petite section cachée. Apparemment, elle était dans un enfoncement, délimité par une section d'âge – seules les personnes de plus de quinze ans pouvait passer le mur.

« Quinze ans ? C'est pas un peu tard pour certaines informations pour les filles ? » demanda Harry, vaguement curieux.

« Si, tout à fait. » Elle haussa les épaules. « Mais c'est déjà ça. Il faut savoir que les sorciers sont quand même assez pudibonds. Apparemment, depuis quelques années, les jeunes sont un peu plus libérés – mine de rien, on est un peu influencé par l'évolution des mœurs et de la société moldue, mais les sang-purs sont toujours… guindés. Et les générations plus âgées… Je crois même que cette petite section n'existait pas cinq ou six ans auparavant – les livres qui s'y trouvent sont neufs par rapport aux ouvrages de la bibliothèque – des grimoires antiques. »

Suite à ces indications, Harry dénicha le recoin après les cours du lendemain. Il fallait quand même savoir que cette section était présente – il était difficile d'y tomber par hasard. Probablement le bouche à oreille, comme venait de le faire Joyce, mais il avait une petite pensée pour les adolescents solitaires et gênés…

Il parcourut du regard quelques titres, feuilleta certains livres – il frissonna un peu de dégoût devant tout ce qui se rapportait aux règles des filles – beurk. Il y avait même des romans, remarqua avec surprise Harry.

Il dénicha finalement le livre que Joyce avait mentionné. Comme il n'était pas question de l'emprunter – et il hésitait même à le sortir et se trimbaler avec…

Ah, donc contourner les protections et se balader avec des ouvrages de magie noire, ça passe, mais avec un guide pour les homosexuels, c'est inenvisageable ? Intéressant…

Harry serra les dents, puis s'assit en tailleur par terre pour lire un peu plus attentivement le contenu. Les images le firent déglutir et rougir de gêne – non, non, non – mais il parvint à s'astreindre à la lecture.

Il en fut tiré moins d'une heure plus tard par l'arrivée de quelqu'un d'autre. Les bruits de pas étouffés le firent sursauter et c'est avec le cœur s'emballant d'angoisse qu'il leva les yeux pour identifier le nouveau venu. C'était un Serdaigle – Harry reconnu Lewis Bladwell, le fameux cousin de Nadège. Harry sentit à nouveau ses joues se farder désagréablement, et d'un air qu'il aurait voulu nonchalant, il referma le livre et le cacha à moitié.

Son geste fut vain, un sourire entendu s'étirant sur le visage de Bladwell tandis qu'il reposait mine de rien des romans sur les étagères les plus basses. Harry se racla la gorge – le silence était accablant. Vous êtes pris sur le fait, Potter – jugé coupable. Cou-pable ! Cou-pable ! Bladwell l'examina un instant.

« Il est intéressant, hm ? J'aime beaucoup la page 56, » fit Bladwell, l'air de rien.

Harry se tendit immédiatement, et le sourire du garçon s'accentua. « Tu as beau cacher le titre, je reconnais la couverture violette. » Ce n'était plus une impression d'avoir les joues empourprées – il devait être cramoisi – la chaleur s'étendait jusque dans la nuque. Et Bladwell paraissait sans gêne – pourtant… pourtant, s'il connaissait le livre.. et il a dit qu'il aimait la page 56, ça veut bien dire…

« Je ne savais pas que tu jouais dans cette catégorie, Curson. »

Harry avait la gorge trop serrée pour répondre quoi que ce soit. Sourire toujours en coin, Bladwell s'éloigna tranquillement, laissant Harry patauger dans sa honte.

Il hésita un peu à reprendre sa lecture – cette rencontre l'avait échaudé, mais la curiosité gagna et il ne put s'empêcher de vérifier ce qu'il y avait à la page 56.

Les images étaient explicites.

Il referma aussitôt le livre. Il décida que les émotions suffisaient pour aujourd'hui et s'éloigna prestement de ce lieu.

Lorsqu'il revint dans la salle commune, d'une certaine façon, Joyce dû comprendre d'où il venait. Les autres étant présents, elle se contenta de lever les sourcils d'un air interrogatif. Harry grimaça un sourire, et haussa les épaules en signe d'indécision. Joyce lui rendit son sourire, d'un air entendu et rebondit mine de rien sur une anecdote que racontait Alice.

xXx

En sortant du Poudlard Express, Harry avait décidé de louer une des chambres de la Gargouille Aveugle. La piaule était imprégnée d'humidité et dégageait un remugle peu engageant. Les murs squalides s'effritaient et Harry crut y voir des parasites courir le long des fissures. Il y déposa ses affaires, et pris le temps de relire la dernière lettre de Ménélas, le Maître en Legilimancie, indiquant de se retrouver au Babioles Intimesnom qui le laissait pour le moins… circonspect. Le rendez-vous était le lendemain, mais Harry préféra se rendre sur les lieux immédiatement pour s'y repérer et voir en avance de quoi il s'agissait.

Il mit du temps à la dégoter : c'est dans une étroite venelle reliée à l'Allée des Embrumes, axe central du quartier, qu'il trouva la boutique en question. Proche de Dessus Dessous, distinguant un peu plus loin le nom Minette Écarlate, c'est seulement en prenant en compte cet environnement que les jouets furent prévisibles. Il observa avec consternation la vitrine indigo, qui présentait godemichets et menottes, potions et livres explicites. Et, était-ce là un vagin ?

L'idée que le rendez-vous ait lieu à l'intérieur était dérangeant. Il lui faudrait parvenir à entrer dans la boutique, et ce ne serait pas une mince affaire quand il songeait à son malaise. Précipitamment, il rentra dans sa petite chambre misérable de la Gargouille Aveugle, en sécurité, loin des regards oppressants et des objets inconvenants. Pourquoi Ménélas voulait-il le voir là-dedans ? Un bar n'aurait-il pas suffi ? Pourquoi fallait-il que ce premier contact se produise dans un sex-shop, bon sang ?

Le lendemain, il traîna donc les pieds jusqu'à ce petit espace confiné dans un recoin de l'Allée des Embrumes, où tous les pervers venaient probablement se fournir. Avec une grande inspiration, il pénétra dans cette antre, essayant de ne pas inscrire sa gêne dans sa démarche, son allure ; faisant glisser son regard le plus naturellement possible sur les phallus colorés qui se mouvaient par magie.

Des accessoires délirants, aux pastilles à base de potions qui induisaient la réalisation de certains fantasmes programmés par rêve, en passant par les crèmes aphrodisiaques, la panoplie était large. Quelques livres s'entassaient dans un coin, abordant des sortilèges, potions ou rituels sexuels.

Un bref coup d'œil lui apprit ainsi l'existence de potions d'élasticité, de duplication, d'élongation, de force… Certaines potions courantes, remises dans un contexte sexuel, prenaient une tout autre allure. Des livrets indiquaient le mode d'emploi d'objets pouvant délivrer autant du plaisir que de la douleur, à côté desquels s'étalaient des guides d'humiliation. Harry sentit des gouttes de sueur froides dégouliner le long de sa colonne vertébrale à la vue d'images et illustrations perturbantes.

L'une d'elle attira son regard, représentant deux hommes, affairés, l'un à quatre pattes, l'autre au-dessus. Ses genoux s'affaiblirent curieusement, et sa gorge s'assécha. Il allait prendre une inspiration bienfaitrice pour réguler la sensation de chaleur qui s'emparait de ses intestins, quand un homme, derrière lui, interrompit brutalement ce nuage cotonneux et dangereux dans lequel il venait de s'embourber.

« Monsieur Curson, je présume. »

Harry s'apprêtait à se retourner, mais l'homme le retint. « Faites comme si nous ne nous parlions pas. Continuez d'observer les livres, nous parlerons brièvement à voix basse. » Frustré, Harry resta face aux livres.

« En synthétisant, je veux savoir ce qui vous pousse essentiellement – vos motivations. Soyez franc. Il n'est pas nécessaire de prendre des détours, ou de mentir, même par omission. Vous me demandez d'être intime psychiquement parlant avec vous – si vous ne pouvez pas exposer crûment vos motivations, nous ne pourrons pas avancer, et nous nous arrêterons là. Comprenez bien que rien n'est décidé de mon côté, il va falloir me convaincre. Ceci est votre seule occasion. »

Harry maintint sa respiration. Devant lui, les deux hommes de l'illustration se mouvaient toujours l'un contre l'autre, dans des mouvements lascifs, explicites, et sentir la présence de Ménélas derrière lui le troubla. Il lui fallut toutes ses forces de concentration pour arriver l'espace d'un instant à se focaliser sur ses paroles et non sur sa présence – derrière lui.

Il déglutit, intégra les paroles – et d'un coup, le stress monta. Comment faire confiance ? Comment être aussi explicite et franc que lui demandait l'individu, alors qu'il était précisément derrière lui, qu'il ne le voyait pas – et qu'il ne l'avait même pas vu arriver ?

Eh bien, il était évident que tout était calculé avec précision. Le choix même de la boutique semblait prendre sens au vu de ses paroles. Intime psychiquement, avait-il mentionné. La tournure de phrase était interpellante, pointant d'emblée l'enjeu de cet apprentissage et ses risques en deux mots. Harry prit le temps, quelques secondes, pour admirer la manœuvre à sa juste valeur. Impressionnant.

Puis il se focalisa. Quelles étaient ses intentions ? Il rassembla toutes les raisons essentielles. Et, pour l'une des fois très rares depuis qu'il était arrivé dans le passé, il fut entièrement franc – sans le moindre détour – il venait de comprendre très vite, en un instant, qu'il ne pouvait pas se le permettre.

« J'ai depuis des années un ennemi mortel qui est un maître en Legilimancie et en Occlumancie. Nous avons une connexion mentale particulière qui m'oblige à étudier ces disciplines si je ne désire pas qu'il prenne le dessus sur moi. C'est une question de vie ou de mort – pour moi, mais aussi pour de nombreuses personnes. Beaucoup attendent que je puisse le vaincre, et je ne pourrai pas le vaincre si je n'apprends pas. Ce n'est pas une motivation. Ce n'est pas une envie, un désir, ou quoi que ce soit. C'est une nécessité, » asséna Harry.

Il espéra que cela ne faisait pas trop mélodramatique, digne d'un histrion qui se gorgeait de pathos uniquement pour l'effet fastueux et la captation de l'attention. Il n'énonçait que la stricte vérité, quand bien même elle paraissait sentencieuse, et il craignit que cela ne le desservisse.

Il compléta son propos : « Et puis, peut-être suis-je manipulé mentalement – j'ai besoin là aussi d'apprendre ces magies de l'esprit pour distinguer ce qui m'appartient, ce qui est de mon fait, ce qui est de la réalité, de ce que l'on m'impose. Ceci est sans compter les secrets que je porte – et dont les conséquences seraient désastreuses si ces secrets étaient dévoilés, y compris à des personnes en qui j'ai confiance. Il y a des vérités que personne ne doit savoir, et qui doivent être claquemurées de force. Je ne peux pas me permettre d'être dévoilé – l'enjeu est bien trop grand, et il me dépasse. »

Harry se mordit les lèvres, anxieux. C'était un point réellement important. Il acheva son discours par une légère provocation, un trait d'audace : « La réelle question, à mes yeux, est : pouvez-vous garder ces poids en vous, pour vous, et ce, jusqu'à la fin de vos jours ? Est-il possible d'apprendre quelque chose d'aussi intime sans se connaître, et avec l'assurance totale et irrémédiable qu'aucune fuite ne pourra être possible, de façon absolue ? »

La présence ne bougea pas d'un cheveu, immuable, la calme respiration toujours régulière. Il y eut un silence. Puis finalement, le verdict fut lâché :

« Retrouvons-nous au Passe-Muraille, au bout de l'Allée des Embrumes. Ce soir, 21 heures 30. Demandez à l'homme présent à l'accueil 'Paracelse'. Il vous indiquera le chemin. »

Avec insouciance, l'homme reposa un article sur une étagère, puis s'éloigna de quelques pas. Il reprit un nouvel article, qu'il étudia consciencieusement ; son attention évitant sciemment Harry. Ce dernier détacha son regard de l'illustration qu'il fixait depuis le début, et lentement, en flânant, il se dirigea vers la sortie. Sa curiosité vorace le poussa à jeter un rapide coup d'œil à Ménélas avant de déguerpir de la boutique.

Entre deux âges, la quarantaine – peut-être plus – ses cheveux longs, noués en catogan, d'une teinte de cendre, se mêlaient en camaïeu avec la robe bistre qu'il portait. De son visage parcheminé, aux traits taillés à la serpe, jusqu'aux yeux métalliques ; tout semblait être gris chez lui, d'un acier terne, érodé mais efficace.

Harry ne s'attarda pas et sortit vers l'étroite ruelle sombre, se sentant ébranlé par cette rencontre. Il retourna dans un état second jusqu'à sa petite chambre infecte. Affalé sur le matelas inconfortable, il laissa ses pensées voltiger, conscient qu'il allait aborder des sentiers périlleux, pénibles, au potentiel menaçant, alors que la crainte effarante d'une débâcle bordait la voie.

Solder son apprentissage par un échec ne serait pas que lamentable, mais le laisserait dans une situation alarmante. Qui plus est, songea Harry en se retournant, entamer sa formation avec ce fardeau pesant sur ses épaules n'était pas propice à lui dégager le parcours vers le succès espéré. Son repas fut frugal, s'astreignant à se nourrir par simple nécessité corporelle. C'est donc dans un état d'esprit paradoxal, tiraillé par sa volonté et sa résolution d'une part, et par son appréhension et sa fébrilité d'autre part, qu'il chemina jusqu'au bout de l'Allée des Embrumes.

Les bâtiments se ramassaient les uns sur les autres à mesure que l'Allée s'étrécissait, des boyaux filant de toutes parts pour accéder aux multiples habitations entravées. Le sentiment d'oppression qui s'en dégageait devenait dès lors bien plus physique que le malaise ambiant qui régnait en amont, où les commerces et le trafic rassemblaient la population intimidante. Ici, quelques miséreux traînaient, mais le secteur paraissait plutôt d'ordre résidentiel, plus désagréable voire déplorable que réellement redoutable.

Dans un ultime détour, l'Allée s'acheva en tête d'épingle par un édifice imposant d'allure gothique, qui surplombait les logements délabrés. L'entrée, illuminée par deux réverbères timides, indiquait sur une plaque en fer 'Le Passe-Muraille'. La porte grinça sinistrement, découvrant ce qui devait être une taverne ou quelque tripot délaissé à cause de son emplacement.

L'entrée, exiguë, possédait un comptoir et deux ou trois épais tapis amoncelés aux couleurs bigarrées. Des candélabres suspendus au plafond, dont les flammes verdâtres faisaient luire et miroiter des ombres et lumières de cette teinte sur l'ensemble de l'entrée, y apportaient une touche de mystère surréaliste. Sur l'un des murs était crocheté un tableau d'une bohémienne tournant le dos, penchée sur un talisman, installée dans une roulotte d'allure tzigane. Des arches en pierre laissaient entrevoir des salles adjacentes, décorées de manière vieillotte, agrémentées par des tables, fauteuils et sofas.

Un homme se tenait derrière le comptoir en bois, drapé d'habits sorciers couleur lie-de-vin et ocre, arborant un masque d'aspect vénitien, dont le long bec évoquait celui d'un oiseau. Les gants blancs et le haut col empêchaient d'apercevoir sa peau. Il examinait Harry, silencieux et immobile.

Intimidé, Harry piétina devant le comptoir, se racla la gorge et à voix basse, comme pour ne pas rompre l'ambiance feutrée, demanda de voir 'Paracelse'. L'homme opina du chef, et sans un mot, il fit signe à Harry de le suivre, se déplaçant vers une des salles adjacentes baroques, puis une autre. Harry trottina derrière lui, les bruits de pas étouffés par les épaisseurs de tapis.

Ils ne croisèrent qu'un unique homme, installé à une table et écrivant sur un parchemin d'une belle plume vert canard. Un chat tigré lisait un journal, assis dans un fauteuil. Harry cligna à peine des yeux devant cet élément insolite – l'atmosphère était déjà singulièrement voilée d'une impression d'irréalité onirique.

La pièce suivante était dotée d'un escalier aux rambardes en fer forgé qu'ils empruntèrent, se hissant alors jusqu'à un sombre couloir biscornu, des miroirs déformants et feux magiques sous verre rivés aux murs vert-de-gris. Les portes, peintes en bleu pétrole, indiquaient des horaires sur de petites plaques cuivrées. Ils s'arrêtèrent devant la chambre de 4h20. L'homme masqué pointa la porte d'un large geste de main élégant, se pencha légèrement en avant pour le saluer, puis repartit sur ses pas.

Il n'avait pas prononcé le moindre mot ou émis le moindre son.

Harry attendit d'être seul puis toqua doucement à la porte. Une voix perça pour l'inviter à entrer. Ignorant son stress qui venait de grimper d'un cran, Harry examina la chambre après avoir refermé la porte avec précaution. Dans ce même décor suranné qui composait l'établissement, elle était relativement spacieuse, aux meubles en bois sombre et aux teintes cul-de-bouteille et champagne, une tapisserie usée jusqu'à la moelle habillant le mur au-dessus du lit.

L'un des coins était agencé avec deux fauteuils qui se faisaient face, près d'une modeste cheminée, guéridons anciens à leurs côtés, invitant à y boire un verre sous la tendre chaleur du feu. Ménélas était installé dans l'un d'eux, indiquant d'un geste de main celui d'en face pour inviter Harry à s'y asseoir. Le regard du Maître de Legilimancie, qu'il croisait directement pour la première fois, était perçant, aiguisé comme une lame, si bien que Harry détourna promptement la tête.

« Alors, dites-moi – Monsieur Curson, n'est-ce pas ? - comment avez-vous pris connaissance de mon nom ? » engagea Ménélas, croisant ses mains sous son menton.

Harry s'installa confortablement dans le fauteuil, pour se composer une meilleure tenue et ne pas ressembler à un chaton effrayé que l'on eut jeté vicieusement dans un baquet d'eau glaciale.

« Un élève de Poudlard, Severus Snape. Je lui avais demandé des noms, et vous étiez mentionné dans sa liste. » En l'occurrence, il ne voyait aucune raison de mentir.

« Pourquoi moi ? » insista curieusement Ménélas.

Perplexe, Harry haussa négligemment les épaules. « Vous êtes le seul à avoir répondu. »

L'homme acquiesça, pensif. « Severus Snape… Je vois. C'était initialement son goût pour les potions et les expérimentations qui nous avait permis d'entrer en contact. D'une grande curiosité intellectuelle, ce jeune homme. »

Harry ne commenta pas.

« Jusqu'où êtes-vous prêt à aller, Monsieur Curson ? »

Le changement de sujet radical désarçonna un peu Harry, d'autant plus que les yeux gris l'examinaient tel un rapace. Néanmoins, la réponse s'imposait naturellement à lui ; seule une démarche jusqu'au-boutiste serait valable.

« Le plus loin possible. »

Quelque chose dans le regard de Ménélas passa.

« Demandez-vous si vous le voulez, » insista l'homme. « L'apprentissage de la Legilimancie et de l'Occlumancie ne se fait pas sans risque. Vous allez pénétrer dans les profondeurs de votre esprit, et vous allez avoir la possibilité de faire de même envers autrui. Ce pouvoir n'est pas anodin. Ce n'est pas pour rien que la magie de l'esprit est mal considérée. »

Il se leva pour sortir deux verres d'un petit meuble, ainsi qu'une carafe où reposait un liquide ambré.

« Aussi, on ne peut manier son esprit en guise d'arme contre un autre esprit si l'on ne connaît pas intimement la manière dont il fonctionne. Vous allez devoir apprendre à emprunter les sentiers sinueux de votre esprit, et à vous révéler à vous-même. »

Il en versa deux doigts, rangea la carafe et déposa les verres sur les guéridons.

« Et, il faut bien le pointer - » souligna-t-il en se rasseyant, « - révélation en ma présence, avec ma guidance. Alors, je le répète pour que nous soyons bien certains : êtes-vous sûr ? »

Ce qu'exprimait Ménélas ne surprenait en rien Harry – il l'avait déjà pressenti. En dépit de cela, le ton était pesant, inquiétant, et faisait remuer en Harry des marasmes de craintes, d'angoisses, de murmures sombres cachés dans les replis. Mais, la question n'était pas là. Harry secoua la tête.

« Je n'ai pas le choix, en réalité. C'est ça ou mourir. »

Son propre ton avait repris les couleurs mélodramatiques qu'il avait employées dans la boutique de jouets sexuels ; mais l'homme resta strictement impassible à son élan emphatique.

« Nous avons toujours le choix. Vous avez le choix d'emprunter le chemin que vous voulez ; qu'il s'agisse de celui escarpé et torturé de l'esprit humain, ou des difficultés auxquelles vous serez confrontés sans apprentissage de défense de l'esprit, ou même encore de choisir les bras de la faucheuse. Il est essentiel que vous le compreniez. Il n'y aura pas de retour en arrière ; et je ne veux pas que vous appreniez par défaut, parce que ce chemin vous paraît le plus évident, ou le plus facile. »

Harry fronça les sourcils à l'écoute de ce laïus. Il était tout à fait louable de la part du Maître en Legilimancie de prendre ces précautions, mais c'était chose vaine avec lui.

« Je sais que ce n'est pas le chemin le plus facile, loin de là. Écoutez, j'ai déjà eu des leçons d'Occlumancie qui se sont soldées par un échec parce que j'étais bien trop jeune, et que je ne comprenais justement pas la nécessité, ni les implications. On m'avait mis au pied du mur, et je n'avais pas eu voix au chapitre. »

Il pinça les lèvres à ce souvenir, pestant contre Dumbledore. Snape n'avait probablement pas eu le choix non plus, car il n'aurait jamais accepté de bon cœur.

« Depuis, j'ai compris, je sais que je dois en passer par là, et ce n'est pas uniquement un impératif extérieur, mais une conviction intime. Je sais aussi que ce serait une confrontation avec mes démons internes… » Harry suspendit un instant sa parole. « Mais il est temps. Je ne veux pas fuir. Je sais ce que je fais. »

Que tu crois, Potter. Harry ignora ces grincements.

Ménélas se frotta la mâchoire. Un long silence s'étira. Harry en profita pour reprendre le contrôle des battements frénétiques de son cœur ; et parcourut avec curiosité la pièce du regard. Il n'y avait aucun objet personnel ou intime exposé, qui aurait pu donner une information quant au locataire. Ménélas habitait-il ici ? Qu'était cet endroit ?

Ménélas soupira, et reprit la parole.

« Si nous partons donc sur ce principe, il nous faut établir les termes de notre contrat. Dans ces conditions, je travaille habituellement avec un Serment Inviolable ; un membre du personnel du Passe-Muraille en guise d'Enchaîneur, eux-mêmes étant sous une clause de confidentialité à mon propos. Je n'apprécie pas les oubliettes ; je sais que certains Maîtres l'acceptent volontiers, mais je considère que les dégâts engendrés dans les souvenirs sont trop handicapants et je refuse donc ces pratiques. »

Harry lapa l'alcool ambré – ce n'était pas du Whisky-Pur-Feu, mais ses connaissances œnologiques étant inexistantes, il ne sut de quoi il s'agissait. Il ne devait pas se faire d'illusion : l'homme apprendrait nécessairement pour son petit saut temporel inopportun... Un musellement s'avérait indispensable. Si cela ne tenait qu'à lui, Harry aurait préféré cumuler ce genre de sécurité, mais sa marge de manœuvre était réduite : les Maîtres ne se bousculaient pas au portillon – ce Ménélas était donc sa seule chance de pouvoir apprendre dans les temps à venir. La question de l'Enchaîneur l'inquiétait.

« Qu'est-ce que cet endroit ? Comment m'assurer que l'Enchaîneur restera discret à mon propos ? »

Ménélas eut un drôle de sourire. « Et que pensez-vous que soit le Passe-Muraille ? »

« Justement, je l'ignore, » s'agaça Harry, mais il tenta : « Un hôtel ? Un club de… Je ne sais pas. »

«En ce qui concerne l'Enchaîneur, en plus du contrat de confidentialité, les membres du personnel, qu'on appelle ici passeurs sont tous muets. Leur langue a été coupée, et leur identité est gardée secrète par leurs masques. Vous n'avez rien à craindre d'eux, ils préféreront mourir que transmettre une information ; et l'enchaînement de Serments fait parti de leurs services et prérogatives. »

Harry écarquilla les yeux, bouche bée. Les questions se bousculaient après ces miettes d'informations. Finalement, il coassa : « On leur coupe la langue… ? Mais… Je ne comprends pas. Ils acceptent délibérément ça en… travaillant ici ? »

Le Maître en Legilimancie acquiesça sobrement, laissant Harry dans un sentiment d'incompréhension, d'indignation et d'horreur. Dans quoi ai-je atterri ?

« Cela vous paraît-il ainsi plus acceptable de recourir à un passeur en guise d'Enchaîneur ? » le relança poliment Ménélas.

Harry soupira. « Le Serment Inviolable me convient, » concéda-t-il. « Je veux que ce que vous apprendrez durant ces séances ne puisse jamais être écrit, dit, ou quelque forme informative que ce soit. Vous ne transmettrez aucune information que vous auriez obtenue durant ces séances à mon propos ou à propos d'autrui. De même, je veux non seulement la garantie informative, mais aussi de l'acte – c'est à dire que vous n'agirez pas en conséquence, que vous ne mènerez aucune action qui puisse avoir un rapport de près ou de loin avec ce que vous apprendrez. En d'autres termes, je vous que vous fassiez comme si vous ne m'aviez jamais connu, jamais vu. Comme si de rien n'était, et ce, pour le restant de votre vie. »

L'homme resta muet un instant, les sourcils légèrement froncés. « Vous prenez de nombreuses mesures. La plupart du temps, l'assurance qu'il ne sera rien répété est suffisante. »

Un sourire amer s'étira sur le visage de Harry. « Je vous l'ai dit, cela va plus loin que des petits secrets honteux. Il est question de vie ou de mort, et ma petite personne n'est pas la seule à entrer en ligne de compte. »

Ménélas le fixa, imperturbable. Harry se dandina, un peu mal à l'aise, sur son vieux fauteuil de velours élimé, mais sa détermination infaillible le força à renvoyer son regard à Ménélas..

« Bien, » consentit-il. « En retour, je demande généralement la même chose de la part de l'élève. Réciprocité exacte. En ce qui vous concerne, je n'attends rien d'aussi extrême de votre part. Une confidentialité des informations apprises, mais en revanche, vos agissements m'importent peu, et s'il s'avère qu'ils doivent être modifiés en fonction de ce que vous apprenez de moi, cela ne me dérange guère. Je considère même qu'il puisse être vital que vous soyez en capacité d'agir en conséquence et en toute connaissance de cause. »

Ainsi, ils s'accordèrent sur la formulation précise du Serment Inviolable. Ménélas s'absenta pour aller s'enquérir d'un passeur. Vêtu de la même robe lie-de-vin et du même masque que celui que Harry avait vu, la seule chose qui différencia celui-ci était les boucles châtains qui s'échappaient du catogan. Harry se leva et rejoignit au centre de la chambre leur étrange trio. Sa main droite vint agripper celle de Ménélas, tandis que le passeur sortit délicatement une fine baguette de sa robe.

Quelques instants plus tard, la sensation de percevoir les langues de feu enserrées autour de son poignet toujours présente, Harry s'accorda avec Ménélas quant au fait qu'il viendrait tous les jours dans cette chambre, de vingt heures à minuit environ. Le Maître en Legilimancie ne pouvait guère plus tôt, des obligations mystérieuses l'occupant en journée, et décréta que ces quelques heures seraient suffisantes, car être trop gourmand ponctionnerait l'énergie qu'allait devoir déployer Harry. Ce dernier n'insista pas.

Et alors, les leçons purent réellement commencer.

xXx

« J'aimerais que vous me retraciez votre parcours en terme de Legilimancie et Occlumancie. Ce que vous en savez, ce que vous avez appris, ou compris ; et dans quel contexte. Il ne s'agit de pas donner une 'bonne réponse' mais que je sache mieux où vous en êtes afin de débuter cet enseignement de la manière la plus adéquate et pertinente possible. »

Intimidé et embarrassé, Harry s'enfonça un peu dans son fauteuil de velours. Il n'aimait pas placer pitoyablement des mots sur cette magie ; les vociférations moqueuses de Snape à son encontre résonnaient bien trop dans ses oreilles, les faisant rougir de honte.

Il resta alors dans un premier temps factuel, exposant les grandes lignes – romancées et nuancées – qui l'avaient amené à devoir apprendre à 15 ans l'Occlumancie, par son professeur de potion, alors que ce dernier lui vouait une haine et un dégoût impitoyables et bien enracinés. C'est seulement une fois qu'il ne put plus user de circonlocutions qu'il aborda de plein pied ce qu'il avait 'compris' de l'Occlumancie et de la Legilimancie.

La crainte de paraître pour un incapable abruti était présente, mais Ménélas resta tout ce qu'il y a de plus flegmatique durant son discours, un air concerné et d'une neutralité rassurante sur le visage. Cela permis à Harry de s'enhardir peu à peu, et de développer plus précisément et honnêtement ce qu'il avait cru appréhender, et ce qu'il n'avait pas saisi.

L'homme laissa l'espace libre à Harry pour qu'il s'exprime de tout son saoul, étirant le silence de façon à s'assurer que Harry ne désirât point rebondir sur de nouveaux éléments surgissant à son fil de pensées. Lorsqu'il parut évident que la parole s'était éteinte, Ménélas se redressa, dessinant un petit cercle du bout de son index au niveau de sa tempe droite.

« Je vous remercie. Votre représentation des magies de l'esprit est intéressante. Certes, il manque peut-être des subtilités ; mais dans ce cas je n'aurais pas eu à vous enseigner. Sachez déjà que les simples termes de Legilimancie et Occlumancie peuvent être source de débats quant à ce que ces branches représentent – les définitions ne sont en réalité que des définitions, permettant de rendre audible des concepts magiques, mais la magie ne s'embarrasse pas de petites cases et catégories proprement bien délimitées. »

Harry cligna des yeux. C'était une réflexion intéressante qui, lorsqu'on l'étendait à bien d'autres domaines de la magie, pouvait alimenter des pensées fécondes et engager une nouvelle vision de la magie. D'ailleurs, cela lui évoquait en partie des éléments qu'il avait pu lire dans l'ouvrage des Considérations Métaphysiques de la Magie…

« Ainsi, malgré les polémiques au sein de la communauté magique des savants quant à la légitimité de distinguer différentes branches, et lesquelles, un consensus existe pour retenir un terme concernant l'ensemble de la magie de l'esprit, à savoir : la Psychemancie – terme qui a pérégriné depuis l'antiquité grecque. »

C'était un mot que Harry se souvint brusquement avoir déjà lu, mais il n'y avait alors guère prêté attention, ayant intuitivement songé qu'il s'agissait juste d'une dénomination permettant d'englober la Legilimancie et l'Occlumancie, sans que cela ne soit particulièrement important.

« La subdivision de la Psychemancie pose certes question, mais sachez que l'on a tout de même pour habitude d'identifier une dichotomie ; un axe représentant un mouvement d'intrusion, de pénétration psychique, l'autre de défense, d'expulsion psychique. »

Ménélas se leva de son fauteuil pour préparer du thé. Pour l'instant, Harry ne voyait pas bien à quoi tout ceci pouvait rimer – la Psychemancie avait bien l'air d'être simplement la résultante de la Legilimancie et de l'Occlumancie. Tout simplement. L'homme posa la théière sur le guéridon, dans l'attente de l'infusion de thé.

« Pourtant, il est en réalité possible de discerner plusieurs formes d'intrusion ou d'expulsion. Certains voudraient dès lors nommer ces différentes facettes, en sachant que la détermination de ces catégories est sujette à interprétation. Pour plus de clarté entre nous, et qu'il n'y ait pas de contresens, j'appellerai personnellement 'Legilimancie' et 'Occlumancie' les actes les plus communément prêtés à ces deux termes, dans le langage courant – dans la mesure où ces magies relèvent du langage 'courant'. »

Sur ces paroles, Ménélas lui versa une tasse de thé, qu'il déposa à ses côtés, et en fit de même pour lui-même. Harry se passa la main dans les cheveux, et prit la peine d'insister, ne désirant pas commencer son 'nouvel' apprentissage sur des sables mouvants.

« Donc, vous voulez dire qu'il y a différentes formes de Legilimancie ? »

Ménélas sirota son thé, et déposa la petite tasse sur la coupole de porcelaine blanche en hochant la tête.

« Comme vous l'avez pointé, il ne faut pas confondre Legilimancie et 'faculté de lire dans les pensées'. On ne lit pas, on voit. Plus spécifiquement, ce que j'appelle 'Legilimancie', en terme de 'langage courant', est la faculté de naviguer au sein des souvenirs d'un autre individu que ce soit au niveau superficiel de la mémoire immédiate – et donc similaire et aussi instantané que ce que l'on peut appeler 'pensée' par défaut – ou à un niveau plus profond, de mémoire à long terme voire enfouie. »

Il s'interrompit en instant, pour verrouiller son regard dans celui de Harry, et s'assurer que le message était suffisamment limpide.

« Pourtant, notre action potentielle en guise d'intrusion de la psyché d'autrui ne se limite pas à ceci. Même de manière proche, on peut se demander si la modification des souvenirs, par exemple, relève de la Legilimancie, en ce que l'étymologie renvoie uniquement à la lecture de l'esprit. Mais la question est en réalité bien plus large encore, puisqu'une personne accomplie dans la Psychemancie peut aller bien plus loin que les souvenirs de l'individu. »

Il leva les yeux au plafond, l'air songeur. « Théoriquement, à vrai dire, à l'ensemble de la psyché humaine – des représentations mentales jusqu'à arpenter les profondeurs de l'Inconscient. » Son ton professoral avait été remplacé par un air grave, plus proche d'une confession que d'une explication. « Au même titre que nous pouvons presser les souvenirs pour les modifier, il peut même être possible d'altérer les représentations, au sens où une structure conceptuelle de la psyché peut être transformée. »

Un frisson glissa le long de la colonne vertébrale de Harry, explosant en fourmillements glaciaux dans sa nuque. Sa respiration s'accrocha. Il se pencha en avant, les coudes sur ses genoux, et demanda avec une certaine urgence dans la voix.

« Qu'en est-il des illusions ? Est-ce justement une autre branche, une autre forme intrusive ? »

Ménélas leva les sourcils devant son intonation, et acquiesça d'un bref geste de la tête, puis la balança lentement de gauche à droite comme pour soupeser l'idée.

« Oui… et non. Les illusions pourraient entrer dans le cadre de l'Invamancie ; qui consiste à agir directement sur toutes les sphères de l'esprit, à 'envahir' littéralement l'autre, jusqu'à cette notion de restructuration que j'ai pu évoquer. Néanmoins… »

Son regard se perdit dans le vide, en pause réflexive. « Imposer une réalité à quelqu'un, la lui déformer, lui brouiller les sens, est encore un registre un peu différent. Il faut certes des connaissances en Psychemancie, mais aussi en sortilèges de haut niveau. Les illusions sont à la frontière de ces domaines ; la magie n'est hélas pas si clairement compartimentée, mais mouvante. Ce sont les humains qui requièrent de structures cloisonnées pour comprendre ; en réalité, c'est un tout, fluide, interconnecté. »

Harry resta perplexe. Pour l'instant, il se sentait un peu embrouillé.

« Mais revenons à cette dichotomie entre Legilimancie et Occlumancie. À l'inverse, le mouvement psychique opposé de ces intrusions, on retrouve le pendant défensif, communément appelé Occlumancie, en opposition à la Legilimancie. Mais au même titre que cette dernière, les lignes ne sont pas si droites. On entend par là souvent l'action de fermer son esprit, d'établir une barrière contre toute tentative d'intrusion de son esprit. Pourtant, nous pouvons aussi aller jusqu'à naviguer au sein de notre psyché, y perdre l'opposant, voire agir sur notre propre psyché au même titre qu'autrui peut le faire sur le nôtre. »

Ceci lui paraissait déjà plus clair.

« Je me contenterai dans un premier temps de me fixer uniquement sur ces notions communes de Legilimancie et Occlumancie. C'est ce pourquoi vous m'avez contacté, mais au fur et à mesure de votre apprentissage, vous voudrez peut-être aller plus loin, et cela sera peut-être même nécessaire. Ce n'est pas linéaire.

La fermeture de l'esprit peut paraître pour certaines personnes plus ardue que l'exploration de leur psyché, qui a pour appellation auprès des initiés l'Innascomancie. Par expérience, j'ai souvent remarqué que cette étape était nécessaire aussi pour mieux appréhender la manière dont s'organise un esprit humain et agir avec plus de justesse en terme d'intrusion. »

L'homme darda sur lui un regard spéculatif, comme pour l'évaluer.

« Ce que vous m'avez évoqué quant à vos difficultés de fermer votre esprit auprès de votre précédent enseignant me fait mettre cette hypothèse sur la table : c'est peut-être votre cas. »

Le coude planté sur l'accoudoir, il maintenait sa tête en équilibre avec un seul doigt plié à moitié contre sa tempe.

« Je n'avais jamais entendu parler d'autres branches en plus de la Legilimancie et de l'Occlumancie, » commenta Harry, d'un ton plat.

En fond sonore, il se demandait si ça avait pu être aussi le cas de Snape. L'avait-il laissé délibérément dans le flou, et mis de côté une branche qui aurait pu l'aider à mieux comprendre l'Occlumancie, ou était-ce réellement une méconnaissance de sa part ? Harry lui prêtait plus aisément des motivations de sabotage conscient que d'un déficit d'érudition…

« Ce n'est guère étonnant, » approuva vivement Ménélas. « Elles sont non seulement fort peu connues, mais aussi difficilement appréhendables. Quand je parle de débats concernant ces sujets, c'est bien que les interprétations et les connaissances que nous en avons restent encore imprécises. Les limites sont floues, et quand bien même un individu parviendrait à se hisser à un tel niveau de Psychemancie, les résultats de certaines pratiques sont aussi plus hasardeux. Plus redoutables, certes, mais incertains. »

Harry fronça les sourcils. « Comment ça ? »

Le sorcier s'humecta les lèvres.

« La Legilimancie et l'Occlumancie sont bien plus prosaïques, en terme de fonctionnement, ou simplement de lecture. Lorsque l'on 'voit' un souvenir, une interprétation de ce souvenir n'est pas ce qu'il y a de plus ardu ; quand bien même cela reste une interprétation au regard des simples informations à notre disposition. Si l'on peut se poser des questions sur les motivations sous-jacentes de l'individu, sur ses pensées au moment précis où s'est déroulée la scène, sur ses intentions, l'information extraite, elle, reste claire. Certes, on peut être trompé, par des faux souvenirs, par des oubliettes, et autres tactiques, mais cela demeure fiable, et surtout plus concret. »

Il tapota le revêtement de l'accoudoir de la pulpe de ses doigts, seul chuintement qui venait accompagner les silences et sa voix.

« Je crois qu'il faut avoir navigué dans les sphères les plus profondes de la psyché humaine pour comprendre combien il est plus aisé de recourir aux souvenirs. Ce n'est même pas tant une question de puissance magique que de finesse humaine. Au-delà de la mémoire, on trouve des représentations, des images, des concepts, dont on ne sait pas toujours à quoi ils renvoient – et l'interpréter, simplement en faire quelque chose n'est pas possible. Ce sont des données peu exploitables. Et à ce titre, ces branches de magie restent ainsi encore plus anecdotiques, mystérieuses et donc, fatalement, inconnues, y compris au sein des legilimens et occlumens. »

Harry médita ces paroles, qui lui permettaient une mise en perspective des connaissances dont ils parlaient, et de réaliser pleinement cette fortune qui l'avait amené à découvrir ces espaces cachés de la magie. Pourtant, aussitôt, la suspicion grignota la chance, empoisonnant ce doux moment d'appréciation. Il plissa les yeux.

« Mais alors comment vous vous les connaissez ? »

Un faible sourire s'étira sur le visage sec. « J'ai beaucoup voyagé, et j'ai eu la chance de connaître les bonnes personnes. D'évoluer dans des niches communautaires retirées, disons. »

Cette réponse n'était pas un antidote efficace contre le poison de la méfiance, mais qu'il le veuille ou non, Harry se sentait impuissant à ce sujet. Il l'accepta, ce ne serait pas un doute qu'il pourrait ôter de sitôt. Il préféra miser sur la patience, et s'emparer de ce qui était à sa portée.

Mais même les notions confuses qu'avait distillées Ménélas le laissaient désemparé. Il peinait à comprendre réellement les implications de ce que Ménélas venait de lui dire ; et encore plus à se représenter ce qu'étaient ces différentes branches de la Psychemancie, hors des 'communes' Legilimancie et Occlumancie. Ces dernières n'étaient pas déjà ce qu'il y avait de plus clair et limpide pour lui… Qu'est-ce qu'il entendait par aller au-delà des souvenirs ? Ces… représentations ?

L'homme leva la main devant lui, en faisant un geste de balayage.

« Mettez ceci de côté pour le moment. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir, notamment si, comme je le pressens, il vous faudra peut-être passer par l'Innascomancie pour parvenir à réellement maîtriser l'Occlumancie. C'est peu fréquent, mais lorsqu'il y a un réel blocage concernant l'Occlumancie, mon expérience m'a permis de remarquer que c'était la raison la plus probable. C'est pourquoi j'ai abordé de manière plus large la Psychemancie. Concentrons-nous dès à présent sur l'Occlumancie, et passons à la pratique. »

Ah. La pratique. Occlumancie.

L'estomac de Harry se noua subitement. Son expression dut le trahir, puisque Ménélas ajouta : « Ne vous inquiétez pas. Je ne vous demande rien de plus que de faire de votre mieux. Je n'attends rien. Il faut simplement commencer quelque part, et pour cela, je dois évaluer un peu vos résistances mentales, votre manière de fermer votre esprit. Vous avez déjà des notions, je dois en prendre compte. »

Les regards se verrouillèrent, ouvrant le passage entre eux. Aussitôt, les portes psychiques furent poussées, par cette impression de volonté magique. Harry résista comme il put aux assauts, en rassemblant ses maigres capacités.

Il sentit la présence se faufiler, essaya de l'écarter, la repousser, planter fermement des barrières qui ne lui permettraient pas de passer. La porte, les grilles, tout devait rester solidement fermé ; mais la présence était sinueuse, subtile et ne se laisserait pas avoir par des obstacles si rustres.

Elle était légère, comme un volute de fumée, petit serpentin transparent, et resta là, tâtant les recoins de son esprit ; caressant presque les barrières pour mieux en apprécier la consistance, la matière, l'opacité. Comparativement avec ce qu'il avait pu ressentir avec les présences de Snape, Dumbledore ou même Voldemort, la patte était bien différente encore ; comme si chaque personnalité possédait une empreinte particulière, personnelle.

Snape était tranchant, un couteau aiguisé, qui rompait les défenses par la douleur blanche, aveuglante. Une lame qui déchirait les voiles de l'esprit, avec une précision chirurgicale – on sentait sa minutie violente, qui pinçait de douleur un point précis, puis agissait point après point, rapidement, pour écarter la voie.

Voldemort n'avait pas la même approche – il s'agissait plutôt d'une tornade puissante, destructrice, qui n'avait qu'un but : faire plier, détruire, imposer. Il était conquérant, et sa simple présence était source de tourment, de poison. Il venait flétrir tout ce qui était autour de lui, déployant comme des ondes sa présence néfaste. Pour Harry, toute intrusion de Voldemort avait toujours été synonyme de raz-de-marée douloureux, de pestilence aigre, qui le faisait plier, chavirer en un rien de temps.

Au contraire, le mot d'ordre de Dumbledore était discrétion. Une délicatesse diplomate. Une légère brume, volatile, qui se répandait, se déployait aussi, mais pour mieux se diluer dans l'environnement, passer inaperçu, avec une rondeur englobante, prenant soin de ne rien bousculer. De l'eau fluide, qui coulait dans tous les interstices.

Mais, peut-être que ces distinctions étaient factices, dans la mesure où ces sensations de présence dépendaient du rapport avec la personne et son bon vouloir, ses intentions qui transparaissaient via la nature et la représentation de cette intrusion. Imaginer que Snape et Voldemort désiraient le faire souffrir via cet acte contrairement à Dumbledore ne serait guère surprenant…

Puis Ménélas passa un peu plus à l'action. Un pincement méticuleux tira des pans de son esprit, Harry se débattit, mais la prise était ferme. Un peu froide, pas douloureuse, mais assurée. Et pendant qu'il essayait de lui barrer le passage, la présence se fraya un chemin plus loin, se déplaçant un peu plus rapidement, continuant à l'écarter comme on écarterait des branchages dérangeants.

Brièvement, Snape apparut, en plein cours d'Occlumancie, avec lui, dans les cachots. Frustré, Harry repoussa de colère ce souvenir, mais les autres remontèrent à la surface. Hermione se jetait dans ses bras. Ron jouait aux échecs. Il grimpait dans un arbre pour échapper au chien de Marge. Il était en cours, en première année ; McGonagall le fixait sévèrement. Il était au centre d'un cercle de Mangemorts, drapés de noir…

L'impératif fut plus fort, l'adrénaline l'envahit entièrement, Harry fonça, balaya le souvenir, la présence de Ménélas, jusqu'à parvenir à le repousser de manière significative. Il ne sortit néanmoins pas de son esprit, restant sur place, puis avança d'un petit pas, laissant bien comprendre à Harry qu'il aurait la possibilité de repartir explorer sans trop de difficultés. Il ne le fit pas, et se retira élégamment.

Harry émergea, enfoncé dans son fauteuil, les tempes et le dos en sueur. Il lui fallut un moment pour se reconnecter à la réalité. En face de lui, Ménélas buvait quelques gorgées de thé, le regard alerte et bien fixé sur lui.

« Vous allez bien ? » s'enquit-il.

Harry hocha brièvement la tête, encore un peu trop secoué pour parler.

« C'était pas mal, » l'assura Ménélas. « On sent qu'il y a des bases, même si elle paraissent inégales. Vous réagissez beaucoup dans l'urgence, la réaction plutôt que l'action ; ce qui m'a donné un avantage considérable. Vos barrières, au début, étaient maladroites. Dites-moi si je me trompe, mais j'ai l'impression que vous avez du mal à vous représenter ce que vous faites ; comme si vous agissiez à l'aveugle. »

Harry prit le temps de peser les mots. « À l'aveugle, oui. En réaction, aussi – mais n'est-ce pas nécessairement en réaction à une intrusion ? En fait, puisque mon ancien professeur ne me donnait que peu d'explications ou d'indications, mis à part le fait que je devais vider mon esprit, j'avais l'impression qu'il fallait plutôt 'faire le noir', disons. D'où des actions à tâtons. »

Le legilimens hocha la tête, semblant réfléchir.

« Faire le vide, c'est une stratégie qui permet essentiellement de ne pas faire remarquer à l'ennemi que l'on a détecté sa présence et que l'on agit contre. On soustrait, plutôt qu'ajouter. Si j'en crois ce que vous m'avez raconté, il semblerait que votre enseignant avait choisi délibérément cette stratégie pour vous, considérant qu'il vous fallait vous écarter de la présence du mage noir mentionné, plutôt que vous y confronter. »

Harry écarquilla les yeux. C'était on ne peut plus pertinent et représentatif d'une stratégie que pourrait faire Snape.

Ménélas poursuivit son raisonnement : « Vous essayez de faire les deux en même temps, sans même comprendre réellement ce que vous faites, annulant ainsi complètement vos efforts. Si votre enseignant a tenté d'orienter votre apprentissage vers des processus soustractifs, de l'ordre de l'évitement, vous paraissez naturellement plus à l'aise avec des processus de confrontation additifs. »

Pour Harry, ces informations valaient bien une révolution. Il inspira un grand coup. « Je veux faire barrage en 'ajoutant' une barrière face à l'autre, tout en essayant de 'soustraire' mes souvenirs à son emprise. Or, ce qu'il entendait par 'faire le vide', c'était le fait de soustraire à la fois mes souvenirs et ma propre présence, pour l'éjecter dans le même mouvement ! » marmonna-t-il précipitamment, estomaqué d'enfin comprendre.

Il fronça les sourcils, toujours pris par son éclair de clairvoyance : « Mais quel… cornichon ! N'aurait-il pas pu être fichu de simplement le dire, nom d'une vieille bique ? Non, voyons, n'essayons pas d'aider, P… » Il s'interrompit brutalement, réalisant qu'il avait été à deux doigts de déraper. De manière maladroite, il continua pour faire mine de rien. « Ce serait manquer une occasion de me ridiculiser et de démontrer ma médiocrité, hm ? »

Ménélas regardait dans le vide, soigneusement à côté de lui, d'une manière si empruntée et peu naturelle qu'il était évident qu'il était attentif à ses paroles mais qu'il jugeait plus convenable de lui-même faire mine de rien. Néanmoins, il intervint d'une voix douce, qui détonait de celle inexpressive, détachée – atone – qu'il usait habituellement.

« Il est bien connu qu'il est ardu d'apprendre et de faire apprendre toutes branches de la Psychemancie lorsqu'un manque de confiance est trop présent entre le maître et l'élève. »

Les yeux fermés, Harry songeait à quel point Snape et Dumbledore avaient été tous deux si farfelus de penser que cela pourrait fonctionner… Ménélas reprit la leçon :

« Et voyez comment nous avons à présent matière à travailler. Nous allons continuer à développer ces notions de soustraction et d'addition, pour que vous parveniez à jouer avec cette gymnastique mentale. Je pense qu'il serait profitable pour vous d'ailleurs de nous focaliser sur les principes d'addition. Êtes-vous d'accord avec ça ? »

Harry acquiesça vigoureusement. Cela lui faisait du bien d'avoir un cap. Il avait toujours eu l'impression de nager dans le flou complet avec l'Occlumancie, à ne pas savoir ce que l'on attendait de lui, à devoir tester à tâtons sans parvenir à y trouver un sens, une stratégie, et sans progression. Là, il avait le sentiment d'avoir enfin une prise, et qu'il allait pouvoir grimper cette falaise plutôt que se jeter dessus sans amorce.

xXx

Les jours et les séances défilèrent. Les quelques heures passées en compagnie de Ménélas l'épuisaient complètement, requéraient une énergie mentale, intellectuelle, une disponibilité de tous les instants, qui le vidaient littéralement. Il revenait généralement dans sa petite chambre de la Gargouille Aveugle sans la moindre force, s'écroulait sur son lit dans un sommeil comateux et émergeait de longues heures plus tard, le corps et l'esprit lourds. Il soupçonnait que son sevrage des potions énergisantes, couplé à ses troubles du sommeil, l'amenait malgré lui à une compensation.

Il n'avait même pas réussi à se lever les deux premiers jours avant le soir, pour se déplacer à nouveau jusqu'au lieu de rencontre avec le legilimens. Il fut plus aisé de se relever les deux jours suivants ; mais il se trouvait alors chaque nuit aux prises de cauchemars tourmentés qui le laissaient haletant, d'une sueur froide répugnante. La plupart d'entre eux lui laissaient des impressions floues, d'horreurs insaisissables, d'abominations indicibles et d'angoisse muette, sourde, où la raison vacillait au bord du précipice. L'une des rares images qui avaient pu s'incruster dans ses rétines le montrait à vomir ses tripes. Il tirait un boyau démesurément long, sentant au plus profond de lui la tension exercée par la traction extérieure, à pleines mains, gorge béante et douloureuse. Et il tirait, de toutes ses forces, pour en extraire toujours plus, le sang l'éclaboussant, le tas de viscères sanguinolentes à ses pieds, le corps secoué violemment par son réflexe nauséeux.

Harry n'était pas dupe, et comprenait bien qu'il était travaillé par le fait de 'faire sortir' ses souvenirs, et qu'il craignait probablement par rapport à lui-même ce qu'il risquait de découvrir – mais aussi ce que Ménélas pourrait saisir.

En quelques jours, ce dernier avait pu farfouiller un nombre non négligeable de ses souvenirs ; mais il s'était abstenu de tout commentaire jusqu'à présent. Cela ne l'empêchait pas de froncer un peu les sourcils devant l'observation de certaines scènes, de certaines paroles prononcées ; et l'air songeur voire interrogateur qui planait sur son visage montrait clairement que ce ne serait qu'une question de temps avant qu'il ne parvienne à obtenir les réponses à ses questions silencieuses.

Ménélas savait au moins que Stephen Curson était un faux nom, qu'il s'appelait Harry, qu'il avait été à Poudlard depuis ses onze ans – et que de nombreux détails ne cadraient pas, entre son âge, son changement d'apparence, voire simplement que de nombreuses personnes de son passé agissaient présentement avec 'Stephen' en tant que 'Stephen', et non en tant que Harry ; ignorant tout de cette fausse identité dont il se paraît.

En terme d'Occlumancie, il y avait eu des progrès, et s'il parvenait maintenant à mieux jongler entre les idées de soustraire les présences et les souvenirs, d'annihiler les éléments de son esprit pour les mettre hors de portée, de planter des barrages, ou de reformer délibérément le même souvenir et coincer la personne au sein d'une boucle, il lui manquait néanmoins des éléments de compréhension plus 'profonde'.

C'est pourquoi Ménélas avait décidé qu'il fallait qu'il soit initié aux fameuses branches plus 'poussées' et obscures, telle que l'Innascomancie et la Percipiomancie.

« Un innascomens est un individu qui parvient à naviguer au sein de sa propre psyché, à 'voir' littéralement comment il est construit, sa structure, ses représentations, les concepts psychiques présents au sein de son Conscient, mais aussi jusqu'à l'Inconscient – littéralement, il s'agit de 'naître dans' l'esprit. Il faut comprendre qu'il y a réellement la notion d'introspection, de contemplation. C'est une branche qui est surtout développée en Orient, les moines bouddhistes sont un bon exemple pour se représenter des sorciers spécialisés dans ce domaine, » lui expliqua Ménélas. « C'est ce qu'il va vous falloir développer, Monsieur Curson, pour mieux appréhender votre fonctionnement intérieur et plus globalement celui de la psyché humaine. Le maître mot est méditation. »

Il lui exposa ensuite que la Percipiomancie était le pendant de l'Innascomancie ; qu'il s'agissait de l'intrusion au sein de la psyché d'un individu, et de pouvoir s'y mouvoir, se confronter à l'ensemble de ses représentations, de ces fameuses images internes, de percevoir l'ordonnancement de son psychisme.

Mais contrairement à la Legilimancie, il n'y avait pas de formule équivalente ; uniquement une magie informulée. Il fallait manifestement basculer dans l'esprit de l'autre, écarter les impressions flottant en surface, pénétrer plus profondément que les souvenirs, au-delà de la mémoire, pour parvenir plus loin, jusqu'à la conscience même.

À partir de là, on pouvait naviguer jusqu'à des contrées psychiques mystérieuses, mais sans intervention aucune. Toute action interventionniste, agissant directement sur la psyché pour la modeler, la changer, que ce soit sur soi-même ou sur autrui relevait d'un champ encore différent de la Psychemancie – l'Invamancie et la Captilimancie. Harry commençait à se sentir saturé d'informations, et Ménélas sembla prendre conscience qu'il était en train de le noyer.

Aussi, il aborda la pratique.

« Il me paraît intéressant dans un premier temps que vous m'accompagniez au sein de mon propre psychisme. Je peux plonger en moi en vous agrippant. Il vous suffira simplement alors de vous laisser guider, passivement, et d'être uniquement attentif à votre environnement, aux sensations que vous éprouvez, aux images que vous percevez. »

Harry se redressa dans son fauteuil, attentif. La possibilité de voir l'intérieur même de l'univers mental de Ménélas lui paraissait exaltante.

« En règle générale, » précisa celui-ci, « l'expérience est déconcertante ; mais c'est la méthode qui vous permettra d'appréhender de quoi je parle le plus rapidement possible. Ceci est nécessaire si je veux que vous soyez prêt à travailler cet aspect seul, durant les semaines qui vont nous séparer de vos vacances d'été. Or, nous n'avons que quelques jours pour vous donner les outils nécessaires à un tel travail personnel. »

Cela signifiait-il qu'ils n'avanceraient guère en terme de Legilimancie et Occlumancie tant que Harry n'avait pas approfondi l'Innascomancie ? Cela en avait tout l'air, ce qui ne pouvait que contrarier Harry – l'une des raisons qui l'avait poussé à se précipiter à ce sujet était le besoin d'infirmer définitivement l'idée qu'il puisse être plongé au sein d'une illusion de Voldemort.

Rationnellement parlant, il avait à présent toutes les raisons de penser qu'il avait bien voyagé dans le temps, mais la moindre ombre de doute qui pouvait planer devait être éradiquée. D'une part par rigueur de conscience, mais d'autre part, pour la préservation de sa santé mentale.

Il sentait déjà bien, en fond sonore, qu'il avançait dangereusement, qu'une instabilité semblait s'être inéluctablement installée en lui. Il était encore temps pour lui d'utiliser tous les moyens à sa disposition pour ne pas creuser plus profondément encore ces fissures craquelées, et tenir le choc le plus longtemps possible. Une fois les limites de la réalité clairement et sûrement établies, il pourrait cheminer avec un peu plus d'assurance sur un terreau de relative stabilité.

Ménélas poursuivit : « Ce n'est pas quelque chose d'anodin, loin de siroter une tasse de thé en lançant quelques coups de baguette magique négligés. De ce fait, il y a des règles, des sécurités essentielles. Certains sorciers n'ont pas pu émerger hors de leur psyché et sont restés coincés à l'intérieur d'eux-mêmes, perdus dans les tréfonds de leur propre inconscient, fractionnés et dilués, sans qu'on ne puisse les réunir et les faire émerger. »

Il évoqua ces cas de figures, où les sorciers étaient alors plongés dans un coma, inaccessibles au monde extérieur ; semblant devenus de véritables légumes. Alors que Harry observait le visage de marbre du sorcier d'un air effaré, Ménélas ajouta une touche de réassurance en lui arguant qu'il s'agissait de cas extrêmes, et qu'avec un peu de prudence et d'expérience, il n'y avait pas de raison que cela puisse se produire ; et quand bien même un 'accident' se produirait, on pouvait souvent ramener l'individu, tracter son esprit jusqu'à la surface.

« Il est essentiel de s'approprier lentement cette magie et les mécanismes qui en découlent. Ne pas s'enfoncer trop loin au début, s'adapter au sein de votre espace conscient. Retenez que plus on approche de l'Inconscient, plus les difficultés sont grandes, plus on risque de s'égarer et de se désagréger au sein de son propre psychisme. Autrement dit, avant de vous noyer dans vos abysses personnelles, restez proche de la côte, apprenez à plongez en surface, là où vous avez encore pied. »

Harry acquiesça, la gorge nouée, ses entrailles grouillantes d'une angoisse lointaine, émergeant doucement d'un puits noir, dissimulé dans un coin. Perspicace, Ménélas darda sur lui un regard pénétrant.

« L'inquiétude, voire la frayeur insidieuse est bon signe. C'est que vous mesurez la portée de cette magie et de ses dangers. J'aurais hésité à vous embarquer avec moi si je n'avais pas senti ceci en vous… Mais nous pouvons donc le faire. » À ce commentaire, Harry se contenta d'essuyer silencieusement ses mains moites sur sa robe.

Ménélas approcha les deux fauteuils, pour qu'ils soient côte à côte. « Un contact physique facilite la plongée. Vous allez tenir mon avant-bras, et surtout ne le lâcher sous aucun prétexte. En nous immergeant dans mon esprit, nous allons perdre pied avec la réalité extérieure – et ce de manière bien plus nette et considérable que ce que vous avez pu expérimenter avec la Legilimancie. Votre corps doit rester accroché jusqu'à votre Inconscient. »

Incertain de saisir ce que signifiait cette dernière phrase, Harry posa sa main sur Ménélas, inquiet.

« N'hésitez pas à serrer, » lui conseilla-t-il. « Voilà. Maintenant, fermez les yeux, et tentez de vous relaxer. »

Se relaxer, après ce qu'il vient juste de raconter ? Grinça une voix intérieure. Le chuchotement du Maître en Legilimancie lui parvint aux oreilles : « Détendez-vous. Laissez votre esprit flotter mollement, passivement, comme si vous alliez vous endormir. Accueillez simplement ce qui vient, sans vous attarder dessus. Un réceptacle seulement. »

Les minutes se prolongèrent, et le temps s'étira de manière indéterminée. Puis, doucement, la présence mentale caractéristique de Ménélas qu'il avait commencé à reconnaître l'enveloppa, tel un manteau, puis l'enserra, comme s'il nouait des lanières d'eux-mêmes entre elles. Jamais jusqu'à présent il n'avait été confronté à ce type de présence sensitive de manière aussi… intime. Des lianes serpentines, froides, précises, qui le ceinturaient, l'englobaient entièrement.

Enfin, Harry se sentit arraché à lui-même, emporté dans un mouvement d'aspiration.

Ménélas fermement contre lui, ils zigzaguèrent rapidement, avec dextérité, entre des souvenirs qui s'écartaient sur leur passage – sans qu'ils n'aient le temps de distinguer quoi que ce soit, les images se succédant bien trop fugitivement, subliminales, pour qu'ils puissent traiter l'information.

Ce n'était qu'un amoncellement de sons et de couleurs superposés ; une cacophonie bruyante et aveuglante, une surdose de sensations que son esprit ne pouvait décrypter. Brusquement, le silence.

Ils traversèrent ce que Harry ne pouvait qu'identifier comme une membrane organique, moelleuse et spongieuse, d'une matière noire – qu'il aurait pu qualifier de gluante et luisante. Au-delà, ils émergèrent dans un espace gigantesque de couleurs claires, faisant basculer le sentiment d'oppression précédente, de plongée dans un boyau resserré, à une sensation de dilatation, comme s'ils n'étaient que des gouttes d'eau qui rejoignaient et se mêlaient naturellement à un océan, d'un tout plus grand que soi.

La présence mentale de Ménélas l'agrippa plus fermement, et Harry, étourdit, se rappela à lui-même, tentant de se rétracter en boule au sein du manteau de l'entité 'Ménélas', pour ne pas se disperser – rester accroché. Sa main physique se cramponnait présentement à l'avant-bras du sorcier, même si Harry ne le sentait pas, et cette idée l'aida un peu à rassembler ses idées.

La présence de Ménélas sembla s'agiter, comme travaillée de l'intérieur, et quelques instants plus tard, sembla se matérialiser. Une contraction intense, et ce qui lui paraissait être auparavant les contours flous d'une présence indéterminée se délimitait désormais par une représentation du corps de Ménélas. Désaxé, Harry remarqua dans le même temps qu'il était lui même identifiable à un corps. Le sien. Il s'observa étonné, remua ses doigts ; et la nausée le prit, suivit d'un martèlement sourd au niveau des tempes.

Harry se pencha en avant, prêt à vomir tout le contenu de son estomac, sur ce qui paraissait être le sol – une roche couleur terre de Sienne – mais rien ne sembla venir, comme s'il n'était qu'une coquille imagée, vide, sans substance réelle. Pourtant, le sentiment de mal être ne passait pas.

La main ferme de Ménélas le tenait, et celui-ci brisa le silence déroutant, presque dérangeant qui emplissait tout l'espace. « Prenez votre temps. Je vous ai prévenu – l'expérience est déroutante, et d'autant plus violente que c'est votre première fois, sans qu'il n'y ait eu d'habituation progressive. Respirez calmement. Recomposez-vous. »

Combien de temps resta-t-il ainsi, penché en avant, à attendre le reflux ? À patienter péniblement pour que le malaise se dissipe ? Cela lui parut être à la fois trois minutes comme trois ans – aucun repère quel qu'il soit, aucune sensation intérieure de défilement des secondes ne pouvait lui donner d'indications. Mais, tant bien que mal, il parvint finalement à se redresser, la main gauche clouée sur la représentation de Ménélas.

C'est alors qu'il vit l'environnement dans lequel ils étaient, et cette vision faillit suffire à le rendre malade une fois de plus, à le faire défaillir, à éclater en morceaux qui s'absorberaient voluptueusement dans ce paysage irréel et impossible. Il chancela, et le bras de Ménélas le maintint fermement. « Restez avec moi. »

Harry poussa un grognement, se sentant encore incapable d'émettre le moindre son. Globalement, il pouvait identifier un sol, terrestre, rocheux, et un ciel – certes métallique, de cubes argentés empilés les uns contre les autres – ce qui était déjà rassurant, car concevable. Le ciel cubique et argenté, bien qu'on aurait pu y voir un dôme, un plafond matériel, possédait bien cette particularité d'immensité intangible, transparente propre à la voûte céleste, à l'horizon infini ; et ne pouvait provoquer qu'un sentiment de paradoxe incompréhensible.

À… l'horizon, au loin, il distinguait ce qui devait être des montagnes, mais cela paraissait presque être une fracture mal refermée entre les cieux et la terre. Des crevasses importantes sur la lande laissaient entrevoir des escaliers rocheux qui descendaient dans des entrailles où s'exhalait une brume épaisse, olivâtre. L'atmosphère semblait métallique, un peu salée, où flottaient lentement des bulles transparentes, se déplaçant telles le feraient des méduses dans la mer.

Des sculptures de ce qui devait être un composé de mercure solide, mais fluctuant, mouvant, comme une créature vivante pourrait le faire, parsemaient la lande aride. Seule végétation notable, un arbre titanesque, vers sa droite, au tronc colossal. Le bois y était anthracite, les feuilles d'un gris clair, lumineuses, et l'arbre parsemé de petites fleurs d'un bleu outremer vivace s'opposant visuellement aux roches orangées terreuses du sol.

L'arbre se perdait dans les hauteurs célestes, parmi ces cubes argentés improbables. Au cœur des branches, une étonnante bulle volumineuse abritait le visage de Ménélas, qui paraissait flotter comme un masque dans un liquide. De cette poche surgissait des nerfs, des vaisseaux, des circuits organiques qui plongeaient de toutes parts dans le ventre terrestre et les flancs des sculptures-créatures de mercure, tandis que d'autres reposaient sur le sol, tels des serpents de viscères au repos.

Lentement, l'esprit de Harry intégra la vision – composant cette irréalité onirique avec une sensation vivace de réel qui n'était pas dans la réalité. Puis les questions se percutèrent, désordonnées, en lui. « Je... » bafouilla-t-il. Il jura, et ce furent ses premiers mots prononcés au sein de l'espace mental de Ménélas.

La représentation du sorcier à ses côtés considéra qu'il avait eut suffisamment de 'temps' pour digérer un tant soit peu cette arrivée fracassante, et procéda à quelques explications.

« Le territoire qui s'étend devant vous représente mon espace mental conscient. C'est une symbolisation simplifiée d'une zone de travail, de mentalisation consciente, où s'assemblent mes idées, mes pensées conceptuelles, mais aussi où s'érigent ce qu'on peut appeler des instances psychiques qui relèvent d'une conscientisation. »

Harry ne put s'empêcher de lancer un regard légèrement vitreux à Ménélas. Ce dernier soupira.

« Regardez – le visage dans l'arbre est une symbolisation de ce qu'on appelle mon 'Moi'. Si nous nous déplaçons dans cet espace, nous rencontrerons probablement avant d'arriver au pied de l'arbre ma 'Persona', qui est une représentation sociale de ma personne, ce que je montre au monde extérieur ; plutôt que le 'Moi' qui représente une certaine essentialisation de mon identité consciente. »

« … D'accord, » marmonna Harry, un peu dépassé. « Donc… Au-delà de cette étendue, on entre dans ce que vous appelez l'Inconscient ? »

Ménélas approuva d'un signe de tête. « Mais aussi des zones intermédiaires qu'on considère comme pré-conscientes. En terme de symbole, et non pas d'espace étendu, la frontière vers mon Inconscient est représenté par ces montagnes dentelées que vous pouvez apercevoir là-bas. » Il fit un signe de sa main libre. « Mais, vous pourriez aussi très bien y accéder en plongeant sous terre. »

Harry se sentait un peu soulagé de parvenir à appréhender au moins les bases.

« Maintenant, encore un point dont il faut que vous preniez conscience, c'est que j'ai le pouvoir de moduler cet espace – jusqu'à un certain point – mais qu'il s'agit donc d'un terrain de jeu psychique. Il me suffit de vouloir – d'élaborer des raisonnements – » Il s'interrompit, laissant parler le paysage de lui-même.

Sur la plaine rocailleuse, des herbes folles surgirent, des plantes s'élevèrent, pondirent des œufs, formèrent des figures géométriques se connectant aux sculptures-créatures de mercure, électrifièrent l'ensemble, faisant mouvoir les fils organiques jusqu'à la bulle de l'arbre-visage, déplaçant les bulles flottantes – une mécanisation organique, où l'on pouvait presque entendre les engrenages se percuter entre eux, déroulant les connexions de tous les côtés. Puis, aussitôt, tout s'évanouit en un brouillard épais, et revint à la figuration initiale.

« Nos capacités de réflexion ont une incidence sur cet espace ; mais nous y avons une structure stable - je ne peux qu'animer ce que représente l'arbre, pas le modifier intrinsèquement. Des éléments peuvent n'être qu'éphémères, que l'on colorie et gomme à notre guise. Les idées qui naissent deviennent autre chose – se déplacent dans d'autres sphères de la psyché. »

Harry médita un instant ces paroles. « Donc… cela signifie que la structure stable, que l'on ne peut pas modifier, nous représente... symboliquement, n'est-ce pas ? »

Ménélas acquiesça. « Chaque paysage mental est unique, chacun aura son propre espace porteur de sens. Une telle exploration dans la psyché d'autrui est toujours une expérience fascinante. C'est la réelle rémunération que je tire d'enseigner ce type de magie – arpenter légitimement les méandres de la psyché des individus... Il y a encore tant à comprendre… tant d'inconnues… Avant d'être professeur, je suis avant tout chercheur. Dans d'autres types de magies, mais aussi les magies de l'esprit, à mon rythme. »

De telles connaissances étaient assourdissantes aux oreilles de Harry. Voir littéralement l'intérieur d'une personne, comme si, en arrivant dans ce fameux espace psychique, on découvrait l'essence même de l'individu. Aussitôt, il ne put que s'interroger : à quoi ressemblerait son propre espace mental ? S'en suivit une bousculade d'envies et de questionnements à propos de ceux de ses proches, ses amis, connaissances… Qu'en était-il de ses parents ? Ron et Hermione ? Dumbledore ? Et même… Il se figea – celui de Voldemort ?

Ça doit être froid, laid et reptilien.

Un ricanement aigu et grinçant retentit en lui. Harry s'abandonna pendant un moment à son imagination, aux divagations que ces découvertes provoquaient en lui, avant de revoir d'un œil curieux l'unique espace mental à sa disposition dans l'état actuel ; à savoir, celui de son professeur, Maître en Legilimancie mystérieux et pour le moins inconnu.

Puisqu'il n'avait pas d'éléments de comparaison, il était ardu d'en tirer quelque chose ; mais la tête paraissait alors n'être que le seul fruit fécond de l'arbre… L'intellect, songea Harry. Il glissa un regard en coin à Ménélas. L'omniprésence de la couleur grise… voire cet aspect métallique et froid que l'on pouvait voir chez lui, qui semblait se retrouver ici, jusque dans le ciel.

En revanche, le sol est de couleur chaude… Bien qu'aride, sec.

L'homme se retourna. La plaine s'étendait à perte de vue, mais il lui suffit d'avancer sa main pour faire apparaître une texture sombre, comme une tenture ou un mur mou.

« Ceci – l'informa Ménélas – représente l'endroit par où nous sommes arrivés. À part de grandes exceptions, vous trouverez toujours ce genre de configuration. Un espace de mémoire, comprenant les souvenirs. Spontanément, c'est par là où vous passez, mais il faut comprendre que cet espace est profond, jusqu'à l'Inconscient. Il ne faut donc pas 'aller' au fond de cet espace, mais le 'traverser', pour parvenir jusqu'à l'espace mental conscient. Cependant, comprenez bien que l'espace ne fonctionne pas tout à fait ici de la même manière que dans la réalité extérieure. La 'cohérence' spatiale n'existe que peu, même si on retrouve des schémas similaires aux humains.»

Il engloba toute la plaine d'un mouvement de bras.

« Cet espace prend des formes très variées, mais il a une fonction plutôt identitaire, et aussi de 'travail' d'idées, de concepts, toutes les fonctions de représentations, d'imaginaire, de symbolisations naissent dans cet espace de 'travail mental' dirons-nous. C'est la première zone à explorer, et la plus 'sûre'. En premier lieu, il faut que vous appreniez à venir au sein de votre espace mental, puis à le parcourir, l'apprivoiser. En vous éloignant, vous arrivez dans des zones moins conscientes, et jusqu'à l'Inconscient. Nous n'irons pas, étant moi-même peu à l'aise dans ces environnements. »

Il lui darda un regard scrutateur.

« Cela vous éclaire-t-il déjà concernant la Legilimancie et l'Occlumancie ? »

Harry resta silencieux un moment. « Je l'ignore. »

« Il faudra vous rendre compte de ce que cela fait à l'intérieur de vous. Ressentir les choses. Et comprendre que au sein de votre psychisme vous êtes le maître à bord. Les intrus sont précisément des intrus. »

D'un mouvement de bras, il fit surgir un mur de flamme. Puis il fit apparaître un nuage, qu'il fit abondamment pleuvoir pour éteindre le feu.

« Vous pouvez tout faire. Votre imagination est réellement la seule limite. »

Harry frissonna.

« Maintenant, nous allons revenir. Pensez à cette métaphore de plongée sous-marine : il s'agit de remonter à la surface. Nous allons d'abord repasser par l'espace de souvenirs, mais sachez qu'avec l'habitude, vous pouvez vous en passer. »

Il les fit grimper par un escalier apparu soudainement, ouvrit une porte au sommet qui donna sur l'espace de souvenirs. Dès qu'ils passèrent la zone, l'impression de matérialité du corps s'évanouit, pour ne plus être que cette impression de présence naviguant à travers les filaments de souvenirs. Ils filèrent 'droit', en ligne, jusqu'à percer la dernière couche mentale et les faire revenir à la réalité.

Harry ouvrit les yeux, assis sur son fauteuil, la main crispée sur l'avant-bras de Ménélas. Il s'en détacha et se recroquevilla un instant, déboussolé. L'expérience était perturbante. Il ne réalisait même pas la portée de ce qui venait de se produire : il avait été dans l'esprit de Ménélas comme en visite, comme s'il pouvait se déplacer dans sa tête, et non seulement intercepter au vol des souvenirs précis.

Et oui, très certainement, au vu de ceci, il n'allait clairement pas appréhender la Legilimancie et l'Occlumancie de la même manière. Pourquoi n'était-ce pas plus enseigné, ou expliqué ? Pourquoi on ne commençait d'abord pas par là ?

« Vous allez bien ? » lui demanda Ménélas. Il avait lui-même le visage un peu tiré, comme vidé de son énergie.

« Comment est-ce que ce genre de pratique peut tomber dans l'oubli ? C'est… indispensable ! »

Ménélas eut un bref sourire.

« Non, ça ne l'est pas. Beaucoup ont dû mal à accéder à ce genre d'espace, à se le figurer ; et plus encore, cela en rend certains plus confus que cela ne les éclaire. Aussi, 'voir' son espace mental ainsi est généralement une épreuve en soi. Cela reflète réellement une part de soi, une structure intime qui n'est pas anodine. »

C'était quelque chose que Harry pouvait comprendre – il avait été suffisamment travaillé ces derniers jours quant au fait de se découvrir ; évidemment vis-à-vis de Ménélas, mais aussi par rapport à lui-même. Une partie de lui savait qu'il serait perturbant qu'il en découvre plus sur son intériorité. Ménélas poursuivit :

« Je ne parle même pas des zones plus profondes ou éloignées qui sont chaotiques et auxquelles il est extrêmement difficile de se confronter, mais même simplement de ce que vous avez vu me concernant ; tous ceux qui en font l'expérience ne peuvent pas accepter ce qu'ils voient d'eux ou même supporter la sensation perturbante que cela entraîne. »

Harry médita ces paroles. Il allait devoir en passer par là. Était-il prêt à une telle confrontation intérieure ? La suite de la soirée fut consacrée à lui donner des instructions précises pour s'entraîner seul et parvenir à 'plonger' en lui, parcourir son espace mental. Ménélas lui indiqua des précautions à prendre et la démarche à suivre. Cet entraînement devait se faire régulièrement ; et peut-être qu'il y parviendrait pour cet été, leur permettant d'avancer dans son apprentissage.

Le lendemain, ils reprirent ainsi l'Occlumancie. Et ce qui devait arriver arriva. Certains souvenirs que Harry avait jusqu'à présent réussi à mettre de côté remontèrent à la surface. Était-ce la fatigue qui avait jouée ? Un acte inconscient de vouloir mettre enfin les pieds dans le plat ? Il ne voulait pas repartir de ces vacances sans avoir mis cartes sur table, et être assuré de manière définitive concernant la question de l'illusion. Il n'y croyait plus réellement, mais il ne voulait pas que le moindre doute persiste d'une façon ou d'une autre.

Encore moins durant vingt ans.

Il deviendrait fou.

Alors, les souvenirs remontèrent, et Harry resta un instant figé, ne sachant s'il devait agir, repousser la présence de l'homme, ou qu'il voit pour qu'il comprenne. Son indécision fut suffisante pour que cela se produise.

Devant leurs yeux, un éclair vert caractéristique pendant qu'une femme hurlait à la mort laissa place à un cimetière sombre, menaçant. Le chaudron bouillonna, pendant qu'un petit homme trapu s'écartait vivement, à la fois fasciné, apeuré, et des larmes de douleurs contenues alors que son moignon saignait abondamment.

Le corps se forma, reptilien, squelettique. Vision hantée, cauchemardesque, alors que les vapeurs noires de tissus s'enroulaient élégamment autour de Lord Voldemort.

Puis les mangemorts arrivèrent. Les bribes du discours de Voldemort. Leur combat. Le Priori Incantatum se déploya, dantesque ; la lumière magique se répercuta dans les cieux, aveuglante, et ils se retrouvèrent tous deux au sein de leurs vieux fauteuils de velours élimé.

Il fallut très peu de temps à Harry pour se repositionner au sein de la réalité, rapidement alerte et tendu. Sa main vint effleurer sa baguette magique, prête à être dégainée en cas de besoin. L'homme n'était habituellement pas expressif, mais cette fois-ci, un certain choc se lisait sur son visage. L'expression paraissait même curieusement déplacée chez lui.

Le silence s'étira.

Finalement, Ménélas se leva ; et Harry sauta sur ses propres pieds, tirant sa baguette. Mais l'enseignant se contenta d'ouvrir brusquement un meuble pour en sortir un verre et une bouteille d'alcool ambré. Il versa quelques doigts, et les avala d'un coup sec. Reposant verre et bouteille sur le petit guérison aux côtés de son fauteuil, il s'y affala, et lui lançant un regard dubitatif sur sa baguette tendue.

« Rangez ça, Curson. Vous n'en aurez pas besoin. »

Distraitement, il se resservit, mais prit cette fois le temps de savourer l'alcool en bouche.

« Je commence à saisir vos précautions excessives. »

Harry resta silencieux, ne quittant pas l'homme des yeux, mais l'absence de menace l'incita à s'asseoir. Sa baguette baissée resta néanmoins sortie, sur ses genoux. Cet inconnu venait d'en savoir plus sur lui et sa situation que n'importe quelle personne vivante à cette époque. L'enjeu était considérable – et dépassait même l'appréhension de Harry.

« Néanmoins… » commença lentement Ménélas, semblant peser inhabituellement ses mots, « Je ne suis pas sûr d'avoir saisi… ce qu'il s'est exactement produit. Pouvez-vous... » Il toussota, mal à l'aise. « J'aurai besoin d'en savoir plus. Pouvez-vous m'en montrer plus ? La manière dont vous… avez, hm, transité ici ? »

Le mot était curieux, et Harry haussa les sourcils.

« Je ne voudrais pas dire les choses à voix haute, » continua-t-il. « Le lieu est certes protégé, mais pour quelque chose de cette… ampleur – si je comprends bien ce dont il s'agit – il me paraît préférable de faire montre d'une prudence particulière et éviter de poser les termes dans les airs. Les murs peuvent toujours avoir des oreilles. »

La sage retenue précautionneuse dont Ménélas faisait preuve permit enfin à Harry de se détendre de manière plus significative. Il n'avait pas fait d'erreur en venant vers lui ; l'homme paraissait suffisamment avisé pour garder bouche close.

Alors, d'un accord commun, ils plongèrent une nouvelle fois dans l'esprit de Harry. La présence devenue plus familière au cours de son séjour resta cette fois passive à ses côtés, lui laissant le gouvernail pour le mener jusqu'aux souvenirs spécifiques. Harry songea à son voyage dans le temps, et ils se retrouvèrent dans le petit village abandonné, des mangemorts les coursant.

Dans le souvenir, Harry trouva refuge dans la maison, sauta par la fenêtre, et fonça droit vers la forêt. Il ralentit au bout d'un moment, essoufflé, manifestement au bord du malaise, la main pressée contre son flanc sanguinolent. Il marcha un long moment, jusqu'à parvenir à une route. Le souvenir sauta un peu, pour arriver directement à son entrée dans le Chaudron Baveur et sa découverte du journal, et de cette date improbable.

Harry s'extirpa du souvenir et ils remontèrent jusqu'à la réalité extérieure. Ménélas avait l'air soucieux. Il ingurgita un nouveau verre et en proposa à Harry – ce dernier déclina l'offre, afin de garder l'esprit clair.

« C'est pour le moins… étrange. »

Harry eut un sourire amer. « N'est-ce pas ? » Puis il se pencha, verrouilla son regard dans celui de Ménélas, pour s'assurer d'avoir toute son attention.

« Je me suis longtemps demandé s'il ne s'agissait pas en réalité d'une illusion provoquée par Lord Voldemort. » Les mots flottèrent. « Mais voyez-vous, si c'était le cas, vous seriez une de ses créations, et vous me ferez croire que je me trompe concernant cette hypothèse. »

« Une raison de plus vous poussant à apprendre la Legilimancie, » commenta l'homme, frappé de compréhension. Il inspira un coup. « Malgré ce fait, vous pouvez, il me semble, dès à présent écarter votre hypothèse. Je l'aurais senti au sein de votre esprit et vous-même l'auriez senti. Il semble qu'il se soit produit ce qu'il semble s'être produit... » fut la réponse prudente. « Ce qui, à mon sens, est autrement bien plus inquiétant, » ajouta-t-il, l'air sombre.

« Je présume donc… que vous n'auriez pas, à tout hasard, une explication, quelle qu'elle soit, à ce sujet ? » demanda Harry, ne parvenant pas à retenir son air désespéré.

« Je suis navré. Je dois vous avouer mon impuissance à ce sujet. Ce n'est certes pas mon domaine de prédilection, mais il ne me semble pas que quoique ce soit de ce genre se soit déjà produit. »

Bien. Évidemment, il s'y attendait. C'était largement prévisible. Il aurait dû tout à fait s'y attendre. Il s'y attendait, même.

Cela ne l'empêchait pas de sentir un espoir sombrer dans des eaux noires, le laissant démuni.

Bouh, bouh, chouina une voix, pauvre petit Potter. Qu'il est malheureux… !

« Donc, pas une illusion ? » insista-t-il.

Ménélas secoua la tête. « Faites-vous confiance. Regardez au fond de vous. Je ne peux que vous conseiller avec plus d'ardeur d'apprendre l'Innascomancie. Apprenez à aller dans votre esprit. Vous ressentirez que vous êtes seul, que personne ne vous dupe à ce sujet. »

« Bien, » fut la réponse étranglée.

« Ceci est la réalité, » commenta doucement Ménélas. Harry voulait juste se rouler en boule sous sa couette, un moment. Le Maître en Legilimancie sembla comprendre son état d'esprit, et lui-même ne paraissait pas avoir envie de poursuivre la leçon comme si de rien n'était. Il lui donna donc congé.

xXx

Les vacances vinrent se terminer, clôturant d'une bulle cet épisode étrange au sein de l'Allée des Embrumes, passé à explorer les recoins de la psyché, les secrets de sa venue et les lieux improbables comme le Passe-Muraille. Cette parenthèse de deux semaines lui avait permis au moins de se désintoxiquer de ses potions énergisantes – il n'éprouvait plus de sensation de manque, plus de besoin impérieux d'en boire une pour tenir la journée, et il avait repris un rythme de sommeil plus sain.

Harry était parvenu à progresser en Occlumancie, ce qui n'était pas une mince affaire en considérant son inaptitude de base. Sans qu'il ne s'agisse de maîtrise, naviguer au sein de ses souvenirs lui était à présent plus aisé ; et il pouvait maladroitement mettre en avant ou retirer certains souvenirs. Les mécanismes de cette magie commençaient à s'éclaircir.

Afin de s'améliorer, il allait devoir travailler sur sa méditation, pour accéder à sa propre psyché ; jusqu'à cet espace mental symbolique. Ses tentatives avaient été pour l'instant particulièrement infructueuses. Il peinait à rester clame, inactif et à laisser couler toute sensation sur lui – la méditation était donc déjà un enjeu en soi avant de plonger son esprit en son propre foyer. Il ne pouvait qu'espérer qu'une pratique régulière lui permettrait de réussir avant fin juin ou début juillet, date à laquelle il reprendrait son apprentissage en compagnie de Ménélas.

Cette perspective, couplée à sa vie au sein de l'Allée des Embrumes, à l'approche de la fin d'année et à l'assurance aussi certaine que possible qu'il était bien bloqué dans le passé, l'amenait à se poser des questions quant à son avenir. Pas uniquement les craintes habituelles concernant le fait qu'il soit coincé, ou des implications de son voyage dans le temps… Des questions plus concrètes, qu'il allait devoir résoudre dans peu de temps.

Pour vivre, il lui faudrait de l'argent, un travail, mais aussi une habitation.

À son époque, il n'avait déjà guère songé à ces sujets triviaux. Poudlard était sa maison, il possédait le Square Grimmauld en point de chute, et la fortune parentale lui assurait un avenir financier serein. À présent, il était démuni. La somme gagnée en compensation des actes débordants du ministère à son encontre lors de l'enquête Barantyn ne tiendrait pas bien longtemps et il était hors de question qu'il vive au sein d'une auberge.

Il lui faudrait alors louer ou acheter un petit quelque chose… Outre la claire et nette propension de l'Allée des Embrumes à être un lieu de magie noire transgressive, d'illégalité et de quartier mal famé ; plus largement encore, c'était tout simplement un quartier d'une pauvreté importante, que l'on ne voyait pas au sein du Chemin de Traverse. Les habitations y étaient bon marché, on pouvait s'y restaurer de manière très modeste. On sentait la misère, et le danger, l'insécurité qui allait avec, mais Harry commençait à s'y habituer. Au final, l'ambiance qui y régnait pouvait paraître plus reposante que l'agitation bruyante et permanente qui tonitruait sur le Chemin de Traverse. Ainsi, se dégotter un logement au sein de l'Allée des Embrumes était une idée que Harry pouvait tout à fait envisager et à laquelle il fallait qu'il réfléchisse.

Quant à la question du travail… Voilà qui paraissait plus épineux. Qu'allait-il bien pouvoir faire ? Plus encore, Harry se doutait qu'il aurait besoin de temps personnel libre important, s'il désirait mettre son nez au sein de la guerre, s'il voulait s'entraîner, apprendre, ou chercher à élucider le mystère de son voyage temporel. Mais, alors que Harry regardait le paysage défiler dans le vide, le Poudlard Express roulant à toute allure vers le nord, il lui vint à l'esprit que son emploi dépendrait aussi de ses résultats aux ASPICs.

Or, s'il n'avait pas pris la peine de s'en inquiéter jusque là, maintenant qu'il se trouvait de l'autre côté des vacances de Pâques, sur le trajet du retour, avec seulement quelques semaines qui le séparaient des examens, il considérait cette étape scolaire finale avec autrement plus de sérieux et de préoccupation. L'affolement alarmiste ne le gagnait pas encore, mais l'anxiété gonflait doucement dans le creux de son estomac.

S'il voulait ne pas se retrouver avec un emploi trop désagréable, il lui faudrait peut-être cibler ce qu'il pourrait faire, et travailler sérieusement les matières adéquates. La masse de travail qui l'attendait était loin de l'enthousiasmer.

Heureusement, à défaut d'une grande motivation, l'ambiance chez les septièmes années, alors qu'il rentrait à Poudlard, était studieuse et propice à se plonger bon gré, mal gré, dans les affres des révisions. Son retard était considérable, mais les premiers jours de la rentrée furent fructueux. Il ne restait plus qu'à poursuivre dans cette lignée… Ce qui était ardu, car son énergie scolaire retombait bien rapidement. Il pouvait sprinter durant quelques jours, mais maintenir un travail élevé et constant, à moyen terme, dans un marathon éreintant, n'était pas à sa portée.

Les Poufsouffle l'aidèrent. Ils l'embarquaient dans la salle commune ou à la bibliothèque dès que les cours étaient finis, s'installaient, et révisaient assidûment. Harry n'avait même guère l'occasion de laisser son esprit vagabonder dans ses pensées et de décrocher de ses parchemins, puisqu'ils se rappelaient mutuellement à l'ordre – du moins, Benjy, Alice et Joyce - quand ils voyaient l'un d'eux dériver ou procrastiner. Ils bénéficiaient même des fiches que chacun avaient faites dans leur matière de prédilection.

« Et tu t'occuperas de celles en Défense contre les Forces du Mal, Stephen ? » lui demanda Alice, la tête penchée sur le côté.

« Euh... » fut la réponse immédiate de Harry. Il les dévisagea curieusement, alors qu'ils paraissaient soudainement tous attentifs à ce qu'il allait dire.

« Tu es indéniablement le meilleur, » fit remarquer Benjy.

« En pratique, » nota Harry. « En théorie, je pense que vous êtes tout aussi bons, toi et Alice. Je ne suis pas sûr de savoir faire des fiches correctement ; c'est quelque chose de bien différent... »

« Prends exemple sur celles que l'on a faites, » proposa le préfet. « Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien. »

« Très bien, » soupira Harry. Il ne pouvait décemment pas profiter du travail des Poufsouffle sans mettre lui-même la main à la pâte.

Il y avait un avantage considérable à se tenir occupé ainsi, son esprit était maintenu dans une ferveur de révisions, entièrement focalisé. Il passait la fin de ses soirées à méditer, seul, mais être entouré des Poufsouffle lui évitait de côtoyer une autre personne. Il ne l'avait pas remarqué tout de suite, il lui avait fallu quelques jours pour le noter.

C'était discret, et pour Harry qui avait tendance à être un tantinet sourd à ce sujet, s'en rendre compte était déjà un exploit en soi. Mais aussi, pourrait-on grincer, extrêmement révélateur.

Dans les couloirs, il s'arrangeait pour passer à ses côtés, et il le frôlait, laissait son épaule et son bras l'effleurer, comme si le manque de place au sein du couloir justifiait un tel rapprochement.

C'était aussi simplement des regards, un peu appuyés, aux airs séducteurs – ces regards qui signifient que l'on se retrouverait bien dans une position explicite avec l'autre.

Il attrapait son regard lorsqu'ils étaient dans la même salle, jouait un peu avec, attendant d'avoir son attention, puis il baissait les yeux jusqu'à ses jambes, remontait lentement le regard, s'attardait plus que de raison vers son entrejambe, caressait son torse, et revenait avec un air de satisfaction sur son visage. Une fois, il se permit même de lui faire un clin d'œil.

Maintenant que Harry avait commencé à saisir le manège en train de se jouer, il peinait à garder un air flegmatique, et ressentait ses joues le trahir dans un léger rosissement, alors que les yeux clairs de Lewis Bladwell le déshabillaient sans honte.

La gêne, le désarroi et la fébrilité qui l'animaient à ce sujet ne l'aidaient aucunement ; et Harry passa ainsi les deux premières semaines suivant la rentrée à travailler d'arrache-pied, en compagnie rassurante des Poufsouffle, et à faire comme si de rien n'était avec Lewis Bladwell. Pour une obscure raison, il ne tentait pas réellement de l'éviter – comme si une part de lui appréciait ces entrevues grisantes et émoustillantes.

Et, il ne fut pas le seul à remarquer le comportement de Lewis. Nadège devait être l'une des élèves qui séchaient le nombre le plus astronomique de cours, mais elle n'avait pas son pareil pour observer minutieusement ce qui se passait dans le château à la moindre de ses apparitions. Durant la deuxième semaine après la rentrée, alors que le mois de mai s'avançait, elle capta, elle aussi, son regard au travers de la Grande Salle, haussa les sourcils, en guise d'interrogation provocante muette, glissa les yeux en direction de son cousin à la table des Serdaigle, et revint planter son attention sur lui. Harry se renfrogna, haussa les épaules et soupira.

Alors qu'il se serait attendu à un sourire goguenard, un brin moqueur ou satisfait ; Harry fut déconcerté de voir l'expression illisible et troublée de Nadège – comme si elle était soucieuse. Ce constat fit descendre une brique lourde directement au creux de l'estomac de Harry ; un tel trouble n'augurait rien de bon.

Naturellement, le soir même, ses pas l'amenèrent jusqu'à la petite chambre de Nadège. Voilà une éternité qu'il n'était pas allé la voir, et il comptait bien lui tirer les vers du nez à propos de cette étrange réaction vis-à-vis du flirt qu'exerçait son cousin à son propos.

Elle l'accueillit à sa porte, après qu'il ait frappé doucement, l'air agréablement ravie de le voir. « Tiens donc ! Curson. Cela faisait longtemps... »

Harry haussa les épaules. « J'étais occupé. Cependant, » lui reprocha-t-il, « je ne devrais pas être le seul à venir vers toi ; la réciproque devrait être vraie, mais j'ai l'impression que tu ne viendrais jamais me parler de toi-même. Et puis, pourquoi faut-il que cela se fasse toujours en secret, comme si nous ne pouvions pas nous fréquenter en journée ? »

Elle le laissa entrer, fouilla dans son tas de parchemin et de livres pour en sortir un paquet de cigarettes.

« Tu as raison, » lui concéda-t-elle. « Je ne vais pas vers les autres. Cette hygiène de vie me convient très bien ainsi. Que dirais-tu d'aller bouger un peu dehors ? Prendre l'air. Il fait doux le soir à présent, on pourrait se poser quelque part dans l'herbe pour discuter. »

« Le couvre-feu est pour bientôt, » remarqua inutilement Harry, d'un ton plat.

Prenant une veste et un foulard noir, elle leva les yeux au ciel. « Une scène de moralité concernant les règlements serait fort surfait de ta part, Curson. »

« Je voulais juste que ce soit clair, » protesta Harry en lui emboîtant le pas dans les couloirs. Elle tapota sa porte de sa baguette pour la verrouiller, puis s'avança en direction du hall.

« Alors, » fit-elle d'un air entendu, « qu'est-ce qui a pu tant t'occuper ces derniers temps pour que tu n'aies même plus l'occasion de venir me rendre visite ? »

Harry sourit. Il savait à quoi s'en tenir avec elle : elle ne pouvait s'empêcher de poser des questions gênantes, en mettant largement les pieds dans le plat. Sur le même ton amusé, il lui répondit : « Et toi, alors, pourquoi ton hygiène de vie implique-t-elle de ne pas aller vers les autres ? »

Elle lui lança un regard de côté. « Mais c'est que tu deviens impertinent ! » Après un petit rire, elle sembla tout de même songer à sa question. « Laisse-moi être dehors pour fumer, je pourrai te répondre convenablement. »

Un silence confortable s'installa durant leur trajet. La nuit était tombée, mais le ciel dégagé laissait voir la douce lumière des étoiles qui parsemaient la voûte. L'air y était agréable, d'une douce fraîcheur, avec un parfum de vert tendre, des bourgeons et des jeunes feuilles.

« Je n'aime pas les gens, » commença Nadège, en allumant sa cigarette. Elle s'était assise au pied d'un arbre, sur une vue dégagée du parc, où l'on pouvait voir la porte d'entrée du château, de telle sorte qu'il soit peu évident de les remarquer pour un individu qui en sortirait.

« Ils m'ennuient. Ils sont la plupart du temps décevants. Ils sont bruyants, inutilement bavards ; et racontent souvent des choses inintéressantes. J'apprécie bien mieux ma propre compagnie. Je ne vois pas pourquoi je m'infligerais des liens superficiels, factices, qui n'ont aucun sens et ne font que perdre du temps et ce, de manière désagréable. »

Elle suivait des yeux les volutes de fumée qui se dégageaient de sa cigarette, comme hypnotisée, en énonçant platement son mépris pour autrui. Ce n'était pas la première fois qu'elle déconcertait Harry, mais il arrivait encore à être surpris par son incongruité. Aussi, il était surpris qu'elle semble tolérer sa compagnie, contrairement aux autres, alors qu'il ne voyait guère en quoi il différait ou méritait une telle 'faveur'.

« Assez parlé de moi. Que se passe-t-il avec mon cousin ? » l'interrogea brusquement Nadège.

Harry grogna, peu enclin à aborder le sujet ; alors même qu'il était venu la voir précisément pour cette raison. Son intrigante réaction dans la Grande Salle le rendait curieux. Du bout des lèvres, il se mit alors à raconter sa rencontre avec Lewis dans un coin particulier de la bibliothèque.

L'air attentif qu'elle avait se transforma aussitôt en amusement – de manière plus attendue. « Mais que faisais-tu donc dans un tel lieu ? » le taquina-t-elle.

« Puis-je avoir une cigarette ? » répondit Harry, d'un air sérieux. Les premières bouffées le détendirent, alors qu'il cherchait à se convaincre de prononcer à voix haute ce qu'il avait encore peine à penser. Il suffisait juste de se jeter à l'eau… Pourquoi était-ce si difficile ? Quel était le blocage à l'œuvre, qui le coinçait depuis plusieurs mois à ce sujet ?

Il craignait d'être anormal.

Monstre !

Harry eut le temps de terminer silencieusement sa cigarette avant de répondre. Nadège s'était mise à l'observer, attentive, le laissant venir à son rythme.

« Je cherchais des renseignements, quelque chose qui aurait pu m'aider à savoir si… » Il buta. « Pour savoir si j'étais… Si je n'aimerais pas plutôt… » il baissa sa voix, « les hommes. »

L'entendre, le dire, rendait la situation bien plus réelle, comme une réalité qu'il avait tant cherché à cacher. À s'illusionner lui-même. Maintenant que les mots avaient été posés, il ne pouvait plus l'ignorer – il ne pouvait plus faire demi-tour.

« Eh bien voilà, » fut le murmure doux de Nadège, quelques instants plus tard. « Il n'y a pas de mal à ça ; ce ne serait pas si grave, tu sais ? »

Elle lui tendit une nouvelle cigarette.

« Je ne sais pas si des livres pourront réellement t'aider à en savoir plus sur toi-même, mais c'est déjà un grand pas de s'avouer cette interrogation. Quoi qu'il en soit, cela me permet de comprendre comment mon cousin en est venu à te faire du rentre-dedans. » Elle parut hésitante, les yeux portés dans le lointain. « Il te plaît ? »

Harry cligna des yeux - il ne s'était à vrai dire pas réellement posé la question. Manifestement, il appréciait surtout l'idée de plaire à Lewis.

« Quelque chose ne va pas avec ton cousin ? » demanda-t-il, curieux. Était-ce de la nervosité qui émanait de Nadège ? Elle se frotta les bras, paraissant mal à l'aise et indécise quant à ce qu'elle allait dire.

« Nous… Nous avons une famille plutôt dysfonctionnelle. Cela laisse des traces. Si je suis marquée, et loin d'être la fille la plus stable ou ordinaire, on voit relativement facilement mes… bizarreries. En revanche, mon cousin... »

Elle s'humecta les lèvres et s'alluma une énième cigarette.

« Juste, fait attention. Je ne vais pas te dire de ne pas le fréquenter - après tout, tu es libre de faire ce que tu veux - mais je ne peux que te conseiller de garder une distance de sécurité. Il n'est pas foncièrement dangereux, même s'il se fait embrigader du côté de Tu-Sais-Qui ; mais il pourrait te blesser si tu t'attaches, et s'il paraît moins marginal que moi de prime abord, il est en réalité bien moins équilibré. »

Harry reçut ces informations précieusement. Il était rare de voir Nadège soudainement si vulnérable, ou donner spontanément des éléments personnels. Voilà qui le rendait curieux au sujet de ce passé familial trouble ; mais il n'osa pas poser de questions par pudeur et tact. Ce dévoilement était d'autant plus touchant qu'on pouvait sentir qu'elle le faisait uniquement pour le propre bien de Harry.

« Merci. J'en tiendrai compte. Je ne pense pas de toute façon que nous nous rapprocherons suffisamment pour qu'il y ait un impact négatif. » À vrai dire, Harry ne savait même pas s'il y aurait un rapprochement tout court. L'idée l'intriguait, et peut-être qu'il avait besoin d'une telle confrontation pour s'éclaircir les idées concernant sa sexualité… À qui mentait-il ? Au fond de lui, il savait bien ce qu'il en était. Le pressentiment était là, tapis, il fallait juste qu'il l'accepte et qu'il vérifie pour le rendre réel.

Nadège fit un petit bruit de bouche, léger petit claquement de langue contre le palais. « Ce que je veux dire, c'est qu'il y a bien sûr l'instabilité affective de mon cousin à prendre en considération, mais également sexuelle. »

Harry l'observa fixement, peu certain de comprendre ce qu'elle essayait d'expliquer. « Donc… Qu'il a tendance à papillonner de droite à gauche ? » essaya-t-il d'éclairer.

« Oui, mais... » La jeune fille s'humecta les lèvres, encore une fois, tic nerveux atypique chez elle. « Je voulais aussi dire au niveau de la pratique elle-même. Il n'est pas ce qu'il y a de plus tendre. »

Harry répondit d'un « ah » évasif, décontenancé. Il voyait mal quoi répliquer à ceci. À vrai dire, il lui paraissait même curieux qu'elle en sache autant sur la vie privée et sexuelle de son cousin, mais Harry n'allait pas s'enquérir de plus de détails explicatifs. Après un silence inconfortable, ils changèrent laborieusement de sujet, s'orientant sur des éléments moins personnels. Bien plus tard encore, ils rentrèrent au château et se quittèrent dans une intersection de couloirs, au cœur des cachots.

xXx

Pendant que les jours se dérobaient à lui, pour le parachuter plus rapidement en direction des examens, Harry ne parvenait à aucune progression sensible du côté de sa méditation et de l'Innascomancie. Était-ce parce qu'il lui fallait un changement pour s'aérer l'esprit dans cette ambiance abrutissante de révisions ? Ou encore parce qu'il lui fallait sa dose d'adrénaline et d'effractions ? Il ne pouvait de toute manière pas se tenir tranquille, et c'est armé de la carte du Maraudeur qu'il reprit son exploration de la bibliothèque en pleine nuit, dans les recoins de la Réserve, à la recherche de livres abordant ces branches mystérieuses de magie de l'esprit qui s'écartaient des deux plus connues.

Son sac de cours rempli de livres de la Réserve, Harry se dirigeait vers la Salle sur Demande pour lire tranquillement ses nouvelles trouvailles, quand un nom sur la carte attira son attention. Il ne réalisa pas immédiatement, et s'arrêta subitement en chemin, fronçant les sourcils, déconcerté. Ce nom lui disait quelque chose, et une part de lui se souvenait que c'était un nom qu'il devait retenir.

Joshua Berckley.

Où l'avait-il déjà vu ? Qui était-ce ? Et aussitôt, le déclic se fit, et il se rappela. En pleine nuit, durant cette fameuse nuit troublée, tragique, où Rosie Barantyn était décédée dans les couloirs du château, délirante, empoisonnée. Cet homme mystérieux, présent sur les lieux du crime, et dont il ignorait l'identité. Il ne l'avait à vrai dire pas spécifiquement cherché – il était curieux de comprendre ce qu'il s'était passé durant cette nuit, mais il avait plus ou moins supposé qu'il s'agissait de mangemorts, et leurs identités individuelles lui importaient bien peu dans l'immédiat.

Mais Joshua Berckley était le seul qu'il ne connaissait pas, qu'il n'identifiait pas, et c'était suffisamment intrigant pour que sa curiosité légendaire retienne ce détail et le conserve pour plus tard.

Maintenant, il avait toute son attention. Une vague de colère envers lui-même assaillit Harry. Lui avait-il fallu tant de mois, pour voir ça ? N'avait-il rien appris de ses erreurs précédentes ? Il ne s'agissait pas juste d'avoir l'étiquette de Joshua Berckley sous les yeux, mais qu'elle soit précisément à l'endroit elle se trouvait.

Dans le bureau du professeur de Défense contre les Forces du Mal.

Harry serra les dents. Il avait croisé Morel durant cette soirée mouvementée. Il avait eu la carte du Maraudeur à disposition durant toute l'année. Il savait que Morel trompait son monde concernant son accent. Et ta quatrième année, Potter ? N'en as-tu rien retenu ? Comment une telle négligence de sa part avait-elle pu se produire ?

Pourtant, il fallait qu'il soit sûr. Tous les éléments dans ses mains paraissaient clairs, mais le doute n'était plus permis ; et qu'importe si Morel lui-même le prenait sur le fait, à vagabonder en pleine nuit. Harry inspira, et fit marche arrière, descendant l'étage d'un pas décidé, en direction du bureau de Morel. Alors qu'il s'approchait, un nouveau coup d'œil lui indiqua qu'Evan Rosier en faisait de même, et s'apprêtait à entrer.

Mais que fait-il là, celui-là ? Grinça-t-il intérieurement.

Harry ralentit le pas, s'interrompit, et put entendre en tendant l'oreille le cliquètement de la porte se refermer. Son empressement volontaire et impétueux se dilata en cet instant, remplacé par une certaine indécision. Il n'allait tout de même pas vaillamment entrer dans le bureau, en pleine nuit, à la suite de Rosier ?

S'il partait du principe que Morel – enfin, Berckley – était du côté des mangemorts, comme l'était sans le moindre doute Evan Rosier… Il serait probablement un peu trop impétueux de rentrer soudainement dans la gueule du loup, juste pour une vérification. Sans compter que Rosier était très certainement l'élève qui lui paraissait le plus dangereux. Quelque chose dans son regard se tapissait, dérangeant, de bien plus inquiétant que ne pouvait l'être Avery avec ses petits airs de caïd.

Harry s'installa alors dans un coin, suffisamment éloigné de la porte, hors de vue, mais qui lui permettait d'observer et d'entendre lorsque la porte s'ouvrirait. Il s'accroupit, la carte sur les genoux, fixant les deux petites étiquettes. Berckley était immobile, tandis que Rosier faisait des allers-retours devant lui.

Finalement, alors qu'il sentait ses jambes s'engourdir, il y eut du mouvement : la porte s'ouvrit, Rosier en sortit tandis que Morel restait sur le pas de la porte.

« Faites attention à vous, Professeur. Ne soyez pas stupide. »

Harry retint sa respiration : la confirmation que Morel s'appelait en réalité Berckley était bien présente, sous ses yeux. Un éclat de lune lui permit de distinguer le visage de Morel, renfrogné, qui n'avait pas l'air ravi face à Rosier. Il ne répliqua pas et referma sèchement la porte. Harry fronça les sourcils. Un désaccord entre eux, de l'eau dans le gaz ? Que pouvait-il bien se pouvait bien se passer ? Il n'avait pas assez d'éléments en main pour savoir ce qu'il en était véritablement.

Il ne put que se résoudre à se relever, étirant ses jambes engourdies, et reprendre le chemin de la Salle sur Demande. Il n'avait plus trop la tête à se plonger dans les subtilités de la magie de l'esprit, mais il ne pouvait pas simplement garder les livres sur lui. Les déposer était nécessaire, et ce n'est qu'ensuite qu'il rentrerait sagement dans son dortoir.

Le lendemain, il prit la décision de surveiller Morel – Berckley du coin des yeux, ainsi que Rosier. Cette surveillance lui occupa les pensées, sans qu'il n'en vienne à négliger à nouveau ses cours et ses révisions, mais il était clairement moins concentré ; dispersé dans ses préoccupations. Cela étant dit, s'il n'avait pas gardé cet œil attentif, il serait passé à côté d'une nouvelle révélation ; et pas des moindres.

Lorsqu'il l'aperçut, son réflexe fut de chercher immédiatement la carte du Maraudeur dans ses affaires, mais alors qu'il farfouillait désespérément, l'évidence horripilante et frustrante de son oubli au sein de son dortoir, ce matin, s'imposa à lui. Son retard matinal l'avait amené à se précipiter, fourrant ses affaires expéditivement dans son sac, au détriment des besoins raisonnables qu'il aurait durant la journée. Il jura tout bas, releva la tête, le regard un peu fou, fixant à l'autre bout du couloir celle qu'il avait remarqué, en compagnie de ce cher professeur Morel. Il ne prit pas le temps de réfléchir plus amplement : il s'élança à travers le couloir, slalomant entre les élèves qui sortaient de cours en cette fin d'après-midi, pour suivre cet étrange couple.

Sa préoccupation et sa curiosité envers Morel prenaient maintenant une dimension plus personnelle – jusqu'à présent suspect et potentiellement mangemort, Harry n'avait pas de dent spécifique contre lui ou de raison bien précise de le surveiller. Morel avait toujours été distant avec lui, parfois un peu curieux et semblant intrigué, mais il ne s'était délibérément rapproché de lui à aucun moment.

Ce n'était pas le cas de cette femme qui l'accompagnait. Elle portait actuellement une robe de sorcier noire commune ; des cheveux châtains coiffés en chignon un peu lâche. Mais Harry avait appris à ne plus l'identifier avec ces caractéristiques ordinaires qui étaient loin d'être constantes chez elle. Changeant de style et de coupe à chaque fois, semblant épouser un personnage scénique différent pour mieux se fondre inconnue dans la foule et garder cette aura de mystère, c'étaient les traits de son visage qu'il avait appris à reconnaître sous ces petits déguisements.

La trentaine, nez droit, lèvres fines, avec une énergie malicieuse, vivace, mais ce regard sérieux, cette impression de lourdeur sage qui se laissait voir dans sa manière de se mouvoir, comme si un poids constant, habituel, était toujours là.

Et surtout, elle s'était bien démenée pour se rapprocher de lui. Alors, évidemment, la voir aux côtés de ce mensonger de Morel, qu'il soupçonnait d'être accoquiné aux mangemorts… Claudia McQueen lui devait des explications concernant cette présence impromptue.

Il les suivit de loin, pour assister, impuissant, à leur enfermement dans le bureau de Morel. Harry jura. Il désirait ardemment la carte du Maraudeur avec lui, pour vérifier le nom de McQueen ; mais les Oreilles à Rallonge de Fred et George auraient été aussi d'une utilité bienvenue. Que pouvait-il faire ? Prendre le risque de s'approcher, et tenter d'écouter à la porte ? Courir récupérer la carte dans son dortoir, en espérant qu'ils n'aient pas le temps de disparaître ?

Plus il passait de temps à hésiter, indécis dans la marche à suivre, plus il risquait de toute manière de louper une bonne occasion, quelle que soit la stratégie qu'il pourrait employer. Harry inspira un coup, et s'élança en courant jusqu'aux cachots, se dirigeant à toute allure vers la salle commune des Poufsouffle.

Si McQueen lui avait menti sur son nom, ce serait une bonne opportunité pour la confronter. En effet, même s'il la croisait à Poudlard, elle pourrait botter habilement en touche, sans lui accorder les explications auxquelles il aspirait et dont il était affamé. En revanche, un mensonge sur son identité lui permettrait d'exiger des réponses de manière bien plus pressante et légitime, au vu de leur petit accord de confiance. Un tel coup de canif dans le contrat permettrait de poser de sérieux arguments sur la table des négociations.

« Ah ! Stephen ! » s'exclama Adam lorsqu'il entra à toute volée dans la salle commune. Les Poufsouffle relevèrent la tête.

« Où étais-tu passé ? Tu as disparu soudainement ! » s'étonna Alice.

Harry ne leur prêta aucune attention et s'engouffra dans l'un des petits tunnels. La porte s'ouvrit presque sur son passage, il tira sa valise de sous son lit, et farfouilla.

Il se figea un instant, puis retira ses affaires frénétiquement sur son lit, jeta un coup d'œil à son petit bureau d'appoint, sur la chaise, sous le lit, recommença à éparpiller ses affaires sur son lit, tâtonna sa valise. L'avait-il oubliée quelque part ? Dans la petite étude – impossible, puisqu'il sortait systématiquement avec son aide. Le vertige le prit.

La carte du Maraudeur avait disparu.

Cela ne pouvait pas être possible – son esprit nia farouchement, se noyant dans cette idée, s'enfonçant, patinant dans ce marécage bréneux qui s'ouvrait inexorablement devant son regard enfiévré et foudroyé. Il s'arracha de sa transe, se tirant par la force de ses bras pour se mettre en mouvement. La situation critique ne lui permettait pas de disparaître dans un amoncellement de panique. Il laissa ses affaires désordonnées, en vrac, et revint voir les Poufsouffle, le souffle court, agité, probablement l'air dérangé.

« Est-ce vous ? Benjy, je sais que tu me soupçonnes de beaucoup de choses, je sais que mon comportement te déplaît ; je sais que tu te réfrènes et j'estime ce respect de ma vie privée d'autant plus que je sais l'effort que cela te coûte. J'ai toujours considéré que tu étais quelqu'un d'entier, d'honnête. Tu ne sais pas mentir – ta droiture t'en empêche. Alors, je te le demande droit dans les yeux. »

Harry se positionna juste en face de lui, les deux bras posé de part et d'autres du Préfet, et il plongea son regard en lui, tendant son esprit, frôlant, cherchant à passer délicatement pour saisir les souvenirs flottants naturellement.

« As-tu fouillé dans mes affaires ? As-tu pris un parchemin vierge dans ma valise ? » Des images du dortoir, de sa valise sous le lit, de parchemins vierges utilisés pour les cours, d'inquiétude sur sa santé mentale…

Harry se redressa.

« J'espère que tu te rends bien compte, » répliqua Benjy, les sourcils froncés, « que je ne ferais jamais une chose pareille. Je me sens presque insulté que tu puisses penser ça de ma part. Manifestement, tu es un peu secoué. »

Il peinait à respirer, son regard se brouilla, sa chaleur corporelle augmenta tandis que des perles de sueur froide commencèrent à rouler le long de ses tempes et de sa colonne vertébrale. Il reconnaissait les signes, et savait qu'il était sur le point de faire une crise d'angoisse. Harry s'efforça de respirer par de grosses et lentes goulées d'air, mais elles restaient coincées, alors qu'il réalisait que quelqu'un dans cette école avait subtilisé la carte du Maraudeur ; carte qui affichait son vrai nom.

Un rire nerveux le secoua. Il s'agrippa à la table pour éviter de s'effondrer. Voilà, c'était parfait ; la situation pouvait-elle s'empirer ? Après tout, le monde pouvait maintenant exploser en toute liberté, qu'importait ces bêtises temporelles ?

Les Poufsouffle échangèrent un regard.

« Ça y est, » remarqua Adam. « Il pète un câble. Il fallait bien que cela arrive depuis le temps. »

« Stephen ? »

« Splendide ! » s'exclama-t-il, violemment, en se redressant, théâtralement, exultant sous les nerfs craquelés. Il se sentait hystérique, mais il ne pouvait pas réguler cette déferlante en lui, alors que la situation lui échappait complètement. Il devait réfléchir un peu – et se mit à tourner en rond, furieusement.

« Vous croyez que nous devons l'emmener à l'infirmerie, cette fois ? » s'interrogea Adam comme s'il n'était pas présent, devant eux, à tourner tel un lion forcené en cage.

« Peut-être qu'une potion calmante ne lui ferait pas de mal... » répondit Alice, la tête penchée sur le côté, à l'observer prudemment, comme s'il était un spécimen intrigant, un peu dangereux et pouvant exploser à tout moment.

Si ce n'était pas les Poufsouffle… Serait-ce les Maraudeurs ? Il les avait pourtant prévenus de ne pas se mêler de ses affaires ! La menace d'une dénonciation devait avoir fait effet ; ils n'allaient tout de même pas risquer Azkaban juste pour ça.

« Stephen, tu ne veux pas venir t'asseoir ? » l'invita doucement Joyce.

Harry secoua frénétiquement la tête.

« Non. Pas le temps. Pas le temps. »

Sa propre réplique le fit rire nerveusement – après s'être plaint d'avoir vingt longues années devant lui avant de rejoindre 'son' époque, voilà qu'il était soudainement pressé.

« Non, sérieusement, je suis inquiet là, » grommela Adam. « Ce type ne tourne pas rond. »

Et Harry continua à rire. Plaçant son visage dans la coupe de ses paumes, il chercha à calmer son ébullition interne. Il devait garder son sang-froid. Analyser la situation, et trouver un plan ; maintenant. En ce moment même, McQueen paradait dans le bureau de Morel. Voilà qui ne pouvait que susciter sa suspicion… Serait-ce son œuvre ? Avait-elle eu un moyen de prendre connaissance de la carte, de la lui enlever délibérément avant qu'elle ne rentre à Poudlard et qu'il ne puisse vérifier son nom ou la suivre ainsi ? Elle lui avait tellement montré qu'elle était capable de connaître des éléments improbables, et qu'elle possédait une emprise manipulatrice non négligeable sur les évènements qu'il n'était pas du tout incohérent de l'imaginer procéder ainsi.

Bien au contraire ; cela faisait sens.

Alors, il repartit en courant, sans tenir compte des exclamations des Poufsouffle dans son dos. Soit c'était McQueen et Berckley, et il les confronterait à ce sujet ; soit quelqu'un d'autre avait pris la carte, et verrait probablement alors trois noms inconnus, comprenant le sien, dans le bureau du professeur de Défense contre les Forces du Mal.

Ce procédé stratégique aurait le mérite de rendre au moins un peu confus l'individu pendant quelques temps, car il ne devrait techniquement pas réussir à le localiser, voire déterminer qui il était, entre Berckley et Potter. Néanmoins, cela ne pouvait fonctionner que si le vol de la carte ne datait pas trop. Si on l'avait suivi durant toute la journée…

Harry ferma ses pensées, se focalisant sur son souffle, ses foulées, et l'objectif d'arriver le plus vite possible au bureau. Quelques élèves se retournèrent sur son passage, surpris. Une fois devant la salle, Harry s'accorda quelques brefs instants pour reprendre son souffle, les mains appuyées sur ses genoux.

Durant ce moment, les commentaires de Morel retentissaient dans son esprit – qu'il tombait bille en tête dans l'attaque, qu'il lui fallait être plus défensif, plus stratégique et réflexif encore… Mais parfois, grinça Harry pour lui-même, l'impulsion a du bon.

Il ouvrit la porte. Sans frapper, d'un coup.

Et il se figea aussitôt.

McQueen et Berckley étaient sur sa droite, côte à côte, baguettes dégainées, sorties en direction de sa gauche, tenant en joue quatre élèves de Serpentard ; Avery, Rosier, Wilkes et Snape ; eux-mêmes baguettes pointées en face, en direction des deux adultes. Les deux groupes étaient séparés par le bureau professoral, McQueen et Morel campés derrière lui.

Harry sentit sa bouche s'entrouvrir sous la stupéfaction, tandis que les six paires d'yeux l'observaient avec tout autant de surprise. McQueen avait pâli de manière significative.

« Monsieur Curson ! » s'exclama Morel. Harry resta sur le qui-vive, mais ne s'empêcha pas de lever un sourcil devant l'air indigné de son professeur. Serait-il sérieusement en train de lui reprocher son manque de politesse en entrant ainsi de manière aussi fracassante ? Voilà bien une exclamation qui tombait comme un cheveu sur la soupe.

Néanmoins, Harry ne savait trop que faire, se sentant soudainement comme un lapin pris entre les phares de deux voitures fonçant l'une sur l'autre à toute allure.

Voilà une situation bien délicate, s'amusa cette voix narquoise en lui.

La partie la plus flegmatique de Harry ne put qu'approuver ; certes, voilà qui est même fâcheux.

S'il sortait sa baguette, il suffisait aux six individus face à lui de bouger un peu la trajectoire de la leur pour l'attaquer – ils avaient tous l'avantage, Harry ne pouvait pas être aussi rapide. Eh bien, il aurait dû anticiper, et sortir sa baguette avant d'entrer, n'est-ce pas ? Cela aurait été on ne peut plus cavalier, aurait pu commencer sa discussion prévue avec Morel et McQueen de manière un peu trop belliqueuse et trop peu diplomatique, mais au moins, il n'aurait pas été dans une position aussi maladroite.

Mais alors qu'ils étaient tous en train de s'examiner, la tension dans le bureau prenant des allures d'orage électrique prêt à leur tomber sur la tête, le premier mouvement fut amorcé par McQueen. Elle prit la parole, d'une voix un peu pressante et tendue – telle que Harry ne l'avait jamais entendue ainsi.

« Approche Curson. Referme la porte derrière toi, » lui indiqua-t-elle.

Harry se retint de grimacer. Elle avait avancé son pion sur l'échiquier en le revendiquant sien – d'abord l'utilisation de son nom, la familiarité avec laquelle elle s'était adressée à lui, comprenant l'ordre implicite et le tutoiement.

Ce n'était pas une manœuvre que Harry pouvait apprécier à sa juste mesure ; il n'aimait pas être utilisé ainsi. Néanmoins, c'était intelligent de la part de McQueen – s'il l'écoutait, il se plaçait comme renfort délibéré de leur côté, face aux quatre Serpentard. Ainsi, il pouvait s'avancer, sortir sa baguette en toute sécurité, assuré que si les Serpentard lançaient une attaque à son encontre, il serait couvert par Morel et McQueen.

Harry referma lentement la porte, sans quitter les six individus des yeux. Il avait remarqué le plissement des yeux soupçonneux de Snape à l'injonction de McQueen. Harry déglutit, sortit lentement sa baguette.

« Ne fais pas l'idiot, Curson, » intervint curieusement Snape, de sa voix basse. « Sors plutôt d'ici, oublie cet incident et tout ira bien pour toi. Il est encore temps de partir. »

Harry songea un instant à cette possibilité – cette offre de liberté et de sécurité que lui donnait gracieusement Snape, de manière inattendue et élégante.

Mais aussitôt, Avery répliqua d'un : « Tu plaisantes ? » belliqueux et guère engageant. « On ne peut pas se le permettre, il faut une solution plus définitive. »

Harry n'osa pas bouger. Un simple pas en direction de Morel et McQueen semblait pouvoir déclencher les hostilités imprévisibles qui rôdaient, tourbillonnantes, agitées, en quête de sang, dans l'air.

« Et si nous commencions alors par protéger cette porte ? » proposa Snape. « Cela éviterait d'autres survenues délicates, intempestives et inopportunes. »

Harry se décala alors d'un pas sur la droite, pour dégager la porte, juste avant qu'un sortilège ne le frôle. Le sort de Rosier illumina doucement la porte d'une lueur bleutée, avant de disparaître. L'éclat dangereux dans les yeux de Rosier s'agita.

Harry reporta son attention sur lui.

« Nous avons donc comme qui dirait un problème, » susurra le beau jeune homme, le visage ciselé d'un sourire en coin, une flamme démente dansante au fond du regard azuré.

La tension monta encore. Il y eut un nouvel échange de regard, les muscles qui se bandèrent, prêts à l'œuvre, des frémissements subtils des deux côtés.

Harry déglutit.

« Autant donc en finir rapidement, » conclut Avery, brandissant sa baguette. Ses camarades Serpentard amorcèrent un mouvement pour se tourner vers lui, comme pour l'empêcher de commettre une erreur, mais Avery fut plus rapide, prononçant les deux mots fatidiques.

« Avada Kedavra ! »